16. Ministère du Reich pour les territoires occupés de l’Est, projet de lettre signé : Wetzel, Berlin, le 25 octobre 1941, objet : solution de la question juive, dans P. JOFFROY ET K. KONIGSEDER, Eichmann par Eichmann, texte établi par Pierre Joffroy et Karin Königseder, Paris, 1970, p. 162-163. 17. Voir Y. TERNON et S. HELMAN, Le massacre des aliénés, des théoriciens nazis aux praticiens, Ed. Casterman, Paris. 18. Wetzel écrivait : «à l’heure actuelle, on évacue des juifs de l’ancien Reich pour les envoyer à Litzmannstadt [Lodz dans le Warthegau], et d’autres camps encore, d’où ils partiront vers l’Est, et, s’ils sont aptes au travail, dans les camps de travail». 19. CDJC/CDXCVI. Le commandant militaire en Belgique et dans le Nord de la France, chef de l’administration militaire, groupe : pol., Bruxelles, le 27 octobre 1942, aux Ober- et Feldkommandantures, concerne : procédure de transfert dans le Reich et de déportation dans le territoire de l’Est, dans S. KLARSFELD et M. STEINBERG, Dokumente, Die Endlösung der Judenfrage in Belgien, p. 51. 20. Doc. PS 447, directive du Haut Commandement de la Wehrmacht, signée : Keitel, le 13 mars 1941. 21. M. STEINBERG, Dossier Bruxelles-Auschwitz, p. 120. 22. Les ordres donnés à Pretszch semblent avoir été fort vagues. L’ordre d’assassiner également les femmes et les enfants serait intervenu une fois le massacre entamé. Au procès dit des «Einsatzgruppen» à Nuremberg en 1947/1948, le général S.S. Erwin Schulz, également docteur en droit et présent à l’école de Pretszch en mai 1941, apprit seulement — selon ses dires — le 10 août 1941 que les femmes et les enfants devaient être tués comme les hommes. A sa demande, il fut relevé, le 25 septembre 1941, du commandement du commando d’action 5 dans le Groupe C. Voir F. BAYLE, Psychologie et éthique du national-socialisme, P.U.F., Paris, 1953, p. 99. 23. Le cas le plus remarquable est celui du général de brigade S.S. Heinz Jost, docteur en droit comme Ehlers et son aîné de quatre ans. Il demanda d’être relevé du commandement du Groupe A où il avait succèdé à Franz Stahlecker. Himmler et Heydrich lui laissèrent son grade de général de la police, mais il fut muté sur le front avec le grade de sergent dans la Waffen S.S.. Ibidem, p. 91. 24. Doc PS 1919, Discours d’Himmler à Posen, devant les généraux S.S., le 4 octobre 1943, cité d’après H. MONNERAY, op. cit., p. 66. 25. Discours de Himmler aux Reichsleiter et Gauleiter, à Posen, le 6 octobre 1943, dans H. HIMMLER, Discours secrets, Paris, 1978, p. 167-168. 26. Discours d’Himmler aux généraux S.S. à Posen, le 4 octobre 1943, d’après F. BAYLE, op. cit., p. 438-439. 27. Lettre du commandant de la SIPO-SD en Ryuthénie blanche à l’état-major personnel du R.F.S.S., signé lieutenant-colonel Strauch, Minsk, le 20 juillet 1943, citée d’après W. HOFER, Le national-socialisme par les textes, p. 297-298. 28. Voir sur E. Strauch, A. DE JONGHE, «La lutte Himmler-Reeder pour la nomination d’un HSSPF à Bruxelles — Cinquième partie : Salzbourg avant et après — Evolution policière de septembre 1943 à la fin de l’occupation», dans Cahiers d’Histoire de la Seconde Guerre Mondiale, Bruxelles, 8, octobre 1984, p. 100-101. 29. NO-4315. Lettre de Berger [chef de l’Office central de la S.S.] à Brandt [état-major personnel de Himmler], 18 août 1943, cité d’après R. Hilberg, La Destruction des Juifs d’Europe, p. 335, n.81 30. Cité d’après R. HILBERG, ibidem, p. 334 note 80. 31. NO-600, Lettre de Grawitz à Himmler, le 4 mars 1942, citée dans R. HILBERG, ibidem, p. 283. 32. Voir F. BAYLE, op. cit., p. 145. 33. Procès-verbal de C. Canaris, le 18 juin 1946, cité d’après A. DE JONGHE, «La lutte Himmler-Reeder» dans Cahiers d’Histoire de la Seconde Guerre Mondiale, Bruxelles, 8, octobre 1984, p. 101 note 403. 34. Mémoire de E. Strauch, le 8 mai 1947, cité d’après A. DE JONGHE, ibidem, p. 101 note 403. 35. Dans son étude du comportement des inculpés du procès des Groupes d’action à Nuremberg, François Bayle constate que «des sanctions disciplinaires : déplacements et retrogradations, frappèrent les chefs de groupes ou de commandos qui refusèrent d’exécuter les ordres d’extermination» (F. BAYLE, op. cit. , p. 179). 36. Himmler n’est pas parvenu à installer le général S.S. R. Junglaus comme chef supérieur de la S.S. et de la Police en Belgique et dans le Nord de la France au printemps 1942. 37. J. BILLIG, «Expertise sur la connaissance par le S.S. Oberstrurmbannführer Ehlers du sens réel de la déportation des Juifs de Belgique», dans M. STEINBERG, Dossier Bruxelles-Auschwitz , p. 201. 38. Ibidem, p. 201. 39. Voir le compte rendu de l’audience du 29 juin 1981, par L. De Lentdecker, dans De Standaard, 30 juin 1981, reproduit dans S. KLARSFELD et M. STEINBERG, Le Mémorial de la déportation des Juifs de Belgique. La fin du volume est consacré à cet épilogue judiciaire et le reconstitue à l’aide des coupures de presse. 40. Voir le compte rendu de la dernière audience par J.P. C[olette], dans Le Soir, 3 juillet 1941. L’accusait ajoutait qu’«il est donc faux d’affirmer que je n’ai pas de regret». Il répondait ainsi à la partie civile. Elle avait dénoncé son mutisme.«Sans même avouer le rôle qui fut le sien», avait-elle déclaré, «il pouvait tout au moins regretter les crimes que le service dont il était un agent a commis contre tant d’êtres humains, hommes, femmes, enfants et vieillards». 41. Les extraits les plus significatifs du verdict sont publiés dans S. KLARSFELD et M. STEINBERG, Le Mémorial de la déportation des Juifs de Belgique, non paginé. 42. Le 29 juin 1981, dans ses préliminaires, le conseil de l’accusé, ancien bâtonnier de l’ordre des avocats de Kiel, déclarait volontiers : «Nous aussi, nous disons que Hitler voulait exterminer les Juifs et que sa volonté fut exécutée en 1942». 43. Ces pièces d’archives ignorées du parquet et produites par la partie civile sont les compte rendu des entretiens de l’officier S.S. avec les délégués du conseil juif qui fonctionnait sous son contrôle personnel. 44. Ministère de la Santé Publique et de la Famille. Administration des Victimes de la Guerre. Procès-Verbaux du Comité directeur de l’Association des Juifs en Belgique, compte rendu de l’entretien au Sicherheitsdienst, en date du 23 octobre 1942 dans S. KLARSFELD et M. STEINBERG, Dokumente. Die Endlösung …in Belgien, p. 53. Voir aussi M. STEINBERG, L’Etoile et le Fusil, 1942, Les cent jours de la déportation des Juifs de Belgique, Bruxelles, 1984, t. II, p. 16. 45. Doc. Nuremberg, PS 1919, discours d’Himmler devant les généraux S.S., à Posen, le 4 octobre 1943. 46. Voir M. STEINBERG, L’Etoile et le Fusil, La Traque des Juifs, t. III, vol. 1, p. 214 ss. 47. Doc. Nuremberg NG-5219. AA. 17 nov. 1942, Service des Affaires étrangères, Bruxelles, au Service des Affaires Etrangères, Berlin, Bruxelles le 11 novembre 1942, concerne : Juifs en Belgique signé : Bargen, publié dans S. KLARSFELD et M. STEINBERG, Dokumente, Die Endlösung der Judenfrage in Belgien, p. 54-55. 48. Le chiffre de 20 000 personnes à déporter jusqu’en octobre 1942 correspond à celui que donne l’ancien commandant d’Auschwitz Rudolf Höss. Revenant dans ses Mémoires sur ses premières dépositions judiciaires quant au nombre de Juifs morts dans son camp, il «considère le chiffre de deux millions et demi comme beaucoup trop élevé». Lui, il «ne [se] souvient[t] que des chiffres des “actions” plus importantes qui […] ont souvent été indiqués par Eichmann ou ses délégués» et ici, il citait le chiffre «belge» de 20 000 (Voir Auschwitz vu par les S.S., p. 132-133). 49. J.B. «Quelques réflexions sur les déclarations fondamentales des accusés», dans Mémoire du Génocide, p. 443. 50. Dannecker, condamné à mort par contumace en France en 1950, est présumé s’être pendu, le 10 décembre 1945, dans la prison américaine de Bade-Tolz. 51. Doc. CDJC CDLXXXI- 5b, Jugement du procès Lischka-Hagen-Heinrichshon 23 octobre 1979-11 février 1980, p. 279.«il faut agir radicalement. Quand on arrache une dent, on l’arrache d’un coup et la douleur tarde à disparaître […] Moi, je me borne à leur dire [aux Juifs] qu’ils doivent s’en aller. S’ils cassent leur pipe en route, je n’y puis rien. Mais s’ils refusent de partir volontairement, je ne vois pas d’autre solution que l’extermination. Pourquoi ne considérais-je un juif avec d’autres yeux qu’un prisonnier russe ? Dans les camps de prisonniers, nombreux sont ceux qui meurent. Ce n’est pas ma faute. je n’ai voulu, ni la guerre, ni les camps de prisonniers. Pourquoi le juif a-t-il fomenté cette guerre ? Il se passera bien trois cents à quatre cents ans avant que les juifs reprennent pied en Europe».
