Cliquez pour suivre le lien. 1. Francis R. Nicosia, The Third Reich and the Palestine question, Austin: University of Texas press, 1985, p. 144 et 48. En 1939, 8500 Allemands juifs parviennent encore à émigrer en Palestine. En 1940, ils ne sont plus que 900 (ibid., p. 212), ce qui permet bien de faire le constat que l’Accord de Transfert a cessé de fonctionner fin 1939. Compte tenu du fait que les transferts de biens dans le cadre de l’accord ne se poursuivent que jusqu’en décembre 1939 (ibid., p. 48), on peut faire l’hypothèse raisonnable que les 900 émigrants de 1940 ne bénéficient plus des conditions de l’accord. La cessation de l’effectivité de l’accord est mentionné en 1978 par Francis R. Nicosia («Zionism in National Socialist Jewish Policy in Germany, 1933-39», The Journal of Modern History, vol. 50, no 4, décembre 1978, p. D1263). C'est de nouveau le cas par le même auteur dans son article de 1989, «Ein nützlicher Feind. Zionismus im nationalsozialistischen Deutschland 1933-1939», Vierteljahrshefte für Zeitgeschichte, vol. 37, no 3, juillet 1989, p. 383. 2. Catherine Nicault y voit l’une des principales «calomnies» portée contre le sionisme («Antisionisme et négationnisme», Relations internationales, no 65, printemps 1991, p. 49). En ligne sur PHDN… 3. Le grand islamologue d’origine juive et communiste tout ce qu’il y a de plus orthodoxe, Maxime Rodinson, écrivait en février 1953 dans La Nouvelle Critique que l’Union soviétique était le paradis des Juifs, expliquait que les sionistes étaient des séparatistes, des colonialistes, des racistes et des capitalistes et il ajoutait: ils «mènent les Juifs à l’abattoir, provoquent l’Union soviétique, et se font complices de l’antisémitisme» (cité par Léon Poliakov, De Moscou à Beyrouth. Essai sur la désinformation, Paris: Calmann-Lévy, 1983). Ces propos s’inscrivent dans l’hystérie stalinienne qui préparait alors une grande action anti-juive dont on discute encore aujourd’hui la possibilité qu’elle ait pu avoir une dimension génocidaire. On nage en plein paradoxe où la nazification des Juifs préparait leur persécution. Si la mort de Staline permit d’éviter le pire, la propagande antisémite soviétique ne connaîtrait jamais de répis. Sur le même sujet, voir Alain Dieckhoff, «Sionisme et nazisme: l’histoire soviétique à l’épreuve des faits», Pardès, 1986, no 4. L’antisémitisme de facture soviétique a contaminé tous les discours critiques contre le sionisme, notamment à gauche. On trouve ainsi la dénonciation de l’Accord de Transfert comme signe d’une «collusion troublante» sous la plume de Nathan Weinstock, en 1969 (Le sionisme contre Israël, Paris: Maspero, 1969, p. 144). Son auteur est, sur le tard, très largement revenu sur ces positions (Nathan Weinstock, «Le témoignage d’un ex-antisioniste», L’Arche no 579-580, juillet-août 2006). 4. Léon Poliakov, Ibid. 5. Joel Fishman, «“A Disaster of Another Kind”: Zionism=Racism, Its Beginning, and the War of Delegitimization against Israel, Israel Journal of foreign Affairs, vol. 3, 2011. Sur le moment charnière que constitue la publication en Ukraine en 1963 d’un pamphlet antisémite d’une violence inouïe, ayant recours à des caricatures d’inspiration proprement nazies pour, notamment, assimiler sionisme et nazisme, à savoir Le Judaïsme sans Fard de Trofim Korneyevich Kitchko, voir Pierre-André Taguieff, Les Protocoles des Sages de Sion, tome I: Un faux et ses usages dans le siècle, Paris: Berg International, 1992, notamment le chapitre VI, «A l’Est rien de nouveau. Masques et visages des Protocoles», section 1, «Du judaisme au sionisme, la démonologie communiste», p. 215-235. 6. «Israël devient, dans le lexique et l’imagerie utilisé, une réincarnation du Troisième Reich au Moyen-Orient» écrit Sarah Fainberg, Les discriminés. L’antisémitisme soviétique après Staline, Paris: Fayard, 2014. 7. La plaisanterie féroce que rappelle Léon Poliakov (ibid.) permet d’appréhender l’esprit du temps: «Deux Juifs récemment purgés se rencontrent: l’un est loqueteux, l’autre resplendissant. Que fais-tu? demande l’un à l’autre. – Je suis balayeur de rues. Et toi ? – Je vis en rentier. Du temps des nazis, j’ai été caché et sauvé par un voisin chrétien qui a maintenant accédé à de hautes fonctions politiques, dans le Parti. Alors, je le fais chanter». Les faits que rapporte ensuite Léon Poliakov sont moins drôles puisqu’il donne des exemples d’une littérature officielle soviétique antisémite, pornographique et explicitement raciste… Les exemples égrénés sont aussi répugnants et haineux que la pire propagande nazie du Stürmer. Sur l’antisémitisme soviétique on peut aussi se reporter à Georges Aranyossy, La Presse antisémite en U.R.S.S: un dossier accablant, Paris: Éditions Albatros, 1978. 8. Pour une analyse détaillée de ces stratégies on pourra se reporter à Raul Hilberg, La destruction des juifs d’Europe, Fayard 1988, p. 28-33. 9. Raul Hilberg, La destruction des juifs d’Europe, Fayard 1988, p. 33. 10. Raul Hilberg, La destruction des juifs d’Europe, Fayard 1988, p. 125. 11. Les transferts de liquidité (plafonnnés) pour des Juifs étaient taxées, au tout début du régime nazi, à 20% puis très rapidement à 50%, et atteignirent plus de 90% à partir de 1939 (voir notamment Susanne Meinl, «The Expropriation of Jewish Emigrants from Hessen during the 1930s», Confiscation of Jewish Property in Europe, 1933–1945. New Sources and Perspectives. Symposium Proceedings, Center For Advanced Holocaust Studies United States Holocaust Memorial Museum, 2003, p. 96). 12. Sur ces débats, voir notre bibliographie plus bas, notamment Yehuda Bauer, Juifs à vendre? Les négociations entre nazis et Juifs, 1933-1945, Paris: Liana Levi, 1996 et Tom Segev, Le septième million: les Israéliens et le génocide, Paris: Liana Levi, 2002. On peut d’ailleurs rappeler qu’au sein même des sphères dirigeantes nazies, les accords de transfert firent l’objet d’une opposition vive. A ce sujet voir Eliahu Ben Elissar, La Diplomatie du IIIe Reich et les Juifs, Paris: Julliard, 1969 et Christopher R. Browning, The Final Solution and the German Foreign Office: A Study of Referat D III of Abteilung Deutschland 1940-1943, Holmes & Meier Publishers, 1978. 13. Hannah Arendt qui s’était montrée très critique envers l’Accord de Transfert dans un texte rédigé à la fin des années trente («Antisemitism», in Hannah Arendt, The Jewish Writings, Jerome Kahn and Ron H. Feldman (éds.), New York: Schocken Books, p. 57) écrit très clairement juste après la guerre à Gershom Scholem que c’était la seule chose à faire (Marie Luise Knott (éd.), The Correspondence of Hannah Arendt and Gershom Scholem, Chicago: The University of Chicago Press, 2017, lettre du 28 janvier 1946, p. 42-44). 14. En fait, dès la première partie de sa thèse en 1955, Raul Hilberg aborde longuement le sujet de la Haavara (Raul Hilberg, Prologue to Annihilation: A study of the identification, impoverishment, and isolation of the jewish victims of nazi policy, Doctoral Dissertation Series, Publication No.: 11,457 Columbia University, 1955, p. 215 et suiv.). 15. Léon Poliakov, Bréviaire de la haine. Le IIIe Reich et les Juifs, Paris: Calmann-Lévy, 1951, p. 31-33. 16. Łukasz Hirszowicz, III Rzesza I Arabski Wschód, Varsovie: Książka i Wiedza, 1963. Paru en anglais en 1966: The Third Reich and the Arab East, Londres: Routledge & Kegan Paul, 1966 (réédité en 2017). Il s’agit d’un ouvrage d’historien et non d’un ouvrage polémique antisémite. 