Quand le Quid est infiltré par un négationniste


Le Quid est une «encyclopédie» en un seul volume, autour de 2000 pages, devenu une institution éditoriale. Il fournit une profusion d'informations sur des très nombreux sujets, et sert souvent, par son format et son utilisation quasi-ludiques, de référence à de nombreux enfants et adolescents.

Au cours des années 2001 et 2002 le Quid a fait l'objet de poursuites judiciaires parce qu'il citait, parmi d'autres chiffres, l'«évaluation» grotesque, ridiculement basse, du négationniste Robert Faurisson à propos du nombre de victimes d'Auschwitz. Une première fois le Quid a échappé à la sanction en promettant de retirer cette évaluation de son édition 2003. Ce qui n'arriva pas et entraîna une seconde procédure. Le Quid promit de nouveau. Mais le problème va en fait bien au delà de la seule mention du chiffre de Faurisson. Ce que les associations n'ont pas vu est beaucoup plus grave. C'est de cela qu'il s'agit ici...

En préalable, il convient de rappeler que depuis plus de 55 ans, les historiens travaillent et avancent des évaluations du nombre de victimes d'Auschwitz. A l'Ouest, lorsque ces évaluations étaient le fruit de recherches spéficiques, la plupart des évaluations tournaient autour de 1 million de victimes. Aujourd'hui, le chiffre généralement accepté par la communauté historienne est de 1,1 millions de victimes dont 90% de Juifs, pour la plupart assassinés dans les chambres à gaz dès leur arrivée. En Pologne et dans le bloc communiste, suite à un calcul erroné d'experts soviétiques, c'est un chiffre de 4 millions de victimes (en majorité non juives) qui a été avancé. Pour un point sur cette évaluation et sur l'historiographie non communiste, voir:
https://phdn.org/histgen/auschwitz/bilan-auschwitz.html

Le Quid a la particularité, depuis quelques années, de mentionner, outre un chiffre proche de celui accepté par l'historiographie occidentale, une série d'autres «évaluations» qui se termine par la mention d'un chiffre, extrêmement sous-évalué (mais non présenté comme tel) de Faurisson. Ce qui déclencha l'ire justifiée de quelque associations. Mais ce qu'aucune des associations qui ont poursuivi le Quid ne semble avoir remarqué, c'est que le chiffre de Faurisson n'était pas le seul problème dans le paragraphe en cause.

Voici le texte du Quid, dans sa version 1997, à laquelle la version 2003 est pratiquement identique:

«1 200 000 †. D'autres chiffres ont circulé: Nuit et brouillard (film d'Alain Resnais, en 1955 ; conseillers: Henri Michel et Olga Wormser): 9 000 000 ; document officiel de la Rép. française (Office de recherches des crimes de guerre en 1945): 8 000 000 ; selon Raphaël Feigelson: 7 000 000 ; Tibère Kremer (préfacier de Miklos Nyiszli, en 1951): 6 000 000 ; le Monde (du 20-4-1978): 5 000 000 dont 90 % de Juifs ; Henry Mandelbaum (en 1945) 4 500 000 ; document soviétique du 6-5-1945 (utilisé par le tribunal de Nuremberg): 4 000 000 (inscrit sur le monument d'Auschwitz-Birkenau ; sera déclaré faux en 1990 et remplacé, en 1995, par 1 500 000) ; Miriam Novitch (en 1967): 4 000 000 (dont 2 700 000 Juifs) ; rabbin Moshe Weiss en 1991: + de 4 000 000 (dont 3 000 000 Juifs) ; Rudolf Höss (ancien Cdt du camp d'Auschwitz) en 1946: 3 000 000 (jusqu'au 1-12-1943) ; Rudolf Vrba (procès Eichmann) en 1961: 2 500 000 ; Léon Poliakov (en 1951), Georges Wellers (en 1973), Lucy Dawidowicz (en 1975): 2 000 000 de Juifs gazés ; Yehuda Bauer (dir. de l'Institute of Contemporary Jewry, Université hébraïque de Jérusalem, en 1989): 1 600 000 (dont 1 352 980 Juifs) ; Lech Walesa: 1 500 000 ; Georges Wellers (en 1983): 1 471 595 (dont 1 352 980 Juifs) ; Raul Hilberg (en 1985): 1 250 000 (dont 1 000 000 de Juifs) ; Gerald Reitlinger (The Final Solution, en 1953): 850 000 ; Jean-Claude Pressac (Die Krematorien von Auschwitz, en 1994): 630 000 à 710 000 dont 470 000/550 000 gazés ; Faurisson ("révisionniste"): 150 000 en tout (dont environ 100 000 Juifs, la plupart morts du typhus).» (Quid, 1997, p. 798).

