Que savaient les diplomates
de Vichy?Catherine Nicault
Les cahiers de la Shoah, no 3, 1995-1996
©Catherine Nicault/Liana Levi 1996
«Qui savait quoi1?» telle est la question à laquelle est nécessairement ramené l’historien qui traite de l’information sur la Shoah au cours de la guerre. Ce détour obligé par les canaux de l’information, les individus, leurs contacts et leurs subjectivités a imprimé sa marque sur les grands ouvrages qui furent, dans les années quatre-vingt, consacrés en tout ou partie au savoir détenu par les principaux acteurs du drame, juifs européens, allemands, polonais, anglais et américains, sans oublier le Comité international de la Croix-Rouge2.
Cette recherche sur l’information des diplomates de Vichy s’inscrit donc, à première vue, dans une veine qui semblait épuisée avant la parution récente d’un livre sur le Yishouv palestinien3. Dans le champ des acteurs de second rang, des lacunes historiographiques subsistent en effet, au nombre desquelles figure le personnel diplomatique de l’État français entre les étés 1941 et 19444. Un autre argument, du reste, plaide en faveur de cette recherche particulière, à savoir l’intérêt à mieux cerner le contexte mental dans lequel les dirigeants français, Laval en tête, ont pu accepter de prêter la main aux déportations.
L’étude présentée ici s’est efforcée de répondre à ces attentes. Mais elle a aussi donné lieu, chemin faisant, à des réflexions d’une portée méthodologique plus générale.
Historiographie et méthode d’approche
Faire en effet d’un milieu diplomatique particulier l’objet même de l’étude ne relève pas d’une démarche si familière aux historiens de la diffusion du «terrifiant secret»5. Non que le rôle des diplomates n’ait été abondamment souligné, mais dans le cadre, presque toujours, de problématiques plus globales, notamment dans l’analyse des circuits empruntés par l’information entre les lieux d’extermination et l’extérieur, comme à l’intérieur du corps social. Des figures de diplomates apparaissent, ici ou là, comme des maillons dans des filières reconstituées, ou encore comme des intervenants dans les processus de décision politique en matière de diffusion de l’information ou de sauvetage éventuel des survivants; encore dans ce dernier cas se contente-t-on souvent, pour marquer l’influence du diplomatique sur le politique, d’invoquer sans autre forme d’examen le poids du «Foreign Office» ou du «Département d’État».
C’est une tout autre approche, et, selon nous, des plus prometteuses, que d’aborder l’information sur la Shoah du point de vue d’un système diplomatique en soi. Partant du fait que tout ministère des Affaires étrangères, ou toute institution en tenant lieu, est d’abord un dispositif voué à la collecte et à l’analyse de l’information, on conviendra que les diplomates constituent au sein des classes dirigeantes des pays en guerre l’un des principaux groupes de professionnels de l’information. Il semble dès lors logique de cerner le savoir détenu par ce groupe avant d’étendre l’examen, sur une base archivistique souvent moins solide, à l’ensemble des milieux dirigeants.
Car une telle enquête présente en outre l’immense avantage de pouvoir s’appuyer sur des sources écrites abondantes et cohérentes, fruits du mode de fonctionnement même de l’institution. En règle générale, l’activité diplomatique laisse des traces, lesquelles sont d’ordinaire conservées avec un soin jaloux, les archives représentant un instrument de travail essentiel. En dépit des malheurs du temps et des pertes qui leur sont dues, la diplomatie de Vichy n’a pas failli, sur ce plan, à la tradition6. Sans doute, dans le domaine du «qui savait quoi», l’exploitation de la trace écrite, comme d’ailleurs son absence, exige-t-elle la définition d’une méthode d’exploitation propre à tenir le chercheur aussi éloigné que possible des sirènes de l’«a posteriori»7. Malgré leurs efforts pour s’en garder, les historiens de l’information tendent trop souvent en effet à préjuger de la capacité de l’individu à former, à partir du maquis des nouvelles à sa disposition, un système d’interprétation pertinent. Ils ont trop tendance à oublier, faute d’avoir une idée suffisamment concrète de l’actualité dans laquelle baigne l’individu ou le groupe considéré, l’abondance même de cette information, et particulièrement, au sein de cette masse, le nombre d’échos relatifs à des massacres, des exactions, des transferts et autres échanges forcés de populations dans les pays occupés. En bref, la «brutalisation» de la guerre nous paraît un facteur globalement sous-estimé, très largement sous l’effet de l’état très parcellaire des sources.
