Le Négationnisme sur Internet
Genèse, stratégies, antidotes
Par Gilles Karmasyn,
en collaboration avec Gérard Panczer et Michel FingerhutRevue d'histoire de la Shoah, no 170, sept-déc. 2000
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12. Lutter par l'éducation et l'histoire
L'éducation
Cela va sans dire; nous le dirons donc : l'enseignement de ce que fut la Shoah constitue la première protection contre le négationnisme. Cette protection sera d'autant plus efficace que les modalités de cet enseignement seront pertinentes. Il n'appartient pas aux auteurs du présent article de participer à une problématique dont le succès du livre de Jean-François Forges209 souligne l'actualité. Nous renvoyons à l'article de Dominique Borne sur l'enseignement de la Shoah à l'école210. Certains acteurs du monde pédagogique ont pris conscience de ces enjeux. En témoigne le succès du séminaire sur l'enseignement de la Shoah qui s'est tenu en juillet 2000 au CDJC.
Il demeure qu'il est un domaine où lycées et collèges peuvent préparer utilement les élèves, celui du discernement quant à la qualité et à la nature de ce qu'ils risquent de trouver sur l'Internet. On ne pourra qu'encourager une présentation aux lycéens et collégiens des dangers auxquels ils s'exposent en utilisant sans discernement l'Internet. On aura soin d'indiquer aux élèves les moteurs de recherche spécialisés. De tels moteurs n'indexent pas tout le contenu du Web, mais seulement une liste, parfois importante, de sites web traitant d'un domaine. Encore reste-t-il à développer et promouvoir de tels moteurs, et qu'ils aient une matière suffisamment importante pour être utile... Une telle politique de préparation des élèves à l'Internet doit être élaborée à un niveau national.
L'Histoire de la Shoah sur l'Internet
La masse de textes négationnistes sur l'Internet et l'impact démesuré qu'ils prennent via l'utilisation des moteurs de recherche, nécessite une réaction urgente. Le principal antidote contre cette anti-histoire211, c'est l'histoire elle-même. Il convient de mettre à disposition sur l'Internet des textes et des documents sur l'histoire et l'historiographie de la Shoah et la déportation, des textes s'adressant à des publics variés, du candide à l'universitaire en passant par les élèves des lycées et collèges.
La situation de l'Internet anglophone est de ce point de vue assez bonne. Il existe, en anglais, un nombre très important de sites web de qualité consacrés à l'histoire de la Shoah. On regrettera cependant que les institutions sont souvent assez réticentes pour mettre les textes intégraux de leurs publications, ne serait-ce ceux des années passées, sur le web. On trouvera une liste des principaux sites sur la page de liens du site « anti-rev »212. On pourrait écrire un article intitulé « l'Histoire de la Shoah sur l'Internet ». On constaterait que la situation est bonne quant au nombre et à la qualité des sites web en anglais. Nous renvoyons en l'occurence, pour ce qui est des site web anglophones, à la page de liens citée ci-dessus. Notons que le site web du centre Simon Wiesenthal met à la disposition du public et du chercheur l'intégralité des sept volumes des Simon Wiesenthal Annual,213, parution d'excellente tenue sur l'histoire de la Shoah. Dans le même esprit, signalons les Documents on the Holocaust214 sur le site web de Yad Vashem.
La situation de l'Internet francophone a longtemps été catastrophique. Elle n'est plus que lamentable. Face à la masse des textes négationnistes en français, on ne compte que quelques sites web dont les plus riches sont le fait de particuliers et non d'institutions. La plupart des sites institutionnels se contentent de donner des informations pratiques et de se présenter.
Signalons le site web du CDJC215, celui de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation216, qui fournit une bonne introduction synthétique. Celui de l'Union des Résistants et Déportés Juifs de France217 fournit, seulement au format PDF hélas (car non visible par les moteurs de recherche), les derniers numéros de sa Lettre218. C'est déjà beaucoup. Quelques rares sites web se démarquent. D'abord celui de Vincent Chatel et Gord McFee, « Les Camps oubliés219 ». Il étudie en détail de nombreux camps, en donne la liste et propose de nombreux textes sur l'histoire de la Shoah. Ensuite, le site web de David Natanson220 présente la Shoah à travers de nombreux documents, thèmes spécifiques et les cas très concrets de sa propre famille. Le site de Michel Fingerhut « Ressources documentaires sur le génocide nazi et sa négation »221, fut initialement créé en 1995 à l'occasion des premières manifestations de négationnisme en français sur les forums de discussion. Il propose la mise en ligne de textes intégraux initialement publiés dans des monographies, des recueils ou des journaux. Y figurent notamment les textes de Pierre Vidal-Naquet et Nadine Fresco sur le négationnisme. Le corpus des textes présents sur ce site est l'un des plus importants avec celui du site de Dominique Natanson. On mentionnera également le site web du Cercle d'étude de la déportation et de la Shoah222.
