Maxime Steinberg
Les yeux du témoin
et le regard du borgneL’Histoire face au révisionnisme
«L’histoire à vif». Les Éditions du Cerf, Paris 1990. ISBN 2-204-04107-6.
© Les Éditions du Cerf 1990, Maxime Steinberg 2009.
Chapitre 4
A mille kilomètres de l’horreur
- L’«esprit d’humanité» de l’officier S.S.
- Un «camouflage cousu de fil blanc»
- Le «plausible» de l’officier S.S.
L’«esprit d’humanité» de l’officier S.S.
Pour preuve de l’«esprit d’humanité» avec lequel il avait exercé sa fonction de chef de la police de sécurité, Ernst Ehlers, honorable juge en retraite du tribunal des affaires sociales de Kiel, faisait valoir en 1975 — et publiquement — que «la Justice belge ne [l’avait] pas recherché» après la guerre1. Le fait signalé est tout à fait exact. L’auditorat de la Cour militaire belge ne s’était pas intéressé à son cas après 1945. Son collègue Constantin Canaris, de surcroît interné, convenait tout aussi bien. La répression judiciaire des crimes de guerre s’attacha à instruire des procès exemplaires. Dans cet après-guerre belge, la représentativité des accusés allemands importa davantage que leur nombre. Cela étant, le bilan répressif certes moins fourni dans ce pays ne fut pas moins sévère qu’en France et qu’aux Pays-Bas. Toutes proportions gardées, les condamnations à mort y furent même plus nombreuses2. La Belgique avait tout autant dénoncé, sans complaisance pour qui que ce fût, «la responsabilité […d]es commandants locaux de la police de sécurité et du service de sécurité». La commission des crimes de guerre estima que leur responsabilité pénale était «engagée plus particulièrement en ce qui concerne la persécution antisémitique en Belgique3». «Sous leur autorité […]», insistait-elle, «s’organisèrent et fonctionnèrent les multiples rouages de l’appareil policier qui des caves de la Gestapo à l’enfer de Breendonck4 ou aux charniers d’Auschwitz, broya tant de vies humaines». Dans cet «appareil policier» à qui «incomba l’exécution matérielle des mesures», il est «évident», selon le rapport officiel sur La persécution antisémitique en Belgique, que «chacun, dans sa sphère d’activité, et quel que fût son rang dans la hiérarchie, collaborait à une entreprise dont il connaissait les objectifs». Cela dit, la commission des crimes de guerre s’est posée la question «de doser les responsabilités» individuelles; non pas qu’elle ait envisagé un instant qu’on aurait — selon le plaidoyer d’Ehlers — «exercé» son «service» en Belgique occupée «dans un esprit d’humanité» ! En 1947, il s’agissait tout au plus, en ce qui concerne les responsabilités criminelles de «la Gestapo et de ses séides», d’«apprécier les unes plus sévérement que les autres». D’ailleurs, la commission «n’hésite pas à répondre par la négative» à la question du dosage. Dans cet appareil policier, elle n’entend faire aucune différence. «Il n[e lui] apparaît pas, bien au contraire» que quiconque, «à quelque degré de la hiérarchie qu’il ait appartenu», ait eu «le dessein d’adoucir les souffrances des victimes». L’absence de poursuite contre l’officier S.S. qui l’avait dirigé de la fin 1941 au début de 1944 ne signifie pas ce que Ehlers voulut y découvrir trente ans après. De surcroît, l’argument de l’impunité était spécieux. Son ancien collègue, Canaris, tout condamné qu’il eût été par la justice belge, était son co-inculpé dans cette affaire «allemande». Le tribunal supérieur du Schelswig-Holstein écartait l’objection de la chose jugée. Dans l’affaire qui porte le nom de Ehlers, Canaris était certes poursuivi pour «le même fait que celui faisant l’objet du procès de Bruxelles», mais, remarque le tribunal allemand révisant l’épilogue judiciaire belge, la chose avait été «jugée là uniquement du point de vue légal de la privation de liberté5» !
De fait, les déportations juives opérées en 1944 sous le commandement du colonel S.S. Constantin Canaris, chef de la police de sécurité en Belgique et au Nord de la France, n’avaient guère pesé dans les vingt ans de travaux forcés auxquels les Belges l’avaient condamné en 1951. Dans la répression des crimes de guerre, les cours militaires ont systématiquement fait l’impasse sur la solution finale à l’Ouest. La justice de l’après 1945 s’est attaquée aux auteurs, ainsi qu’à leurs complices, des crimes de sang commis dans les pays occidentaux. Les responsabilités dans la déportation de Juifs vers l’Est n’ont pas été envisagées, du point de vue judiciaire, comme autant de complicités dans les assassinats perpétrés à l’arrivée des déportés. La pusillanimité, sinon le laxisme des cours militaires sont d’autant plus remarquables que les «responsabilités» criminelles des autorités d’occupation à l’Ouest — tant policières que militaires — étaient officiellement dénoncées. «Leur tâche […] de mener à bien, sur un territoire donné, le plan général criminel des chefs suprêmes de leur pays» était décrite sans la moindre ambiguïté comme aussi sans la moindre nuance. Dans l’après 1945, la persécution antisémitique à l’Ouest était parfaitement perçue comme «un des multiples aspects» de la «tragédie des Juifs d’Europe». Rien qu’à Auschwitz, la commission belge des crimes de guerre chiffrait, en 1947, «le nombre des victimes à près de 2 000 000 parmi lesquelles», ajoutait son rapport, «de nombreux milliers de déportés de Belgique». Cet organisme institué près du ministère belge de la justice exposait que «des milliers de personnes furent […] dès leur arrivée, conduites à la mort dans des conditions atroces»; qu’après «le triage» des déportés, «les femmes et les enfants, les vieillards, les faibles et les malades étaient isolés et immédiatement envoyés à Birkenau où se trouvaient les chambres à gaz6».
La conclusion judiciaire ne s’inscrit toutefois pas dans la logique de l’exposé. Cette commission de juristes dont faisait partie, de surcroît, un substitut à l’auditeur général près de la cour militaire n’a pas requis des poursuites du chef de complicité dans le massacre des déportés à leur descente des trains. Les responsables allemands ont été dénoncés pour les seuls «crimes suivants : déportation de civils, internement de civils dans des conditions inhumaines, confiscation de biens, arrestation en masse sans discrimination7». La lecture judiciaire de l’après 1945 a été singulièrement étriquée. En Belgique — comme dans les pays voisins — le procès de la solution finale n’a pas eu lieu. Dans les procès «belges» de 1950/1951, l’évènement juif a été amputé de sa dimension historique essentielle. Il a aussi été banalisé. Les charges «juives» pour le moins mitigées ont figuré parmi d’autres chefs d’inculpation — telles les fusillades d’«otages terroristes» — en l’occurrence bien plus graves.
