65. Gilles Karmasyn et alii, « Le négationnisme sur Internet », op. cit., p. 26-54. 66. http://www.mfa.gov.tr 67. http://www.kultur.gov.tr 68. Examen de la version 1997 du site mfa.gov.org sur Internet Archive : http://web.archive.org/ 69. Entre autres l’énorme Armenian File de Kamuran Gürün. On trouvera une présentation des principaux auteurs, ouvrages, pamphlets et opuscules négationnistes, dans Rouben Paul Adalian, « The Armenian Genocide : Revisionism and denial », In Michael N. Dobkowski & Isidor Wallimann (dir.), Genocide in Our Time : An Annotated Bibliography with Analytical Introductions, Ann Arbor, Michigan, The Pierian Press, 1992. Voir également, Roger W. Smith, « Denial of the Armenian Genocide », in Israel W. Charny (dir.), Genocide. A Critical Bibliography Review, vol. 2, Mansell, 1991. 70. Sur cette question, voir Yves Ternon, Enquête sur la Négation d’un Génocide, op. cit., et du même, « La qualité de la preuve. À propos des documents Andonian et de la petite phrase d’Hitler », in L’actualité du Génocide des Arméniens, op. cit. Voir aussi Vahakn N. Dadrian, « The Naim-Andonian Documents on the World War I Destruction of Ottoman Armenians: The Anatomy of a Genocide », International Journal of Middle East Studies vol. 18 no. 3, août 1986. 71. The story behind ”Ambassador Morgenthau’s story“, Istanbul, The Isis press, 1990. L’ouvrage a été traduit en français, la même année sous le titre Les dessous des mémoires de l’ambassadeur Morgenthau. Henry Morgenthau, ambassadeur des États Unis à Constantinople, n’est qu’un des nombreux diplomates à avoir rendu compte des massacres dont furent victimes les Arméniens. Son témoignage ne constitue pas LA preuve du génocide, mais l’approche hypercritique des négationnistes tente de le décrédibiliser, tout en prétendant qu’il serait la (c’est-à-dire l’unique) pierre de touche de la « thèse » du génocide arménien. Faurisson ne procède pas autrement avec le témoignage de Rudolf Höss, ancien commandant d’Auschwitz. Les mémoires de Morgenthau ont été republiées en français, Mémoires, Flammarion, 1984. La version originale est disponible sur l’Internet : http://www.cilicia.com/morgenthau/MorgenTC.htm. Pour une critique du pamphlet de Lowry, voir Dennis R. Papazian, « ”Misplaced Credulity“: Contemporary Turkish Attempts to Refute the Armenian Genocide », Armenian Review vol. 45, no. 1-2, printemps-été 1992. Une version revue en 2001 est disponible sur l’Internet  : http://www.umd.umich.edu/dept/armenian/papazian/misplace.html 72. C’est en 1982, que l’Institut de politique étrangère d’Ankara publie un opuscule intitulé Le problème arménien : neuf questions, neuf réponses (reproduit dans Le Crime de silence, op. cit., p. 203-256) qui présente l’architecture désormais classique de la rhétorique de la négation du génocide arménien. L’origine du pamphlet était alors mentionnée sur le site Web (Foreign Policy Institute). Aujourd’hui cette origine officielle turque n’est plus mentionnée dans les nombreuses reproductions de ce pamphlet, qui s’est parfois enrichie d’une dixième question. Remarquons que la forme « questions-réponses » semble avoir été prisée par les autorités turques en matière propagande. Le même Institut de politique étrangère publiait en 1983 un pamphlet de Turhan Feyzioglu, Chypre, mythes et réalités : documents sur le problème de Chypre : 23 questions, 23 réponses. Michel Marian a publié en 1984 une première analyse de l’argumentaire négationniste déployé dans les pamphlets turcs des années 1980 (« Le point de vue turc sur le génocide », Esprit, avril 1984). 73. L’IHR est une officine raciste et protonazie fondée en 1978 aux États Unis pour fournir une couverture respectable aux propagandes négationnistes. Voir ici. 74. Il faut cependant souligner que le pamphlet turc précède de presque dix ans son homologue niant la Shoah... Voir http://www.phdn.org/negation/66QER/ 75. « Did 1,5 Million Armenians Die During World War I? ». Il s’agit de la question 7 du pamphlet en 9 questions (qui deviendra dans des version ultérieures un pamphlet en 10 questions). Le même contenu peut apparaître seul sous d’autres intitulés sur d’autres sites Web. Par exemple, sur « Armenian Reality » (voir plus bas), c’est sous le titre « Is the figure 1,5 million for the armenians who have lost their lives? » que ce même texte est fourni. Le titre de la question fait évidemment penser à un pamphlet niant la Shoah, « Did six millions really die » de Richard Harwood. (voir Gilles Karmasyn et alii, op. cit., p. 24). 