Maxime Steinberg
Les yeux du témoin
et le regard du borgneL’Histoire face au révisionnisme
«L’histoire à vif». Les Éditions du Cerf, Paris 1990. ISBN 2-204-04107-6.
© Les Éditions du Cerf 1990, Maxime Steinberg 2009.
Chapitre 7
Le chiffre du secret
- Le «traitement special» d’Auschwitz
- Les chiffres du camouflage
- La confusion des morts
- Les morts de l’«extermination»
Le «traitement special» d’Auschwitz
Le dévoilement des «actions spéciales» mentionnées dans le journal du médecin S.S. d’Auschwitz n’est pas immédiatement praticable. Les archives d’Auschwitz relatives à sa période au camp ne renseignent pas le nombre des Juifs qui «sont allés au service du travail» et celui des «hommes» et des «femmes et enfants» qui «ont été traités spécialement» à l’arrivée des transports d’Europe occidentale1. On ne dispose pas de «message téléphoné» du lieutenant S.S. Heinrich Schwarz : c’est lui qui, en sa fonction de chef de la section «mise au travail» III-a, communiquait ces données statistiques à la centrale des camps de concentration à Orianenburg. La centrale qui autorisait «le transport […] des produits nécessaires pour le traitement spéc[…]» saisissait le sens exact de la comptabilité «spéciale» du lieutenant d’Auschwitz. L’administration du camp, pour sa part, se perdait en acrobatie statistique quand le traitement spécial s’appliquait, non plus aux déportés jugés inaptes au travail et non immatriculés, mais à des détenus dûment enregistrés. L’état des effectifs de Birkenau relevé journellement les avait comptabilisés dans les «entrées». Il fallait donc désormais les décompter comme autant de «sorties», mais sans dévoiler le secret. Dans ce tour de passe-passe, le «t[raitement] s[pécial]» qui n’était ni une «mort naturelle», ni «un transfert», ni une «libération» diminuait au même titre que ces «sorties»-là l’effectif des internés2.
Le «traitement spécial» imposa le même exercice d’escamotage au très savant inspecteur de la statistique de la S.S., Richard Korherr. Son rapport statistique portait sur la solution finale de la question juive en Europe au 31 décembre 1942. Himmler l’avait commandé à l’intention du Führer. A la réflexion, le Reichsführer S.S. n’y apprécia pas la référence par trop explicite au «traitement spécial». Son chef d’état-major, R. Brandt avertit le statisticien du désir d’Himmler «que dans aucun passage, il ne soit question de traitement spécial des Juifs», en allemand «Sonderbehandlung». Il avait «interdit d’employer une autre formulation» que «transportation des Juifs des provinces de l’Est dans l’Est russe3». Ses spécialistes de la solution finale utilisaient les deux formules indifféremment. Dans ses autorisations de voyage d’Auschwitz à Dessau pour prendre livraison du gaz Cyclone B, Orianenburg parlait du matériel indispensable tantôt à l’une, tantôt à l’autre. Code de camouflage, le «Sonderbehandlung» est la clef de lecture du document Korherr comme la «Sonderaktion» l’est du document Kremer. Tout autant, un Faurisson «comprend fort bien que Himmler, au reçu du travail de son statisticien Korherr, ait fait dire à ce dernier que […] il devait remplacer le mot de “Sonderbehandlung” par celui de “Transportierung”». C’est que, selon cette lecture «révisionniste», «Sonderbehandlung» pouvait éventuellement signifier «à exécuter4». A l’estime de Faurisson, cette définition ne serait pas appropriée5 : dans sa lecture des sources documentaires de la solution finale, «l’expression la plus adéquate serait “à isoler”6».
Dans la correspondance d’Himmler relative à la solution finale, la lecture du «traitement spécial» dans le sens d’«exécuter» n’a nullement un caractère exceptionnel et incertain. Dans une seule lettre — celle où le Gauleiter du Wartheland lui demandait le 1er mai 1942 l’autorisation d’utiliser le «commando spécial» de Chelmno pour assassiner 35 000 tuberculeux polonais — l’éventualité du sens macabre du «Sonderbehandlung» appliqué aux Juifs ne se répéte pas moins de 100 000 fois dans son seul district7. A force d’être utilisé, le cryptogramme était usé. A la réflexion, Himmler jugea que le «traitement spécial» était un mauvais camouflage. Avant d’imposer sa censure au document Korherr sur ce point précis, le Reichsführer S.S. avait, d’emblée, considéré tout le travail de son statisticien «comme très bon, en tant que documentation éventuellement pour les temps futurs, à savoir dans le but de camouflage». Il ne devait toutefois, «ni être publié, ni communiqué». «Pour moi, ajoutait-il, l’essentiel reste toujours que les Juifs soient emmenés à l’Est dans toute la mesure de l’humainement possible8». Son état-major comprenait que cet «humainement possible» mesurait le zêle de ses services.
