LES EINSATZGRUPPEN

Une introduction



Un essai de Yale F. Edeiken, traduit et adapté en français par Gilles Karmasyn.

Introduction à la version française

La version originale de cet essai intitulé An Introduction to the Einsatzgruppen. Elle se trouve sur internet, sur le site web de l’Holocaust History Project, à l’adresse suivante:
http://phdn.org/archives/holocaust-history.org/intro-einsatz/

Le traducteur de ce texte a remplacé les références anglo-saxonnes par les références des versions françaises lorsqu’elles existent et a précisé et complété certains aspects abordés par Yale F. Edeiken. Ce texte est donc bien une traduction-adaptation, dont le contenu relève de la seule responsabilité du traducteur.

On trouvera à la fin de l’essai un complément francophone à la bibliographie fournie par l’auteur.

Introduction

Comme tout événement historique, le génocide évoque certaines images spécifiques. Quand on le mentionne, la plupart des gens pensent immédiatement aux camps de concentration. Ils voient des victimes émaciées, vêtues d’uniformes rayés et sales fixant, sans bien comprendre, leurs libérateurs ou bien des tas de cadavres, trop nombreux pour être enterrés individuellement, que des bulldozers poussent dans des fosses communes.

Ce sont là des images exactes. Ces scènes terrifiantes sont réelles. Elles se sont produites. Mais elles ne constituent pas tout le génocide. Elles sont seulement le résultat ultime de la systématisation du génocide commis par le Troisième Reich. La réalité de ce génocide ne commença pas dans les camps ou dans les chambres à gaz mais avec quatre petits groupes d’assassins connus sous le nom de Einsatzgruppen (Groupes d’intervention) créés par Himmler et Heydrich juste avant l’invasion de l’Union Soviétique. Ils opéraient dans les territoires capturés par les armées allemandes pendant l’invasion de l’Union soviétique et, avec la coopération d’unités de l’armée régulière allemande et de milices locales, ils assassinèrent plus d’un million d’hommes, de femmes et d’enfants. C’est une histoire qui ne s’est achevé qu’en 1952 lorsqu’Otto Ohlendorf, dernier commandant survivant d’un Einsatzgruppe (Einsatzgruppe D), a gravi les marches de l’échafaud, expiant ainsi plus de 90 000 meurtres commis sous ses ordres



I. Les Einsatzgruppen
II. Le But des Einsatzgruppen
III. La Composition des Einsatzgruppen
IV. Les Victimes des Einsatzgruppen
V. Les preuves des crimes des Einsatzgruppen
VI. Des rapports irréfutables
VII. D’autres témoignages
VIII. Les crimes des Einsatzgruppen
IX. Les autres participants
X. Les victimes des massacres n’étaient pas des partisans
XI. Nous savons que ces rapports n’étaient pas exagérés
XII. Nous savons qu’il ne s’agissait pas d’un comportement spontané
XIII. Les méthodes des Einsatzgruppen
XIV.  Les fusillades étaient efficaces, mais on essaya aussi d’autres méthodes
XV. Ces crimes ne sauraient être justifiés d’aucune façon
  Bibliographies 

I. Les Einsatzgruppen

Les Einsatzgruppen étaient constitués de quatre unités paramilitaires créées avant l’invasion de l’Union Soviétique dans le but de «liquider» (assassiner) les Juifs, les Bohémiens, et les agents politiques du Parti communiste. Finalement trois de ces groupes (Einsatzgruppen A, B, et C) furent rattachés aux groupes de l’armée qui participaient à l’invasion. Un quatrième groupe (Einsatzgruppe D) fut envoyé en Ukraine sans être rattaché à un groupe armé. Tous opéraient dans les territoires occupés par le Troisième Reich sur le front Est. Mais la plupart des crimes perpétrés par les Einsatzgruppen eurent lieu en Ukraine et dans les Etats baltes de Lettonie, Estonie et de Lituanie.

Après des négociations avec l’armée allemande menées entre Eduard Wagner, Intendant de l’armée et Heydrich, il fut convenu qu’au front, les Einsatzgruppen seraient sous le contrôle de l’armée mais que dans les zones d’opérations et à l’arrière l’autorité de l’armée ne s’étendrait pas au-delà des questions de tactique.(Harris, p. 176-7, T.M.I. III, 246, 290). Ohlendorf était l’un des participants à cette réunion. En fait les Einsatzgruppen étaient presque toujours opérationnellement indépendants, recevant leurs ordres directement de Heinrich Himmler et, jusqu’à sa mort , de Reinhard Heydrich. Il y eut des plans pour créer des unités semblables dans d’autres territoires contrôlés par les nazis (Ohlendorf, témoignage de Nuremberg), mais ces plans ne furent jamais mis à exécution.

Ce n’était pas la première fois que les Einsatzgruppen étaient utilisés par le Troisième Reich Pendant l’invasion de la Pologne en 1939, de pareilles unités, connues aussi sous le nom de «Einsatzgruppen» accompagnaient les armées d’invasion et accomplissaient des tâches comme l’arrestation ou la «liquidation» de prêtres ou autres membres de l’intelligentsia polonaise. Cependant, ils ne furent pas chargés de perpétrer des massacres de masse comme ceux qui sont commis par les Einsatzgruppen pendant l’invasion de l’Union Soviétique. Les Einsatzgruppen qui participèrent à l’invasion de l’Union Soviétique étaient de nouvelles unités, formées et entraînées immédiatement avant cette invasion et leur organisation n’avait aucun lien avec les Einsatzgruppen qui sévirent pendant l’invasion de la Pologne. 

II. Le But des Einsatzgruppen

L’exposé le plus succinct du but poursuivi par les Einsatzgruppen fut donné au procès d’Adolphe Eichmann par le Dr. Michael Musmanno, Juge à la Cour Suprême de Pennsylvanie, qui présida le procès des 23 chefs des Einsatzgruppen. Il affirma: «Le but des Einsatzgruppen était d’assassiner les Juifs et de les déposséder de leurs biens». Ceci fut confirmé par le Général SS Erich von dem Bach-Zelewsky lors du principal procès de Nuremberg lorsqu’il déclara que: «La tâche principale des Einsatzgruppen […] était d’éliminer les Juifs, les Tsiganes et les commissaires politiques» (Telford Taylor, Procureur à Nuremberg, Seuil 1995, p. 259).

