Les impostures de Rassinier

Rassinier et sa déportation


Contrairement à ce qu'a écrit Pierre Vidal-Naquet, le témoignage de Paul Rassinier est une imposture. Les anciens déportés de Dora en ont fait le constat, après avoir lu les récits de Rassinier.

Il faut lire l'ouvrage remarquable d'André Sellier, Histoire du camp de Dora, Editions la Découverte, 1998. André Sellier est lui-même un ancien déporté de Dora. Il a sur le livre de Rassinier sur sa déportation un jugement lucide...

Lorsque Rassinier ne travestit pas simplement les faits, ses « interprétations » sont vivement critiquées par Sellier. Par exemple, la façon dont Rassinier dédouane les SS :

« Vouloir faire retomber sur on ne sait quelle « Häftlingsführung », comme le fait Rassinier, la responsabilité fondamentale du drame des premiers mois de Dora, c'est oublier un peu vite le rôle des SS »

(Sellier, p. 102)

Sellier écrit par ailleurs :

« [Rassinier] néglige d'insister sur le fait qu'il s'est trouvé lui-même, en réalité, associé à une sorte de mafia interne au camp lui assurant la sauvegarde de ses colis et des séjours à répétition au Revier [l'infirmerie] .»

(Sellier p. 179)

Sellier critique la façon embellie dont Rassinier présente le camp: ce qu'il appela « piscine avec plongeoir », n'est qu'un réservoir en cas d'incendie. (Sellier, p. 141).

À la même page, Sellier qualifie par ailleurs l'expérience de Rassinier de « limitée ».

Sellier revient sur le témoignage de Rassinier aux pages 435-436. Il est extrêmement critique :

« L'auteur a dépouillé le témoignage de Rassinier au même titre que ceux d'autres détenus de Dora [...]. Il ressort de cette analyse que Rassinier n'a connu le sort commun que du 30 janvier au 8 avril 1944 : arrivée à Buchenwald, quarantaine, transfert à Dora, affectation à un Kommando de terrasse. Le 8 avril 1944 il entre au Revier de Dora et y reste dans des conditions privilégiées, jusqu'en avril 1945. Ce séjour n'est interrompu que par des brefs retours au camp, et par le passage au service d'un sous-officier SS entre le 23 décembre 1944 et le 10 mars 1945. Il n'a ainsi aucune expérience directe du Tunnel ni des autres camps du Mittlebau. La plupart des indications qu'il donne résultent de conversations avec des camarades qui arrivent malades au Revier. Elles sont généralement très approximatives, et à plusieurs reprises tout à fait erronées.

« La personnalité de Rassinier est déconcertante. Il ne noue aucune amitié au camp et ne porte que des jugements négatifs sur les autres détenus, à Buchenwald ou à Dora. Retranché dans sa solitude et son inaction au Revier, il se fabrique un schéma d'interprétation du monde concentrationnaire, tantôt banal, tantôt franchement aberrant. Comme il est naturellement pontifiant, il est connu au Revier comme « le professeur » [...]

« A l'époque [celle de la publication de ses premiers livres], le plus important pour Rassinier est d'essayer de substituer son schéma à celui de Rousset et de Kogon. Il n'y parvient pas, mais le recueil de 1955 sera traduit en allemand en 1960, en espagnol en 1961 et en italien en 1966, comme s'il s'agissait d'un ouvrage faisant autorité. Pourtant, aussi bien sur Buchenwald que sur Dora, ce document est sujet à caution, bien au delà des livres des auteurs que Rassinier incrimine. »

Brayard aussi a commis la même erreur que Vidal-Naquet. Sellier écrit :

« Quant au témoignage de Rassinier, Brayard, sans doute pris d'une crainte révérentielle s'agissant d'un ancien déporté, lui accordera finalement trop de crédit »

(Sellier, p. 453)

Sellier et Nadine Fresco ont demandé à d'anciens déportés de Dora ce qu'ils pensaient du « témoignage » de Rassinier. Le résultat vaut le détourètes :

« Impressions de lecture chez les anciens de Dora :

« Quand on lit des livres de camarades de notre camp, ou d'autres camps, on a le sentiment que les gens racontent la vérité. Dans le livre de Rassinier, pour la première fois, j'ai le sentiment qu'il y a beaucoup de choses qui sont inventées ou transposées. C'est-à-dire que c'est une interprétation des événements, plus que l'événement ».