Les chiffres du camouflage
Le rapport statistique avait présenté au Reichsführer S.S. un aperçu partiel de «l’évacuation des territoires russes, y compris les anciens Pays Baltes depuis le début de la campagne de l’Est» : 633 300 Juifs selon les «indications» de la Sécurité du Reich communiquées à Korherr. Ce chiffre était en deça de la réalité. Korherr ne l’ignorait pas. Ses conclusions sur «la décroissance du judaïsme en Europe» avertissent que son calcul «n’englobe que partiellement les décès des Juifs dans les régions occupées de l’Est, tandis que les décès dans le restant de la Russie et dans la zone du front n’y sont pas compris du tout». Korherr ne disposait évidemment pas des données statistiques relatives aux «émigrations des Juifs soit en Russie vers sa partie asiatique, soit dans les pays d’Europe non soumis à l’influence allemande vers l’outre-mer». Néanmoins, en l’absence de ces chiffres, le statisticien du Reichsführer S.S. était capable de calculer l’état d’avancement de la solution finale. La prouesse tenait moins à ses aptitudes mathématiques qu’à son «bon» talent de «camouflage». Dans une formule contournée, Korherr concluait que «le judaïsme a perdu à peu près la moitié de ses effectifs. A peu près la moitié de cette perte, c’est-à-dire un quart de la population juive totale de 1937 a probablement afflué dans les autres continents». Le conclusion restait silencieuse sur ce qui était advenu de l’autre moitié. Au lecteur averti des impératifs du «camouflage» de calculer la «perte» d’après les chiffres du rapport. A cette date, elle s’élevait à plus de 2 millions comptabilisés — et, ce sans avoir émigré en dehors de l’Europe nazie — comme diminuant d’autant les effectifs du judaïsme européen. Dans cette prestidigitation statistique, le «total de l’évacuation (y compris […9] le traitement spécial)» était compté pour 1 786 356. Les 633 300 «évacués» des territoires soviétiques occupés s’ajoutant, le total de la «perte» passe à plus de 2 400 000 Juifs à la date du 31 décembre 1942.
La rumeur du génocide en cours situait alors son ampleur en deçà de la statistique S.S.. Le 1er mars 1943, le tract antifasciste dont le journal de Kremer conserve la trace lui apprit que les nazis — «nous avions», écrivait-il — avaient «déjà liquidé 2 millions de Juifs par balle ou par gaz10». Il n’a pas discuté le chiffre. L’expérience du témoin d’Auschwitz est limitée. Même s’il avait œuvré au plus fort de «l’évacuation» des Juifs d’Europe occidentale, la chronique personnelle de ses «actions spéciales» ne livre qu’un pâle reflet du «camp de l’extermination». Pendant son séjour à Auschwitz, la chronologie de la déportation occidentale comporte, outre les 9 convois arrivés de l’Ouest aux dates de ses «actions spéciales», 41 autres convois : 15 de France, 17 aussi des Pays-Bas et 9 de Belgique. Pour cette première année du génocide «occidental», les comptes du statisticien de la S.S. donnent 97 368 personnes pour ces trois pays11. Toutes sont inscrites au titre de «l’évacuation […] y compris le traitement spécial». Dans ses contorsions statistiques, Korherr ne comptabilisait pas «les résidants des ghettos et des camps de concentration12». Au regard de «la solution finale de la question juive européenne» et de sa statistique, tous les déportés d’Europe occidentale acheminés à Auschwitz depuis l’été ne relevaient pas de la comptabilité concentrationnaire. D’emblée, toutes ces personnes étaient comptées dans «la décroissance du judaïsme», y compris les déportés immatriculés à Auschwitz et encore en vie en décembre 1942.
Cette lecture statistique de la déportation occidentale correspondait aux vues des officiers supérieurs S.S. chargés des affaires juives en Europe : Korherr avait compilé les chiffres qu’ils lui avaient fournis. Ils n’avaient pas jugé bon de lui communiquer le décompte des déportés retenus dans le camp de concentration d’Auschwitz au titre de la «mise au travail13». A leur point de vue, il n’était pas statistiquement signifiant. Mathématiquement, leur nombre n’est pourtant pas négligeable : en moyenne, la sélection pour le travail à Auschwitz excluait du «traitement spécial» un tiers des déportés de l’Ouest14. Des 9 convois du journal de Kremer, 31 % des déportés n’avaient pas été gazés à l’arrivée. En ne communiquant pas ces données au statisticien d’Himmler, les services S.S. anticipaient sur le bilan prévisible. Dès la conférence de Wannsee, il était convenu, dans le programme de «la solution finale», «qu’une grande partie d[es Juifs valides] s’éliminera tout naturellement par son état de déficience physique» et que «le résidu qui subsisterait en fin de compte et qu’il faut considérer comme la partie la plus résistante devra être traitée en conséquence15».
A la première lecture, le bilan définitif de la déportation occidentale confirmerait l’anticipation statistique du document Korherr. La plupart des déportés de l’Ouest immatriculés à Auschwitz, également ceux qui étaient descendus à Kosel en 1942 moururent pendant leur captivité. Les survivants de la déportation sont relativement moins rares dans les convois de 1943 et de 1944. Au total, à peine 4 356 déportés raciaux survécurent, soit 2,27 % des 191 417 Juifs de France, de Belgique et des Pays-Bas qui furent «évacués» de 1942 à 1944 vers les camps réservés à la solution finale à l’Est. 40 000 environ avaient été déportés à Sobibor, 150 000 à Auschwitz qui, historiquement parlant, fut pour la plupart des déportés ouest-européens, «le camp de l’extermination16». Ce bilan macabre, si tragique fût-il, masque toutefois ce qui fait la spécifité du génocide juif dans les massacres perpétrés par les S.S.. La statistique fausse la perspective historique. Elle ne fait pas la différence, elle globalise, totalisant les morts du système concentrationnaire avec ceux de la solution finale. Et, dans cette confusion des morts, elle confond les choses.
