«Keine Vergasung in Dachau», Die Zeit, 19 août 1960, no 34, p. 16. Sur la façon dont Faurisson a falsifié son contenu réel, voir: ici.

Les mensonges de Faurisson

«Pas de chambres à gaz dans les camps de concentration?»


Faurisson s’est un jour avisé qu’en falsifiant le contenu d’une lettre de l’historien Martin Broszat1, il pourrait affirmer que les camps de concentration n’avaient pas été dotés de chambres à gaz. Nous allons examiner comment Faurisson poursuit son mensonge, et à quelles fins. Faurisson a tellement martelé sa falsification de la lettre de Broszat qu’il a fini par ne plus y faire référence pour asséner son mensonge sur les chambres à gaz dans les camps de concentration.

Ainsi, en 1982, Faurisson écrivait:

«les historiens officiels distinguent deux catégories principales de camps : Les “Konzentrationlager” et les “Vernichtungslager”; c’est à dire les “camps de concentration” (non dotés de “chambres à gaz”) et les camps d’extermination (dotés d’après eux, de “chambres à gaz”)»2

Faurisson se garde de donner la moindre référence lorsqu’il commet une telle affirmation qui est en effet mensongère. Elle fait évidemment suite à sa falsification de la lettre de Martin Broszat. Les historiens — comprendre les historiens normaux et non les négationnistes qui n’ont aucune qualification — distinguent camps de concentration et camps d’extermination, ou plus précisément centres de mise à mort. Mais la distinction ne provient pas, contrairement à ce que Faurisson prétend, de ce que les uns ne seraient pas dotés de chambres à gaz et de ce que les autres en seraient dotés. En effet, de nombreux camps de concentration — mais pas tous — furent dotés d’une chambre à gaz. Et jamais les historiens n’ont écrit que tel n’était pas le cas. La particularité de ces chambres à gaz est que leur but n’était pas l’assassinat de masse, mais l’assassinat ponctuel de détenus devenus «inutiles» — généralement pour cause d’épuisement, de maladie, de famine, de coups —, de condamnés, etc., comme à Ravensbrück, Mauthausen, Neuengamme, Orianenbourg-Sachsenhausen, voire l’assassinat à but expérimental comme au Natzweiler-Struthof. Les camps de concentration étaient destinés à l’esclavage des prisonniers, qui devaient effectivement et ultimement aboutir à leur mort, mais non à la mise à mort immédiate, et en masse, des déportés.

Ce que l’on désigne par «camps d’extermination», et que l’historien Raul Hilberg désigne de façon plus exacte par «centres de mise à mort»3 étaient de véritables usines de l’assassinat, dotés eux aussi, eux d’abord (mais justement pas exclusivement) de chambres à gaz, mais dont le but était là véritablement le meurtre de masse. Principalement le meurtre de masse des Juifs. Il ne s’agissait pas de camps où les prisonniers étaient envoyés pour servir d’esclaves. Les principaux centres de mise à mort industrielle furent Chelmno avec ses camions à gaz, les trois centres de l’Opération Reinhard, Belzec, Sobibor, et Treblinka et les deux camps «mixtes», à la fois camps de concentration et centres de mise à mort de Maïdanek et Auschwitz-Birkenau. Notons qu’il existât également de nombreux centres de mise à mort par fusillade.

Il faut remarquer de nouveau que les camps de concentration furent aussi des «camps de la mort» dans la mesure où les conditions d’hygiène, d’esclavage, de violence barbare, qu’y faisaient régner les nazis étaient telles que l’on y succombait rapidement, et que tel était le but poursuivi par les Nazis.

Si Faurisson travestit à la fois la réalité et la façon dont les historiens sérieux la rapportent, c’est qu’il commet le raisonnement spécieux suivant: on dispose de nombreux témoignages de SS sur les chambres à gaz dans les camps de concentration, or (dit Faurisson), les historiens reconnaissent (ce qui est faux) qu’il n’y aurait pas eu de chambres à gaz dans les camps de concentration, donc les aveux auraient été extorqués (ce qui n’est pas le cas, puisque les chambres à gaz en question ont bien existé) et la même conclusion devrait s’appliquer (par une logique frelatée) à ceux des témoignages qui concernent les chambres à gaz des camps d’extermination. Par exemple, Faurisson écrit:

«Je renvoie à ce sujet à ce que j’ai écrit dans Le Monde. Je rappelle une fois de plus que nous possédons des “aveux” de responsables allemands sur l’existence et le fonctionnement de “chambres à gaz” là où tout le monde aujourd’hui consent à reconnaître qu’il n’y a jamais eu de “chambres à gaz”»4

