Éradiquer le typhus: imaginaire médical et discours sanitaire nazi dans le gouvernement général de Pologne (1939-1944)
Johann Chapoutot
Revue Historique, no 669, janvier 2014
© Johann Chapoutot et Presses Universitaires de France 2014 - Nous remercions vivement Johann Chapoutot de nous avoir autorisés à reproduire son article.Reproduction interdite par quelque moyen que ce soit
Résumé (click for english abstract...)
Lorsque les soldats et fonctionnaires allemands prennent possession de la Pologne en 1939, ils la voient au prisme de représentations déjà très anciennes: l’Est est arriéré, pauvre, insalubre. À partir de 1942, après que la décision de tuer tous les Juifs d’Europe a été prise, quelques films et textes édités par les services sanitaires de la Wehrmacht et de la SS enseignent aux forces d’occupation allemande comment «traiter» les pathologies propres à l’Est, notamment le typhus, attribué à l’idiosyncrasie juive. La conception biologique du «danger juif» présente la «solution finale» comme une nécessaire pratique bio-médicale d’éradication sanitaire.
Mots-clés : Seconde Guerre mondiale, typhus, Pologne, action sanitaire, shoah, éradication.
Abstract (cliquer pour le résumé en français...)
Eradicating typhus: medical representations and nazi sanitary discourse in the Generalgouvernement of Poland (1939-1944).
When German soldiers and civil servants take hold of Poland in 1939, they see this country through the lens of ideas and stereotypes that are already old: the East is a backward, poor and dirty territory. From 1942 onwards, after the decision to kill all the Jews of Europe has been made, films and texts produced by the sanitary offices of the Wehrmacht and of the SS teach the German occupation forces how to «treat» the pathologies encountered in the East – above all typhus, which is meant to be genuinely Jewish. This biological conception of the «Jewish danger» presents the «final solution» as an unavoidable medical treatment, as a sanitary eradication.
Keywords: Second World War, typhus, Poland, sanitary measures, Holocaust, extirpation
Plan de l’article
- Prologue sous les tropiques
- L’Est: une terre contaminée
- Isoler le Juif, facteur pathogène
- Behandlung: le «traitement» de la «question juive»
- De la prophylaxie à la cure: désinfection et éradication
1. Prologue sous les tropiques
Un des plus grands succès du cinéma allemand de l’année 1938 est une comédie musicale et exotique très divertissante, dont les airs seront repris comme autant de succès populaires1, et dont le support est réédité, aujourd’hui, dans la collection des classiques de la UFA et des Deutsche Filmklassiker. La Habanera2 fait voyager le public bien loin des réalités d’une situation européenne tendue par la question de l’Autriche (mars 1938) puis des Sudètes (septembre 1938), vers Porto Rico3, où se déroule l’histoire suivante: il était une fois une jeune femme qui visitait l’île en compagnie de sa vieille tante, chaperon revêche et strict, et qui tomba amoureuse, non seulement des lieux, mais encore de «l’idole», du «seigneur» de céans, Don Pedro, un grand propriétaire féodal, maître quasi mafieux, mais ô combien séduisant, de ce paradis tropical – séduisant au point qu’Astrée la Suédoise trompe la vigilance de sa tante et se faufile à terre au moment où son bateau lève l’ancre. Le film nous invite à suivre la destinée de cette femme du nord, isolée, c’est bien le mot, des siens, de sa terre (la Suède) puis, peu à peu, de son mari et d’elle-même. La comédienne Zarah Leander incarne à l’écran le sort tragique de l’émigrée égarée par l’attrait de l’exotisme avant de se repentir de ce déracinement qui est à la fois acculturation et aliénation: alors qu’elle souffre de la chaleur et qu’elle rêve de neige, Don Pedro4 lui refuse tout voyage dans sa patrie. Pire, il refuse que leur fils, blonde tête nordique chez qui le bon sang de la mère, manifestement, s’est imposé et ne saurait mentir, soit éduqué en «petit suédois», s’apprêtant à le lui ravir pour en faire un picador. Pour comble de malheur, Porto Rico est frappée par une fièvre languide et mortelle, contre laquelle les autorités sont impuissantes et dont, pire, elles sont complices: pour ne pas ruiner la réputation de l’île, Don Pedro et ses affidés nient tout simplement l’existence de la maladie et refusent toute aide venue de l’extérieur.
Le salut viendra du nord: le Dr. Sven Nagel, un ami d’enfance d’Astrée, débarque sous ces tropiques infectées, identifie le bacille responsable de la maladie, élabore le traitement salvateur, et repart en Suède avec la mère et le fils. Happy end pour une comédie réjouissante, donc, qui réinvestit tous les stéréotypes d’un exotisme de pacotille: combats de taureaux, policiers débraillés, ventilateurs poussifs, gras messieurs qui s’épongent le front et le cou entre deux intermèdes chantés et dansés… La Habanera est tout à fait dans le ton de ces films que Goebbels encourage: depuis l’échec des films politiques des années 1933 et 1934, dont le message trop explicite avait lassé les spectateurs, le Ministère de la Propagande a mis le cap sur l’escapisme, le divertissement léger. Fleurissent donc sur les écrans allemands les minois enamourés de Kristina Söderbaum, les jambes fermes et galbées de Marika Rökk, dans des bluettes qui ravissent le public et des Revuefilme où de superbes jeunes femmes en minishort multiplient numéros de claquettes et entrechats virtuoses, pour le plus grand plaisir d’un public qui vient y quêter les seuls émois érotiques concédés par l’industrie culturelle d’État. Goebbels ne souhaite pas que ces films soient lestés par un message politique: leur apolitisme apparent est déjà bien assez politique, car, en divertissant et réjouissant, ils régénèrent la Volksgemeinschaft recrue de travaux et d’épreuves et l’invitent à regarder ailleurs. Il reste que, de-ci, de-là, les Revuefilme rappellent qu’il est bon de faire du sport et d’avoir des enfants, que le vice est toujours puni, ou qu’il ne faut jamais semer son chaperon. Cela pourrait être le message de La Habanera: Porto Rico est apparue comme un paradis à la jeune suédoise, avant de se révéler un enfer. Séparer le sang (Blut) du sol (Boden) conduit à la déréliction morale et à la déliquescence physique: Astrée et son fils ne sont sauvés que par l’initiative de ce jeune médecin suédois qui les ramène dans leur patrie nordique, loin d’une île qui les tuerait.
La Habanera serait donc l’histoire édifiante d’un Heimweh (mal du pays), à la fois psychologique et physiologique, mais aussi la critique politique d’un mauvais Führer: Don Pedro le tyran opprime sa population et la laisse mourir pour servir ses intérêts économiques et financiers, en niant la réalité d’une épidémie à laquelle il finit par succomber lui-même.
Il y a enfin une troisième dimension, biologico-pathologique: le Dr. Sven Nagel, membre du Tropeninstitut de Stockholm, se définit comme un «Bazillenjäger», un chasseur de bacilles, qui débarque avec pipettes et microscopes sur l’île pour traquer l’agent responsable de l’épidémie. Rappelant avec force que «le sang! C’est dans le sang que sont les bacilles», il se met en quête d’échantillons hémologiques qu’il examine avant de s’émerveiller de la «colossale virulence» (sic) des germes qu’il découvre. Le Dr. Nagel parle comme un policier, ou, tout simplement, comme un nazi: «Quelle chance d’avoir pu prendre cette espèce en filature et de pouvoir mettre hors d’état de nuire cette bête meurtrière!»… Mörderisches Biest: on croirait entendre le mafieux Schränke, incarnation du nazi, dans M. le Maudit… Sven Nagel est donc médecin et policier, de la même manière que, sous le IIIe Reich, les policiers sont des médecins et que la loi positive, la loi de l’État, est censée être la transcription des lois de la nature. Voici la manière dont Werner Best, docteur en droit et lieutenant-colonel de la SS, présente la police allemande dans la revue juridique Deutsches Recht en 1936:
«Le principe politique national-socialiste de totalité, qui correspond à notre vision organique et indivisible de l’unité du peuple allemand, ne souffre la formation d’aucune volonté politique en-dehors de notre propre volonté politique. Toute tentative d’imposer – voire de préserver – une autre conception des choses sera éradiquée comme un symptôme pathologique qui menace l’unité et la santé de l’organisme national […].
