Le génocide nazi et les négationnistes
Bernard Comte
© Bernard Comte 1990 - Gilles Karmasyn 1996-2023 - Reproduction interdite sauf pour usage personnel -
No reproduction except for personal use only
Sommaire
Présentation de la version web Introduction
I. RAPPEL HISTORIQUE A - Genèse du Génocide
National-socialisme et antisémitisme — La guerre — La guerre contre l’URSS — La décision — Les mesuresB - L’extermination
« L’opération Reinhard » — A Auschwitz — Le nombre total des victimes — Le secret — La connaissance
II. L’ENTREPRISE NéGATIONNISTE A - Les auteurs
Paul Rassinier (1906-1967) — Robert Faurisson — L’école “révisionniste”B - Les thèses C - De l’anti-histoire
CONCLUSIONS
Carte des camps Statistique du Génocide (répartition des victimes par pays, mode d’extermination, année) Informations éditoriales
Présentation de la version web
Le 30 mai 1990, l’historien Bernard Comte prononçait à à Villeurbanne une conférence sur le négationnisme. Le texte de cette conférence fut publié à deux reprises. Une première fois dans la revue Historiens et Géographes, no339, février 1990. Une seconde fois en 1991, dans une plaquette éditée par la Fondation Agir Ensemble pour les Droits de l’Homme.
En 1996, nous avons contacté Bernard Comte qui nous a donné l’autorisation de reproduire le texte de sa conférence. Avec son accord nous y avons ajouté quelques notes de bas de page. Il convient donc de souligner que les notes de bas de page ne font pas partie du texte original et ont été rédigées par Gilles Karmasyn en 1996.
Signalons que le texte de la conférence de Bernard Comte est également mis en ligne sur le site du Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah à l’adresse suivante:
http://aphgcaen.free.fr/cercle/comte.htm
Introduction
Les auteurs qui se proclament “révisionnistes” prétendent nier, sous prétexte de critique historique, la politique hitlérienne d’extermination des Juifs: la dispute autour des chambres à gaz n’est qu’un aspect et un moyen de cette négation globale1.
Ce qu’ils “révisent” c’est l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, pour en extirper la réalité monstrueuse qui la défigure au cœur de notre XXe siècle, l’entreprise que les Nazis appelaient la solution finale du problème juif en Europe, et qu’on hésite à nommer «Holocauste» pour les Israëliens et les Anglo-saxons, anéantissement (Vernichtung) pour les Allemands, extermination ou génocide pour les Français et Shoah pour la conscience juive…
Ce génocide perpétré de 1941 à 1945 est, d’une part, un fait historique, étudié et analysé dans sa genèse, son déroulement, ses méthodes et ses résultats, grâce à des archives et des témoignages nombreux. A travers thèses, colloques et travaux qui forment une énorme bibliothèque, s’exprime le consensus de la communauté internationale des historiens: s’il y a débat sur certains points, comme la genèse de la décision, il n’y en a pas sur les faits, et le nombre des victimes, qui ne sera jamais exactement connu, est évalué par des fourchettes de plus en plus serrées.
Mais ce fait historique est aussi un secret — «les chambres à gaz, secret d’état» titre d’un livre2 —, secret qui devait rester enfoui sans laisser de traces. Himmler parlait de cette «page glorieuse de notre histoire, une page non écrite et qui ne le sera jamais»3. Terrifiant secret, selon un autre titre4. Secret qui cache une réalité inconcevable, qui a souvent paru trop impensable pour qu’on la croie possible et qui n’a pas fini de nous interroger, nous les Européens héritiers du judéo-christianisme et des Droits de l’Homme.
Rappelons d’abord à grands traits les données historiques avérées, avant de présenter les thèses des “révisionnistes” et de montrer comment elles traduisent un refus de l’histoire et une négation perverse de la vérité.
I. Rappel Historique
A - Genèse du génocide
National-socialisme et antisémitisme
- L’antisémitisme meurtrier des nazis constitue un élément central de leur vision du monde biologique qui oppose races supérieures et inférieures et assimile la “race” juive à un bacille qui corrompt et détruit le corps sain. éliminer les Juifs d’Allemagne et d’Europe est une opération d’hygiène: il n’y a pas de «droits de l’homme» ni de valeurs universelles qui tiennent devant cette conception5. De plus pour Hitler traumatisé par la défaite de 1918, la “juiverie internationale” est responsable des malheurs de l’Allemagne contre laquelle elle a coalisé les adversaires extérieurs (démocraties capitalistes) et intérieurs (le bolchevisme, produit juif). Les nazis parlent fréquemment de “régler leur compte” aux Juifs.
- La persécution des Juifs sous le IIIe Reich est amorcée dès 19336, par à-coups et sans programme continu et cohérent, car elle est soumise aux priorités du réarmement et de la conquête de l’espace vital. Les mesures de ségrégation, exclusion, expropriation, inspirées par la haine, se situent dans la perspective d’une émigration forcée. Elles s’aggravent après l’Anschluss avec la Nuit de Cristal (novembre 1938). Hitler lance devant le Reichstag (30 janvier 1939), sa fameuse “prophétie” annonçant qu’en cas de nouvelle guerre mondiale provoquée par la juiverie internationale, le résultat n’en serait pas la bolchevisation de la terre et la victoire des Juifs, mais l’anéantissement de la race juive en Europe7 (il évoque donc une extermination physique, liée à une guerre mondiale qu’il voudrait éviter et qui mettrait obstacle à son entreprise de conquête de l’espace vital).
- De telles formules ont fait croire que le génocide était déjà décidé et programmé. Un débat oppose historiens “intentionnalistes” (le génocide comme intention de Hitler dès Mein Kampf, 1925, dont il poursuit la réalisation en exploitant les circonstances favorables) et “fonctionnalistes”8 (le génocide n’est décidé qu’en 1941, lorsque les autres solutions pour débarrasser l’Allemagne des Juifs ont échoué et que Hitler reprend à son compte les initiatives de ses subordonnés débordés par le surpeuplement des ghettos polonais ; il est en quelque sorte le produit des circonstances). Peut-être deux attitudes ont-elles coexisté: la recherche de solutions pour éloigner les Juifs après les avoir dépouillés (émigration, projet de transfert en Pologne orientale en 1939-40, puis à Madagascar), et le désir d’en faire des otages et des victimes qui paieront pour les obstacles qu’on oppose aux projets de Hitler9.
La guerre
Dès 1939 c’est une guerre raciste qui comporte des massacres collectifs.
- Hitler date du 1er septembre 1939 son ordre secret de procéder au meurtre des débiles et malades mentaux en Allemagne10; 100 000 tués, jusqu’à ce que les protestations (venant des Eglises notamment) l’amènent à arrêter l’opération en août 1941. Mais cela a permis de former des spécialistes de l’extermination par le gaz (dans des chambres fixes ou des camions)11.