Dans l’épilogue judiciaire allemand, l’acte d’accusation est autrement grave que les charges retenues en Belgique. En 1975, la justice de leur pays accusait Ehlers et Canaris, ainsi que leur chargé des affaires juives, l’ancien lieutenant S.S. Kurt Asche, de «complicité dans la mise à mort cruelle et perfide d’un grand nombre d’êtres humains pour avoir, dans la période d’août 1942 à juillet 1944, à divers moments et à des degrés divers, collaboré à la déportation de quelque 26 000 juifs […] vers le camp d’extermination d’Auschwitz8». Dans cette affaire de «criminels nazis9», le Landgericht du Schleswig-Holstein — la cour d’assises — n’a toutefois pas d’emblée suivi le parquet de Kiel. On y estima que «dans l’état actuel des moyens de preuve, il ne serait pas possible d’apporter la preuve que les prévenus aient été au courant des projets de mise à mort des déportés». Appelé à se prononcer en 1977, le Tribunal Supérieur considéra au contraire que «leur condamnation est à prévoir avec quelque probabilité10».
«Le soupçon suffisant pour la réouverture du procès principal» contre l’inculpé le plus important ne prenait pas seulement appui sur le document d’histoire qui, au printemps 1943, laissait deviner le sort horrible des déportés à leur arrivée à Auschwitz. Les magistrats allemands opposèrent à ses dénégations toute une batterie d’arguments puisés dans d’autres sources d’époque. La justice démontrait ainsi qu’«une telle ignorance du prévenu Ehlers est, en effet, difficilement admissible — malgré le secret gardé officiellement en ce qui concerne les mesures d’extermination à Auschwitz». La lecture judiciaire y découvrait, quant à elle, un «camouflage cousu de fil blanc».
Un «camouflage cousu de fil blanc»
Contre toute vraisemblance, le prévenu Ehlers avait construit sa défense sur l’argument de la «mise au travail des Juifs». Selon cette défense impossible, il aurait «demandé à Eichmann lors d’une visite à Bruxelles» — aux environs du 1er juillet 1942 probablement — «et parce qu’au début, il avait des inquiétudes à ce sujet — si les Juifs étaient mis à mort à l’Est». «Eichmann, note la décision judiciaire, aurait catégoriquement nié cela et déclaré : les Juifs de l’Ouest sont traités différemment des Juifs de l’Est11». Le responsable de l’«évacuation des Juifs» à l’Office Central de la Sécurité du Reich aurait, dans cette version, expliqué que «suite à la situation de la guerre qui s’était empirée, il est nécessaire que toutes les forces disponibles, donc également les Juifs, soient intégrées au travail». Le tribunal estime cette réponse plausible. A l’époque des faits, les Juifs étaient, en effet, — du moins officiellement — déportés à l’Est en vue de l’«Arbeiteinsatz». La décision de juger Ehlers examine les indications dont disposait l’officier S.S. pour s’apercevoir que «le but des déportations juives n’était pas “la mise au travail à l’Est”. Leur but était bien plus, constate le tribunal allemand, de vider l’Europe des Juifs et d’anéantir les Juifs, comme Hitler l’a déclaré à nouveau publiquement, après la conférence de Wannsee du 20 janvier 194212».
Cette lecture judiciaire ne s’attarde pas aux prophéties hitlériennes. La question mérite pourtant d’être envisagée en relation avec cette prétendue «mise au travail». Car enfin, la situation ne manque pas d’être paradoxale. Pendant que les fidèles S.S. acheminaient les très officiels «prestataires de travail» vers le lieu secret de leur massacre, leur Führer ne cessait de proclamer sa détermination meurtrière en public. Hitler se justifiait par l’argument de la belligérance juive. Ce leitmotiv de la propagande nazie datait du discours prononcé le 30 janvier 1939 au sixième anniversaire de son avènement. Il y avait dénoncé la responsabilité de la «finance juive internationale […] dans la guerre mondiale» à venir et il avait prophétisé, sept mois avant l’invasion de la Pologne, que si la guerre s’étendait au monde, l’issue en serait bel et bien «l’extermination de la race juive en Europe13». Le génocide annoncé à cette date n’était pas plus inscrit dans les plans hitlériens que cette «guerre mondiale» redoutée14. Il relevait du discours alternatif de Hitler sur «la bolchevisation de l’Europe et une victoire du judaïsme». En 1941, les préparatifs de la guerre idéologique d’extermination contre l’U.R.S.S. mirent à l’ordre du jour, non pas encore «l’extermination de la race juive en Europe», mais celle du «judéo-bolchévisme». Ce pas franchi, Hitler, contraint à une guerre décidément mondiale, répéta, dès 1942 à chaque solennité du IIIe Reich, sa prophétie désormais fameuse de 1939. Pour les besoins de son propos, le Führer la postdatait du début de cette guerre mondiale qu’il avait espéré circonscrire à la campagne de Pologne. Les variations du thème apocalyptique sont plus significatives. Le 8 novembre 1942 — à l’anniversaire du coup d’état avorté de 1923 — Hitler rappelait qu’«on s’est toujours moqué de […] en tant que prophète» et, prophète moqué, il se donnait la satisfaction d’évoquer à mots couverts l’ampleur du massacre en cours. «De tous ceux qui riaient alors» — il s’agissait des Juifs allemands dans son discours de janvier 1939 —, «innombrables sont ceux qui ne rient plus aujourd’hui et ceux qui rient encore ne le feront peut-être plus dans quelque temps», annonçait-il nullement prophétique désormais15. Ces proclamations publiques de l’extermination en cours procèdent toutefois autant que la prophétie de 1939 des nécessités de la pédagogie nazie. Comme le recommandait le chef du service de presse du Reich et du parti après la défaite de Stalingrad, «on peut se référer à la parole du Führer16». C’est qu’«en relevant la ferme intention du judaïsme d’exterminer tous les Allemands, on fortifiera la volonté d’affirmation de soi-même», enseignait Otto Dietrich. Dans ce discours nazi sur la guerre, la déportation juive n’intervenait pas comme une leçon de choses. La belligérance juive légitimait «le procédé assez barbare» utilisé dans les camps d’extermination du Gouvernement général en Pologne, seulement dans le secret du journal du maître de la propagande du IIIe Reich. «On exécute à l’endroit des Juifs un jugement qui est certes barbare, mais qu’ils ont largement mérité», lui confiait Goebbels, le 27 mars 1942. Il y constatait que «la prophétie du Führer sur leur responsabilité dans le déclenchement d’une nouvelle guerre mondiale se concrétise de la manière la plus brutale». Et ce dirigeant de l’Allemagne nazie d’estimer que «dans ce genre d’affaires, il ne faut pas se laisser dominer par la sensiblerie. C’est un combat de vie ou de mort entre la race aryenne et le virus juif». L’homme d’Etat — l’un des proches de Hitler — découvrait dans cette guerre dont la responsabilité était imputée aux Juifs le moyen d’en finir avec eux. «Heureusement, poursuivait Goebbels, nous disposons, en ces temps de guerre, de toute une gamme de possibilités qui nous seraient inacessibles en temps de paix. Nous devons en profiter17». Cela noté dans le journal personnel du ministre de la propagande du IIIe Reich, la presse nazie ne présentait jamais le refoulement des Juifs «vers l’Est» comme une mesure préventive à l’encontre de «représentants d’une minorité belligerante ennemie18».