On trouvera à peu de chose près la même présentation sur le site web du Quid (qui a quand même supprimé de l'édition online le chiffre de Faurisson):
http://www.quid.fr/2000/Q018850.htm

Pourquoi les rédacteurs du Quid ont-ils décidé de donner une si longue liste d'évaluations qu'ils savent être erronées? Dans aucun autre cas, n'est dressée ainsi une évolution de l'historiographie du nombre de victimes d'un événement tragique. Aucun autre camp ne fait l'objet d'un tel traitement...

La première remarque qui saute aux yeux d'un esprit attentif c'est que la liste n'est absolument pas donnée dans un ordre chronologique, mais dans un ordre décroissant. Si l'on écrit la liste de dates des «évaluations» citées cela donne ceci: 1955, 1945, 1951, 1978, 1945, 1945, 1967, 1991, 1946, 1961, 1951, 1973, 1975, 1989, 1983, 1985, 1953, 1994. Aucune date n'est fournie pour le chiffre de Faurisson. Pourquoi une liste non chronologique alors qu'on prétend dresser un portrait historiographique?

N'importe qui de familier avec l'histoire et l'historiographie d'Auschwitz ne peut qu'être surpris par cette liste «d'autres chiffres [qui] ont circulé». Outre que les références sont extrêmement vagues, si le lecteur averti reconnaît quelques noms d'historiens, certaines références lui seront absolument inconnues. Car la liste est loin de ne citer que des historiens. Vingt et une évaluations citées, 9 seulement émanent d'historiens ou sont présentées comme émanant d'historiens (Michel et Wormser, Novitch, Poliakov, Wellers, Dawidowicz, Bauer, Hilberg, Reitlinger). Le reste mélange témoins, journaux, hommes politiques, préfaciers, anciens «révisionnistes» et négationnistes! Est-ce vraiment une liste à prendre au sérieux? Jamais une personne désirant fournir une information de qualité ne se serait permis un tel mélange des genres. En fait, chaque chiffre devrait être examiné de près. Nous ne pouvons le faire pour chacun d'eux, mais nous allons le faire pour certains d'entre eux.

Le Quid répète depuis 1997 que dans Nuit et Brouillard, le chiffre de 9 millions de victimes serait explicitement mentionné pour Auschwitz. Mieux, la responsabilité de ce chiffre est implicitement attribuée à deux historiens, Henri Michel et Olga Wormser.

Cette présentation est tout simplement frauduleuse.

Le chiffre de 9 millions est bien mentionné à la fin Nuit et Brouillard mais il ne désigne pas le nombre de victimes d'Auschwitz, pour diverses raisons dont la meilleure est sans doute que les deux historiens conseillers du film connaissaient l'historiographie en vigueur à l'époque du film et avaient mentionné (avant et après la sortie du film) dans d'autres contextes des chiffres qui n'ont rien à voir avec celui que leur attribue Le Quid. De fait, le chiffre de 9 millions qui est mentionné dans Nuit et Brouillard se rapporte à un total pour tous les camps. Prétendre que Nuit et Brouillard avance un tel bilan pour Auschwitz et qu'en seraient responsables les deux historiens mentionnés est une pure invention.

C'est d'ailleurs une invention du négationniste Faurisson, qu'il a proférée pour la première fois en 1991. Sur cette fabrication faurissonienne, voir:
https://phdn.org/negation/faurisson/nuitetbrouillard.html

Voilà donc que le Quid, non content de recopier un chiffre de Faurisson dans une série de prétendues évaluations du nombre de victimes, recopiait aussi, sans le dire, un mensonge de Faurisson consistant à falsifier Nuit et Brouillard.