76. Robert Faurisson, « Combien de morts à Auschwitz », décembre 1995, reproduit dans Robert Faurisson, Ecrits Révisionnistes (1974-1998), Édition privée hors commerce, 1999, tome IV, p. 1730-1740. Ce texte, dont les versions abondent sur Internet, est en partie recopié depuis quelques années dans le Quid à l’article « Auschwitz » sans que personne ne semble s’en être rendu compte... A ce sujet, voir sur l’Internet : http://www.phdn.org/negation/quid.html 77. Faut-il préciser que dans les deux cas, sont mélangées évaluations sérieuses d’historiens et évaluations journalistiques sans intérêt, que certains chiffres sont fabriqués et que la série est délibérément présentée dans un ordre décroissant et non chronologique, comme un présentation réellement honnête l’aurait imposé? 78. Richard Hovannisian, « The Armenian Genocide and Patterns of Denial », in Richard Hovannisian (éditeur), The Armenian Genocide in Perspective, Transaction Publishers, New Brunswick, 1986, p. 125-127. 79. Un classique du négationnisme turc : une des « meilleure démonstration d’une stratégie armée de négation  » (Yves Ternon, Enquête sur la négation d’un génocide, op. cit., p. 57). Il s’agit de la version anglaise d’un classique négationniste d’abord publié en français (Le Dossier Arménien, Société turque d’histoire, Triangle, 1983) et expédié (gratuitement...) à des milliers d’exemplaires, en 1984, à des universitaires et des politiques français (Gérard Chaliand, « Le crime de silence », in Le crime de silence, op. cit., p. 374). Sur les thèses de Gürün, voir Richard G. Hovannisian, « L’hydre à quatre têtes du négationnisme », in L’actualité du Génocide des Arméniens, op. cit., p. 150-151. 80. « habituel producteur de plaquettes » et de « libelles rageurs » de la société turque d’histoire (Yves Ternon, Enquête sur la négation d’un génocide, op. cit., p. 57). Voir aussi Yves Ternon, Les Arméniens, op. cit., p. 347. Türkkaya Ataöv intervient depuis le début des années 80 sur tous les terrains où l’histoire pourrait ne pas coïncider avec les intérêts politiques et diplomatiques turcs, domaines grec, macédonien et évidemment arménien. Agent de la propagande turque, qui pose au spécialiste de chacun de ces domaines, il ne connaît aucune des langues concernées, pas plus le grec que l’arménien ou le slavo-macédonien. La moindre des ironies n’est pas qu’il a longtemps posé à l’« opposant » au régime militaire d’Ankara... Voir Speros Vryonis, Jr., The Turkish State and History : Clio Meets the Grey Wolf, Institute for Balkan Studies, Thessalonique, 1991, p. 97. 81. Muslims and Minorities, http://www.mfa.gov.tr/grupe/eg/eg37/. Voir note 46. 82. Voir note 46. 83. http://www.turkey.org ou http://www.turkishembassy.org/ 84. Sous la direction de Türkkaya Ataöv, The Turkish Historical Society For The Council Of Culture, Arts And Publications Of The Grand National Assembly Of Turkey, Ankara, 2001. Ces 360 pages de propagande sont mises à disposition sur un site gouvernementale, Türkiye Büyük Millet Meclisi : http://www.tbmm.gov.tr/yayinlar/yayin1/armenian.htm 85. Par Ismet Binark, Board of Culture, Arts and Publications, Grand National Assembly of Turkey - Publication No. 93, Ankara, 2002. Plus de 150 pages de propagande à forme savante sur le même site que précédemment : http://www.tbmm.gov.tr/yayinlar/yayin3/atrocity.htm 86. Le responsable déclaré, Kerim Uras est censé résider à Londres, selon une recherche sur « whois ». 87. Voir http://www.phdn.org/negation/faurisson/ihr.html 88. Le nom peut varier : « Institute for Armenian Studies Research » est également utilisé ainsi que « Armenian Institute ». 89. http://www.eraren.org/eng/eren.html 90. « FACT AND COMMENTS on Armenian Matters », Newspot, No 33, mai-juin 2002, site Web du premier ministre turc : http://www.byegm.gov.tr/YAYINLARIMIZ/newspot/2002/may-jun/n9.htm. Newspot est le magazine culturel du bureau d’information du premier ministre. 91. Ici encore on pense au Journal of Historical Review publié par l’IHR (voir note 55). 92. Dont notamment The Armenians in the late Ottoman Period, Türkkaya Ataöv (dir.), The Turkish Historical Society For The Council Of Culture, Arts And Publications Of The Grand National Assembly Of Turkey, Ankara, 2001. Voir note 85. 93. Les intitulés des articles parlent d’eux-mêmes : « Today’s Armenia And Motives Behind The Genocide Accusations : More Than A Matter Of ”national Identity“ ? », « The Research Of Arnold Toynbee On Turks And The Birth Of Armenian Propaganda », etc. 94. Site du Middle East Virtual Library, http://ssgdoc.bibliothek.uni-halle.de/vlib/ssgfi/infodata/001900.html. La liste des institutions parties prenante de ce site est donnée à l’adresse suivante : http://ssgdoc.bibliothek.uni-halle.de/vlib/html/start.html#partners 95. L’identité fournie peut parfois être frauduleuse. En l’occurrence, il s’agit de Macit Karacay comme l’indique une recherche sur « whois ». 96. La question arménienne : http://www.ermenisorunu.gen.tr/ 97. Qui aboutit aujourd’hui sur un site pornographique... 98. Des plus « savants », comme Orel et Yuca, aux plus caricaturaux comme Türkkaya Ataöv.