17. Dans un cas, c’est moins la malveillance que l’appat du gain qui a motivé une telle rhétorique. Le journaliste habitué des bestsellers grand public, Edwin Black, publie ainsi en 1984 un ouvrage unanimement méprisé par les spécialistes, intitulé The Transfer Agreement. The Untold Story of the Secret Pact between the Third Reich and Jewish Palestine (New York: MacMillian, 1984), à savoir: L’Accord de Transfert. L’histoire inédite du pacte secret entre le troisième Reich et la Palestine juive. Comme le souligne l’historien Avraham Barkaï, «il n’y a absolument rien d’“inédit” ou de ”secret” dans ce mélange de journalisme sensationnaliste, pseudo-historique et de marketing douteux, à part l’interprétation tendancieuse et totalement infondée de son auteur» (Avraham Barkai, «German Interests in the Haavara-Transfer Agreement 1933-1939», Leo Baeck Institute Yearbook 1990, vol. 35 no 1, p. 245). Parmi les nombreux compte-rendus qui ont dressé la liste des défauts rédhibitoires de l’ouvrage de Black, on se contentera, par charité, de ce passage qui résume son cas: «Après avoir parcouru chaque mot d’Edwin Black, je me suis souvenu de certains films cultes que l’on regarde jusqu’au bout parce que l’on ne peut pas imaginer qu’ils puissent être aussi mauvais. C’est le cas de ce livre […] Black n’a pas l’expertise essentielle [des historiens] pour traiter son matériel et en tirer des conclusions informées et des jugements sûrs sur le sujet traité» (John P. Fox, «Book review», International Affairs, vol. 62, no 4, autumn 1986, p. 675). 18. Francis R. Nicosia écrit: «Bien que les quelque 60 000 Juifs allemands qui ont émigré en Palestine entre 1933 et 1939 sur la base de l’accord Haavara aient perdu la majeure partie de leurs biens, un total de plus de 100 millions de Reichsmark a été transféré en Palestine, ce qui a permis de jeter les bases d’une nouvelle existence. Sans Haavara, cette somme aurait également été perdue, et beaucoup de ceux qui sont arrivés en Palestine de cette manière n’auraient pas pu quitter l'Allemagne» (Francis R. Nicosia, «Ein nützlicher Feind. Zionismus im nationalsozialistischen Deutschland 1933-1939», Vierteljahrshefte für Zeitgeschichte, vol. 37, no 3, juillet 1989, p. 383). 19. Avraham Barkai, «Jewish Self-Help in Nazi Germany, 1933–1939», in Jewish Life in nazi Germany. Dilemmras and Responses, Francis R. Nicosia & David Scrase (éds.), New York: Berghahn Books, 2010, p. 83. Il est assez ironique de faire le constat que deux catégories de personnes ont cru — pour certains avec crainte, pour les autres avec espoir — à cette efficacité d’un boycott, dans laquelle l’Accord de Transfert aurait permis d’enfoncer un coin: certains membres du Ministère des affaires étrangères allemand (favorables à l’accord) et l’ensemble des sionistes révisionnistes de droite, proches de Jabotinsky. Ces derniers étaient si convaincus (à tort) que le boycott pouvait faire tomber le régime qu’ils étaient très violemment hostiles à l’Accord de Transfert. Au point qu’on leur impute parfois, non sans fondement selon nous, la responsabilité de l’assassinat en 1933 de Chaim Arlosoroff, l’une des chevilles ouvrières sionisites de l’accord. Dans un compte-rendu d’ouvrages consacrés aux relations entre le IIIe Reich et les Juifs de Palestine, l’historien John P. Fox écrivait en 1986: «aucun boycott extérieur n’aurait jamais pu renverser Hitler et son régime, et c’est pourquoi le sort des Juifs en Europe a été scellé dès l’arrivée d’Hitler au pouvoir en Allemagne» (John P. Fox, «Book review, International Affairs, vol. 62, no 4, autumn 1986, p. 675-676). Il s’agit évidemment d’une des principales thèses d’Edwin Black (voir note précédente) pour laquelle les historiens l’ont très sévèrement critiqué. Outre les auteurs cités précédemment, mentionnons Richard S. Levy («Dealing With the Devil», Commentary, vol. 78, no. 3, septembre 1984, p. 68-71), Eric M. Breindel, «The Price of Rescue», The New Republic, 18 février 1985; Lawrence Baron («The Transfer Agreement: Zionist Collaboration? A Review Essay», Shofar, vol. 5, no. 2, Winter 1987, p. 8-18) et Yehuda Bauer («Edwin Black, The Transfer Agreement—The Untold Story of the Secret Agreement Between the Third Reich and Jewish Palestine», in Studies in Contemporary Jewry, IV, 1988, The Jews and the European Crisis, 1914-21, p. 317-321). Tom Segev note par exemple: «un boycott international économique et diplomatique était [une idée] agressive et fière, mais elle ne pouvait espérer faire tomber le régime hitlérien» (Tom Segev, Le septième million: les Israéliens et le génocide, Paris: Liana Levi, 2002, p. 35). Il faut enfin noter que tous les auteurs qui se sont intéressés sérieusement à ce sujet ont souligné que, même si le boycott était souhaitable d’un point de vue moral, ses chances d’être suivi de façon significative, c’est-a-dire au-delà des seules communautés juives, étaient nulles et que, par ailleurs, son échec ne découle nullement de l’Accord de Transfert (étant entendu qu’un «succès» du boycott n’aurait nullement entravé la consolidation du pouvoir nazi). 20. Götz Nordbruch, «Arab Reactions to the Garaudy Affair», in Robert S. Wistrich (éd.), The Destruction of History: Holocaust Denial and Antisemitism, The Vidal Sassoon International Center for the Study of Antisemitism, Hebrew University of Jerusalem, 2009, p. 259. Götz Nordbruch a sans doute découvert la première occurrence de l’accusation portée contre les sionistes d’avoir profité financièrement de la Shoah, sous la plume de l’intellectuel libanais, Ra’īf Khūrī dans un article du 28 septembre 1944 (Götz Nordbruch, Nazism in Syria and Lebanon. The ambivalence of the German option, 1933–1945, New York: Routledge, 2006, p. 181 n. 137). Cette accusation précède de quelques mois la première occurrence connue d’un discours négationniste (qui est le pendant paradoxal de l’accusation de collusion sionisme-nazisme), qui apparaît dans le journal arabe palestinien Filastin en mai 1945: «Les Juifs ont largement exagéré le nombre de leurs victimes en Europe afin de gagner le soutien du monde à leur catastrophe imaginaire. Le temps montrera que les Juifs étaient ceux dont les pertes étaient les plus faibles par rapport aux autres peuples, et que leur propagande et leur “marchandage” [guillemets dans la source] sur “ces victimes” étaient un moyen d’établir un État juif en Palestine» (Filastin, 17, 23 mai 1945, cité par Meir Litvak & Ester Webman, From Empathy to Denial: Arab Responses to the Holocaust, Londres: Hurst & Company, 2009, p. 52). Plus près de nous, l’actuel président de l’Autorité Palestinienne, Mahmoud Abbas est l’auteur d’un ouvrage tiré de sa «thèse» soutenue en URSS à l’université Patrice Lumumba, L’autre côté, la relation secrète entre le nazisme et le mouvement sioniste. Mahmoud Abbas y fait la part belle à la Haavara et avance tout à la fois que les sionistes sont complices des nazis dans l’accomplissement de la Shoah et que celle-ci fut bien moins meurtrière qu’on ne l’a dit, se fondant pour ce faire sur le négationniste Robert Faurisson… (voir sur le premier point David Patterson, «Denial, Evasion, and Antihistorical Antisemitism. The Continuing Assault on Memory», in Alvin H. Rosenfeld (dir.), Deciphering the new antisemitism, Bloomington: Indiana University Press, p. 29 et, sur le recours au négationnisme de Abbas, Stéphanie Courouble-Share, «Négationnisme: le double discours de Mahmoud Abbas», Non Fiction, 2015, en ligne…). 21. Pour ne prendre que l’exemple de l’ancien maire de Londres, le travailliste Ken Livingston qui n’a cessé de répéter que Hitler était favorable au sionisme en invoquant l’Accord de Transfert (David Hirsh, Contemporary Left Antisemitism, Routledge, 2018, p. 18). 22. Faurisson fait de nombreuses allusions à l’Accord de Transfert dans sa producion, notamment dans «L’Affaire des Juifs bruns» Revue d’Histoire Révisionniste, mai 1992, réimprimé sous forme de plaquette en 1998 par l’association nazie l’ANEC (émanation du militant nazi et négationniste Vincent Reynouard) sous le titre Quand les Juifs collaboraient avec les nazis.

