Cliquez pour suivre le lien. 1. in Stéphane Courtois & Adam Rayski (éd.), Qui Savait Quoi? L’Extermination des Juifs, 1941-1945, Paris: Édition La Découverte, p. 75. 2. Ibid. 3. Voir notre page sur les déclarations d’Hitler, la note associée à la déclaration du 24 février 1942. 4. Actes du Procès de Nuremberg, Procès des grands criminels de guerre devant le tribunal militaire international: Nuremberg, 14 novembre 1945 - 1er octobre 1946, tome XLI (41), p. 544. 5. Max Domarus, Hitler, Reden und Proklamationen, 1932-1945, Bd. 2. Untergang. 1939-1945, Neustadt a. d. Aisch: Schmidt, 1963. 6. Herbert et Sibylle Oberhausen, «Schreiben wie es wirklich war…», Aufzeichnungen Karl Dürkefäldens aus den Jahren 1933-1945, Hanovre: Fackelträger, 1985, p. 108: «Zum Parteigründungstag 1942 zum Beispiel schreibt Adolf Hitler am 24. Februar 1942 an seine Parteigenossen , als er den Juden wie üblich wieder alle Schuld gibt: ”Heute haben die Gedanken unserer nationalsozialistischen und die der faschistischen Revolution große und gewaltige Staaten erobert und meine Prophezeiung wird ihre Erfüllung finden, daß durch diesen Krieg nicht die arische Menschheit vernichtet, sondern der Jude ausgerottet werden wird. Was immer auch der Kampf mit sich bringen, oder wie lange er dauern mag, dies wird sein endgültiges Ergebnis sein“ (aus der N[Niedersächsische]T[ages]Z[eitung] vom 25. februar 1942. Über diese Zeitungsabschnitt stand geschrieben: ”Der Jude wird ausgerottet“)» 7. Entrée du 26 février 1942 de Victor Klemperer, Ich will Zeugnis ablegen bis zum letzten: Tagebücher, Berlin: Aufbau-Verlag, 1996, vol. 2, p. 34: «Gleichzeitig ein Aufruf Hitlers an seine alten Kämpfer, mit denen er früher in München den Tag der Programgebung feierte. Er könne nicht von der Front fort da es in der Krim schon taue u. er Vorbereitungen zur Offensive treffe. Er werde den Krieg bis zur Ausrottung der Juden führen». Cette entrée n’a été relevée que par un seul historien à notre connaissance, Bernward Dörner, Die Deutschen und der Holocaust. Was niemand wissen wollte, aber jeder wissen konnte, Berlin: Propylaën Verlag, 2007, p. 389. 8. Ingrid Lewek & Wolfgang Tarnowski (éd.), Juden in Radebeul 1933-1945. Erweiterte und überarbeitete Ausgabe, Radebeul, 2008, p. 38. 9. Isaac Schoenberg, Lettres à Chana, camp de Pithiviers, 16 mai 1941-24 juin 1942, édition présentée et annotée par Serge Klarsfeld, préface de Pierre Pachet, éditions Cercil, 1995, p. 117, cité par Hélène Mouchard-Zay, «“Une chaîne d’acier…” À propos de trois correspondances d’internés dans les camps de Pithiviers et Beaune-la-Rolande», dans Bruno Curatolo, François Marcot (éds.), Écrire sous l’occupation. Du non-consentement à la Résistance, France-Belgique-Pologne, 1940-1945, Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2011, p. 337. Je remercie Nicolas Bernard qui m’a indiqué cette source. 10. Paul Lévy, Journal d’un exilé, Paris: Grasset, 1949, p. 94. 11. Pierre Limagne, Éphémérides de quatre années tragiques. 1940-1944, tome I, De Bordeaux à Bir-Hakeim, La Villedieu: Editions de Candide, p. 434. Je remercie vivement Tal Bruttmann qui m’a signalé cette entrée. 12. Document CDJC, CCXIII-15 cité par Renault Meltz, Pierre Laval. un mystère français, Paris: Perrin, 2018, p. 889. Ce document est cité depuis très longtemps par les historiens, par exemple par Adam Rutkowski, La lutte des juifs en France à l’époque de l’Occupation (1940-1944): recueil de documents, Centre de documentation juive contemporaine, 1975, p. 115-117. Serge Klarsfeld le mentionne évidemment dans plusieurs ouvrages. 13. Jean-Luc Einaudi, Un rêve algérien: histoire de Lisette Vincent, une femme d’Algérie, Paris: Éd. Dagorno, 1994, rééd. Paris: Presses Universitaires de France, 2001, p. 219. 14. Michaël Iancu, Vichy et les Juifs: l’exemple de l’Hérault 1940-1944, Montpellier: Presses universitaires de la Méditerranée, 2007, p. 30: «Le 25 février 1942, les lecteurs de L’Éclair apprenaient la déclaration du Führer, lue par le gauleiter Adolf Wagner le 24 février 1942, donc immédiatement après la Conférence de Wannsee (22 janvier 1942), à l’occasion du vingt-deuxième anniversaire de la fondation du Parti national-socialiste: “Aujourd’hui, les idées de notre révolution national-socialiste et de la révolution fasciste ont conquis de grands et puissants états, et ma prophétie se réalisera, à savoir qu’après cette guerre, l’humanité aryenne ne sera pas anéantie, mais que le juif sera exterminé…”». 15. Sur la question des agences de Presse en France pendant la guerre, voir notamment Michel Mathien et Catherine Conso, Les agences de presse internationales, coll. Que Sais-Je, Paris: Presses universitaires de France, 1997, p. 73-75; Jean Huteau et Bernard Ullmann, AFP: une histoire de l’agence France-presse: 1944-1990, Paris: Robert Laffont, 1992, p. 27-35; Laurent Gervereau et Denis Peschanski (dir.), La propagande sous Vichy, 1940-1944, Nanterre: Bibliothèque de documentation internationale contemporaine, 1990, p. 25-27, 84-85; M. B. Palmer, «L’Office Français d’Information (1940-1944)», Revue d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, janvier 1976, vol. 26, no. 101. Sur l’AFIP, citons Pascal Ory: «L’AFIP, théoriquement constituée de capitaux fournis par les ténors de la collaboration, Luchaire et Brinon en tête, restera en fait et jusqu’au bout une annexe à peine déguisée du DNB, dont elle traduit et diffuse les dépêches. Son rédacteur en chef, ancien rédacteur du Jour, le quotidien conservateur de Léon Bailby dans les locaux duquel elle s’est finalement installée, son secrétaire général, ancien collaborateur d’Havas, assurent les apparences de la continuité: comme à la Coopérative, le véritable maître est un Allemand, le lieutenant Hermes, du Pressgruppe de l’Abteilung» (Pascal Ory, Les Collaborateurs. 1940-1945, Paris: éditions du Seuil, coll. Points Histoire, 1976, p. 66). Barbara Lambauer propose une description des interractions DNB/AFIP/OFI dans Otto Abetz et les Français ou L’envers de la Collaboration, Paris: Fayard, 2001. Sur le même sujet on pourra également voir Oliver Boyd-Barrett et Michael Palmer, Traffic de nouvelles, Paris: A. Moreau, 1980, ainsi que Philippe Amaury, Deux premières expériences d’un Ministère de l’information en France: l’apparition d’institutions politiques et administratives d’information et de propagande sous la IIIe République en temps de crise (juillet 1939 _ juin 1940), leur renouvellement par le régime de Vichy (juillet 1940 _ août 1944), Paris: Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1969, notamment p. 754 et suiv, ainsi que Claude Bellanger, Jacques Godechot, Pierre Guiral et Fernand Terrou (dir.), Histoire générale de la presse française, tome 4, De 1940 à 1958, Paris: Presses universitaires de France, 1975, p. 26-27.