Tout au plus — dans des conditions politiques bien spécifiques —, les «menées antiallemandes» imputées aux Juifs servaient-elles à amortir l’impact psychologique prévisible de l’action antijuive projetée. L’argument, destiné à abuser une population par trop rétive, se retournait contre ses propres auteurs. Dans un quiproquo qui serait comique s’il ne s’agissait pas d’une tragédie sanglante, c’est les services allemands qu’il abusait. Au Danemark, le plénipotentiaire du Reich Werner von Best — il avait auparavant dirigé l’administration militaire en France — s’empressa dans un télégramme secret de lever le malentendu. «S’il est vrai, expliqua-t-il, qu’il a été publié le 2-10-1943 à Copenhague la nouvelle que les Juifs auraient soutenu matériellement et moralement le sabotage, aucun élément concret ne le prouve, et, concluait son télégramme, ce n’est là qu’un prétexte pour justifier les déportations de Juifs19». Il s’était agi de laisser croire aux Danois nullement dupes que la grande rafle des Juifs du pays dans la nuit suivante procédait de la sécurité militaire, et non d’une action antijuive. L’autorité allemande recourant à l’argument du «sabotage» n’avait pas en l’occurrence manqué d’imagination. La «thèse non négligeable», à en croire l’historien allemand Ernest Nolte, «selon laquelle Hitler aurait eu le droit de traiter les Juifs comme des prisonniers de guerre, c’est-à-dire les interner» n’est pas d’époque20.
Les ressortissants juifs des «pays ennemis» de l’Allemagne donnaient déjà assez de soucis au ministère des affaires étrangères du Reich. Par opportunité diplomatique, il lui importait — à l’encontre des «révisions» anachroniques de l’histoire — d’excepter cette catégorie de Juifs des mesures de déportation. Pour prévenir précisément toute «objection» de sa part, Eichmann lui annonçant que 90 000 Juifs de France, de Belgique et des Pays-Bas allaient être «transférés au camp d’Auschwitz pour la mise au travail», avait, le 22 juin 1942, assuré la diplomatie allemande que la mesure ne s’appliquerait pas aux «ressortissants de l’Empire britannique21, des U.S.A., du Mexique, des Etats ennemis de l’Amérique centrale et du Sud comme des Etats neutres et alliés22». L’«évacuation des Juifs» ne s’inscrivait officiellement pas dans des considérations de politique ou d’idéologie. Elle était présentée sous le couvert du «travail obligatoire» imposé aux populations des territoires occupés. La «convention de langage» à usage extérieur exigeait qu’on parlât de leur «mise au travail». Au président français Laval qui, pour sa part, souhaitait, dans ses réponses aux diplomates étrangers, «éviter une divergence sur les renseignements donnés par» les services allemands en France, il était recommandé de «communique[r] […] que les Juifs […] sont transportés pour être employés au travail dans le Gouvernement Général» en Pologne23. Les instructions d’Eichmann aux chargés des affaires juives de Paris, Bruxelles et La Haye réunis en conférence le 11 juin spécifiaient même que «la condition essentielle est que les Juifs [des deux sexes] soient âgés de 16 à 40 ans». Mais, dévoilant déjà le camouflage, l’officier supérieur S.S. avait introduit une dérogation, à savoir, notait son agent à Paris, que «10 % des Juifs inaptes au travail pourront être compris dans ces convois24». Très vite, la mise en route des trains de la «solution finale» renversa les proportions.
La présence massive d’enfants et de vieillards dans les convois démentait le camouflage par trop grossier de la «mise au travail». Ces enfants «ne portent certainement», écrivait le secrétaire général du ministère de la justice à l’administration d’occupation en Belgique, «aucune responsabilité dans les événements actuels25». La haute administration belge s’apercevait, encore que tardivement, que «l’humanité la plus élémentaire prescrit de veiller» sur eux. La formation du vingtième convoi motivait cette démarche officielle. Le transport du 19 avril 1943 — il a décidément retenu de toutes parts l’attention des autorités de l’époque — projetait une caricature grotesque de la «mise au travail». Les 1 631 déportés présents dans le train, au départ du camp de Malines, ne comportaient pas moins de 242 enfants. Parmi eux, le plus jeune «prestataire de travail» juif de toute la déportation raciale, Suzanne Kaminsky, née … 39 jours plus tôt. La présence des vieillards dans le convoi démontait tout autant le motif officiel de leur déportation26. Les plus âgés, constatait le porte-parole des secrétaires généraux belges, «ne peuvent de toute évidence être utilisés en vue du travail27». Il y avait, dans le nombre, un Jacob Blom qui aurait fêté ses 91 ans en 1943 s’il n’avait pas été amené à Auschwitz. 5 autres déportés étaient nés dans les années 1850. Au total, les déportés âgés de 60 ans et plus étaient au nombre de 241. Ils représentaient plus de 16 % du contingent déporté en avril 1943. Les enfants faisaient également 16 %28. Dans ce transport du 19 avril 1943, le tiers des déportés ne relevaient pas de cette «mise au travail» qui prétendait motiver leur départ.