C’est à partir de ces principes que le national-socialisme a, pour la première fois en Allemagne, développé une police politique que nous concevons comme moderne, c’est-à-dire comme répondant aux besoins de notre temps. Nous la concevons comme une institution qui surveille avec soin l’état de santé politique du corps allemand, qui repère à temps tout symptôme de maladie et qui situe et élimine les germes de destruction, qu’ils soient issus d’une dégénérescence interne ou d’une contamination volontaire par l’étranger. Voilà l’idée et l’éthique de la police politique dans l’État raciste de notre temps, conduit par le Führer5.»
À y regarder de plus près, l’analogie qui structure La Habanera prend tous les contours de l’évidence: Sven Nagel est suédois, c’est un homme du nord, un homme de race germanique-nordique, qui exerce son métier de chercheur et de médecin comme un enquêteur de la police criminelle. Il n’est pas allemand, de même qu’Astrée: au moment où le IIIe Reich cherche des alliés en Amérique latine, la nationalité de l’héroïne exilée en terre tropicale était une question peut-être trop sensible.
Dernier élément de l’analogie, le lieu: Porto Rico ressemble beaucoup à la Pologne, au soleil et à la chaleur près: le film montre une société arriérée, gouvernée par une élite mafieuse, et dotée de services publics indigents – que ce soit l’hôpital, sous-doté, ou les forces de l’ordre locales, débraillées, braillardes et incapables. Le seul policier rencontré à l’écran est une sorte de sergent Garcia6 qui fume pendant le service et qui est incapable de réguler le trafic (une automobile et une charrette seulement) dans l’unique rue qu’il surveille. Impéritie, gabegie, désorganisation… tout ce que résume l’expression allemande «polnische Wirtschaft», «gestion polonaise», l’équivalent germanique du «travail d’arabe» des colons français.
Le message du film est donc triple: une population misérable livrée à de mauvais Führer est sauvée par un chasseur de bacilles nordique, un médecin-policier qui combat l’ennemi à coups de prélèvements sanguins et de sérums curatifs. Une fois gagné ce combat biologique contre la pathologie tropicale, le Dr. Nagel ramène au pays Astrée et son fils, pour que le sang retrouve le sol suédois.
La Habanera est ainsi une comédie musicale et tropicale bigrement politique – elle contribue, dans un IIIe Reich dont le discours politique est médicalisé à l’extrême, à acclimater, sur un mode certes plaisant et divertissant, tout de rires et de chansons, un imaginaire, voire une psychose de l’infection et de contaminations dont seuls les médecins-policiers nordiques peuvent triompher.
On s’étonne alors un peu moins de ce long prologue insulaire et tropical qui nous emmène à Porto-Rico avant que nous ne gagnions la Pologne. On s’en étonne d’autant moins que les médecins en charge de l’action sanitaire allemande à l’Est sont généralement issus des différents Instituts de médecine tropicale allemands7, des Tropeninstitute qui ont été créés, en même temps que les Instituts Pasteur en France, à la fin du xixe siècle en Allemagne, pour affronter les nouvelles pathologies rencontrées lors des explorations coloniales.
2. L’Est: une terre contaminée
La guerre à l’Est, qui commence le 1er septembre 1939 avec l’attaque de la Pologne, fut accompagnée d’une lourde artillerie discursive qui visait à présenter les territoires de l’Est (Pologne, puis URSS en 1941) comme ceux de tous les dangers biologiques: l’Est, terre sale peuplée de Slaves arriérés et de Juifs contaminants, est une terre biologiquement virulente. Y sévissent des pathologies inconnues en Allemagne, terre propre gouvernée par des médecins, patrie de Robert Koch8 et des vaccins. Les progrès de l’hygiène et de la science ont fait de l’Allemagne la patrie de la santé, ce qui est éminemment positif, mais également dangereux, car les organismes allemands ne sont plus immunisés contre des affections désormais oubliées.
Au contraire, les populations de l’Est survivent à leurs maladies, car elles ont développé une immunité dont les Allemands ne jouissent pas ou plus. Les populations slaves et juives de l’est vivent dans un tel bain microbien que leurs corps s’y sont adaptés. Les Allemands, si propres et si sains, ne manqueraient pas de succomber à ce contexte pandémique si les mesures hygiéniques les plus radicales n’étaient pas prises. Or, avec l’invasion, puis la colonisation de la Pologne à l’automne 1939, ce sont des centaines de milliers d’Allemands (Wehrmacht, SS, police) qui sont confrontés à ce danger biologique, sans même parler des fonctionnaires civils, puis des colons qui doivent suivre: les plans du tout nouveau RKF9 prévoient l’implantation, dans les Gaue du Wartheland et de Danzig-Westpreussen (nord de la Pologne, annexé au Reich), de millions de paysans-colons, de fonctionnaires et de soldats.
Les troupes allemandes sont prévenues du danger. Dans une série d’ordres, échelonnés de décembre 1940 à juin 1941, la Wehrmacht, les Waffen-SS et la police allemande sont instruits que tout, à l’Est, est facteur de mort: la nourriture, l’eau, les puits… mais aussi les «poignées de portes» ou, en cas de soif pressante, les «bras de pompe10», autant d’objets manipulés par les ennemis et possiblement contaminés ou empoisonnés, que l’on aura soin de ne pas toucher, ni effleurer.
Ce discours de psychose pathologique s’accompagne de pratiques très concrètes: l’usage massif, sur les fronts de l’Est, du lance-flammes qui permet la destruction à distance (l’amplitude du jet est de 25-30 m) d’habitations et de refuges – et qui évite donc de saisir les fameuses poignées de porte; l’éradication biologique des élites polonaises par des unités spéciales du SD (Einsatzgruppen), puis le génocide systématique visant les populations juives d’URSS dès juin 1941; la ghettoïsation, dès l’automne 1939, puis l’assassinat industriel de la population juive de Pologne puis d’Europe occidentale à partir du printemps 1942.
Au sein du Gouvernement général de Pologne (Pologne occupée non annexée au Reich), les pratiques de marquage et de parcage11 de la population juive s’inscrivent dans un imaginaire médical qui leur donne sens et justification: le soldat, le SS et le policier allemand agissent en médecins contre un danger de nature pathologique. C’est ce qu’affirme un ouvrage collectif de 1941, édité par les services sanitaires du Gouvernement général, intitulé Guerre aux épidémies! La mission sanitaire allemande à l’Est12. Dans une contribution qui porte pour titre «Le foyer épidémique polonais. Médecine générale sous direction allemande13», le Dr. Joseph Ruppert affirme que l’expérience de la Pologne «dépasse de loin nos anticipations les plus folles. Tenter d’exprimer par des mots ce que nous avons vu est inutile […]. En un mot: saleté, saleté et encore saleté14». Le pire est à trouver dans le «Judenmilieu», véritable «cuve d’incubation pour la vermine, la saleté, la maladie», où ne vivent que des insectes et des criminels, où les enfants sont décrits, par un jeu de mots intraduisible, comme un «élevage de pustules15». Rien d’étonnant à ce que la Pologne soit la patrie du typhus: «Les grandes villes étaient les plus menacées, car les ghettos juifs y constituaient de véritables foyers d’épidémies», comme si les ghettos existaient avant l’arrivée des nazis… De manière significative, la constitution de ghettos fermés est présentée par le médecin allemand comme une mesure sanitaire de quarantaine: «Des rues et des blocs entiers ont dû être temporairement bouclés, sachant que, naturellement16, l’approvisionnement des habitants a été assuré17».