- Dans la Pologne occupée (octobre 1939), les Nazis entreprennent l’anéantissement des élites polonaises. Heydrich, nommé par Himmler chef du R.S.H.A. [Office Central de Sécurité du Reich = Police d’Etat (Gestapo et police criminelle) + police du parti S.D.], crée des groupes d’intervention “Einsatzgruppen” qui saisissent les archives, arrêtent et fusillent les hommes (50 000 civils tués en 6 semaines, dont peut-être 5 000 Juifs).
- Triple action contre les Juifs soumis au Reich: expulsions (vers la zone soviétique de Pologne, puis vers la France après l’armistice), concentration (premiers ghettos polonais à Lodz, mai 1940, puis Varsovie, Cracovie et Lublin), refoulement des Juifs d’Allemagne vers la Pologne. Projets de concentrer les Juifs à la périphérie du Reich, dans une “réserve” en Pologne, ou de les déporter à Madagascar (projet de l’été 1940), mais ce n’est pas praticable.
La guerre contre L’U.R.S.S (juin 41)
Elle transforme les données du problème:
- C’est un pari de Hitler qui a buté à l’Ouest sur la résistance britannique soutenue par les U.S.A., au Sud sur les difficultés en Méditerranée. A la veille de lancer l’opération “Barbarossa” il réédite sa prophétie menaçante (30 janvier 1941).
- La guerre à l’Est va être une guerre totale, à la fois nationale (conquérir l’espace vital), idéologique (détruire le communisme) et raciale (contre l’ennemi juif).
- De plus elle va livrer aux Allemands des territoires où sont établis des Juifs par centaines de milliers.
La guerre va donc s’accompagner de méthodes plus expéditives pour terroriser et anéantir les Juifs de l’Est:
- Immédiatement derrière la ligne de front, des Einsatzgruppen sont lancés qui exécutent les cadres communistes et “l’intelligentsia judéo-bolchevik” et terrorisent la population juive, fusillades en séries (50 000 Juifs tués au fusil-mitrailleur en 7 semaines, juillet-août 1941).
Cependant les ghettos polonais sont surpeuplés, les administrateurs allemands s’en plaignent et commencent à mettre à part les Juifs “inaptes au travail” . faut-il les nourrir les laisser mourir ou les éliminer tout de suite?
La décision
Une escalade en Russie mène à la décision (automne 41) de procéder à la “solution finale” par extermination.
- Fin août 1941, les Einsatzgruppen de Russie exécutent aussi femmes et enfants; pour ces massacres de masses (à Babi Yar, près de Kiev, 33 000 exécutés les 29-30 septembre 1941; 500 000 au total, 2e semestre 1941; chiffres connus par la comptabilité des unités), on cherche des méthodes moins éprouvantes pour les bourreaux: des camions à échappement interne, des bouteilles de monoxyde de carbone.
- Hitler décide de prendre (août - septembre 1941) deux mesures qu’il avait toujours repoussées: obligation pour les Juifs de tout Reich de porter l’étoile jaune; début de la déportation à l’Est des Juifs d’Allemagne, vers le “Gouvernement général” de Pologne (août - septembre 1941).
- On n’a retrouvé aucun ordre écrit de Hitler concernant l’extermination des Juifs, mais la décision n’a pu être prise que par lui, et très probablement à ce moment, étant donné des indices convergents:
- interdiction totale d’émigration pour tous les Juifs, à l’opposé de la politique précédente (octobre 1941);
- premiers convois de déportation d’Allemagne vers la Pologne et vers l’URSS occupée, où les Einsatzgruppen “traitent” les Juifs déportés (octobre - novembre 1941);
- installation du camp de Chelmno (près du ghetto de Lodz) où la méthode des camions est utilisée (décembre 1941) avec un spécialiste S.S qui a mené à bien précédemment l’exécution des malades mentaux (Wirth);
- à l’Est, près de Lublin, début (octobre 1941) de la construction d’un camp à Belzec, avec une équipe qui a pratiqué, elle aussi, “l’euthanasie” (baraques étanches, moteur Diesel12);
- cependant diverses méthodes d’exécution massive sont expérimentées dans les camps de concentration, contre des détenus incurables ou contre des commissaires politiques soviétiques faits prisonniers (à Sachsenhausen, à Auschwitz avec le Zyklon B).
Les mesures d’application
- Construction des 6 camps d’extermination en Pologne.
Alors que les camps de concentration ouverts dès 1933 en Allemagne (Dachau, puis Buchenwald, Ravensbrück, une douzaine en tout) sont des “camps de la mort lente” par le travail épuisant, la faim, les mauvais traitements et les humiliations dégradantes, les six camps installés en Pologne en 1941-42 sont prévus pour exterminer rapidement, économiquement et en secret des masses d’êtres humains.
Deux de ces camps, Chelmno-Kulmhof et Auschwitz, sont en territoire polonais annexé au Reich, les autres sont dans la partie orientale appelée “Gouvernement général”.
- 4 camps construits pour l’extermination: Chelmno-Kulmhof (Lodz), Belzec, Sobibor (Lublin), Treblinka (Varsovie).
- 2 camps mixtes, où les installations d’extermination se greffent sur un camp de concentration: Maïdanek (Lublin) et Auschwitz-Birkenau (Cracovie)
- Le 20 janvier 1942, la “conférence de Wannsee” présidée par Heydrich avec Eichmann organise la participation des divers ministères et services du Reich à une “Solution finale” qui concerne l’ensemble des Juifs d’Europe (11 millions): arrestation, transfert à l’Est où ceux qui ne se seront pas éliminés “naturellement” seront “traités en conséquence”. Dans l’Allemagne qui mobilise toutes ses forces pour une guerre totale, les moyens nécessaires à la réalisation de la solution finale ont priorité.
- Pourquoi cette décision alors?
Selon une des études les plus récentes (Ph. Burrin13), Hitler a compris dans l’été 1941 que son projet de victoire rapide contre l’U.R.S.S. était en échec, et qu’il allait se retrouver dans la perspective d’une guerre longue, face à une coalition mondiale (l’U.R.S.S., si elle réussit à tenir, va s’allier à la Grande-Bretagne, et les U.S.A.qui soutiennent celle-ci entreront tôt ou tard dans l’alliance), La “juiverie mondiale” qui inspire cette coalition ne doit pas triompher, et le sang allemand qui va être versé dans cette longue guerre doit être vengé par celui des Juifs, race corrompue et corruptrice.
D’autres interprétations sont différentes14. Dans tous les cas, on doit faire la part de la vision stratégique de Hitler chef d’Etat et chef de guerre, du délire antisémite et raciste, de la psychologie d’un calculateur qui est aussi un obsédé, et des préparatifs et des expériences menés par les responsables S.S. qui ont reçu la mission de résoudre le problème juif: Himmler chef suprême des S.S, de la Gestapo et de toutes les polices: Heydrich, chef du R.S.H.A. (chargé par Goering en mai 1941 de la solution globale du problème juif dans toute l’Europe). Eichmann, chargé par Heydrich de l’exécution du plan. Et les “spécialistes” S.S. qu’ils dirigent (Höss, Wirth, etc.).
