Albert Memmi, Juifs et Arabes: Pour une franche reconnaissance du fait national 1. Ce texte et le suivant sont la contraction de trois textes intitulés: «Pour une solution socialiste du problème judéo-arabe», in Eléments, Paris, décembre 1968; «Pour une franche reconnaissance du fait national», in Éléments, Paris, mars 1971; et «Verbalisme et socialisme», in Cahiers Bernard Lazare, mai 1973, no 40-41. 2. Il est vrai qu’ils ont rapidement compris qu’il valait mieux s’intituler révolutionnaires et proclamer que l’on accomplit la Révolution. Alors, qui n’a pas aujourd’hui son Conseil de la Révolution, même s’il est composé de militaires? Je crois bien que même les colonels grecs s’affirment révolutionnaires. 3. Ainsi le conflit colonisateurs-colonisés n’est pas réductible à un pur conflit économique, ni surtout entre classes (voir notre Portrait du colonisé, nouvelle édition, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1973). Ainsi l’oppression dont souffre le Juif n’est pas réductible à un schéma économique, malgré les efforts de quelques marxistes juifs (voir mon Portrait d’un Juif). 4. Il est vrai que le P.C. français n’a pas signé ce texte, ni les Chrétiens progressistes. Mais ce désaccord prouve encore les contradictions de la pensée socialiste contemporaine, si pensée il y a: car, enfin, entre la destruction de l’État d’Israël et la paix avec lui, il y a plus qu’une nuance. D’ailleurs, les Chrétiens, dits progressistes, ont encore évolué hélas, et pas dans le sens de la conciliation, mais dans l’encouragement au sang versé: voir ce qu’est devenu Témoignage chrétien.

II. Israël, les Juifs et les Arabes
 
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Pour une franche reconnaissance du fait national

Albert Memmi

Tiré de Juifs et Arabes

© Éditions Gallimard, 1974 - Reproduction interdite sauf pour usage personnel - No reproduction except for personal use only
 

Pour une franche reconnaissance du fait national1

Le rideau va peut-être tomber, partiellement au moins, pour un temps peut-être, sur cette malheureuse affaire. Espérons-le en tout cas; et profitons-en pour faire le point.

Parmi les carences et les erreurs de la gauche européenne, pendant ces dernières décades, l’histoire retiendra probablement sa méconnaissance du renouveau, ou de la solidité, du fait national ou ethnique, principalement chez les peuples opprimés.

Entendons-nous bien: non que le fait national soit une valeur en soi, qu’il faille exalter — ce que fait le nationaliste de conviction. Et l’on comprendrait fort bien que cette gauche, universaliste, puisse être impatiente, ou méfiante, devant la réaffirmation des groupes nationaux. Mais il s’agit là de faits, dont la sous-estimation a conduit la gauche à une interprétation erronée des événements et, par suite, à une inefficacité flagrante.

La première fois où cette carence est apparue avec évidence, ce fut au début de la guerre d’Algérie. Alors que les Nord-Africains réclamaient une libération nationale, et s’intitulaient nationalistes, et patriotes2, repoussant à plus tard, à tort ou à raison, l’édification d’un programme économique et social, les hommes de gauche qui consentaient à les aider exigeaient d’abord la caution d’un tel programme. Sans parler du P.C. qui n’a jamais accepté de bon cœur que cette libération ne se fasse pas sous sa direction, et même sous la direction, au moins indirecte, du P.C. métropolitain: autrement dit, il niait même une autonomie nationale relative des peuples colonisés.

Nous ne reprendrons pas ici une analyse que nous avons déjà faite maintes fois; nous avons également montré l’origine de cette erreur: l’entêtement à ramener au schéma de la lutte des classes tous les conflits sociaux; alors qu’il existe manifestement plusieurs autres types de conflits3. Ajoutons que l’aveuglement de tant d’hommes de gauche, à l’époque, était tellement complet, malgré les faits, malgré les avertissements, que nous fûmes conduits à nous poser une deuxième question: pourquoi refusaient-ils si obstinément de voir qu’il s’agissait de luttes nationales? Et nous fîmes l’hypothèse que, sous des dehors internationalistes et universalistes, peut-être avaient-ils en fait eux-mêmes une conduite nationaliste: ils ne supportaient pas de voir leurs ex-colonisés devenir totalement indépendants. L’internationalisme leur aurait peut-être permis de conserver les anciens privilèges dans une espèce de fédération socialiste; comme aujourd’hui on recherche patiemment je ne sais quelles communautés culturelles ou linguistiques. Le jacobinisme de gauche n’est souvent qu’un chauvinisme déguisé en universalisme. Le résultat en fut, en tout cas, une paralysie à peu près complète. Et l’affaire s’est finalement réglée entre les nationalistes et la bourgeoisie.