Rassinier « raconte des histoires, se vante, invente, est malin, parle et écrit pas mal, mais la vérité ? ».

« J'ai eu l'impression d'un mélange permanent, voulu ou non, entre les conditions de Buchenwald et celles de Dora. »

« Pour un certain nombre de passages de son livre, je me suis dit : c'est exactement ça, on a connu ça au camp. Mais pour d'autres, on a l'impression de quelqu'un qui fabule. Et parfois les choses sont présentées par lui de manière un peu curieuse, que je dirai presque méchante. Par exemple, quand on était dans les wagons, on a eu une première expérience de ce que pouvait donner la promiscuité de gens qui ne se connaissaient pas, dans des conditions épouvantables. Quand Rassinier parle de leur égoïsme, de leur lâcheté, ça manque de spontanéité, ça donne le sentiment d'être déjà pensé avec un objectif. Quand il parle de banquiers, de gros industriels, c'est pareil. Quand il se moque de chefs de la Résistance qui prétendent au camp avoir toute la confiance de Londres, il ne faut pas exagérer : les chefs de la résistance se taisaient. Les autres résistants aussi. C'était seulement quand on était vraiment arrivé à trouver la confiance des gens qu'on pouvait dire : oui, j'étais résistant dans un réseau. »

Les kapos, ces détenus à brassard dont parle Rassinier, sont classés, notamment dans les récits des anciens déportés, selon la couleur du triangle cousu sur leur veste, vert pour les déportés de droit commun, rouge pour les détenus politiques. À Dora, les Rouges sont très peu nombreux, contrairement à ce qui se passe à Buchenwald.

« Les rares communistes, à Dora, c'était les fortes têtes, ils ne devaient pas être très appréciés dans le parti. »

« Le mot Häftlingsführung n'existait pas. Celui de SS-Führung existait, mais était rarement utilisé. On parlait de SS. »

« Il me semble n'avoir jamais parlé d'autre chose que de SS, sans leur accoler le terme de Führung. Il est évident pour moi que la hiérarchie des détenus dépendait entièrement des SS, c'est-à-dire du commandement du camp, trop heureux de s'en remettre aux détenus de l'organisation interne. »

Le fait est que, dans le livre de Rassinier,

« le passage sur les SS est d'une exceptionnelle discrétion. Tout est fait pour minimiser leur rôle. »

« Le terme de Häftlingsführung est un terme de SS. Le fait que Rassinier ait repris dans son livre une telle terminologie étaie l'idée qu'il a eu des soutiens des SS. Les détenus, eux, n'en parlaient pas du tout dans ces termes. »

« Tout ce qu'il dit sur les noms des gens, il ne peut l'avoir su que s'il était initié au fonctionnement du camp. Et on ne pouvait être initié au fonctionnement du camp que par les SS. Personne d'entre nous n'avait la connaissance détaillée des noms qu'a Rassinier, qui impliquait des contacts proches avec les SS. »

À Dora comme dans les autres camps, le Revier est le block, ou l'ensemble de blocks, qui constitue une sorte d'hôpital. Ce Revier

« est le seul lieu ouvert dans un ensemble concentrationnaire très fragmenté. Les malades qui arrivent apportent avec eux des informations et des rumeurs de toutes sortes. C'est le lieu de diffusion de tous les on-dit, et le texte de Rassinier, quand on l'examine de près, est le plus mauvais document qui soit sur Dora, car les informations dont il se fait l'écho sont plus ou moins gravement déformées ».