S'il y a un certain nombre de « petits » sites, avec quelques pages, mais aussi de nombreuses pages pédagogiques au contenu assez synthétique et globalement redondant, au total les quelques sites évoqués pèsent bien peu face à l'offensive de masse permanente des négationnistes.
Les individus, sauf à y sacrifier leur vie et leur emploi du temps, ainsi que font les négationnistes, n'ont pas les mêmes moyens que ces fanatiques. Pourtant, il faut mettre en ligne les monographies « classiques » de l'histoire de la Shoah et de la déportation, les actes des colloques, les oeuvres de Hilberg et Browning. Il faut également mettre sur le web des reproductions de documents originaux, le contenu des sources primaires. Tout cela demande beaucoup de moyens et de temps. Seules des institutions en ont la capacité. Il est impératif de créer des programmes de mise en ligne des études et des documents. Il le faut pour mettre à disposition du grand public des instruments de qualité et pour combattre les sites négationnistes par la quantité des textes fournis. Là encore il manque une volonté politique.
Quand bien même les moyens seraient fournis, d'autres difficultés peuvent surgir. Quelques éditeurs refusent de donner les droits de certains ouvrages fondamentaux. Si l'on comprend leur frilosité, elle n'en est pas moins infondée : les auteurs peuvent en témoigner, lorsqu'ils rencontrent un texte intéressant sur le web, ils en achètent la version publiée si celle-ci existe. Le livre demeure le meilleur moyen de lecture. Une reproduction sur le web peut souvent être un bon moyen de promotion.
Notons enfin que l'Internet offre la possibilité de palier à la relative pauvreté de l'historiographie francophone sur la Shoah et le nazisme. La publication de traductions d'études classiques en anglais ou en allemand peut se faire à moindre frais sur le Web. La disponibilité de ces classiques en français, et sur le web, serait un outil supplémentaire, à la fois pour les étudiants et les historiens, mais aussi dans l'optique de la lutte contre les négationnistes. Il est indispensable et urgent d'entreprendre ces travaux de traduction et de mise en ligne.
Notes.209. Jean-François Forges, Éduquer contre Auschwitz, ESP, 1997. On ne lira pas cet ouvrage sans le compléter par celui de Georges Bensoussan, Auschwitz en héritage? D'un bon usage de la mémoire, Mille et une Nuits, 1998. Georges Bensoussan écrit ceci qui est fondamental : « Les bonnes intentions pédagogiques peuvent verser dans la banalisation qu'elles prétendent éviter » (op.cit., p. 128).
210. Dominique Borne, « L'enseignement de la Shoah à l'école », Les cahiers de la Shoah, n°1 1993-1994; sur le web : http://www.anti-rev.org/textes/Borne94a/. Signalons également le site web de David Natanson sur l'histoire de la Shoah et la pédagogie: http://perso.wanadoo.fr/d-d.natanson/index2.htm
211. Selon l'expression de Bernard Comte, Le Génocide nazi et les négationnistes, intervention prononcée par Bernard Comte à Villeurbanne le 30 mai 1990. Sur le web: http://www.phdn.org/negation/Comte90/
212. http://www.anti-rev.org/serveurs/. Signalons également la page de liens sur site web du CDJC: http://www.memorial-cdjc.org /links.htm, ainsi que la page « pour garder la mémoire » de David Natanson: http://perso.wanadoo.fr/d-d.natanson/garder.htm
213. http://motlc.wiesenthal.com/resources/books/
(désormais http://motlc.wiesenthal.com/site/pp.asp?c=gvKVLcMVIuG&b=394675).214. http://www.yad-vashem.org.il/holocaust/documents/
(désormais http://www.yadvashem.org/about_holocaust/documents/home_documents.html).215. http://www.memorial-cdjc.org/
217. http://www.cie.fr/urdf/ (version archivée)
218. http://www.cie.fr/urdf/fr_tele.htm
219. http://www.jewishgen.org/ForgottenCamps/indexFr.html
220. http://perso.wanadoo.fr/d-d.natanson/index2.htm
222. http://www.orbital.fr/dletouzey/cercle/aphgce.htm/
(désormais http://www.cercleshoah.org/)
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07/07/2001