La deuxième occasion où nous avons pu vérifier la naïveté et la fausseté, sinon les contradictions, des interprétations d’un grand nombre de nos camarades de gauche, nous a été fournie par le conflit israélo-arabe, qui nous occupe ici. On sait comment on a aussitôt proposé une lecture similaire de cet antagonisme: il s’agirait d’une lutte entre socialisme et impérialisme, le socialisme étant représenté par les Arabes et l’impérialisme par les Juifs. Il y a quelques jours à peine, deux délégués d’un parti socialiste français, le P.S.U. en l’occurrence, ont signé, au congrès du Koweit, une aberrante déclaration réclamant une fois de plus la destruction pure et simple de l’État d’Israël4. Y croyaient-ils eux-mêmes? On peut le penser malgré la légèreté, tragique alors, de cette position. Mais alors, à quel réel se réfèrent-ils, à quel rapport de forces? Et si c’est encore une tactique, comme me l’a laissé entendre l’un d’eux, Serge Mallet, pour l’appeler par son nom, que de sottises et même de crimes on aura projetés au nom de la tactique!

Ou alors, une fois de plus, l’explication est tellement dérisoire, et contraire à un simple examen des faits, qu’on se demande pourquoi une si grande partie de l’opinion de gauche s’accroche à des schémas si manifestement inadéquats. L’inventaire des forces «socialistes» arabes est éloquent: Hussein de Jordanie, soutenu lui aussi par les Américains? Le roi Fayçal d’Arabie? Le colonel Boumediene, dictateur militaire qui a renversé Ben Bella, pour le moins plus socialiste que lui? Le roi du Maroc? Bourguiba? Même l’Égypte et la Syrie sont-ils plus socialistes qu’Israël?

Il est vrai que l’on retrouve ici la fameuse pirouette: objectivement, les Arabes, même féodaux, sont des socialistes, car ils vont dans le sens de l’histoire. Dieu que le vent de l’histoire a tourné ces derniers temps! La Yougoslavie, contre laquelle il a soufflé si fort, s’est retrouvée dans la bonne position; la Tchécoslovaquie a semblé hésiter dangereusement; la Hongrie, il a fallu l’écraser pour la faire taire; la Chine, espoir de la révolution mondiale, n’est-elle pas aujourd’hui l’obstacle principal, nous dit-on, à l’unification du monde socialiste? Et demain le Viêt-nam? Et Cuba? La vérité, plus banale, n’est-elle pas que le sens convenable de l’histoire, et celui du vent, serait celui indiqué par les pancartes russes, quelle que soit la réalité de l’histoire et de la météorologie? Le monde arabe est baptisé socialiste simplement parce qu’il est voulu tel par l’U.R.S.S., et Israël impérialiste pour la même raison. Et la question supplémentaire que nous nous sommes posé alors fut la même que celle que nous nous étions posé plus haut: pourquoi les Russes soutiennent-ils les Arabes et condamnent-ils Israël? La vraie raison est-elle dans ce schéma simpliste et manifestement faux de socialisme arabe contre impérialisme israélien, ou dans les intérêts actuels russes de prendre pied en Méditerranée?
 

Voici des années que nous sommes quelques-uns à réclamer une reprise de la recherche en matière de socialisme, non soumise aux impératifs tactiques immédiats et non respectueuse de la tradition. On a voulu voir dans nos revendications presque une agression, ou même l’amorce d’une rupture qui appelle l’excommunication. Comme si la meilleure fidélité n’est pas renouvellement et invention pour la solution de problèmes inédits!