En 1945, Eugène Aroneanu rassembla et publia une série de témoignages sur les camps, Camps de concentration (Office français d'édition, 1945). La lecture de cet ouvrage écrit «à chaud» est intéressante à plus d'un titre. On y lit à la page 196 que, selon une série de rapports de l'O.R.C.G (le sigle n'est pas développé, mais on aura reconnu l'Office de Recherches des Criminels de Guerre mentionné par le Quid, avec une légère erreur: "criminels" et non "crimes"), 8 millions de personnes seraient mortes à Auschwitz. A la même page (196), Aroneanu rapporte que, selon Raphaël Feigelson, 7 millions de personnes sont mortes à Auschwitz. Raphaël Feigelson figure, à la page 11, dans une liste de «témoins, rapports et documents», sans autre précision. Le rédacteur de l'article du Quid s'est abstenu de préciser qu'il ne tirait pas ses deux chiffres de sources consultées par lui, mais les avait recopiées dans un ouvrage de 1945 (il a d'ailleurs oublié de préciser la date pour Feigelson). Car il va sans dire que les deux chiffres en question n'apparaissent nulle part ailleurs et que l'ouvrage d'Aroneanu en est la seule et unique source. L'estimation de 1945 de l'O.R.C.G, outre qu'elle est historiographiquement sans intérêt (Auschwitz venant à peine d'être libéré...), est invérifiable. Quant à Raphaël Feigelson, c'était sans doute un survivant dont le chiffre ne vaut que pour ce qu'il dit de sa perception de l'énormité du crime. Rien ne justifie d'en faire état dans une présentation historiographique. L'absence de scrupule du rédacteur du Quid à citer des informations de seconde main, sans préciser qu'il le fait, ne brille certes pas par son honnêteté. Mais il s'agit du même qui a recopié le mensonge de Faurisson sur Nuit et Brouillard...

Passons rapidement sur le chiffre donné par Tibère Kremer, dont la seule qualité est d'avoir préfacé, parce qu'il en était le traducteur, le témoignage de Miklos Nyiszli, paru en 1951 dans la revue Les Temps Modernes («S.S. Obersturmführer Docteur Mengele. Journal d'un médecin déporté au crématorium d'Auschwitz», Les Temps Modernes, mars 1951, no 65). Le rédacteur du Quid se garde de préciser que l'évaluation disparaît de la préface de l'édition complète du témoignage de Miklos Nyiszli parue en 1961 (Médecin à Auschwitz: souvenirs d'un médecin déporté, Juillard). Mais que venait faire, en premier lieu, ce chiffre dans la liste?

Prenons le Monde du 20 avril 1978. On y lit, en page 4, un article intitulé «Le 35ème anniversaire du soulèvement du ghetto de Varsovie. Manifestation souvenir à Paris devant le mémorial du martyr juif inconnu». Un encart, non signé, occupant 1/8 de la page, en bas à gauche, donne des informations sur le personnel politique et note, en passant: «Auschwitz où périrent plus de 5 millions d'hommes, de femmes et d'enfants, dont 90% de Juifs». Le sujet de l'article, ni même celui de l'encart, ne portait principalement sur Auschwitz. Sur l'auteur de l'encart et l'origine de son chiffre, rien. C'est du journalisme. Du mauvais journalisme. Des erreurs de ce genre, on en trouve tous les jours dans le Monde. Et alors? Pourquoi le rédacteur du Quid s'intéresse-t-il justement à ce chiffre là. On admirera malgré tout son talent de «chercheur»...

Henryk Mandelbaum était lui aussi un survivant d'Auschwitz et pas un historien. Mais le rédacteur du Quid n'a pas fourni cette précision.

On aura constaté qu'aucun des chiffres supérieurs à 4 millions n'aurait dû figurer dans un ouvrage de référence. En réalité, aucun d'eux n'a «circulé»... L'un d'entre eux est une fabrication recopiée chez Faurisson et aucun des autres n'émane d'un historien. En fait, aucun historien sérieux n'aurait accepté de considérer que les chiffres précédents avaient une valeur quelconque. Avec les chiffres inférieurs ou égaux à 4 millions on retourne dans les évaluations historiographiquement connues. Pour l'estimation soviétique, je renvoie à la page déjà citée:
https://phdn.org/histgen/auschwitz/bilan-auschwitz.html

Passons rapidement sur le chiffre donné par le rabbin Moshe Weiss. On se demandera quelle qualité justifie aux yeux du rédacteur du Quid d'évoquer un chiffre donné par un religieux.

Suit un chiffre de Rudolf Höss. De nouveau, le lecteur averti est surpris. En effet, Ruldof Höss a avancé plusieurs chiffres différents pour le nombre de victimes d'Auschwitz. Or celui qui est cité ici est le plus élevé qu'il ait jamais avancé. Pourquoi le rédacteur du Quid ne cite-t-il pas la seule estimation de Höss qui vaille d'un point de vue historique, celle qu'il a faite en 1946, lorsqu'il rédigeait ses mémoires: 1,13 millions de victimes (Rudolf Hoess, Le commandant d¹Aushwitz parle, La Découverte, 1995, p. 278)?

