1. Paul Rassinier, Le Drame des Juifs européens, les Septs Couleurs, 1964, p. 136 2. Paul Rassinier, Le Drame des Juifs européens, p. 128 3. Kadmi Cohen, l’État d’Israël, Kra, 1930, p. 111. 4. Kadmi Cohen, l’État d’Israël, p. 122. 5. Florent Brayard, Comment l’idée vint à M. Rassinier. Naissance du révisionnisme, Fayard, 1996, p. 395. 6. Kadmi Cohen, l’État d’Israël, p. 90. En 1929, Kadmi Cohen proposait de remplacer la déclaration de Balfour par un traité avec les Arabes (L'Univers israélite, 8 novembre 1929, p. 169). 7. Kadmi Cohen, l’État d’Israël, p. 93 et 109-110. 8. Kadmi Cohen, l’État d’Israël, p. 81-82. 9. Kadmi Cohen, l’État d’Israël, p. 89. 10. Kadmi Cohen, l’État d’Israël, p. 190. 11. Kadmi Cohen, l’État d’Israël, p. 191. 12. Kadmi Cohen, l’État d’Israël, p. 192. 13. Kadmi Cohen, l’État d’Israël, p. 223. 14. Paul Rassinier, Le Drame des Juifs européens, p. 129. 15. Pierre Vidal-Naquet, «Un Eichmann de papier», dans Les assassins de la mémoire, Seuil, Point Essais, 1987 — 1ère éd. 1985 —, p. 51-52 16. Pierre Vidal-Naquet, «Un Eichmann de papier», dans Esprit, Septembre 1980, p. 33 17. Le Temps Irréparable (entité sous laquelle se cache Serge Thion), «Un nouveau Jour de la Terre», Communiqué du Temps Irréparable, 12 mars 1997. 18. Serge Thion, Une allumette sur la banquise, Le Temps Irréparable, 1993, chap. 3. 19. La Guerre sociale, Une mise au point de "La Guerre sociale", Paris, mai 1981.

Les falsifications de Rassinier

Où Rassinier invente ce que
Kadmi Cohen n’a pas écrit

Avec la participation pitoyable de Serge Thion


Rassinier est un antisémite totalement obsédé par le fantasme d’un complot juif de domination mondiale, à but lucratif. Il écrit que «les Juifs [...] ambitionnent de s’ériger en une féodalité commerciale qui [...] coifferait le monde entier1». Cela s’inscrit dans la dialectique rassinienne qui consiste à «montrer» que le génocide serait une invention juive à but pécuniaire, dans la mesure où, pour Rassinier, le désir d’argent est consubstantiel aux Juifs.

Pour illustrer ce délire antisémite, Rassinier n’hésitera pas à recourir à l’invention pure et simple, en prêtant à un écrivain français, ancien combattant, sioniste mort à Auschwitz, des propos que celui-ci n’a jamais tenus. Dans Le Drame des Juifs européens, Rassinier glose sur un peuple juif errant par nature et «à la vocation commerciale» quasi essentielle. Rassinier écrit dans le même passage:

«Dans sa phase biblique durant la période ou, successivement Saül, David et Salomon tentèrent de l’installer à demeure et de force au point d’intersection des deux grandes artères commerciales de leur temps qui reliaient en se croisant l’Europe et l’Afrique à l’Asie, je veux dire en Palestine, dans l’espoir d’y vivre en prélevant une dîme sur tous les échanges alors forcés d’emprunter ce passage ; et aujourd’hui, toujours en Palestine où le mouvement sioniste international projette de reconstituer dans la forme d’un État-comptoir, le royaume de Salomon, ce pays se trouvant de nouveau sur la plus importante artère commerciale du monde moderne qui, allant de New York à New York, fait le tour de la Terre en passant par Londres, Paris, Tel-Aviv, Calcutta, Singapour, Hong-Kong, Shangaï et Tokio. c’est, en tout cas, ce qui ressort de la lecture attentive du petit livre d’un certain Kadmi Cohen, porte-parole du Sionisine international qui eut son heure de célébrité entre les deux guerres mondiales : l’État d’Israël (Kra - Paris 1930) dont la thèse quoique présentée en termes volontairement assez vagues pour ne pas laisser percer le bout de l’oreille, semble bien être que le mouvement sioniste international ne doit pas se fixer pour but de rassembler tous les juifs du monde dans un État porté aux dimensions du royaume de Salomon et de les y organiser en nation moderne, mais seulement son aile marchante avec mission d’en faire le port d’attache d’une Diaspora rationnellement répartie aux points de convergence des richesses du monde et qui les rabattrait sur lui2»