Pour nous en tenir au point qui nous préoccupe aujourd’hui, disons en bref que les difficultés de la gauche proviennent ici encore d’une vieille méconnaissance du fait national. Car évidemment l’affaire remonte à loin. Pour se représenter l’image que Marx avait des nations, il faut se rappeler les modèles qu’il avait sous les yeux: en pleine ascension, en pleine expansion économique, et qui lui paraissaient redoutables. Pour le prolétariat de l’époque, misérable et peu conscient de sa force potentielle, ce tête-à-tête dans le cadre national ne pouvait que tourner à l’avantage du patronat. D’où la nécessité de rechercher une alliance entre les différents prolétariats contre leurs bourgeoisies. La fameuse formule: «Prolétaires de tous les pays, unissez-vous!», est plus un conseil qu’un constat. Marx n’a que méfiance, sarcasmes et hostilité envers les nations, les nationalismes et les revendications nationales, qu’il juge d’origine bourgeoise, et étriqués. Et bien que, par le même mouvement dialectique habituel à sa pensée, il entrevoit que la bourgeoisie a ouvert la voie à l’universalisme.

La place nous manque ici pour reprendre, expliciter et coordonner les passages divers où Marx aborde le problème national. Disons en gros que le nationalisme est d’abord pour lui une revendication négative; on le voit bien lorsqu’il lui arrive d’aborder le problème colonial. Sauf sur la question irlandaise et vers la fin de sa vie, où Marx s’est alors moqué des internationalistes français, au fond bien installés dans le giron de leur propre nation, sa pensée en est restée à l’idée que la libération des colonies se ferait par l’intermédiaire de la libération des prolétariats métropolitains. Donc, grâce à une libération sociale, et encore indirecte. Il aurait peut-être changé d’avis, précisément, s’il avait assisté à l’éclosion décisive des revendications coloniales contemporaines, dont la dimension nationale est trop évidente et trop directe.

C’est Lénine et Staline qui seront réellement confrontés avec le fait national. Il n’est pas sans signification que Lénine ait été amené à polémiquer à ce sujet avec un parti juif, socialiste mais juif affirmé: le Bund. C’est au cours de cette controverse qu’il énoncera un certain nombre de condamnations, définitivement reprises par la suite, du nationalisme «petit-bourgeois», et des «cultures nationales» qui ne seraient que des cultures bourgeoises. Mais il n’y a pas que la discussion interne avec le bundiste Liebermann: les peuples d’Orient bougent, et leurs délégués se présentent aux conférences internationales à la fois comme socialistes et comme représentants de peuples opprimés. Sauf peut-être sur le problème politique du pouvoir, le génie particulier de Lénine est surtout celui d’un tacticien hors pair, plus que d’un théoricien. Après quelques hésitations, contrairement à de nombreux socialistes de l’époque, Lénine comprit vite qu’il fallait tenir compte de cette allure nouvelle du socialisme. Sans en faire exactement la théorie, il reconnaît la légitimité de ces revendications, tout en posant cependant cette condition: il faut que la lutte des classes reste l’essentiel. Au fond, il reste fidèle sur ce point à l’enseignement de Marx et subordonne la libération nationale à la libération sociale. La pauvreté dogmatique de la «pensée» stalinienne, d’autant plus dogmatique qu’elle est pauvre, ne fait guère avancer le problème, si elle prouve au moins l’urgence de préciser et de compléter la doctrine sur ce point.

En somme, la tradition marxiste laissera les partis communistes relativement sans appui théorique sérieux sur un sujet de plus en plus important, à mesure que s’effectuait le réveil national de tant de peuples à travers le monde. Et si, en bonne logique marxiste, c’est l’action qui doit fournir la vérification, et même la chair de la théorie, l’échec des P.C. dans la plupart des pays décolonisés devrait prouver qu’ils avaient mal compris la décolonisation. Malheureusement, peu logiques avec eux-mêmes, découvrant l’importance du phénomène national, et ne sachant trop comment l’accorder aux enseignements traditionnels, ils préfèrent se payer de mots plutôt que de le repenser par eux-mêmes. D’où, entre autres, cette manie, drôle ou irritante, en tout cas révélatrice d’une gêne profonde, de baptiser socialiste et révolutionnaire toute mutation politique qu’ils jugent utile, réactionnaire si elle les embarrasse. Mais on ne peut vivre éternellement de scolastique ou de tactique, et il arrive souvent que le réel se venge: les nouveaux dirigeants envoient fréquemment les communistes en prison.

N’est-il pas temps enfin de se demander la raison théorique de ces échecs et de procéder à une réévaluation du fait national?