Le pouvoir d’occupation inquiet de l’initiative belge s’employa à prévenir toute nouvelle intervention des autorités du pays. Dès le 30 avril, sur «demande émanant de l’administration militaire», l’officier S.S. chargé des affaires juives prenait les premières dispositions pour installer sous son contrôle des centres d’hébergement pour enfants «abandonnés» et vieillards29. Les archives disponibles ne révèlent pas, dans ce cas précis, comment les instances allemandes ont négocié cet espace — précaire — de moindre mal dans la solution finale30. En tout état de cause, dans ce territoire administré par l’armée, la police politique ne pouvait agir, même dans la question juive, sans son assentiment. Le chef de l’administration militaire, jaloux de ses prérogatives, ne manquait pas au besoin d’attirer l’attention d’Ehlers en personne — et il le lui confirmait par écrit — sur les «conséquences fâcheuses au point de vue politique» des «abus» de ses agents «contraires aux conventions antérieures», «lors de l’évacuation des Juifs31». A l’époque, cette responsabilité incombait pleinement au chef de la police de sécurité. Ehlers l’assumait face aux autres autorités allemandes et, répondant à leur attente, il donnait à ses «services […] des instructions d’avoir à mener cette action de telle manière qu’elle éveille le moins possible l’attention du public et qu’elle ne suscite pas de sympathie pour les Juifs au sein de la population32». L’installation d’hômes et d’asiles, sous le contrôle de l’officier S.S. chargé des affaires juives relevait, après le départ du vingtième convoi, de ce sens de l’opportunité dont l’administration militaire jouait avec un art consommé dans le maniement de la question juive.
Le tribunal supérieur du Schelswig-Holstein retient, quant à lui, de la correspondance du secrétaire général du ministère belge de la justice avec l’autorité d’occupation que «tout cela ne pouvait pas passer inaperçu à Ehlers qui, de son côté, avait des contacts avec l’administration militaire, justement à propos des affaires juives33». Ses allégations sur la «mise au travail» dont Eichmann l’aurait persuadées n’ont pas, quant à elles, convaincu ses juges. «Les dires d’Eichmann», constatent-ils, «étaient — malgré le secret officiel du plan concret d’anéantissement élaboré au sein de l’O[ffice] C[entral de la] S[écurité du] R[eich] — déjà notoirement faux en des points essentiels. Ils n’étaient plus qu’un camouflage cousu de fil blanc». La décision judiciaire considère qu’«il doit avoir été difficile pour Ehlers également de ne pas reconnaître ces faits». A tout le moins, il était bien plus «plausible», pour un officier S.S. de son rang en poste à l’Ouest, de considérer à l’époque des faits «que toutes les personnes à déporter n’étaient pas réellement employées au travail».
Le «plausible» de l’officier S.S.
Wilhelm Harster, ancien chef de la police de sécurité aux Pays-Bas a apporté ce témoignage. Cet officier de haut rang — il avait été général d’armée S.S. — a relaté, comme Ehlers, un entretien avec Eichmann. Dans son souvenir, il eut lieu fin 1942/début 1943 chez le Commissaire du Reich à La Haye. La version officielle de la «mise au travail» y a aussi été avancée, mais Harster, quant à lui, n’a pas prétendu — à la différence de Ehlers — qu’il avait accordé foi aux explications officielles. Le tribunal supérieur du Schleswig-Holstein est d’autant plus enclin à retenir ce témoignage qu’Harster n’avait «plus de motif de faire des déclarations fausses pour sauvegarder ses propres intérêts».
Pour tardif qu’il ait été, le procès de la déportation des Juifs des Pays-Bas devant la Cour d’Assises de Munich, en 1966/1967 a été le premier épilogue judiciaire de la solution finale en Europe occidentale34. Et, il a, malgré les procès ultérieurs, conservé ce caractère exceptionnel35. Dans l’affaire K. Lischka, H. Hagen et E. Heinrichsohn devant la cour d’Assises de Cologne en 1979/198036 — procès de la déportation des Juifs de France — comme dans l’affaire E. Ehlers, C. Canaris et K. Asche, les inculpés, jugés ou non, ont systématiquement nié avoir à l’époque des faits connu le but réel de la déportation juive. Quel que ait été leur rang dans la pyramide des chefs S.S., ils ont persisté dans cette défense invraisemblable en dépit des indices accumulés contre leurs dénégations. C’est à cet égard que le procès «hollandais» est tout à fait remarquable. Dans l’affaire W. Harster, W. Zœpf et G. Slotke, les principaux inculpés ont admis, encore pendant l’instruction du procès de Munich, ce qu’ils avaient, eux aussi, commencé par nier. Les aveux de Wilhelm Harster — ici, il faut le noter, il y a bel et bien aveu — sont les plus intéressants du point de vue historique. Ils recouvrent toute la problématique de la prise de conscience historique de l’événement en train de s’accomplir. A suivre Harster, ce général S.S. n’aurait pas été un témoin plus averti que tout un chacun en Europe occidentale. Berlin ne l’aurait pas informé de la façon dont les déportés des Pays-Bas seraient traités à l’arrivée. Mais, reconnut-il, «avec le temps […], la composition des convois rendait plausible la supposition que toutes les personnes à déporter n’étaient pas réellement employées au travail». Selon l’ancien général S.S., «il était bien plus vraisemblable que ces personnes inaptes au travail étaient transportées à l’Est pour périr plus ou moins rapidement». Dans sa déposition judiciaire, l’inculpé de Munich se fonde aussi — ce qui ne manque pas d’intérêt historique — sur «les émissions radiophoniques adverses». Selon ce témoin dont avait relevé tout l’appareil policier aux Pays-Bas, elles :
«ne cessaient d’affirmer que, à l’Est, les Juifs étaient tués en grand nombre et qu’il s’agissait non seulement des personnes provenant des territoires occupés à l’Est de l’Allemagne, mais aussi de celles de l’Ouest[…]». Harster «essaya[…] d’abord de [s]e défendre contre l’évidence qui commençait à poindre : je considérais, explique-t-il, comme plausibles les raisons d’un emploi des Juifs à l’Est pour le travail [nécessité d’entreprise de remplacement dans l’industrie menacée ou détruite en Allemagne de l’Ouest, irresponsabilité de gaspiller des trains pour des buts exclusifs d’extermination]. Après un certain temps, j’ai dû cependant me rendre compte que les Juifs envoyés à l’Est allaient, dans leur ensemble, à la mort». Pour lui, «dès le commencement des premiers transports à l’Est, le sort des Juifs était devenu […] une certitude37».