I - RAPPEL HISTORIQUE
B - L’extermination
L’opération Reinhard
(Fin 1941 - automne 1943). Elle doit résoudre, clans le cadre de Wannsee, la question juive clans le Gouvernement Général de Pologne occupée, où se trouvent plus de 2 millions de Juifs, Sous l’autorité du chef de la police et des S.S. de Lublin Globocnik, directement soumis à Himmler avec le personnel des centres d’euthanasie (Wirth).
- Construction (novembre 1941 - été 1942) des 3 camps de Belzec, Sobibor Treblinka. Equipement en chambres à gaz, alimentées par moteurs.
- Début de l’extermination massive en mars 1942 (Témoignage du S.S Kurt Gerstein).
- Ordre de supprimer les traces, donc de brûler les cadavres enterrés (été 1942). Décision de fermer les camps (fin 1942).
- En novembre 1943, l’Opération Reinhard est déclarée terminée, toutes les traces sont effacées. Estimation des victimes: 1,5 million.
A Auschwitz (Oswiecim)
Au camp de concentration Auschwitz I, créé en 1940 avec Höss, est joint un camp d’extermination Auschwitz II-Birkenau avec ses chambres à gaz et ses fours crématoires, qui fonctionnera de février 1942 à novembre 1944 à un rythme croissant (24 000 Juifs hongrois exterminés en un jour en août 1944). Nombre des victimes juives estimé à 1 million. A Auschwitz, la sélection à l’arrivée soustrait au gazage immédiat de 20 à 30 % environ des déportés, qui sont immatriculés et mis au travail (parmi lesquels une minorité survivra). Les déportés des “Sonderkommando” sont chargés de manipuler vêtements, objets et cadavres autour des chambres à gaz et des fours crématoires.
Une organisation minutieuse, pour toute l’Europe dominée par les Allemands, préside aux opérations: arrestation-rafle des Juifs, concentration (Drancy), triage, transport et réception dans les camps d’extermination, par trains de 1 000 déportés, de manière à assurer l’approvisionnement régulier des chambres à gaz en évitant les temps morts ou les surcharges. Comptabilité connue, train par train, pour les départs de France, de Belgique et des Pays-Bas et partiellement reconstituée, pour les arrivées à Auschwitz, par les relevés d’immatriculation notés clandestinement par des détenus.
Le nombre total des victimes
A Nuremberg, il a été estimé à 5,7 millions. On a souvent parlé de 6 millions. Deux méthodes ont été utilisées par les historiens:
- Par addition, à partir des comptabilités partielles conservées dans les archives allemandes et complétées par déduction (ex. le rapport rédigé par l’officier statisticien S.S. Korherr pour Himmler donnant, par pays, le chiffre des “évacués”, soit 2 670 000 au 31 mars 1943, vérifié pour la France et la Belgique par les listes nominatives des déportés que nous avons).
- Par soustraction, en comparant (notamment pour l’U.R.S.S. et les pays baltes) les chiffres de la population juive des recensements d’avant-guerre (1939) à ceux d’après-guerre (1959), avec tous les calculs correctifs utiles pour tenir compte du mouvement naturel de la population sous toutes ses formes. Les calculs récents les plus convaincants sont ceux de R. Hilberg15, qui arrive au total 5 100 000 victimes juives du génocide (cf. tableaux I à III).
Le secret
Il a été voulu par les auteurs du génocide. Pas d’ordre écrit en clair, un langage codé (solution finale, action spéciale, traitement spécial, évacuation, hébergement, réinstallation…). Höss, commandant d’Auschwitz, avait prêté serment devant Himmler de garder le secret. Les camps, ou au moins leurs installations meurtrières (chambres à gaz) ont été détruits, leurs archives brûlées.
Il a été facilité par la terreur, par la complicité de ceux qui n’ont pas voulu voir ou savoir, et aussi par le caractère incroyable et impensable de l’événement16. Jamais un état n’avait décidé et appliqué l’extermination entière d’un groupe humain pourchassé sur un continent entier.
Les réalités de la solution finale (arrestation, concentration, déportation, sélection, gazage, crémation des cadavres) n’ont pas été crues, à l’époque même où des témoins sérieux les faisaient connaître. Comme l’a écrit plus tard Raymond Aron, alors à Londres où les informations circulaient: «Les chambres à gaz, l’assassinat industriel d’êtres humains, non, je l’avoue, je ne les ai pas imaginés, et parce que je ne pouvais les imaginer je ne les ai pas sus»17. Comme le dit Gerhart Riegner qui a recueilli les informations à Genève où il tenait le bureau du Congrès juif mondial: «Un être humain normal ne pouvait pas comprendre».
La connaissance
- Pendant la guerre, des informations et des témoignages ont filtré, convainquant G. Riegner qui, de Genève, transmet l’information à Washington et à Londres, où on en fait état dans les organes de presse. En novembre 1944 , l’administration américaine a publié cinq relations qui lui étaient parvenues, rédigées dans l’été 1944 par des évadés d’Auschwitz-Birkenau, dont les Slovaques Vrba et Wetzler. Les Alliés ont été informés, comme le Vatican.
- Après la libération des camps, de nombreux S.S arrêtés ont témoigné au cours de divers procès, à commencer par Höss qui a rédigé une longue confession: le Dr Kremer a expliqué la signification des notes codées du journal qu’il a rédigé lorsqu’il a passé plusieurs mois à Auschwitz en 1942, et assisté à une série “d’actions spéciales” (“le comble de l’horreur”): l’officier S.S. Gerstein a rédigé en prison, avant de se suicider, plusieurs rapports sur sa visite à Belzec en août 1942, où il avait assisté au gazage de tout un convoi, après quoi il avait essayé d’informer la Suède et le Vatican ; Eichmann s’explique au procès de Jérusalem (1961).
- On a exhumé à Birkenau plusieurs documents enfouis par des détenus, lettres ou cahiers évoquant les opérations de sélection, gazage et crémation: les rares survivants des “Sonderkommando” en 1945 ont donné leur témoignage.
- Les archives allemandes (armée, administrations, entreprises industrielles) ont conservé bien des documents concernant la fabrication des chambres à gaz, les livraisons de matériaux et les diverses activités liées à la déportation et au génocide.
Tous ces documents et témoignages ne peuvent évidemment être exploités qu’après étude critique, confrontation selon les règles de la méthode historique. Si des affirmations inexactes ont pu être avancées ici ou là, le travail des historiens depuis quarante-cinq ans a abouti à une connaissance, évidemment ni exhaustive ni achevée mais réelle, du génocide. L’étude critique des documents, la confrontation des diverses sources, continuent.