« Il me fait rire quand il donne le détail de ses séjours au Revier. C'est idiot, on ne peut pas donner le détail. On n'avait pas de date, on n'avait pas de calendrier, on n'avait rien. »

« Ce qu'il dit sur le Revier, et ses contradictions entre le fait que les kapos y étaient affreux et le fait qu'il y soit resté si longtemps, montre qu'il n'aurait pas pu survivre sans protection. »

« Il a dû avoir un traitement de faveur. Je suis passé plusieurs fois au Revier, mais jamais aussi longtemps. »

« Huit mois au Revier? Et il en est sorti vivant? »

S'agissant des colis, ce que Rassinier a raconté dans son livre semble avoir été « l'expérience la plus exceptionnelle » parmi des centaines de témoignages.

[ Texte de la note 42, p. 744 : ]

[ « A Buchenwald, les colis arrivent intacts. À Dora, ils sont pillés, plus ou moins, avant même d'arriver au Block. Il est alors recommandé d'être généreux avec le Blockältester [le chef de Block], si ce qui subsiste en vaut la peine. L'expérience la plus exceptionnelle dans ce domaine est racontée par Rassinier, arrivé à Dora au début de mars 1944. Rassinier, selon ses dires, a été sauvé par ses colis et par l'utilisation qu'il a su en faire. [...] On lui a, dit-il, envoyé un colis tous les jours [...]. La grande masse des déportés français, connaissant les difficultés de ravitaillement et le coût de la vie en France en 1944, ne peuvent qu'être impressionnés par le volume de ces envois. Pour eux, les colis sont moins fréquents et plus modestes », André Sellier, op. cit, p. 167. ]

Ceux qui ont accepté de lire son récit ne disent pas autre chose :

« À propos de l'acheminement des colis vers les blocks, c'est assez troublant. Ou bien la description n'est qu'une reconstitution telle qu'elle peut être imaginée par un non-initié, et alors elle n'a pas de valeur formelle. Ou bien la description est exacte, et en ce cas elle ne peut être faite que par quelqu'un ayant été, d'une façon ou d'une autre, dans le circuit. »

« L'histoire du premier colis me paraît fictive. Si un seul morceau de lard, même gros, pouvait vous assurer une telle protection, beaucoup de détenus auraient été sauvés. »

« La description de la naissance, du fonctionnement et du personnel du Revier démontre une parfaite connaissance du milieu et de ses secrets. Il semble cependant douteux qu'une connaissance aussi approfondie ait été à la portée d'un simple malade, quels que soient le nombre et la durée de ses hospitalisations. Il est difficile d'admettre qu'un détenu sans de solides appuis ait pu entrer aussi facilement au Revier et un si grand nombre de fois, simplement en offrant un paquet de cigarettes. De plus, les colis ont cessé vers juillet-août 1944, et ce sésame n'existait donc plus de manière officielle. »

« Quand on lit des livres de camarades, on trouve un récit, telle anecdote. cet état d'esprit de Rassinier, qui donne tout le temps l'impression d'une affirmation, d'une thèse, d'une généralité. Finalement, l'impression qu'on retire de son livre, c'est qu'il y a eu un saint, lui, et que tous les autres... »

« D'une façon générale, ce livre donne une impression de malaise. Les descriptions sont pour la plupart exactes, mais la personnalité de l'auteur est on ne peut plus floue. D'un côté, il se présente comme un détenu de base qui a toutefois eu de la chance dans son malheur et, d'un autre, ce qu'il nous dit de son séjour à Dora nous fait penser qu'il a évolué dans ce milieu comme un poisson dans l'eau. Aucune difficulté pour entrer au Revier ou en sortir au gré des circonstances. Aucune difficulté pour trouver le paquet de cigarettes qui vous ouvrira toutes les portes. À Dora, nul ne pouvait améliorer ou aménager son sort s'il ne disposait pas d'appuis sérieux. Comme il ne les cite pas, on se demande qui ce pouvait bien être. »