En plusieurs occasions, les Einsatzgruppen reçurent leurs ordres directement d’Himmler et de Heydrich. Les chefs des Einsatzgruppen furent réunis au moins deux fois en juin 1941, et reçurent alors des instructions concernant leurs tâches. Au cours d’une troisième réunion qui eut lieu probablement le 22 juin 1941, Heydrich donna aux commandants des instructions relatives aux plans de leurs opérations. Otto Ohlendorf, commandant des Einsatzgruppen D et proche associé d’Himmler, confirma que ces ordres avaient été donnés, lors de son témoignage au Procès de Nuremberg:

COL. AMEN: Avez vous eu d’autres conversations avec Himmler concernant cet Ordre?

OHLENDORF: Oui, à la fin de l’été 1941 Himmler se trouvait à Nikolaïev. Il réunit les chefs et les hommes des Einsatzkommandos, leur répéta l’ordre de liquidation, et fit remarquer que les chefs et les hommes qui avaient pris part à la liquidation n’assumaient aucunement la responsabilité de l’exécution de cet ordre. La responsabilité lui appartenait, à lui seul et au Führer.

CO. AMEN: Et vous l’avez entendu dire cela vous-même?

OHLENDORF: Oui.

Il est difficile de déterminer exactement le processus d’élaboration des ordres d’élimination des Juifs dans les territoires conquis, transmis aux Einsatzgruppen. Le processus semble avoir commencé en mars 1941, alors qu’on établissait les plans de l’Opération Barbarossa (l’invasion de l’Union Soviétique ordonnée par Hitler le 18 décembre 1940)

La décision d’utiliser des unités des SD (services de sécurité) pour accomplir des actions politiques spéciales fut prise au début de la planification de l’invasion. Le 13 mars 1941, le Gén. Keitel, commandant des OKW, dota le plan Barbarossa d’un supplément qui traitait de tâches spéciales, indépendantes des besoins militaires de l’invasion et qui seraient supervisées par Himmler. Keitel écrivit:

«Dans le théâtre d’opérations de l’Armée, le Reichsführer-SS [Himmler] s’est vu confié des missions spéciales par part du Führer pour la préparation de l’administration politique, missions spéciales qui découlent de la lutte décisive entre deux systèmes politiques opposés. Dans la conduite de ces missions, le Reichsführer-SS agît indépendamment et de sa propre autorité.

[…]

«Au début des opérations, la frontière russe germano-soviétique doit être fermée à la circulation du personnel non-militaire, à l’exception des unités de police qui doivent être déployées sur ordre du Führer.»

(Hitlers Weisungen für die Kreigführung [Directives d’Hitler pour la conduite de la Guerre], éditées par Walther Hubatsch, Deutscher Taschenbuch Verlag, Frankfort sur-le Main, 1962, pp. 102-3, traduction vers l’anglais de Gord McFee. Voir également Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d’Europe, Fayard 1988, p. 243)

Au début, la ligne de conduite fut communiquée oralement aux officiers des Einsatzgruppen. Elle fut ensuite en partie formulée notamment dans le Kommisarbefehl, l’«ordre sur les commissaires» (Harris, 241). Les ordres délivrés le 17 juillet 1941, ordonnaient «la séparation et un autre traitement … pour tous les Juifs.» (TMWC IV 25869)

[N.d.T.: En fait l’invasion de l’URSS fut précédée par une série d’«ordres criminels», ensemble d’ordres et de décrets diffusés aux soldats au printemps 1941, qui encourageaient et couvraient les crimes contre les civils. L’«ordre sur les commissaires» proprement dit, du 8 juin 1941, exigeait l’exécution immédiate et sans jugement de tous les commissaires politiques de l’armée rouge, assimilés en majorité plus ou moins explicitement à des Juifs. Voir Omer Bartov, L’Armée d’Hitler, La Wehrmacht, les nazis et la guerre, Hachette, 1999, p. 108-109.

Ce qu’il faut retenir des diverses directives et de la préparation de Barbarossa, c’est que par ordre de Hitler, sous l’autorité exclusive de Himmler, pouvaient, devaient être commises des exactions, s’appuyant sur des alibis politiques, dont les responsables n’avaient pas à rendre compte à l’armée régulière. Pour ce qui est du but explicite des Einsatzgruppen, on peut encore citer un rapport de janvier 1942 d’un Sturmbannführer, Rudolf Lange: «Le but que l’Einsatzkommando 2 s’était fixé dès le début était une solution radicale de la question juive par l’exécution de tous les Juifs». (Cité par Christopher Browning, «La décision concernant la décision finale», dans les Actes du Colloque de l’École des Hautes Études en sciences sociales (1982), L’Allemagne nazie et le génocide juif, Le Seuil/Gallimard/EHESS, 1985, p. 197)] 

III. La composition des Einsatzgruppen.

Il y avait approximativement 600 à 1000 hommes dans chaque groupe d’intervention, bien que beaucoup fussent du personnel de soutien. Les membres actifs des Einsatzgruppen provenaient de différentes organisations militaires et non-militaires du Troisième Reich. La majorité des membres appartenait aux Waffen-SS, branche militaire des SS. Dans le groupe d’intervention A, par exemple, la répartition des membres actifs était la suivante:

Waffen-SS: 340
Gestapo: 89
SD (service de sécurité)  35
Police de l’ordre 133
Kripo: 41

(Telford Taylor, op. cit., p. 526)

Chacun des groupes d’intervention fut en outre divisé en sous-unités opérationnelles connues sous le nom de Einsatzkommandos (commandos d’intervention) ou en Sonderkommandos (commandos spéciaux). 

IV. Les victimes des Einsatzgruppen

L’écrasante majorité des hommes, femmes et enfants assassinés par les Einsatzgruppen étaient des Juifs. Les Einsatzgruppen assassinaient aussi des Bohémiens (Tsiganes), ceux qui étaient identifiés comme fonctionnaires du Parti communiste, ceux qui étaient accusés de défier les armées d’occupation du Troisième Reich, et ceux qui étaient accusés d’être des partisans ou des combattants de la guérilla contre les armées d’invasion. Dans tous les cas ces assassinats allaient à l’encontre des lois en usage.