La confusion des morts
Auschwitz, camp d’extermination pour la masse des déportés, fut aussi — comme Buchenwald ou Ravensbrück — un camp de la mort pour les internés, et l’un des plus grands, sinon le plus grand17. Tout le système concentrationnaire nazi fonctionnait sur le principe de l’«extermination par le travail18». Les forçats juifs n’en étaient les seules cibles. «Tous les internés étaient des maudits, ce qui les rapprochait de la race globalement condamnée», écrit l’historien Joseph Billig19. Quant aux concentrationnaires juifs, «immatriculés, même avec le tatouage, […] échappent donc au processus immédiat de la solution finale pour entrer dans le cycle concentrationnaire et», souligne l’historienne Olga Wormser, pour «y mourir en fin de course, de la même manière que les concentrationnaires non-juifs épuisés, mais dans la chambre à gaz au lieu de la carrière, de la balle dans la nuque ou de la mort naturelle au Revier [à l’infirmerie], bien qu’elle se produise aussi pour eux20».
La statistique comparative permet d’évaluer la part de cette mort concentrationnaire dans le génocide juif et de rendre compte en chiffres de la singularité de ce dernier dans la répression nazie. Le cas «belge» s’y prête en raison de la structure socioculturelle particulière de la population juive dans ce pays21. Le bilan de la répression nazie en Belgique occupée peut être statistiquement approché grâce aux dossiers individuels de l’administration belge des victimes de la guerre. Ses derniers chiffres datent de 1984. Ils concernent les trois principales dimensions de la répression : les «prisonniers politiques», les «déportés au travail» obligatoire et les déportés raciaux. Cette statistique s’additionne22 : le total donne 113 469 personnes arrêtées pendant l’occupation nazie. 40 690 sont mortes des suites de cette arrestation. Cette mortalité de 35,8 % varie selon les catégories répressives. Les moins vulnérables ont été les 46 755 «déportés au travail23». Il s’agissait de travailleurs obligatoires assignés à résidence dans des camps qui n’appartenaient au système concentrationnaire. Leur mortalité a été fort basse : 5,5 %. 2 592 seulement y ont perdu la vie. Le camp de la mort laisse, en revanche, une empreinte profonde sur la statistique des «politiques» : sur les 41 257 «prisonniers» incarcérés dans les prisons ou déportés dans les camps de concentration, 13 958 sont morts24. Leur mortalité s’élève à 33,8 %. Pour élevée que fût cette mortalité, deux «politiques» sur trois n’en ont pas moins survécu à la répression nazie. Avec les déportés raciaux dirigés vers un camp d’extermination, le phénomène statistique prend une toute autre allure. Ici, moins d’un déporté racial sur dix a survécu. S’ils représentaient seulement 22,4 % des habitants du pays détenus par l’occupant, ils comptent pour 59,3 % dans les décès dus à la répression nazie.
Le retournement statistique porte la marque du génocide juif. Il donne, après coup, la mesure mathématique de cette «déportation vers l’Est » dont le pouvoir d’occupation disait, à l’époque, qu’elle «est une mesure d’un autre caractère et plus sévère que le transfert habituel dans un camp de concentration25». Le poids respectif des morts au bilan final signifie, en chiffres, que l’acheminement des déportés raciaux vers Auschwitz n’a effectivement pas été un phénomène du même ordre que la déportation dans un camp de concentration, une prison ou un camp de travail du IIIe Reich. Si 16 550 détenus non juifs sur 88 012 — soit 18,8 %. — n’ont pas survécu à la captivité, les morts sont au nombre de 24 140 chez les déportés raciaux et ils y représentent les 94,7 % du total. Le génocide juif n’est pas un fait de témoignage. C’est un fait matériel, statistiquement mesurable qui se marque par un solde négatif dans la démographie du pays occupé.
Les chiffres de l’administration belge des victimes de la guerre sont les plus sûrs. Ses enquêtes administratives ont été menées à l’étranger, avec l’aide du Service International de Recherches de la Croix-Rouge, à Arolsen (en République Fédérale Allemande)26; toutes les archives «belges» de la déportation raciale et de la répression nazie ont été systématiquement dépouillées. Le service de documentation et de recherche a identifié chaque personne, constituant un dossier individuel avec copie des pièces d’archives qui la concernent. Ce travail administratif remarquable et apparemment unique en Europe occidentale27 a permis de réviser les chiffres avancés en 1947 dans le rapport sur La persécution antisémitique en Belgique de la commission des crimes de guerre près du ministère de la justice. Le tableau statistique publié renseignait 25 437 déportés, 1 261 survivants en Belgique et 15 autres à l’étranger28. Trente-sept ans plus tard, la marge d’erreur a été insignifiante : 1,46 % sur le nombre de déportés et 1,09 % sur celui des survivants. Des personnes inscrites sur les transportlisten du camp de rassemblement avaient été comptées comme de déportés alors qu’elles n’avaient pas quitté le pays occupé : il s’agissait le plus souvent d’évadés des convois non repris ultérieurement. Dans ses recherches, l’administration belge des victimes de la guerre est parvenue à les identifier. Les derniers chiffres, d’une sûreté remarquable, ne sont guère plus susceptibles de varier qu’au rang des unités. La rigueur des recherches administratives belges explique probablement pourquoi, au plan de la statistique, le nombre des survivants de la déportation raciale est, dans le cas belge, proportionnellement moins bas que dans les cas français et néerlandais29. Les chiffres belges n’en sont pas moins macabres30. Ils fixent le bilan de la déportation du camp de rassemblement juif de Malines vers Auschwitz à 25 257 personnes. Les survivants ne sont pas plus de 1 205 (dont 12 tziganes sur 351 déportés) ! Ces rescapés de la déportation raciale ne sont cependant pas des «survivants» de l’«extermination» !
