Le Négationnisme sur Internet
Genèse, stratégies, antidotes
Par Gilles Karmasyn,
en collaboration avec Gérard Panczer et Michel FingerhutRevue d'histoire de la Shoah, no 170, sept-déc. 2000
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11. Lutter par le droit et la technique
Quelle(s) lutte(s) contre les négationnistes de l'Internet ?
Le Droit
Le laxisme proprement écoeurant des fournisseurs d'accès quant aux agissements de certains de leurs abonnés ne doit pas faire oublier certaines évidences : les discours racistes, antisémites, négationnistes sont illégaux, même sur l'Internet, que ce soit sur les forums de discussion ou sur le Web, même si un site web est physiquement situé à l'étranger.
Cet article n'est pas le lieu d'une discussion juridique, mais on peut rappeler qu'une jurisprudence est en train de se constituer, qui confirme la compétence des tribunaux français pour juger des infractions commises sur le web, même à partir de l'étranger202.
Outre qu'il n'existe aucune instance internationale de régulation des contenus de l'Internet (si tant est que cela soit souhaitable), l'une des difficultés principales réside dans le fait que le négationnisme et les discours de haine ne sont pas pénalisés aux USA, voire même en Grande Bretagne. Force est de constater que les hébergeurs américains réagissent peu ou pas lorsqu'on leur signale l'existence de sites haineux. Ils se retranchent derrière « la liberté d'expression » pour laisser en place sites web antisémites et négationnistes. Ainsi, Frontiernet qui héberge un site antisémite, « Jew Watch », a argué, après plainte, du fait que sa charte, qui exclue pourtant les matériaux « hautement offensants », ne désigne par cette expression que les matériaux obscènes comme des photos de bestialité ou de pédophilie. Comme quoi « hautement offensant » ne désigne pas le contenu pourtant parfaitement antisémite de « Jew Watch »... Après cette argutie, la clause excluant les matériaux « hautement offensants » a disparu de la charte de Frontiernet203...
En 1996, le gouvernement américain a tenté de façon maladroite de réglementer les contenus « obcènes » sur l'Internet par le Communications Decency Act, rejeté par la Cour Suprême américaine en 1997. Une version révisée connue sous le nom de Child Online Protection Act (COPA), élaborée en 1998, interdit la distribution de contenus dangereux pour les mineurs. Le législateur américain vise en fait explicitement la pornographie mais certainement pas les discours racistes, antisémites et apparentés204.
Par ailleurs, sur les réseaux informatiques le problème de la preuve demeure difficile à résoudre. Les responsables du réseau néo-nazi allemand Thule n'ont jamais pu être poursuivis205. En 1998, Faurisson était poursuivi pour des textes qui se trouvent sur l'aaargh. Il a été relaxé au motif que la preuve qu'il était responsable de la mise sur le web de ces textes ne pouvait être apportée206. On a vu que c'est sa soeur qui sert d'intermédiaire. Il faut faire un sort au mythe de l'impunité. Certes la preuve est difficile à apporter. Mais elle est parfois possible, comme nous l'avons démontré dans le cas de Serge Thion. En fait elle doit résulter d'un travail d'enquête minutieux. Encore faut-il que la volonté politique d'effectuer ce travail existe. Elle existe dès lors qu'il s'agit de mettre fin aux agissements des pédophiles. Il faudrait, qu'enfin, elle existât pour mettre fin aux agissements des négationnistes francophones, qui sont connus, sur l'Internet.
La technique
Que les sites web négationnistes existent ne signifie pas qu'on puisse forcément y accéder. En fait, il faut dénoncer un mythe technique, celui de la prétendue impossibilité à empêcher d'accéder à des sites web clairement identifiés. Les principaux sites de propagation de haine sur l'Internet ont leur propre nom de domaine. Effectuer un filtrage, en amont, de l'utilisateur final de ces sites est techniquement possible. Il ne s'agit, en définitive, que de volonté politique, en l'occurence d'absence de volonté politique. Nous ne doutons pas que si quelque site web pédophile existait, et qu'on ne puisse interrompre à la source, les autorités publiques et les acteurs de l'Internet français sauraient faire en sorte d'en interdire l'accès... Ajoutons encore à l'intention de ceux qui soutiendraient qu'il n'existe pas de solution technique parfaite, qu'aucun dispositif ne l'est jamais, même en matière de législation sur la presse écrite. N'importe quelle solution éliminant les principaux sites haineux serait suffisante. De telles solutions existent. Aucun dispositif ne permet d'empêcher complètement que la drogue n'entre en France. Ce n'est cependant pas une raison pour ne pas mettre en place des dispositifs qui rendent cette arrivée beaucoup plus difficile.
L'Australie vient de mettre en place une législation draconienne pour lutter contre les contenus délictueux sur l'Internet. Elle fait porter une partie de la responsabilité du blocage des sites web délictueux sur les fournisseurs d'accès207, même pour les contenus situés hors de l'Australie. Cette législation est en vigueur depuis le 1er janvier 2000 et les fournisseurs australiens se sont dotés d'un code leur permettant de la suivre.
Hors l'interruption de la diffusion et de la transmission, on peut encore mettre en place des dispositifs de filtrage à l'arrivée. Il existe plusieurs produits qui permettent de ne pas afficher certains sites web lorsqu'on tente d'y accéder. Généralement de tels dispositifs sont destinés à protéger les enfants de la pornographie208. Mais ils peuvent tout à fait servir à eviter d'accéder aux sites de propagande de haine. La mise en place de tels dispositifs chez les particuliers relève d'une volonté individuelle qu'il faut encourager, donc d'une information à grande échelle. En revanche, étant donné la volonté politique de faire utiliser l'Internet par les élèves des lycées et collèges, il est indispensable que l'État mette ce genre d'outil en place dans les établissements d'enseignement scolaire.
Comme on le voit les solutions techniques existent, et leur mise en place ne relève que d'une volonté politique et d'un effort d'information.
Notes.202. Pour une rétrospective des affaires relatives à Internet et des problèmes posés par la législation actuelle, voir l'article de Lionel Thoumyre, « Le droit à l'épreuve du réseau », Netsurf, n°36, mars 1999. Sur le web: http://www.juriscom.net//espace1/epreuve.htm. On trouvera la jurisprudence sur les contenus illicites à l'adresse suivante : http://www.juriscom.net//jurisfr/contillicite.htm
203. David Sitman, « hate on the internet: a cause for concern? », Antisemitism Worldwide 1998/9,http://www.tau.ac.il:81/Anti-Semitism/asw98-9/sitman.html
205. Louise Berstein, « L'extrême droite sur internet », op. cit., p. 228.
206. Voir note 202. On notera toutefois qu'il ne fait guère de doute que Faurisson fournit ses textes à divers sites web par l'intermédiaire de sa soeur, Yvonne Schleiter. Il semble que la justice ne s'en soit pas encore aperçue...
207. The Parliament of the Commonwealth of Australia, Broadcasting services amendment (Online Services) Bill 1999, 1999. Voir: http://www.richardalston.dcita.gov.au/regulation.html et http://www.aph.gov.au/parlinfo/billsnet/9907720.doc
208. Il ne s'agit pas tant, pour ces produits, de « deviner » le caractère du contenu des sites web, que de vérifier que le site web accédé fait partie ou non d'une liste pré-établie, qui répertorie les sites pornographiques, par exemple.
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07/07/2001