On n’en connaîtra jamais le chiffre exact; cependant, il y eut approximativement 1 500 000 personnes assassinées par les Einsatzgruppen. Les Einsatzgruppen ont soumis des rapports détaillés et précis de leurs actions à leurs supérieurs à la fois par radio et par écrit; la confrontation, au quartier général, permettait de vérifier l’exactitude de ces rapports. Selon ces rapports, environ 1 500 000 personnes furent assassinées. Alors qu’il évaluait ce nombre élevé de victimes, le Juge Michael Musmanno, qui présidait au procès des Einsatzgruppen écrivit:

«Un million de cadavres humains est un concept trop étrange et fantastique pour être appréhendé par un cerveau normal. Comme suggéré précédemment, le choc produit par la mention d’un million de morts n’est aucunement proportionné à son énormité car pour le cerveau moyen, un million est davantage un symbole qu’une mesure quantitative. Toutefois, si l’on lit en entier les rapports des Einsatzgruppen et si l’on observe les nombres augmenter, s’élever à dix mille, puis à des dizaines de mille, cent mille et au-delà, alors on peut enfin croire que ceci s’est réellement passé - le massacre de sang-froid, prémédité, d’un million d’êtres humains.» 

V. Les preuves des crimes des Einsatzgruppen.

Les rapports des Einsatzgruppen qui décrivent en détail les meurtres et les pillages qu’ils ont commis sont les meilleures preuves que nous ayons des crimes commis par les Einsatzgruppen. Quand l’armée des Etats-Unis captura le Quartier Général de la Gestapo, elle trouva des centaines de rapports écrits par les Einsatzgruppen où ils établissaient froidement la liste de leurs activités. Il y a deux sortes de rapports dans cette collection de documents. «Les rapports de Situation et d’Activité» (ou «Rapports de Situation») étaient des compilations mensuelles des activités de tous les Einsatzgruppen. Les rapports de Situation Opérationnelle (ou «Rapports Opérationnels») étaient des rapports détaillés provenant des différentes unités donnant des détails précis sur le nombre de meurtres commis et les biens volés. Ces rapports étaient numérotés successivement et tous, à l’exception d’un seul des Rapports de Situation Opérationnelle furent retrouvés dans les archives du Troisième Reich. Les originaux de ces rapports sont à présent détenus par le gouvernement allemand dans les archives de Coblence où ils sont à la disposition des chercheurs et des historiens.

Ces rapports nous donnent une description complète de ce que faisaient les Einsatzgruppen et, puisqu’ils étaient approuvés par les plus hautes autorités du Troisième Reich, ils représentent les meilleures preuves des ordres donnés aux Einsatzgruppen. Ces rapports sont choquants à la fois par leur portée et par la parfaite insensibilité manifestée devant ces tueries. L’un des magistrats jugeant en appel l’affaire Stelmokas eut une réaction caractéristique devant le contenu d’un rapport: «Le Colonel Jäger relate les exécutions de milliers de Juifs et de centaines d’autres de façon si impersonnelle et si neutre et avec une telle fierté que son récit vous laisse dans un état de choc, glacé d’horreur.» (100F. 3e 302,305)

En outre, des témoignages directs furent apportés dans deux procès. Le premier fut celui d’Otto Ohlendorf, commandant des Einsatzgruppen D, et de 22 autres membres des SS accusés d’être responsables des crimes commis par les Einsatzgruppen. Le Juge Michael Musmanno de la Cour Suprême de Pennsylvanie présida le procès avec une équité exemplaire. Il accorda aux accusés toute liberté de présenter leur défense. Il estima qu’il était raisonnablement hors de doute que, d’après les témoignages apportés, les accusés étaient coupables de ce dont ils étaient inculpés. Quatorze d’entre eux furent condamnés à mort. 

VI. Des rapports irréfutables.

L’authenticité des rapports des Einsatzgruppen n’a jamais été sérieusement mise en doute. Les exemplaires originaux des rapports furent retrouvés dans les archives de la Gestapo quand elles furent fouillées par l’armée des Etats-unis. Une collection complète de ces rapports fut présentée au procès de 23 membres des Einsatzgruppen. À ce procès, des témoins qui ont rédigé ces rapports et des témoins qui les ont reçus ont déposé à la barre. Tous ont déclaré que ces rapports étaient authentiques et exacts. À présent les originaux des rapports sont détenus dans les archives allemandes à Coblence où ils sont à la disposition des chercheurs et des historiens. Les Archives Nationales des US, Yad Vashem, et l’Holocaust Memorial Museum aux Etats-unis possèdent des collections complètes des copies des documents originaux.

Pendant le Procès des Einsatzgruppen, par exemple, on interrogea Otto Ohlendorf, commandant de l’Einsatzgruppe D, sur un rapport (document L-180) rédigé par Stahlecker commandant de l’Einsatzgruppe A. Il répondit: «J’ai lu le rapport de Stahlecker concernant l’Einsatzgruppe A, dans lequel Stahlecker affirme que son groupe a tué 135 000 Juifs et Communistes les quatre premiers mois du programme. Je connais Stahlecker personnellement et je suis d’avis que le document est authentique.»

Un des témoins les plus importants aux procès des Einsatzgruppen, Kurt Lindow témoigna le 21 Juillet 1947. Lindow était responsable de la réception des rapports à mesure qu’ils arrivaient et c’est lui qui les distribuait. Voici ce qu’il a déclaré:

«J’ai lu la plupart des rapports et je les ai passés au Docteur Knoblach, Inspecteur de la Police Criminelle, qui les a compilés en premier. La compilation était publiée quotidiennement sous le titre “Rapports de Situation Opérationnels-URSS”. Ces rapports étaient tirés au stencil et je les corrigeais. Après ils étaient polycopiés et distribués. Les originaux des rapports qui étaient envoyés à l’Office Principal de Sécurité du Reich [RHSA] étaient signés pour la plupart par le Commandant de l’Einsatzgruppe ou son adjoint.

«En vertu de mes fonctions de chef adjoint et plus tard de chef du sous-département IV A 1, j’estime être un témoin compétent et je peux confirmer que les “Rapports de Situation Opérationnels-URSS” qui furent publiés par le chef de la police de sécurité et le service de sécurité dans le dossier marqué IV A 1 furent compilés à partir des rapports originaux des Einsatzgruppen qui parvenaient à mon sous-département par radio ou par lettre.»