Les morts de l’«extermination»
L’itinéraire concentrationnaire des rescapés signale où se situe la singularité du génocide juif. Le fait ressort à l’évidence du périple de deux petits convois numérotés «Z» qui, partis du camp de rassemblement de Malines, n’ont pas été dirigés sur Auschwitz. Ils étaient formés de 132 ressortissants juifs de Hongrie, pays ami du grand Reich. Par opportunité diplomatique, ces Juifs hongrois ont été détournés du circuit de la solution finale. Ils ont été acheminés dans des camps de concentration dépourvus de chambres à gaz, les hommes à Buchenwald, les femmes et les enfants à Ravensbrück31. Internés, ils y ont subi les ravages de la mort concentrationnaire. Elle a frappé 47,2 % d’entre eux. De cette déportation qui a été raciale, mais qui n’aboutissait pas aux chambres à gaz d’Auschwitz, 52,2 % ont survécu32.
Les déportés raciaux, qui en avaient été, quant à eux, détournés pour les besoins de l’économie de guerre à leur arrivée à Auschwitz ou encore à l’arrêt de Kozel, n’ont pas survécu dans la même proportion. Les 1 205 «rescapés» de 1945 représentent 13,15 % des 9 157 déportés ayant échappé aux chambres à gaz à leur arrivée à destination. 8 299 avaient été immatriculés à Auschwitz et 858 au plus étaient descendus à Kozel. Leur mortalité est particulièrement élevée. Les concentrationnaires juifs du camp de femmes de Ravensbrück ou du camp des hommes de Buchenwald n’ont pas été aussi éprouvés. La différence n’implique pas que le «Konzentrationslager Auschwitz» et les commandos de travail de Haute-Silésie aient constitué un complexe d’un autre type dans le système concentrationnaire. C’est, pour une large part, la durée de la captivité qui rend compte des variations du taux de mortalité. La plupart des immatriculés d’Auschwitz — 4 591 sur 8 299 — et tous les «Kozéliens» — 858 — avaient été déportés en 1942. Ces vétérans de la déportation raciale sont seulement au nombre de 255 parmi les rescapés de 1945. Leur taux de survie n’atteint même pas les 5 %, très exactement 4,6 %. Par contre, chez les immatriculés arrivés de 1943/1944, il s’élève à 25,6 % avec 950 survivants sur 3 708 déportés enregistrés à Auschwitz. Les conditions catastrophiques de l’évacuation, en particulier les «marches de la mort» de janvier 1945 ont certes pesé gravement sur le bilan macabre de la déportation raciale, mais elles ne suffisent pas à expliquer ces variations du taux de mortalité des «Belges» selon la durée de leur internement dans les camps de la mort du complexe concentrationnaire d’Auschwitz.
Cette statistique «concentrationaire» ne concerne toutefois pas le génocide juif. Elle ne s’applique à la masse des déportés raciaux acheminés à Auschwitz. A s’en tenir aux 21 convois «belges» qui ne sont pas arrêtés à Kosel, 61,5 % de l’effectif dirigé sur ce «camp de l’extermination» n’ont pas été immatriculés dans les régistres du «Konzentrationslager Auschwitz». Sur les 19 232 personnes, hommes, femmes et enfants présents dans ces transports, 7 403 seulement ont été repris dans la comptabilité concentrationnaire. Des 11 829 qui n’ont pas été reconnues aptes au travail, aucune n’est revenue33. Le retour toujours exceptionnel est le rare privilège des déportés admis à entrer à Auschwitz. La dernière trace que l’histoire conserve des autres personnes déportées est leur identité sur la transportlist du camp de départ. Toute la singularité du génocide juif réside dans cette disparition des déportés parvenus à leur destination : sortis de l’histoire à Auschwitz, ils sont comptés comme autant de «pertes» au dernier cacul du bilan de la solution finale.