Maxime Steinberg
Les yeux du témoin
et le regard du borgneL’Histoire face au révisionnisme
«L’histoire à vif». Les Éditions du Cerf, Paris 1990. ISBN 2-204-04107-6.
© Les Éditions du Cerf 1990, Maxime Steinberg 2009.
Chapitre 5
Un «plus loin à l’Est» par trop explicite
- Une mesure de rechange
- L’«image d’horreur» à l’Est
- L’objection de conscience ?
- Je l’ai connu trop tard
Une mesure de rechange
Le tribunal supérieur du Schleswig-Holstein connaissait, dans le texte pour l’essentiel, les explications d’Eichmann à l’intention des responsables des détachements de la Sécurité du Reich à l’Ouest. Le chargé des affaires juives de Paris, le capitaine S.S. Théodore Dannecker avait rédigé un compte rendu de la conférence du 11 juin 1942 où lui avait été communiquée, ainsi qu’à ses collègues de Bruxelles et de La Haye, la décision fatidique d’entamer la déportation des Juifs de l’Ouest. Le document Dannecker était destiné à ses supérieurs hiérarchiques en France. Nommément, il mentionnait le lieutenant-colonel Kurt Lischka. Communication administrative à l’époque, la pièce d’archives a accusé, au procès de Cologne, l’ancien officier S.S., principal inculpé de cette affaire «française». Le second destinataire du rapport Dannecker était le colonel S.S. Helmut Knochen, l’homologue d’Ehlers en France. Le nom de ce dernier n’y était évidemment pas cité, mais la pièce est tout aussi déterminante dans la décision judiciaire qui le concerne. Son système de défense lui interdisait d’en refuter le contenu. Le prévenu avait, pour exploiter l’argument de la «mise au travail», reconnu qu’à l’époque, son propre chargé des affaires juives lui avait — comme Dannecker à Knochen et à Lischka — rendu compte des résultats de la réunion chez Eichmann, le 11 juin. Rapportées dans le texte de Dannecker, les explications d’Eichmann permettent aux magistrats du Schleswig-Holstein d’apprécier ce que Ehlers a pu, s’il en avait ignoré le sens réel, soupçonner de cette déportation imminente des Juifs de son territoire. A Berlin, Dannecker avait appris que «des raisons militaires s’opposent, cet été, au départ des Juifs d’Allemagne vers la zone d’opération de l’Est. Ainsi le Reichsführer S.S. a-t-il ordonné de transférer au KZ Auschwitz une plus grande quantité de Juifs en provenance de l’Europe du Sud-Est [Roumanie] ou des régions occupées de l’Ouest1». Dans son raccourci, l’exposé d’Eichmman était lourd de sens, pour un homme de l’expérience d’Ehlers. «Il est impossible», estime la décision de le juger, «qu’il puisse attendre des indications plus claires de la part de [l’Office Central de la Sécurité du Reich] en ce qui concerne les déportations à l’Ouest». C’est qu’«il avait été dit», constatent les magistrats du Scheslwig-Holstein, «que la déportation vers Auschwitz était en même temps une mesure de rechange pour la déportation des Juifs dans les secteurs sous contrôle des Groupes d’action à l’Est». «Ehlers», acte le tribunal, «savait par sa propre expérience exactement ce que les commandos des Groupes d’Action “au théâtre des opérations de l’Est” faisaient avec les Juifs2». Lorsqu’il vint prendre ses fonctions dans la capitale belge le 1er novembre 1941, le policier S.S. arrivait précisément du territoire soviétique occupé. Là, l’«image d’horreur» qu’affichait l’extermination n’était pas voilée comme elle l’était dans la «façon» d’Auschwitz.
L’«image d’horreur» à l’Est
Les archives nazies sont on ne peut plus explicites sur le sort des Juifs soviétiques. Dans les territoires occupés de l’U.R.S.S., «la police de sécurité avait, selon ses propres termes, pour tâche fondamentale d’opérer une élimination aussi complète que possible des Juifs conformément aux ordres reçus. C’est pourquoi, ajoute-t-elle, des commandos spéciaux […] procédaient à des exécutions en masse tant dans les villes qu’à la campagne3». Sa détermination «à résoudre la question juive par tous les moyens» est chiffrée, en 1941 encore, dans le rapport sur le nombre d’exécutions du Groupe d’action A4. Quatre mois à peine après le début des opérations, ce seul Groupe — trois autres opèraient également — totalisait déjà 135 567 victimes à la date du 15 octobre. 123 932 y sont désignées sous la rubrique «Juifs», les autres étant des communistes, parfois encore confondus avec d’autres Juifs. Le ressort territorial du Groupe A comprenait les Pays Baltes, mais il s’étendait aussi, au Sud, en Ruthénie blanche. Cette région «mise à part, 229 052 juifs ont été exécutés», annonçait le Groupe A à la fin de janvier 19425. Le territoire excepté n’avait nullement été épargné. Le bilan y était tout aussi macabre : «41 000 Juifs ont déjà été fusillés. Ce travail, a soin de préciser le Groupe, ne comprend pas ceux qui ont été fusillés à la suite des commandos d’action qui nous ont précédés». Ces derniers relevaient d’un autre Groupe, celui précisément où avait officié Ernst Ehlers, le Groupe B. Eux aussi, ils avaient communiqué leurs chiffres. Le 14 novembre 1941 — Ehlers était muté depuis un mois exactement — un document berlinois mentionne un bilan partiel du Groupe : 45 467 morts6.
Si les archives nazies relatives au sort des Juifs de l’Est dévoilent en chiffres ce que la solution finale signifiait pour un ancien officier du Groupe B en poste à l’Ouest, elles révèlent aussi le sens très précis de l’«action spéciale» des S.S.. Le très officiel compte rendu des événements [survenus en] U.R.S.S. n° 148 daté du 19 décembre 1941 donne le détail de celles du Groupe B. Ce document émanant du chef de la police de sécurité à Berlin n’a pas, quant à lui, la discrétion à laquelle est tenu un sous-lieutenant S.S.. Dans les notes quotidiennes du médecin d’Auschwitz, l’«action spéciale» demeure mystérieuse. Le journal de Kremer évoque bien, à cette occasion, des «scènes épouvantables» où l’on supplie «d’avoir la vie sauve», mais le texte reste, dans sa lettre, impénétrable quant à la façon de cette «extermination». Le document Kremer ne dit jamais comment sont disparus les 6 732 déportés d’Europe occidentale dont la trace s’est perdue aux dates de ses «actions spéciales». Le document berlinois, lui, parle, en clair. Dans le détail, il s’agit ici de rien moins que de «fusiller 5 281 Juifs des deux sexes, au cours d’une action spéciale» à Bobrouisk; non loin de là, à Paritschi, s’est déroulée une autre «action spéciale au cours de laquelle 1 013 Juifs des deux sexes furent fusillés». Toujours à la rubrique des «actions spéciales», le compte rendu signale encore que «le ghetto de Vitebsk fut évacué» et que «4 090 Juifs des deux sexes au total [y] furent passés par les armes7». Selon un document antérieur relatif aux «évènements» d’octobre 1941, «la liquidation totale [restlosen liquidierung] des Juifs restants du ghetto de Vitebsk» avait débuté le 8 et, ajoutait le document utilisant un autre code que l’«action spéciale», «le nombre de Juifs soumis au traitement spécial s’élève à environ 3 0008».