24 février 1942:
Hitler annonce l’extermination des Juifs au monde et à la France

Comment, début 1942, tout le monde a su

Gilles Karmasyn

©PHDN 2022

Le Cri du Peuple du 26 février 1942 titre sur l’extermination des Juifs proclamée par Hitler le 24 février à Munich
Le Cri du Peuple du 26 février 1942 titre sur l’extermination des Juifs proclamée par Hitler 

En 1987, l’historien suisse Philippe Burrin mentionne, dans une étude intitulée «Que savaient les collaborationnistes?», pour la première fois dans l’historiographie, que Le Cri du Peuple, le journal collaborationniste du PPF de Jaques Doriot annonçait (de façon spectaculaire) la proclamation par Hitler de l’extermination des Juifs1. Il ajoute que l’Œuvre de Marcel Déat évoque la même proclamation de Hitler en termes plus vagues2.

Cette évocation de l’annonce d’Hitler n’était en soi pas du tout suprenante: comme nous allons le voir, les déclarations du 24 février 1942 sont très connues des historiens qui s’y réfèrent constamment depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Ce qui était inédit, c’était une telle publicité dans la presse collaborationniste. Toutefois, contrairement à ce qu’on aurait pu croire à la lecture de Philippe Burrin, cette publicité ne lui était pas réservée, très loin de là.