En France, on connaît les noms, les adresses et les âges des 76 000 Juifs déportés entre le printemps 1942 et août 1944, dont 2500 ont survécu (S. Klarsfeld, Le Mémorial de la déportation des Juifs de France, Paris, 1978).
II - L’ENTREPRISE NEGATIONNISTE
A - Les auteurs
Paul Rassinier (1906-1967)
Instituteur puis professeur d’histoire et géographie, il a été communiste puis socialiste, favorable à Munich puis résistant, arrêté en 1943 et déporté (Buchenwald, Dora).
Il publie Le mensonge d’Ulysse (1950), se lie à des milieux d’extrême-droite (cf M. Bardèche, Nuremberg ou la Terre promise 1948), et à Rivarol. Il nie le «prétendu génocide» («la plus tragique et la plus macabre imposture de tous les temps»), qui s’explique par un complot juif international, et calcule (Le Drame des Juifs européens) que plus de 3 millions des prétendus exterminés ont survécu, cachés en Europe de l’Est, puis enfuis ailleurs18… Cf, Le véritable Procès Eichmann ou les Vainqueurs incorrigibles.
Robert Faurisson
Universitaire19, spécialiste de littérature française, docteur d’Etat (A-t-on lu Lautréamont? 1972), maître de conférences à Lyon II en 1973, auteur d’études critiques sur le texte de Rimbaud et sur celui des Chimères de Nerval. Ayant découvert Rassinier en 1960, il mène dans les années 1970 une “enquête” personnelle sur les chambres à gaz, conclut à leur non-existence. La presse fait connaître ces thèses en novembre 1978 (Le Matin, Libération). Le Monde publie (19 et 30 décembre 1978) un dossier qui s’ouvre sur un texte de R. Faurisson «Le problème des chambres à gaz ou la rumeur d’Auschwitz» auquel répondent plusieurs historiens. Emotion. Les enseignements de R. Faurisson sont suspendus, et il est mis à la disposition du Centre national de téléenseignement (mai 1979). Polémiques et procès en série.
R.F. publie Mémoire en défense contre ceux qui m’accusent de falsifier l’histoire (1980) puis Réponse à Pierre Vidal-Naquet (1982) après l’article de celui-ci «Un Eichmann de papier»20 (Esprit, septembre 1980), ainsi que de nombreux tracts et opuscules puis un périodique Annales d’histoire révisionniste (1987) aux éditions “La Vieille Taupe” de Pierre Guillaume21.
R.F sera condamné à Paris (juillet 1981) pour diffamation raciale, pour la phrase prononcée à Europe 1 le 16 décembre 1980, qui, dit-il, résume toute sa pensée:
«Les prétendues chambres à gaz hitlériennes et le prétendu génocide des Juifs forment un seul et même mensonge historique qui a permis une gigantesque escroquerie politico-financière, dont les principaux bénéficiaires sont l’état d’Israël et le sionisme international, et dont les principales victimes sont le peuple allemand — mais non pas ses dirigeants et le peuple palestinien tout entier».Le “révisionnisme” de R.F. consiste essentiellement à nier l’existence de chambres à gaz homicides, en déclarant n’avoir pas trouvé le moindre commencement de preuve de leur existence, et en affirmant accessoirement «Hitler n’a jamais ordonné ni admis que quiconque fût tué en raison de sa race et de sa religion. Je ne cherche à outrager ni à réhabiliter personne»22.
Réponse lui a été faite aussitôt par F. Delpech, historien lyonnais (textes publiés dans Historiens et géographes, mai juin 1979 et Sur les Juifs, Presses Universitaires de Lyon, 1983), par G. Wellers, P. Vidal-Naquet et plus récemment M. Steinberg (voir Bibliographie).
L’école “révisionniste”
Elle est soutenue en France par La Vieille Taupe, librairie “anarcho-marxiste” devenue favorable depuis 1970 aux thèses de Rassinier23 (par hostilité à la fois au stalinisme soviétique, au capitalisme occidental et au sionisme?), qui publie également: Serge Thion, Vérité historique ou vérité politique? Le dossier de l’affaire Faurisson24 (1980).
W. Stäglich, Le mythe d’Auschwitz,1986.
La thèse de doctorat d’Henri Roques25 sur les “Confessions” de Kurt Gerstein, soutenue à Nantes le 15 juin 1985 et annulée par le ministre Devaquet en juillet 198626, a été publiée par A. Chelain, Faut-il fusiller Henri Roques, Ogmios Diffusion27, Paris, 1986.
Grande activité en Grande-Bretagne et surtout aux Etats-Unis avec le périodique The Journal of historical Review28 (1980), les publications de A. Butz29 The Hoax of the Twentieth Century (1974) et de R. E. Harwood30 “Did Six Millions really die?” (Historical Review press, Richmond). Elle tient congrès à Los Angeles régulièrement depuis 197931.
II - L’ENTREPRISE NEGATIONNISTE
B - Les thèses
P. Vidal-Naquet les résume (Les Assassins de la mémoire, p. 33)32:
- Il n’y a pas eu de génocide. L’arme du crime, la chambre à gaz homicide, n’a jamais existé.
- La “solution finale” consistait à refouler les Juifs vers l’Est européen là d’où ils étaient venus.
- Les victimes juives du nazisme ont été peut-être un million selon Rassinier (surtout dues aux bombardements alliés), environ 500 000 selon Faurisson, tuées en combattant ou “pour faits de guerre” puisque le sionisme mondial avait déclaré la guerre à Hitler en 1939 (!) A Auschwitz ont péri au maximum 50 000 déportés, surtout du typhus. On a utilisé le gaz pour exterminer les poux.
- Le génocide est une invention de la propagande alliée, principalement juive et sioniste, un “bobard de guerre” repris après la guerre au bénéfice d’Israël.
Les “révisionnistes” prétendent donc rétablir la vérité, dégonfler le mythe et détruire le mensonge forgé par les vainqueurs à Nuremberg et admis depuis par une “histoire officielle” aveugle ou complice, En provoquant des polémiques dans les médias, ils cherchent à accréditer l’idée qu’il y a deux écoles historiques sur ce sujet, la leur (“révisionnistes”) et celle de leurs adversaires (“exterminationnistes”) qui se prêtent à la falsification; en fait ils veulent même faire croire qu’ils sont les seuls à faire de l’histoire critique. Qu’en est-il?
II - L’ENTREPRISE NEGATIONNISTE
C - De l’anti-histoire
Il arrive aux “révisionnistes” de poser de bonnes questions, d’apporter des remarques critiques utiles sur un témoignage fragile, un document mal interprété33. Mais ces rares éléments positifs sont pris dans une démarche générale aberrante.