Le génocide, phénomène statistique, se mesure dans les comptes négatifs de la démographie de la guerre. Il n’y relève pas du témoignage, qu’il soit d’après guerre ou d’époque. Les 21 convois dont l’analyse statistique chiffre la singularité du génocide n’ont laissé dans les archives aucun témoignage relatif à la disparition de leurs déportés. Le VIIIe convoi «belge», arrivé à Auschwitz le jour où, dans son journal, le médecin S.S. Johann Paul Kremer date sa participation à une «action spéciale» n’appartient pas à la série. L’incertitude sur le nombre d’hommes âgés de 15 à 50 ans effectivement descendus des 6 autres convois juifs à l’arrêt de Kosel34 entâcherait la rigueur mathématique du calcul. Le chiffre de 11 829 disparus à l’arrivée est un fait attesté d’une évidence flagrante dans le cas des 21 convois qui n’ont pas laissé descendre les déportés avant Auschwitz. Fixer ce nombre à 16 100 au plus pour l’ensemble de la déportation raciale de Belgique35 est une manière d’estimer l’ampleur de l’extermination. L’estimation est certes fort proche de la réalité, elle la cerne avec plus de rigueur que le bilan global de la déportation vers Auschwitz où la mort concentrationnaire occulte la spécifité du génocide juif, mais elle conserve une zone d’ombre.
A cet égard, la valeur documentaire des notes du S.S. Johann Paul Kremer est fort médiocre : le témoignage oculaire d’époque ne vient nullement corriger l’évaluation du nombre de personnes subissant le «traitement spécial» d’Auschwitz. Ce qui fait sa valeur documentaire, c’est de dater cette disparition du jour de l’arrivée. Avec sa chronologie des «actions spéciales», l’officier S.S. témoignait d’une histoire dont, acteur parmi d’autres, il ne connaissait qu’une dimension, celle précisément où il intervenait dans le rôle dont ses notes quotidiennes conservent la trace. Elles sont, pour les déportés disparus dès leur arrivée au camp d’extermination autant d’actes de déces collectifs. Avec la documentation relative à la solution finale dans les pays d’où ils provenaient, ces notes d’Auschwitz au quotidien viennent inscrire leur mort sur cette page d’histoire dont on prétendait déjà au temps des S.S., qu’elle ne serait jamais écrite.
1. Message téléphoné du lieutenant S.S. Schwartz d’Auschwitz au service central de l’administration économique, service D II à Oranienburg, daté du 8 mars 1943, dans G. WELLERS, Les Chambres à Gaz ont existé; des documents, des témoignages, des chiffres", p. 43.
2. L’état des effectifs de Birkenau, daté du 8 octobre 1944 compte les 1 299 détenus soumis au «traitement spécial», le 7, parmi les 2 394 «sorties» dont 1 150 «transfert», dans E. KOGON, H. LANGBEIN, A. RUCKERL, Les Chambres à gaz, secret d’État, p. 202.
3. Le Reichsführer S.S., état-major personnel, à l’inspecteur de la statistique camarade de parti Korherr, signé : lieutenant-colonel S.S. Brandt, le 10 avril 1943, cité G. WELLERS, La Solution finale et la mythomanie néonazie, Paris-New-York, 1979, p. 64.
4. R. FAURISSON, Réponse à Vidal-Naquet, p. 24.
5. Le «révisionnisme» fait grand cas de la déposition d’Ernst Kaltenbrunner au procès de Nuremberg sur le «traitement spécial» réservé à des détenus de marque internés dans des hôtels de luxe. Le contexte de cette citation est toujours ignoré. Kaltenbrunner y montrait que «l’expression tragique de “traitement spécial” est employée ici d’une façon absolument humoristique» (Procès de Nuremberg, t. XI, p. 348 cité d’après G. WELLERS, «Qui est Robert Faurisson», dans Le Monde juif, n° 27, juillet-septembre 1987, p. 104).
6. Dans sa réponse à Vidal-Naquet (p. 24), Faurisson exhibe la lettre de l’auteur du rapport, Richard Korherr, au Spiegel, le 25.7.1977 reproduite par son collègue en «révisionnisme» W. STÄGLICH, (Le mythe d’Auschwitz, n. 58, p. 407). «L’affirmation», y écrivait l’ancien nazi, «selon laquelle j’aurais pu établir que plus d’un million de juifs ont pu mourir dans les camps du gouvernement général de Pologne et des territoires de la Warthe, des suites d’un traitement spécial est absolument inexact. Il me faut protester contre l’emploi du verbe “mourir” dans ce contexte. C’est justement le terme de “traitement spécial” qui m’incita à demander une explication par téléphone à l’Office central de la Sécurité du Reich. On me répondit que ce terme s’appliquait aux juifs qui devaient être établis en colonie dans le district de Lublin». Faurisson n’a pas reproduit la dernière phrase. C’est que Staglich en dit trop pour Faurisson. La référence à la réserve de Nisko — projet abandonné depuis 1940 — ruine le sens d’«isoler» qu’il donne à «Sonderbehandlung». Korherr en dit aussi trop peu. Pourquoi, par surcroît de «camouflage», Himmler interdirait-il, en 1943, cette référence à un projet abandonné depuis deux ou trois ans. Faurisson, si critique pour les anciens nazis qui reconnaissent le fait de l’extermination, n’envisage pas un instant que Korherr ait un quelconque intérêt personnel, au temps des procès de «criminels nazis», à préserver le «camouflage» qui l’exonère de toute complicité dans le génocide.
7. Lettre d’Arthur Greiser, Gauleiter du Warthegau, à Himmler, le 1er mai 1942, dans E. KOGON, H. LANGBEIN, A. RUCKERL, Les Chambres à gaz, secret d’État, p. 14.