La Négation du Génocide Arménien sur Internet

Par Gilles Karmasyn

Revue d’histoire de la Shoah, no 177-178, janvier-août 2003

© Revue d’histoire de la Shoah — Gilles Karmasyn 2003-2005 — Reproduction interdite sauf pour usage personnel —
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II. Le Web (sites turcs)

Le World Wide Web: enjeu et instrument privilégié de la propagande négationniste.

Le World Wide Web est devenu pour beaucoup un synonyme de l’Internet. L’« explosion » du Web date de 1994-1995, au moment où l’Internet commence à toucher le grand public français Dès lors, on voit apparaître, comme des champignons après la pluie, un nombre croissant de sites extrémistes émanant d’individus, de groupuscules ou d’associations, dont la propagande trouve ainsi son principal mode de diffusion publique et de visibilité. Nous avons fait ailleurs l’exposé de la genèse et des modalités de la haine raciste, antisémite et niant la Shoah sur le Web65.

A l’inverse de ce qui s’est passé pour les propagandes racistes quelles qu’elles soient, la négation du génocide des Arméniens fut d’abord, et demeure, sur le Web comme ailleurs, une entreprise officielle, l’entreprise de l’État turc.  

A. Le négationnisme sur les sites officiels turcs

Les sites Web officiels turcs « naturellement » destinés aux lecteurs internationaux, ceux du ministère des affaires étrangères66 et du ministère de la culture67, sont aussi les principaux sites Web négationnistes.