«L’Accord de Transfert», Haavara

et l’accusation de
«collusion sionisme-nazisme»

par Gilles Karmasyn


document haavara

La Haavara («transfert» en hébreu) est un accord passé à l’été 1933 entre les représentations sionistes en Allemagne (la Zionistische Vereinigung für Deutschland), l’Agence Juive et le régime nazi nouvellement mis en place. Il établissait les modalités qui permettaient à des citoyens allemands juifs de quitter l’Allemagne hitlérienne pour la Palestine sans perdre l’intégralité de leurs biens. Il a permis de sauver la vie de dizaines de milliers de citoyens allemands promis à l’extermination parce que juifs. La survenue de la guerre en septembre 1939 en marque la fin même si les derniers transferts de biens se poursuivent jusqu’en décembre 19391. Nous en fournissons les détails techniques un peu plus bas.

Cet «Accord de Transfert» sert depuis plusieurs dizaines d’années de prétexte pour une accusation mensongère et obscène de «collusion» entre sionisme et nazisme2.

Afin de comprendre les ressorts de cette accusation, il convient d’en retracer l’origine. À partir du début des années cinquante, la propagande communiste soviétique et ses relais occidentaux s’emploie à faire des sionistes les complices sinon les responsables de l’antisémitisme3. Cet antisémitisme soviétique qui infecta les communistes officiels de l’Europe entière allait connaître une postérité surprenante, malgré la mort de Staline, son premier instigateur.

Une étape est franchie en 1961 à l’occasion du procès Eichmann: il fut l’occasion de nazifier les sionistes selon une rhétorique parfaitement perverse: pour les Soviétiques, le procès Eichmann aurait été un moyen de dissimuler une collusion avec des nazis contemporains préparant une troisième guerre mondiale. Rapidement cette collusion contemporaine fut transformée en collusion passée entre sionistes et nazis historiques que le procès cherchait à camoufler4. Il semble qu’à l’époque il s’agissait de diaboliser Israël en tant qu’il était représenté comme une marionnette de l’impérialisme américain. À partir de 1964-1965 cette rhétorique s’inscrit dans une stratégie soviétique-communiste-tiers-mondiste de déligitimation du sionisme plus ambitieuse, celle qui aboutira au slogan «sionisme = racisme» dont la collusion «sionisme-nazisme» ne constitue qu’un des aspects5.