La quarantaine imposée à la population juive revêt un sens strictement médical. Sa nécessité est dictée par la virulence de la maladie: les Allemands agissent au mieux face à un fait morbide dont ils ne peuvent que constater l’existence, avant d’en induire les conséquences. En effet, comme
«le Juif est quasiment le seul vecteur de l’épidémie et que, en cas de contamination d’un non-Juif, on remonte le plus souvent à une source d’infection juive, il est apparu urgent, aux fins de protection de la population, de restreindre la liberté de circulation des habitants juifs, de soumettre leur usage du train à une autorisation administrative médicale particulière, de les orienter vers des parcs désignés à leur seul usage (puisque, par exemple, la transmission des puces infectieuses est facilitée par l’usage commun des bancs), de leur interdire la fréquentation des omnibus et de leur réserver des compartiments particuliers dans les trams18.»
Une autre contribution de l’ouvrage explique qu’«un contrôle sévère de la population juive est nécessaire, et doit être accompagné d’un isolement physique, voire, si besoin est, d’un bouclage des quartiers d’habitation juifs». En vis-à-vis, une photographie d’un mur de ghetto (Varsovie? Cracovie? Lodz?) est légendée ainsi: «Par décret de l’autorité allemande, un foyer d’épidémie est isolé par un mur d’enceinte19». Le panneau apposé au mur en question est bien lisible: «Attention! Risque d’épidémie! Accès interdit20!». Il est possible, déplore notre médecin, que ces «mesures sévères que l’état de nécessité nous a imposées» aient été exploitées par une propagande judéophile soucieuse de nuire à l’Allemagne, mais quiconque a constaté les conditions régnant en Pologne a pu se convaincre de «l’impérieuse nécessité de telles mesures de protection21».
Une presse à grand tirage se charge de populariser ces thèmes et anathèmes, qui ne restent pas confinés dans des publications de propagande médicale. Un article du quotidien de la SS Le corps noir, significativement intitulé «Déjections du ghetto» et publié très tôt, en mai 1940, rappelle le «dégoût et l’horreur» provoqués chez les soldats et policiers allemands par «la saleté, la saleté partout» des logements. Il accuse en outre la «vermine» juive d’être une «menace constante contre le travail de reconstruction allemande à l’Est», une menace biologique: «Dans leurs nids insalubres, on trouvait les vecteurs et les propagateurs de toutes les épidémies possibles, contre lesquels le Juif semblait être devenu presque immune à la suite d’une longue fréquentation séculaire22».
Hebdomadaire populaire de très grande diffusion, la Berliner Illustrierter Zeitung y insiste particulièrement dans un article du 24 juillet 1941, intitulé «Les Juifs entre eux»: le «ghetto de Varsovie est, depuis des décennies, un foyer d’épidémies», affirme la légende d’une photographie particulièrement habile. On y voit un visage fatigué et vaguement hostile regarder à travers le hublot d’une porte que, grâce à la vigilance des autorités allemandes, il ne peut désormais plus franchir: «Typhus. Entrée et sortie strictement interdites», prévient un panneau accroché à la porte d’un immeuble, que l’on n’identifie comme une simple et banale porte d’entrée qu’au second coup d’œil. Le hublot, parfaitement rond, et la présence d’un visage que nous scrutons, suggéraient en effet l’entrée d’une chambre spéciale dans une zone de haute sécurité biologique – soit ce que, grâce à la diligence sanitaire des autorités allemandes, le quartier est devenu. Le texte qui accompagne l’image est sans ambiguïté:
«Le typhus, cette épidémie indigène, n’a jamais pu disparaître des quartiers juifs de Varsovie, galeux et criants de saleté. De tous les malades du typhus du Gouvernement Général, 92 % sont Juifs, mais leur taux de mortalité ne dépasse pas 10 %, parce que les Juifs sont immunisés contre cette fièvre par la longue familiarité qu’ils entretiennent avec la maladie – qui fait d’autant plus rage chez les Allemands et chez les Polonais, qui en meurent à 40 %. Les autorités du Gouvernement Général ont entrepris une guerre contre l’épidémie: ils font condamner les maisons contaminées, qui sont surveillées par la police juive23.»
De même, plus généralement, c’est le ghetto tout entier qui est présenté par l’article comme une zone de quarantaine, un quartier d’isolement sanitaire «totalement fermé vers l’extérieur», un «réservoir à Juifs» (Judenreservoir) dont il est désormais heureusement impossible de «s’échapper24».
3. Isoler le Juif, facteur pathogène
Cynisme? L’ouvrage rédigé par les médecins que nous évoquions est paru en 1941, au moment où l’élimination physique des Juifs de l’Est débute – à l’été – avant que, à l’automne, ne soit envisagée celle de la totalité des Juifs du continent européen. On s’étonne que, jusque dans la presse, la politique anti-juive du Reich soit qualifiée de «mesures de protection», justifiées par la «nécessité médicale». Il reste que, quelques mois avant que Hitler et Himmler ne prennent la décision d’assassiner industriellement les Juifs de Pologne et d’Europe de l’Ouest, mais au moment où le génocide systématique des populations juives d’URSS bat son plein sur le terrain, Goebbels note dans son journal:
«Dans le ghetto de Varsovie, on a noté une certaine montée du typhus. Mais on a pris des mesures pour qu’on ne les fasse pas sortir du ghetto. Après tout, les Juifs ont toujours été des vecteurs de maladies contagieuses. Il faut ou bien les entasser dans un ghetto et les abandonner à eux-mêmes, ou bien les liquider; sinon, ils contamineront toujours la population saine des États civilisés25.»
Cet extrait du journal de Goebbels et le livre de 1941 nous indiquent quelques repères pour cartographier cet univers mental nazi bio-médical ordonné par un idéal aseptique. Le nazisme, qui se veut transcription politique des lois de la nature, conçoit l’ennemi en termes biologico-pathologiques et prétend développer des pratiques dont la fin est ouvertement et littéralement axénique: il s’agit de débarrasser le peuple allemand et tous les territoires du Reich (l’espace vital, l’espace où se déploie la vie de la race) de tout élément étranger (xenos) et hostile susceptible de le contaminer et de l’affaiblir, voire de le détruire. Ces idéaux et ces catégories font l’objet d’une large publicité: le discours nazi est saturé de termes biologiques et médicaux, et abuse du terme de «Seuche» (épidémie) ou de «Pest» pour désigner l’ennemi.
Par ailleurs, les ordres donnés à la troupe visent à diffuser et acclimater une psychose de la contamination. Ces ordres sont illustrés par des films didactiques à l’usage des soldats et policiers de la Wehrmacht et de la SS. Ainsi de ce film de 1942, intitulé Combattons le typhus!26, qui enseigne que le typhus, tout comme la peste, les rats, les Juifs et l’homosexualité, est une pathologie orientale, qui «s’est diffusée d’est en ouest à partir de son foyer d’Asie mineure»: «En Pologne, ce sont les provinces voisines de la Russie qui sont particulièrement touchées» alors que «le territoire du Corridor [de Danzig], tout comme la Silésie», territoires allemands, «ont pratiquement été épargnés». Sur fond d’images de ghettos, un commentaire solennel prévient le soldat allemand contre le «danger invisible» de la maladie:
«Un des plus vieux foyers typhiques se trouve en Wolhynie ou, tout comme ailleurs en Pologne, on trouve une population juive. Une incroyable saleté, ainsi que le sempiternel commerce de frusques infestées de puces sont les causes d’une propagation incontrôlable de l’épidémie […]. Tout cela met également en danger le soldat allemand quand il entre en contact avec cette population contaminée […]. Un simple regard jeté à l’intérieur de ces logements misérables doit être un avertissement suffisant pour le soldat allemand: il doit prendre garde au danger invisible qui le menace dans ces quartiers juifs, au beau milieu d’un environnement d’une saleté extrême.»