Suit la mention de Rudolf Vrba. Encore un survivant.

Nous arrivons maintenant aux historiens (dans la mesure où la mention de Henri Michel et Olga Wormser était frauduleuse, on nous permettra de considérer qu'elle est nulle et non avenue). Le lecteur constate que les premières évaluations d'historiens citées «commencent» à deux millions de victimes. Nous lisons notamment que le chiffre de «2 000 000 de Juifs gazés» est attribué aux historiens Léon Poliakov et Lucy Dawidowicz. Or il s'agit d'un raccourci pour le moins audacieux, puisque si ces deux auteurs mentionnent effectivement le chiffre de 2 millions de victimes juives d'Auschwitz, aucun ne prétend qu'ils furent tous gazés. (Léon Poliakov, Bréviaire de la haine, Editions Complexe, 1986, p. 387. Le texte est identique à celui de l'édition de 1951. Et Lucy Dawidowicz, The War against the Jews, Penguin Books, 1990 - 1ère éd. 1975 -, p. 191). Le rédacteur du Quid a-t-il seulement consulté les auteurs qu'il prétend citer?

Et voici que ce même rédacteur prétend que Lech Walesa aurait avancé une évaluation de 1,5 millions de victimes. Outre que les paroles d'un homme politique n'ont rien à faire dans une présentation historiographique, Lech Walesa n'a jamais évalué lui-même le bilan d'Auschwitz à 1,5 million. Fin 1994, Lech Walesa, ou sa chancellerie, n'a fait que prendre une décision par rapport à une propoposition que lui faisaient les chercheurs du Musée d'Auschwitz. C'est le chiffre mentionné sur les plaques commémoratives à Auschwitz depuis 1995 (chiffre et date évoqués d'ailleurs un peu plus haut dans le paragraphe du Quid, sans que le rédacteur n'ait pris la peine de préciser qu'il s'agissait du même). Que vient donc faire Lech Walesa dans cette galère?

La liste se termine par le chiffre de Faurisson, sans aucun autre commentaire que la mention «révisionniste». Le rédacteur pense-t-il vraiment que ce laconisme permettra à des lecteurs, en majorité peu informés de reconnaître un falsificateur? Pourquoi ne pas avoir utilisé, à la limite, le terme «négationniste»? Pourquoi servir une falsification négationniste sans le moindre garde-fou: «150 000 en tout (dont environ 100 000 Juifs, la plupart morts du typhus)». Car c'est bien d'une falsification qu'il s'agit, la rhétorique du typhus, seul responsable des morts d'Auschwitz, étant un leitmotiv Faurissonien permettant de substituer un faible (par rapport à la réalité) nombre de morts «naturelles» à un nombre très élevé d'assassinats. Rien ne justifie évidemment le chiffre de Faurisson, qui fait volontairement l'impasse sur l'écrasante majorité des victimes assassinées dans les chambres à gaz dès leur arrivée au camp, sans y être enregistrées. Il s'agit bien de négationnisme: dans l'esprit de Faurisson, et de façon implicite mais claire, ce chiffre permet de nier ces assassinats et la politique d'extermination dans le cadre de laquelle ils eurent lieu. Signalons par ailleurs, le bobard du typhus comme cause principale de «mortalité» est depuis longtemps réfuté. Avoir imprimé tel quel le chiffre de Faurisson est, en soi, scandaleux. Le chiffre de Faurisson n'a jamais «circulé» que dans les cercles négationnistes et néo-nazis. Encore une fois, je renvoie à la page déja citée sur l'historiographie du nombre de victimes d'Auschwitz:
https://phdn.org/histgen/auschwitz/bilan-auschwitz.html

De la fraude de Faurisson sur le «9 millions» de Nuit et Brouillard à la falsification de Faurisson sur le nombre de victimes, voilà une liste bien étrangement encadrée et présentée. Les deux chiffres aux extrêmes de la liste sont tous deux des inventions de Faurisson. La première invention étant présentée par le Quid comme une vérité, et les autres chiffres présentés par ordre décroissant, mêlant des chiffres d'historiens (dont certains, d'ailleurs, dans une présentation, par le Quid, qui ne correspond pas à la réalité de ce que ces historiens ont réellement écrit), à des sources sans intérêt citées de seconde main, des citations de survivants, à des déclarations de religieux, voire d'hommes politiques (là encore, l'attribution étant tirée par les cheveux). Un tel degré d'incompétence sidère.