Qu’il s’agisse des «actions spéciales» ou du «traitement spécial» appliqués aux Juifs soviétiques, les rapports de la police et de la S.S. chiffrent l’horreur; documents administratifs, ils ne la disent pas. Parfois, — ainsi, le rapport d’activité du Groupe A —, il leur faut reconnnaître «la rigueur exceptionnelle de ces mesures qui heurtaient même les sentiments allemands9». C’est que trop souvent, «ces fusillades étaient publiques10». Le «compte rendu que [il a] sous les yeux» l’apprend, en octobre 1941, à l’expert pour les affaires juives du Ministère du Reich pour les territoires occupés de l’Est : il s’agit ici d’«incidents» survenus à Vilna dans la zone d’opération du Groupe B. Dans celle du Groupe C, c’est l’Inspection de l’armement en Ukraine qui en témoigne : il lui faut dire en décembre 1941 que «l’action qui s’étendait aux hommes et aux vieillards, aux femmes et aux enfants étaient menée d’une façon affreuse». Consterné, cet organisme de l’armée s’imagine qu’«il n’y en a pas eu à ce jour de plus gigantesque dans l’Union soviétique par la quantité inouïe des arrestations, le nombre des exécutions atteignant facilement 150 000 à 200 000 juifs pour la partie de l’Ukraine contrôlée par le Commissariat du Reich, et ceci sans tenir compte des nécessités économiques11». Les témoins allemands scandalisés qui ont laissé des traces écrites de l’horreur n’étaient nullement des opposants au régime nazi. Si, parfois, l’humanité proteste dans leurs écrits, ils ont tout au plus de la compassion pour la souffrance humaine. Ils étaient témoins — l’ancien commandant d’Auschwitz, Rudolf Höss l’exprime fort bien dans ses Mémoires — de «scènes qui serreraient le cœur de tout être susceptible d’éprouver encore un sentiment humain». Lui, il «devai[t] paraître froid et sans cœur devant [c]es scènes», il lui arrivait de ne pouvoir
«même pas [se] détourner, lorsqu’une émotion qui n’était que trop humaine, s’emparaît de» lui. «Je devais, confie-t-il, regarder avec indifférence les mères qui entraient dans les chambres à gaz avec leurs enfants qui riaient ou qui pleuraient». «Saisi de pitié, [il] aurai[t]», selon son témoignage d’après coup, «souhaité disparaître, mais il ne […] était pas permis de trahir la moindre émotion12».
Les lignes horrifiées écrites à l’époque de l’extermination n’expriment également aucune sympathie pour les victimes juives. Les témoins oculaires nazis ne protestent pas contre le principe de leur mise à mort. Ce qui les choque en dépit de leur nazisme, c’est la manière de la pratiquer.
Le témoin allemand de l’«opération contre les Juifs» de Sluszk en Ruthénie blanche, le 27 octobre 1941 «doi[t] dire, à [s]on profond regret qu’elle frisait de près le sadisme». Ce commissaire du territoire décontenancé en oublie la retenue de convenance devant l’«image d’horreur» que «la ville elle-même offrait […] durant l’opération». Dans le crescendo de son témoignage, le fonctionnaire nazi rapporte maintenant sans détour qu’
«avec une brutalité indescriptible, de la part tant des officiers allemands que tout particulièrement des partisans lithuaniens, les Juifs, mais aussi certains Blancs-Ruthènes étaient tirés de leurs demeures et rassemblés. Partout dans la ville, on entendait des coups de feu et dans différentes rues, les corps des Juifs fusillés s’entassaient13».
Cette image horrible que saisit le regard du témoin nazi au contact quasi-physique avec les cadavres explique la qualité historique de son témoignage. Sa personnalité est ici secondaire. En ce sens, la médiocrité du journal du médecin S.S. d’Auschwitz n’est pas seulement imputable à l’impassibilité clinique du professeur d’anatomie. Le docteur Kremer n’a toujours aperçu «le comble de l’horreur» qu’au spectacle des «scènes atroces devant le bunker». Ses notes d’«actions spéciales» ne saisissent pas l’atrocité de «l’extermination» à l’intérieur du local. Les déportés inaptes au travail y entraient, mais ils ne mouraient pas sous son regard. A la différence du commandant d’Auschwit, lui, il n’avait pas à se préoccuper de faire disparaître les cadavres retirés des chambres à gaz. Son témoignage ne couvre pas tout le processus du massacre d’Auschwitz.
Le témoin oculaire du massacre de Sluszk lui, non plus, n’a pas tout vu. Il n’a «pas assisté à la fusillade aux abords de la ville», là où la masse des Juifs étaient conduits, mais — à la différence de Kremer — il a été si impressionné par ce qu’il a vu à Sluszk même, qu’il lui a fallu aussi porter témoignage sur ce qu’il n’avait pas vu et qu’il savait le plus horrible. Dans ce compte rendu officiel à l’autorité supérieure, le fonctionnaire nazi ne s’autorise toutefois à ne «faire aucune déclaration à ce sujet. Mais il […] suffira de dire que parmi les personnes fusillées, certaines réussirent à se frayer un chemin et à sortir de leurs tombes peu de temps après qu’elles eurent été recouvertes de terre». L’image a épouvanté au plus haut point le commissaire général de la Ruthénie blanche recevant ce rapport. A son tour, Wilhelm Kube tint à faire connaître — mais à titre «personnel» — son sentiment au commissaire du Reich pour les territoires de l’Est. «Enterrer vivants des gens gravement blessés qui réussissent à sortir de leurs tombes est un acte tellement bas et malpropre que cet incident devrait être rapporté tel quel au Führer et au Maréchal du Reich», à Goering, estimait le dignitaire nazi14.
Hitler n’était absolument pas disposé à accepter de telles récriminations qu’il préférait imputer à «la bourgeoisie». Décidé selon ses propres termes à «agir radicalement», il ne voyait pas, lui, «d’autre solution que l’extermination15». Grâce au concours de sa chancellerie personnelle, les spécialistes de la «la question juive» venaient précisément de découvrir le moyen d’éviter de tels «incidents […] au cours des fusillades de Juifs16». Désormais, ils «ne seront plus tolérés et ne seront plus possibles», expliquait l’expert des affaires juives dans les territoires de l’Est, à la fin d’octobre 1941. Alfred Wetzel s’était entretenu avec le major S.S. Eichmann et il avait appris que «des camps sont prévus pour les Juifs à Riga et à Minsk où pourront être transférés même les Juifs de l’ancien Reich». Il savait aussi que «M. Brack, chef supérieur du service de la chancellerie du Führer, s’est déclaré prêt à collaborer à l’installation des baraquements nécessaires et des appareils à gaz». Le Général S.S. Victor Brack, attaché à la chancellerie personnelle de Hitler, était le chef de la commission de travail du Reich pour les établissement thérapeutiques et hospitaliers qui siègeait à la Tiergartenstrasse, 4 à Berlin. L’adresse a donné le code de l’opération T 4, à savoir l’assassinat systématique sous couvert d’euthanasie de dizaines de milliers de malades mentaux et de personnes impotentes de nationalité allemande17. Wetzel communiquait l’adresse du service Brack. Pour «la solution de la question juive», il fallait désormais faire appel — par la voie hiérarchique — à ses chimistes car «Brack estime qu’il sera plus facile de fabriquer ces appareils sur place plutôt que dans le Reich». «Le Major Eichmann, chargé des questions juives à l’Office Central de la Sécurité du Reich, [était] d’accord». En ce mois d’octobre 1941 — crucial pour le destin des Juifs de toute l’Europe —, l’expert des affaires juives à l’Est considérait, «à en juger par la situation actuelle», qu’«il n’y [avait] aucun scrupule à avoir pour liquider, selon la méthode Brack, les juifs inaptes au travail». Les autres seraient internés «dans les camps de travail», tandis qu’eux partiraient «vers l’Est18».
