Prêcheurs de Haine: entretien avec Pierre-André Taguieff
propos recueillis par Elisabeth Kosellek
La Lettre du CEVIPOF, no 10, novembre-décembre 2004
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Historien, politologue et historien des idées, Pierre-André Taguieff a consacré de nombreux de travaux sur les formes classiques et les métamorphoses contemporaines du racisme et de l’antisémitisme, impliquant des investigations d’ordre historiographique et lexicologique autant que des analyses fondées sur la psychologie sociale, l’anthropologie culturelle et la théorie politique qui ont donné lieu à plusieurs ouvrages. Par ailleurs, il a mené des études sur les multiples dimensions des «crises du temps» (épuisement ou redéfinition de l’idée de progrès, responsabilité à l’égard des générations futures, entre autres) en ce qu’elles affectent l’action politique et ses représentations. Enfin, il poursuit ses recherches sur les nouveaux problèmes posés à l’éthique, au droit et à la pensée politique par les progrès des sciences du vivant et plus particulièrement de la génétique humaine.
Pierre-André Taguieff, Prêcheurs de haine: Traversée de la judéophobie planétaire, Editions Mille et une nuits, 2004, 962 pages. Après son essai La nouvelle judéophobie (éditions Mille et un nuit, 2002), Pierre-André Taguieff poursuit dans le volumineux Prêcheurs de haine sa réflexion sur la vague d’antisémitisme qui a touché la France depuis 2000 et sur l’«antisionisme radical».Elisabeth Kosellek: Après la parution de La Nouvelle Judéophobie en janvier 2002, vous venez de publier Prêcheurs de haine. Traversée de la judéophobie planétaire, somme de près de 1000 pages. Pourquoi cet ouvrage dense et grave? Un ouvrage de colère?
Pierre-André Taguieff: De la colère, il y en a. Comment ne pas en éprouver face au déferlement de haine antijuive auquel nous assistons depuis un certain nombre d’années? Mais ce livre est d’abord une enquête et une réflexion critique, visant à définir et à expliquer un phénomène aux contours flous. Il répond, certes avec fermeté, à certaines objections et critiques que La Nouvelle Judéophobie a suscitées, mais non pas aux insultes ni aux sottises proférées! Cet essai est d’un genre mixte: il est à la fois un exercice de pensée politique, une contribution à l’histoire des mythes politiques modernes (privilégiant celui de la «conspiration juive internationale» ou du «complot sioniste mondial»), une enquête sur les manifestations planétaires de la nouvelle judéophobie contemporaine et, enfin, une intervention dans l’espace public. Car, dans ce livre, je m’attaque à un certain nombre d’idées reçues et à des attitudes de relativisation, de minimisation et de peu de résistance intellectuelle et politique de nos sociétés «molles» face à ces nouvelles formes de manifestations anti-juives. J’ai tenté d’esquisser une théorisation d’ensemble du phénomène judéophobe, et de proposer une relecture de l’histoire des judéophobies.
E. K.: Vous ne parlez pas d’antisémitisme mais de judéophobie?
P.-A. T.: Le mot «antisémitisme» (Antisemitismus) a été forgé en 1879 par un théoricien raciste allemand, à une époque où l’on croyait à l’existence de la «race sémitique», pour requalifier la vieille «haine des Juifs» sur une base racialiste («anti-sémitisme»). Ce terme daté, repris comme auto-désignation par les nationalistes antijuifs de la fin du XIXe siècle, est impropre à désigner l’objet de mes investigations, qu’on pourrait caractériser comme la judéophobie «post-antisémite» qui s’est constituée après la Seconde Guerre mondiale. Mon objet est avant tout d’analyser l’émergence d’une nouvelle configuration antijuive, qui ne se réduit à pas à des résurgences ou à des réactivations. Il s’agit d’une configuration idéologique aux dimensions mondiales, où l’on retrouve des mots et des thèmes provenant de diverses traditions antijuives (antijudaïsme chrétien, antisémitisme nationaliste), mais où l’on trouve aussi de nouveaux motifs d’accusation centrés sur «Israël» et le «sionisme» érigés en mythes répulsifs. Pour aller à l’essentiel, la forme argumentative de cette nouvelle pensée-slogan, qui s’est développée depuis la fin des années 60, peut être ainsi résumé: «Les Juifs sont tous des sionistes plus ou moins cachés; or le sionisme est un colonialisme, un impérialisme et un racisme; donc les Juifs sont des colonialistes, des impérialistes et des racistes déclarés ou dissimulés». Le «sionisme» — comme mythe répulsif et non comme réalité sociopolitique — est devenu l’incarnation du mal absolu.