A partir de 1967, la propagande soviétique opère une transformation subtile et radicale: la marionette devient le véritable marionnettiste, présenté comme d’essence nazie6. Ainsi, une caricature du 21 juin 1967 parue dans une édition kasakh de la Pravda y présente Moshe Dayan comme un nouvel Hitler. Dans le même temps les régimes communistes d’Europe de l’Est, sous l’impulsion du grand frère soviétique mènent des purges antisémites très virulentes7.

Une accusation récurrente, ancienne, portée contre «les sionistes» consiste à les accuser d’avoir «collaboré» avec les nazis, d’en avoir été les complices. Cette accusation prend prétexte de la réalité d’un accord passé à l’été 1933 entre les représentations sionistes en Allemagne, l’Agence Juive et le régime nazi nouvellement mis en place.

Cet accord établissait les modalités qui permettaient à des citoyens allemands juifs de quitter l’Allemagne hitlérienne pour la Palestine sans perdre l’intégralité de leurs biens. Non seulement la législation allemande rendait très difficile la sortie de capitaux, mais le régime nazi allait imposer des taxes d’émigration si élevée qu’en pratique cela revenait à spolier les émigrants juifs de la quasi totalité de leurs biens. Dans les faits, cela freinait considérablement les possibilités concrètes de quitter l’Allemagne dans des conditions supportables. L’objectif de la partie sioniste était évidemment de faciliter la venue de Juifs allemands en Palestine. Il se trouve que les Britanniques imposaient des quotas très réduits pour les Juifs désirant émigrer en Palestine, mais que le dispositif comportait une «faille»: toute personne détentrice d’un capital d’au moins mille livres palestiniennes pouvait émigrer, sans être affectée par les quotas. Les sionistes allaient exploiter cette brèche. Le reproche qui leur est parfois fait d’avoir volontairement sélectionné les «Juifs riches» au détriment des Juifs pauvres est une malhonnêteté particulièrement malveillante: ce sont les Britanniques qui faisaient ce choix, non les sionistes, partisans de l’émigration la plus large possible, mais tributaires des règles imposées par la Grande Bretagne. Le fait que les Britanniques aient choisi de désigner cette minorité sous le vocable officiel de «capitalistes» (car dotés d’un capital de mille livres palestiniennes) peut parfois avoir l’effet pervers, pas nécessairement désiré par les auteurs qui usent de cette même appellation (avec ou sans guillemets) sans toujours rappeler que c’est une pure appellation technique d’origine britannique, de laisser à l’imagination des lecteurs le soin de convoquer les vieux topos antisémites et péjoratifs associés.

La partie allemande s’assurait quant à elle un débouché commercial pour ses produits (voir plus bas), ainsi que du départ des Juifs, qu’elle souhaitait évidemment à cette époque, la possibilité d’une extermination à l’échelle européenne n’étant pas alors à l’ordre du jour. Les Allemands affaiblissaient (au moins symboliquement) le boycott du commerce allemand promu par d’autres organisations juives (en dehors de l’Allemagne). Il y eut d’ailleurs toujours des tensions au sein des différentes organisations nazies car, fondamentalement, les nazis étaient hostiles au projet sioniste. Leur désir cependant de faire partir le plus de Juifs possible prit le pas, de justesse, sur cette hostilité. L’interprétation que donnent certains «antisionistes» de cet accord en falsifie la signification de la façon la plus malveillante qui soit.

In fine, une telle collaboration s’explique par la conjonction de deux causes.

La première, c’est l’ensemble des stratégies déployées par les communautés juives pour faire face aux persécutions, depuis la fin de l’Empire Romain: elles consistent à toujours éviter les confrontations. Les Juifs avaient en mémoire les catastrophes successives qui avaient, suite à leur opposition farouche aux Romains en Judée, mené à la destruction de l’entité politique juive, à la déportation d’une grande partie de sa population et à la mort de dizaines, sinon de centaines de milliers de juifs lors des guerres successives livrées aux légions romaines8.

Raul Hilberg, dans son ouvrage sur la Destruction des Juifs d’Europe, écrit:

«Si donc les Juifs ont à tant de reprises joué le jeu selon les règles de l’agresseur, ils l’ont fait de façon délibérée et calculée, sachant fort bien que c’était l’attitude qui réduirait au minimum les atteintes à leurs biens et à leurs vies. Ils avaient compris que leurs adversaires, en prenant contre eux des mesures de destruction, parvenaient à se rembourser des frais qu’ils y engageaient et même à en tirer bénéfice – mais seulement jusqu’à un certain point, au-delà duquel l’opération se soldait par une perte.»9

Le procédé de la Haavara, n’est qu’une des douzes méthodes énumérées par Raul Hilberg, qui permettraient aux Juifs allemands de contourner le blocage de leurs fonds et la confiscation de leurs biens en transférant une partie de leurs avoirs à l’étranger. Voici ce qu’écrit Raul Hilberg:

«6) Les Juifs qui émigraient en Palestine avaient une possibilité très spéciale d’expatrier leur capital, en vertu de l’accord dit Haavara signé en août 1933 entre l’Etat allemand et l’Agence juive pour la Palestine. Il s’agissait d’un type de clearing un peu particulier. Un «capitaliste» juif qui voulait s’installer en Palestine était autorisé à conclure un contrat avec un exportateur allemand pour l’expédition de marchandises dans ce pays. L’Allemand était payé sur le compte bloqué du Juif émigrant, qui, à son arrivée, recevait de l’Agence juive la contrepartie en livres palestiniennes. Le circuit s’établissait donc ainsi:
Compte bloqué de l’émigrant juif Emigré | | | /|\ | Paiement en | Paiement | Reichsmarks | en livres | | palestiniennes \|/ | | Exportations | Exportateur allemand ---------------> Agence juive

L’arrangement était tout aussi satisfaisant pour l’Agence juive et pour les exportateurs que pour les émigrants eux-mêmes. Les produits allemands inondèrent le marché palestinien; bientôt on compléta l’accord de clearing Haavara par un accord de troc, et les oranges de Palestine s’échangèrent contre du bois d’œuvre, du papier d’emballage, des automobiles, des pompes, des machines agricoles et autres biens d’origine allemande. Il y eut bien entendu quelque mécontentement du côté du parti nazi, du Referat pour l’Allemagne aux Affaires étrangères (qui était chargé des problèmes juifs), et des Allemands résidant en Palestine, qui se plaignaient de ce qu’on eût complètement sacrifié leurs intérêts à ceux des Juifs. Cette intéressante combinaison n’en subsista pas moins jusqu’à la déclaration de la guerre.»10

Faut-il préciser que les taux de change et les différents prélèvements pratiqués par l’Allemagne nazie induisaient la perte (un vol pur et simple) d’au moins un tiers de la valeur initiale des biens des candidats à l’émigration? C’était cependant là, le seul moyen de ne pas perdre beaucoup plus11.