(NMT Vol. p. 99-100)

Dans sa déposition, Lindow confirma aussi que les rapports des témoins étaient authentiques et que les initiales sur les rapports étaient celles de ses supérieurs. Après son témoignage, les prévenus du procès des Einsatzgruppen reconnurent expressément l’authenticité de ces rapports.

Les rapports ont été également contrôlés dans d’autres tribunaux et estimés authentiques. Le rapport Jäger, par exemple, traite des massacres commis par l’Einsatzkommando 3 de l’Einsatzgruppe A en Lituanie. Il fut utilisé récemment dans le procès en dénaturalisation de Jonas Stelmokas, intenté par la Cour Fédérale des Etats Unis pour le District Est de Pennsylvanie en 1995. Stelmokas était accusé d’avoir été officier dans une unité de la milice Lituanienne qui collaborait avec les Einsatzgruppen A. Après avoir examiné la mise en question du rapport par la défense, le tribunal ainsi que la Cour d’appel devant qui l’affaire venait en appel, estimèrent que le rapport était authentique et digne de foi. U.S. v. Stelmokas 1000 F3rd 302 (3e Cir., 1996) 

VII. D’autres témoignages

Outre les preuves fournies par les rapports, on dispose des témoignages directs de ceux qui ont commis ces crimes et de quelques-uns de ceux qui y ont assisté. Ces hommes témoignèrent lors de deux procès criminels concernant les crimes des Einsatzgruppen. Le premier de ces procès fut celui d’Otto Ohlendorf et de 22 autres accusés qui commandaient les Einsatzgruppen en 1947. Ce procès se déroula devant un Tribunal de cinq juges qui appliqua les lois sur le témoignage et le droit positif en usage aux Etats-Unis. Le second procès important fut celui de membres du Sonderkommando 4 a (rattaché à l’Einsatzgruppe C) pour les 33 771 assassinats perpétrés à Babi-Yar les 29-30 septembre 1941. Ce procès se tint à Darmstadt conformément au droit allemand en 1967-68. Dans les deux cas, les tribunaux ont entendu les prévenus témoigner directement des crimes qu’ils avaient commis et ils ont condamné les accusés.

Prétendre que ces tribunaux étaient des «tribunaux bidons» et ces procès «des procès spectacles» n’est absolument pas recevable. Les deux procès ont été conduits dans un souci de respect scrupuleux du droit des accusés à un procès équitable. La défense put procéder au contre-interrogatoire des témoins, put remettre en cause les documents et présenter des preuves en faveur des accusés, sans aucune restriction.

Le soin qu’ont pris les tribunaux de permettre aux accusés de présenter une défense complète est bien illustré par un incident mémorable, au procès des chefs des Einsatzgruppen. À un moment donné pendant le procès, l’accusation éleva une objection contre l’argument d’un des prévenus qui prétendait avoir été forcé de servir dans un Einsatzgruppe. Le Juge Musmanno, qui présidait, rejeta l’objection en déclarant:

«La défense peut introduire n’importe quelle preuve excepté la description de la vie des pingouins de l’Antarctique et si la défense peut me convaincre que les mœurs des pingouins sont des preuves pertinentes dans cette affaire, alors la vie et les coutumes de ces animaux à la gorge blanche peuvent aussi être admises comme preuve.»

Après le procès devant le tribunal américain, en signe de reconnaissance pour la façon équitable et honnête dont leurs clients avaient été traités, les avocats de la défense offrirent au Juge Musmanno une statue de pingouin. Dans les procès qui suivirent, la défense demanda toujours que la «règle du pingouin» soit appliquée. Le pingouin est resté sur une étagère derrière le bureau du Juge Musmanno jusqu’à sa mort en 1968.

Malgré la grande liberté qu’on leur avait laissée, à aucun des procès les prévenus n’ont affirmé que les massacres n’avaient pas eu lieu et ils n’ont pas contesté non plus l’authenticité des rapports. Leur défense contre les accusations portées contre eux consistait à déclarer qu’ils avaient été forcés de servir dans les Einsatzgruppen ou, comme le fit Otto Ohlendorf, qu’ils n’avaient fait qu’obéir aux ordres. Tous furent condamnés. 

VIII. Les crimes des Einsatzgruppen.

Comme l’a déclaré le Juge Musmanno, les Einsatzgruppen ont assassiné plus d’un million d’hommes, de femmes et d’enfants et pillé leurs biens. La seule interprétation possible des rapports remis par les Einsatzgruppen à Heydrich c’est que la majorité de ces hommes, femmes et enfants étaient assassinés et dévalisés parce qu’ils étaient juifs. Aucune autre raison ne se dégage des rapports ou des défenses présentées aux différents procès.

Parmi ces rapports, l’un des plus impressionnants est le >«Rapport Jäger» qui donne le détail des meurtres commis par les Einsatzkommandos 8 et 3, rattachés à l’Einsatzgruppe A dans la région de Vilna-Kausnas en Lituanie du 4 Juillet 1941 au 25 novembre 1941. Ce long rapport décrit l’assassinat de plus de 130 000 personnes dans ce court laps de temps. Ce rapport contient, sur six pages, les listes des personnes assassinées par les Einsatzkommandos 8 et 3 et conclut: «Aujourd’hui, je peux confirmer que notre objectif de résoudre le problème juif en Lituanie, a été accompli par EK 3. En Lituanie, il n’y a plus de Juifs, à part les travailleurs juifs et leurs familles.»

Presque tout le rapport comprend des listes qui se présentent comme suit:

29.10.41 Kauen-F.IX  2 007 Juifs, 2 290 Juives, 4 273 enfants juifs (nettoyage du ghetto de Juifs superflus)
3.11.41 Lazdjai 485 Juifs, 511 Juives, 539 enfants juifs
15.11.41 Wilkomski 36 Juifs, 48 Juives, 31 enfants juifs.
25.11.41 Kauen-F.IX 1 159 Juifs, 1 600 Juives, 175 enfants juifs (déportés de Berlin, Munich, et de Francfort sur le Main)

(>Rapport Jäger, page 5, qui contient 11 listes de ce genre.)