Leur “méthode”, si l’on peut dire, est perverse: elle associe l’hypercritique34 à la fabulation, l’ergotage sur les détails et sur les mots à l’ignorance massive du contexte, et cherche à faire apparaître comme conclusion d’une démonstration ce qui est postulat affirmé au départ.
- L’hypercritique, à la recherche de la “preuve” décisive, permet de disqualifier tous les témoignages et les documents gênants: les témoins juifs sont suspects, et l’exagération ou l’erreur d’un témoignage sur un point de détail suffit à le discréditer entièrement: les témoignages datant de la guerre sont propagande ou rumeur ceux d’après la guerre sont intéressés: les aveux et dépositions des S. S, à leurs procès ont été extorqués ou dictés par les vainqueurs. En décidant que deux témoignages qui se contredisent sur un point s’annulent entièrement, et que ceux qui s’accordent sont peu fiables (copiés l’un sur l’autre, ou émanant tous deux d’une source commune, donc d’une pression extérieure), on disqualifie radicalement tous les témoins. Quant aux documents nazis, on prend au sens littéral les expressions du langage codé (ex. “évacuation” qui désigne en réalité “liquidation”) sans tenir compte des informations qu’on a sur ce codage ; les affirmations directes (les discours secrets de Himmler parlant de “l’extermination du peuple juif” de “tuer” aussi les femmes et les enfants) sont minimisées. Comme les paroles de menace, de haine ou de xénophobie prononcées du côté allié sont prises, elles, au sens le plus fort, on obtient un bilan équilibré entre deux propagandes de guerre toutes deux excessives, Enfin les lieux et les objets (chambres à gaz et leurs annexes, fours crématoires) perdent tout caractère meurtrier, devenant locaux d’épouillage et de désinfection et crématoires pour les cadavres des victimes du typhus. Il ne subsiste donc “aucune preuve”, puisqu’on ne veut pas les voir35.
- Une argumentation technique subtile et acharnée prétend démontrer l’impossibilité matérielle du meurtre en masse par les gaz: problèmes d’étanchéité ou de ventilation, de sécurité, de nombre, etc.: des experts36 sont invoqués pour de sinistres reconstitutions imaginaires, à grands renforts de “démonstrations” théoriques invérifiables. Ainsi ce dont on n’a “aucune preuve” est présenté d’autre part comme impossible ou invraisemblable.
- Une imagination fabulatrice se déploie, au contraire, pour attribuer un sens banal aux documents (ex.: le Dr Kremer assistant aux “Sonderaktionen” d’Auschwitz parle de “l’horreur” de “scènes épouvantables”, c’est qu’il a assisté à l’exécution de quelques détenus condamnés à mort. Quant il parle d’“enfer” et de “camp de l’extermination” c’est à cause du typhus qui sévit). Donc tout “s’explique” sans génocide, par les circonstances de la guerre.
- Enfin ces “démonstrations” sont menées avec myopie, le nez sur le détail qui prête à contestation, en ignorant massivement le contexte d’ensemble. La question des chambres à gaz est traitée en “oubliant” les massacres des Einsatzgruppen qui les ont précédées, les opérations d’euthanasie qui en ont été la préface et surtout le délire meurtrier et le mépris de la vie humaine qui sont au centre de la mentalité nazie, De même les listes nominatives et les statistiques sur les disparus sont écartées au profit de spéculations hasardeuses fondées sur des sources contestables.
Toutes ces pratiques sont contraires à une saine méthode historique. Les écrivains révisionnistes ignorent le métier d’historien — non qu’il faille un label universitaire, diplôme ou agrément officiel, pour faire de l’histoire, mais parce que cela suppose l’application de règles de méthode qui ne sont pas seulement celles de la critique littéraire ou de la discussion technique d’“experts”.
Il est inutile d’insister sur l’esprit dans lequel sont menées ces “enquêtes” qui prétendent chercher la vérité et dénoncer le mensonge: conclusions préfabriquées, qui dictent le choix des “preuves” et des arguments: obsession du complot, de l’escroquerie géante et de la falsification à l’échelle mondiale dont les “révisionnistes” sont les seuls à apercevoir la fausseté; intentions sousjacentes troubles ou trop claires: l’antisionisme obsessionnel qui refuse l’idée que les Juifs aient été victimes (sinon d’eux-mêmes), les hantises soit anticommuniste (Staline seul despote totalitaire) soit antilibérale (le capitalisme responsable de tous les maux) qui poussent à banaliser le nazisme. La singularité liée au génocide doit disparaître, pour montrer que “le vrai crime”, c’est la guerre elle-même, avec son cortège d’horreurs: horreurs volontaires comme le terrorisme sous toutes ses formes, horreurs involontaires comme les épidémies de typhus qui ont ravagé les camps" (R. Faurisson)37.
Il s’agit donc bien de “négationnisme” passionné et maniaque, sans valeur démonstrative. Mais le scandale causé par la publication de ces thèses, les procès et les condamnations donnent prétexte à leurs auteurs pour se poser en victimes de la répression et de la censure. Ils mettent leurs adversaires au défi de répondre par des documents et des arguments aux documents et arguments qu’ils produisent. La majorité des historiens refuse d’engager la discussion pour ne pas accréditer l’idée d’un débat scientifique entre deux écoles historiques: on ne peut mener en effet un débat scientifique avec celui qui nie qu’il fait jour en plein midi. Cependant pour P. Vidal-Naquet, s’il n’est pas question de discuter avec les révisionnistes, on peut et on doit discuter sur les révisionnistes: expliquer ce que sont leurs procédés et leurs postulats, rappeler ce qu’est la “vérité historique”, qui n’est pas une vérité mathématique, et sur quoi elle est fondée. Et il reste, bien sûr à continuer à faire avancer la véritable connaissance historique, en confrontant les documents et les témoignages.
Conclusions
Chercher la verité… Entretenir la mémoire… armer la vigilance
Il ne s’agit ni de persécuter des chercheurs qui mèneraient des enquêtes originales, ni d’imposer une version “officielle” et dogmatique de l’histoire, mais de rappeler ce qu’est l’histoire, et ce que signifient les tentatives d’élimination de la mémoire du génocide.
L’histoire se fonde sur la libre recherche, le doute méthodique et la révision permanente des acquits précédents — ne serait-ce que parce qu’on pose de nouvelles questions aux mêmes documents. Il n’y a pas “d’historiens officiels” et l’histoire d’Etat, comme toutes les hagiographies, est une déviation à combattre. Mais l’histoire a ses règles de méthode, sa déontologie, et toute découverte ou interprétation nouvelle est soumise à l’appréciation de la communauté scientifique internationale. S’en exclure et prétendre avoir raison seul contre tous en forgeant ses propres instruments d’enquête sans contrôle n’est pas de bonne méthode. Les négations obtenues par ces procédés peuvent être qualifées de falsifications.