C’est le sens macabre de cette fameuse «déportation vers l’Est» considérée à l’Ouest dès 1942 comme «une mesure d’un autre caractère et plus sévère que le transfert habituel dans un camp de concentration19». Le service d’Ehlers en avait été informé sous le sceau de secret. Certes, arrivé en Belgique en novembre 1941, l’ancien officier du Groupe B n’avait pas connu à l’Est les modalités de la «méthode Brack». En revanche, et de son propre aveu, il était pleinement conscient du caractère criminel de l’activité des S.S. à l’Est. A le suivre dans ses explications, cet officier S.S. aurait même été, pour tout dire, une sorte d’objecteur de conscience.
L’objection de conscience ?
Selon son témoignage, c’est sa «conscience», en effet, qui lui aurait «interdi[t]» de «participer à l’extermination de personnes innocentes» dans la zone soviétique. En mai 1941, peu avant l’attaque contre l’U.R.S.S., Ehlers avait bien été convoqué à l’Ecole de police de Pretzsch comme les autres officiers S.S. des 4 Groupes d’action en formation. Il venait de la Gestapo de Leignitz dont il était le chef depuis mai 1940. Universitaire comme Kremer, l’homme avait un tout autre profil que le professeur de l’université de Münster. Lui, il avait adhéré au parti dès 1928 à l’âge de 19 ans. Juriste de formation, il était entré en 1937 à la section juridique de la Gestapo du Reich et, deux ans plus tard, l’homme siègeait rien moins qu’au quartier-général du Service de Sécurité de la S.S. à la tête d’une des sections du département III. Les officiers S.S. convoqués à Pretzsch n’étaient pas les premiers venus. Les «tâches spéciales20» confiées au Reichsführer S.S. dans les territoires soviétiques à occuper appelaient des cadres de confiance. Selon Ehlers, les instructions données à l’école de police précisaient «que les Juifs russes étaient tous sans exception des fonctionnaires bolchéviks et donc “à liquider”21». Ces ordres, a-t-il néanmoins admis, visaient en réalité à la liquidation totale des Juifs. Et c’est précisément pour cette raison que lui, Ehlers, il aurait décliné le poste offert à la tête du commando d’action 8 du groupe B22. «J’ai été le seul[sic23]», a-t-il même prétendu, «à refuser le commandement d’un commando car ma conscience m’interdisait de participer à l’extermination de personnes innocentes», à la «Vernichtung unschuldiger Menschen» selon les termes allemands de cette déclaration publiée dans un journal de Flensburg en 1975. L’année précédente, un non-lieu avait mis le terme final à la très longue instruction entamée … douze ans auparavant à charge de l’ancien officier S.S. du Groupe B !
Son prétendu refus «de participer à l’extermination de personnes innocentes» mérite toutefois d’être évalué selon des critères historiques. S’ils font parfois le travail des historiens, les tribunaux n’appliquent pas leur méthode. Le témoignage de Ehlers sur son rôle dans les territoires soviétiques occupés n’échappe pas à la critique historique. S’il manque des sources d’époque relatives à son activité personnelle dans le Groupe B, ce qu’en dit après coup cet officier S.S. de haut rang est à évaluer selon les normes en vigueur à l’époque. Le critère obligé est ici le fameux discours de Himmler devant ses généraux réunis à Posen, le 4 octobre 1943. C’est dans cette circonstance qu’il leur avait rappelé que «la plupart d’entre-[…] sav[ai]ent ce que c’[était] que de voir un monceau de 100 cadavres, ou de 500, ou de 1 000». Il leur avait parlé «très franchement d[u] sujet extrêmement difficile» de «l’évacuation des Juifs, de l’extermination du peuple juif». Si «en public», ils ne devaient «jamais en parler», lui, il leur proclamait que «c’est une page de gloire de [leur] histoire qui n’a jamais été écrite et ne le sera jamais24». C’est qu’elle était, dans le discours himmlérien, le banc d’épreuve de leurs «qualités». Les «mots» du Reichsführer S.S. étaient «très clairs» et «ne laiss[aient] aucun doute». Dans ce corps d’élite, l’«obéissance» des S.S. venait immédiatement après cette «fidélité» qui était leur «honneur». Il fallait, selon Himmler, que les chefs S.S. fussent «un exemple d’obéissance». Le lieutenant du Führer leur concédait «le droit et la responsabilité d[e] discuter» un ordre jugé erroné. «Dans la majorité des cas, l’ordre sera confirmé; il faut alors l’exécuter malgré tout». Ce principe d’obéissance ne souffrait aucune exception : l’ordre «doit être exécuté non seulement dans sa lettre, mais dans son esprit». Himmler accordait néanmoins au S.S. qui «ne peut prendre la responsabilité d’exécuter l’ordre donné» le droit «d’en être libéré». «On pensera», concluait-il sarcastique, «que les nerfs du subordonné ne sont plus en ordre, qu’il est devenu trop faible et on dira alors : “très bien, qu’il prenne sa retraite”». Une telle «faiblesse humaine» n’avait pas sa place dans la S.S.. La dureté était une composante de l’«honneur», vertu cardinale de l’Ordre noir. Dans cette «page de gloire» écrite avec le sang des Juifs massacrés, les S.S. s’étaient élevés en dignité. «Avoir passé par là, et en même temps, sous réserve des exceptions dues à la faiblesse humaine, être resté un honnête homme, voilà qui nous a endurcis», leur déclarait leur chef.
Himmler ne tenait pas exactement le même discours devant les dignitaires du parti. Trois jours plus tard, le 6 octobre toujours à Posen, il se livrait à de nouvelles confidences devant le «cercle restreint extrêmement réduit»«cercle restreint extrêmement réduit» des Reichsleiter et des Gauleiter. Le Reichsführer S.S. venait de leur exposer qu’«il a[vait] fallu prendre la grave décision de faire disparaître ce peuple de la terre». Et d’enchaîner que «ce fut pour l’organisation qui dut accomplir cette tâche la chose la plus dure qu’elle ait connue». L’aveu était, de sa part, une autre manière de présenter cette «page de gloire» qui ne devait «jamais» être écrite mais dont les initiés devaient être avertis au bénéfice de sa S.S.. L’extermination des Juifs, se plut à dire Himmler aux chefs nazis impliqués par ses confidences, comportait le risque de «devenir trop dur, [de] devenir sans cœur et [de] ne plus respecter la vie humaine». Dans le mythe himmlérien, c’était Charybde. Avec Sylla, le S.S. risquait de «devenir trop mou et [de] perdre la tête jusqu’à en avoir des crises de nerfs». «La voie entre Charybde et Scylla est désespérement étroite», voulut bien dire le chef des S.S. aux dignitaires du Reich. Mais, en dépit de ce double «danger pourtant réel», Himmler croyait «pouvoir dire que cela a été accompli sans que nos hommes, ni nos officiers en aient souffert dans leur cœur ou dans leur âme». Lui, le Reichsführer S.S. sur le point d’accèder au poste de Ministre de l’Intérieur du Reich, il appréciait cette «résistance nerveuse». S’il s’était ainsi ouvert «en petit comité» sur la grave décision de massacrer également les femmes et les enfants juifs, c’était précisément pour attester sa détermination d’«éteindre avec le pied le moindre petit feu et encore plus tous les feux de quelque importance». «Je ne me sentais pas en effet, confie-t-il aux chefs nazis, le droit d’exterminer les hommes — dites si vous voulez de les tuer ou de les faire tuer — et de laisser grandir les enfants qui se vengeraient sur nos enfants et nos descendants25». Cette détermination implacable dans l’«extermination des Juifs» était opposée à l’irrésolution du parti, dans le discours aux généraux S.S.. Himmler, soucieux de leur «gloire», inscrivait le point : «élimination des Juifs, extermination» dans l’inaltérable programme de 1920. Cette révision himmlérienne à rebours de l’histoire faisait dire à «chaque membre du parti» que «le peuple juif sera exterminé». Et dans cette relecture, chacun se plaisait à proclamer : «nous ferons cela. A la suite de quoi», continuait Himmler tout aussi sarcastique qu’à l’égard des «faiblesses» de ses hommes, «on voit arriver 80 millions de braves allemands, chacun avec son bon juif. Tous les autres sont des porcs, naturellement, mais leur juif est épatant. Pas un de ceux qui parlent ainsi n’a vu les cadavres, pas un n’était sur place26».