Avant de passer à l’analyse de ce morceau d’anthologie, signalons que la suite du passage cité consistait en une falsification de Cicéron par Rassinier, étudiée par ailleurs...

Une première remarque : pour Rassinier, si les Juifs se sont fixés en Canaan il y a de cela plusieurs millénaires, c’est uniquement dans le but de se faire de l’argent sur les échanges qui passaient par la région. Est-il besoin de souligner le caractère délirant, relevant d’un antisémitisme pathologique, d’une telle assertion? Tout cela relève d’un antisémitisme qui tient à la fois de Drumont, des Protocoles des sages de Sion et du nazisme.

Là où cela devient franchement grotesque c’est lorsque Rassinier prétend qu'Israël existe aujourd’hui pour des raisons semblables, uniquement parce que là serait le carrefour des échanges internationaux. Il s’agit en l’occurrence d’une affirmation mensongère au service d’une thèse frelatée. Mais Rassinier pousse la perversion jusqu'à prétendre que c’est un «sioniste», Kadmi Cohen, qui l’aurait lui-même exposée dans un ouvrage, l’État d’Israël, Kra, 1930.

On aura remarqué que Rassinier se garde bien de citer un passage de l’ouvrage de Kadmi Cohen qui corroborerait ce qu'il en rapporte. Et pour cause.

L’auteur de ces lignes, s’est procuré l’ouvrage en question et l’a lu de bout en bout avec une extrême attention. Il lui faut constater que Rassinier a menti de la façon la plus éhontée : à aucun moment, Kadmi Cohen ne présente son projet comme une tentative, à caractère pécuniaire, de mainmise sur un chemin commercial important. Au contraire, Kadmi Cohen souhaite l’avènement «d’une économie autonome3». Il se prononce contre un «Sionisme qui voudrait limiter son activité exclusivement au domaine financier et économique4». c’est exactement l’inverse de ce que lui fait dire Rassinier. Non seulement Rassinier avance des thèses antisémites dont le caractère grotesque le dispute au pathologique, mais il est suffisamment lâche et pervers pour tenter de faire porter le chapeau de ses propres délires à un autre qui n’a jamais émis quoique ce soit qui ressemblât de loin à ce que Rassinier invente, mais qui n’en peut mais au moment où Rassinier écrit, puisque mort à Auschwitz. Il nous faut mentionner le fait que l’auteur de ces lignes n’est pas le premier à avoir relevé la supercherie de Rassinier. Florent Brayard écrivait en 1996 : «Dans les textes de Kadmi-Cohen [...] il ne se trouvait rien de si vil mais seulement de doux rêves, des utopies assez généreuses5»

Si l’on ressent une impression de profonde nausée au fait que Rassinier, pour nourrir sa phobie antisémite et sa négation du génocide juif, ment sur les propos tenus par un Juif lui-même victime du génocide, cela est normal: il s’agit bien d’un procédé répugnant.
 