8. Le Reichsfürher S.S. au chef de la SIPO-Sd, le 9 avril 1943, reproduite dans G. WELLERS, «La Solution finale et la mythomanie néo-nazie», Paris-New York, 1979, p. 64.
9. Le rapport inscrit dans «l’évacuation» le «ghetto de vieillards» de Thérésienstadt dont il décompte, dans une sous-rubrique, les 87 193 personnes.
10. Journal de Kremer, le 1er mars 1943, p. 250-251.
11. Respectivement 41 911, 38 571 et 16 886
12. L’inspecteur de la statistique auprès du Reichsführer S.S., La solution finale de la question juive européenne, rapport statistique, [le 23 mars 1943], dans G. WELLERS, La Solution finale et la mythomanie néo-nazie, p. 72-73.
13. Au titre de «la mise au travail», Korherr retient 185 776 Juifs qui n’interviennent pas dans le calcul de la «décroissance». Ibidem, p. 75.
14. G. Wellers a fait le calcul des immatriculés pour l’ensemble de la déportation à Auschwitz. D’après ses chiffres — et quoi qu’il y ait d’un chercheur à l’autre des variations dépourvues de signification statistique —, des 25 260 déportés de Belgique, 8 435 furent immatriculés (en fait, dans le dernier état de la statistique, 25 257 déportés et 8 299 immatriculés, les 351 tziganes compris); des 69 030 déportés de France, 27 220 furent immatriculés; et des 56 575 déportés des Pays-Bas, 38 305 le furent. Voir G. WELLERS, «Essai de détermination du nombre de morts au camp d’Auschwitz», dans Le Monde juif, n° 112, octobre-décembre 1983, p. 153.
15. Voir le doc.N-G. 2586-E, Protocole de conférence, [20 janvier 1942], p. 8 (En allemand : «entsprechend behandelt werden mussen»). On notera qu’Heydrich faisant cet exposé a aussi annoncé que «nous mettons dès maintenant à profit nos expériences pratiques, si indispensables à la solution finale du problême juif», car, «on ne saurait considérer cependant ces solutions [dans le contexte : “l’évacuation des Juifs vers l’Est, solution adoptée avec l’accord du Führer”] que comme des palliatifs».
16. Les chiffres globaux se répartissent comme suit, en ce qui concerne uniquement la déportation des Juifs vers les camps d’extermination :
- de France : 73 853 dont il n’y eut que 2 190 survivants (S. KLARSFELD, Le Mémorial de la déportation des Juifs de France)
- de Belgique : 25 475 dont il n’y eut que 1 335 survivants (sont compris dans les déportés, 351 tsiganes et 218 juifs partis vers Buchenwald, Ravensbrück, Bergen-Belsen et Vittel; voir S. KLARSFELD et M. STEINBERG, Le Mémorial de la déportation des Juifs de Belgique, Bruxelles-New York, 1982. Voir aussi pour une analyse statistique plus fine «le bilan de la solution en Belgique» dans M. STEINBERG, L’Etoile et le Fusil, La Traque des Juifs, Bruxelles, 1987, t. III, vol. II, p. 259);
- des Pays-Bas : 90 089 dont il n’y eut que 831 survivants (Voir L. DEJONG, Het Koninkrijk der Nederlanden in de Tweede Wereldoorlog, Gevangenen en gedeporteerden, 1978, tome VIII, vol. II partie, p. 708);
- Les chiffres hollandais sont plus élevés, environ 107 000 dont environ 5 200 survivants, mais ils comprennent, en plus grand nombre que dans le cas belge et français des déportés — 27 000 personnes — vers les camps de Mauthausen, Buchenwald, Bergen-Belsen …. dans ces camps de la mort, la mortalité, tout élévée qu’elle soit, est qualitativement inférieure à la mortalité des camps d’extermination. C’est pourquoi, faussant les chiffres globaux, ces déportés hors solution finale ne sont pas compris ici. Il importe historiquement de pas confondre les notions de «camp de la mort» et de «camp d’extermination». La singularité du génocide juif se dissout dans cette confusion où s’amalganent les disparus du camp d’extermination et les concentrationnaires juifs morts au camp comme leurs compagnons non-juifs.
17. La mortalité des concentrationnaires n’y fut peut-être pas la plus élevée. D’après G. Wellers (voir G. WELLERS, «Essai de détermination du nombre de morts au camp d’Auschwitz», dans Le Monde juif, n° 112, octobre-décembre 1983, p. 142), quelque 358 279 détenus — pour moitié des Juifs — furent immatriculés à Auschwitz (décompte fait des doubles emplois de matricule). A l’évacuation du camp — du 18 mai 1944 jusqu’aux marches de la mort de la fin janvier 1945 — il y avait à peine 141 765 «survivants», soit 39,5 %. Ce qui ne signifie pas que la mortalité, fort élevée, soit de 60,5 % (le chiffre des transferts n’est pas connu). Selon L. DEJONG, Het Koninkrijk der Nederlanden in de Tweede Wereldoorlog, Gevangenen en gedeporteerden, t. VIII, vol. I, p. 117), il y aurait eu 228 000 morts sur 400 000 détenus d’Auschwitz, soit une mortalité de 57 %. Elle est de 67 % au Stutthof, de 25 % à Buchenwald.