Je me doute bien des méfiances qu’une telle question suscite immédiatement. Politiquement, le marxisme est fondamentalement une théorie de la lutte des classes. Le progrès et la libération des hommes sont le résultat de cette lutte entre dominants et dominés sociaux. Les luttes nationales exigeant l’unité des protagonistes, même provisoirement, laissent intacts, dira-t-on, les privilèges, et repoussent à plus tard la transformation des rapporta sociaux à l’intérieur de la nation en lutte. Cela est relativement exact.

Mais il est clair aussi que cet argument n’est que la reprise tautologique de la pensée marxiste sur ce point. Il présuppose toujours que la lutte nationale est en elle-même un fait négatif, qui voile le seul fait positif: le combat social. Or, est-il permis de poser autrement le problème, à savoir: que le mouvement de libération nationale est également un mouvement de progrès humain?

Pour rester dans une tradition prestigieuse, essayons d’énoncer quelques thèses complémentaires.

1) A oppression nationale, libération nationale.

Cette proposition a une double dimension: pratique et éthique. Car enfin, il s’agit bien d’une véritable oppression; qui ne se confond pas avec l’oppression sociale, en ce sens qu’elle atteint toutes les dimensions d’un groupe global, toutes classes concernées; plus ou moins, naturellement, mais enfin toute la nation, ou tout le groupe à vocation nationale. Et si l’on veut faire cesser cette oppression globale, il sera toujours insuffisant et inadéquat de faire appel à une seule classe, fût-elle la plus nombreuse.

Mao Tsé-toung n’a pas craint, lui, de parler de «coopération de classes», parce qu’il vivait concrètement le problème, et ne se contentait pas de spéculer de loin sur les problèmes des autres. Comme ce n’est pas un hasard si la réflexion sur le problème national, et sur le rapport entre les classes et la nation, a redémarré enfin parmi les peuples dont l’indépendance n’est pas encore accomplie (en Égypte par exemple, ou parmi les théoriciens juifs).

Et pourquoi une oppression nationale serait-elle moins scandaleuse que les autres? La libération nationale moins morale que les autres? De toute manière, enfin, pratiquement et moralement, du moment qu’il existe un problème national, il faut lui consacrer une attention appropriée et découvrir l’action la plus adéquate pour le résoudre.

2) La libération nationale est souvent la condition préalable de la libération sociale.

Il arrive trop souvent, en effet, que la présence du dominant, présence réelle ou pression économique et politique, empêche la réalisation effective de la libération sociale. Quelquefois d’ailleurs avec la complicité, ou la résignation, des privilégiés du peuple dominé. Cette tension absorbe les énergies, occupe l’affectivité et l’esprit collectifs. Cela, Lénine, avec son extraordinaire intuition politique, l’avait pressenti; il ne pouvait aller plus loin dans l’action, j’ai dit pourquoi plus haut. Mais stratégiquement il peut alors paraître préférable de s’attaquer d’abord au dominant, en y intéressant si possible toute la nation (voir tout le problème de la bourgeoisie nationale). Tant que cette libération nationale n’est pas faite, la libération sociale risque d’être toujours hypothéquée. Et de sorte que la libération nationale apparaît souvent comme un préalable nécessaire.

3) Le fait national enfin est un fait social positif.

Les deux propositions précédentes supposent en effet que l’on ne voit pas dans le fait national une perversion ou une illusion, ou encore une mystification. C’est-à-dire une maladie du corps social, ou une espèce de délire; c’est-à-dire, en définitive, rien du tout. Certes, son utilisation peut être perverse; on peut se servir des sentiments nationaux d’un peuple pour l’entraîner à quelque aventure, pour faire oublier à une classe ses intérêts. Mais c’est aux classes dominées, aux socialistes, à nous, de nous battre pour que cela ne soit pas; pour ne pas dissocier la lutte sociale de la lutte nationale. Cela ne signifie pas que le fait national n’existe pas comme tel: il correspond à une instance sociale réelle, laquelle a d’autres exigences que celles de chaque classe en particulier. C’est une facilité intellectuelle que de s’en tirer en disant que le prolétariat représente toute la nation; et d’ajouter que les autres classes ou groupes sociaux ont trahi. Trahi quoi et qui? En tout cas pas eux-mêmes; et personne ne représente complètement tout le monde.