Kadmi Cohen

Nous pourrions nous arrêter sur cette constatation, mais nous préférons présenter brièvement la figure très atypique de Kadmi Cohen et la thèse qu'il soutient réellement dans l’ouvrage cité.

d’après l’Encyclopaedia Judaïca, Isaac Kadmi Cohen est né en 1892 à Lodz en Pologne, a étudié à Tel Aviv avant de s’installer à Paris comme journaliste et avocat. Il a commencé son parcours politique à gauche mais finit par devenir l’un des responsable de la branche française du sionisme révisionniste (rien à voir avec le négationnisme...) de Jabotinsky. Figure notable certes, mais locale, d’une branche minoritaire du sionisme, et certainement pas «un porte-parole du Sionisme international», comme le présente frauduleusement Rassinier. Marié à une française catholique, il est déporté et meurt à Auschwitz en 1944.

Son ouvrage de 1930 est remarquable pour deux raisons. La première c’est que le pays vers lequel Kadmi Cohen veut faire émigrer les Juifs englobe toute la province de Palestine au sens où on l’entendait alors, Jordanie, Syrie, Sinaï compris. La deuxième est que le projet de Kadmi Cohen est un projet «pansémite» qui englobe Juifs et Arabes dans la même entité politique, les premiers aidant les seconds à se régénérer... Et ce dans la plus stricte égalité: «le vrai, le seul principe ne peut-être que la parité établie une fois pour toutes6». l’étendue du territoire envisagé permet à Kadmi Cohen de concilier ces deux impératifs: la possibilité de l’émigration de tous les Juifs et la cohabitation avec les Arabes7. Ce qui ressort de la lecture de Kadmi Cohen c’est que sa lucidité — sur l’importance des Arabes dans la région — est servie par une naïveté politique confondante. Je cite:

«ce qu'il faut c’est créer une nation unie qui, loin de s’opposer au monde occidental, puisse au contraire l’enrichir de ses apports propres. Pour créer une telle nation, il faut ajouter au fond de la population, incapable de se relever par ses propres moyens, une proportion d’une population qui réveille, anime, complète la première. Il faut qu'elles soient de race commune, que leurs langues soient apparentées, que les mêmes tendances philosophiques les animent, mais que l’une des deux soit passée à la féconde école de l’Occident chrétien: aux Arabes il faut ajouter les Juifs. Pour les uns comme pour les autres, le pansémitisme est la seule panacée8»

On n’en finirait pas d’énumérer les propositions candides de Kadmi Cohen, comme celle de remplacer alphabets hébreux et arabes par un alphabet latin. Quoiqu'il en soit Kadmi Cohen se place dans cet ouvrage en opposition aux sionistes pour lesquels «il ne s’agit que de créer un Foyer National purement juif9»

Le sionisme assez particulier de Kadmi Cohen voudrait résoudre une bonne fois pour toutes «la question juive». Pour lui, tous les Juifs doivent émigrer dans son état pansémite, ou alors s’assimiler totalement «réserve faite de la religion10». Il plaçait «Les lieux Saints de la Chrétienté, avec les voies appropriées, sous le régime de l’extraterritorialité11». l’action politique de ce qu'il appelle «nouveau Sionisme» «est basée sur le Pansémitisme, compris comme parité hébréo-arabe dans les territoires de colonisation sioniste et comme alliance permanente avec les pays arabes environnants12». Citons l’avant dernier article de la constitution que Kadmi Cohen propose, l’article 107 : «Le drapeau de l’Organisation sera provisoirement le drapeau sioniste actuel. Après entente avec les organisations arabes, il sera adopté un drapeau commun13»

Encore une fois, soulignons le caractère consensuel, utopique, et complètement éloigné des réalités politiques et géographiques du Moyen-Orient, du projet de Kadmi Cohen. Son «extrémisme» est, dans cet ouvrage, celui d’un doux rêveur. l’auteur du présent article a du mal à concevoir qu'avec de tels projets, Kadmi Cohen ait pu faire partie du mouvement de Jabotinsky...

Répétons nous: Rassinier a complètement inventé le message qu'il prête à Kadmi Cohen.