18. La formule est reprise à l’accord entre Thierack, ministre de la justice du Reich et le Reichsführer S.S. Himmler, le 18 septembre 1942. L’article 2 prévoit «l’exclusion des éléments asociaux de l’administration de la justice générale et leur transfert au Reichsführer S.S. pour l’extermination par le travail» (doc. PS 6514).
19. J. BILLIG, L’hitlérisme et le système concentrationnaire, 1967, p. 10.
20. O. WORMSER, Le système concentrationnaire nazi, Paris, 1968, p. 16.
21. A la différence de la France et plus encore des Pays-Bas, les citoyens belges n’étaient qu’une infime minorité dans la population juive en Belgique, à peine 6 %. Elle était formée, avant d’être ravagée par la solution finale, essentiellement d’étrangers, même d’immigrés, voire de réfugiés du Grand Reich allemand arrivés à la veille de la guerre. Cette structure socioculturelle caractéristique permet de les distinguer, dans les statistiques de l’administration belge des victimes de la guerre. Elles sont relatives aux «prisonniers politiques» et aux «déportés au travail», les uns et les autres reconnus légalement, ainsi qu’aux déportés raciaux («israélites» et «tziganes») bénéficiaires d’aucun statut légal. Les deux premières catégories de détenus comportent essentiellement des citoyens belges, alors qu’ils sont l’exception dans la troisième catégorie. Cette particularité «belge» autorise l’analyse comparative de leur sort respectif pendant la guerre.
22. Cette approche des statistiques de l’administration des victimes de la guerre innove. Auparavant, les chiffres — faute d’avoir été analysés dans le détail — étaient au mieux juxtaposés. Dans son étude sur «l’évacuation massive des prisons S.S. en Belgique : les convois des 8 et 23 mai 1944 à destination du camp de concentration de Buchenwald» (Cahiers d’histoire de la seconde guerre mondiale, Bruxelles, n° 6, octobre 1980, p. 142), Peter Scholliers avait aperçu le problème sans pouvoir le résoudre. Il avait remarqué la contradiction entre les chiffres communiqués par le Ministère de la Santé Publique et de la Famille et ceux relatifs aux «Statistique de la résistance et de la déportation» publiés dans le Bulletin du Centre de Recherches et d’Etudes historiques de la Seconde Guerre Mondiale, n° 8, mars 1978, p. 53.
23. Les commissions d’agréation refusaient le statut de déporté au travail aux déportés raciaux qui le sollicitaient : ils avaient été déportés pour raison raciale. Les autorités d’occupations n’avançaient pas cette raison à l’époque : les Juifs étaient déportés pour une «mise au travail», l’«Arbeiteinsatz».
24. Ont été reconnus au titre légal de prisonniers politiques 26 535 citoyens belges et 764 ressortissants étrangers, soit 27 299. A ces chiffres s’ajoutent les reconnaissances à titre posthume qui s’élèvent à 13 781 citoyens belges et 177 ressortissants étrangers, soit 13 958. Le nombre d’étrangers — moins d’un millier — autorise à additionner les «politiques» avec les «déportés raciaux» : sur 25 457 déportés de Malines (non compris les déportés «belges» de Drancy), les citoyens belges d’origine juive sont à peine 1 203. A remarquer toutefois que des déportés raciaux de nationalité belge ont pu obtenir le statut de prisonnier politique; il en est de même des étrangers, mais tous les «prisonniers étrangers» ne sont pas juifs. Les 113 000 personnes qui ont été détenues en Belgique occupée au triple titre de la répression politique, raciale et «économique» (les déportés au travail) sont un ordre de grandeur. Seul un programme de recherche mobilisant une équipe de chercheurs dotés de moyens modernes permettra de dresser un tableau correct de la répression : les sources sont disponibles, non les ressources.
25. CDJC/CDXCVI. Le commandant militaire en Belgique et dans le Nord de la France, chef de l’administration militaire, groupe : pol., Bruxelles, le 27 octobre 1942, aux Ober- et Feldkommandanturen, concerne : procédure de transfert dans le Reich et de déportation dans le territoire de l’Est, reproduit dans S. KLARSFELD et M. STEINBERG, Dokumente, Die Endlösung der Judenfrage in Belgien, p. 51.
26. Les recherches menées en France établissent que 5 034 Juifs de Belgique y avaient également été déportés à Auschwitz. La plupart étaient soit des réfugiés de l’exode de 1940, soit des réfugiés du Grand Reich allemand arrêtés sur ordre des autorités belges le 10 mai 1940 et déportés dans le Sud de la France où le gouvernement de Vichy les livra à la police nazie. Les fugitifs de Belgique occupée, inscrits dans la cartothèque de la «section juive» de Bruxelles, sont au nombre de 1 242 parmi ces 5 034 déportés de France. S’ils n’ont pas été déportés de Belgique occupée, ils sont néanmoins comptés dans la démographie de la répression nazie dans ce pays.