Les images que balaye la caméra au moment où ces propos sont tenus sont en effet effrayantes. Visages mangés d’une mauvaise barbe, enfants étiques, blattes courant sur les murs, eaux d’évacuation stagnant au beau milieu des cours d’habitation, crasse épaisse… Les services nazis de propagande font une grande consommation de ces images de ghetto, comme dans le film Le juif éternel (Der ewige Jude, 1941), qui prétend démasquer, rendre visible, le Juif qui se cèle et se travestit quand il porte smoking et fume cigare dans les salons berlinois: le véritable juif est le juif de l’Est, radicalement autre par sa langue, sa vêture, ses rites et son hygiène, le «Juif éternel» étant associé aux images de saleté d’un ghetto qualifié de «foyer de peste» (Pestherd). Le film montre complaisamment ces images d’une humanité juive dégradée par les soins de la politique nazie elle-même, épuisée par la famine, contrainte de se tasser par familles entières dans des deux-pièces et, de fait, frappée par la maladie. Autrement dit, le film prévient le soldat allemand d’un danger que les nazis ont eux-mêmes suscité par leur politique de ghettoïsation. La performativité du discours nazi et la circularité du rapport entre imaginaire et réel sont exemplaires: les nazis construisent l’ennemi non seulement par le discours et par l’image, mais aussi par des pratiques qui produisent une biologie dégradée, ensuite exhibée comme preuve de la justesse du discours nazi…
Le commentaire des images est en outre très habile: il prêche le vraisemblable, le connu, le stéréotype qui frappe les Juifs (le Juif qui fait «commerce de frusques») pour mieux entraîner le spectateur vers une requalification de la population juive. Les Juifs ne sont pas seulement ces misérables bonimenteurs bien connus, mais aussi un «danger invisible» que le discours nazi prétend démasquer. Ce film de 1942 entre en résonance avec Le Juif éternel de 1941: aux images des «Salonjuden» de Berlin, courtoisement adossés à une cheminée, verre de champagne à la main, succèdent des images de ghettos polonais, celles des véritables Juifs. Peu après intervient la séquence bien connue des cartes et des rats: d’où viennent les Juifs? D’Asie mineure! Ils se sont répandus dans le monde à l’époque alexandrine, d’Est en Ouest, tout comme les rats, vecteurs de la Mort noire, malédiction de l’Europe frappée par la peste. Et, «comme les rats», insiste le film, les Juifs détruisent, mordent et tuent par la maladie qu’ils transmettent.
L’analogie d’une propagande grossière devient une pure et simple assimilation qui sous-tend le message suivant: l’Allemand ou le soldat allemand est d’autant plus en danger que le danger est invisible et que, trop longtemps, les Allemands n’ont pas été conscients de la nocivité du Juif. Seule la science de la race, politiquement promue par le national-socialisme, a pleinement révélé ce danger, de même que Robert Koch, à la fin du xixe siècle, a identifié le bacille de la tuberculose: la science et la politique ont fait la lumière («Allemagne, réveille-toi!27») sur des dangers éternels, mais jadis invisibles. Tout est fait pour rendre le Juif visible: une raciologie vétilleuse multiplie les indices morphologiques, une législation implacable impose l’étoile jaune (Pologne 1939, Europe 1941) et des prénoms obligatoires pour les enfants juifs (Israël et Sarah – décret de 1938); un discours constant révèle le complot bimillénaire qui vise à venger la défaite de Jérusalem face aux légions romaines; quant au juriste Carl Schmitt, il propose d’isoler les auteurs juifs dans des sections spéciales des bibliothèques et de mentionner la qualité de Jude dès que l’un d’entre eux est cité28.
Les nazis se veulent les Robert Koch de la politique: il faut révéler et isoler le Juif comme vecteur de la maladie ou agent pathogène, et agir médicalement, sur le mode prophylactique (interdiction des mariages «mixtes» et de toute relation sexuelle «interraciale» par les lois de septembre 1935) et curatif (traitement aseptique). Cette médicalisation de l’antisémitisme est une tendance structurelle du nazisme, qui se prétend transcription politique et juridique des lois de la nature. Elle révèle également la prise en charge de la «question juive» par une tendance du nazisme qui s’impose peu à peu, et qui est celle de la SS: ultra-raciste, élitiste et sans compromis, mais soucieuse de promouvoir une approche dépassionnée des «problèmes» de l’Allemagne, une approche à la fois «fanatique [dans la conviction] et froide [dans la pratique]», bien éloignée de l’antisémitisme vulgaire, tapageur et in fine contre-productif, de la SA et des démagogues à la Julius Streicher.
La SS et la police allemande se veulent le corps médical de la nouvelle Allemagne, agissant toujours pour le salut biologique de la communauté qu’elle protège. Une fois que la décision est prise de tuer et non plus seulement d’expulser l’allogène, la SS diffuse massivement ce discours sanitaire et médical qui fonde les pratiques de meurtre et les rend acceptables en les justifiant par un impératif sanitaire et salutaire.
4. Behandlung: le «traitement» de la «question juive»
Le discours médical, qui effraye car il dénonce un danger virulent, rassure également, non seulement parce qu’il prétend s’attaquer au mal ainsi identifié, mais encore parce qu’il propose des protocoles d’action, des modes de traitement curatif. L’Allemagne comme communauté biologique n’est donc plus soumise à la fatalité malheureuse du fléau, mais dispose, grâce à sa science et à son ingénierie médicale et sanitaire, des moyens de le maîtriser et de l’éradiquer. Parler et penser en termes de procédures, de méthodes et de modus operandi permet également de focaliser l’attention et de concentrer les intelligences sur le calcul des moyens, et de mettre à distance les fins – d’occulter ainsi le fait qu’il s’agit de combattre, voire d’éradiquer, non des puces, mais des êtres humains. Au-delà de notre seul cas d’espèce, c’est une des grandes vertus des métaphores dans le discours nazi: omniprésentes, celles-ci sont prises et à prendre au sens le plus littéral du terme. Abolissant toute distance entre le réel décrit et l’image proposée, elles permettent d’avoir une prise sur le réel en offrant des modes d’action sur l’image, modes d’action justifiés par le caractère contraignant de celle-ci. Les puces infectieuses sont traitées dans un processus de désinfection, les orties sont arrachées, les champs, sont binés. Quant aux arbres, ils sont faits pour être taillés, et les verrues pour être brûlées, etc. Toutes ces métaphores, qui ressortissent aux registres agricole, horticole, médical, visent à montrer à leur destinataire qu’il n’a pas le choix: l’ortie, urticante et néfaste, doit être arrachée et brûlée. Il n’est question ici ni d’idéologie, ni de politique, mais de nécessité naturelle – c’est ce qu’explique souvent Heinrich Himmler, familier de la tournure métaphorique:
«Nous sommes les premiers à avoir résolu la question du sang par nos actes (…). L’antisémitisme, c’est une question de désinfection. Éradiquer les puces infectieuses, ce n’est pas une question d’idéologie. C’est une affaire d’hygiène. De la même manière, l’antisémitisme n’a jamais été, à nos yeux, une question idéologique, mais une affaire d’hygiène, une affaire bientôt réglée, soit dit en passant. Nous serons bientôt débarrassés de nos poux. Nous en avons encore 20 000. Après, ce sera terminé pour l’Allemagne toute entière29.»