Les rapports donnent aussi des renseignements détaillés sur l’argent et d’autres biens volés aux victimes. L’étendue de ces activités est illustrée par le «Rapport Opérationnel No 73» daté du 4 septembre 1941 (NO-2844) et par le «Rapport Opérationnel No 133» daté du 14 novembre 1941 (NO-2825) Ces deux rapports décrivent les activités de l’Einsatzkommando 8, une sous-unité des Einsatzgruppen. Le premier de ces rapports affirme que «À l’occasion d’une purge à Tsherwon, on trouva et l’on confisqua 125 880 roubles sur des Juifs qui avaient été liquidés. Ceci porte la totalité de l’argent confisqué par le Einsatzkommando B à 1 510 399 roubles.» Deux mois plus tard la même sous-unité fut à même de rapporter qu’ils avaient volé un million de roubles de plus: «Pendant la période couverte par ce rapport, le Einsatzkommando B confisqua encore 491 705 roubles ainsi que 15 roubles en or. Ils furent inscrits dans les livres de compte et transmis à l’Administration de l’Einsatzkommando 8. Le montant total de roubles acquis jusqu’à présent par le Einsatzkommando 8 se monte maintenant à 2 511 226 roubles.»

Et ces vols n’étaient pas limités à l’argent de leurs victimes. Les montres, les bijoux et même les vêtements étaient pillés. Un massacre particulièrement cruel fut décrit par le Juge Musmanno dans son jugement:

«L’un des prévenus raconta comment pendant l’hiver 1941, on lui ordonna de se procurer des manteaux de fourrure pour ses hommes, et puisque les Juifs avaient tellement de vêtements d’hiver, cela ne les dérangerait pas beaucoup de céder quelques manteaux de fourrure. Alors qu’il décrivait l’exécution à laquelle il avait assisté, on demanda au prévenu si les victimes s’étaient déshabillées avant l’exécution, il répondit: «Non, on n’a pas pris les vêtements —; c’était une opération de récupération de manteaux de fourrure»

(Jugement, p. 36) 

IX. Les autres participants

Les Einsatzgruppen n’ont pas agi seuls. Ils furent aidés. Les Einsatzgruppen pouvaient demander de l’aide à la Wehrmacht, mais les groupes de la milice locale étaient beaucoup plus nombreux à participer volontiers aux massacres. À Babi-Yar où 33 771 Juifs furent assassinés les 20-30 septembre 1941, il y avait deux «Kommandos» ukrainiens qui assistaient le Sonderkommando 4a. En Lituanie, le Rapport Opérationnel 19 (11 juillet 1941) relate les faits suivants: «Nous avons retenu approximativement 205 partisans Lituaniens en tant que Sonderkommndo, avons subvenu à leurs besoins et les avons déployés pour participer aux exécutions nécessaires même à l’extérieur de la région.» En Ukraine, les Einsatzgruppen acceptaient volontiers la participation des milices locales à la fois parce qu’ils avaient besoin de l’aide de ces auxiliaires mais aussi parce qu’ils espéraient impliquer les habitants du pays dans les pogroms qu’ils dirigeaient. (Rapport Opérationnel 81, de l’Einsatzkommando 6, 12 septembre 1941)

Il y a beaucoup d’exemples connus de l’aide apportée par les milices locales aux Einsatzgruppen. Pendant la «Gross Aktion» du 28-29 octobre 1941, à Kaunas en Lituanie au cours de laquelle 9 200 Juifs furent massacrés, les milices Lituaniennes travaillèrent avec les Einsatzgruppen (100 F. 3e dans 308). On peut citer aussi les exemples de Zhitomir le 18 septembre 1941 en Ukraine où 3 145 Juifs furent assassinés avec l’aide de la milice ukrainienne (Rapport Opérationnel 106) et celui de Korosten lorsque la milice ukrainienne rafla 238 Juifs voués à la liquidation (Rapport Opérationnel 80). Parfois l’aide était plus active. Le Rapport Opérationnel 88, par exemple, rapporte que le 6 septembre 1941, 1 107 adultes juifs furent fusillés tandis que l’unité de la milice ukrainienne qui les aidait liquidait 561 enfants et jeunes Juifs.

Dans bien des cas, la milice qui assistait les Einsatzgruppen était payée avec l’argent et les objets de valeur volés aux victimes. 

X. Les victimes des massacres n’étaient pas des partisans.

Les rapports ainsi que les témoignages recueillis aux différents procès nous montrent que toute affirmation visant à faire croire que les Einsatzgruppen avaient affaire à des «partisans» est une présentation frauduleuse de l’histoire.

Erich von dem Bach-Zelewski - le général SS (son rang équivalait à celui de lieutenant-général dans l’armée américaine) chargé de la lutte contre les partisans sur le front Est, témoigna devant le Tribunal Militaire International à Nuremberg. Non seulement il déclara que le but des Einsatzgruppen était «l’anéantissement» des Juifs, des Tsiganes et des agents politiques communistes, mais que les Einsatzgruppen n’étaient pas impliqués dans la lutte contre les partisans. Quand on lui demanda quelles unités étaient impliquées dans la lutte contre les partisans, il répondit: «Des unités de Waffen-SS, de l’Ordungspolizei [police régulière pour le maintien de l’ordre], et, surtout, de la Wehrmacht».(Telford Taylor, op. cit., p. 275) Les rapports des Einsatzgruppen concordent avec le témoignage de Bach-Zelewski. Dans la plupart des descriptions de massacres, les victimes étaient enregistrées par catégories et les actions contre les partisans étaient explicitement décrites. Dans tous les cas, sur les listes, les «partisans» et les «communistes» faisaient l’objet d’entrées bien distinctes de celles des «Juifs».

Beaucoup de rapports indiquent l’âge et le sexe des victimes. D’après ces indications, nous voyons que les victimes étaient en majorité des femmes et des enfants. Il est évident qu’on ne peut pas exactement considérer comme des descriptions de «partisans» un rapport mentionnant l’assassinat de «2 007 Juifs, 2 920 Juives, 4 273 enfants juifs (pour nettoyer le ghetto de Juifs inutiles)» le 29 octobre 1941 ou celui de «1 159 Juifs, 1 600 Juives, 175 enfants juifs (déportés de Berlin, Munich, et Francfort-sur-le-Main)» [>Rapport Jäger, feuille 5].