Pour l’anecdote, mentionnons le fait que Kadmi Cohen eut un fils en 1938, Jean-François Steiner, auteur d’un livre douteux, et trompeur, sur Treblinka, qui épousa la petite fille du Feld-Maréchal Walter von Brauchitsch, chef des armées d’Hitler. Plus récemment Jean-François Steiner a pris fait et cause pour Maurice Papon et l’a aidé dans sa tentative de fuite à l’étranger.
 

Où Rassinier enfonce son clou

Comme on l’a dit plus haut, suite au passage cité, Rassinier s’est appuyé sur Cicéron, qu'il falsifie à cet usage, pour prétendre que les Juifs de l’antiquité faisaient main basse sur tout l’or du monde romain. Ce mensonge délirant précède un paragraphe que nous devons citer:

«Aujourd’hui, c’est, pour parler par métaphore, l’or de Fort Knox qui est visé. Si l’opération réussissait il suffirait que la branche américaine du mouvement sioniste international mît la main sur Wall-Street, pour qu'il en soit ainsi le port d’attache israélien de la diaspora deviendrait non seulement le Toit commercial du monde atlantique mais, le pétrole étant la source énergétique par excellence de son développement, et son contrôle lui étant assuré en totalité du Moyen-Orient au Texas, le poste de commande aussi de toute son industrie. "Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front" dit l’Éternel à Adam, et à Eve : "Tu enfanteras dans la douleur", en chassant le couple du Paradis terrestre qu'il avait créé à leur intention et pour leur descendance. Les femmes d’Israël continueraient, bien sûr, à enfanter dans la douleur, mais leurs hommes, c’est à la sueur du front des autres qu'ils leur gagneraient leur pain et celui de leurs enfants : le moins qu'alors on pourrait dire, c’est que la qualification de "Peuple élu" à laquelle les juifs prétendent prendrait toute sa signification14»

Notons tout de suite qu'à aucun moment, Rassinier ne prête cette thèse à Kadmi Cohen; l’eût-il fait que cela aurait été une invention de plus. Le paragraphe en question fait suite à la falsification de Cicéron. l’historien Pierre Vidal-Naquet a critiqué ce passage:

«On trouve dans les publications de Rassinier de quoi rassembler tout un florilège des formes les plus stupides et les plus éculées de l’antisémitisme. Dans cette tâche, il se fait du reste aider par des citations d’un extrémiste sioniste délirant : Me Kadmi Cohen15»

A la suite de l’extrait cité, Pierre Vidal-Naquet donnait des exemples tirés du paragraphe de Rassinier cité ci-dessus et critiquait les délires de Rassinier sur la mainmise juive sur l’or romain. La formule utilisée par Vidal-Naquet, «un florilège des formes les plus stupides et les plus éculées de l’antisémitisme» est particulièrement pertinente. Rassinier donne effectivement dans tous les clichés de la haine anti-juive, le juif rapace, le juif comploteur, le juif exploiteur, le juif «élu» pour diriger le monde, le tout dans un passage qui dégouline effectivement et littéralement d’antisémitisme.

Nous devons cependant émettre une réserve. Pierre Vidal-Naquet n’a probablement pas lu l’ouvrage de Kadmi Cohen. Aussi semble-t-il croire ce que Rassinier en rapporte et charge-t-il Kadmi Cohen de l’épithète immérité, en l’occurrence, d’«extrémiste sioniste délirant». Peut-être Kadmi Cohen a-t-il été un extrémiste sioniste délirant, mais ce n’est certainement pas le jugement qui vient à l’esprit à la lecture de l’ouvrage déjà cité, exempt de toute violence, de toute radicalité, de toute agressivité. Vidal-Naquet a cru Rassinier. À tort. l’expérience nous a appris qu'il ne faut jamais croire ce que rapporte un négationniste des ouvrages qu'il prétend citer. Jamais. Cependant le diagnostic de Pierre Vidal-Naquet sur Rassinier, et c’est cela qui compte, est fondamentalement juste : nous sommes bien en présence d’un fanatique antisémite. Ajoutons ceci, qui est implicite, et juste, chez Vidal-Naquet : Kadmi Cohen eût-il écrit ce que Rassinier prétend, mensongèrement, qu'il a écrit, que la thèse en question n’en aurait pas moins été fausse et grotesque. Qu'il est incontestable que Rassinier la fait sienne et que l’adoption (en réalité l’invention) par Rassinier d’un tel délire relève bien de l’antisémitisme. Mais Kadmi Cohen n’a jamais effleuré la thèse délirante de Rassinier. Celui-ci est entièrement responsable de son antisémitisme et de ses mensonges.