E. K.: Cette attitude vis-à-vis du sionisme n’est pas totalement nouvelle.
P.-A. T.: L’amalgame polémique «sionisme = racisme», voire «sionisme = nazisme», représente l’un des plus importants héritages de la propagande soviétique dont les principaux thèmes ont été repris d’abord par le monde arabo-musulman, puis, avec quelques additions, par le monde musulman transnational. Il faut rappeler que cette orchestration polémique a rendu possible l’adoption, le 10 novembre 1975, par les Nations unies, de la Résolution 3379 condamnant le «sionisme» défini comme «une forme de racisme et de discrimination raciale»! Cette résolution dite «antiraciste» a été une grande victoire idéologique du camp soviétique et de l’OLP: le nationalisme juif, le sionisme, devenait le seul nationalisme au monde défini officiellement comme «une forme de racisme» donc condamnable par la Convention internationale pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Elle n’a été abrogée, dans ses conclusions du moins, qu’en décembre 1991.
Nous nous trouvons aujourd’hui dans un contexte convulsif marquée par la co-présence de deux configurations antijuives, qui, depuis l’automne 2000, à travers des violences intolérables contre des institutions juives et des individus perçus comme juifs, alimentent la vague judéophobe observable en France comme dans d’autres pays européens. Deux configurations, ai-je précisé. L’une persistante, et bien connue, le vieil antisémitisme inhérent à l’extrême droite ou au nationalisme xénophobe. L’autre émergente, et en expansion, dont les principaux vecteurs sont la propagande des réseaux islamistes radicaux et la démagogie des nouveaux gauchistes: néo-communistes et néo-gauchistes, altermondialistes, trotskistes et anarchistes, exploitant tous massivement «la cause palestinienne», célébrée comme «cause universelle» par l’extrême gauche. On peut y voir la nouvelle expression du tiers-mondisme et de l’idéologie révolutionnaire: le Palestinien-martyr remplace le Prolétaire en lutte pour la société communiste.
E. K.: Mais cette nouvelle judéophobie contient en elle les racines de l’antisémitisme.
P.-A. T.: Elle s’inscrit évidemment dans une histoire longue dont les origines remontent aux attitudes judéophobes de l’Antiquité (grecque, romaine, égyptienne), repérables avant même l’apparition de l’antijudaïsme chrétien. On peut identifier trois grands mythes antijuifs fondateurs. Dès l’Antiquité, le Juif est considéré comme l’ennemi du genre humain, un être «insociable» éprouvant une «haine implacable» à l’endroit des autres peuples, stéréotype transmis indéfiniment des Pères de l’Eglise aux racistes antijuifs du XXe siècle, et réactivé aujourd’hui par la propagande islamiste. Le deuxième mythe, inventé puis bricolé du XIIe au XVe siècle, est celui du meurtre rituel qui symbolise la cruauté attribuée au peuple juif1 et renforce son image de peuple déicide. Cette rumeur de cruauté se retrouve aujourd’hui véhiculée par les médias, autour d’un thème récurrent: l’armée israélienne, Tsahal, est stigmatisée comme une armée tueuse d’enfants, en ce que ses soldats jouiraient de tuer de jeunes enfants palestiniens. Enfin, troisième volet de cet imaginaire transhistorique, le mythe du complot ou de la conspiration, qui naît lui aussi entre le XIIe et le XVe siècles, mais qui se transforme en «complot juif international» au cours du XIXe siècle, pour atteindre sa première apogée avec la parution du plus célèbre faux de l’histoire occidentale, Les Protocoles des Sages de Sion2, confectionnés à Paris en 1900 -1901. C’est à partir de ces trois mythes d’accusation que s’est développée en Europe ce qu’on peut appeler stricto sensu l’«antisémitisme», forme spécifique d’idéologie raciste, ou plutôt racialiste, qui a régné de la fin des années 1870 à l’effondrement du IIIe Reich. Cet antisémitisme au sens strict était fondé sur la théorie des races élaborée pour l’essentiel au XIXe siècle, incluant le postulat de l’inégalité entre des groupes humains nommés «races», supposés invariables parce que définis par des traits différentiels héréditaires, et voués à une lutte pour l’existence et l’expansion («guerre des races»). C’est dans ce cadre conceptuel que s’est élaboré l’antisémitisme, application de l’idéologie racialiste à la «question juive», passée au politique à l’occasion de la montée des passions nationalistes et xénophobes des vingt dernières années du XIXe siècle. L’antisémitisme se définit donc comme le racisme antijuif, illustrant la forme dominante de la judéophobie du dernier tiers du XIXe siècle au milieu du XXe. On y rencontre l’assimilation du Juif ou du Sémite à une «race» distincte, inférieure et nuisible, ennemie par nature de la «race aryenne» («l’Aryen»). Ce type de discours antijuif, explicitement raciste, n’a certes pas disparu, mais il ne fait que persister sous la figure de survivances, dans les marges de l’espace politique (néo-nazis, skinheads, etc.). La nouvelle judéophobie planétaire, que j’analyse précisément dans mon livre, ne se fonde pas sur une théorie raciste, elle consiste au contraire à retourner contre les Juifs l’accusation de «racisme». Elle se donne donc pour une position «antiraciste».
En effet, ce faisceau de stéréotypes négatifs visant les Israéliens-sionistes-Juifs s’inscrit dans une configuration plus globale, centrée sur la démonisation des États-Unis. L’anti-américanisme radical constitue une nouvelle orthodoxie politique transnationale, qui n’a cessé de se répandre depuis 1989/1990. L’hyperpuissance américaine est devenue une figure répulsive, dernier recyclage de «l’impérialisme américain» censé porter une responsabilité majeure dans les malheurs du monde: injustices et inégalités, oppressions et exploitations, conflits sanglants et massacres génocidaires. Tous ces fléaux sont imputables aux activités d’Israël (du «sionisme») ou des États-Unis, ou plus couramment des deux. Mais il ne faut pas tomber dans des excès polémiques: tous les antiaméricains ne sont pas antijuifs, tous les antijuifs ne sont pas antiaméricains. Contentons-nous de relever ce jumelage idéologique: Juifs-Américains, Américains-Juifs, d’où le retour sous différentes formulations de l’amalgame «judéo-américain», de «l’Amérique juive» et de «Jew-York» à «l’impérialisme américano-sioniste». Israël comme les États-Unis sont des États-nations démocratiques puissants, armés, dotés d’un fort patriotisme, qui osent désigner leurs ennemis et se défendent avec fermeté contre eux. Ce ne sont pas des sociétés «molles» aux croyances «tièdes». C’est là ce qui exaspère les adeptes de la nouvelle «pensée unique». On retrouve encore dans le discours anti-américano-sioniste contemporain des traces de l’idéologie soviétique. Mais l’essentiel est ailleurs: l’américanophobie est l’un des facteurs d’aggravation de la fracture transatlantique qui a des conséquences graves dans la lutte contre le terrorisme, dont l’efficacité suppose un consensus international.
E. K.: Vous insistez sur la dimension planétaire de cette nouvelle judéophobie. Touche-t-elle réellement tous les continents?
P.-A. T.: Cette thématique antijuive est désormais diffusée, avec certaines variantes, dans tous les pays sans exception par le biais des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Les Protocoles des Sages de Sion, le plus célèbre faux de la littérature anti-juive, fabriqué à Paris, au tout début du XXe siècle, par les services de la politique secrète du Tsar, l’Okhrana, puis traduit dans la plupart des langues européennes au cours des années 1920, n’a jamais autant circulé. Dans les pays arabo-musulmans, mais aussi dans les pays d’Europe de l’Est, en Amérique latine, au Pakistan, en Indonésie et au Japon (où doivent vivre un millier de Juifs tout au plus!). Sans oublier les États-Unis, où les milieux d’extrême droite le rééditent massivement. à travers la diffusion de ce document (présenté comme authentique), on stigmatise les Juifs en tant que «comploteurs» et «dominateurs», on dénonce le danger d’un «complot juif mondial» devenu le «complot sioniste mondial» visant à conquérir l’ensemble de la planète. La propagande islamiste ne cesse d’y faire allusion. Depuis la fin du XXe siècle, de multiples acteurs politiques ou politico-religieux ont réinventé le mythe des «Sages de Sion».
