Le Négationnisme sur Internet
Genèse, stratégies, antidotes
Par Gilles Karmasyn,
en collaboration avec Gérard Panczer et Michel FingerhutRevue d'histoire de la Shoah, no 170, sept-déc. 2000
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10. Stratégies des négationnistes
Les stratégies des négateurs-internautes
Le cas de Serge Thion révèle une stratégie commune à certains négationistes qui sévissent sur l'Internet, le camouflage. Il fut progressif dans le cas de Thion qui nierait évidemment toute responsabilité quant au site de l'aaargh (l'anonymat de ses animateurs est d'ailleurs revendiqué). Il entre parfois en conflit avec un désir de « continuité » et de revendication de paternité (comme cette mention provisoire de « Global Patelin » sur la page d'actualité de l'aaargh). Mais la prudence prévaut. Le camouflage existe depuis le début chez Faurisson, parfaitement conscient et acteur de la diffusion de ses textes sur l'Internet, fut-ce par l'intermédiaire de sa soeur. Il est aussi, aujourd'hui présent chez Ernst Zündel qui prétend, afin d'échapper à la justice du Canada, ne pas être responsable du site web « Zündel », géré, aux États-Unis, par une de ses collaboratrices, Ingrid Rimland. Les négationnistes américains, eux, n'ont pas besoin de ces stratagèmes. Aux États-Unis, il est peut-être interdit de brûler le drapeau américain, mais pas de dire que les Juifs ont inventé leurs morts... Le camouflage consiste aussi à taire ses origines idéologiques. C'est typiquement le cas de Zündel, de l'IHR ou de Bradley Smith. Sans parler de David Irving. Il s'agit de se rendre présentable.
Le camouflage peut parfois prendre une allure très concrète. Ainsi, dans le cas de Jean Plantin, jeune éditeur d'une revue, Akribeïa, qualifée par Pierre Guillaume dès 1996 de « révisionniste 193 », dont le contenu essayait, en vain, de rester en bordure du négationnisme sans y verser. Jean Plantin a été jugé et condamné à Lyon en 1999194. Il s'agissait pour la clique négationniste de faire croire que Plantin sortait de nulle part, était un nouveau venu, presque un candide. La grande presse a d'ailleurs avalé et reservi cette tromperie sans sourciller. Or, dès le premier numéro des Annales d'Histoire révisionniste, en 1987, c'est Jean Plantin qui traduisait l'article de Mattogno, ainsi que cela était mentionné à la fin de l'article195. Mais cette mention disparait de la version Internet, sur l'aaargh, du texte de Mattogno, alors que Thion et Guillaume font toujours figurer les mentions de collaboration des textes reproduits. Il s'agit bien de « protéger » Plantin lors de son procès.
Cependant, si l'on camoufle les antécédents et les responsabilités, il faut se faire connaître. On voit ainsi des négationnistes faire de l'entrisme dans des associations d'internautes, comme ils l'avaient fait dans des associtations de libres penseurs. Dès 1995, Greg Raven (responsable du site de l'IHR), s'était procuré la liste des abonnnés à une liste de discussion sur la Shoah, et les avait abreuvés de sa propagande. En 1999, André Chelain tentait de participer à cette même liste de discussion afin de distiller du « révisionnisme ». Serge Thion avait déjà tenté l'opération sur une liste de discussion bibliothéconomique.
A l'évidence, l'intérêt principal de l'Internet pour les négationnistes européens196, est de pouvoir diffuser leurs discours, et de contourner la législation. En France, la loi Gayssot avait baillonné les négationnistes. Ils n'avaient plus de possibilité d'expression publique hors l'organisation de scandales. Il y a ici une première innovation par rapport à cette situation. Avant l'Internet, même les « sympathisants » avaient quelques difficultés à accéder à du matériel de propagande négationniste. La législation française confinait les publications négationnistes aux mailing privés et aux tiroirs de quelques librairies d'extrême droite. Aujourd'hui, ce matériel est immédiatement accessible. Il n'y a plus aucun effort à faire, même pas financier. Une première victoire a été obtenue par les négationnistes : ils atteignent tous ceux qui veulent l'être. Une première conséquence en fut l'apparition d'articles négationnistes sur les groupes de discussion francophones. C'est aussi le quotidien du forum de discussion anglo-saxon consacré au négationnisme. Le plus souvent, des « sympathisants » vont sur un site web négationniste, recopient tel passage de tel opuscule et déversent le résultat de leur « reco-pillage » sur le forum, sans dire, évidemment qu'ils ont recopié.