Le site du ministère des affaires étrangères, existe depuis 1997. Dès cette époque il propose une section, en anglais, d’ouvrages en textes intégraux. Cette bibliothèque contenait déjà les textes classiques du négationnisme68, qui constituent plus du tiers des ouvrages présentés69. Contestation des documents Andonian70, contestation du témoignage de l’ambassadeur Henry Morgenthau par Heath Lowry71, retournement de l’accusation de génocide, tout y passe. On y trouvait notamment un classique du négationnisme intitulé « The Armenian Issue in Nine Questions and Answers »72, qu’on retrouve aujourd’hui, parfois sous d’autres titres, sur la plupart des sites négationnistes. La présentation, sous forme d’une liste de questions et de réponses rappelle étonnamment le pamphlet niant la Shoah diffusé par l’IHR (« Institute for Historical Review »), officine californienne de négation de la Shoah73, « 66 Questions et Réponses à propos de l’Holocauste »74. Les modalités de la négation du génocide ressemblent parfois de façon frappante à celle de la négation de la Shoah. Ainsi cette page qui prétend présenter des bilans successifs décroissants du nombre de victimes75 fonctionne comme un texte de Faurisson qui présente une succession décroissante du nombre de victimes d’Auschwitz76. La conclusion suggérée est la même dans les deux cas. Les évaluations seraient en constante diminution, ce qui signifierait, en fin de compte, que l’on tendrait vers le chiffre le plus faible possible77... Dans l’ensemble de pages proposées figurent en bonne place les textes de Salahi R. Sonyel, sorte de Faurisson officiel turque spécialisé dans l’argumentaire négationniste depuis le début des années 197078, ou l’ouvrage de Kamaran Gürün, The Armenian File79 ainsi que de nombreux textes de Türkkaya Ataöv80. Justification des persécutions anti-arméniennes, délégitimisation de la présence arménienne en Anatolie, minimisation du nombre de victimes, négation de la volonté d’extermination, toute la panoplie y passe, dans un enrobage « savant » qui multiplie citations et notes de bas de page. La section des ouvrages évoqués n’est cependant alors pas directement accessible depuis la page d’accueil du site. En 1999, apparaît sur cette page une section « publications » qui présente une partie de la vulgate négationniste initialement disponible dans la section « bibliothèque ». Il s’agit d’abord d’un exposé des « atrocités arméniennes », selon la rhétorique du « tu quoque », dans un texte non signé, mais à présentation, sinon à prétention, savante, agrémenté de photographies. A partir de l’année 2000, s’y ajoutent les versions anglaises et françaises du pamphlet des questions-réponses, avec un changement de titre : « Allégations Arméniennes et Faits Historiques ». La section « Bibliothèque » est toujours active et s’est vue enrichie de textes en français. La section anglophone n’est pas en reste : entre autres textes intégraux, on trouve aujourd’hui l’ouvrage de Justin McCarthy qui fonde la négation démographique moderne du génocide81. D’autres sujets sont traités selon les mêmes modes de raisonnement : conflits avec la Grèce, Chypre, les Kurdes, etc.

Une masse tout aussi importante de textes négationnistes se trouve sur le site Web du ministère de la culture. Ce site a été créé en 1998. Depuis 1999, outre sa section anglaise, il propose des accès en français, allemand, turc et russe. C’est seulement au cours de l’année 2001 qu’apparaissent les inévitables sections négationnistes. Aujourd’hui, dès l’arrivée sur la page d’accueil (en français par exemple), sont signalés deux corpus de textes, « Assertions arméniennes et vérités » et « La question arménienne ; les allégations - les réalités ». Ils contiennent notamment les questions/réponses figurant sur le site Web du ministère des affaires étrangères. Parmi de très nombreux textes, on trouve un discours de l’universitaire américain négationniste Justin McCarthy82. La plupart des textes ne sont cependant pas signés. En plusieurs dizaines de pages Web, c’est l’équivalent de centaines de pages de prose négationniste qui sont proposées, plusieurs heures de lecture. Forme pseudo savante, « justificationnisme », manipulations démographiques, accusations d’atrocités contre les Arméniens, sont au rendez-vous. Ce corpus négationniste est disponible dans chacune des langues proposées.

Tout site officiel turque offre les textes obligés de la négation. Nous renonçons à en faire ici la liste exhaustive, mais on pourra mentionner le site de l’ambassade de Turquie aux États Unis83 qui propose l’inévitable section sur les « allégations arméniennes », comprenant le pamphlet des questions/réponses et des liens vers les textes du site du ministère des affaires étrangères. On retrouve la même chose sur le site de l’ambassade de Turquie en Australie, sur le site de l’ambassade de Turquie en Belgique, etc. La tendance la plus récente consiste à mettre en ligne, sous forme de fichiers PDF, des ouvrages intégraux, comme The Armenians in the late Ottoman Period84, dont le contenu tout entier vise à diaboliser les Arméniens et à minimiser les massacres dont ils furent victimes, ou encore Archive Documents About The Atrocities And Genocide Inflicted Upon Turks By Armenians.85.