La proclamation du 24 février 1942 dans l’historiographie

Cette date marque le vingt-deuxième anniversaire de la création du parti nazi à l’Hofbräuhaus, une brasserie du centre de Munich. Depuis, chaque année, Hitler y tient un discours. En 1942, retenu par la guerre, il fait lire une longue «proclamation» (Botschaft) par le Gauleiter Adolf Wagner. Cette proclamation comprend notamment le passage suivant:

«Ma prophétie s’accomplira: ce n’est pas l’humanité aryenne qui sera anéantie par cette guerre, mais c’est bien le Juif qui sera exterminé. Quel que soit le résultat de cette lutte ou sa durée, ce sera son résultat final. Et alors seulement, après l’élimination de ces parasites, le monde souffrant connaîtra une longue période de compréhension entre les peuples et donc de paix véritable.»3

Völkischer Beobachter du 25.2.1942, p. 2 entière et détail
Scan extrait page 2 Völkischer Beobachter 25.2.1942Scan pages 2 entière du Völkischer Beobachter 25.2.1942

Si ce passage est beaucoup cité par les historiens c’est qu’il a été repéré dès la fin de la guerre et utilisé lors du Procès de Nuremberg dont il constitue un document depuis très connu4. La source en était l’article reproduisant toute la proclamation lue par Wagner dans le Völkische Beobachter, l’organe officiel du NSDAP, du 25 février 1942, en pages 1 et 2. L’historien Max Domarus reproduit cet article intégralement dès la première édition, en 1963, qu’il donne des discours d’Hitler5. Depuis, quand les historiens prennent la peine de préciser leur source, c’est quasi exclusivement Domarus (et ses éditions successives) qu’ils citent. Relevons ici que la reproduction de Domarus oublie l’insistance sur certains passages (en gras dans notre citation) qui apparaîssent dans l’original du Völkische Beobachter sous la forme de mots aux lettres plus espacées.

Quasiment une seule autre version de la proclamation est mentionnée dans les travaux des historiens, encore qu’indirectement puisqu’elle passe par l’évocation du journal de Karl Dürkefälden, ingénieur civil allemand qui prit des notes scrupuleuses au jour le jour pendant la guerre, source pour de nombreux travaux. Dürkefälden recopie en effet fin février 1942 le passage même que nous venons de citer en précisant qu’il le tire du Niedersächsische Tageszeitung du 25 février 1942 où il figurait sous le titre «Le Juif sera exterminé»6.

On peut relever qu’un autre diariste allemand très connu, mentionne également la proclamation de Hitler, le philologue juif Victor Klemperer. Dans le journal qu’il tient, il note le 26 février 1942: «Hitler lance un appel à ses anciens camarades de combat, avec lesquels il fêtait autrefois à Munich la Journée du Programme [en 25 points]. Il ne peut pas quitter le front car il y a déjà un dégel en Crimée et il se prépare à l’offensive. Il mènera la guerre jusqu’à l’extermination des Juifs»7. Toutefois Klemperer ne mentionne pas d’où il tire sa connaissance de la proclamation hitlérienne. Cependant, ainsi qu’on va le voir, cela ne constitue sans doute pas un mystère difficile à résoudre…

La réalité: une diffusion massive en Allemagne et en Allemand

Même si le Völkische Beobachter est un journal très largement diffusé, l’historiographie semble donner le sentiment d’une audience limitée (toutes proportions gardées: le VB diffuse à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires). Il n’en est rien. La proclamation d’Hitler est massivement portée à la connaissance du lectorat germanophone. Tous les quotidiens en Allemand que nous avons pu consulter reproduisent la quasi totalité du discours dans leur édition du 25 février 1942, avec le plus souvent une insistance particulière sur le passage concernant l’extermination des Juifs. C’est le cas du Bergedorfer Zeitung (où la distinction typographique des passages que nous avons mis en gras figure également), du Der Führer: das Hauptorgan der NSDAP Gau Baden, du Harburger Anzeigen und Nachrichten où est mis en exergue le sous-titre «Le Juif sera exterminé» (der Jude ausgerottet werden wird), et du Badische Presse qui propose une Une spectaculaire, en gras, soulignée de rouge: «Cela se terminera par l’extermination des Juifs» («Am Ende wird Ausrottung der Jude stehen»). Les guillemets signifient bien qu’il s’agit là de la parole du Führer.

Première page du Badische Presse du 25 février 1942
Première page du Badische Presse du 25 février 1942 

On trouve quinze autres titres (quotidiens et hebdomadaires) de la presse germanophone reproduisant le déclarations d’Hitler sur le site de la Österreichische Nationalbibliothek (Bibliothèque nationale d’Autriche).