Incompétence, vraiment?

Pas tout à fait.

En réalité, c'est beaucoup plus grave: la liste est intégralement recopiée d'un texte de Faurisson de 1995 intitulé «Combien de morts à Auschwitz». Ce texte se trouve reproduit dans l'ouvrage Robert Faurisson, Ecrits Révisionnistes (1974-1998), tome IV, Édition privée hors commerce, 1999, p. 1730-1740. On le trouve également sur internet. Ce texte était lui-même basé sur un tract négationniste d'avril 1990 comme on le verra plus bas. Nous proposons une page web où sont reproduits en vis-à-vis le passage du Quid et les passages du texte de Faurisson:
https://phdn.org/negation/quid/quidcomp.html

La présentation décroissante des chiffres, le mélange historiens, journaux, traducteurs, témoins, religieux, politiques sont déjà présents dans le texte de Faurisson.

Pas un des vingt et un chiffres du Quid qui ne provienne du texte de Faurisson (qui en donne en tout trente). On retrouve parfois les expressions même du texte de Faurisson («Tibère Kremer, préfacier de Miklos Nyiszli», par exemple). L'épigone de Faurisson qui a «rédigé» l'article pour le Quid n'a évidemment vérifié aucune des sources qu'il prétend citer. Il s'est contenté de recopier Faurisson. Il a d'ailleurs parfois procédé à des raccourcis par rapport à la «version originale». C'est ainsi que Faurisson donne la source exacte de tous les chiffres qu'il avance (contrairement au rédacteur du Quid), quitte d'ailleurs à en falsifier le contenu comme dans le cas de Nuit et Brouillard. Faurisson cite bien l'ouvrage d'Eugène Aroneanu comme source des deux chiffres évoqués plus haut (ceux de Feigelson et de l'O.R.C.G). Faurisson ne prétend pas que Walesa aurait évalué seul le nombre de victimes d'Auschwitz. Mais c'est bien Faurisson qui sélectionne l'évaluation la plus haute jamais avancée par Höss, sans mentionner les autres, et c'est bien Faurisson qui fait débuter sa liste par son mensonge sur Nuit et Brouillard.

La conclusion est évidente: depuis 1997 au moins, le Quid a été infiltré par un négationniste qui a «placé» la prose de Faurisson à un endroit stratégique. Personne n'a vérifié.

C'est fort regrettable car la présentation du Quid/Faurisson est particulièrement perverse. Elle laisse à penser (c'est évidemment le but poursuivi par Faurisson et par le négationniste infiltré dans les équipes du Quid) que les évaluations du nombre de victimes d'Auschwitz n'auraient cessé de baisser et que des chiffres délirants auraient été sérieusement avancés. Ces deux propositions sont fausses. Il s'agit évidemment de donner l'impression qu'on a raconté n'importe quoi. Un n'importe quoi présenté de telle sorte qu'il semble quand même en exister un aboutissement logique vers les évaluations les plus faibles: en l'occurrence, le chiffre de Faurisson, évidemment présenté sans le moindre commentaire, alors même que le lectorat du Quid n'est pas, dans sa majorité, en mesure de détecter où se trouve l'escroquerie. Si tant est que ce lectorat sache qui est Faurisson, que la présentation sous l'étiquette inapropriée de «révisionniste», et non négationniste, ne permet pas d'identifier comme le falsificateur qu'il est. La stratégie est typiquement faurissonienne. Elle fut, et continue d'être diffusée par le Quid.

Le caractère tendancieux de la présentation du Quid, hors le constat du plagiat d'un texte de Faurisson, est évident dès que l'on fait l'effort d'examiner la liste des évaluations: son caractère décroissant et non chronologique, le caractère très vague des références, le mélange historiens, journalistes, survivants, négationnistes sont autant d'éléments qui devraient susciter la méfiance d'un esprit critique, mais ne sauteront certes pas aux yeux d'un candide.

La consultation d'éditions plus anciennes du Quid apporte des éléments supplémentaires au scénario de contagion. Dans l'édition de 1990, la seule mention de Faurisson se fait à la section «antisémitisme», dans un encart sur la LICRA, pour mentionner qu'il a été condamné pour diffamation pour avoir soutenu que «le mythe des chambres à gaz» était une «escroquerie sioniste». (Quid, 1990, p. 559). Aucun bilan n'est spécifié pour Auschwitz. L'édition 1991 reproduit le même contenu. De même en 1992 et 1993.