Alors qu’il encourait la peine de mort, Otto Ohlendorf, Commandant des Einsatzgruppen D, n’utilisa pas l’excuse que les victimes étaient des «partisans». Au lieu de cela, il donna au Tribunal une justification bien différente de l’assassinat des enfants:

«Je crois que c’est très simple à expliquer, si l’on part du fait que cet ordre visait non seulement à procurer (à l’Allemagne) une sécurité temporaire mais aussi une sécurité permanente. Dans cette optique, les enfants étaient des individus qui grandiraient et constitueraient sûrement, étant les enfants de parents qui avaient été tués, un danger non moindre que celui de leurs parents.»

Quand il fit cette déclaration, Ohlendorf ne parlait pas seulement en tant qu’individu et national-socialiste convaincu; il répétait les affirmations de son supérieur, Heinrich Himmler. Himmler et Ohlendorf étaient étroitement associés et, en fait, voyageaient ensemble quand ils furent arrêtés après l’effondrement du Troisième Reich. Dans son célèbre discours devant un rassemblement d’officiers SS à Posen le 6 octobre 1943, Himmler fit des commentaires remarquablement semblables à ceux d’Ohlendorf:

«La question suivante nous a été posée: «Que fait-on des femmes et des enfants?» - Je me suis décidé et j’ai là aussi trouvé une solution évidente. Je ne me sentais en effet pas le droit d’exterminer les hommes - dites, si vous voulez, de les tuer ou de les faire tuer - et de laisser grandir les enfants qui se vengeraient sur nos enfants et nos descendants. Il a fallu prendre la grave décision de faire disparaître ce peuple de la terre.»

Justifier les assassinats en en faisant des actions contre des «partisans» posait un autre problème: les mouvements de résistance juive n’existaient même pas dans la plupart des régions très peuplées avant que les Einsatzgruppen ne commencent à assassiner les Juifs. En Lituanie, par exemple, le >Rapport Jäger couvre la période du 4 juillet 1941 au 25 novembre 1941, incluant l’opération connue sous le nom de «Gross Aktion» et qui fut conduit avec l’aide de la milice Lituanienne en octobre 1941. Le mouvement de résistance juive ne commença pas avant le 31 décembre 1941, avec un manifeste promulgué par Abner Kovner. Auparavant, la résistance juive fut réprimée sans pitié par le leader juif Jacob Gens qui alla jusqu’à convaincre Yitzhak Witenberg, le principal partisan de la résistance juive, de se livrer à la Gestapo . (Raul Hilberg, Exécuteurs, victimes et témoins, Gallimard, 1994, p. 205) Finalement, la résistance juive en Lituanie fut, en réalité, une réaction aux meurtres des Einsatzgruppen.

La réaction initiale des Juifs de Lituanie ne fut pas unique. Il y eut des réactions semblables dans plusieurs régions de l’Ukraine où vivaient la majorité des Juifs de l’Union Soviétique rattrapés par l’invasion allemande. Dans cette région, par exemple, un inspecteur allemand rapporta au chef du Département d’Armement Industriel:

«La population juive avait une attitude anxieuse - obligeante dès le début. Ils essayaient d’éviter tout ce qui pourrait déplaire à l’administration allemande. Qu’ils détestassent l’administration allemande en leur for intérieur va sans dire et ne peut pas être surprenant. Cependant, il n’existe pas de preuve que la communauté juive dans son ensemble ou même en grande partie soit impliquée dans des actes de sabotage. Il y avait sûrement quelques terroristes ou saboteurs parmi eux exactement comme parmi les Ukrainiens. Mais on ne peut pas dire que les Juifs en tant que tels représentaient un danger pour les forces armées allemandes. Le rendement du travail des Juifs qui, bien sûr, n’étaient stimulés que par la peur, était satisfaisant pour les troupes et l’administration allemandes.»

(Pièce à conviction 3257 PS, procès des Einsatzgruppen)

Enfin, il convient de noter que les forces de «partisans» ou de «guérilla» doivent, conformément à la Convention de La Haye, être traitées comme des prisonniers de guerre. L’Allemagne était signataire de cette Convention et les exécutions sommaires de «partisans» sont de véritables assassinats. 

XI. Nous savons que ces rapports ne sont pas exagérés.

On demanda à Otto Ohlendorf, commandant des Einsatzgruppen D, pendant le Procès de Nuremberg pourquoi les dossiers de ses Einsatzgruppen mentionnaient moins de victimes que les autres groupes. Il prétendit que quelques-uns des autres commandants exagéraient le nombre d’assassinats qu’ils avaient commis. Ohlendorf ne put cependant expliquer ces exagérations.

Ce qui pose problème dans cette explication d’Ohlendorf et la rend impossible à accepter, c’est le système établi par Heydrich pour s’assurer que les rapports étaient exacts. Les rapports étaient d’abord envoyés par radio et ensuite par dépêche écrite signée par le commandant des Einsatzgruppen ou son adjoint. Dans la mesure où chacune des deux façons de rendre compte de leurs actions servait de contrôle à l’autre, il aurait été tout à fait difficile d’exagérer ou de gonfler les chiffres. Alors qu’il aurait été possible d’exagérer les chiffres dans un seul rapport, il aurait été presque impossible de le faire régulièrement.

Si, en dépit du double système mis en place par Heydrich pour vérifier les rapports en provenance du terrain, ils présentaient quelque exagération, nous devons nous demander pourquoi. La seule raison d’exagérer aurait été le désir des commandants d’impressionner leurs supérieurs par l’efficacité de leur performance. Comme quiconque peut le voir à la lecture des rapports, ils établissent tout à fait explicitement que l’activité fondamentale des Einsatzgruppen était l’extermination de la communauté civile juive. Tout argument selon lequel les rapports étaient exagérés implique nécessairement l’idée que le comportement en question était approuvé et encouragé par les officiers supérieurs - Himmler et Heydrich - et qu’il était conforme aux ordres qui étaient donnés aux Einsatzgruppen ainsi qu’à la politique à l’origine de ces ordres, ce qui de toutes façons, est aussi la stricte vérité. 