Ce à quoi Faurisson renvoie, c’est à sa falsification de la lettre de Martin Broszat, dans Le Monde du 28 décembre 1979, que nous étudions par ailleurs. Mais il ne fait même plus mention de Broszat. Faurisson fait comme si il était acquis qu’il n’y aurait pas eu de chambres à gaz, là où des responsables allemands ont avoué qu’il y en eut. Or, cela est évidemment faux. Faurisson ment avec un formidable aplomb. Il ment sans prendre la peine de faire semblant de justifier ses mensonges. Car, ainsi qu’on l’a déjà dit, aucun historien n’a jamais admis quoi que ce soit d’approchant. Jamais les historiens n’ont considéré qu’il n’y avait pas eu de chambres à gaz dans les camps de concentration5. Faurisson enclenche ensuite le raisonnement basé sur son mensonge:

«Je voudrais bien qu’ayant lu ce que je viens de rappeler là on médite longuement sur les conséquences à en tirer. On a beaucoup menti sur le sujet des “chambres à gaz”*. On a énormément menti**. On a menti jusqu’à la nausée***. Aussi conviendrait-il de se montrer particulièrement circonspect avec ceux qui avouent avoir vu, de leurs yeux vu, un bâtiment appelé “chambre à gaz” homicide. Et cela sous peine de se retrouver une fois de plus devant un Ziereis, un Suhren ou un Schwarzhuber: le premier pour Mauthausen et les deux autres pour Ravensbrück ont “avoué” l’existence de “chambres à gaz”, qui en réalité devaient se révéler fictives!»6

Bien évidemment, Faurisson ment au premier degré en prétendant que les chambres de gaz Mauthausen et de Ravensbrück se seraient révélées fictives7. A partir de sa falsification initiale de la lettre de Broszat, Faurisson est donc passé à un mensonge plus général afin de professer un scepticisme systématique sur les témoignages, notamment d’Allemands, sur les chambres à gaz. Mais Faurisson va corser un peu plus le mensonge. Il écrit en effet:

«je rappelle qu’il est aujourd’hui surabondamment prouvé que les “aveux” de Schwarzhuber lui ont été extorqués par les Britanniques»8

Or il est bien évident que jamais personne n’a avancé quoi que ce soit qui corrobore une telle «extorsion». Ni les historiens, ni même Faurisson, qui ne fait que tirer un peu plus de conclusions frelatées de son mensonge initial. Le raisonnement implicite est toujours le même: Schwarzhuber ayant mentionné la chambre à gaz de Ravensbrück, qui n’existerait pas (affirmation que Faurisson prête mensongèrement aux historiens), il ne peut qu’avoir été «forcé» aux aveux. On voit ici apparaître le thème de la «torture» subie par les SS pour leur faire avouer des crimes qu’ils n’auraient pas commis, thème cher à Faurisson et sur lequel il reviendra souvent. Dans le cas présent, évidemment, de telles tortures n’ont pas été infligées, et le raisonnement implicite par lequel Faurisson tente de les suggérer est frelaté et basé sur des mensonges.

Faurisson, dans l’ouvrage cité, répètera le même mensonge, ou l’une de ses variantes, à de nombreuses reprises. Ainsi, il cite une lettre qu’il a envoyée au Monde et publiée le 19 janvier 1979. Faurisson y parle:

«de tous les documents qui ont fait dire aux tribunaux militaires des Alliés qu’il y avait des “chambres à gaz” là où, en fin de compte, on a fini par reconnaître qu’il n’y en avait pas eu: par exemple, dans tout l’Ancien Reich!»9

Faurisson commettait évidemment une fois de plus le même mensonge lié à sa falsification de la lettre de Martin Broszat, qu’il ne citait même plus. L’acharnement de Faurisson à répéter encore et toujours le même mensonge prend des allures pathétiques et semble bientôt relever de l’hystérie. Et c’est bien à de l’hystérie que l’on pense lorsque Faurisson, écrit à propos de Ravensbrück:

«OR IL EST MAINTENANT RECONNU QU’IL N’A JAMAIS EXISTé DE CHAMBRE à GAZ DANS CE CAMP»10

Ce qui est un mensonge au premier degré. Les majuscules sont de Faurisson. On se trouve en présence d’un hurlement typographique, le hurlement d’un mensonge. C’est à se demander s’il n’y a pas lieu d’enfermer le sujet… Faurisson est en tous cas un menteur pathologique. Répétons le: rien de ce qu’il avance ne doit être considéré comme véridique, jamais avant d’avoir très soigneusement vérifié, revérifié et vérifié encore.