L'édition 1993 voit, en plus de la mention de la condamnation de Faurisson, l'apparition d'un encart sur le «Mouvement dit "des révisionnistes"» (Quid, 1993, p. 739). La présentation est succinte et aurait pu être plus percutante, notamment en évitant de désigner le discours négationniste par le vocable de «thèse». On peut déplorer l'utilisation de «révisionnistes» au lieu de «négationnistes» et l'absence de toute mention qu'il s'agit d'un discours mensonger et antisémite. Rien de bien grave cependant. Par ailleurs, un bilan chiffré du nombre de victimes d'Auschwitz apparaît qu'il convient de citer dans son intégralité:

«Auschwitz [Silésie, 1940, victimes 1,3 à 1,5 million (et non 4 à 8 comme avancé autrefois, la mention de 5 figurant sur les plaques déposées au pied du monument a été enlevée) dont selon F. Piper, Juifs 1,1, Polonais, 0,15, Tziganes, 0,023, prisonniers soviét. 0,015. 223 000 dép. ont survécu]» (Quid, 1993, p. 679)

On relèvera deux erreurs. Le chiffre de 8 millions de victimes n'a jamais appartenu à aucune historiographie, et c'est un chiffre de 4 millions (et non de 5) qui était mentionné sur les plaques et les monuments jusqu'en 1990. Quelle peut être l'origine de ces erreurs du rédacteur du Quid ? Impossible de répondre. Cependant, le reste du paragraphe ne présente pas de problème et surprend même le lecteur puisqu'il y a fait mention de F. Piper, l'historien qui a élaboré la meilleure estimation à ce jour. Cette présentation est à comparer évidemment à celle qui a cours depuis 1997! Le contraste est saisissant.

Les choses dégénèrent dans l'édition 1994. La condamnation de Faurisson est toujours indiquée, le paragraphe sur Auschwitz (p. 677) est le même que celui de l'édition 1993, mais la présentation du mouvement «révisionniste» a été largement remaniée. Elle devient largement complaisante (ce point est traité dans un autre article sur PHDN, mais notons que le mot «négationniste» n'est jamais utilisé) et surtout s'accompagne du paragraphe suivant:

«Les révisionnistes relèvent des divergences dans les chiffres, ainsi sur le nombre de morts à Auschwitz: doc. officiel de la Rép. française (Office de recherches des crimes de guerre en 1945): 8 000 000 ; le Monde (du 20-4-1978): 5 000 000 ; le monument d'Auschwitz-Birkenau: 4 000 000 ; "confessions" de Höss (ancien Cdt du camp d'Auschwitz): 3 000 000 ; Yehuda Bauer (dir. de l'Institute of Contemporary Jewry, Université hébraïque de Jérusalem, en 1989): 1 600 000 ; le Monde (du 1-9-1989): 1 433 000 ; Raul Hilberg (auteur de La Destruction des juifs d'Europe, 1988): 1 250 000 ; Gerald Reitlinger (auteur de The Final Solution, 1953): 850 000, archives soviét.: 74 000» (Quid, 1994, p. 730)

Quelques remarques. Il est surprenant que soit fournie, sans le moindre commentaire une telle liste, dont le lecteur ne sait d'où elle provient exactement. Le rédacteur en tous cas, par les références qu'il fournit, laisse supposer qu'il a vérifié...

On constate déjà la présentation, décroissante et non chronologique, mêlant chiffres d'historiens, de journalistes, et autres, sans que soit expliqué ce qui conduit à attacher de l'importance à tel ou tel chiffre. Aucune critique à cette présentation (attribuée aux négationnistes, ou plutôt aux «révisionnistes») n'est faite. On trouve déjà certains des chiffres du texte de Faurisson (certains d'ailleurs ne figurent pas dans son texte de 1995). La référence à Nuit et Brouillard est absente. L'utilisation du mot «confessions» pour désigner le témoignage de Höss est un tic langagier négationniste que le rédacteur du Quid reprend sans sourciller.

La mention du Monde du 1er septembre 1989 est erronée. En effet, dans un article intitulé «La joie M. Anthony», on peut lire: «[...] de mai 1940 à janvier 1945, plus de 1 600 000 prisonniers sont passés dans les trois camps d'Auschwitz [...] dont 1 433 000 juifs, et, sur ce dernier nombre, 1 335 000 ont trouvé la mort dans les chambres à gaz.». Le chiffre de 1 433 000 n'est pas un nombre total de victimes d'Auschwitz donné par le Monde, mais un nombre total de Juifs passés par Auschwitz. Décidement...