Le 15 juillet 1942 — date du premier départ «hollandais» — et dans les semaines qui suivirent, une telle «certitude» ne pouvait reposer, comme le prétend l’ancien général S.S. en aveu, sur des informations «ennemies» relatives au sort des déportés de l’Ouest. Dans son témoignage judiciaire, Harster confond en une seule séquence les temps successifs de la prise de conscience. Ce qu’apprenait, en 1942, l’écoute des radios «adverses» — en particulier, l’émission de la BBC du 2 juin —, c’était «le lâche assassinat de 700 000 Juifs en Pologne38». En Belgique, les servives d’Ehlers chargés de la répression des résistances pouvaient même en trouver la trace dans la presse clandestine. On y lisait à propos du sort des Juifs à l’Est que «par groupes entiers, ils sont supprimés par le gaz, d’autres sont abattus à la mitraillette». Les atrocités nazies à l’Est de l’Europe étaient connues depuis l’été 1941 : Radio Moscou avait alerté le monde sur les massacres perpétrés dans les zones d’opérations des Groupes d’action de la police et de la S.S. et l’écho de ce génocide était parvenu dans les pays occupés de l’Ouest39. Peu après l’arrivée d’Ehlers dans la capitale belge, Le Drapeau Rouge clandestin y diffusait la note du commissariat du peuple aux affaires étrangères sur «les atrocités nazies dans les régions soviétiques occupées». «A Kiev», révelait l’organe communiste belge parmi d’autres nouvelles non moins macabres, «un pogrome organisé par les nazis a fait 52 000 victimes. Des Juifs amenés devant une tranchée ouverte furent massacrés à la mitraillette40». Le Groupe d’action C qui opérait en Ukraine n’avait pas revendiqué autant de victimes : «à Kiev», annonçait le compte-rendu secret de la Sécurité du Reich en octobre 1941, «la totalité des Juifs furent arrêtés et les 29 et 30 septembre, 33 771 de ces Juifs furent exécutés41». L’estimation soviétique gonflait le «pogrome» nazi de Kiev, mais pour excessive qu’elle ait été, elle n’ignorait pas l’ampleur du massacre ukrainien et, pour l’époque, cette connaissance était tout à fait remarquable.
En revanche, le sort des déportés de l’Ouest resta, quant à lui, un mystère. Encore en novembre 1943, ceux qui étaient le plus concernés par l’énigme n’osaient, dans leur for intérieur, trancher définitivement «la question angoissante». Les déportés étaient souvent des parents ou des amis. «Que sont devenus ces malheureux ?», s’interrogeait un comité clandestin de défense des Juifs, à l’Ouest. Pour son organe Le Flambeau, il n’était «pas difficile de le deviner». «Le plus souvent», constatait-il, «on apprend des nouvelles tragiques : des fusillades en masse, des empoisonnement par les gaz, des attaques armées des ghettos en Pologne». Portant l’écho du génocide qui lui parvenait, l’organe de résistance juive ne s’aventurait néanmoins pas à «répondre à cette question angoissante» du sort des proches. «Personne, écrivait-il en cette fin de 1943, ne saura [y] répondre». Fraternité, l’«organe de liaison des forces françaises contre la barbarie raciste» n’avait pas, à l’été 1943, cette réticence «belge» sur «le voyage vers l’Est où 50 000 Juifs de France ont été expédiés et où la majeure partie a déjà été exterminée42». Dans la même mouvance, J’accuse dénonçait en juin «le plus abominable des crimes que l’humanité n’ait jamais connu» et avertissait que «par le feu et le fer, les bourreaux nazis achèvent l’extermination d’une population de 3 millions, en ajoutant de milliers de Juifs amenés de France, Belgique, Norvège et Hollande43». L’information restait néanmoins tout aussi instrumentale en France qu’ailleurs. «Tout ce qui paraissait incroyable» devenait, selon les nécessités de la résistance, «terriblement vrai44» ou laissait aux «déportés dans les camps-bagnes allemands» un espace de vie pour «continue[r] la lutte [et] accélére[r] la fin de l’hitlérisme par le sabotage45».
Selon les nécessités de la guerre, l’information était chez les Alliés, sinon «étouffée», du moins minimisée. La déclaration interalliée — cosignée par les gouvernements de Belgique et des Pays-Bas ainsi que le comité français de libération nationale — parle toujours, à la fin de 1942, de «plusieurs centaines de milliers d’hommes innocents, de femmes et d’enfants», chiffre de victimes déjà divulgué en juin par le gouvernement polonais46. Le document dénonce tout autant le «gigantesque abattoir» qu’est devenu la Pologne occupée et «l’épuisement» des «plus robustes» aux «travaux forcés dans les camps, tandis que les plus faibles meurent de faim ou sont simplement massacrés». Mais les gouvernements constatent que «jamais, on n’a pu obtenir de renseignements sur les déportés». Leur condamnation publique de la «politique d’extermination» hitlérienne se fonde sur le seul «dessein plusieurs fois exprimé par Hitler d’exterminer le peuple juif d’Europe». Pourtant, cette déclaration du 17 décembre 1942 se référait à «de multiples informations parvenues de différentes sources européennes». Les Soviétiques, signataires du document, abandonnèrent la réserve diplomatique dans leur émission en direction de l’Europe occidentale. Radio Moscou reprenant la note du commissariat des affaires étrangères sur le traitement odieux des populations juives d’Europe fit état dans le détail, une semaine plus tard, des «données du congrès juif d’Amérique et […] renseignements fournis par le gouvernement polonais». Le texte de l’émission du 24 décembre, retranscrit dans l’organe clandestin Radio Moscou, circula dans le ressort territorial de Ernst Ehlers, alors major S.S.. Ce qui y était divulgué, c’était rien moins que le «plan d’extermination totale» qui, signalait le journal clandestin, «prévoit la concentration de 4 millions de Juifs d’Europe, surtout en Pologne». Les informations diffusées précisaient qu’«on fusille les Juifs en masse. On les soumet à l’électrocution[…]47. On les extermine par les gaz et, dans les camps de concentration, par l’acide prussique48». Pour qui était disposé à l’apprendre, rien n’était ignoré à l’Ouest de l’Europe pendant le génocide en cours à l’Est, pas même le nom du gaz employé dans les chambres de mort d’Auschwitz.