L’état turc ne se contente cependant pas de vitrines officielles.  

B. Vitrines « savantes » et officines pilotées par l’État turc.

Afin de multiplier les occasions de tomber sur son argumentaire négationniste, il finance des institutions dont l’intitulé ou l’habillage ne laissent pas deviner qu’ils sont au service de la rhétorique négationniste turque. Le camouflage est plus ou moins réussi, mais toujours aisé à démasquer. Cette catégorie de sites fournit la plus grande masse de matériel négationniste.

Le site intitulé « Historical Research Network » pose à l’organisme de recherche historique respectable86. Il se présente comme étant une « organisation non gouvernementale à but non lucratif » qui souhaite donner une « analyse impartiale en profondeur des événements historiques ». La page d’accueil multiplie les déclarations de bonnes intention et de scientificité sur un ton mielleux. Il est consacré à la négation du génocide des Arméniens et, accessoirement, au problème chypriote. L’HRN, comme il s’intitule lui-même, fait évidemment penser à l’IHR, l’officine californienne de négation de la Shoah, qui se pose également depuis plus de 20 ans en organisme de recherche historique87. Chacun prétend, dans sa présentation, s’intéresser à tous les événements historiques, mais se concentre dans chaque cas, sur l’objet spécifique de sa négation. Le site contient les textes habituels. Depuis quelques semaines, à la date de rédaction du présent article, il semblait connaître quelques déboires techniques.

Force est de constater qu’en matière de vitrine « savante », l’État turc a frappé un grand coup en 2001 avec la fondation de l’Institute for Armenian Research88, organisme évidemment doté d’un site Web89, qui emploie neuf « chercheurs » à plein temps. Il s’agit ici, suite aux nombreuses « reconnaissances » officielles par des parlements européens du génocide des Arméniens, d’affiner les tactiques négationnistes en leur donnant une véritable respectabilité savante. Les déclarations d’intention et de neutralité onctueuses figurant sur le site Web méritent d’être citées : « Organisation privée de recherche et de réflexion complètement indépendante et bipartisane. Elle a pour but de promouvoir les recherches universitaires sur le Caucase, l’Arménie et ses relations avec ses voisins ». L’antienne de cette institution basée à Ankara est qu’il faut laisser le sujet du génocide des Arméniens aux historiens (en martelant bien sûr qu’il n’y a pas eu génocide). L’institut a organisé, en avril 2002, un « Congrès turc des Études arméniennes » à Ankara, sous les auspices du président de la république turque. Les conclusions en furent évidemment qu’il n’y avait pas eu de génocide des Arméniens90. L’institut publie un journal, Armenian Studies91 dont quatre numéros sont déjà parus. Six ouvrages ont également été publiés sous ses auspices92. Le ton des articles disponibles sur le site, comme dans les publications décrites, consiste à considérer comme acquis le caractère fictif du génocide des Arméniens et la culpabilité des Arméniens dans le massacre de Turcs et à étudier ces « réalités » sous l’angle savant de la sociologie ou de l’historiographie93. La sobriété de façade vise à séduire les candides. Qu’un internaute non averti se laisse abuser ne saurait surprendre. Il est par contre tout à fait scandaleux qu’un site Web lié à plusieurs institutions universitaires prestigieuses recommande le site de l’Institute for Armenian Research comme une bonne source d’information94...