XII. Nous savons qu’il ne s’agissait pas d’un comportement spontané.

Les rapports des Einsatzgruppen indiquent que l’exécution des Juifs était constitutive d’un projet cohérent, qu’il ne s’agissait pas d’incidents occasionnels. Alors que certains des rapports décrivent des actions entreprises contre des «partisans», celles-ci demeurent l’exception. Bien des rapports Opérationnels ne décrivent rien d’autre que l’assassinat de civils dont la majorité écrasante sont des Juifs ou encore la «confiscation» d’argent ou d’objets de valeur.

Aucune mesure ne fut jamais prise par le haut commandement SS pour mettre un terme à ce type d’assassinat même s’ils étaient directement informés des actions entreprises au front et les cataloguaient dans leurs propres fichiers. Au contraire, selon le Général SS Bach-Zelewski, officier chargé de la lutte contre les partisans en Union Soviétique, les plus hautes autorités du Troisième Reich avaient donné des ordres explicites pour que les soldats qui avaient commis des crimes contre la population civile ne fussent pas traduits en justice ou punis par les tribunaux militaires. (Telford Taylor op. cit., p. 275) En fait beaucoup de membres des Einsatzgruppen reçurent, pour avoir assassiné et pillé, les plus hautes distinctions pour bravoure auxquelles pouvaient prétendre les soldats du Troisième Reich. Paul Blobel commandant du Sonderkommando 4a, qui était responsable des massacres de Babi-Yar reçut la Croix de fer, la plus haute décoration allemande pour bravoure. (Dawidowicz, What, p. 73) 

XIII. Les méthodes des Einsatzgruppen.

Les Einsatzgruppen fusillaient des gens. C’est aussi simple que cela. Utilisant des prétextes variés ils rassemblaient leurs victimes, les transportaient vers les lieux de massacres et les fusillaient.

À Babi-Yar, des affiches placardées dans toute la ville par la milice ukrainienne informaient les Juifs de Kiev qu’ils devaient se rassembler à 8h du matin le 29 septembre 1941 au cimetière près d’un quai de gare pour être réinstallés ailleurs. On leur disait d’apporter de la nourriture, des vêtements chauds, des documents, de l’argent, et des objets de valeur. (Dawidowicz, What, 103-4). La scène fut décrite par un officier à son procès en 1967. Il déclara: «C’était comme une migration de masse… les Juifs chantaient des chants religieux en chemin». Sur le quai, on leur prenait leur nourriture et leurs biens et:

«Alors les Allemands commençaient à pousser les Juifs pour former de nouvelles files, plus étroites. Ils se déplaçaient très lentement. Après une longue marche, ils arrivaient à un passage formé par des soldats allemands avec des massues et des chiens policiers. Les Juifs étaient fouettés sur leur passage. Les chiens se jetaient sur ceux qui tombaient mais la poussée des colonnes qui se pressaient derrière était irrésistible et les faibles et les blessés étaient piétinés.

«Meurtris et ensanglantés, paralysés par le caractère incompréhensible de ce qui leur arrivait, les Juifs débouchaient sur une clairière d’herbe. Ils étaient arrivés à Babi-Yar, devant eux se trouvait le ravin. Le sol était jonché de vêtements. Des miliciens ukrainiens, surveillés par des Allemands, ordonnaient aux Juifs de se déshabiller. Ceux qui hésitaient, qui résistaient, étaient battus, leurs vêtements arrachés. Il y avait partout des personnes nues, ensanglantées. L’air était empli de cris et de rires convulsifs.»

(Davidowicz, What is the use of Jewish History, p. 106-107)

Après ce traitement brutal, les victimes étaient alignées au bord du ravin et abattues par des équipes de mitrailleurs. Quand ils eurent terminé le 30 septembre 1941, 33 700 personnes avaient été tuées.

Otto Ohlendorf témoigna des méthodes utilisées, à la fois à son propre procès et au procès des responsables du Troisième Reich, à Nuremberg. À Nuremberg, il déclara à la cour que les Juifs étaient rassemblés pour des exécutions de masse «sous prétexte qu’ils devaient être réinstallés ailleurs». Il déclara ensuite au Tribunal: «Après avoir été enregistrés, les Juifs étaient réunis en un endroit d’où ils étaient ensuite transportés jusqu’au lieu de l’exécution, qui était, en général, un fossé anti-tank ou une excavation naturelle. Les exécutions étaient effectuées militairement, par des pelotons d’exécution sous commandement.» Tous les groupes n’ont pas commis leurs assassinats avec la précision militaire de ceux d’Ohlendorf. Comme il l’a déclaré: «Quelques chefs d’unité n’effectuaient pas les liquidations militairement, mais tuaient leurs victimes simplement d’une balle dans la nuque».

Après décembre 1941, les nazis firent des expériences avec des camions conçus par le Dr. Becker, en utilisant les gaz mortels d’échappement des moteurs. Non seulement cette méthode était lente, mais, selon Otto Ohlendorf, elle n’était pas appréciée par ses hommes parce que «décharger les cadavres constituait une tension psychologique inutile». Presque toutes les victimes de ces expériences étaient des femmes et des enfants et, pendant tout le règne de terreur des Einsatzgruppen, la fusillade fut le principal moyen d’exécution. 

XIV. Les fusillades étaient des moyens efficaces, mais d’autres méthodes furent essayées.

En août 1941, Himmler rendit visite à l’Einsatzgruppe B et il assista alors à une exécution de masse à Minsk. Un témoin oculaire décrivit ce qui s’était passé pendant la visite d’Himmler à Minsk tandis qu’il regardait le massacre d’un groupe d’une centaine de Juifs:

«Comme la fusillade commençait, Himmler devint de plus en plus agité. À chaque salve, il baissait les yeux… L’autre témoin était le général de corps d’armée von dem Bach-Zelewski… von dem Bach s’adressa à Himmler: «Mon Maréchal, ceux ne sont là qu’une centaine… Regardez les yeux des hommes de ce commando, comme ils ont l’air profondément secoués. Ces hommes sont finis [«fertig»] pour le restant de leurs jours. Quel genre de recrues formons-nous ici? Ou bien des névropathes ou bien des sauvages.»