Enfin, le dernier chiffre 74 000 est une présentation négationniste frauduleuse (par omission) d'une documentation spécifique: des certificats de décès des prisonniers enregistrés (c'est-à-dire non assassinés dès leur arrivée au camp) ont été retrouvés en 1989 dans les archives soviétiques. Ces 74 000 certificats, qui sont loin de représenter tous les décès de prisonniers enregistrés ne tiennent évidemment aucun compte de l'écrasante majorité des Juifs assassinés à Auschwitz dès leur arrivée et jamais enregistrés. Surtout, jamais personne, en dehors des négationnistes n'a prétendu que le chiffre de 74 000 représentait le nombre de morts d'Auschwitz... On aura compris que les «divergences» telles que rapportées par le Quid, n'ont de sens que dans la rhétorique falsificatrice des négationnistes, que le Quid les rapporte, falsifications comprises, sans le moindre commentaire, bref, que le Quid adhère de facto à la rhétorique négationniste.

Scan page 1 tract faut-il interdire les revisionnistes

En fait, la présentation des «divergences» reprend, sans le dire, évidemment, un passage d'un tract négationniste diffusé en avril 1990, intitulé «Faut-il interdire les révisionnistes ?». En effet, à la page 1 de ce tract on trouve exactement la liste, décroissante, des huit chiffres recopiés par le Quid dans son édition 1994, références comprises, notamment la référence erronée au Monde du 1er septembre 1989. Dans le tract original, le chiffre de 74 000 était attribué aux «archives soviétiques récemment ouvertes par M. Gorbatchev». La même liste sera citée par un opuscule négationniste, la Revue d'Histoire Révisionniste, dans son premier numéro de mai-juillet 1990 (page 5). C'est à partir de ce tract que Faurisson va élaborer sa liste de 1995. Il éliminera le dernier chiffre fruit d'une falsification trop grosse, même pour lui, pour le remplacer par son chiffre infondé de 150 000. Faurisson a également supprimé de son texte de 1995 la mention au Monde du 1er septembre 1989, jugeant sans doute qu'il n'avait pas besoin d'utiliser un chiffre erroné. Et il y ajoutera encore vingt-trois autres chiffres, dont la nature extrêmement hétérogène a déjà été soulignée, en y incorporant notamment sa présentation frauduleuse sur Nuit et Brouillard.

Le rédacteur du Quid s'est contenté de recopier quasiment mot pour mot un tract négationniste, ce qu'il n'a pas jugé bon de signaler au lecteur. Il a repris le vocabulaire, les erreurs et les falsifications contenues dans le tract original. Il n'a évidemment rien vérifié.

Le négationniste du Quid était sans doute déjà en place pour l'édition 1994. La suite de l'évolution du paragraphe sur les «divergences» va nous le confirmer. La version du Quid 1995 (p. 770) est identique à celle de 1994. L'année suivante marque une évolution importante, toujours dans la même direction.

Dans l'édition 1996, trois changements sont introduits. La mention du nombre de victimes d'Auschwitz est réduite à sa plus simple expression: «(1 200 000 †)». Et surtout, l'encart sur le «mouvement dit "des révisionnistes"» est ramené dans la même section, et en l'occurrence dans la même page, que celle des listes de nombres de victimes, et donc du paragraphe consacré à Auschwitz. Dans les éditions antérieures en effet, le lecteur qui se renseignait sur les camps en général et Auschwitz en particulier ne tombait pas nécessairement sur l'encart sur les négationnistes, puisque celui-ci faisait partie d'une autre section. Le négationniste introduit dans les équipes du Quid a-t-il jugé trop inefficace un tel éloignement ? À partir de l'édition 1996, ce problème est résolu: désormais, toute personne qui s'informe des camps, ne peut manquer d'être informée de l'existence des «révisionnistes», de leurs «thèses» et des «divergences» qu'ils «ont relevé dans les chiffres» puisque l'encart n'est séparé du paragraphe sur Auschwitz que d'une colonne de texte...