Dans cette glorification, le chef des tueurs apaisait aussi leur ressentiment. Sur place, les choses ne s’étaient pas passées aussi bien que Himmler le laissait entendre. Il leur était arrivé d’être en butte aux sévères critiques de dignitaires locaux quand ils s’attaquèrent justement à leurs «bons juifs». L’état-major personnel de Himmler ne l’ignorait pas. Il avait été dûment informé sur l’incident qui avait opposé le commissaire général de la Ruthénie blanche au lieutenant-colonel S.S. Strauch. Le 20 juillet, ce dernier, récemment promu officier de renseignement de l’état-major de «lutte contre les bandes armées», avait arrêté 70 Juifs «employés chez» Wilhelm Kube et leur avait «fait appliquer le traitement spécial». Le commissaire général n’était pas un obscur fonctionnaire civil du rang. Son autorité s’exerçait sur un territoire trois fois plus étendu que la Belgique et les Pays-Bas réunis. Kube considéra cette affaire «comme une attaque dirigée contre sa personne» et, d’autorité, il somma le chef S.S. de s’expliquer. Strauch éberlué «n’arrivai[t] pas à comprendre pourquoi des Allemands se brouillent à cause de quelques Juifs». Il était outré des critiques du chef nazi à l’égard de sa manière de procéder. «Il était regrettable, écrivit-il textuellement, qu’en plus d’avoir à faire ce travail désagréable, nous dussions encore être couverts de boue». Kube lui aurait déclaré que «si l’Allemagne était perdue de réputation dans le monde , c’était notre faute». Le rapport que Strauch s’empressa de rédiger sur cet incident a bien soin de signaler que Kube «n’admettait pas que le Reichsführer S.S. et le général de corps d’armée von dem Bach fassent la loi jusque dans son commissariat général27». Afin d’obtenir sa révocation, Strauch intervint aussi auprès de Erich von dem Bach-Zelewski, le représentant d’Himmler pour «la lutte contre les bandes armées» en Europe de l’Est et du Sud-Est28. Dans cet acharnement, le tueur réprouvé n’eut pas gain de cause. Le ministre des territoires occupés de l’Est, Alfred Rosenberg adressa seulement un «sérieux avertissement» à son commissaire général29. La mort inopinée de Kube mit fin à ce conflit de compétences. Erich von dem Bach-Zelewski n’avait pas moins considéré que l’attitude du commissaire général avait «frisé la trahison». Immédiatement après l’effondrement du IIIe Reich, il en était toujours convaincu.
Son jugement sur celui qui avait été son adjoint au temps des atrocités à l’Est était aussi fort sévère : à son point de vue, Strauch était «l’homme le plus abject qu’[il] avai[t] rencontré de [sa] vie30». Lui, von Bach, il n’était pas resté impassible devant «les exécutions de Juifs qu’il avait lui-même dirigées et d’autres expériences à l’Est». En 1942, elles avaient ébranlé sa santé physique et morale. Il avait «souff[…] en particulier de les revivre en imagination». Le chef des médecins de la S.S. l’avait expliqué à Himmler. Le Reichsführer S.S. inquiet avait dépêché Grawitz au chevet de von dem Bach hospitalisé31. La «résistance nerveuse» de Strauch n’a pas, quant à elle, subi une telle défaillance. L’adjoint de von Bach craqua seulement à Nuremberg. Dès le début du procès des Groupes d’Action de la S.S. et de la Police, il fallut l’hospitaliser à cause de ses crises convulsives épileptiformes32. Après sa condamnation à mort, la Belgique le réclama : Strauch y avait été muté en 1944. Selon Canaris dont il avait été l’adjoint pour la Wallonie, il laissait trôner sur son bureau à Liège bien en vue un «souvenir» ramené de l’Est dont il se servait en guise de cendrier : la moitié d’un crâne humain33 ! Le détail achevait le portrait odieux de l’officier S.S.. Strauch se défendit. Ce chef S.S. ne s’était pas laissé séduire par Charybde ! «Ses ordres, protesta-t-il, ne […] étaient pas dictés par une ivresse sanguinaire ou par un caractère pervers, mais ils […] étaient dictés par [s]es adversaires et ils étaient conformes aux ordres reçus». Il en prenait «encore maintenant», écrivait-il en 1947, «la responsabilité vis à vis de [s]a conscience et devant [s]es juges» belges34.
Si le S.S. Strauch se défendit d’avoir, dans l’exercice de ses fonctions, succombé à la tentation de Charbyde, Ehlers, autre officier des Groupes d’action de la police et de la S.S. n’a pas plus cédé à Scylla. Les services d’Himmler ne l’ont précisément pas contraint à prendre sa retraite pour avoir décliné la responsabilité à laquelle il était appelé dans les territoires soviétiques à occuper35. Sa carrière a été sans faille. Capitaine au début de la guerre, il n’a pris sa retraite d’officier S.S. qu’à l’effondrement du IIIe Reich avec le grade de colonel. A son départ de Bruxelles, il rejoignit le Reich avec le titre d’inspecteur de la police de sécurité et du service de sécurité à Cassel. C’était une promotion. Sa mutation du Groupe B à la mi-octobre 1941 avait tout autant été une promotion. Il fut envoyé à l’Ouest, avec le grade de major S.S. et en qualité de délégué du chef de la police de sécurité du Reich auprès du pouvoir militaire d’occupation en Belgique et dans le Nord de la France, rien moins que le représentant personnel de Heydrich, le lieutenant d’Himmler pour les affaires de police36. La désignation atteste à tout la moins que l’officier S.S. n’avait pas démérité à l’Est. En mai 1941, son refus de prendre part à la tête d’un commando à l’exécution d’ordres contraires à sa conscience morale n’avait nullement été sanctionné. Au contraire ! Ehlers fit partie de l’état-major du Groupe B : chef de sa section IV, la fameuse Gestapo. «Himmler était très indulgent à l’égard d’une telle “faiblesse”. Il mutait à un autre poste celui qui ne pouvait pas supporter le contact direct avec l’extermination», souligne avec ironie J. Billig à l’attention du tribunal allemand cherchant à déterminer la responsabilité criminelle du prévenu Ehlers dans la déportation de Juifs de l’Ouest37. Dans cette affaire «belge», ce qui importait du point de vue judiciaire, ce n’était pas la part personnelle d’Ehlers dans cette «extermination de personnes innocentes» à l’Est. Les dénégations de l’ancien officier du Groupe B ne le servaient pas dans cette cause. «En sa qualité de chef de la section IV, constate la décision de le juger, Ehlers avait à trier les rapports d’activités des commandos d’action et spéciaux du Groupe d’action B, il devait en faire lui-même des rapports qui devaient être retransmis à [l’Office Central de la Sécurité du Reich]38». «Ces expériences en Russie» — Ehlers prétendait qu’elles n’étaient pas les siennes — ne l’autorisaient pas à se retrancher derrière l’argument de l’innocence dans l’affaire «belge». «Comme il l’admet en tout cas […], note le tribunal supérieur du Schleswig-Holstein, il savait du temps où il avait été en Russie que les Juifs y étaient tués en grand nombre».
Dans ce procès intermédiaire, les unes après les autres, ses assertions s’étaient écroulées. L’épreuve ne laissa à Ehlers aucun espoir de convaincre les jurés de la Cour d’assises dans un procès public. Les lenteurs de la procédure dont il avait exploité toutes les ressources jouaient maintenant contre sa cause. Si son propre procès tardait à s’ouvrir, l’affaire Lischka devant la cour d’assises de Cologne aboutissait, en février 1980, à la condamnation des anciens officiers S.S. responsables de la déportation des Juifs de France. Les chances d’Ehlers devant la cour d’assises de Kiel étaient désormais nulles. Le prévenu ne se fit plus la moindre illusion. Le juge en retraite avait alors 71 ans : il choisit de ne pas comparaître, en novembre 1980, devant ses paires du Schleswig-Holstein, tous juges de la nouvelle génération. Son suicide privait de son principal inculpé le procès de la déportation des Juifs de Belgique. A l’ouverture des débats, le deuxième inculpé, Canaris fit aussi défaut. Il était malade et, pour ne pas encore retarder cet épilogue judiciaire fort tardif, son cas fut disjoint. Finalement, le seul accusé à comparaître fut l’ancien chargé des affaires juives à Bruxelles, Kurt Asche. Sa défense fut rien moins qu’une caricature. Le prévenu poussa le paradoxe jusqu’à nier avoir participé à cette déportation dont il prétendait évidemment n’avoir pas connu le but véritable.