Ce type de propos et d’images est courant dans le discours des hiérarques du parti et de l’État nazis. Ils sont tributaires d’une médicalisation du discours politique qui, depuis la fin du xixe siècle, va de pair avec une naturalisation de la culture et de l’histoire, dans le sillage du darwinisme social, mais aussi des progrès des sciences naturelles et de la médecine, qui tendent à faire de ces sciences la science par excellence, dont les concepts, les méthodes et les principes pourraient être appliqués à toute réalité.
Dans le cas nazi, parler de «bacille», de «trichine» ou de virus excède de loin la simple invective ou l’insulte. Les termes et les raisonnements sont trop courants, trop réitérés pour ne pas être réellement pris au sérieux. Quand Joseph Goebbels, peu après sa visite du ghetto de Vilnius, note dans son Journal que «les Juifs sont les poux de l’humanité civilisée», il ajoute: «Qu’on les épargne, et on sera plus tard leur victime30». Le recours à l’image péjorative et infamante ne possède pas qu’une valeur épidictique: il a aussi une vocation pratique, en ce qu’il appelle à l’action, pour parer à un danger majeur. Quelques jours après cette notation dans son Journal, Goebbels signe un célèbre éditorial du quotidien Das Reich, dans lequel il assène, une fois encore, que «les Juifs sont coupables», non seulement de la guerre, mais encore de la tournure prise par celle-ci, qui rend très nerveuse la hiérarchie nazie, car elle se montre peu favorable à l’Allemagne: l’Angleterre, aux mains des Juifs, résiste, et la guerre-éclair à l’Est, en URSS, est un échec devant la résistance opiniâtre et inattendue de l’Armée rouge.
Après que la décision d’assassiner tous les Juifs du continent a été prise, vraisemblablement en décembre 1941, Hitler multiplie les notations biologiques et médicales. Soucieux d’obéir aux lois de la nature, le Führer affirme qu’«un peuple qui n’a pas de Juifs est rendu à l’ordre naturel31», à un bénéfique état de santé en accord avec les décrets éternels de la nature. Quelques jours plus tard, il estime être l’égal des grands génies de la médecine qui, en découvrant les modalités de développement et de transmission des maladies les plus redoutables, ont bien mérité de l’humanité: «Nous devons aujourd’hui mener le même combat que celui que Pasteur et Koch ont mené. D’innombrables maladies ont pour cause un seul bacille: le Juif! […]. Nous retrouverons la santé quand nous aurons éliminé le Juif32».
Les modalités de cette «élimination» ne sont, depuis décembre 1941, plus douteuses. Là encore, force des images et des représentations, c’est bien le paradigme du pou, de la puce infectieuse et pathogène qui suggère le type de «traitement» (Behandlung33). Robert Ley, chef du DAF, explique ainsi, devant un parterre de fonctionnaires civils et militaires allemands, en mai 1942:
«Le Juif est le plus grand danger de l’humanité. Si nous ne parvenons pas à l’exterminer, nous perdrons la guerre. Il ne suffit pas de le conduire quelque part. Comme si on voulait enfermer un pou dans une cage quelque part. Il trouverait une sortie et, surgissant par-dessous, il nous démangerait de nouveau. Vous devez les anéantir, les exterminer, pour ce qu’ils ont fait à l’humanité34.»
Sur un mode plaisant, qui veut enlever l’adhésion de l’auditoire en le faisant sourire, la force contraignante de l’image conduit nécessairement à une conclusion par l’absurde: en effet, on ne déplace pas les poux pour les cantonner loin de soi. On ne les enferme pas non plus derrière des barreaux.
Ces considérations ne restent pas générales ni vaines. Elles ne sont pas uniquement agitées dans un but de propagande par des orateurs en mal de métaphores, mais elles constituent des questions de politique sanitaire concrète, au niveau des administrateurs régionaux et locaux. Dans un conseil de gouvernement rassemblant les autorités policières, sanitaires et les différentes administrations du Gouvernement Général, Hans Frank demande le 16 décembre 1941 un rapport complet sur la situation de sa région. Confronté à des exposés alarmants qui l’alertent sur les progrès du typhus, le gouverneur Frank estime qu’«il faut réprimer avec la plus grande brutalité les Juifs qui quittent le ghetto. La peine de mort prévue dans ce cas doit être désormais appliquée le plus rapidement possible». Le juriste Hans Frank précise que, «le cas échéant, une simplification de la procédure devant le tribunal spécial doit intervenir». Le gouverneur du district de Radom, Ernst Kundt, prend alors la parole pour se féliciter de la contention de l’épidémie dans son district, due à la sévère rétention des Juifs dans leurs ghettos et aux sanctions très lourdes qui visent tout Allemand qui «serait en commerce» avec eux. Ernst Kundt souhaite lui aussi, comme son supérieur Frank, que «le respect des formes hiérarchiques» n’empêche plus une application rapide des peines de mort prononcées. La discussion est conclue par le général SS Karl Schöngarth, docteur en droit et «BdS GG35» (commandant de la police de sécurité du Gouvernement général), qui «salue avec gratitude» l’initiative de son collègue BdO36, qui a édicté un «ordre de tirer, sur le fondement duquel il est possible d’ouvrir le feu sur les Juifs que l’on rencontre sur les routes37».
5. De la prophylaxie à la cure: désinfection et éradication
Éliminer la maladie revient donc à éliminer le Juif. Ce qui est affirmé sans ambages ni précaution par les plus hauts responsables du IIIe Reich dans le secret de leur cercle d’intimes ou devant des officiers tenus à la confidentialité, des films, destinés à la population slave de Pologne, aux colons allemands, ainsi qu’aux membres des forces militaires et policières du Reich, le montrent de manière quasi explicite.
Ainsi de ce film, intitulé Juifs, poux et typhus en polonais et Juifs, puces et blattes en allemand38. Commandé et diffusé en 1942 par les services sanitaires du Gouvernement général, destiné à la population de la Pologne occupée et aux personnels civils et militaires allemands, ce film de 9’ 14” débute fort classiquement par des images d’un ghetto où règnent la promiscuité, la saleté et l’obscurité. À quelques images de Juifs visiblement asthéniques succèdent schémas et coupes de la puce infectieuse responsable de la contamination typhique. Contre cette déshérence morbide, l’ingénierie sanitaire allemande intervient: sous le commandement d’un sous-officier, un commando de juifs en blouses vient prélever matelas, tissus, châlits, placés dans une pièce hermétique aux fins de fumigation. À la désinfection des objets succède celle des êtres: des malheureux, amaigris et épuisés, se déshabillent avec lassitude, le regard vide, devant la caméra, qui ne perd rien de la suite – ni de la tonte des cheveux, ni de celle du pubis, ni de la douche. Une séquence intercalée montre les vêtements à leur sortie de cuve: soumis à une vaporisation intense, ils en sortent purifiés et à nouveau propres – c’est le mot – à l’usage.
On ne peut pas en dire autant des Juifs: aussi accablés et fatigués à leur sortie de douche qu’auparavant, les êtres ne semblent pas aussi immaculés que les objets. Significativement, le film s’achève en effet sur une longue séquence hospitalière: d’autres malheureux, visiblement en état de cachexie, sont manipulés sans ménagement devant la caméra, selon un protocole cinématographique courant dans les films sanitaires et médicaux nazis39. Les documentaristes s’attardent sur les symptômes et stigmates de l’affection, notamment sur les pétéchies qui affligent la poitrine nue d’une jeune femme qu’un médecin manipule comme une pouliche, exorbitant ses yeux, ouvrant avec violence sa bouche pour exhiber ses gencives gonflées par la maladie.