À l’inverse des sites précédents, d’autres, plus anciens, se soucient beaucoup moins des apparences. Leur registre est celui d’une propagande pure et dure. Un site comme « Armenian Reality », dont le responsable est basé à Ankara95, annonce la couleur dès la page d’accueil : rouge. Sont déclinées depuis l’an 2000, les deux aspects du négationnisme : négation de l’extermination des Arméniens, et accusations anti-arméniennes. Un volume de plusieurs dizaines de textes négationnistes est décliné en plusieurs langues (dont le français). Des centaines de pages Web de propagande. Certaines sont consacrées à l’actualité, autour du conflit entre l’Arménie actuelle et l’Azerbaïdjan. La rhétorique sous-jacente est évidente : de tous temps ce sont les Arméniens qui seraient les « massacreurs ». On retrouve la même stratégie d’amalgame et d’extrapolation sur les sites Web de négation de la Shoah qui consacrent une partie importante de leurs pages au conflit israélo-arabe.

Le site « Ermeni Sorunu »96 est intégralement consacré à la négation du génocide et aux accusations anti-arméniennes. C’est sans doute l’un des plus importants réservoirs de propagande anti-arménienne. Créé en 2000, le site avait alors pour miroir « armenianterror.com »97. L’ergonomie est dès le début très professionnelle. Les textes sont présentés en anglais, turc et allemand. Juillet 2001 voit la création d’une section française. Chaque section s’ouvre sur une citation et une photographie de Mustafa Kemal Atatürk. Ce sont des centaines de pages Web, plus de 400, l’équivalent de plus de 2000 pages imprimées, dans chaque langue, qui sont offertes aux internautes. Les auteurs habituels de la négations sont reproduits ou cités98. La thèse, toujours la même est déclinée : les relations arméno-turques se sont dégradées de la faute des Arméniens qui furent les premiers et les principaux à commettre des massacres. Les massacres subis par les Arméniens n’en sont pas, mais il s’agit de « déplacements » de population. Une version sophistiquée du pamphlet des questions/réponses est proposée. Mais, l’accent est principalement mis sur la culpabilité arménienne, récits, documents, photographies, liste de diplomates turcs martyrs à l’appui.

Les corpus de textes et la rhétorique négationnistes de ces sites « institutionnels » vont se retrouver systématiquement sur deux autres catégories de sites : les sites communautaires et culturels et les sites des turcophiles.

       

Notes.

65. Gilles Karmasyn et alii, « Le négationnisme sur Internet », op. cit., p. 26-54.

66. http://www.mfa.gov.tr

67. http://www.kultur.gov.tr

68. Examen de la version 1997 du site mfa.gov.org sur Internet Archive : http://web.archive.org/

69. Entre autres l’énorme Armenian File de Kamuran Gürün. On trouvera une présentation des principaux auteurs, ouvrages, pamphlets et opuscules négationnistes, dans Rouben Paul Adalian, « The Armenian Genocide : Revisionism and denial », In Michael N. Dobkowski & Isidor Wallimann (dir.), Genocide in Our Time : An Annotated Bibliography with Analytical Introductions, Ann Arbor, Michigan, The Pierian Press, 1992. Voir également, Roger W. Smith, « Denial of the Armenian Genocide », in Israel W. Charny (dir.), Genocide. A Critical Bibliography Review, vol. 2, Mansell, 1991.

70. Sur cette question, voir Yves Ternon, Enquête sur la Négation d’un Génocide, op. cit., et du même, « La qualité de la preuve. À propos des documents Andonian et de la petite phrase d’Hitler », in L’actualité du Génocide des Arméniens, op. cit. Voir aussi Vahakn N. Dadrian, « The Naim-Andonian Documents on the World War I Destruction of Ottoman Armenians: The Anatomy of a Genocide », International Journal of Middle East Studies vol. 18 no. 3, août 1986.

71. The story behind ”Ambassador Morgenthau’s story“, Istanbul, The Isis press, 1990. L’ouvrage a été traduit en français, la même année sous le titre Les dessous des mémoires de l’ambassadeur Morgenthau. Henry Morgenthau, ambassadeur des États Unis à Constantinople, n’est qu’un des nombreux diplomates à avoir rendu compte des massacres dont furent victimes les Arméniens. Son témoignage ne constitue pas LA preuve du génocide, mais l’approche hypercritique des négationnistes tente de le décrédibiliser, tout en prétendant qu’il serait la (c’est-à-dire l’unique) pierre de touche de la « thèse » du génocide arménien. Faurisson ne procède pas autrement avec le témoignage de Rudolf Höss, ancien commandant d’Auschwitz. Les mémoires de Morgenthau ont été republiées en français, Mémoires, Flammarion, 1984. La version originale est disponible sur l’Internet : http://www.cilicia.com/morgenthau/MorgenTC.htm. Pour une critique du pamphlet de Lowry, voir Dennis R. Papazian, « ”Misplaced Credulity“: Contemporary Turkish Attempts to Refute the Armenian Genocide », Armenian Review vol. 45, no. 1-2, printemps-été 1992. Une version revue en 2001 est disponible sur l’Internet  : http://www.umd.umich.edu/dept/armenian/papazian/misplace.html