Quant à ceux qui suspendent leur jugement sous prétexte qu’ils ne sont pas historiens et renvoient dos à dos deux “écoles historiques” (exterminationnistes et révisionnistes), ils refusent la vérité et se rendent complices, consciemment ou non, du mensonge.
La tentative pour éliminer le génocide en le niant est aussi intolérable moralement qu’inadmissible intellectuellement:
- C’est nier la singularité du national-socialisme: certes il y a d’autres totalitarismes, et le goulag n’a pas fini de livrer ses secrets. Mais l’extermination des Juifs, paroxysme (avec celle des Tziganes, avant celle des nations slaves) du délire raciste né sur le terreau du vieil antisémitisme, plaie de l’Europe chrétienne, a aussi une autre signification. Sous prétexte de race, c’est au peuple témoin de la force de la loi et de l’éthique, témoin de l’universalité des valeurs, que s’en prend le nazisme. Nier le génocide, c’est une manière d’évacuer les questions que pose à l’Europe le destin du peuple juif (aux chrétiens et aux amis des Droits de l’homme notamment)
- C’est chercher à détruire la mémoire d’un forfait monstreux commis au centre de l’Europe et qui questionne la conscience occidentale appelée à la vigilance face aux mystiques fusionnelles (la nation, le peuple, le chef) et aux morales fondées sur l’obéissance et la soumission (des exécutants).
En France où l’on apprend progressivement comment le régime de Vichy a composé avec le vainqueur au point de contribuer à la réalisation de la solution finale, la mémoire doit être conservée et la connaissance transmise. Il faut combattre le négationnisme.
(Villeurbanne 30 mai 1990)
BERNARD COMTE, AGIR ENSEMBLE 1990
Carte des camps de concentration, d’extermination et des centres d’“euthanasie”
Extrait de Eugen Kogon, Hermmann Langbein, Adalbert Rückerl, Les chambres à gaz, secret d’état, Seuil, Points Histoire, 1987, pp. XVIII-XIX.
— TABLEAU I: Répartition des victimes par pays — TABLEAU II: Répartition des victimes par mode d’extermination. — TABLEAU III: Chronologie du génocide: Répartition des victimes par année. (D’après Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d’Europe, Fayard, 1988, pp. 1045-1046)
TABLEAU I: Répartition des victimes
par pays (dans les frontières de 1937)Europe de l’Est Pologne
Lituanie
Letonie
Estonie
Roumanie
environ
environ
3 000 000
130 000
70 000
2 000
270 000
URSS
plus de
700 000
Europe centrale
et balkaniqueAllemagne
Autriche
Tchécoslovaquie
Hongrie
Yougoslavie
Grèce
environ
environ
plus de
120 000
50 000
260 000
180 000
60 000
60 000
Europe occidentale France
Belgique
Pays-Bas
Luxembourg
Italie (inc. Rhodes)
Norvège
environ
environ
environ75 000
24 000
100 000
1 000
9 000
1 000Total général : environ 5 100 000 On notera qu’on été sauvés les Juifs de trois pays: le Danemark (où la quasi totalité de la population juive — 7 000 personnes — a pu être transportée clandestinement en Suède, la Finlande et la Bulgarie (où l’opposition des gouvernements, pourtant alliés de l’Allemagne nazie, a arrêté la déportation des citoyens juifs vers les camps d’extermination).
TABLEAU II: Répartition des victimes
par mode d’exterminationMorts… Nombre
%
1)
par suite de la «ghettoïsation» et des privations 800 000
16 %
2)
par exécution en plein air par les Einsatzgruppen et autres fusillades (URSS, Galicie, Serbie)
1 300 000
24 %
3) dans les camps 3 000 000 60 % …d’extermination
- Auschwitz
- Treblinka
- Belzec
- Sobibor
- Chelmno
- Lublin-Maïdanek
1 000 000
750 000
550 000
200 000
150 000
50 000…de concentration
- allemands*
- roumains et croates
150 000
150 000
Total général : 5 100 000 100% * Bergen-Belsen, Mauthausen, Stutthof, etc.
TABLEAU III: Chronologie du génocide:
Répartition des victimes par année1933-1940
1941
1942
1943
1944
1945moins de
plus de100 000
1 100 000
2 700 000
500 000
600 000
100 000Total 5 100 000
Informations éditoriales
Le texte que nous publions ici est la reproduction de l’intervention prononcée par Bernard Comte à Villeurbanne le 30 mai 1990.
Il est des historiens qui refusent de laisser impunément les “assassins de la mémoire” selon la juste expression de Pierre Vidal-Naquet, répandrent leurs conclusions préfabriquées qui doivent tout à l’antisémitisme et rien à la méthode historique. Bernard Comte est de ceux là. Si, comme la majorité des historiens, il se refuse à débattre avec «celui qui nie qu’il fait jour en plein midi», il s’emploie à dénoncer les procédés des négationnistes et leur argumentation qui aboutissent à une véritable falsification de l’Histoire.
La richesse et la valeur scientifique de l’exposé qu’il fit en cette occasion nous donna immédiatement le désir de le mettre à la disposition de tous ceux auxquels il pourrait être utile: enseignants bien sûr mais aussi responsables d’organisations militantes. En effet un tel document, sous cette forme relativement condensée, n’existe pas: la précieuse brochure de F. Bedarida, “Le nazisme et le génocide. Histoire et enjeux” n’aborde pas le deuxième point traité par Bernard Comte: “L’entreprise négationniste” Nous remercions Bernard Comte d’avoir bien voulu accepter la publication de ce travail. C’est un honneur pour notre jeune Fondation que de contribuer à lui donner une plus grande diffusion. Nous croyons résolument que face à la xénophobie, au racisme, à la perverse démagogie du Front National, la résistance doit s’organiser Chacun doit y prendre sa place. Faire connaître la vérité, conserver la mémoire, c’est forger des outils pour les hommes d’aujourd’hui décidés à défendre et à faire croître la liberté, la solidarité, le respect de l’autre, valeurs sur lesquelles est fondée notre société.
(Extrait de l’introduction d’André Barthélémy, à l’occasion l’édition de ce texte par la Fondation Agir Ensembe pour les Droits de l’Homme).
Bernard Comte est Historien et Enseignant à l’Université de Lyon II.
1. Voir Pierre Vidal-Naquet, Les assassins de la mémoire, Seuil, Points Essais,1987. Disponible sur internet: http://www.anti-rev.org/textes/
2. Eugen Kogon, Hermmann Langbein, Adalbert Rückerl, Les chambres à gaz, secret d’état, traduit de l’allemand par Henry Rollet, Seuil, Points Histoire, 1987.
3. Discours secret prononcé par Himmler devant un groupe de généraux et d’officiers SS à Posen le 4 octobre 1943. Tribunal international de Nuremberg, PS 1919, vol. XXIX. in François Bédarida, Le nazisme et le génocide, Pocket, Agora, 1992, p. 43. Pour un extrait plus long de ce discours, ainsi que d’autres documents nazis, voir https://phdn.org/histgen/documents/volonte.html.