La conclusion implicite, mais si expresse, de cette séquence est que le typhus ne peut être vaincu que par l’éradication des agents pathogènes, comme dans les chambres de fumigation et dans les cuves de désinfection. En 1942, au moment où ce film est diffusé, le traitement chimique d’êtres humains, suivis de leur crémation, est déjà une pratique nazie éprouvée: 70 à 80 000 malades mentaux allemands ont déjà été gazés et brûlés par la SS dans le cadre de l’opération T4 (octobre 1939-août 1941), et des essais d’empoisonnement au monoxyde de carbone et au zyklon B ont été effectués dans plusieurs centres expérimentaux à l’automne 1941 (Auschwitz, Chelmno). La sidération qui frappe le spectateur du film Juden, Läuse, Wanzen provient du fait que ce qui est décrit à l’écran correspond très précisément au protocole testé à l’automne 1941 puis suivi dans les centres de mise à mort qui entrent massivement en action au printemps 1942: les vêtements sont prélevés et désinfectés dans des cuves prévues à cet effet (avant d’être expédiés vers le Reich), tandis que leurs propriétaires sont dirigés vers des salles de douche où le processus de désinfection ne recourt ni à l’eau, ni au savon, mais à la fumigation – par un produit auparavant utilisé contre les insectes, la vermine et les rats, le Zyklon B, acide prussique concentré produit par la Degesch (Deutsche Gesellschaft für Schädlingsbekämfung), la «Société allemande de lutte contre les nuisibles» – terme qui, dans ce contexte mental et pratique, revêt tout son sens. Des stocks de zyklon B étaient présents à Auschwitz, où ils étaient utilisés pour la désinfection des bâtiments, avant que le commandant Rudolf Höss ne les teste sur des êtres humains (des prisonniers russes) et ne se convainque de leur remarquable efficacité: la mort est moins coûteuse et plus rapide que par l’empoisonnement au monoxyde de carbone, qui nécessitait l’immobilisation de moteurs de chars ou de camions et une grande consommation de diesel.
Le film antityphique de 1942 semble tout montrer, tout révéler de la procédure d’assassinat industriel pratiquée dans les centres de mise à mort polonais mis en service la même année: tonte, douche, fumigation. Peut-être est-il destiné avant tout aux personnels du «traitement spécial», à ceux qui savent, et qui doivent se convaincre de la nature sanitaire de leurs pratiques. En tout cas, il témoigne d’un imaginaire de l’éradication germinique qui ne peut conduire qu’à la destruction des agents pathogènes – les puces dans les cuves et salles hermétiques, mais aussi les porteurs plus ou moins sains que le film montre au début (images du ghetto) et à la fin (images de l’hôpital).
Il en va de même pour ce manuel sanitaire édité par l’Institut d’Hygiène de la Waffen-SS et publié en 1943 sous le titre Dégerminification, désinfection, asepsie40. Rédigé par un médecin et capitaine de réserve de la SS, ce manuel, destiné aux troupes combattantes et non aux personnels des centres de mise à mort, prétend répondre aux questions sanitaires qui se posent à toute troupe en campagne. Manuel neutre, technique, donc, mais que son inscription dans l’économie générale de la culture nazie rend signifiant bien au-delà de son objectif proclamé.
Après avoir annoncé, dans son avant-propos, que «les mauvaises conditions sanitaires régnant dans les anciens territoires polonais et soviétiques ainsi que l’apparition d’épidémies inconnues – ou fort rares – dans l’espace allemand obligent chacun d’entre ceux qui sont responsables de la santé du peuple allemand à étudier les moyens de combattre les agents ou les vecteurs de maladies» et après avoir rendu hommage au Dr. Koch, le manuel du Dr. Dœtzer rappelle que «le point de départ d’une épidémie est toujours un individu ou un animal malade» et que, pour «prévenir la diffusion des germes morbides», il est indiqué de les «mettre à l’écart, de les éloigner temporairement ou définitivement de la communauté (Gemeinschaft)», voire de les «exterminer par une opération létale», notamment s’il s’agit «d’animaux sans valeur particulière». Quant aux porteurs sains, ils «doivent être traités et isolés comme des malades41»: les Juifs, souvenons-nous, sont aux yeux des nazis des porteurs sains, c’est-à-dire des vecteurs pathologiques, qui ne sont pas malades eux-mêmes, car ils sont immunisés, mais qui sont contaminants. En somme, résume l’auteur, la «propagation d’une maladie infectieuse est évitée par l’isolement ou la destruction de l’individu malade42».
Pour parvenir à l’asepsie totale, l’auteur recommande l’usage du feu et la procédure de la crémation, un feu qui «doit être maintenu à une température telle qu’aucun reste ne demeure épargné par la destruction». À cette fin, l’usage de «fours crématoires […] alimentés en combustibles complémentaires (coke, charbon, gaz, essence, huiles de chauffage, etc.)» est recommandé, car «seules les installations fermées permettent d’atteindre avec certitude des températures qui rendent possibles une crémation totale43».
Outre la destruction par le feu, le traitement chimique est possible: cette «désinfection chimique» a cependant, c’est à la fois sa vertu et son danger, «la capacité de détruire tous les êtres vivants44», y compris «les êtres vivants évolués, pour qui elle est nocive45». L’auteur suggère l’usage du Zyklon B, dont il vante «l’effet mortel très fort, immédiat», ce qui suppose des précautions strictes: les espaces visés doivent être, au préalable, «vidés de toute présence humaine46», et les préposés à la désinfection doivent porter gants et masques. Dans une série de photographies pp. 120 et 121, l’auteur pousse l’obligeance jusqu’à indiquer comment ouvrir et manipuler sans danger les boîtes hermétiques contenant les galettes d’acide prussique avant leur vaporisation. Cette pédagogie par l’image décrit également les autoclaves, dont un schéma nous est proposé p. 25, mais aussi les saunas de campagne (pp. 162-163), ainsi que les nombreux schémas et dessins représentants les puces, poux et insectes divers que le manuel désigne comme ennemis et invite à reconnaître pour les détruire.
La lecture de ce manuel pratique de désinfection à l’usage de l’infanterie SS peut plonger le lecteur dans le même état de stupéfaction que le film Juifs, poux et blattes évoqué plus haut. Là encore, la tentation est grande d’y voir un mode d’emploi de l’assassinat industriel, et il est probable que ce capitaine de réserve Dœtzer ait été informé de ce qui était en cours ou achevé à Treblinka, Sobibor, Belzec, Birkenau. Il faut cependant se garder de conclure trop vite de la théorie à la pratique et de voir dans ces textes et films des memento qui, sur un mode mécanique, produiraient une réalité génocidaire. Ils ne sont pas (ou pas forcément, ou pas seulement) les manuels indiquant comment opérer un assassinat de masse mis en œuvre au même moment et sur le même mode.
L’important, et l’incontestable, demeure que ces textes et films désignent le mal en employant un vocabulaire que le discours nazi a popularisé depuis longtemps pour qualifier les Juifs («virus», «bactéries», «germes», «nuisibles»); qu’il décrivent des procédures de désinfection (rasage, douche, désinfection des vêtements par fumigation ou vaporisation – destruction par le feu des porteurs et vecteurs) homologues au protocole de l’assassinat industriel et qu’ils recommandent des instruments et matériels (Zyklon B, pièces hermétiques, fours crématoires) utilisés pour assassiner plusieurs millions de personnes entre 1942 et 1944.