27. En France, il a fallu le Mémorial de la déportation des Juifs de France de Serge Klarsfeld pour corriger et compléter les statistiques du Ministère des Anciens Combattants. Le travail remarquable de Klarsfeld a aussi rétabli plusieurs erreurs du «calendrier d’Auschwitz» concernant la déportation de France. Ce travail du musée d’Oswiecim date. Il est à revoir en fonction des données disponibles en Belgique et aux Pays-Bas. Les statistiques relatives à la déportation «néerlandaise» établies depuis 1945, grâce à la Croix-Rouge néerlandaise, ne livrent pas la répartition des survivants par convoi. En Belgique, l’administration des victimes de la guerre a eu l’avantage de disposer de la cartothèque de la «section juive» de la police de sécurité allemande : à la fin de l’occupation, elle comportait 56 186 fiches individuelles et celles des déportés mentionnaient la date du départ et leur numéro dans le convoi. Ces informations, complétant les listes de transport, retrouvées dans les archives du camp de rassemblement de Malines pour la plupart des convois, ont orienté à la recherche administrative vers un classement alphabétique des survivants.
28. Royaume de Belgique, ministère de la justice, commission des crimes de guerre, Les crimes de guerres commis sous l’occupation de la Belgique, 1940-1945, La persécution antisémitique en Belgique, Liège 1947, hors texte, p. 30-31.
29. Le taux de survie des 73 853 déportés de France (en ce compris moins de 1000 déportés vers Kaunas-Reval et Buchenwald) est de 2,9 %, soit 2190 survivants. Celui des 90 089 Juifs des Pays-Bas déportés à Auschwitz et à Sobibor est de 0,92 % (831 personnes). Le taux de survie «belge» est de 5,24 % en considérant les 1 335 survivants des 25 475 déportés vers Auschwitz, Bergen-Belsen, Vittel, Ravensbrück et Buchenwald.
30. La rigueur des recherches administratives belges permet d’établir un taux de mortalité des déportés raciaux de Belgique de plus de 94 %. Le chiffre «français» en est fort proche : 97,1 %. Dans sa contestation du génocide juif, Faurisson s’est cru autoriser à dénoncer le «procédé stupéfiant» qu’il impute à Serge Klarsfeld. Le Mémorial de la déportation des Juifs de France indiquait qu’était «admis comme nombre des survivants celui indiqué officieusement par le Ministère des Anciens Combattants auquel se sont présentés, en 1945, des survivants des déportés de France». Klarsfeld avait aussi poursuivi ses recherches en Belgique grâce à l’aide précieuse en l’occurrence de l’administration belge des victimes de la guerre. Faurisson que «la vérité oblige à [le] dire», considère que Klarsfeld «a déclaré morts (souligné dans le texte) tous ceux qui n’avaient pas pris la peine d’aller se déclarer vivants au Ministère des Anciens Combattants à la date ultime du 31 décembre 1945 ! Et cela alors que cette démarche n’avait, en plus de tout, rien d’obligatoire». «Klarsfeld», ajoute-t-il «ne s’est pas soucié de savoir combien de Juifs déportés de France, puis libérés, sont allés s’installer en Palestine, aux Etats-Unis, en Afrique du Sud, en Argentine, etc. Il n’a pas eu scrupule à compter comme morts» ceux qui ne sont pas présentés. (Le texte de Faurisson dit ici le contraire, mais il doit s’agir d’une erreur d’impression) (Voir R. FAURISSON, Réponse à Pierre Vidal-Naquet, p. 30). L’auteur «révisionniste» n’a, quant à lui, aucun scrupule — s’agissant de la mort d’êtres humains — à laisser entendre que les disparus se seraient «installés» à l’étranger, sans lui-même apporter la moindre preuve en ce sens. Le cas «belge» — avec une population juive où les étrangers étaient en bien plus grande proportion qu’en France montre que ce retour des rescapés d’Auschwitz dans le pays d’origine est tout à fait exceptionnel : dans les chiffres de 1947, les «déportés» rapatriés à l’étranger représentent 0,94 % du total (15 sur 1 276). Le chiffre de 28 183 déportés raciaux que Faurisson «dévoile», ce nombre «qu’on nous cache depuis neuf ans» (Réponse à Pierre Vidal-Naquet, p. 31) est «une escroquerie de plus» de sa part. Références à l’appui, Pierre Vidal-Naquet explique que le comité d’histoire de la seconde guerre mondiale «s’était rendu compte qu’il était parvenu à un chiffre absurde» (voir Les assassins de la mémoire, note 29, p. 194).
31. Sur les gazages pratiqués à Ravensbrück vers février 1945, voir E. KOGON, H. LANGBEIN, A. RUCKERL, p. 232-238.
32. Sur ces 132 Juifs hongrois, 69 ont survécu à la captivité.
33. Les rescapés des 21 convois avaient, tous, été immatriculés.
34. Les chiffres «belges» inviteraient à conclure que les déportés des convois dont la sélection pour le travail a été d’abord faite à Kosel ont été gazés à leur arrivée en plus grand nombre. Pour les 6 convois s’étant arrêtés à Kosel, la sélection pour le travail (y compris à Auschwitz) représente seulement 24 % de l’effectif (858 à Kosel et 545 matricules à Auschwitz). Les 11 autres convois de 1942 donnent un taux de sélection pour le travail à Auschwitz de 36 %.
35. Sur les 25 257 déportés raciaux acheminés à Auschwitz, 858 au plus sont descendus à Kozel, 8 299 ont été immatriculés au camp et 16 000 ont disparus à l’arrivée.