Quoique l’information sur les crimes du IIIe Reich ne constituât pas un thème majeur de la propagande hostile à l’Allemagne nazie, la rumeur du génocide préoccupait ses services compétents. «En rapport avec le développement des travaux sur la solution finale de la question juive», avertissait la chancellerie du parti, le 9 octobre 1942, «la population de diverses regions du territoire du Reich se livre ces derniers temps à des discussions sur “les mesures très sévères” contre les Juifs, en particulier dans les régions de l’Est49». Des antifascistes cherchaient à provoquer ces débats. Le journal du médecin S.S. d’Auschwitz en témoigne pour sa part. Moins de quatre mois après son retour à Munster, le professeur Kremer prend connaissance chez son cordonnier d’«un tract du parti socialiste d’Allemagne» qui avait été adressé à ce dernier. De cette lecture, «il ressortait», écrit l’ancien S.S. du «camp de l’extermination», «que nous avions déjà liquidé 2 millions de juifs par balle ou par gaz50». Kremer l’a noté sans faire la moindre référence à son expérience d’Auschwitz. D’autres membres «de diverses formations engagées à l’Est» n’avaient pas, quant à eux, la discrétion du professeur de l’Université de Munster. «Il fut constaté», selon la chancellerie du parti, «que de tels exposés — déformés et exagérés dans la plupart des cas — provenaient de permissionnaires de diverses formations engagées à l’Est et qui avaient eu eux-mêmes l’occasion d’observer de telles mesures51».
Loin de dénoncer ces rumeurs comme un ignoble et scandaleux mensonge proféré par des adversaires fanatiques, les autorités nazies ne les démentaient pas. «Il ne s’agit pas d’une supercherie juive», annonçait bien volontiers l’organe par excellence de l’antisémitisme hitlérien. Le Stürmer se référait aux révélations suisses de L’Hebdomadaire Israëlite et confirmait qu’«il est effectivement vrai que les Juifs ont “pour ainsi dire” disparu d’Europe et que “le réservoir juif de l’Est” d’où l’épidémie juive se répandait depuis des centaines d’années sur les peuples européens a cessé d’exister52». «L’extermination de la race juive en Europe» n’était pas l’«affaire secrète du Reich» des archives nazies. C’était un leitmotiv des grands discours commémoratifs du Führer et l’on pouvait s’y référer pour comprendre la nécessité des «mesures très sévères» contre les Juifs. Ce qui n’était pas à dévoiler, c’était les moyens d’y parvenir. Face aux «rumeurs qui souvent prennent un caractère tendancieux», le parti autorisait, dans ses instructions d’octobre 1942, à exposer qu’«il est dans la nature des choses que ces problèmes, qui sont en partie très difficiles, ne peuvent être résolus dans l’intérêt de la sécurité définitive de notre peuple qu’avec une dureté sans ménagement». On pouvait savoir que «les Juifs […] transportés de façon courante à l’Est […] sont soit affectés au travail, soit emmenés plus loin à l’Est53». Eichmann ne disait rien d’autre à ses interlocuteurs S.S. à propos de la déportation des Juifs de l’Ouest, mais ses explications avaient, pour un officier S.S. aussi averti qu’Ehlers, une résonnance particulière. La référence à cet «Est» lointain était, dans son cas, par trop explicite.
1. E. EHLERS, «Inexactitudes», dans Flensburg I, le 29 mai 1975, ibidem, p. 103.
2. En Belgique, 75 Allemands furent condamnés pour crimes de guerre dont 10 à mort. Aux Pays-Bas, autre petit pays, ils furent 204 dont 19 à mort. En France, 2 107 dont 104 à mort, selon A. RUCKERL, Die Strafverfolgung von NS-Verbrechen 1945-1978. Eine dokumentation, p. 30 et p. 32.
3. Royaume de Belgique, ministère de la justice, commission des crimes de guerre, Les crimes de guerres commis sous l’occupation de la Belgique, 1940-1945, La persécution antisémitique en Belgique , Liège 1947, p. 39-40.
4. Breendonck était un camp de la police de sécurité établi à mi-chemin entre Bruxelles et Anvers. L’expression «enfer de Breendonck» est reprise aux critiques de l’administration militaire sur la gestion du camp. Voir CDJC CDXC-3, Compte rendu de l’entretien entre le chef de l’administration militaire Reeder et le major S.S. Canaris, le 17 septembre 1941, daté du 22 septembre 1941, p. 2. Voir M. STEINBERG, L’Etoile et le Fusil, 1942, les cent jours de la déportation des Juifs de Belgique, p. 53-56.
5. Voir le point des «obstacles à la procédure» dans la décision de juger, dans M. STEINBERG, Dossier Bruxelles-Auschwitz , p. 188-189.
6. La persécution antisémitique en Belgique , p. 34.
7. Ibidem, p. 41.
8. voir dans M. STEINBERG, Dossier Bruxelles-Auschwitz , p. 188. Un quatrième ancien officier S.S., Karl Fielitz qui avait dirigé l’antenne anversoise de la police de sécurité était accusé dans cette affaire Ehlers. La décision de juger le disculpe.
9. Voir A. RUCKERL, Die Strafverfolgung von NS-Verbrechen 1945-1978. Eine dokumentation, Karlsruhe, 1979. L’auteur Adalbert Rückerl, procureur général, était alors le directeur du Centre des administrations judiciaires concernant les crimes nazis, à Ludwigsburg.
10. dans M. STEINBERG, Dossier Bruxelles-Auschwitz, p. 203-204.
11. Ibidem, p. 197.
12. Ibidem, p. 198.
13. cité d’après L. POLIAKOV, Bréviaire de la haine. Le IIIe Reich et les Juifs, Paris, 1953, p. 35.
14. Sur l’interprétation du discours du 30 janvier 1939, voir M.R. MARRUS, «The History of the Holocaust : a survey of recent literatur», dans Journal of Modern History, 59, mars 1987, p. 121.
15. Voir l’analyse du discours «prophétique» du Führer, chez L.S. DAWIDOWICZ, The War against the Jews, London, 1975, p. 110-111. Voir aussi J. BILLIG, La Solution finale de la question juive, essai sur ses principes dans le IIIe Reich et en France sous l’occupation , Paris, 1977, p. 53.
16. Directive de Otto Dietrich, chef du service de press du Reich et du parti, datée du 5 février 1943, citée d’après J. BILLIG, ibidem, p. 81.