Le troisième changement concerne le paragraphe sur les «divergences». Ce paragraphe, toujours, incorporé à l'encart sur les «révisionnistes» a été légèrement altéré. Le voici:

«Les révisionnistes relèvent des divergences dans les chiffres, ainsi sur le nombre de morts à Auschwitz: doc. officiel de la Rép. française (Office de recherches des crimes de guerre en 1945): 8 000 000 ; le Monde (du 20-4-1978): 5 000 000 ; le monument d'Auschwitz-Birkenau: 4 000 000 ; "confessions" de Höss (ancien Cdt du camp d'Auschwitz): 3 000 000 ; Yehuda Bauer (dir. de l'Institute of Contemporary Jewry, Université hébraïque de Jérusalem, en 1989): 1 600 000 (dans le "Jérusalem Post" du 22-9-1989) ; Georges Wellers: 1 472 000 dont 1 335 000 juifs (dans "le Monde Juif" d'oct-déc. 1983)  ; Raul Hilberg (auteur de La "Destruction des juifs d'Europe", 1988): 1 250 000 ; Gerald Reitlinger (auteur de "The Final Solution", 1953): 850 000  Jean-Claude Pressac (auteur de "Die Krematorien von Auschwitz", en 1994): 630 000 à 710 000 (dont 470 à 550 000 gazés) ; Faurisson parle d'env. 150 000.» (Quid, 1996, p. 794)

Disparue la mention erronée au Monde du 1er septembre 1989, remplacée par un chiffre de Georges Wellers. Disparue la mention des 74 000 des archives soviétiques. Par contre apparaîssent un chiffre de Pressac et les 150 000 de Faurisson, dont l'évaluation apparaît donc pour la première fois dans le Quid. A également été rajoutée une précision sur Yehuda Bauer («Jerusalem Post» etc.) qui disparaîtra des éditions ultérieures. Les suppressions et ajouts correspondent à des suppressions et ajouts également constatés dans le texte de Faurisson de 1995 par rapport au tract de 1990. En tout état de cause, le texte du Quid de 1996 correspond à une version intermédiaire entre le tract de 1990, recopié dans l'édition 1994, et le texte de Faurisson de 1995, recopié dans les éditions 1997 et suivantes. Il semble que le rédacteur du Quid suivait de très près ce qui se faisait dans le milieu négationniste. La suppression d'une erreur inutile (le Monde) et d'une falsification patente (les 74 000) préparait le terrain à la touche finale...

Dans l'édition de 1997, la mention de la condamnation de Faurisson disparaît (en fait elle avait déjà disparu de l'édition 1996). L'encart sur les «révisionnistes» est légèrement remanié mais demeure toujours aussi complaisant, et proche du paragraphe sur Auschwitz.

Mais le coup de génie consiste à poursuivre la démarche de «rapprochement» entamée en 1996 par le déplacement de l'encart sur les «révisionnistes» dans la même section que le paragraphe sur Auschwitz. En effet, les «divergences» soit-disant relevées par les négationnistes disparaissent de l'encart sur les révisionnistes. Plus aucune mention n'est faite sur ces divergences «relevées par les révisionnistes». Le rédacteur du Quid, a déplacé sa liste dans sa version définitivement enrichie, c'est-à-dire enfin calée sur l'article de Faurisson paru en 1995, au sein même du paragraphe consacré à Auschwitz, introduisant cette liste d'une façon («d'autres chiffres ont circulé») qui gomme totalement l'origine négationniste du texte et tente de camoufler que l'année précédente une liste de même nature faisait partie de l'encart sur les «révisionnistes». Le lecteur qui ignore l'histoire et l'historiographie (réelle) d'Auschwitz, qui ne consulte pas toutes les éditions successives du Quid, se trouve exposé à la prose faurissonienne, qu'il ignore être une construction frauduleuse destinée à lui faire croire qu'on aurait raconté n'importe quoi sur Auschwitz.

Le caractère malveillant, et négationniste, de cette évolution est tout à fait évident pour qui prend la peine d'examiner de près le contenu des versions successives du Quid au fil des années. Le Quid, infiltré par un négationniste bien informé et probablement proche des milieux négationnistes militants, sinon de Faurisson lui-même, s'est montré sur cette question d'une légèreté impardonnable.

Dans l’édition Quid 2004, la mention du chiffre de Faurisson sera retirée, mais la présentation des «différentes estimations» recopiée de son tract reste en place. C’était encore le cas dans le Quid 2006.

C'est à des centaines de milliers d'exemplaires que les présentations frauduleuses et perverses de Faurisson ont été diffusées, par le Quid depuis 1997. L'opération négationniste en son sein avait cependant commencé trois ans plus tôt.

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02/12/2002 -- mis à jour le 14/02/2017