« Ce qui me semble le trait dominant de Rassinier est la volonté de paraître, d'être celui qui sait et celui qui dit, et qui est reconnu comme tel par tous. »

(Nadine Fresco, Fabrication d'un antisémite, Seuil, 1999, p. 517-520)
 

Si ce n'était que la piètre qualité du témoignage et des analyses de Rassinier, ce ne serait pas le plus grave. Mais Rassinier a sciemment menti sur des épisodes précis. Sa haine des communistes et de la sociale-démocratie le conduisent à fabriquer des scènes qui n'eurent jamais lieu. Illustration :

« C'est peut-être d'avoir passé ses journées au printemps 1944 à « bavarder à droite et à gauche » dans le camp SS de Dora qui a permis à Rassinier d'émailler son Passage de la ligne de phrases en allemand, plus fréquentes que dans d'autres témoignages, et qu'il met notamment dans la bouche de déportés censés s'être adressés à lui au camp. L'abus de ces expressions parlées, alors même qu'elles regorgent de fautes de grammaire ou d'orthographe, expose leur inauthenticité et, du même coup, celle du récit qu'elles ornent, scènes à l'évidence fabriquées avec le souci de leur conférer une apparence véridique. Le procédé est d'autant plus flagrant lorsque la scène est aisément identifiable comme ayant été inventée.

Ainsi, Rassinier, après un long développement sur son statut de petit, de déporté de la base, raconte qu'il reçoit un jour à Buchenwald « un formidable coup de poing » accompagné d'« une avalanche d'injures en allemand », (« Hier ist Buchenwald, Lumpe, schau mal, hier ist Krematorium »). L'un et l'autre lui ont été assénés, explique-t-il, par un de ces « individus gros et gras, bien fourrés, au reste détenus comme nous, mais portant au bras l'insigne d'une autorité quelconque et à la main la gummi qui la justifie ».

Un déporté boiteux lui explique alors : « Tu pouvais pas faire attention : c'est Thaelmann! » L'instant d'après, c'est le boiteux qui reçoit à son tour un coup de poing et des injures, de la part d'« un autre personnage à brassard et à gummi ». Commentaire du boiteux : « Ça ne m'étonne pas de ce c...-là : c'est Breitscheid. »

Rassinier conclut la scène en écrivant qu'il « n'éprouve pas le moins du monde le besoin de vérifier l'identité des deux lascars » et qu'il se « borne à sourire à la pensée qu'ils ont enfin réalisé l'unité d'action dont ils ont tant parlé avant la guerre ».

Or, Ernst Thaelmann, le dirigeant du Parti communiste allemand, arrêté par les nazis dès le mois de mars 1933, n'a jamais été détenu à Buchenwald, où il ne fut amené qu'en août 1944 et aussitôt assassiné. Quant à Rudolf Breitscheid, leader du Parti social-démocrate, livré aux nazis par Vichy après qu'il se fut réfugié en France et qui mourut lors du bombardement américain sur Buchenwald, le 24 août 1944, il était demeuré constamment interné dans une bâtisse située à l'extérieur du camp, comme d'autres personnalités, Léon Blum par exemple, sans contact avec les détenus et pas plus à même que Thaelmann de jouer les kapos à brassard et gummi. On comprend dès lors que Rassinier n'ait pas eu « besoin de vérifier l'identité des deux lascars » qui les malmenèrent, écrit-il, lui et le petit boiteux, un jour de février ou de mars 1944. Mais le lecteur n'a aucune raison de savoir que Rassinier a des comptes à régler avec les communistes depuis qu'il a quitté Belfort, quand il lit dans Passage de la ligne que le secrétaire général du PC allemand en personne a frappé et injurié à Buchenwald un simple déporté de base incarné en l'auteur du récit. »

(Nadine Fresco, Fabrication d'un antisémite, Seuil, 1999, p. 513-514)

Rassinier était un imposteur.
 

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