Placard de Der Freiheitskampf du 25.2.1942, reprenant le passage sur l’extermination
Placard de Der Freiheitskampf du 25.2.1942, reprenant le passage sur l’extermination

Le Stürmer reprend (et met en valeur) le passage sur l’extermination des Juifs dans son édition du 19 mars 1942 (page 2). Le Freiheitskampf du 25 février 1942 ne se contente pas de reproduire intégralement la proclamation d’Hitler en première et deuxième page, il fait sa publicité avec un placard qui reproduit le passage sur l’extermination des Juifs8!

Poster publié dans Der Schulungsbrief numéro 5
Poster publié dans Der Schulungsbrief numéro 5

Le mensuel massivement diffusé (plusieurs millions d’exemplaires) de Robert Ley, Der Schulungsbrief, dans son numéro 5 de l’année 1942, intitulé «La victoire de la force raciale» (Sieg der Rassenkraft) publie lui aussi le passage de la proclamation de Hitler sous forme de poster en première page (voir scan ci-contre effectué par nous sur un exemplaire original). C’est donc un message extrêmement limpide et explicite que les dirigeants nazis souhaitent faire passer auprès de la population allemande: Hitler expose publiquement l’extermination des Juifs comme une nécessité absolue. Il est probable que très peu d’Allemands aient échappé à cette «information». Klemperer n’avait sans doute qu’a lire le premier journal du 25 février 1942 venu pour tomber sur les passages qu’il a relevés.

La volonté de diffusion des autorités nazies est très extensive. Elle concerne des journaux en Allemand diffusés aux Pays-Bas (tel le Deutsche Zeitung in den Niederlanden du 25 février 1942), au Luxembourg (Escher Tageblatt du 25 février, Luxemburger Wort du même jour), à Varsovie (tel le Warshauer Zeitung du 26 février) ou dans les pays baltes occupés (tel le Revaler Zeitung du 26 février). Nous ne doutons pas que d’autres que nous trouveront de nombreux exemples additionnels de cette diffusion en Allemand.

Vers l’Étranger…

Il ne s’agit pas pour les nazis de se contenter d’arroser les germanophones. La consigne est également de diffuser les propos d’Hitler le plus largement possible, y compris vers les nations ennemies. L’édition du 25 février 1942 du New York Times produit une traduction complète de la proclamation d’Hitler de la veille en page 8 (ce qui signe une certaine désinvolture, connue depuis longtemps des historiens) incluant le passage sur l’extermination des Juifs: «My prediction will find its fulfillment, that by this war not the Aryans but the Jews will be exterminated. Whatever this fight still has in store for us, or however long it may last, this will be its final result. Only then, after these parasites have been removed, will the suffering world be relieved by a long period of understanding among nations, and true peace will come over the world». Le New York Times fournit une précision importante: ce texte est reproduit tel que diffusé par la «Trans Ocean Agency» (en fait Transocean news agency), une agence de presse radio allemande en théorie indépendante, bien que contrôlée par le pouvoir nazi. Cette indépendance de façade lui permet de continuer à diffuser sur les ondes (courtes) des «informations» (fournies par les services de presse et de propagande nazis) hors d’Allemagne, notamment vers le continent américain. De toute évidence, la diffusion dès le 24 février de la proclamation hitlérienne — difficile ici de savoir si elle a été réalisée directement en anglais ou traduite par le New York Times — ne peut être que le produit d’une commande du pouvoir nazi. C’est sans doute la même diffusion radio qui permet au Soleil, un journal francophone du Québec de publier des extraits de la proclamation d’Hitler le 25 février également. La source est bien allemande puisqu’il est précisé «émission allemande» (p. 1, il demeure évidemment une ambiguité: cela ne signifie pas nécessairement en Allemand…). La traduction du quotidien est la suivante: «ma prophétie se réalisera aussi, à savoir que ce n’est pas le peuple aryen qui sera annihilé, mais les Juifs qui seront anéantis» (p. 19). Un autre titre québécois, L’Action catholique restitue, dans son édition du 25 février, le même passage au style indirect: «Hitler dit ensuite que cette guerre arrivera non à l’extermination des races aryennes, mais des Juifs» (p. 13). La Gazette de Lausanne du 26 février 1942 nous fournit sans doute, selon nous, une confirmation de cette volonté de communiquer vers l’Étranger. On y trouve un très court encart en bas de la première page, sur la proclamation qui nous occupe, encart intitulé «Un message du chancelier Hitler» qui nous informe que l’information a été transmise par l’agence de presse Telepress, une agence de presse de l’État nazi.