La seconde cause est la volonté des sionistes de faire venir les Juifs en Palestine. Tant que les persécutions des nazis envers les Juifs revêtaient des aspects «traditionnels», l’alliance des stratégies d’«accomodation» avec la poursuite des buts sionistes n’a rien de choquant dans le contexte d’alors, et n’est que la continuation de méthodes qui avaient fonctionné jusque là dans des circonstances semblables. Qui pouvait prévoir l’ampleur de la catastrophe? Certes, de vifs débats eurent lieu au sein des communautés juives et au sein du mouvement sioniste relatifs à l’opportunité de tels accords, qui n’avaient évidemment, d’un point de vue moral, rien d’évident12. Ceux qui furent partisans de ces accords étaient certainement des pessimistes, mais ce furent surtout, hélas, des réalistes.

Il est donc extrêmement malhonnête, a minima, de critiquer aujourd’hui une procédure qui a finalement permis de soustraire plusieurs dizaines de milliers de vies à l’entreprise d’extermination nazie13

La première parution de l’ouvrage de Hilberg date de 196114 et la version à laquelle nous nous référons est la traduction française parue en 1988. Hilberg y parle de la collaboration entre l’agence juive et le IIIe Reich. Les premières publications sur le sujet en Israel même sont même antérieures, de même qu’est antérieure de dix ans, sa première étude dans un ouvrage traitant de la Shoah, puisque, dès 1951, Léon Poliakov explique les raisons et les modalités de l’Accord de Transfert dans son ouvrage pionnier, Bréviaire de la Haine15. Le sujet est également abordé librement dans un ouvrage polonais paru en 1963 et traduit en anglais en 196616. Les historiographies du nazisme et du sionisme sont riches en travaux sur cet accord (voir bibliographie plus bas) publiés depuis des dizaines d’années.

Or, une des modalités de la dénonciation «antisioniste» de l’Accord de Transfert consiste à fustiger un pseudo-silence des historiens, qui n’a évidemment rien à voir avec la réalité, sur le mode complotiste du «on nous cache tout, on nous dit rien», cette dénonciation prétendant être une «révélation». Cela ne révèle évidemment que l’ignorance et la mauvaise foi des auteurs de la révélation-dénonciation17. Une seconde modalité consiste à suggérer que cet accord économique induit une compromission idéologique des sionistes avec les nazis. Cette présentation abjecte doit tout à l’antisémitisme soviétique qui s’était fait une spécialité de ce genre d’amalgames mensongers. L’abjection est évidemment de tirer prétexte d’une mesure qui a permis de sauver des Juifs (sans qu’ils perdent tous leurs biens – quel scandale!) pour en déduire une «complicité» avec le régime et l’idéologie qui a assassiné les Juifs.

Il s’agit de faire des sionistes, et d’Israel par anticipation, un allié objectif de IIIe Reich, de façon à préparer l’amalgame qui arrive en conclusion, implicitement ou pas: sionisme=fascisme=nazisme. En passant, on rejette aussi une partie de la responsabilité de la shoah sur les sionistes (et par métonymie sur les Juifs). Il s’agit évidemment d’une rhétorique antisémite. Les mêmes n’hésiteront pas à stigmatiser ensuite une prétendue indifférence ou inaction du Yishouv (les sionistes en Palestine) qui n’aurait pas fait assez pour sauver les Juifs d’Europe. Bref, quoique les sionistes aient pu faire, cela leur est reproché avec la plus solide mauvaise foi.

La Haavara n’est qu’une procédure qui a permis à des Juifs allemands, entre cinquante et soixante mille, d’être soustraits à une mort quasi certaine, sans perdre tous leurs biens18. Idéologiquement elle n’a aucune conséquence. Il faut rappeler d’ailleurs l’engagement total des Juifs de Palestine aux cotés des Anglais dans leur lutte contre l’Allemagne nazie, dès 1940, et ce malgré les restrictions draconiennes imposées à l’émigration juive en Palestine par ces mêmes Anglais en 1939. On a parfois l’impression qu’on reproche finalement à ces Juifs allemands d’être tout simplement restés en vie…

Parmi les nombreux «arguments» invoqués pour reprocher l’Accord de Transfert aux sionistes, l’un d’eux, plus subtil et plus pervers, mérite qu’on s’y attarde: cet accord aurait «sauvé» le régime nazi. Rien de moins. En refusant le boycott des biens allemands auquel certaines grandes associations juives appelaient, cet accord aurait permis d’éviter une catastrophe économique qui aurait découlé d’un boycott bien conduit. Cette rhétorique a pour elle d’être en apparence rationnelle et de ne pas se fonder sur des dimensions morales. Avantage politique pour ceux qui en usent: faire porter (c’est rarement dit mais souvent suggéré plus ou moins grossièrement), in fine, la responsabilité des crimes nazis et de la guerre (et donc de la Shoah), sur ce sauvetage inespéré du jeune régime nazi par les sionistes… Il s’agit d’abord d’un argument hypothético-téléologique totalement a-historique sinon anti-historique. Surtout, il est faux, sinon mensonger: le redressement de l’économie allemande après la prise de pouvoir nazie n’est nullement liée à son commerce extérieur. Il s’est produit grâce à une forte augmentation de la demande sur le marché intérieur. Celle-ci est le fruit des importantes dépenses (via endettement et déficit) du secteur public qui, dès 1934, étaient principalement consacrées au réarmement. Entre 1933 et 1939, les exportations de l’Allemagne n’ont jamais dépassé 10 pour cent du PNB. Certes, grâce à l’Accord de Transfert, qui servait tous les secteurs de l’économie de la Palestine mandadaire, l’Allemagne se classait au premier rang des pays exportateurs vers la Palestine. Mais toutes ces transactions ne représentaient qu’un demi pour cent de l’ensemble des exportations allemandes. L’historien Avraham Barkai, à qui nous empruntons ces informations, conclut ainsi: «Ces faits démontrent que le boycott des produits allemands n’a jamais eu la moindre chance de faire tomber le nouveau régime de Berlin et que l’accord de Haavara n’a joué aucun rôle dans sa survie et n’en est donc pas responsable19».