4. Walter Laqueur, Le terrifiant secret, La “solution finale” et l’information étouffée, Gallimard, 1981.
5. édouard Conte et Cornelia Essner, La Quête de la Race, une anthropologie du nazisme, Hachette, 1995, troisième partie: “La «Question juive»”, pp. 189 et suiv.
6. Voir le remarquable ouvrage de Saul Friedländer, L’Allemagne nazie et les Juifs, 1. Les années de persécution (1933-1939), Seuil, 1997.
7. Discours d’Hitler du 30 janvier 1939, cité dans Eberhard Jäckel, Hitler Idéologue, Gallimard, Tel, 1995, p. 86. Pour d’autres déclarations de même nature voir https://phdn.org/histgen/hitler/declarations.html. Pour d’autres documents nazis, voir https://phdn.org/histgen/documents/volonte.html.
8. Pour une présentation de ces deux approches, voir Ian Kershaw, Qu’est-ce que le nazisme?, Problèmes et perspectives d’interprétation, Gallimard, folio histoire, 1997, chapitre 5: “Hitler et l’Holocauste”, p. 163-209.
9. Voir Christopher Browning, The Path to Genocide: Essays on Launching the Final Solution, Cambridge University Press, 1992, chapitre 5: «Beyond “Intentionalism” and “Functionalism”: the decision for the final solution reconsidered», pp. 86-121. Sur la genèse de la prise de décision, voir de Christopher Browning, «La décision concernant la solution finale», dans L’Allemagne nazie et le génocide juif, Gallimard / Le Seuil, 1985, pp. 190-215. Sur le contexte de la prise de décision, voir, du même auteur, «L’origine de la solution finale: du contexte militaire et politique à la prise de décision (1939-1941)», dans François Bédarida, La politique nazie d’extermination, Albin Michel, 1989, pp. 156-176.
10. Benno Müller-Hill, Science nazie, science de mort, éditions Odile Jacob, 1989, p. 39.
11. Voir Kogon, Langbein, Rückerl, Les chambres à gaz, secret d’état, op. cit.
12. Les historiens ont longtemps hésité sur la nature des moteurs utilisés à Treblinka, Sobibor, Belzec et Chelmno, diesel ou essence. La méthode pour tuer est connue : les gens étaient entassés dans les chambres à gaz, et les gaz d’échappement de moteurs puissants y étaient dirigées. Pendant quelques années, l’historiographie a semblé privilégier l’hypothèse de moteurs diesel. Le dégagement en monoxyde de carbone des moteurs diesel est inférieur à celui des moteurs à essence, mais même avec des moteurs diesel, l’assassinat est possible. Cependant, on a récemment établi que l’hypothèse des moteurs diesel était erronée pour les camps de l’opération Reinhard et que des moteurs à essence y avaient été utilisés.
13. Philippe Burrin, Hitler et les Juifs, Genèse d’un génocide, Seuil, Points Histoire, 1995. Pour une critique de la thèse de Burrin, voir note 14.
14. Voir Christopher Browning, The Path to Genocide, Cambridge University Press, 1992, chapitre 5: «Beyond “Intentionalism” and “Functionalism”». Browning, contrairement à Burrin, soutient, de façon tout à fait convaincante, que c’est dans l’euphorie des premiers succès de la guerre contre l’U.R.S.S., que la décision de l’extermination a été prise, c’est-à-dire en plein été 1941, dès le début de l’opération Barbarossa. L’auteur des présentes notes fait de plus remarquer que c’est souvent dans l’euphorie de ses succès qu’Hitler a pris les plus radicales de ses décisions, annexion de l’Autriche, ordre officialisant l’opération d’«Euthanasie», etc. D’autres auteurs font l’hypothèse d’une date encore plus précoce, vers la fin 1940 ou le début 1941. Voir not. Richard Breitman, The Architect of Genocide: Himmler and the Final Solution, New York, Alfred A. Knopf, 1991, p. 153-166 et 247-248. Une mise au point récente est diponible en français: Annette Wieviorka, « Quand la “solution finale” a-t-elle été décidée?», dans Les cahiers de la Shoah, 1995-1996 No 3, p. 31-53.
15. Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d’Europe, Fayard, 1988, p. 1045-1046.
16. Sur la cécité des Alliés, des opinions publiques et des intellectuels, sur la réalité du processus d’extermination, pourtant connu, voir Enzo Traverso, «Avertisseurs d’incendie », Pour une typologie des intellectuels devant Auschwitz, dans L’Histoire déchirée. Essai sur Auschwitz et les intellectuels, Les éditions du Cerf, 1997, p. 13-43. Sur le web: http://www.anti-rev.org/textes/Traverso97a. Une extrait significatif se trouve à l’adresse suivante: https://phdn.org/negation/etudes/aveuglement.html
17. Cité dans Enzo Traverso, «Avertisseurs d’incendie », op. cit., p. 24. Le contexte et les conditions de cet «aveuglement» sont très finement analysées par Traverso. On pourra se reporter l’extrait cité en note 15.
18. Nous consacrons, sur PHDN, une section entière à Rassinier: https://phdn.org/negation/rassinier/. Pour une étude détaillée des mensonges et des délires de Paul Rassinier et de son parcours, voir Florent Brayard, Comment l’idée vint à M. Rassinier, Fayard, 1996. On pourra également, dans un premier temps, se reporter à la notice biographique que lui consacre Nadine Fresco dans le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, publié sous la direction de Jean Maitron, Les éditions Ouvrières, 1991, pp. 394-395; sur le web: http://www.anti-rev.org/textes/Fresco91a/. Pour une étude exemplaire du destin de Rassinier, et de la façon dont il l’a falsifié dans ses récits, voir Nadine Fresco, Fabrication d’un antisémite, Seuil, 1999.
19. Nous consacrons, sur PHDN, une section entière à Faurisson. Sur Faurisson et sa «méthode», voir notamment Nadine Fresco, «Les redresseurs de morts», Les Temps Modernes no 407, juin 1980. On rappellera ici néanmoins que, contrairement à ce qu’avancent régulièrement d’autres négationnistes, Faurisson, grand défenseur des pamphlets antisémites de Céline, n’a jamais été un homme de gauche, qu’il était pro-nazi dès la fin de la Seconde guerre mondiale, pétainiste, pro-OAS, raciste, et qu’il fréquente assidûment depuis longtemps les chefs des groupes hitlériens et les rescapés du national-socialisme historique. Voir Jean-Yves Camus et René Monzat, Les droites nationales et radicales en France, Presses universitaires de Lyon, 1992, p. 21, 82-83.