E. K.: Vous utilisez l’expression de «nazification» de l’État juif. Qu’entendez-vous par là?
P.-A. T.: La nazification de l’État juif est au cœur de la propagande antisioniste qui forme le noyau dur du nouveau discours judéophobe mondialisé. Israël a été accusée de «génocide» visant les Palestiniens après la guerre des Six-Jours, puis d’«ethnocide» et de «nettoyage ethnique». Aujourd’hui, on fait un parallèle entre le «judéocide» pratiqué par les nazis et le «palestinocide» supposé commis par les sionistes. Par ces thèmes de propagande, ce qui est mis en cause, c’est la légitimité même de l’État d’Israël, seul État-nation au monde dont le droit à l’existence est récusé. Quoi de plus idéologiquement convenable que de stigmatiser Israël, les «sionistes» ou les «extrémistes juifs» au nom de la juste lutte contre le racisme et l’antisémitisme, ou au nom d’un humanisme cosmopolite. Telle est la posture la plus courante du partisan à l’occidentale de ce que j’ai appelé l’antisionisme radical ou absolu (l’expression est également utilisée en ce sens par Jean-Christophe Rufin dans son rapport). Cette posture se rencontre surtout dans les milieux de la nouvelle extrême gauche, elle autorise des convergences avec certains milieux islamistes, et recoupe les orientations de certaines mouvances d’extrême droite (celle-ci étant majoritairement «antisioniste» aujourd’hui). Outre la judéophobie démonologique des islamistes, je me suis attaché à étudier la judéophobie conspirationniste des nouveaux milieux anticapitalistes ou «révolutionnaires» qui surgissent dans les pays occidentaux. Ils donnent avec fureur et naïveté dans la vision du complot, lorsqu’ils attribuent tous les malheurs des hommes à de mystérieux «nouveaux maîtres du monde», recyclage du mythe des «Sages de Sion». Le nouvel antijuif standard du troisième millénaire commençant dénonce à la fois «l’antisémitisme» et le «sionisme», il se déclare en même temps anti-antisémite et antisioniste, il se célèbre lui-même comme antiraciste et antifasciste, il s’affirme défenseur des droits de l’Homme, et tout particulièrement des droits des «victimes». Il a tout pour plaire du point de vue de l’éthiquement correct. Il avance masqué. D’où les difficultés rencontrées par ceux qui s’appliquent à le démasquer. L’antisionisme absolu est devenu le révolutionnarisme des imbéciles, tout comme, à l’époque de l’affaire Dreyfus, l’antisémitisme nationaliste était le «socialisme des imbéciles» (August Bebel)!
E. K.: Vous avez choisi de traiter de l’émergence de la judéophobie, en prenant la société française comme point de départ de l’enquête et illustration privilégiée; quelle est votre analyse de la situation française?