Si de nombreux polémistes arabes instrumentalisent l’Accord de Transfert pour dénoncer, en travestissant évidemment la réalité, une collusion nazis-sionistes20, on est plus étonné du succès que le recours à la Haavara continue d’avoir au sein d’une certaine gauche21.

On n’en finirait cependant pas d’énumérer les professionnels de l’antisémitisme et du négationnisme qui falsifient la réalité de la Haavara (le suprémaciste blanc Mark Weber de l’IHR, le négationniste Garaudy, le négationniste Faurisson22, Ingrid Weckert, la compagne de Ernst Zündel, etc.). Les mêmes dénoncent le boycott des produits allemands en 1933 par des organisations juives (en désaccord évident avec les sionistes impliqués dans l’Accord de Transfert) comme un acte de guerre qui justifiait les persécutions nazies contre les Juifs… Ceux qui excipent ajourd’hui de la Haavara pour dénoncer une prétendue complicité des sionistes avec les nazis marchent dans les pas de ces antisémites déchaînés autant que dans ceux de l’antisémitisme soviétique.


On complètera notre étude par la lecture de l’article (notamment le post-scritptum) de l’historien Joël Kotek, «De quoi le mythe de la collaboration des sionistes et des nazis est-il le nom?», Conspiracy Watch, 2018: https://www.conspiracywatch.info/de-quoi-le-mythe-de-la-collaboration-des-sionistes-et-des-nazis-est-il-le-nom.html


Bibliographie indicative

 

Notes.

1. Francis R. Nicosia, The Third Reich and the Palestine question, Austin: University of Texas press, 1985, p. 144 et 48. En 1939, 8500 Allemands juifs parviennent encore à émigrer en Palestine. En 1940, ils ne sont plus que 900 (ibid., p. 212), ce qui permet bien de faire le constat que l’Accord de Transfert a cessé de fonctionner fin 1939. Compte tenu du fait que les transferts de biens dans le cadre de l’accord ne se poursuivent que jusqu’en décembre 1939 (ibid., p. 48), on peut faire l’hypothèse raisonnable que les 900 émigrants de 1940 ne bénéficient plus des conditions de l’accord. La cessation de l’effectivité de l’accord est mentionné en 1978 par Francis R. Nicosia («Zionism in National Socialist Jewish Policy in Germany, 1933-39», The Journal of Modern History, vol. 50, no 4, décembre 1978, p. D1263). C’est de nouveau le cas par le même auteur dans son article de 1989, «Ein nützlicher Feind. Zionismus im nationalsozialistischen Deutschland 1933-1939», Vierteljahrshefte für Zeitgeschichte, vol. 37, no 3, juillet 1989, p. 383.

2. Catherine Nicault y voit l’une des principales «calomnies» portée contre le sionisme («Antisionisme et négationnisme», Relations internationales, no 65, printemps 1991, p. 49). En ligne sur PHDN…

3. Le grand islamologue d’origine juive et communiste tout ce qu’il y a de plus orthodoxe, Maxime Rodinson, écrivait en février 1953 dans La Nouvelle Critique que l’Union soviétique était le paradis des Juifs, expliquait que les sionistes étaient des séparatistes, des colonialistes, des racistes et des capitalistes et il ajoutait: ils «mènent les Juifs à l’abattoir, provoquent l’Union soviétique, et se font complices de l’antisémitisme» (cité par Léon Poliakov, De Moscou à Beyrouth. Essai sur la désinformation, Paris: Calmann-Lévy, 1983). Ces propos s’inscrivent dans l’hystérie stalinienne qui préparait alors une grande action anti-juive dont on discute encore aujourd’hui la possibilité qu’elle ait pu avoir une dimension génocidaire. On nage en plein paradoxe où la nazification des Juifs préparait leur persécution. Si la mort de Staline permit d’éviter le pire, la propagande antisémite soviétique ne connaîtrait jamais de répis. Sur le même sujet, voir Alain Dieckhoff, «Sionisme et nazisme: l’histoire soviétique à l’épreuve des faits», Pardès, 1986, no 4. L’antisémitisme de facture soviétique a contaminé tous les discours critiques contre le sionisme, notamment à gauche. On trouve ainsi la dénonciation de l’Accord de Transfert comme signe d’une «collusion troublante» sous la plume de Nathan Weinstock, en 1969 (Le sionisme contre Israël, Paris: Maspero, 1969, p. 144). Son auteur est, sur le tard, très largement revenu sur ces positions (Nathan Weinstock, «Le témoignage d’un ex-antisioniste», L’Arche no 579-580, juillet-août 2006).

4. Léon Poliakov, Ibid.

5. Joel Fishman, «“A Disaster of Another Kind”: Zionism=Racism, Its Beginning, and the War of Delegitimization against Israel, Israel Journal of foreign Affairs, vol. 3, 2011. Sur le moment charnière que constitue la publication en Ukraine en 1963 d’un pamphlet antisémite d’une violence inouïe, ayant recours à des caricatures d’inspiration proprement nazies pour, notamment, assimiler sionisme et nazisme, à savoir Le Judaïsme sans Fard de Trofim Korneyevich Kitchko, voir Pierre-André Taguieff, Les Protocoles des Sages de Sion, tome I: Un faux et ses usages dans le siècle, Paris: Berg International, 1992, notamment le chapitre VI, «A l’Est rien de nouveau. Masques et visages des Protocoles», section 1, «Du judaisme au sionisme, la démonologie communiste», p. 215-235.

6.«Israël devient, dans le lexique et l’imagerie utilisé, une réincarnation du Troisième Reich au Moyen-Orient» écrit Sarah Fainberg, Les discriminés. L’antisémitisme soviétique après Staline, Paris: Fayard, 2014.