17. Le journal du Dr. Goebbels, Paris, 1949, p. 246.
18. voir «Interview de Robert Faurisson», dans Storia illustrata, août 1979, n° 261, réédition La Vieille Taupe, p. 15-17. Bien qu’il ne soit «pas un spécialiste de ces questions», Faurisson n’explique pas moins toutes les mesures prises à l’encontre des Juifs en Europe par des «raisons de sécurité». Le discours «révisionniste» sur l’histoire de cette période consiste à prétendre qu’«Hitler a traité les civils juifs comme les représentants d’une minorité belligerante ennemi». «En bonne logique guerrière», selon cette lecture, «Hitler aurait été conduit à interner tous les Juifs tombés sous sa coupe. Il est très loin de l’avoir fait, non sans doute pour des raisons humanitaires mais pour des motifs d’ordre pratique».(p. 16-17). Tout autant Faurisson affirme que «jamais Hitler n’a ordonné, ni admis que quiconque fût tué en raison de sa race ou de sa religion». Sans doute, ce «révisionnisme» concède-t-il qu’il «connaî[t] mal Hitler», mais il saisit assez le discours hitlérien sur «l’extermination de la race juive en Europe» pour y lire un témoignage d’époque sur «la guerre inexpiable» qu’«il y a eu entre Hitler et les Juifs». «Il est évident», au regard de Faurisson, «que chacun renvoie sur l’autre la responsabilité de ce conflit» (p. 15).
19. Doc. NG-5092 CXXVII-57, télégramme signé : Dr. Best, Copenhague, le 18 octobre 1943, cité d’après J. SABILLE, «Comment furent sauvés les Juifs du Danemark», dans Mémoire du Génocide, p. 172.
20. Voir E. NOLTE, «Légende historique ou révisionnisme. Comment voit-on le IIIe en 1980 ?», dans Devant l’Histoire, Les documents de la controverse sur la singularité de l’extermination des Juifs par le régime nazi, p. 15. L’argument de la bélligérance fondé sur une déclaration de Chaïm Weizmann de septembre 1939 constitue le seul apport du «révisionnisme» aux débats autrement sérieux qui agitent cette fois les historiens du nazisme et de la solution finale. L’historien allemand Ernst Nolte l’a découverte dans les écrits «révisionnistes». Il se «reproche de l’avoir ignoré[e] […] bien qu’elle soit de nature à étayer [cette] thèse, non négligeable», selon lui.
21. Sur le statut des Juifs palestiniens, ressortissants britannique, voir à propos de l’«échange germano-palestinien», dans M. STEINBERG, L’Etoile et le Fusil, La Traque des Juifs, 1942-1944, t. III, vol, I, p. 183-189.
22. Voir doc. EG-183, Le chef de la police de sécurité et du service de sécurité, IV B 4 a, au Ministère des Affaires Etrangères, conseiller de légation Rademacher, Berlin, le 22 juin 1941, dans S. KLARSFELD et M. STEINBERG, Dokumente. Die Endlösung der Judenfrage in Belgien, p. 28-29.
23. Le chef supérieur de la S.S. et de la police, note de procès-verbal, objet : convention de langage au sujet de la déportation à l’Est des Juifs de zone non-occupée, Paris, le 4 septembre 1942, reproduit dans D. PESCHANSKI, Que savait Vichy ? dans S. COURTOIS et A. RAYSKI, Qui savait quoi ? L’extermination des Juifs 1941-1945, Paris, 1987. p. 64. Peschanski cite ce document pour conclure qu’à tout le moins, «Laval n’a pas voulu savoir». Son analyse de l’attitude de chef du gouvernement français est très fine : «la volonté d’exclure les Juifs étrangers, quitte à les livrer aux Allemands si ces derniers le demandent, surdétermine l’occultation dès lors nécessaire de toute interrogation sur le sort des victimes» (p. 62).
24. CDJC XXVI-29, IV J - SA 24, Paris, le 15 juin 1942, concerne : prochains transports de Juifs de France, signé : Dannecker, capitaine S.S., reproduit dans S. KLARSFELD et M. STEINBERG, Dokumente, Die Endlösung der Judenfrage in Belgien, p. 25-26.
25. Procès von Falkenhausen — P 2412. Ministère de la Justice, Gaston Schuind, secrétaire général au conseiller général Thedick, Bruxelles, le 14 avril 1943.
26. Voir M. STEINBERG, L’Etoile et le Fusil, 1942, les cent jours de la déportation des Juifs de Belgique, t. II, p. 68.
27. Procès von Falkenhausen — P 2413. Ministère de la Justice, Gaston Schuind, secrétaire général au conseiller général Thedick, Bruxelles, le 14 avril 1943.
28. La proportion des enfants était plus élévée dans les convois de 1942 : 22,29 %.
29. Voir sur cette problématique, M. STEINBERG, L’Etoile et le Fusil, La Traque des Juifs, t. III, vol. 2, p. 229-233.
30. Dans les territoires administrés par l’armée — la France et la Belgique —, les homes d’enfants et asiles de vieillards juifs constituaient, en 1943, un ersatz de la «protection» des citoyens d’origine juive arrivée à son terme. Il n’y a dans ces modalités de la solution finale aucun «étrange phénomène à concilier avec une prétendue politique d’extermination», pour reprendre en un autre sens l’expression de R.Faurisson. La démarche «révisionniste» est si étrangère à toute compréhension historique que dans sa Réponse à Pierre Vidal-Naquet, p. 30, il n’a pu saisir pourquoi les ravages de la solution finale dans la population juive de France s’élèvent seulement à 20 ou 25 %. Dans sa lecture abusive, il n’hésite pas à conclure «que les trois quarts des Juifs établis […] en France n’ont pas été déportés». A moins de considérer, d’un point de vue xénophobe, sinon antisémite, que les Juifs, quelle que soit leur nationalité, sont toujours des étrangers, ceux qui s’étaient «établis» dans la France d’avant 1940 – c’est-à-dire les immigrés et les réfugiés du Grand Reich Allemand arrivés à la veille de la guerre - ont été déportés dans une plus grande proportion que les citoyens français d’origine juive. Chez ces derniers, le rapport est d’un à six ou sept. La proportion des Juifs étrangers déportés s’élève à près d’un sur deux. Selon les chiffres publiés par J. Billig, Le Commissariat Général aux Questions Juives 1941-1944 , Paris, 1957, t. II, p. 209 et S. KLARSFELD, Le Mémorial de la déportation des Juifs de France, sur les 259 717 Juifs dont la nationalité est établie, il y avait 145 008 citoyens français, soit 55, 8 %. Sur les 75 721 déportés juifs, les Français seraient approximativement 24 000, soit 16, 5 %. En Belgique, où la structure socioculturelle de la population juive est toute différente — 94 % d’étrangers —, ces derniers ont été aussi vulnérables qu’en Belgique.(voir les conclusions de M. STEINBERG, L’Etoile et le Fusil, La Traque des Juifs, 1942-1944, t. III, vol. II, p. 250-251). Les Juifs des Pays-Bas ont été les plus vulnérables : 80 % ont été déportés, mais dans ce territoire placée sous une administration civile, les citoyens juifs - les trois quarts de la population juive-n’ont pas été immunisés en 1942.(voir à ce sujet la fort intéressante mise en perspective ouest-européenne de J.C.H. BLOM, De vervolging van de joden in Nederland in internationaal vergelijkend perspectief, dans De Gids, n° 6/7, 1987, p. 494 à 507).