L’extrait de Pierre Vidal-Naquet cité ci-dessus est en fait une réécriture d’un article paru dans la revue Esprit en 1980. Le passage en question y était quelque peu différent. En voici le début:

«On trouve dans les publications de Rassinier de quoi rassembler tout un florilège des formes les plus stupides et les plus éculées de l’antisémitisme. La puissance juive, comme centre du commerce et de la banque mondiale remonte très haut dans le temps. Saül, David et Salomon on fait en leur saison ce que fait Israël aujourd’hui, cet "État-comptoir" qui se trouve "sur les plus importantes artères commerciales du monde moderne"; Saül, David et Salomon, donc, "tentèrent de l’installer [le peuple juif] au point d’intersection des deux grandes artères commerciales de leur temps"16»

Suivait déjà la critique des délires de Rassinier sur les Juifs de l’antiquité romaine et d’autres exemples déjà cités. On se rend compte que la mention à Kadmi Cohen, qui ne figure pas dans l’article de Esprit, a été rajouté par Pierre Vidal-Naquet dans les éditions ultérieures de son texte. Il aurait pu s’en abstenir. Étant donnée la tournure du passage de Rassinier, il est incontestable que Rassinier fait sienne la thèse qu'il prête mensongèrement à Kadmi Cohen. Il n’était pas nécessaire de rajouter la mention à ce dernier, et c’était une erreur — qui consiste en un excès de confiance en Rassinier — que de le faire sans vérifier. Mais Pierre Vidal-Naquet a par ailleurs largement su démonter la mécanique négationniste en allant largement vérifier leurs sources. On ne peut que lui reprocher d’avoir rajouté la mention de Kadmi Cohen à la légère.

Il faut dire qu'il s’était trouvé quelqu'un pour reprocher à Vidal-Naquet de ne pas avoir mentionné Kadmi Cohen...
 

Où Serge Thion apporte son soutien à la falsification de Rassinier

Serge Thion est une figure clef du négationnisme francophone. Passé de l’anticolonialisme à l’antisionisme et à l’anti-américanisme, il a, un temps, nié le génocide cambodgien, avant de passer à un négationnisme qui doit tout à son antisionisme («Aider la Palestine? — écrit-il — Envoyez des couteaux de cuisine!17») et qui l’a mené vers les pires délires antisémites. Il a beaucoup écrit en défense et illustration des négationnistes et du négationnisme et beaucoup écrit contre Pierre Vidal-Naquet sur ce sujet.

Serge Thion a traité de l’évocation par Vidal-Naquet, dans l’article paru dans Esprit, de l’antisémitisme de Rassinier. Voici ce que Thion écrit :