Il nous faut toutefois relever que dans le monde anglophone, la proclamation d’Hitler n’a été in fine que peu reprise, même si on peut retrouver cité le passage sur l’extermination des Juifs littéralement jusqu’au bout du monde; par exemple dans le quotidien néozélandais, The Waikato Times du 26 février 1942. La presse communautaire juive s’émeut, elle, évidemmment de cette annonce hitlérienne, tel le bulletin du 27 février 1942 de la Jewish Telegraphic Agency.

La France: une diffusion de masse dès le 26 février 1942

Isaac Schoenberg, jeune peintre de 34 ans, sera déporté vers Auschwitz en juin 1942. Il y sera assassiné le 5 août. Interné à Phitiviers en mai 1941, il écrit de nombreuses lettres à sa fiancé, Chana, l’amour de sa vie. Le 26 février 1942, il mentionne dans une lettre un discours «enragé» d’Hitler, où celui-ci proclame que «la guerre n’exterminera pas l’humanité aryenne mais les Juifs»9. Il s’agit évidemment de la proclamation d’Hitler du 24 février précédent, mais Isaac Schoenberg ne précise pas d’où il la tient. Le journaliste et romancien Paul Lévy note dans le journal qu’il tient pendant la guerre, à la date du 26 février 1942 que pour Hitler «l’anéantissement de l’humanité aryenne n’aura pas lieu. Ce sont les Juifs qui seront exterminés»10. Bien que ne précisant pas les circonstances de cette déclaration, on reconnaît également notre proclamation hitlérienne du 24 février. Un autre diariste très connu, Pierre Limagne, note dans son journal en date du 25 février 1942 qu’Hitler, à l’occasion du «22e anniversaire de la fondation du parti […] peut envoyer un message: “Ma prophétie se réalisera, à savoir qu’après cette guerre, l’humanité aryenne ne sera pas anéantie, mais que le Juif sera exterminé”»11. Dans le cas de Limagne, les circonstances de la déclaration sont clairement identifiées, mais pas plus que pour Isaac Schoenberg ou Paul Lévy, sa source.

Un document absolument poignant émanant du Consistoire central des Israélites de France (l’instance religieuse juive principale en France sous l’occupation) nous est connu depuis longtemps. Le 25 août 1942, son président, Jacques Helbronner écrit à Laval pour le supplier de faire cesser les déportations des Juifs de France. Il lui écrit:

«Le Consistoire central ne peut avoir aucun doute sur le sort final qui attend les déportés, après qu’ils auront subi un affreux martyre. Le Chancelier du Reich n’a-t-il pas déclaré dans un message du 24 février 1942: “Ma prophétie, suivant laquelle au cours de cette guerre, ce ne sera pas l’humanité aryenne qui sera anéantie, mais les Juifs qui seront exterminés, s’accomplira. Quoi que nous apporte la bataille et quelle qu’en soit la durée, tel sera son résultat final.” Ce programme d’extermination a été méthodiquement appliqué en Allemagne et dans les pays occupés par elle, puisqu’il a été établi par des informations précises et concordantes que plusieurs centaines de milliers d’Israélites ont été massacrés en Europe orientale ou y sont morts, après d’atroces souffrances, à la suite des mauvais traitements subis.»12.

Comme pour Isaac Schoenberg, Paul Lévy et Pierre Limagne nous ignorons quelle est la source de Jacques Helbronner. On pourrait raisonnablement penser qu’ils ont eu tous les quatre un accès direct ou indirect à la presse collaborationniste qui a fourni de longues traductions de la proclamation d’Hitler, comme on l’a vu avec Le Cri du Peuple du 26 février et avec l’Œuvre du même jour. Toutefois, ce n’est sans doute pas l’hypothèse la plus réaliste.

Sur une proposition de l’historien Tal Bruttmann, que nous remercions ici vivement de nous avoir signalé la Une particulièrement explicite du Cri du Peuple, nous avons cherché à savoir si la proclamation d’Hitler du 24 février 1942 avait connu une diffusion ailleurs que dans la presse collaborationniste. Pour ce faire nous avons utilisé les extraordinaires ressources offertes par la Bibliothèque nationale de France avec ses bibliothèques numériques en ligne Gallica et Retronews qui permettent d’avoir accès à — et de faire des recherche dans — de très nombreux journaux parus notamment pendant la Seconde Guerre Mondiale. Le résultat a — selon la formule consacrée — dépassé toutes nos espérances!