7. La plaisanterie féroce que rappelle Léon Poliakov (ibid.) permet d’appréhender l’esprit du temps: «Deux Juifs récemment purgés se rencontrent: l’un est loqueteux, l’autre resplendissant. Que fais-tu? demande l’un à l’autre. – Je suis balayeur de rues. Et toi ? – Je vis en rentier. Du temps des nazis, j’ai été caché et sauvé par un voisin chrétien qui a maintenant accédé à de hautes fonctions politiques, dans le Parti. Alors, je le fais chanter». Les faits que rapporte ensuite Léon Poliakov sont moins drôles puisqu’il donne des exemples d’une littérature officielle soviétique antisémite, pornographique et explicitement raciste… Les exemples égrénés sont aussi répugnants et haineux que la pire propagande nazie du Stürmer. Sur l’antisémitisme soviétique on peut aussi se reporter à Georges Aranyossy, La Presse antisémite en U.R.S.S: un dossier accablant, Paris: Éditions Albatros, 1978.

8. Pour une analyse détaillée de ces stratégies on pourra se reporter à Raul Hilberg, La destruction des juifs d’Europe, Fayard 1988, p. 28-33.

9. Raul Hilberg, La destruction des juifs d’Europe, Fayard 1988, p. 33.

10. Raul Hilberg, La destruction des juifs d’Europe, Fayard 1988, p. 125.

11. Les transferts de liquidité (plafonnnés) pour des Juifs étaient taxées, au tout début du régime nazi, à 20% puis très rapidement à 50%, et atteignirent plus de 90% à partir de 1939 (voir notamment Susanne Meinl, «The Expropriation of Jewish Emigrants from Hessen during the 1930s», Confiscation of Jewish Property in Europe, 1933–1945. New Sources and Perspectives. Symposium Proceedings, Center For Advanced Holocaust Studies United States Holocaust Memorial Museum, 2003, p. 96).

12. Sur ces débats, voir notre bibliographie plus bas, notamment Yehuda Bauer, Juifs à vendre? Les négociations entre nazis et Juifs, 1933-1945, Paris: Liana Levi, 1996 et Tom Segev, Le septième million: les Israéliens et le génocide, Paris: Liana Levi, 2002. On peut d’ailleurs rappeler qu’au sein même des sphères dirigeantes nazies, les accords de transfert firent l’objet d’une opposition vive. A ce sujet voir Eliahu Ben Elissar, La Diplomatie du IIIe Reich et les Juifs, Paris: Julliard, 1969 et Christopher R. Browning, The Final Solution and the German Foreign Office: A Study of Referat D III of Abteilung Deutschland 1940-1943, Holmes & Meier Publishers, 1978.

13. Hannah Arendt qui s’était montrée très critique envers l’Accord de Transfert dans un texte rédigé à la fin des années trente («Antisemitism», in Hannah Arendt, The Jewish Writings, Jerome Kahn and Ron H. Feldman (éds.), New York: Schocken Books, p. 57) écrit très clairement juste après la guerre à Gershom Scholem que c’était la seule chose à faire (Marie Luise Knott (éd.), The Correspondence of Hannah Arendt and Gershom Scholem, Chicago: The University of Chicago Press, 2017, lettre du 28 janvier 1946, p. 42-44).

14. En fait, dès la première partie de sa thèse en 1955, Raul Hilberg aborde longuement le sujet de la Haavara (Raul Hilberg, Prologue to Annihilation: A study of the identification, impoverishment, and isolation of the jewish victims of nazi policy, Doctoral Dissertation Series, Publication No.: 11,457 Columbia University, 1955, p. 215 et suiv.).

15. Léon Poliakov, Bréviaire de la haine. Le IIIe Reich et les Juifs, Paris: Calmann-Lévy, 1951, p. 31-33.

16. Łukasz Hirszowicz, III Rzesza I Arabski Wschód, Varsovie: Książka i Wiedza, 1963. Paru en anglais en 1966: The Third Reich and the Arab East, Londres: Routledge & Kegan Paul, 1966 (réédité en 2017). Il s’agit d’un ouvrage d’historien et non d’un ouvrage polémique antisémite.

17. Dans un cas, c’est moins la malveillance que l’appat du gain qui a motivé une telle rhétorique. Le journaliste habitué des bestsellers grand public, Edwin Black, publie ainsi en 1984 un ouvrage unanimement méprisé par les spécialistes, intitulé The Transfer Agreement. The Untold Story of the Secret Pact between the Third Reich and Jewish Palestine (New York: MacMillian, 1984), à savoir: L’Accord de Transfert. L’histoire inédite du pacte secret entre le troisième Reich et la Palestine juive. Comme le souligne l’historien Avraham Barkaï, «il n’y a absolument rien d’“inédit” ou de ”secret” dans ce mélange de journalisme sensationnaliste, pseudo-historique et de marketing douteux, à part l’interprétation tendancieuse et totalement infondée de son auteur» (Avraham Barkai, «German Interests in the Haavara-Transfer Agreement 1933-1939», Leo Baeck Institute Yearbook 1990, vol. 35 no 1, p. 245). Parmi les nombreux compte-rendus qui ont dressé la liste des défauts rédhibitoires de l’ouvrage de Black, on se contentera, par charité, de ce passage qui résume son cas: «Après avoir parcouru chaque mot d’Edwin Black, je me suis souvenu de certains films cultes que l’on regarde jusqu’au bout parce que l’on ne peut pas imaginer qu’ils puissent être aussi mauvais. C’est le cas de ce livre […] Black n’a pas l’expertise essentielle [des historiens] pour traiter son matériel et en tirer des conclusions informées et des jugements sûrs sur le sujet traité» (John P. Fox, «Book review», International Affairs, vol. 62, no 4, autumn 1986, p. 675).

18. Francis R. Nicosia écrit: «Bien que les quelque 60 000 Juifs allemands qui ont émigré en Palestine entre 1933 et 1939 sur la base de l’accord Haavara aient perdu la majeure partie de leurs biens, un total de plus de 100 millions de Reichsmark a été transféré en Palestine, ce qui a permis de jeter les bases d’une nouvelle existence. Sans Haavara, cette somme aurait également été perdue, et beaucoup de ceux qui sont arrivés en Palestine de cette manière n’auraient pas pu quitter l'Allemagne» (Francis R. Nicosia, «Ein nützlicher Feind. Zionismus im nationalsozialistischen Deutschland 1933-1939», Vierteljahrshefte für Zeitgeschichte, vol. 37, no 3, juillet 1989, p. 383).