72. C’est en 1982, que l’Institut de politique étrangère d’Ankara publie un opuscule intitulé Le problème arménien : neuf questions, neuf réponses (reproduit dans Le Crime de silence, op. cit., p. 203-256) qui présente l’architecture désormais classique de la rhétorique de la négation du génocide arménien. L’origine du pamphlet était alors mentionnée sur le site Web (Foreign Policy Institute). Aujourd’hui cette origine officielle turque n’est plus mentionnée dans les nombreuses reproductions de ce pamphlet, qui s’est parfois enrichie d’une dixième question. Remarquons que la forme « questions-réponses » semble avoir été prisée par les autorités turques en matière propagande. Le même Institut de politique étrangère publiait en 1983 un pamphlet de Turhan Feyzioglu, Chypre, mythes et réalités : documents sur le problème de Chypre : 23 questions, 23 réponses. Michel Marian a publié en 1984 une première analyse de l’argumentaire négationniste déployé dans les pamphlets turcs des années 1980 (« Le point de vue turc sur le génocide », Esprit, avril 1984).

73. L’IHR est une officine raciste et protonazie fondée en 1978 aux États Unis pour fournir une couverture respectable aux propagandes négationnistes. Voir http://www.phdn.org/negation/faurisson/ihr.html

74. Il faut cependant souligner que le pamphlet turc précède de presque dix ans son homologue niant la Shoah... Voir http://www.phdn.org/negation/66QER/

75. « Did 1,5 Million Armenians Die During World War I? ». Il s’agit de la question 7 du pamphlet en 9 questions (qui deviendra dans des version ultérieures un pamphlet en 10 questions). Le même contenu peut apparaître seul sous d’autres intitulés sur d’autres sites Web. Par exemple, sur « Armenian Reality » (voir plus bas), c’est sous le titre « Is the figure 1,5 million for the armenians who have lost their lives? » que ce même texte est fourni. Le titre de la question fait évidemment penser à un pamphlet niant la Shoah, « Did six millions really die » de Richard Harwood. (voir Gilles Karmasyn et alii, op. cit., p. 24).

76. Robert Faurisson, « Combien de morts à Auschwitz », décembre 1995, reproduit dans Robert Faurisson, Ecrits Révisionnistes (1974-1998), Édition privée hors commerce, 1999, tome IV, p. 1730-1740. Ce texte, dont les versions abondent sur Internet, est en partie recopié depuis quelques années dans le Quid à l’article « Auschwitz » sans que personne ne semble s’en être rendu compte... A ce sujet, voir sur l’Internet : http://www.phdn.org/negation/quid.html

77. Faut-il préciser que dans les deux cas, sont mélangées évaluations sérieuses d’historiens et évaluations journalistiques sans intérêt, que certains chiffres sont fabriqués et que la série est délibérément présentée dans un ordre décroissant et non chronologique, comme un présentation réellement honnête l’aurait imposé?

78. Richard Hovannisian, « The Armenian Genocide and Patterns of Denial », in Richard Hovannisian (éditeur), The Armenian Genocide in Perspective, Transaction Publishers, New Brunswick, 1986, p. 125-127.

79. Un classique du négationnisme turc : une des « meilleure démonstration d’une stratégie armée de négation  » (Yves Ternon, Enquête sur la négation d’un génocide, op. cit., p. 57). Il s’agit de la version anglaise d’un classique négationniste d’abord publié en français (Le Dossier Arménien, Société turque d’histoire, Triangle, 1983) et expédié (gratuitement...) à des milliers d’exemplaires, en 1984, à des universitaires et des politiques français (Gérard Chaliand, « Le crime de silence », in Le crime de silence, op. cit., p. 374). Sur les thèses de Gürün, voir Richard G. Hovannisian, « L’hydre à quatre têtes du négationnisme », in L’actualité du Génocide des Arméniens, op. cit., p. 150-151.