«Que l’on m'entende bien: Rassinier, qui, pendant la guerre, avait aidé des juifs à se réfugier en Suisse, a eu, vers la fin de sa vie, alors qu'il était en butte à une véritable persécution, parfois des propos ambigus qui prêtaient le flanc à la critique. Comment démontrer son antisémitisme? En choisissant telle ou telle phrase typique, prise dans les nombreux écrits de Rassinier, comme celle-ci, dans la version Vidal-Naquet: "Que demain, le mouvement sioniste international mette 'la main sur Wall Street' et le port d’attache israélien de la Diaspora deviendrait non seulement le toit commercial du monde atlantique, mais (grâce au pétrole) le port de commande aussi de toute son industrie". Or il se trouve que ces propos n’appartiennent nullement à Rassinier. On les trouve dans une page du Drame des Juifs européens où Rassinier discute un ouvrage sioniste, paru en 1930 chez Kra, l’Etat d’Israel, dont l’auteur se nomme Kadmi Cohen (le père de J.-F. Steiner, l’auteur de la fiction intitulée Treblinka). Les propos jugés antisémites de Rassinier sont donc en fait les propos sionistes de K. Cohen. Je ne suis pas, pour ma part, surpris que l’on puisse confondre, mais de celle de Vidal-Naquet, cela témoigne d’une grosse légèreté, sinon même d’un franc parti-pris18»

Serge Thion commence sa «défense et illustration» de Rassinier par un rappel des mérites supposés de celui-ci. Sauf que l’aide que Rassinier aurait apporté à des Juifs relève sans doute des inventions habituelles de la geste rassinienne. Aucun acte de ce genre ne peut être associé à Rassinier. Les négationnistes ont gobé les mensonges que Rassinier a racontés sur sa résistance et sa déportation. Le portrait qu'ils en dressent est toujours, littéralement, un tissu de mensonges. Mais il faut bien qu'on puisse dire «il ne pouvait pas être antisémite puisqu'il a aidé des Juifs»... Outre qu'on peut aider des Juifs en 1943 et être antisémite en 1964, cela relève d’une dialectique de cour d’école.

Thion poursuit en évoquant «des propos ambigus qui prêtaient le flanc à la critique». c’est ce qu'on peut appeler un paradigme d’euphémisme, étant donnée la nature délirante de l’antisémitisme de Rassinier. Si, aux yeux d’un Thion, Rassinier n’était pas antisémite, qui le serait?

Thion poursuit en accusant Vidal-Naquet de «[choisir] telle ou telle phrase typique, prise dans les nombreux écrits de Rassinier». Or, justement, Vidal-Naquet n’a que l’embarras du choix, étant donnée la logorrhée antisémite rassinienne. Certes, tous les passages de Rassinier ne sont pas antisémites. Mais, non seulement l’antisémitisme imprègne nombre de ses écrits, mais les passages, parfois volumineux, ouvertement antisémites comme ceux déjà cités, le sont sans la moindre ambiguïté.

Là où l’on pénètre dans un pur surréalisme, c’est lorsque Thion, à propos des passages cités par Vidal-Naquet, écrit que «ces propos n’appartiennent nullement à Rassinier. On les trouve dans une page du Drame des Juifs européens où Rassinier discute un ouvrage sioniste, paru en 1930 chez Kra, l’Etat d’Israël, dont l’auteur se nomme Kadmi Cohen [...]. Les propos jugés antisémites de Rassinier sont donc en fait les propos sionistes de K. Cohen». Tout cela relève de la fraude la plus éhontée. d’abord, Rassinier ne «discute» pas de l’ouvrage de Kadmi Cohen. Il prétend en exposer la thèse, mais la thèse qu'il présente comme celle de l’ouvrage de Kadmi Cohen n’est absolument pas celle de Kadmi Cohen. Il s’agit d’une invention mensongère de Rassinier, ainsi qu'on l’a vu. «Ces propos», que Vidal-Naquet juge antisémites chez Rassinier, appartiennent bien à Rassinier et à lui seul, contrairement à ce qu'affirme Serge Thion. Vidal-Naquet saute l’exposé — frauduleux — que Rassinier fait de l’ouvrage de Kadmi Cohen. De plus, à aucun moment, Rassinier ne prétend donner de citation de Kadmi Cohen (et pour cause). Il est donc particulièrement malhonnête de prétendre que Rassinier «rapporte les propos sionistes de Kadmi Cohen». En fait, Serge Thion commet un mensonge éhonté en écrivant que les propos discutés par Pierre Vidal-Naquet «n’appartiennent nullement à Rassinier». Thion a menti tout comme Rassinier a menti. Et Thion s’est, de toute évidence, abstenu de vérifier ce que contenait réellement l’ouvrage de Kadmi Cohen. Étant donné le type de reproche qu'il fait à Vidal-Naquet, c’est pour le moins scandaleux.