Bibliographie:

Eugen Kogon, Herrmann Langbein, Adalbert Rückerl, Les chambres à gaz secret d’état, Seuil, Points Histoire, 1987 (en ligne).

Germaine Tillion, Ravensbrück, Seuil, 1988 (notamment à l’étude, dans cet ouvrage de Anise Postel-Vinay, «Les exterminations par gaz à Ravensbrück»).

Nous proposons un bilan des gazages dans les camps de concentration et d’extermination à la page suivante: https://phdn.org/histgen/bilan-gazages.html

                   

Notes.

1. Martin Broszat, «Keine Vergasung in Dachau», Die Zeit, 19 août 1960, no 34, p. 16. Sur la façon dont Faurisson a falsifié son contenu réel, voir: https://phdn.org/negation/faurisson/faur-broszat.html

2. Robert Faurisson, Mémoire en défense contre ceux qui m’accusent de falsifier l’histoire, La Vieille Taupe, 1980, p. 26.

3. Raul Hilberg, La destruction des Juifs d’Europe, Fayard, 1988.

4. Robert Faurisson, op. cit., p. 40.

5. En 1968, Olga Wormser-Migot, commettait cependant un jugement aussi catégorique que faux et, non argumenté, dans son étude sur Le système concentrationnaire nazi (1933-1945), Presses Universitaires de France, 1968. Cette étude portait explicitement et spécifiquement sur le système concentrationnaire (p. 9) et excluait l’étude du génocide des Juifs (p. 10) et des centres d’extermination évoqués très rapidement. Dans cet ouvrage, par ailleurs pionnier et fondamental, de plus de 650 pages, Olga Wormser-Migot expédie en 4 pages ce qu’elle nomme «Le problème des chambres à gaz», pour contester celles de Ravensbrück, Mauthausen et Oranienburg (p. 541-544). Cet «accident» historiographique a bien évidemment été instrumentalisé par les négationnistes, notamment par Faurisson dans le passage cité. Mais il est totalement isolé. L’histoire des chambres à gaz de ces camps est aujourd’hui bien connue. Voir notamment Eugen Kogon, Herrmann Langbein, Adalbert Rückerl, Les chambres à gaz secret d’état, Seuil, Points Histoire, 1987. On signalera également que Pierre-Serge Choumoff devait, dès 1969, souligner les graves lacunes méthodologiques de Olga Wormser-Migot dans son traitement des chambres à gaz des camps de concentration dans un article où, hélas, il jetait le bébé avec l’eau du bain en assassinant la thèse de Olga Wormser-Migot dans son ensemble, un jugement très injustement radical (Pierre-Serge Choumoff, «Le camp de Mauthausen», Le Monde, 7 juin 1969, p. VI).

6. Robert Faurisson, op. cit., p. 40.

7. Sur la chambre à gaz de Ravensrück, on renverra à l’ouvrage de Germaine Tillion, Ravensbrück, Seuil, 1988, notamment à l’étude, dans cet ouvrage de Anise Postel-Vinay, «Les exterminations par gaz à Ravensbrück», p. 329-360 ainsi que l’étude fouillée de Bernhard Strebel, «La Chambre à gaz de Ravensbrück» dans son ouvrage, Ravensbrück. Un complexe concentrationnaire, Paris: Fayard, 2005. Sur la chambre à gaz de Mauthausen, on renverra à l’étude, toujours dans le même ouvrage, de Pierre-Serge Choumoff, «Les exterminations par gaz à Mauthausen et Gusen», p. 403-465. Sur Mauthausen, voir aussi Michel Fabréguet, Mauthausen. Camp de concentration national-socialiste en Autriche rattachée (1938-1945), Honoré Champion, 1999, notamment les pages 170 à 174. Voir aussi Kogon, Rückerl, Langbein, op. cit..

8. Robert Faurisson, op. cit., p. 45

9. Robert Faurisson, Le Monde, 16 janvier 1979, p. 23, cité dans Robert Faurisson Mémoire en défense contre ceux qui m’accusent de falsifier l’histoire, op. cit., p. 86.

10. Robert Faurisson, Réponse à Pierre Vidal-Naquet, deuxième édition, La Vieille Taupe, 1982, p. 37.
 

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