N’est-il pas méthodologiquement plus marxiste de se demander à quel réel correspond une revendication si tenace, et si partagée par tant de groupes sociaux, même parmi les plus déshérités économiquement? La pensée socialiste, qui a légitimement dénoncé tant de mythes réactionnaires, pourquoi ne s’appliquerait-elle pas à elle-même une rigueur si féconde? Ou bien, si on ne veut voir, malgré tout, dans le fait national qu’une étape, un détour, une médiation de l’histoire, pour réaliser un jour sa fin, qui serait le bonheur de l’humanité, qu’est-ce qui n’est pas médiation dans cette longue marche? Et en quoi la classe serait-elle plus médiation qu’une autre réalité sociale, puisqu’elle est destinée, ne l’oublions pas, dans la perspective même de Marx, à disparaître? Ce dont d’ailleurs on peut douter. Disons au moins que la nation est une médiation entre la classe et l’humanité.

Est-il besoin de rappeler encore qu’il ne s’agit ici nullement d’une réhabilitation d’une quelconque doctrine nationaliste, qui poserait la primauté absolue du fait national (ce que l’on rencontre aujourd’hui paradoxalement chez quelques-uns des mouvements dits révolutionnaires), qui en ferait une valeur supérieure à toutes les autres, et qui, sans souci de la contradiction, affirme sa propre réalité nationale comme supérieure à toutes les autres réalités nationales? Une telle doctrine nationaliste est évidemment contraire à tout internationalisme. Il suffit qu’on reconnaisse le fait national, qu’on dénonce toutes les oppressions nationales, qu’on admette la légitimité de toutes les libérations nationales. Cela laisse intact le problème d’accorder ensemble les différentes affirmations nationales et, donc, la nécessité d’une morale inter-nationale.
 

Résumons, une fois de plus, ce qui nous paraît être la seule interprétation correcte des événements actuels:

1) Les mouvements de libération nationale sont, comme tels, progressistes: puisqu’ils tendent à abolir une oppression.

2) Les peuples arabes ont commencé, ou achèvent, leurs libérations nationales. Et cela, comme tel, nous paraît légitime. De même que nous avions trouvé légitimes les décolonisations, comme mouvements nationaux. Nous n’eûmes pas besoin de les baptiser socialismes pour en admettre le bien-fondé. Il suffit déjà qu’ils redonnent aux peuples la libre disposition d’eux-mêmes.

3) Le sionisme est également le mouvement de libération nationale des Juifs. Et nous le trouvons également légitime. Loin, à cause de cela, de le soupçonner et de le condamner pour impérialisme, nous pensons qu’il devrait être défendu, comme tel, par tous les progressistes du monde. Car, qu’est-ce que le sionisme sinon l’effort le plus cohérent jamais entrepris pour répondre à l’oppression subie par les Juifs dans le monde?


La suite de ce texte se trouve dans le chapitre suivant, «Pour une solution socialiste».


Notes.

1. Ce texte et le suivant sont la contraction de trois textes intitulés: «Pour une solution socialiste du problème judéo-arabe», in Eléments, Paris, décembre 1968; «Pour une franche reconnaissance du fait national», in Éléments, Paris, mars 1971; et «Verbalisme et socialisme», in Cahiers Bernard Lazare, mai 1973, no 40-41.

2. Il est vrai qu’ils ont rapidement compris qu’il valait mieux s’intituler révolutionnaires et proclamer que l’on accomplit la Révolution. Alors, qui n’a pas aujourd’hui son Conseil de la Révolution, même s’il est composé de militaires? Je crois bien que même les colonels grecs s’affirment révolutionnaires.

3. Ainsi le conflit colonisateurs-colonisés n’est pas réductible à un pur conflit économique, ni surtout entre classes (voir notre Portrait du colonisé, nouvelle édition, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1973). Ainsi l’oppression dont souffre le Juif n’est pas réductible à un schéma économique, malgré les efforts de quelques marxistes juifs (voir mon Portrait d’un Juif).

4. Il est vrai que le P.C. français n’a pas signé ce texte, ni les Chrétiens progressistes. Mais ce désaccord prouve encore les contradictions de la pensée socialiste contemporaine, si pensée il y a: car, enfin, entre la destruction de l’État d’Israël et la paix avec lui, il y a plus qu’une nuance. D’ailleurs, les Chrétiens, dits progressistes, ont encore évolué hélas, et pas dans le sens de la conciliation, mais dans l’encouragement au sang versé: voir ce qu’est devenu Témoignage chrétien.

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