Cependant l'Internet constitue moins un moyen de communication « interne », comme pour les groupuscules néo-nazis, qu'un outil de propagande externe. Ce n'est finalement pas le public des sympathisants que les négationnistes visent. Leur cible, ce sont les candides, le grand public, pas les racistes. La correction par Rami et Guillaume du tract appelant au meurtre de Mouloud Aounit relève de cette stratégie. Dans le but de séduire ce public, les négationnistes ripolinent leur dialectique et leurs sites : ils font assaut de déclarations quasi-humanistes. L'article 19 de la déclaration universelle des droits de l'homme figure sur la plupart des pages du site de l'aaargh. Le codoh prétend défendre la « liberté intellectuelle ». Tous les sites négationnistes se réclament de l'antiracisme (le site d'Ahmed Rami se déclare « contre tout racisme, surtout le racisme juif »). Tous se réclament de la liberté d'expression. Il n'est pas une campagne pour la liberté d'expression sur l'Internet à laquelle ils ne participent. Ils réclament un « débat ». Les textes négationnistes camouflent, autant que faire se peut, leur antisémitisme et leurs falsifications sous une forme pseudo-scientifique, des protestations de bonne foi et de nécessaire « scepticisme ». Les candides peuvent s'y laisser prendre.
Ce toilettage et les présentations alléchantes ne suffisent cependant pas. Il y a des centaines de milliers de sites web. Des centaines de millions de pages web. Il s'agit pour les négationnistes d'attirer le public vers leurs pages. Il existe deux types de moyen pour trouver de l'information sur le Web. Les annuaires et les moteurs de recherche. Parfois une même société offrira les deux services. Les annuaires sont des services, sous forme de pages web, répertoriant, par catégories, les sites web les plus intéressants. Le plus représentatif, et le plus ancien, de tous les annuaires est Yahoo. Les principaux annuraires offrent des services « nationaux ». Ainsi, Yahoo offre une version américaine, une version anglaise, une allemande, une française197. A la rubrique « Holocauste » de la version française de Yahoo, on ne trouvera pas de site web négationniste. Non plus que pour la version allemande. Par contre, les versions américaines et anglaises offrent une catégorie « revisionism » qui donne la listes des principaux sites web négationnistes. L'annuaire de Altavista offre une catégorie « Holocaust denial ». Ce n'est pas le cas de la version française d'Altavista. Aucun annuaire francophone ne fournit de site web négationniste. Soulignons le fait que le contenu des annuaires est toujours un choix, une sélection éditoriale, censée fournir à l'internaute les sites web les plus pertinents. Même dans les régions où le négationnisme n'est pas pénalisé, rien n'oblige à présenter des sites web négationnistes. Ainsi l'annuraire de Excite198 ne le fait pas. On reste sans voix devant le fait que des annuaires anglophones présentent, par choix, les sites négationnistes. Quoiqu'il en soit, les annuaires francophones199 ne sont pas un moyen d'accès aux sites web négationnistes.
Cependant, les annuaires ne sont pas la méthode la plus utilisée pour chercher de l'information sur le web. La plupart des « internautes » utilisent des moteurs de recherche; et les moteurs de recherche sont le principal instrument de propagation du négationnisme. Il suffit de tester la version internationale du moteur de recherche Altavista pour constater qu'avec des mots clés comme « chambres à gaz », « génocide juif », etc., la majorité des pages web francophones ramenées sont situées sur des sites négationnistes. Autrement dit, n'importe quel lycéen, curieux, candide qui aura l'idée d'utiliser cet outil pour trouver des informations sur la Shoah a une forte probabilité d'être orienté vers le négationnisme. Ce constat vaut pour tous les moteurs de recherche anglo-saxons. Il semble que du coté des moteurs de recherche francophones quelques très maigres progrès aient été accomplis. Certains moteurs de recherche, parmi les plus utilisés, même francophones200, sont coupables d'orienter leurs utilisateurs en priorité vers les sites web négationnistes. On peut parler de situation catastrophique.
Les moteurs de recherche sont bien à l'esprit de ceux qui gèrent et alimentent les sites négationnistes. La raison principale pour laquelle Thion et Guillaume ont appelé leur site l'aaaargh était sans doute pour permettre à leur site d'apparaître dans les premières réponses ramenées par les moteurs de recherche201. La raison pour laquelle Thion et Guillaume recopient des textes et des articles anti-négationnistes, qui parfois se trouvent sur des sites web sur la Shoah ou contre le négationnisme, est simplement de multiplier les chances qu'un internaute aboutisse chez eux, et non sur un site normal. Que le texte par lequel le candide aura abouti sur le site de l'aaargh soit critique à l'égard du négationnisme importe peu. Ils auront fait découvrir leur site, et leurs discours à une personne de plus. La multiplication des mêmes textes, voire la copie entière de sites négationnistes sur d'autres sites négationnistes relève de la même stratégie « de masse » : faire en sorte que toute recherche sur des thèmes ayant trait à la Shoah ramène du matériel négationniste. Il faut faire ce constat lucide : les négationnistes ont en partie réussi.