Je l’ai connu trop tard
Dans cette affaire «belge» où le parquet allemand avait buté sur l’extrême rareté des archives provenant du détachement de la Sécurité du Reich dans la capitale belge, l’accusé fondait sa défense sur cette défaillance des sources historiques. «La reconstruction du passé est impossible de sorte que, aussi par défaut de documents, je n’ai pu répondre aux questions posées», expliqua Kurt Asche en guise d’excuse avant que la Cour ne se retire pour délibérer39. Sa déclaration finale rompait avec le mutisme dans lequel il s’était retranché pendant tout le procès. A ce stade, Asche, tirant un dernier avantage des lacunes du dossier, ne redoutait plus qu’on produise la moindre trace écrite lui attribuant nommément une connaissance personnelle du sens réel de la déportation juive. Bien conseillé, il commença par dire qu’il avait «ignor[é] le sort des Juifs». «Je l’ai connu trop tard, après la guerre», ajoutait-il et, surprenant son auditoire, il laissa tomber pour persuader le jury de sa bonne foi : «je porte depuis une faute morale et je la porterai jusqu’à la fin de mes jours40». L’acte de contrition, tout calculé qu’il ait été, n’a pas eu l’effet souhaité. La cour d’assises de Kiel a condamné l’ancien officier S.S. des affaires juives dans la capitale belge pour «avoir contribué au meurtre d’au moins 10 000 Juifs41».
Dans cette estimation du génocide «belge», le verdict de Kiel est un épilogue judiciaire pour le moins étriqué. Pendant sa mission à Bruxelles — Kurt Asche y resta jusqu’en octobre 1943 —, les déportés avaient été nettement plus nombreux que le compte macabre du verdict allemand. Même la défense de l’accusé reconnaissait volontiers qu’«on a déporté à Auschwitz plus de 10 000 Juifs de Belgique» et qu’«ils y furent assassinés42». De fait, le service dont Kurt Asche avait été l’agent le plus qualifié y avait acheminé, de son temps, 22 554 Juifs. Les deux tiers — au moins 15 099 — disparurent dès leur descente du train. L’autre tiers — interné, quant à lui — paya aussi un lourd tribut. A la libération des camps, à peine 632 déportés du temps de Kurt Asche étaient encore en vie. Dans ses comptes, la justice allemande défalquait de moitié la culpabilité criminelle du prévenu. L’accusation a seulement retenu, adossée au seul document d’époque impliquant personnellement l’inculpé, le chiffre de 10 000 déportés assigné à Asche pendant la conférence chez Eichmann, le 11 juin 1942. Le rapport de Dannecker chargeait l’accusé. Le document signalait, en effet, la présence du «chargé […] des affaires juives de Bruxelles» à cette réunion où, précisait-il, «il a été convenu d’expulser […] 10 000 Juifs de Belgique». Confronté à cette pièce pendant l’instruction, Asche a contesté qu’il ait eu une quelconque responsabilité dans l’exécution de la décision. Dans l’affaire Ehlers, il n’était pas le principal inculpé et il ignorait, tout comme le parquet, l’existence de pièces d’époque attestant son activité personnelle et effective dans cette déportation. Ces archives belges, produites pendant le procès, révèlent un chargé des affaires juives dans le plein exercice de ses compétences43. L’officier S.S. s’y montrait dans toute son arrogance. Le 23 octobre 1942 — selon le compte rendu daté de l’entretien —, il annonce au délégué du conseil juif le départ imminent des convois XIV et XV et, avec une arrière-pensée qui en disait long sur sa connaissance des choses, le cynique se plaisait d’annoncer que «l’évacuation concernera tous les Juifs se trouvant en Belgique et […] aucun de ceux-ci ne reviendra dans le pays44».
Devant ses juges, l’homme n’aura plus cette insolence. Tout penaud, il expliquera que son rôle avait été des plus subalternes, dès juillet 1942. Dans sa mémoire défaillante, le prévenu se souvenait parfaitement du moment. C’était, en effet, avant le départ du premier convoi pour Auschwitz, le 4 août. Dans cette «tentative de se disculper» — comme la qualifie le verdict de Kiel —, sa tâche purement administrative aurait consisté à mettre à jour des dossiers négligés. Le simplisme de l’argument donne la mesure du personnage. L’homme était un médiocre. Si sa carrière dans le service de sécurité de la S.S. avait débuté en 1935, il n’y gravit pas les échelons. Membre du parti depuis 1927, l’ancien petit employé de droguerie végéta dans le rang. A son arrivée en Belgique à la fin de 1940, il n’est toujours que sous-lieutenant S.S.. Chargé des affaires juives au siège central du détachement de la Sécurité dans ce territoire, il n’a pas dépassé le grade suivant. Ses collègues de Paris et de La Haye avaient une tout autre envergure. Théodore Dannecker est déjà capitaine à son départ de France au milieu de l’été 1942. Willy Zœpf, resté aux Pays-Bas, accéda au rang de major S.S.. Kurt Asche, lui, il ne conserva même pas son titre de lieutenant S.S.. Après sa mutation le 9 octobre 1943, le tribunal XXXII de la S.S. et de la police le condamna, en mai 1944, à un an et demi de prison, entre autres pour «pillage chez les Juifs». Ce fut la seule condamnation qui lui fut infligée du fait de la guerre jusqu’à son procès à Kiel, trente-cinq ans après.
La peine S.S. était légère en regard des colères bravaches de Himmler. «Quiconque prélève à son profit, ne serait-ce qu’un mark, est un homme mort», avait proclamé le chef des S.S. du Reich pas moins de cinq jours avant que ses services de Bruxelles ne limogent l’officier S.S. prévaricateur. Devant ses généraux, le Reichsführer S.S. justifiait cette impitoyable rigueur verbale en invoquant la «gloire» de … l’«extermination» des Juifs. «Nous avions vis-à-vis de notre peuple le droit moral et le devoir de faire périr ce peuple qui voulait notre mort», explique Himmler ce 4 octobre 1943. «Mais nous n’avons pas le droit de nous enrichir, ne serait-ce que d’une fourrure, d’une montre, d’un mark, d’une cigarette ou de toute autre chose45». Dans la capitale belge, ses agents les plus directement impliqués dans l’action antijuive n’avaient pas résisté à la tentation. La section «juive» de la police de sécurité abrita une véritable pègre de la solution finale jusqu’à ce que l’abcès fût crevé après la fin de l’été 194346. L’ex-chargé des affaires juives de Bruxelles n’avait nullement été cet innocent fonctionnaire dont il s’appliqua à jouer le personnage devant la cour d’assises du Schleswig-Holstein. Ses dénégations ne la persuadèrent pas plus de lui accorder tout au moins le bénéfice du doute sur le point crucial de la cause.
Malgré l’absence de pièces d’archives, la cour s’«est convaincue que l’accusé apprit au plus tard au moment des premières déportations des Juifs de Belgique qu’ils étaient tués pour la plupart». Son refus de l’admettre est, selon son appréciation, une autre «tentative de se disculper». Aux yeux du tribunal, il «s’avère invraisemblable» qu’il ait ignoré les «rumeurs». «Comment l’accusé pouvait-il n’avoir eu aucun écho de tout cela ?», s’étonne le verdict de Kiel. C’est qu’en effet, selon l’analyse allemande même de l’événement en cours, les bruits qui provenaient du génocide à l’Est de l’Europe interféraient dans son déroulement en Belgique. Le témoignage d’époque du représentant du Ministère des Affaires Etrangères du Reich auprès des autorités d’occupation à Bruxelles fixe ce point. Le baron Werner von Bargen découvrait le 11 novembre 1942 dans «les rumeurs d’exécutions [abschlachten]» la raison de l’insuccès de la tentative de rassembler les déportés sans contrainte policière47. L’explication de l’insubordination juive, pour sommaire qu’elle ait été chez le diplomate allemand, indique à tout le moins que les services concernés mieux informés prêtaient à ces «rumeurs» plus de crédibilité que les intéressés eux-mêmes. En tout cas, von Bargen rapportait dans ce télex des informations de source policière : «la police locale espère», télégraphiait-il encore à Berlin, «transporter 20 000 personnes d’ici la fin du mois d’octobre48». A la fin de septembre - et selon les termes du télex, «15 000 hommes, femmes et enfants ont été déportés vers l’Est». Ce bilan de l’année 1942 n’a pas non plus été pris en compte dans le verdict contre Kurt Asche. Ce qui lui importait, c’était ce que l’accusé pouvait concevoir du destin des 10 000 Juifs qu’Eichman lui avait, le 11 juin, imparti de déporter. Les «rumeurs» du télex de von Bargen démentaient ses allégations sur ce point crucial du procès. «D’autant plus, estime le jugement, que le responsable des affaires juives en Hollande, Zœpf, était lui aussi tout à fait au courant des choses».