19. Avraham Barkai, «Jewish Self-Help in Nazi Germany, 1933–1939», in Jewish Life in nazi Germany. Dilemmras and Responses, Francis R. Nicosia & David Scrase (éds.), New York: Berghahn Books, 2010, p. 83. Il est assez ironique de faire le constat que deux catégories de personnes ont cru — pour certains avec crainte, pour les autres avec espoir — à cette efficacité d’un boycott, dans laquelle l’Accord de Transfert aurait permis d’enfoncer un coin: certains membres du Ministère des affaires étrangères allemand (favorables à l’accord) et l’ensemble des sionistes révisionnistes de droite, proches de Jabotinsky. Ces derniers étaient si convaincus (à tort) que le boycott pouvait faire tomber le régime qu’ils étaient très violemment hostiles à l’Accord de Transfert. Au point qu’on leur impute parfois, non sans fondement selon nous, la responsabilité de l’assassinat en 1933 de Chaim Arlosoroff, l’une des chevilles ouvrières sionisites de l’accord. Dans un compte-rendu d’ouvrages consacrés aux relations entre le IIIe Reich et les Juifs de Palestine, l’historien John P. Fox écrivait en 1986: «aucun boycott extérieur n’aurait jamais pu renverser Hitler et son régime, et c’est pourquoi le sort des Juifs en Europe a été scellé dès l’arrivée d’Hitler au pouvoir en Allemagne» (John P. Fox, «Book review, International Affairs, vol. 62, no 4, autumn 1986, p. 675-676). Il s’agit évidemment d’une des principales thèses d’Edwin Black (voir note précédente) pour laquelle les historiens l’ont très sévèrement critiqué. Outre les auteurs cités précédemment, mentionnons Richard S. Levy («Dealing With the Devil», Commentary, vol. 78, no. 3, septembre 1984, p. 68-71), Eric M. Breindel, «The Price of Rescue», The New Republic, 18 février 1985; Lawrence Baron («The Transfer Agreement: Zionist Collaboration? A Review Essay», Shofar, vol. 5, no. 2, Winter 1987, p. 8-18) et Yehuda Bauer («Edwin Black, The Transfer Agreement—The Untold Story of the Secret Agreement Between the Third Reich and Jewish Palestine», in Studies in Contemporary Jewry, IV, 1988, The Jews and the European Crisis, 1914-21, p. 317-321). Tom Segev note par exemple: «un boycott international économique et diplomatique était [une idée] agressive et fière, mais elle ne pouvait espérer faire tomber le régime hitlérien» (Tom Segev, Le septième million: les Israéliens et le génocide, Paris: Liana Levi, 2002, p. 35). Il faut enfin noter que tous les auteurs qui se sont intéressés sérieusement à ce sujet ont souligné que, même si le boycott était souhaitable d’un point de vue moral, ses chances d’être suivi de façon significative, c’est-a-dire au-delà des seules communautés juives, étaient nulles et que, par ailleurs, son échec ne découle nullement de l’Accord de Transfert (étant entendu qu’un «succès» du boycott n’aurait nullement entravé la consolidation du pouvoir nazi).

20. Götz Nordbruch, «Arab Reactions to the Garaudy Affair», in Robert S. Wistrich (éd.), The Destruction of History: Holocaust Denial and Antisemitism, The Vidal Sassoon International Center for the Study of Antisemitism, Hebrew University of Jerusalem, 2009, p. 259. Götz Nordbruch a sans doute découvert la première occurrence de l’accusation portée contre les sionistes d’avoir profité financièrement de la Shoah, sous la plume de l’intellectuel libanais, Ra’īf Khūrī dans un article du 28 septembre 1944 (Götz Nordbruch, Nazism in Syria and Lebanon. The ambivalence of the German option, 1933–1945, New York: Routledge, 2006, p. 181 n. 137). Cette accusation précède de quelques mois la première occurrence connue d’un discours négationniste (qui est le pendant paradoxal de l’accusation de collusion sionisme-nazisme), qui apparaît dans le journal arabe palestinien Filastin en mai 1945: «Les Juifs ont largement exagéré le nombre de leurs victimes en Europe afin de gagner le soutien du monde à leur catastrophe imaginaire. Le temps montrera que les Juifs étaient ceux dont les pertes étaient les plus faibles par rapport aux autres peuples, et que leur propagande et leur “marchandage” [guillemets dans la source] sur “ces victimes” étaient un moyen d’établir un État juif en Palestine» (Filastin, 17, 23 mai 1945, cité par Meir Litvak & Ester Webman, From Empathy to Denial: Arab Responses to the Holocaust, Londres: Hurst & Company, 2009, p. 52). Plus près de nous, l’actuel président de l’Autorité Palestinienne, Mahmoud Abbas est l’auteur d’un ouvrage tiré de sa «thèse» soutenue en URSS à l’université Patrice Lumumba, L’autre côté, la relation secrète entre le nazisme et le mouvement sioniste. Mahmoud Abbas y fait la part belle à la Haavara et avance tout à la fois que les sionistes sont complices des nazis dans l’accomplissement de la Shoah et que celle-ci fut bien moins meurtrière qu’on ne l’a dit, se fondant pour ce faire sur le négationniste Robert Faurisson… (voir sur le premier point David Patterson, «Denial, Evasion, and Antihistorical Antisemitism. The Continuing Assault on Memory», in Alvin H. Rosenfeld (dir.), Deciphering the new antisemitism, Bloomington: Indiana University Press, p. 29 et, sur le recours au négationnisme de Abbas, Stéphanie Courouble-Share, «Négationnisme: le double discours de Mahmoud Abbas», Non Fiction, 2015, en ligne…).

21. Pour ne prendre que l’exemple de l’ancien maire de Londres, le travailliste Ken Livingston qui n’a cessé de répéter que Hitler était favorable au sionisme en invoquant l’Accord de Transfert (David Hirsh, Contemporary Left Antisemitism, Routledge, 2018, p. 18).

22. Faurisson fait de nombreuses allusions à l’Accord de Transfert dans sa producion, notamment dans «L’Affaire des Juifs bruns» Revue d’Histoire Révisionniste, mai 1992, réimprimé sous forme de plaquette en 1998 par l’association nazie l’ANEC (émanation du militant nazi et négationniste Vincent Reynouard) sous le titre Quand les Juifs collaboraient avec les nazis.

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