Becker Témoigne

Les Camions à gaz


Le SS-Untersturmführer Becker, après avoir été le spécialiste des gazages au monoxyde de carbone dans le cadre de l’opération T.4 dite d’«euthanasie», d’assassinat des handicapés, fut détaché par la chancellerie de Hilter auprès de la SS comme expert pour les camions à gaz.

Il a déclaré:

«J’ai été affecté au programme d’euthanasie dans le service dirigé par Victor Brack à la chancellerie du Führer. J’exerçais la fonction d’expert en matière de gazage pour l’extermination des malades mentaux dans les hôpitaux et centres spécialisés. étant donné que ces opérations venaient d’avoir été suspendues peu de temps avant, pour des motifs que je ne saurais dire. En raison d’une conversation privée entre le Reichsführer-SS, Himmler, et Brack, le chef du service, j’ai été muté au bureau central de la sécurité du Reich, le R.S.H.A., à Berlin. Himmler voulait que les hommes qui seraient disponibles à la suite de l’interruption de l’euthanasie, et qui comme moi étaient des spécialistes du gazage, fussent affectés à des opérations de plus grande envergure à l’Est. La raison invoquée était la suivante: à l’Est, les commandants des groupes spéciaux se plaignaient de plus en plus fréquemment qu’à la longue, les hommes des pelotons d’exécution n’étaient pas de taille à supporter les efforts mentaux et psychiques qu’exigeaient ces exécutions à la chaîne. J’ai appris que des hommes de ces commandos ont même été internés dans des asiles psychiatriques et qu’il fallait donc trouver un système de mise à mort plus efficace. C’est pour cette raison qu’en décembre 1941, je suis arrivé au R.S.H.A., Bureau II, dans le service de Rauff. Le suppléant de Rauff était le capitaine Pradel; par la suite, il a été promu major.

En effet, le grade de Pradel était assimilé à celui d’un SS, mais il se faisait appeler Major. Au début, je n’avais pas de contacts personnels avec Pradel. Quand, en décembre 1941, j’ai été muté auprès de Rauff, ce dernier m’a expliqué la situation en disant que les efforts mentaux et psychiques que devaient fournir les pelotons d’exécution dépassaient les limites du tolérable et que c’était la raison pour laquelle on venait d’entamer les opérations de gazage. Il m’a dit que ces camions et leurs chauffeurs étaient déjà sur place ou en route pour rejoindre les groupes spéciaux. Quant à moi, ma mission était clairement définie, je devais vérifier le travail des divers pelotons utilisant ce type de véhicules à l’Est. Ce qui signifiait que j’avais à contrôler le processus de l’extermination et si tout se passait conformément aux ordres; je devais porter une attention particulière aux techniques utilisées par ces véhicules. Ici, il me faut ajouter que deux types de camions de gazage étaient opérationnels: «L’Opel Blitz» de 3,5 tonnes et le grand «Camion Saurer» qui, à ma connaissance, faisait 7 tonnes. En raison de la mission que Rauff m’avait confiée, je suis parti pour l’Est à la mi-décembre; mon objectif était (...) le groupe A (Riga), afin de rejoindre les voitures spéciales, en l’occurrence, les camions de gazage.

Mais le 14 décembre 1941, j’ai eu un accident de voiture près de Deutsch-Eylau. En raison de cet accident, j’ai été admis à l’hôpital catholique de Deutsch-Eylau et j’ai pu en sortir après convalescence le 23 ou le 24 décembre 1941. J’ai le souvenir exact de cette date parce qu’à Noël j’étais en famille à Berlin.

Le 4 ou le 5 janvier, j’ai reçu un message de Rauff me demandant de me présenter à son bureau. On me donnait l’ordre de partir immédiatement, cette fois-ci pour me rendre à Simferopol et prendre directement contact avec le groupe D, dans le sud (Otto Ohlendorf). A l’origine, je devais d’abord prendre un avion, mais ça n’a pas marché à cause du gel. J’ai donc pris le train le 5 ou le 6 janvier 1942 pour Nikolaïev, via Cracovie et Fastow. De Nikolaïev, je me suis envolé dans l’avion du Reichsführer SS pour Simferopol (Crimée). Dans le cadre de cette mission, j’ai voyagé pendant trois semaines environ et me suis présenté auprès du commandant du groupe spécial D, Otto Ohlendorf, en janvier 1942. Je suis resté avec ce groupe jusqu’en avril 1942, puis j’ai inspecté chaque groupe jusqu’à ce que j’atterrisse à Riga où se trouvait le groupe A.

A Riga j’ai appris du Standartenführer Potzelt, le suppléant du commandant en chef de la sécurité et du SD de Riga, que les trois camions de gazage disponibles ne suffisaient plus au commando spécial de Minsk et que d’autres véhicules étaient par conséquent nécessaires. Potzelt m’a aussi appris qu’il s’agissait, à Minsk, d’un camp d’extermination des Juifs. Avec un hélicoptère, excusez mon erreur, non, je suis parti pour Minsk dans un Fieseler Storch du groupe. Le Hauptsturmführer Rühl, le commandant du camp d’extermination de Minsk, avec lequel j’avais négocié à Riga, était dans le même avion que moi. Rühl avait une requête, il voulait que je lui procure d’autres véhicules car ils n’arrivaient plus à suivre le rythme exigé. étant donné que je n’étais pas compétent en matière d’approvisionnement en camions, j’ai dit à Rühl qu’il fallait qu’il transmette sa demande au service de Rauff.

Ayant vu à Minsk à quel petit jeu on jouait et que des êtres humains des deux sexes étaient exterminés en masse, j’en ai eu marre, et trois jours plus tard, ça devait être en septembre 1942, je suis parti pour Berlin via Varsovie en camion.

Arrivé à Berlin, j’ai voulu me présenter au service de Rauff. Mais Rauff n’était pas là; Pradel, son suppléant, le remplaçait; entre-temps, il avait été promu au grade de major. C’est lui qui m’a accueilli (...). Au cours d’un entretien personnel qui a duré à peu près une heure, je lui ai décrit les méthodes de travail des camions de gazage, en les critiquant parce que les «délinquants» n’étaient pas gazés, mais étouffaient à la suite d’une erreur de réglage commise par les équipes techniques. Je lui ai raconté que ces gens vomissaient et urinaient sur eux. Pradel a écouté mon histoire sans dire un mot. A la fin de notre entretien, il s’est contenté de dire que je devrais lui remettre un rapport écrit et détaillé à ce sujet. Il m’a demandé de me rendre à la caisse afin de faire calculer les frais occasionnés par mon déplacement.»

D’après, Ernst Klee, Willy Dressen, Volker Riess, Pour Eux «c’était le bon temps». La vie ordinnaire des bourreaux nazis, Plon, 1990, p. 63-66. Texte original et source dans Ernst Klee, Willy Dressen, Volker Riess, «Schöne Zeiten», Judenmord aus der Sicht der Täter und Gaffer, S. Fischer, Frankfurt am Main, 1988, p. 71-73.

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