Serge Thion qui accuse Pierre Vidal-Naquet de «grosse légèreté» et de «franc parti pris», Serge Thion qui n’est pas surpris «qu'on puisse confondre» des propos antisémites et des propos (mensongèrement attribués à Kadmi Cohen) qu'il qualifie de sionistes aurait mieux fait, lui, de vérifier, avant de faire quelque reproche que ce soit, en l’occurrence parfaitement injustifié, à Pierre Vidal-Naquet. Encore une histoire de pailles et de poutres... Mais aux yeux d’un Serge Thion, il parait normal qu'un sioniste tienne des propos avides d’argent et appelant à la domination mondiale, surtout si ces propos sont rapportés par le guru posthume de la secte négationniste, l’imposteur Rassinier. Serge Thion est de toute évidence prêt à souscrire à n’importe quelle bobard antisémite de Rassinier qui charge un «sioniste». Cela serait comique si cela n’était pitoyable. La seule légèreté à reprocher à Vidal-Naquet, c’est d’avoir rajouté la mention de Kadmi Cohen dans les éditions ultérieures de son texte!

c’est bien Serge Thion le coupable de «grosse légèreté», le coupable de «franc parti pris». In fine, Serge Thion ment. Il est de facto complice de la falsification antisémite de Rassinier. Il n’est d’ailleurs pas le seul. Les agités maxi-marxistes de l’ultra-gauche négationniste, en l’occurrence ceux du groupuscule «La Guerre sociale», avaient adhéré en 1981 à la même falsification de Rassinier19. Pas de surprise.

                 

Notes.

1. Paul Rassinier, Le Drame des Juifs européens, les Septs Couleurs, 1964, p. 136.

2. Paul Rassinier, op. cit., p. 128.

3. Kadmi Cohen, l’État d’Israël, Kra, 1930, p. 111.

4. Kadmi Cohen, op. cit., p. 122.

5. Florent Brayard, Comment l’idée vint à M. Rassinier. Naissance du révisionnisme, Fayard, 1996, p. 395.

6. Kadmi Cohen, l’État d’Israël, p. 90. En 1929, Kadmi Cohen proposait de remplacer la déclaration de Balfour par un traité avec les Arabes (L'Univers israélite, 8 novembre 1929, p. 169).

7. Kadmi Cohen, op. cit., p. 93 et 109-110.

8. Kadmi Cohen, op. cit., p. 81-82.

9. Kadmi Cohen, op. cit., p. 89.

10. Kadmi Cohen, op. cit., p. 190.                

11. Kadmi Cohen, op. cit., p. 191.

12. Kadmi Cohen, op. cit., p. 192.

13. Kadmi Cohen, op. cit., p. 223.

14. Paul Rassinier, op. cit., p. 129.

15. Pierre Vidal-Naquet, «Un Eichmann de papier», dans Les assassins de la mémoire, Seuil, Point Essais, 1987 — 1ère éd. 1985 —, p. 51-52

16. Pierre Vidal-Naquet, «Un Eichmann de papier», dans Esprit, Septembre 1980, p. 33.

17. Le Temps Irréparable (entité sous laquelle se cache Serge Thion), «Un nouveau Jour de la Terre», Communiqué du Temps Irréparable, 12 mars 1997.

18. Serge Thion, Une allumette sur la banquise, Le Temps Irréparable, 1993, chap. 3.

19. La Guerre sociale, Une mise au point de "La Guerre sociale", Paris, mai 1981.

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