On prendra garde à ne pas voir chez les négateurs qui sévissent sur l'Internet que des esprits malades. Ils scrutent avec méticulosité les médias sur tout ce qui a trait au génocide. Ils lisent les listes et les forums de discussion qui traitent du sujet, ils lisent les sites web de ceux qui les combattent. Ils sont très peu nombreux. Ils ont peu de sites web. Ils les alimentent continuellement de nouveaux textes. Ils font cela à temps complet, déploient l'énergie du fanatisme et ont, en volume et pour ce qui est de la langue française, submergé le web.
Si les négationnistes francophones sont obligés de focaliser leur stratégie sur le web, il ne faut pas oublier que c'est malgré tout un pis aller. Que leur problème demeure l'interdit qui leur barre l'accès aux grands médias, ce que n'est pas l'Internet, où l'on observe une multiplication, un éclatement des lieux d'information. Partout les négationnistes recherchent un visibilité médiatique traditionnelle. Bradley Smith alimente un scandale permanent en faisant publier ses textes dans la presse étudiante américaine. Les négationnistes francophones tentent régulièrement de déclencher de nouveaux scandales. L'affaire Garaudy fut leur dernier vrai succès. Une honte pour la corporation des journalistes qui se sont faits gratuitement la caisse de résonnance de leur propagande. Pierre Guillaume a échoué à distribuer les falsifications de Rudolf sur Auschwitz et celles de Reynouard sur Oradour. Aujourd'hui ils tentent de créer un scandale par la distribution de tracts dans quelques lycées. Il appartient tant aux autorités, par le blocage des publications négationnistes, qu'aux journalistes en évitant de se laisser piéger par les foulards rouges du scandale que des négationnistes agitent périodiquement devant eux, de ne pas faire leur jeu. Les négationnistes cherchent avant tout à faire parler d'eux. Que ce soit en bien ou en mal leur importe peu. Faisons en sorte de n'avoir plus qu'un seul problème à affronter, il est aujourd'hui suffisament grave, celui de l'Internet.
Notes.192. Certitude acquise par l'examen des paramètres techniques associés à ces courriers électroniques. Ils sont une preuve supplémentaire que l'aaargh est bien incarné par Serge Thion - Le Temps irrréparable.
193. Bulletin de la Vieille Taupe n°3, du printemps 1996, site web de l'aaargh.
194. Condamnation confirmée en appel en juin 2000. Sur l'affaire Plantin, voir le dossier du Cercle Marc Bloch, sur le web, http://www.multimania.com/cmbloch/rpplant.html. [maj-2008 : Sur l'affaire Plantin il est désormais indispensable de lire le Rapport de la Commission sur le racisme et le négationnisme à l'université Jean-Moulin Lyon III, rédigé par l'historien Henry Rousso en 2004. Il complète largement, précise et modère certains aspects polémiques du dossier du Cercle Marc Bloch. Il s'agit d'une mise en perspective indispensable. On peut s'en procurer une version publiée en librairie, Le Dossier Lyon III, Paris, Fayard, 2004.]
195. Carlo Mattogno, « Le mythe de l'extermination des Juifs », Annales d'histoire révisionniste, n°1, 1987, p. 108: « traducteur : Jean Plantin ». Gilles Karmasyn l'avait signalé dès février 1999, dans un article publié sur le forum de discussion fr.soc.politique [maj-2008 : Gilles Karmasyn, « Les impasses d'une chercheuse : c.q.f.d. », 22 février 1999, fr.soc.politique, Message-ID: <gilkarm-2202992048450001@wn16-045.paris.worldnet.fr>]. Les médias sont maintenant au fait ; voir http://www.amnistia.net/news/enquetes/negauniv/plantin/plantin.htm.
196. Principalement continentaux, la majeure partie des pays européens étant dotés de législations réprimant l'expression des discours négationnistes. Ce n'est pas le cas de la Grande-Bretagne.
197. www.yahoo.com, uk.yahoo.com, de.yahoo.com , www.yahoo.fr
199. www.yahoo.fr, www.voila.fr, www.nomade.fr, www.ecila.fr, www.lycos.fr, www.lokace.fr
200. La situation varie selon les moteurs. La liste des annuaires et moteurs de recherche se trouve sur le site http://www.abondance.com/
201. Les premiers moteurs de recherche présentaient les résultats par ordre alphabétique.
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07/07/2001