Première page du Petit Troyen du 26 février 1942
Première page du Petit Troyen du 26 février 1942 

Nous avons pu identifier près de quarante quotidiens qui, pour la plupart du 26 février 1942, dans la France entière, de tous horizons politiques (pour autant qu’ils aient eu l’autorisation de paraître), en zone occupée comme en zone libre (jusqu’en Afrique du Nord), reproduisent de très larges passages de la proclamation hitlérienne, en incluant presque toujours le passage sur l’extermination des Juifs, souvent en insistant dessus de façon spectaculaire, comme l’exemple ci-dessus, la première page du Petit Troyen du 26 février 1942, le démontre. Sans doute notre moisson pourra-t-elle être complétée par des recherches ultérieures. Nous pensons pouvoir distinguer deux sources pour les journaux, car il existe deux traductions légèrement différentes de la proclamation, l’une traduisant der Jude ausgerottet werden wird par «les Juifs qui seront exterminés» et l’autre par «le Juif sera exterminé».

Voici, outre les titres déjà mentionnés plus haut, ceux que nous avons identifiés (les liens pointent directement vers la page avec le passage sur l’extermination des Juifs, sauf lorsque la Une est particulièrement expressive):

Première page de Paris Soir du 26 février 1942
Première page de Paris Soir du 26 février 1942 

Première page de la Tribune de l’Aube du 26 février 1942
Première page de la Tribune de l’Aube du 26 février 1942 

Nous avons trouvé quelques titres qui, tout en consacrant des articles à la proclamation d’Hitler, édulcorent radicalement le passage sur l’extermination des Juifs ou le passent tout simplement sous silence:

On a donc ici la preuve éclatante que l’information sur — et le contenu de — la proclamation d’Hitler du 24 février 1942 ont été ici aussi massivement diffusés en France dès le 26 février 1942. La question de savoir où les diaristes, où Jacques Helbronner, ont bien pu prendre connaissance des propos d’Hitler est donc très simple: partout!

Vichy savait! (tout le monde savait…)

Les deux premiers titres ci-dessus mentionnent tous deux l’agence de presse à l’origine du contenu radicalement épuré: Havas-O.F.I, à savoir l’agence de presse quasi officielle du régime de Vichy. Aucun des journaux qui imprime complètement la proclamation sur l’extermination des Juifs ne mentionne Havas-O.F.I. Par contre, La France de Bordeaux et du Sud-Ouest mentionne en page 1 l’agence de presse A.F.I.P comme étant à l’origine du contenu imprimé. On peut faire l’hypothèse raisonnable que l’AFIP est à l’origine de tous les contenus semblables, soit pour une bonne partie des titres mentionnés plus haut (dont le contenu est quasi identique à celui de La France de Bordeaux et du Sud-Ouest). L’AFIP, (Agence française d’information de presse) est une agence de presse, créée avec les fonds de la Propaganda Staffel, qui servait de relais à l’agence officielle d’information du Reich (Le DNB, Deutsches Nachrichtenbüro) dont elle traduisait les communiqués et aux injonctions de publication de laquelle elle devait se soumettre. L’AFIP travaillait évidemment étroitement avec l’Office français d’information (OFI)»15.

On peut raisonnablement imaginer que le scénario suivant est très vraisemblable: de même qu’en Allemagne est organisée la diffusion massive de la proclamation d’Hitler avec une insistance particulière sur la nécessaire extermination des Juifs, et que d’autres agences de presse (Telepress, Transocean) ont tenté de la diffuser à l’Étranger, le DNB a fourni à l’OFI et à l’AFIP un matériel prêt à l’emploi avec un injonction suffisamment forte à la publication rapide pour que l’on constate l’effet de masse exposé ici.

L’AFIP, plus proche de la source allemande, fournit sans doute aux journaux un contenu plus conforme à l’original allemand, parfaitement explicite et transparent. Par contre, l’OFI, plus proche de Vichy, choisit de ne pas faire connaître les passages sur l’extermination des Juifs. Ce camouflage est évidemment un aveu spectaculaire de la parfaite compréhension qu’avaient ses auteurs de la signification de ce qu’ils préféraient cacher aux lecteurs français. On ne cherche à taire que ce que l’on comprend comme extrêmement problématique. Il est de plus très probable que les contenus ainsi censurés furent l’objet de discussions internes parmi les responsables de Vichy. Quoiqu’il en soit, cette dissimulation fut évidemment un échec complet compte tenu du rôle de l’AFIP.