80. « habituel producteur de plaquettes » et de « libelles rageurs » de la société turque d’histoire (Yves Ternon, Enquête sur la négation d’un génocide, op. cit., p. 57). Voir aussi Yves Ternon, Les Arméniens, op. cit., p. 347. Türkkaya Ataöv intervient depuis le début des années 80 sur tous les terrains où l’histoire pourrait ne pas coïncider avec les intérêts politiques et diplomatiques turcs, domaines grec, macédonien et évidemment arménien. Agent de la propagande turque, qui pose au spécialiste de chacun de ces domaines, il ne connaît aucune des langues concernées, pas plus le grec que l’arménien ou le slavo-macédonien. La moindre des ironies n’est pas qu’il a longtemps posé à l’« opposant » au régime militaire d’Ankara... Voir Speros Vryonis, Jr., The Turkish State and History : Clio Meets the Grey Wolf, Institute for Balkan Studies, Thessalonique, 1991, p. 97.

81. Muslims and Minorities, http://www.mfa.gov.tr/grupe/eg/eg37/. Voir note 46.

82. Voir note 46.

83. http://www.turkey.org ou http://www.turkishembassy.org/

84. Sous la direction de Türkkaya Ataöv, The Turkish Historical Society For The Council Of Culture, Arts And Publications Of The Grand National Assembly Of Turkey, Ankara, 2001. Ces 360 pages de propagande sont mises à disposition sur un site gouvernementale, Türkiye Büyük Millet Meclisi : http://www.tbmm.gov.tr/yayinlar/yayin1/armenian.htm

85. Par Ismet Binark, Board of Culture, Arts and Publications, Grand National Assembly of Turkey - Publication No. 93, Ankara, 2002. Plus de 150 pages de propagande à forme savante sur le même site que précédemment : http://www.tbmm.gov.tr/yayinlar/yayin3/atrocity.htm

86. Le responsable déclaré, Kerim Uras est censé résider à Londres, selon une recherche sur « whois ».

87. Voir http://www.phdn.org/negation/faurisson/ihr.html

88. Le nom peut varier : « Institute for Armenian Studies Research » est également utilisé ainsi que « Armenian Institute ».

89. http://www.eraren.org/eng/eren.html

90. « FACT AND COMMENTS on Armenian Matters », Newspot, No 33, mai-juin 2002, site Web du premier ministre turc : http://www.byegm.gov.tr/YAYINLARIMIZ/newspot/2002/may-jun/n9.htm. Newspot est le magazine culturel du bureau d’information du premier ministre.

91. Ici encore on pense au Journal of Historical Review publié par l’IHR (voir note 55).

92. Dont notamment The Armenians in the late Ottoman Period, Türkkaya Ataöv (dir.), The Turkish Historical Society For The Council Of Culture, Arts And Publications Of The Grand National Assembly Of Turkey, Ankara, 2001. Voir note 85.

93. Les intitulés des articles parlent d’eux-mêmes : « Today’s Armenia And Motives Behind The Genocide Accusations : More Than A Matter Of ”national Identity“ ? », « The Research Of Arnold Toynbee On Turks And The Birth Of Armenian Propaganda », etc.

94. Site du Middle East Virtual Library, http://ssgdoc.bibliothek.uni-halle.de/vlib/ssgfi/infodata/001900.html. La liste des institutions parties prenante de ce site est donnée à l’adresse suivante : http://ssgdoc.bibliothek.uni-halle.de/vlib/html/start.html#partners

95. L’identité fournie peut parfois être frauduleuse. En l’occurrence, il s’agit de Macit Karacay comme l’indique une recherche sur « whois ».

96. La question arménienne : http://www.ermenisorunu.gen.tr/

97. Qui aboutit aujourd’hui sur un site pornographique...

98. Des plus « savants », comme Orel et Yuca, aux plus caricaturaux comme Türkkaya Ataöv.

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14/01/2005