P.-A. T.: Concernant l’État de la France, la question de la judéophobie (de ce qu’on appelle toujours «l’antisémitisme») se pose à nouveau sérieusement à partir de l’automne 2000. L’année 20003 se signale par une brutale montée des violences et des menaces antijuives alors que sont fortement médiatisés les affrontements israélo-palestiniens liés au déclenchement de la deuxième Intifada — qui, je souhaite le souligner, ne se limite plus à une «guerre des pierres» mais prend la forme d’une guerre réelle. Dès octobre 2000, la force des images joue contre Israël lorsque l’éprouvante séquence de la mort du jeune Mohammed al-Doura, filmée en direct, passe sur toutes les chaînes de télévision4. L’image du Palestinien devient celle d’un enfant martyrisé par une armée impitoyable et sans visage. Une armée de tueurs rituels: on retrouve la légende fondatrice du meurtre rituel que nous avons évoquée. Dans ce contexte anti-israélien, les agressions antijuives qui se multiplient en France ne donnent pas lieu à de grandes mobilisations consensuelles. L’indifférence domine, mêlée d’une sourde hostilité. Jusqu’au printemps 2002, les pouvoirs publics ne se manifestent guère. Il faudra attendre le début de 2003 pour entendre une condamnation morale officielle de ces actes antijuifs et que se manifeste une volonté de lutter efficacement contre les violences antijuives. Pour toute une fraction de l’opinion, malgré une dénonciation du fondamentalisme islamique qui exploite sans vergogne cette thématique victimaire, la victime c’est le pauvre et/ou l’opprimé, donc «l’immigré» ou «l’Arabe» (voire «le musulman»), donc le Palestinien. Sans pouvoir ici m’étendre sur le sujet, je rappelle que la France a été une puissance coloniale qui a dû faire face à de durs conflits coloniaux: la mémoire de la guerre d’Algérie est toujours vive. Dans le contexte anti-israélien qui s’est radicalisé depuis le début de l’Intifada Al-Aqsa, nombre de Français, anciens militants anticolonialistes ou anticolonialistes par procuration, se projettent dans la résistance palestinienne, rêvée comme une nouvelle lutte anticolonialiste. Au terrorisme palestinien, même à celui des «bombes humaines» visant à tuer le maximum de civils israéliens, ces propalestiniens inconditionnels trouvent des justifications. Certains vont jusqu’à assimiler la résistance palestinienne à la Résistance française contre l’occupant nazi, ce qui présuppose la «nazification» d’Israël, passeport pour son éradication. Par ailleurs, la tradition de la «grande politique arabe» de la France, avec son envers «antisioniste», n’est pas non plus étrangère à la mise en acceptabilité de ces nouvelles attitudes.
E. K.: L’islamisme radical fustige la décadence de l’Occident dont l’une des idées force est la croyance dans le progrès, thème auquel vous avez consacré plusieurs travaux. Croire au progrès est-il désormais un signe de décadence?
P.-A. T.: L’idée de progrès, croyance fondamentalement moderne postulant que l’avenir sera meilleur que le passé et le présent, a structuré l’imaginaire politique occidental, depuis sa longue naissance aux XVIIe et XVIIIe siècles. Or, trois siècles plus tard, on peut constater que la remise en cause de l’idée de progrès, initiée par les anthropologues théoriciens du relativisme culturel radical, puis développée par les idéologues écologistes et altermondialistes, a progressé d’une façon frappante. Les nouveaux ennemis de l’Occident ont repris et simplifié, dans leur langage manichéen, cette dénonciation du «mythe du progrès». Croire au progrès serait, selon les islamistes radicaux, un symptôme de décadence. Il faudrait donc préserver toutes les formes de cultures, y compris celles où le cannibalisme, la lapidation des femmes ou l’infibulation ont encore force d’usage. Ou établir la Charia partout où vivent des musulmans. Remettre en cause radicalement la notion de progrès, diabolisée parce que d’origine occidentale, revient à vouloir effacer l’avenir. Mais à quoi ressemble un monde qui ne pense pas à l’avenir et qui a pour seule obsession le prétendu complot mondial «américano-sioniste»? Le rêve d’une unification pacifiante du monde est une illusion qui s’étend dans un occident affaibli par les doutes et les critiques internes. L’hyperterrorisme est entré en guerre contre l’Occident démocratique libéral (le camp des «judéo-croisés»). Les hommes de culture doivent conjuguer le devoir d’histoire et le travail de mémoire. Le grand partage se fera entre ceux qui, suivant la ligne de la peur, se soumettront aux fanatiques criminels porteurs d’un IIIe totalitarisme et ceux qui décideront de s’insurger, de résister aux nouveaux barbares et de combattre pour la liberté de tous.
Notes.
1. Selon cette légende, chaque année les Juifs sacrifiaient un enfant (non juif), pour faire avec son sang le gâteau rituel de Pâques, la matza.
2. Pierre-André Taguieff vient de publier une nouvelle édition refondue de l’étude historique et critique qu’il avait consacrée à ce document: Les Protocoles des Sages de Sion. Faux et usage d’un faux, Berg International/Fayard, Paris, septembre 2004, 490 pages.
3. Chantier sur la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, rapport remis au ministre de l’Intérieur le 19 octobre 2004.
4. Cet épisode est analysé par Pierre-André Taguieff dans Prêcheurs de haine (op. cit.), pp. 367-370.
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