(Arad, Belzec, Sobibor, Treblinka, p. 8)

Réagissant à cette expérience - le spectacle de 100 êtres humains massacrés de cette façon - Himmler ordonna de trouver une méthode d’exécution plus «humaine» (Reitlinger SS183). Otto Ohlendorf expliqua dans sa déposition à Nuremberg: «Himmler avait donné un ordre spécial pour que les femmes et les enfants ne soient pas exposés à la tension mentale que constituaient les exécutions, et ainsi les hommes des Kommandos, pour la plupart des hommes mariés, ne seraient pas obligés de tirer sur des femmes et des enfants.

Pour exécuter cet ordre, on utilisa d’abord des camions à gaz conçus par le Dr. Becker. Plus tard furent construits les terribles camps d’extermination, où des millions de gens furent gazés et réduits à mourir de faim.

Les abominables camps d’extermination furent établis peu après la visite d’Himmler à Minsk. Le premier fut celui de Chelmno où l’on commença à gazer des Juifs et des non-Juifs le 8 décembre 1941. Treblinka, Sobibor, et Maïdanek suivirent au printemps 1942. En outre, à Auschwitz, le plus célèbre camp d’extermination, on commença les expériences avec le Zyklon B en Septembre 1941. Bien que des gazages en masse furent effectués à Auschwitz au printemps 1942, le véritable travail d’extermination de masse commença avec l’opération du «Bunker 2» le 4 juillet 1942 (D-VP 305) 

XV. Ces crimes ne sauraient être justifiés d’aucune façon.

Il se trouve quelques personnes qui voudraient nier ou justifier les assassinats commis par les Einsatzgruppen. L’explication la plus bienveillante de ce déni fut donnée par le Juge Michael Musmanno - juge expérimenté et ancien combattant endurci - qui présidait au procès des Einsatzgruppen. Choqué et écœuré par les témoignages qu’il entendait, le Juge Musmanno écrivit:

«On lit et relit ces récits dont nous ne pouvons donner ici que quelques extraits et cependant subsiste l’instinct de ne pas croire, de contester, de douter. Il est psychologiquement moins difficile d’accepter les plus étranges histoires de phénomènes surnaturels, comme, par exemple, de l’eau qui coule vers le sommet d’une colline et des arbres dont les racines atteignent le ciel, que de prendre pour argent comptant ces récits qui vont au-delà des frontières de la cruauté humaine et de la sauvagerie. Seul le fait que les rapports dont nous avons cité des extraits proviennent de la plume d’hommes appartenant aux organisations mises en accusation permet à l’esprit humain d’être sûr que tout ceci s’est réellement passé. Les rapports et les dépositions des prévenus eux-mêmes confirment ce qui autrement serait écarté comme le produit d’une imagination malade.»

(Jugement du Tribunal, p. 50)

Ces crimes ont bien eu lieu. Aucune personne honnête ne peut vous regarder dans les yeux et déclarer le contraire. Pourquoi nierait-on ces crimes, ou justifierait-on ces crimes?

Je vous laisse deviner… 

Note bibliographique.

Il existe de nombreux ouvrages sur le génocide mais peu qui traitent expressément des crimes des Einsatzgruppen. L’un des meilleurs, The Eichmann Kommandos, de Michael Musmanno est depuis longtemps épuisé et par conséquent très rare. Une autre œuvre analytique rare mais excellente, très documentée, est Messages of murder de Ronald Headland, Fairleigh Dickinson University Press, 1992. Les rapports des Einsatzgruppen sont catalogués et analysés dans The Einsatzgruppen Reports de Yitzak Arad, Schmuel Spector, et Schmuel Krakowski, U.S. Holocaust Memorial Museum Shop Memorial Council, 1990. Une des meilleures références concernant les dépositions effectuées au Procès de Nuremberg est Tyranny on Trial: the Evidence at Nuremberg de Whitney Harris, procureur au procès, Southern Methodist Univ Pr, 1999. Pour mettre les activités des Einsatzgruppen dans leur contexte, on peut recommander deux ouvrages: The Holocaust, Martin Gilbert, Henry Holt, 1987 ; et Exécuteurs, victimes et témoins, Raul Hilberg, Gallimard, 1994. On peut trouver l’histoire de Babi-Yar à la fois en tant que massacre commis par les Einsatzgruppen et comme tentative par l’Union Soviétique «d’oublier» que ce crime était dirigé contre les Juifs dans What is the Use of Jewish History de Lucy Dawidowicz.

Une des meilleures sources de renseignements sur les Einsatzgruppen se trouve sur Internet sous la forme de “The Einsatzgruppen Archives” dont le responsable est Ken Lewis à l’adresse web suivante: http://www.einsatzgruppenarchives.com/. Elle contient plusieurs des rapports, le texte complet de l’arrêt du Juge Musmanno au procès des Einsatzgruppen, et d’autres documents importants.


Complément bibliographique. [par le traducteur]

Raul Hilberg, La Destruction des Juifs, d’Europe, Fayard, 1988.

Le chapitre 7 de cet ouvrage de référence est intégralement consacré aux «opérations mobiles de tuerie», dans le cadre desquelles s’inscrit l’action des Einsatzgruppen. Il s’agit de l’étude la plus complète disponible en français sur le sujet.

Christopher Browning, Des hommes ordinaires: le 101e bataillon de réserve de la police allemande et la solution finale en Pologne, les Belles lettres, 1994.

Cette remarquable étude de cas se concentre sur un bataillon de réserve d’«hommes ordinaires» qui accomplirent en Pologne la même tâche que les Einsatzgruppen à l’arrière du front Russe.

Ernst Klee, Willy Dressen, Volker Riess, Pour eux «C’était le bon temps», La vie ordinaire des bourreaux nazis, Plon, 1990

Cet ouvrage contient des exemples de rapports de situations opérationels, des extraits de journaux de marche des Einsatzgruppen, des témoignages de membres des Einsatzgruppen, ainsi que de rescapés. Il est rare, mais peut se trouver en bibliothèques.

Voir également la bibliographie générale fournie dans la rubrique Einsatzgruppen de PHDN

Cette introduction aux Einsatzgruppen est dédiée à Channoch Intreligator, déporté de Revel, Lituanie, à Auschwitz.

Dernière mise à jour: 28 novembre 1998.

Traduction: juillet 1999

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