Conclusion

Début 1942, dès la fin février, avant même le départ du premier convoi (un mois plus tard) nul ne pouvait plus ignorer que c’est la mort qui attendait les Juifs livrés à Hitler et transportés à l’Est. Le «quoi» (les Juifs seraient exterminés) ne pouvait être un mystère pour personne, même si le «comment» allait, lui le demeurer longtemps, objet au contraire de la plus grande vigilance de la part des nazis. À la question «Qui savait quoi?» il est désormais facile de répondre aussi à la première inconnue: début 1942, tout le monde, et avec la plus grande certitude, tous les décideurs, notamment à Vichy qui ne peuvent manquer d’avoir eu connaissance d’une information aussi radicale, que leurs propres services avaient cherché à censurer, mais spectaculairement et massivement diffusée dans la presse française. Il n’est évidemment pas inutile ici de préciser que les historiens ont depuis longtemps montré que les dirigeants politiques de Vichy ne pouvaient ignorer, au plus tard au printemps 1942, que les Juifs étaient voués à l’extermination. La présente étude ne vient que le corroborer.

Beaucoup de questions demeurent, sur les circuits et modalités de communications entre les différentes agences d’information, et surtout sur les raisons qui ont poussé Hitler et les nazis à organiser un tel matraquage sur le fait que les Juifs étaient destinés au massacre collectif.

Je tiens à remercier vivement Tal Bruttmann qui m’a fourni plusieurs des sources indiquées dans la présente page, et qui a eu la bienveillance de m’aider à articuler certaines réflexions présentées ici.


Notes.

1.in Stéphane Courtois & Adam Rayski (éd.), Qui Savait Quoi? L’Extermination des Juifs, 1941-1945, Paris: Édition La Découverte, p. 75.

2.Ibid.

3. Voir notre page sur les déclarations d’Hitler, la note associée à la déclaration du 24 février 1942.

4. Actes du Procès de Nuremberg, Procès des grands criminels de guerre devant le tribunal militaire international: Nuremberg, 14 novembre 1945 - 1er octobre 1946, tome XLI (41), p. 544.

5. Max Domarus, Hitler, Reden und Proklamationen, 1932-1945, Bd. 2. Untergang. 1939-1945, Neustadt a. d. Aisch: Schmidt, 1963.

6. Herbert et Sibylle Oberhausen, «Schreiben wie es wirklich war…», Aufzeichnungen Karl Dürkefäldens aus den Jahren 1933-1945, Hanovre: Fackelträger, 1985, p. 108: «Zum Parteigründungstag 1942 zum Beispiel schreibt Adolf Hitler am 24. Februar 1942 an seine Parteigenossen , als er den Juden wie üblich wieder alle Schuld gibt: ”Heute haben die Gedanken unserer nationalsozialistischen und die der faschistischen Revolution große und gewaltige Staaten erobert und meine Prophezeiung wird ihre Erfüllung finden, daß durch diesen Krieg nicht die arische Menschheit vernichtet, sondern der Jude ausgerottet werden wird. Was immer auch der Kampf mit sich bringen, oder wie lange er dauern mag, dies wird sein endgültiges Ergebnis sein“ (aus der N[Niedersächsische]T[ages]Z[eitung] vom 25. februar 1942. Über diese Zeitungsabschnitt stand geschrieben: ”Der Jude wird ausgerottet“)»

7. Entrée du 26 février 1942 de Victor Klemperer, Ich will Zeugnis ablegen bis zum letzten: Tagebücher, Berlin: Aufbau-Verlag, 1996, vol. 2, p. 34: «Gleichzeitig ein Aufruf Hitlers an seine alten Kämpfer, mit denen er früher in München den Tag der Programgebung feierte. Er könne nicht von der Front fort da es in der Krim schon taue u. er Vorbereitungen zur Offensive treffe. Er werde den Krieg bis zur Ausrottung der Juden führen». Cette entrée n’a été relevée que par un seul historien à notre connaissance, Bernward Dörner, Die Deutschen und der Holocaust. Was niemand wissen wollte, aber jeder wissen konnte, Berlin: Propylaën Verlag, 2007, p. 389.

8. Ingrid Lewek & Wolfgang Tarnowski (éd.), Juden in Radebeul 1933-1945. Erweiterte und überarbeitete Ausgabe, Radebeul, 2008, p. 38.

9. Isaac Schoenberg, Lettres à Chana, camp de Pithiviers, 16 mai 1941-24 juin 1942, édition présentée et annotée par Serge Klarsfeld, préface de Pierre Pachet, éditions Cercil, 1995, p. 117, cité par Hélène Mouchard-Zay, «“Une chaîne d’acier…” À propos de trois correspondances d’internés dans les camps de Pithiviers et Beaune-la-Rolande», dans Bruno Curatolo, François Marcot (éds.), Écrire sous l’occupation. Du non-consentement à la Résistance, France-Belgique-Pologne, 1940-1945, Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2011, p. 337. Je remercie Nicolas Bernard qui m’a indiqué cette source.