L’aveu de l’ancien collègue «hollandais» de Asche est moins explicite que celui de Wilhelm Harster. Sa position judiciaire a aussi été plus délicate. Les ordres de Berlin passaient par le supérieur hiérarchique, mais ils étaient exécutés au niveau du chargé des affaires juives. Dans leur fonction, un Wilhelm Zœpf à La Haye, un Kurt Asche à Bruxelles ou un Théodore Dannecker à Paris officiaient dans leur ressort territorial respectif comme autant de sergents-majors de la solution finale. Ils étaient le chaînon indispensable du passage à l’acte dans la mécanique du génocide. C’est leur intervention personnelle qui précipita les Juifs vers le massacre. Zœpf a, comme Kurt Asche, d’abord nié l’avoir su, mais lui, il a fini par admettre qu’il «avai[t] des appréhensions quant à l’assassinat final des Juifs comme aboutissement des mesures prises, contre eux, surtout celle de la déportation et […] par conséquent, a-t-il concédé, je le considérais comme possible49». La lecture de sa déposition n’a pas rompu le mutisme de l’accusé de Kiel. Le tribunal n’en a pas moins conclu qu’«il serait naïf d’admettre que [Zœpf] n’ait pas informé l’accusé [qui de plus était un ami] de l’objectif de cet entretien chez Eichmann auquel ils se sont rendus ensemble, ainsi que du sens et du but de la solution finale comme l’affirme Dannecker». Le chargé des affaires juives de Paris ne s’est jamais expliqué devant la justice50, mais ses rapports d’époque — et ils sont on ne peut plus explicites — ont témoigné à charge des accusés dans maints procès de criminels nazis. C’est que, dans ces sources documentaires nazies de la solution finale, «Dannecker appelle les choses par leur nom, ce qui dans les autres documents se laisse seulement deviner entre les lignes». Ce commentaire est de la Cour d’assises de Cologne. Les documents Dannecker l’intéressaient au plus haut point. C’est elle qui condamna l’un des officiers S.S. à qui ces pièces étaient nommément destinées51. Dans l’affaire du chargé des affaires de Bruxelles, il est aussi apparu «clairement de l’observation faite par Dannecker, le 13 mai 1942 que les Juifs étaient exterminés». Le tribunal de Kiel a pu
«déduire des formulations employées qu’il s’était engagé pleinement et de toute sa personne dans les actions et qu’il parlait du but véritable de la déportation [malgré le secret universellement de rigueur] avec les membres d’autres bureaux qui n’y participaient pas directement. Dannecker exerçait la même fonction que Asche. Il venait aussi du service de sûreté et disposait des mêmes sources d’information, ce qui laisse entendre qu’il avait les mêmes informations que lui […]».
Dans le verdict le condamnant pour avoir agi en connaissance de cause dans la déportation des Juifs de Belgique, il est «évident que Asche fut informé au plus tard durant l’entretien chez Eichmann», le 11 juin 1942 à Berlin, date fatale dans la solution finale à l’Ouest de l’Europe. Cette évidence judiciaire est une autre manière d’appeler les choses par leur nom dans le massacre des Juifs d’Europe occidentale à leur arrivée à Auschwitz.
1. CDJC XXVI-29, IV J - SA 24, Paris, le 15 juin 1942, concerne : prochains transports de Juifs de France, signé : Dannecker, capitaine S.S., reproduit dans S. KLARSFELD et M. STEINBERG, Dokumente, Die Endlösung der Judenfrage in Belgien, p. 25-26. Une erreur typographique s’est glissée dans le document reproduit : «In das östliche Deportationsgebiet» doit se lire «In das östliche Operationsgebiet», une seule lettre fait toute la différence historique entre «la déportation» et «l’extermination».
2. M. STEINBERG, Dossier Bruxelles-Auschwitz, p. 201-202.
3. Doc. Nuremberg URSS-57, Rapport du Groupe d’action A pour la période du 10 octobre 1941 au 31 janvier 1942, dans H. MONNERAY, La persécution des Juifs dans les pays de l’Est, p. 51.
4. doc L.180, Groupe d’Action A, compte rendu général jusqu’au 15 octobre 1941, daté du 31 janvier 1942, ibidem, p. 280.
5. Compte rendu URSS-57, Rapport du Groupe d’action A pour la période du 10 octobre 1941 au 31 janvier 1942, ibidem, p. 51.
6. Doc. Nuremberg NO-2825, RSHA IV-A 1 R 133, du 14 novembre 1941, cité dans R. HILBERG, La destruction des Juifs d’Europe, p. 256.
7. Doc. Nuremberg NO 2824, Le chef de la police de sécurité et du service de sécurité, compte rendu des événements U.R.S.S. n° 148, Berlin, le 19 décembre 1941, dans H. MONNERAY, op. cit., p. 303.
8. Doc. Nuremberg NO 3160, Le chef de la police de sécurité et du service de sécurité, compte rendu des événements U.R.S.S. n° 124, Berlin, le 25 octobre 1941, p. 2 et p. 6. Autre traduction dans H. MONNERAY, ibidem, p. 299-300.
9. Doc. Nuremberg URSS-57, Rapport du Groupe d’action A pour la période du 10 octobre 1941 au 31 janvier 1942, ibidem, p. 51.
10. Ministère du Reich pour les territoires occupés de l’Est, projet de lettre signé : Wetzel, Berlin, le 25 octobre 1941, objet : solution de la question juive, dans P. JOFFROY ET K. KONIGSEDER, Eichmann par Eichmann, texte établi par Pierre Joffroy et Karin Königseder, Paris, 1970, p. 162-163.
11. Doc. Nuremberg PS 3257, Inspection de l’Armement en Ukraine, au chef du Bureau de l’Economie et de l’Armement auprès du Haut Commandement de l’Armée, le général d’Infanterie Thomas à Berlin, le 2 décembre 1941, dans H. MONNERAY, op. cit., p. 111.
12. Auschwitz vu par les S.S., Höss, Kremer, Broad, p. 108.
13. Doc. Nuremberg PS 1104, Le commissaire du territoire de Sluzk, Carl au commissaire général à Minsk, Sluzk le 30 octobre 1941, objet : opération contre les Juifs, dans H. MONNERAY, op. cit., p. 137.
14. Doc. Nuremberg PS 1104. Le commissaire général pour la Ruthénie blanche, au Gauleiter Heinrich Lohse, commissaire du Reich pour les territoires de l’Est à Riga, Minsk le 1er novembre 1941, personnel, signé : Kube, ibidem, p. 134.
15. Dans ses Libres propos sur la la guerre et la paix [Paris, 1954, t I, p. 137], Hitler exprime à plusieurs reprises son mécontentement devant les réactions négatives que suscitent, dans le Reich, la déportation des Juifs allemands vers l’Est. «Notre bourgeoisie en est toute malheureuse», dit-il le 25 janvier 1942, en présence d’Himmler.«Que va-t-il leur arriver ?». Et d’ajouter :
«il faut agir radicalement. Quand on arrache une dent, on l’arrache d’un coup et la douleur tarde à disparaître […] Moi, je me borne à leur dire [aux Juifs] qu’ils doivent s’en aller. S’ils cassent leur pipe en route, je n’y puis rien. Mais s’ils refusent de partir volontairement, je ne vois pas d’autre solution que l’extermination. Pourquoi ne considérais-je un juif avec d’autres yeux qu’un prisonnier russe ? Dans les camps de prisonniers, nombreux sont ceux qui meurent. Ce n’est pas ma faute. je n’ai voulu, ni la guerre, ni les camps de prisonniers. Pourquoi le juif a-t-il fomenté cette guerre ? Il se passera bien trois cents à quatre cents ans avant que les juifs reprennent pied en Europe».
16. Ministère du Reich pour les territoires occupés de l’Est, projet de lettre signé : Wetzel, Berlin, le 25 octobre 1941, objet : solution de la question juive, dans P. JOFFROY ET K. KONIGSEDER, Eichmann par Eichmann, texte établi par Pierre Joffroy et Karin Königseder, Paris, 1970, p. 162-163.
17. Voir Y. TERNON et S. HELMAN, Le massacre des aliénés, des théoriciens nazis aux praticiens, Ed. Casterman, Paris.
18. Wetzel écrivait : «à l’heure actuelle, on évacue des juifs de l’ancien Reich pour les envoyer à Litzmannstadt [Lodz dans le Warthegau], et d’autres camps encore, d’où ils partiront vers l’Est, et, s’ils sont aptes au travail, dans les camps de travail».