L’historien Paul Weindling a magistralement montré, dans un livre intitulé Epidemics and Genocide47, que ces procédures ne se bornent pas à rassurer le bourreau en le convaincant de la justesse et de la pertinence de son office. Weindling montre également que les victimes elles-mêmes sont apaisées, rassurées, par des protocoles dont elles ont entendu parler et dont certains membres de leur famille avaient pu elles-mêmes faire l’expérience dans les décennies précédentes. Confrontées à un bouleversement de ses frontières à l’Est, conséquence du Traité de Versailles, l’Allemagne – celle de la République de Weimar – avait érigé, pour faire face à l’afflux potentiel d’immigrants venus de l’Est, des stations sanitaires qui, après traitement, délivraient des attestations de santé et d’hygiène médicale indispensables à l’obtention du visa d’entrée en Allemagne et, partant, en Europe de l’Ouest. Ces Entlausungsanstalten (Centres d’épouillage) et cette pratique des Entlausungsscheine (certificats sanitaires) ne constituent pas une odieuse spécificité allemande. C’est toute la communauté médicale d’Europe de l’Ouest qui, depuis les découvertes de Pasteur et de Koch, se préoccupe de la désinfection des migrants, importateurs de puces, microbes et virus peu ou pas connus, et donc particulièrement dévastateurs pour les populations d’accueil. Au-delà de l’Europe de l’Ouest, c’est tout l’Occident qui s’en inquiète: les stations d’épouillage de la République de Weimar sont homologues à la quarantaine et aux traitements imposés par les États-Unis d’Amérique, sur l’île d’Ellis Island, aux immigrés venus d’Europe, notamment d’Europe de l’Est – immigrés visés par des quotas très restrictifs au lendemain de la Première Guerre mondiale. Familiarité rassurante, donc, de ces protocoles sanitaires de désinfection où, de fait, on est soumis au déshabillage et à la fumigation. Sous la République de Weimar, toutefois, on en ressortait vivant.
Les Juifs, à l’Est, sont considérés comme des vecteurs de maladie. De porteurs, ils deviennent, par assimilation, les agents pathogènes eux-mêmes, à l’Est, comme à l’Ouest, car il y a unité de race.
En 1944, au moment où, pour la Pologne (Warthegau, Danzig-Westpreussen et Gouvernement général) la «solution finale» est considérée comme achevée, où le génocide a été perpétré, le directeur de l’Institut d’Hygiène de Varsovie, le Dr. Robert Kudicke, publie une étude intitulée «Propagation et lutte contre le typhus. Un bilan pour le Gouvernement Général48». Le médecin y rappelle l’histoire récente de la maladie en Pologne, sa diffusion dramatique dans les territoires occupés par l’Allemagne depuis 1939, avant que l’action sanitaire résolue des autorités médicales, militaires et policières allemandes ne parvienne à inverser la tendance, avec un succès dont il se félicite car, à ses yeux, la maladie, sans être encore parfaitement éradiquée, ne représente en 1944 plus aucune menace. Pour illustrer son propos, il produit dans son article une courbe retraçant l’évolution de la maladie. L’acmé quantitatif a été atteint en décembre 1941, avant que la régression ne soit manifeste, puis inéluctable, à partir de janvier puis, plus nettement, du printemps 194249. Le mérite en revient à toutes les mesures sanitaires de désinfection et d’épouillage systématique sur lesquelles l’auteur revient longuement. Rien n’est dit, toutefois, en fin d’article, sur ce «prolétariat juif50» qui, par son hygiène déplorable et cette manie du nomadisme, était responsable de la diffusion de la maladie, ou de ces «Juifs de l’Est» si «négligents» avec leur «vêtements infestés de puces51» qu’ils dormaient avec et ne les quittaient jamais. L’action résolue des autorités allemandes a mis fin aux déplacements de population, aux migrations qui transportaient l’infection, en assignant les nomades à résidence. Elle a peut-être également mis fin, tout simplement, à leur existence, car l’auteur ne les évoque même plus à partir de la page 10. Ils sont présents, en creux, dans les mots conclusifs du texte: «À partir de la fin janvier 1942, la courbe régresse52». Le résultat le plus remarquable concerne l’été de cette même année: «Le retournement de tendance – la courbe le montre – a réussi à une période de l’année où, généralement, les chiffres du typhus augmentent53». La suite de l’année 1942 a confirmé cette heureuse inflexion: «La décrue constante de la courbe a été atteinte54». Cette statistique est si belle qu’une courbe similaire devait faire l’objet d’une mise en scène cinématographique et figurer dans un film intitulé Ghetto55, tourné par les autorités allemandes, mais qui ne fut jamais ni achevé, ni diffusé.
Privée de consécration cinématographique, cette courbe retraçant l’évolution du typhus dans le Gouvernement général achève de nous renseigner sur l’univers bio-médical dans lequel évoluent, du sommet jusqu’au terrain, les responsables de la persécution, puis du meurtre des Juifs de l’Est, puis de toute l’Europe. Tout n’est certes pas qu’imaginaire: il est probable que les courbes de l’épidémie de typhus se soient infléchies en 1942, au moment où les nazis vident les ghettos pour transporter leur population vers les centres de mise à mort. Il reste que, dans la courbe produite par le Dr. Kudicke, le basculement de décembre 1941 semble prématuré.
Or c’est très vraisemblablement en décembre 1941 que la décision a été prise par Hitler et Himmler d’assassiner tous les Juifs du continent européen56, non seulement ceux d’Union soviétique, victimes de l’action génocidaire des Einsatzgruppen depuis juin 1941, mais également ceux de Pologne et de l’Ouest. C’est au printemps 1942 que les centres de mise à mort de Pologne commencent à assassiner les Juifs européens par centaines de milliers, puis par millions, permettant, dans la logique nazie, de maîtriser l’épidémie de typhus.
Johann Chapoutot est maître de conférences HDR à l’Université Grenoble II et membre de l’IUF. Spécialiste d’histoire de l’Allemagne, il a consacré plusieurs livres au nazisme, dont sa thèse (Le nazisme et l’antiquité, Paris, Puf, 2008, rééd. 2012), Le meurtre de Weimar (Puf, 2010), Fascisme, nazisme et régimes autoritaires en Europe (1918-1945), publié en 2008, et réédité en 2013, ainsi qu’un numéro de la Documentation Photographique (Le nazisme, une idéologie en actes, Paris, 2012). Le présent article approfondit un des points de son prochain livre, La loi du sang (à paraître en septembre 2014), qui est une étude de la culture normative nazie.
1. Comme «Le vent m’a dit une chanson», interprété par l’actrice Zarah Leander en français également («Der Wind hat mir ein Lied erzählt»).
2. La Habanera, 1937, UFA, 98’. Avec Zarah Leander, Ferdinand Marian et Karl Hermann Martell. La première a eu lieu le 18 décembre 1937 au Gloria-Palast de Berlin.
3. Les extérieurs ont été tournés en 1937 à Santa Cruz de Tenerife, en Espagne, et les intérieurs réalisés dans les studios de Babelsberg, entre Berlin et Potsdam.
4. Incarné par l’acteur Ferdinand Marian qui, trois ans plus tard, prêtera son visage au Juif Süss de Veit Harlan (1940).
5. Werner Best, «Die Geheime Staatspolizei», Deutsches Recht, avril 1936, pp. 125-128.
6. Personnage déjà consacré par le cinéma américain des années 1920.
7. Du «Tropeninstitut» de Hambourg, notamment. Voir Norbert Frei, Medizin und Gesundheitspolitik im Dritten Reich, Munich, Oldenbourg, 1991 et Thomas Werther, «Fleckfieberforschung im deutschen Reich 1914-1945. Untersuchungen zur Beziehung zwischen Wissenschaft, Industrie und Politik», thèse de doctorat, Philipps-Universität Marburg, 2004.
8. Un biopic au budget important est du reste consacré au grand savant en 1939, année de l’entrée en guerre contre la Pologne. Robert Koch, Bekämpfer des Todes (BA-FA 187456) met en scène la vie du médecin, soldat opiniâtre de la science, véritable Führer héroïque qui lutte non seulement contre la maladie, mais aussi contre l’arriération religieuse, les préjugés, l’administration et la suffisance bouffie de mandarins berlinois qui se gaussent avec hauteur de ce médicastre de province.