10. Paul Lévy, Journal d’un exilé, Paris: Grasset, 1949, p. 94.

11. Pierre Limagne, Éphémérides de quatre années tragiques. 1940-1944, tome I, De Bordeaux à Bir-Hakeim, La Villedieu: Editions de Candide, p. 434. Je remercie vivement Tal Bruttmann qui m’a signalé cette entrée.

12. Document CDJC, CCXIII-15 cité par Renault Meltz, Pierre Laval. un mystère français, Paris: Perrin, 2018, p. 889. Ce document est cité depuis très longtemps par les historiens, par exemple par Adam Rutkowski, La lutte des juifs en France à l’époque de l’Occupation (1940-1944): recueil de documents, Centre de documentation juive contemporaine, 1975, p. 115-117. Serge Klarsfeld le mentionne évidemment dans plusieurs ouvrages.

13. Jean-Luc Einaudi, Un rêve algérien: histoire de Lisette Vincent, une femme d’Algérie, Paris: Éd. Dagorno, 1994, rééd. Paris: Presses Universitaires de France, 2001, p. 219.

14. Michaël Iancu, Vichy et les Juifs: l’exemple de l’Hérault 1940-1944, Montpellier: Presses universitaires de la Méditerranée, 2007, p. 30: «Le 25 février 1942, les lecteurs de L’Éclair apprenaient la déclaration du Führer, lue par le gauleiter Adolf Wagner le 24 février 1942, donc immédiatement après la Conférence de Wannsee (22 janvier 1942), à l’occasion du vingt-deuxième anniversaire de la fondation du Parti national-socialiste: “Aujourd’hui, les idées de notre révolution national-socialiste et de la révolution fasciste ont conquis de grands et puissants états, et ma prophétie se réalisera, à savoir qu’après cette guerre, l’humanité aryenne ne sera pas anéantie, mais que le juif sera exterminé…”».

15. Sur la question des agences de Presse en France pendant la guerre, voir notamment Michel Mathien et Catherine Conso, Les agences de presse internationales, coll. Que Sais-Je, Paris: Presses universitaires de France, 1997, p. 73-75; Jean Huteau et Bernard Ullmann, AFP: une histoire de l’agence France-presse: 1944-1990, Paris: Robert Laffont, 1992, p. 27-35; Laurent Gervereau et Denis Peschanski (dir.), La propagande sous Vichy, 1940-1944, Nanterre: Bibliothèque de documentation internationale contemporaine, 1990, p. 25-27, 84-85; M. B. Palmer, «L’Office Français d’Information (1940-1944)», Revue d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, janvier 1976, vol. 26, no. 101. Sur l’AFIP, citons Pascal Ory: «L’AFIP, théoriquement constituée de capitaux fournis par les ténors de la collaboration, Luchaire et Brinon en tête, restera en fait et jusqu’au bout une annexe à peine déguisée du DNB, dont elle traduit et diffuse les dépêches. Son rédacteur en chef, ancien rédacteur du Jour, le quotidien conservateur de Léon Bailby dans les locaux duquel elle s’est finalement installée, son secrétaire général, ancien collaborateur d’Havas, assurent les apparences de la continuité: comme à la Coopérative, le véritable maître est un Allemand, le lieutenant Hermes, du Pressgruppe de l’Abteilung» (Pascal Ory, Les Collaborateurs. 1940-1945, Paris: éditions du Seuil, coll. Points Histoire, 1976, p. 66). Barbara Lambauer propose une description des interractions DNB/AFIP/OFI dans Otto Abetz et les Français ou L’envers de la Collaboration, Paris: Fayard, 2001. Sur le même sujet on pourra également voir Oliver Boyd-Barrett et Michael Palmer, Traffic de nouvelles, Paris: A. Moreau, 1980, ainsi que Philippe Amaury, Deux premières expériences d’un Ministère de l’information en France: l’apparition d’institutions politiques et administratives d’information et de propagande sous la IIIe République en temps de crise (juillet 1939 _ juin 1940), leur renouvellement par le régime de Vichy (juillet 1940 _ août 1944), Paris: Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1969, notamment p. 754 et suiv, ainsi que Claude Bellanger, Jacques Godechot, Pierre Guiral et Fernand Terrou (dir.), Histoire générale de la presse française, tome 4, De 1940 à 1958, Paris: Presses universitaires de France, 1975, p. 26-27.