20. Publié également dans Pierre Vidal-Naquet, Les assassins de la mémoire, Seuil, Points Essais,1987.
21. Issu de l’«ultra-gauche», Pierre Guillaume, établit depuis longtemps sa table de vente dans toutes les manifestations d’extrême droite, milieu dans lequel il finit par évoluer exclusivement. Voir Jean-Yves Camus et René Monzat, Les droites nationales et radicales en France, op. cit., p. 84-85.
22. Il est fait justice de telles aberrations dans l’ouvrage de Gerald Fleming, Hitler et la solution finale, traduit par Catherine Aragon, Juillard, 1988. Voir notamment les propres déclarations d’intentions de Hitler sur ce sujet: https://phdn.org/histgen/hitler/declarations.html.
23. Pour comprendre quel chemin pas si tortueux que ça a pu ammener quelques ultra-gauchistes au négationnisme, voir Nadine Fresco, «Parcours du ressentiment», Lignes no 2, février 1988. Voir aussi Alain Finkielkraut, L’avenir d’une négation, éd. du Seuil, 1982. Pour comprendre à quel genre d’«allumés» on a affaire avec les membres “ultra-gauchistes” de la secte négationniste, il faut réaliser que l’une de leur motivation pour rejeter fanatiquement le Génocide, est que celui-ci ne rentre pas dans la grille de lecture marxiste: «Le révisionnisme rejette à la fois l’idée et le fait du génocide comme impossibilités matérielles parce que le génocide est surtout une imposssibilité idéologique.», Revue d’Histoire [sic] révisionniste, no 1, p. 39. Autrement dit: c’est impossible parce que c’est impossible…
24. Serge Thion, vient lui aussi de la nébuleuse Vieille Taupe, mais surtout de l’anticolonialisme féroce. Cela l’a conduit à un antisionnisme encore plus féroce, d’où il a basculé dans un antisémitisme et un négationnisme fanatiques. Il est néanmoins le plus “policé” et le plus intelligent, c’est-à-dire le plus pervers des négationnistes. Le titre de son ouvrage reprend explicitement celui d’une tournée de conférences effectuée en Allemagne par Rassinier en 1960 devant des parterres d’anciens nazis. Voir Florent Brayard, Comment l’idée vint à M. Rassinier, op. cit., pp. 281.
25. Henri Roques est un pilier de l’extrême droite française: il fut secrétaire général de la Phalange française, un mouvement néo-fasciste (1955-1958), il a participé (1956) au meeting inaugural de la Deutsche Soziale Union, fondée par Otto Strasser qui fut pendant 10 ans un compagnon de Hitler au sein du parti nazi, etc. Voir Jean-Yves Camus et René Monzat, Les droites nationales et radicales en France, op. cit., pp. 96-97.
26. Concernant tant la forme que le fond de cette “thèse” (en lettres!) et de sa scandaleuse soutenance, voir le percutant et indispensable ouvrage de Pierre Bridonneau, Oui, il faut parler des négationnistes, Cerf, 1997.
27. Ogmios, à la fois librairie (à l’époque) et équipe de militants est «proche à la fois des néo-nazis et des anciens SS et de la Nouvelle Droite». «D’emblée la librairie se spécialisa dans les écrits nationaux-socialistes et antisémites» écrivent René Monzat et Jean-Yves Camus dans Les droites nationales et radicales en France, op. cit., p. 452.
28. Il s’agit de la revue trimestrielle de l’Institute for Historical Review (IHR) «sorte de QG de l’internationale “révisionniste” tenu par des individus qui tentent d’expliquer à leurs concitoyens que les USA ont été impliqués dans deux guerres mondiales à cause des banquiers juifs, des francs-maçons et des communistes […] Y foisonnent les signatures d’anciens SS et de militants d’extrême droite.»: Thierry Maricourt, Les nouvelles passerelles de l’extrême droite, éditions Syllepse, 1997, p. 114. Voir aussi, Deborah Lipstadt, Denying the Holocaust,, Plume, 1994, pp. 137-156. Ou encore https://phdn.org/negation/faurisson/ihr.html
29. Sur Butz, professeur en ingénierie électrique, voir Deborah Lipstadt, Denying the Holocaust,, Plume, 1994, pp. 123-136.
30. Richard Harwood est un pseudonyme de Richard Verral, rédacteur en chef de Spearhead, organe du très britannique, très raciste, très antisémite et tout à fait néo-fasciste National Front. Affilié à plusieurs groupuscules de défense de la "pureté raciale", il a déclaré publiquement que le génocide faisait partie de l’ensemble de la propagande juive, que l’on vivait sous domination juive, etc. De surcroit il a menti sur ses affilations universitaires. Voir Deborah Lipstadt, Denying the Holocaust,, Plume, 1994, pp. 104-107, 110. Notons que bien que les affirmations d’Harwood aient été réfutées formellement en 1979 (New Statesman, Nov, 2 1979, p. 670), ses écrits n’en continuent pas moins à être cités parce qu’il leur a donné l’apparence d’un travail universitaire. Ce genre de travestissement est devenu par la suite systématique chez les négationnistes. Revues aux jaquettes élégantes, éditions soignées, notes de bas de page, etc. Mais il s’agit toujours du même contenu tissé de falsifications négationistes.
31. Faurisson est évidemment un assidu de ces “congrès” organisés par l’IHR, devant un public principalement néo-nazi…
32. Pierre Vidal-Naquet, Les assassins de la mémoire, Seuil, Points Essais,1987. On trouvera d’autres définitions du négationnisme, ici. Pour un pot-pourri des principaux “arguments” négationnistes et leur réfutation, voir ici.
33. Lors d’un entretien téléphonique, Bernard Comte a convenu avec l’auteur des présentes notes avoir été pour le moins généreux avec les négationnistes en leur accordant ce genre de mérites là.
34. La dérive hypercritique a été magistralement dénoncée en1954 par Henri-Irénée Marrou dans De la connaissance historique, Seuil, Points Histoire, 1974, pp. 92-93, 130-139. Voir extrait.
35. Pour un pot-pourri de ces principaux “arguments” négationnistes et leur réfutation, voir ici
36. Ainsi de l’escroc Fred Leuchter dont le “rapport” a longtemps été brandi comme la “preuve finale” par Faurisson & Co (dont Garaudy). Depuis que l’escroquerie a été dévoilée, les négationnistes se sont tournés vers d’autres “expertises”.
37. L’invocation du typhus est récurente, pour ne pas dire incantatoire, chez les négationnistes. Mais ils «oublient» deux éléments de la réalité: l’écrasante majorité des Juifs assassinés ne sont même pas entrés dans les camps de concentration, puisqu’ils étaient immédiatement gazés à leur arrivée dans les centres de mise à mort ou furent fusillés lors des opérations mobiles de tuerie. De plus, le typhus ne fut jamais une cause majeure de décès chez les concentrationnaires: voir https://phdn.org/negation/66QER/qer43.html.