9. «Commissariat du Reich pour le Renforcement de la Germanité», créé par décret d’Hitler le 7 octobre 1939. Le Reichskommissariat für die Festigung Deutschen Volkstums (RKF), confié à Heinrich Himmler, Reichsführer SS et ministre de l’Intérieur du Reich, a pour mission la colonisation de l’Est et la reconfiguration géo-ethnique des espaces polonais. En attendant, bien sûr, les terres de l’Union Soviétique. Voir Götz Aly, Suzanne Heim, Vordenker der Vernichtung: Auschwitz und die deutschen Pläne für eine neue europäische Ordnung, Francfort, Fischer, 1993 et Isabel Heinemann, Rasse, Siedlung, deutsches Blut – Das Rasse- und Siedlungshauptamt der SS und die rassenpolitische Neuordnung Europas, Göttingen, Wallstein, 2003.
10. «Warnung vor heimtückischer Sowjetkriegsführung», 1941, cité in Gerd Überschar, Wolfram Wette‚ Unternehmen Barbarossa’. Der deutsche Überfall auf die Sowjetunion 1941, Paderborn, Schöningh, 1984, p. 316, point I-A-2-6.
11. Sur le marquage et le parcage, voir Christian Ingrao, Les chasseurs noirs. La Brigade Dirlewanger, Paris, Perrin, 2006.
12. Jost Walbaum (dir.), Kampf den Seuchen!, Deutscher Ärzte-Einsatz im Osten-Die Aufbauarbeit im Gesundheitswesen des Generalgouvernements, Krakau, Deutscher Osten Verlag, 1941.
13. Joseph Ruppert, «Die Seucheninsel Polen. Allgemeine Gesundheitspflege unter deutscher Ärzteführung», in Jost Walbaum (dir.), Kampf den Seuchen!, op. cit, pp. 23-37.
14. Ibidem, p. 23.
15. Ibidem, p. 24.
16. Naturellement, car l’ouvrage vante la «deutsche Ritterlichkeit» («l’éthique chevaleresque allemande») du corps médical allemand, venu sauver la Pologne de ses endémies. Voir p. 66.
17. Ibidem, p. 28.
18. Idem.
19. Ibidem, p. 87.
20. Ibidem, p. 88.
21. Ibidem, p. 28.
22. «Auswurf der Ghettos», Das Schwarze Korps, 2 mai 1940, p. 8.
23. «Juden unter sich», Berliner Illustrierte Zeitung, 24 juillet 1941, p. 790.
24. Idem.
25. Joseph Goebbels, Tagebücher, 7 août 1941.
26. Kampf dem Fleckfieber!, Heeres-Filmstelle, Forschungsgruppe der Militärärztlichen Akademie – Lehrfilm Nr. 347 über Verbreitung und Übertragung des Fleckfiebers und seiner Bekämpfung, 1942, 23 minutes, Yad Vashem, Film center, 92026.
27. «Deutschland erwache!» est un des slogans les plus connus du NSDAP. À la fin du film consacré à Robert Koch (1939), Emil Jannings tient un discours en forme de péroraison qui exhorte les jeunes médecins à relever le «flambeau» de la science.
28. Carl Schmitt, «Schusswort des Reichsgruppenwalters Staatsrat Prof. Dr. Carl Schmitt», in Carl Schmitt (éd.), Das Judentum in der Rechtswissenschaft. Ansprachen, Vorträge und Ergebnisse der Tagung der Reichsgruppe Hochschullehrer des NSRB am 3. Und 4. Oktober 1936 – 1 – Die deutsche Rechtswissenschaft im Kampf gegen den jüdischen Geist, Berlin, Deutscher Rechtsverlag, 1936, p. 29.
29. Heinrich Himmler, «Kommandeurbesprechung SS-Panzerkorps», Charkow, 24 avril 1943, in Heinrich Himmler, Geheimreden 1933 bis 1945 und andere Ansprachen, Bradley Smith, Agnes Peterson (éd.), Francfort-sur-le-Main, Propyläen Verlag, 1974, pp. 200-201.
30. Joseph Goebbels, Tagebücher, 2 novembre 1941.
31. Adolf Hitler, propos privés, 17 février 1942, Führerhauptquartier, cité in Werner Jochmann (éd.), Monologe im Führerhauptquartier, 1941-1944. Die Aufzeichnungen Heinrich Heims, Hambourg, Albrecht Knaus Verlag, 1980, p. 280.
32. Adolf Hitler, propos privés, 22 février 1942, Führerhauptquartier, cité in Werner Jochmann (éd.), Monologe, op. cit., p. 293.
33. L’assassinat des Juifs étant désigné par le terme, euphémistique tout autant que médical, de Sonderbehandlung (traitement spécial).
34. Discours de Robert Ley, Amsterdam, 10 mai 1942, cité in Jeffrey Herf, The Jewish Ennemy. Nazi Propaganda during World War II and the Holocaust, Cambridge, Harvard University Press, 2006, trad. fr. L’ennemi juif. La propagande nazie, 1939-1945, Paris, Calmann-Lévy, 2011, p. 145.
35. «Befehlshaber der Sicherheitspolizei im Generalgouvernement». La Sipo-SD est la police de sécurité que l’on désigne improprement sous le nom de «Gestapo», alors que la Gestapo n’existe que dans et n’officie que pour le Reich.
36. «Befehlshaber der Ordnungspolizei» (Orpo). L’Orpo est la police ordinaire du maintien de l’ordre quotidien.
37. Werner Präg (éd.), Das Diensttagebuch des deutschen Generalgouverneurs in Polen, 1939-1945, Stuttgart, Deutsche Verlags-Anstalt, 1975, entrée 16 décembre 1941, Regierungssitzung.
38. Zydzi, Wszi, Tyfus / Juden, Läuse und Wanzen, Film- und Propagandamittel-Vertriebsgesellschaft, mbH., Krakau, Warschau, 1942, Bundesarchiv-Filmarchiv (BA-FA, Berlin), BSP 21006 et Yad Vashem Film Center, Nr. 47768.
39. Ces films, tels l’insoutenable Dasein ohne Leben (1941, BA-FA 20555, 54’), film sur les malades mentaux qui ne fut jamais diffusé car il était, du point de vue de la censure nazie elle-même, impropre à la projection, consacrent la majesté de la blouse blanche: l’auxiliaire médical ou le médecin manipule, étire, force les membres d’un être réduit à l’état de pantin en voie de désarticulation sous l’action souveraine, impérieuse et brutale du scientifique qui montre et démontre son inaptitude à la vie.
40. Walter Dötzer, Entkeimung, Entseuchung und Entwesung, Arbeitsanweisungen für Klinik und Laboratorium des Hygiene-Instituts der Waffen-SS, Berlin, Urban und Schwarzenberg, 1943.
41. Ibidem, p. 4.
42. Ibidem, p. 5.
43. Ibidem, p. 23.
44. Ibidem, p. 35.
45. Ibidem, p. 36.
46. Ibidem, pp. 92-93.
47. Paul Weindling, Epidemics and Genocide in Eastern Europe, 1890-1945, Oxford, Oxford University Press, 2003.
48. Robert Kudicke, «Ausbreitung und Bekämpfung des Fleckfiebers. Nach Erfahrungen im Generalgouvernement», in Robert Kudicke, Schriftenreihe für Seuchenbekämpfung, Heft I, Stuttgart, Hippokrates-Verlag, 1944, pp. 5-21.
49. «Fleckfieber im GG. Erkrankungsfälle für je 4 Wochen der Jahre 1941, 1942, 1943 ohne Galizien», in Robert Kudicke, «Ausbreitung und Bekämpfung des Fleckfiebers», art. cit., p. 21.
50. Robert Kudicke, «Ausbreitung und Bekämpfung des Fleckfiebers», art. cit., p. 6. Ibidem, p. 8.
51. Ibidem, p. 7.
52. Ibidem, p. 19.
53. Idem.
54. Idem.
55. Ghetto, BA-FA 112445, 61’.
56. Christian Gerlach, Sur la conférence de Wannsee, Paris, Liana Levi, 1999.