31. Procès von Falkenhausen P 2395. Le chef de l’administration militaire au délégué du chef de la police de sécurité, Bruxelles, le 30 septembre 1942, objet : évacuation des Juifs, réf. entretien avec le major Ehlers en date du 25 septembre 1942, signé : Reeder.
32. Procès von Falkenhausen P 2393. Administration militaire, groupe politique/pol aux Ober et Feldkommandanturen, le 25 septembre 1942.
33. M. STEINBERG, Dossier Bruxelles-Auschwitz , p. 199.
34. Voir R.M.W. KEMPNER, Edith Stein und Anne Frank, Zwei von Hunderttausend. Die Enthüllungen über die NS-Verbrechen in Holland vor des Schwurgericht in München, Freiburg/Brelsgau, 1968.
35. J. Billig a souligné, en 1968, combien «les aveux de Harster et de Zœpf, la demande de pardon qu’ils ont adressée rétroactivement à leurs victimes constituent un des traits exceptionnels de ce procès». Voir J. BILLIG, «La solution finale de la question juive en Hollande, Robert Kempner sur Edith Stein et Anne Frank», dans Le Monde juif, n° 52, 1968.
36. S. KLARSFELD, Le Procès de Cologne, additif au Mémorial de la déportation des Juifs de France, (sl.,sd) et Le verdict du procès de Cologne, texte présenté par Serge Klarsfeld, dans Le Monde Juif, n° 101, 1981.
37. J[oseph]. B[ILLIG] : «Quelques réflexions sur les déclarations fondamentales des accusés», dans Mémoire du Génocide, p. 441-442.
38. De Vrijschuter (Le Franc-Tireur), 2eme année, n° 8 [août 1942]
39. Voir le chapitre «La rumeur du génocide» dans M. STEINBERG, L’Etoile et le Fusil, La Traque des Juifs, t. III, vol. 1, p. 229-263.
40. Les atrocités nazies dans les régions occupées soviétiques occupées, dans Le Drapeau Rouge, n° 3, février 1942.
41. Doc. Nuremberg R 102, compte rendu n° 6 sur l’activité et la situation des Groupes d’action de la Police de Sécurité et du Service de Sécurité en U.R.S.S., du 1er au 31 octobre 1941, dans H. MONNERAY, La persécution des Juifs dans les pays de l’Est, p. 298.
42. Fraternité, n° 8, juillet 1943 cité dans Qui savait quoi ? L’extermination des Juifs 1941-1945, p. 196.
43. J’accuse, 14, juin 1943, ibidem, p. 192.
44. J’accuse, 16, 26 juin 1943, ibidem, p. 194.
45. Notre parole, mars 1943, ibidem p. 178. Analysant, avec la publication de ces textes d’époque, ce qu’il appelle «une stratégie de l’information», S.Courtois, pourtant un spécialiste du communisme n’a pas saisi combien elle était en réalité, une stratégie de la mobilisation. L’historien évacue cette problématique du criblage de l’information sous prétexte qu’«il est évidemment impossible de déterminer l’impact exact de cette presse clandestine» communiste juive (p. 14). La simple critique des seuls documents publiés révèle déjà combien leurs auteurs ne parvenaient pas à se persuader de la réalité du génocide en cours qu’ils dénonçaient. La question demeure ouverte de déterminer jusqu’à quel point «les milieux juifs […] prennent alors conscience que la persécution antisémite vise désormais à leur destruction», comme l’écrivent encore S. COURTOIS, D. PESCHANSKI et A. RAYSKI, dans Le sang de l’étranger, les immigrés de la M.O.I. dans la Résistance, Fayard, Paris, 1989, p. 159.
46. Voir à ce sujet W. LAQUEUR, Le terrifiant secret, la «solution finale» et l’information étoufée, Paris, 1981, notamment p. 266-276. Egalement R. POZNANSKI, «Qui savait quoi dans le monde ?», dans S. COURTOIS et A. RAYSKI, op. cit., p. 37.
47. L’information sur ce point était fausse. La rumeur du génocide charriait aussi nombre d’erreurs, tels «les wagons pleins de chaux vive». Il est regrettable de les retrouver sous la plume d’un historien définissant la question qu’il pose. Voir S. COURTOIS et A. RAYSKI, ibidem, p. 7. Cet ouvrage collectif porte malheureusement la marque de la précipitation. Toutes les communications ne traitent pas avec une égale rigueur critique la problématique de la conscience historique.
48. Radio Moscou, 27 décembre 1942, voir la traduction du passage principal en allemand dans S. KLARSFELD et M. STEINBERG, Dokumente, Die Endlösung der Judenfrage in Belgien, p. 57.
49. Doc. Nuremberg PS 3244. Mesures préparatoires pour la solution du problème juif en Europe, rumeurs au sujet de la situation des Juifs à l’Est, 9 octobre 1942, extrait des Ordonnances, réglements et avis de la chancellerie du parti national-socialiste, volume II, reproduit dans H. MONNERAY, op. cit., p. 91-92.
50. Journal de Kremer , le 1er mars 1943, p. 250-251
51. Voir dans H. MONNERAY, op. cit., p. 91-92.
52. «Le nouvel ordre juif. Ce que les Juifs exigent pour eux-mêmes», dans Stürmer, 4 novembre 1943.
53. Voir dans H. MONNERAY, op. cit., p. 91-92.