Maxime Steinberg
Les yeux du témoin
et le regard du borgneL’Histoire face au révisionnisme
«L’histoire à vif». Les Éditions du Cerf, Paris 1990. ISBN 2-204-04107-6.
© Les Éditions du Cerf 1990, Maxime Steinberg 2009.
Note de PHDN: on trouvera une traduction plus précise, l’original en allemand et des fac-similés, sur le site: http://phdn.org/histgen/camionsagaz/becker420516.html
Annexes
La «Vergasung»71Dr Becker72, sous-officier S.S., au lieutenant-colonel S.S. Rauf à Berlin. Kiev, le 16 mai 1942 73
Très secret
L’inspection des camions par les Groupes D et C74 est terminée Alors que les voitures de la première série peuvent être utilisées si le temps n’est pas trop mauvais, les camions de la deuxième série (Saurer) s’arrêtent complètement par temps pluvieux. Si, par exemple, il a plu pendant une demi-heure, on ne peut plus s’en servir, ils dérapent. On ne peut les employer que par temps absolument sec. Il reste à savoir si on peut uniquement employer la voiture en la laissant au lieu d’exécution. On devra d’abord l’y amener, ce qui n’est possible que par beau temps. Le lieu d’exécution est généralement à dix ou quinze kilomètres de la grande route, donc d’accès difficile, du fait de son emplacement ; par temps humide ou par temps pluvieux, on ne peut y accéder. Si les gens à exécuter sont conduits par camion ou amenés à pied, ils comprennent immédiatement ce qui va arriver, et ils s’agitent, ce qui est à éviter, autant que possible. Il ne reste donc qu’un procédé à employer : les charger au lieu de groupage et les conduire à cet endroit, j’avais donné l’ordre de camoufler les camions du groupe D en roulottes, en plaçant de chaque côté des plus petits une paire de volets, deux paires de volets sur les plus grands, comme on peut en voir fréquemment aux fermes dans les campagnes. Ces voilures étaient devenues si connues que non seulement les autorités, mais aussi la population civile les appelaient «les camions de la mort» dès qu’elles les voyaient apparaître. A mon avis, même camouflées, on ne peut dissimuler longtemps ces voitures. Le camion Saurer que j’avais amené de Simferopol à Taranrog avait eu ses freins endommagés en cours de route. Le commandant de la sécurité à Mariupol constata que les patins du frein à huile et a air combiné étaient cassés en plusieurs endroits. A force de persuasion et de pourboires, nous arrivâmes à faire monter une machine sur laquelle les patins avaient été revus. Quand j’arrivai à Stalino et à Gorlowka, quelques jours plus tard, les chauffeurs des camions se plaignaient des mêmes défauts. Après avoir parlé aux commandants de ces unités, je m’en fus une fois de plus à Mariupol, pour faire faire quelques patins pour ces voitures également. Comme convenu, deux patins seraient faits pour chacune des voitures, six patins resteraient à Mariupol pour en faire le remplacement sur le groupe D et six patins seraient envoyés au sous-lieutenant S.S. Ernst à Kiev, pour les voitures du groupe C. On se procurera à Berlin les patins pour les groupes B et A, car le transport de Mariupol au Nord serait trop compliqué et prendrait trop de temps. De moindres avaries de voitures seront réparées par des techniciens des unités, c’est-à-dire des groupes, dans leurs propres ateliers. A cause du terrain accidenté et de l’état indescriptible des chemins et des routes, les calfatages et les rivets lâchent à la longue On m’a demande si dans ce cas, il faudrait amener les voitures à Berlin pour les réparer. Le transport à Berlin est trop cher et demanderait trop de carburant. Pour éviter ces dépenses, j’ai ordonné de souder les petites fuites et lorsque ce n’est plus possible, de faire savoir à Berlin immédiatement que le Pol. n°75… est hors d’état de marche.
De plus, j’ai ordonné que, une fois le gaz lâché, les hommes soient tenus aussi loin des camions que possible afin que leur santé ne souffre aucun dommage du gaz qui pourrait éventuellement s’échapper. J’aimerais saisir cette occasion pour attirer votre attention sur les remarques suivantes : beaucoup d’unités ont fait faire par leurs hommes le déchargement après l’emploi du gaz. J’ai attiré l’attention de ces C[ommandos] S[peciaux] sur l’immense tort psychologique que fait subir ce travail à la santé de ces hommes, sinon immédiatement, du moins par la suite. Les hommes venaient se plaindre à moi de maux de tête qui apparaissaient après chaque déchargement. Cependant, ils ne veulent pas changer les ordres, car ils craignent que les prisonniers appelés pour ce travail ne profitent d’un moment opportun pour s’évader. Pour protéger les hommes contre ces inconvénients, je demande que des ordres soient donnés en conséquence.
Le gazage ne se fait généralement pas d’une façon correcte. Pour en finir le plus vite possible, le conducteur presse l’accélérateur à fond. En agissant ainsi, on fait mourir les gens par étouffement, et non par assoupissement progressif comme prévu. Mes directives ont prouvé que grâce à un ajustement correct des leviers, la mort est plus rapide et les prisonniers s’endorment paisiblement. On ne voit plus de visages convulsés, plus d’excrétions, comme on en remarquait auparavant. Je poursuis aujourd’hui mon voyage vers le groupe C où un prochain courrier pourra m’atteindre.
71. Voir le chapitre III.
72. August Becker.
73. H. MONNERAY, La Persécution des Juifs dans les pays de l’Est, Paris, 1949 p. 148-150.
74. Il s’agit de groupes d’action de la S.S. et de la police opérant dans les territoires soviétiques occupés.
75. Pol. (Polizei), soit le camion portant la plaque minéralogique n°…