19. CDJC/CDXCVI. Le commandant militaire en Belgique et dans le Nord de la France, chef de l’administration militaire, groupe : pol., Bruxelles, le 27 octobre 1942, aux Ober- et Feldkommandantures, concerne : procédure de transfert dans le Reich et de déportation dans le territoire de l’Est, dans S. KLARSFELD et M. STEINBERG, Dokumente, Die Endlösung der Judenfrage in Belgien, p. 51.
20. Doc. PS 447, directive du Haut Commandement de la Wehrmacht, signée : Keitel, le 13 mars 1941.
21. M. STEINBERG, Dossier Bruxelles-Auschwitz, p. 120.
22. Les ordres donnés à Pretszch semblent avoir été fort vagues. L’ordre d’assassiner également les femmes et les enfants serait intervenu une fois le massacre entamé. Au procès dit des «Einsatzgruppen» à Nuremberg en 1947/1948, le général S.S. Erwin Schulz, également docteur en droit et présent à l’école de Pretszch en mai 1941, apprit seulement — selon ses dires — le 10 août 1941 que les femmes et les enfants devaient être tués comme les hommes. A sa demande, il fut relevé, le 25 septembre 1941, du commandement du commando d’action 5 dans le Groupe C. Voir F. BAYLE, Psychologie et éthique du national-socialisme, P.U.F., Paris, 1953, p. 99.
23. Le cas le plus remarquable est celui du général de brigade S.S. Heinz Jost, docteur en droit comme Ehlers et son aîné de quatre ans. Il demanda d’être relevé du commandement du Groupe A où il avait succèdé à Franz Stahlecker. Himmler et Heydrich lui laissèrent son grade de général de la police, mais il fut muté sur le front avec le grade de sergent dans la Waffen S.S.. Ibidem, p. 91.
24. Doc PS 1919, Discours d’Himmler à Posen, devant les généraux S.S., le 4 octobre 1943, cité d’après H. MONNERAY, op. cit., p. 66.
25. Discours de Himmler aux Reichsleiter et Gauleiter, à Posen, le 6 octobre 1943, dans H. HIMMLER, Discours secrets, Paris, 1978, p. 167-168.
26. Discours d’Himmler aux généraux S.S. à Posen, le 4 octobre 1943, d’après F. BAYLE, op. cit., p. 438-439.
27. Lettre du commandant de la SIPO-SD en Ryuthénie blanche à l’état-major personnel du R.F.S.S., signé lieutenant-colonel Strauch, Minsk, le 20 juillet 1943, citée d’après W. HOFER, Le national-socialisme par les textes, p. 297-298.
28. Voir sur E. Strauch, A. DE JONGHE, «La lutte Himmler-Reeder pour la nomination d’un HSSPF à Bruxelles — Cinquième partie : Salzbourg avant et après — Evolution policière de septembre 1943 à la fin de l’occupation», dans Cahiers d’Histoire de la Seconde Guerre Mondiale, Bruxelles, 8, octobre 1984, p. 100-101.
29. NO-4315. Lettre de Berger [chef de l’Office central de la S.S.] à Brandt [état-major personnel de Himmler], 18 août 1943, cité d’après R. Hilberg, La Destruction des Juifs d’Europe, p. 335, n.81
30. Cité d’après R. HILBERG, ibidem, p. 334 note 80.
31. NO-600, Lettre de Grawitz à Himmler, le 4 mars 1942, citée dans R. HILBERG, ibidem, p. 283.
32. Voir F. BAYLE, op. cit., p. 145.
33. Procès-verbal de C. Canaris, le 18 juin 1946, cité d’après A. DE JONGHE, «La lutte Himmler-Reeder» dans Cahiers d’Histoire de la Seconde Guerre Mondiale, Bruxelles, 8, octobre 1984, p. 101 note 403.
34. Mémoire de E. Strauch, le 8 mai 1947, cité d’après A. DE JONGHE, ibidem, p. 101 note 403.
35. Dans son étude du comportement des inculpés du procès des Groupes d’action à Nuremberg, François Bayle constate que «des sanctions disciplinaires : déplacements et retrogradations, frappèrent les chefs de groupes ou de commandos qui refusèrent d’exécuter les ordres d’extermination» (F. BAYLE, op. cit. , p. 179).
36. Himmler n’est pas parvenu à installer le général S.S. R. Junglaus comme chef supérieur de la S.S. et de la Police en Belgique et dans le Nord de la France au printemps 1942.
37. J. BILLIG, «Expertise sur la connaissance par le S.S. Oberstrurmbannführer Ehlers du sens réel de la déportation des Juifs de Belgique», dans M. STEINBERG, Dossier Bruxelles-Auschwitz , p. 201.
38. Ibidem, p. 201.
39. Voir le compte rendu de l’audience du 29 juin 1981, par L. De Lentdecker, dans De Standaard, 30 juin 1981, reproduit dans S. KLARSFELD et M. STEINBERG, Le Mémorial de la déportation des Juifs de Belgique. La fin du volume est consacré à cet épilogue judiciaire et le reconstitue à l’aide des coupures de presse.
40. Voir le compte rendu de la dernière audience par J.P. C[olette], dans Le Soir, 3 juillet 1941. L’accusait ajoutait qu’«il est donc faux d’affirmer que je n’ai pas de regret». Il répondait ainsi à la partie civile. Elle avait dénoncé son mutisme.«Sans même avouer le rôle qui fut le sien», avait-elle déclaré, «il pouvait tout au moins regretter les crimes que le service dont il était un agent a commis contre tant d’êtres humains, hommes, femmes, enfants et vieillards».
41. Les extraits les plus significatifs du verdict sont publiés dans S. KLARSFELD et M. STEINBERG, Le Mémorial de la déportation des Juifs de Belgique, non paginé.
42. Le 29 juin 1981, dans ses préliminaires, le conseil de l’accusé, ancien bâtonnier de l’ordre des avocats de Kiel, déclarait volontiers : «Nous aussi, nous disons que Hitler voulait exterminer les Juifs et que sa volonté fut exécutée en 1942».
43. Ces pièces d’archives ignorées du parquet et produites par la partie civile sont les compte rendu des entretiens de l’officier S.S. avec les délégués du conseil juif qui fonctionnait sous son contrôle personnel.
44. Ministère de la Santé Publique et de la Famille. Administration des Victimes de la Guerre. Procès-Verbaux du Comité directeur de l’Association des Juifs en Belgique, compte rendu de l’entretien au Sicherheitsdienst, en date du 23 octobre 1942 dans S. KLARSFELD et M. STEINBERG, Dokumente. Die Endlösung …in Belgien, p. 53. Voir aussi M. STEINBERG, L’Etoile et le Fusil, 1942, Les cent jours de la déportation des Juifs de Belgique, Bruxelles, 1984, t. II, p. 16.
45. Doc. Nuremberg, PS 1919, discours d’Himmler devant les généraux S.S., à Posen, le 4 octobre 1943.
46. Voir M. STEINBERG, L’Etoile et le Fusil, La Traque des Juifs, t. III, vol. 1, p. 214 ss.
47. Doc. Nuremberg NG-5219. AA. 17 nov. 1942, Service des Affaires étrangères, Bruxelles, au Service des Affaires Etrangères, Berlin, Bruxelles le 11 novembre 1942, concerne : Juifs en Belgique signé : Bargen, publié dans S. KLARSFELD et M. STEINBERG, Dokumente, Die Endlösung der Judenfrage in Belgien, p. 54-55.
48. Le chiffre de 20 000 personnes à déporter jusqu’en octobre 1942 correspond à celui que donne l’ancien commandant d’Auschwitz Rudolf Höss. Revenant dans ses Mémoires sur ses premières dépositions judiciaires quant au nombre de Juifs morts dans son camp, il «considère le chiffre de deux millions et demi comme beaucoup trop élevé». Lui, il «ne [se] souvient[t] que des chiffres des “actions” plus importantes qui […] ont souvent été indiqués par Eichmann ou ses délégués» et ici, il citait le chiffre «belge» de 20 000 (Voir Auschwitz vu par les S.S., p. 132-133).
49. J.B. «Quelques réflexions sur les déclarations fondamentales des accusés», dans Mémoire du Génocide, p. 443.
50. Dannecker, condamné à mort par contumace en France en 1950, est présumé s’être pendu, le 10 décembre 1945, dans la prison américaine de Bade-Tolz.
51. Doc. CDJC CDLXXXI- 5b, Jugement du procès Lischka-Hagen-Heinrichshon 23 octobre 1979-11 février 1980, p. 279.