Or ce risque se trouve minoré, à notre sens, dans les études de cas «diplomatiques» dans la mesure où les archives conservent un large éventail de l’ensemble des informations reçues, des interprétations, émises comme des actions éventuellement entreprises. Ainsi peut-on gager que l’«environnement» de l’information centrée sur les Juifs se trouve en bonne partie préservé8. De plus il y a certainement un moindre danger à «forcer» le sens d’un document – autre écueil de l’exercice –, pour peu que l’on veille à l’interpréter en fonction du mode opératoire de l’institution.
Tout organisme gérant les relations extérieures d’un État partage les rôles entre des services centraux et un réseau de diplomates accrédités. Aux diplomates en poste à l’étranger la tâche de collecter les informations propres à servir l’action du gouvernement. Il leur revient en conséquence de lire la presse locale, de chercher le contact avec des personnalités intéressantes, de recueillir bruits et rumeurs. Bien entendu, ils ne rapportent à leurs mandants qu’un matériel trié selon divers critères d’intérêt ou d’opportunité. Mais même dûment sélectionnée à la source, l’information fournie aux services centraux couvre encore un large spectre.
Il échoit ensuite à ce que, à Vichy, comme sous la IIIeRépublique, l’on nomme «le Département» de réduire cette masse proliférante d’informations et d’avis, de les confronter à des renseignements d’autres provenances (émanant des services secrets notamment), pour n’offrir au ministre et au pouvoir politique qu’un noyau directement utile. Tâche de sélection, d’analyse et de synthèse à laquelle s’attellent les diverses directions, la plus importante étant celle des Affaires politiques et commerciales, elle-même subdivisée en sous-directions géographiques (Europe, Afrique, Levant, etc.). De ces opérations complexes, naissent notes et rapports, seuls destinés en principe à gravir les échelons de la hiérarchie.
Aussi bien l’interprétation des documents d’archives doit-elle se fonder sur leur nature et place dans la chaîne diplomatique, laquelle peut présenter des aléas. Ainsi les télégrammes ou dépêches émanant des postes à l’étranger ne sont-ils pas toujours lus au niveau de la sous-direction, pour peu que celle-ci soit, pour une raison ou une autre, débordée. Lus, ils ne sont pas forcément jugés dignes de foi ou d’intérêt suffisant pour recevoir l’honneur d’une diffusion ultérieure. Il ne faut attendre de ces documents que ce qu’ils peuvent donner: des lumières incontestables sur l’information des différents diplomates-émetteurs et une idée de l’ensemble de l’information disponible, dans l’hypothèse la plus favorable, au centre-récepteur.
Seuls les documents de synthèse élaborés au Centre sont susceptibles, eux, de permettre d’établir à coup sûr si des liens furent noués entre des informations éparses, si, en d’autres termes, la conscience d’une entreprise d’extermination programmée par l’Est nazi contre les Juifs s’est formée. Quant aux directives données en retour aux diplomates dans les domaines pouvant toucher aux Juifs, il est particulièrement difficile de les interpréter du point de vue de la connaissance qui les sous-tend. Dans certains cas néanmoins, comme nous le verrons, cela peut être tenté.
La diplomatie de Vichy: son potentiel dans le domaine de l’information
La capacité générale de la diplomatie de l’État français à réunir des informations a énormément évolué au cours de la guerre9. Jusqu’à la fin de 1942, cette capacité est loin d’être négligeable, car le régime de Vichy conserve à son service la quasi-totalité du personnel diplomatique de la République défunte. Certes une poignée de grands ambassadeurs en poste à la veille de la guerre préfèrent se retirer «sur leurs terres», tandis que certains agents nourrissent des sympathies secrètes, sinon des intelligences, avec la «Dissidence»10. Mais au total, les défections sont rares et Vichy dispose d’un outil diplomatique tout à fait significatif.
Quant à son réseau de relations extérieures, il s’est évidemment rétréci. Le ministère a perdu au profit des deux commissions d’armistice de Wiesbaden et de Turin la gestion des relations avec les vainqueurs, l’Allemagne et l’Italie, devenues en fait le domaine réservé du chef de gouvernement11. Néanmoins le Département reçoit de la délégation française à Wiesbaden une documentation abondante sur laquelle il nous faudra revenir. Ce dernier n’entretient plus de postes dans les pays occupés par l’Allemagne ou par l’URSS – Pologne, pays Baltes –, et s’est vu mis en demeure, après la rupture avec le Royaume-Uni en juillet 1940, de rompre également avec les gouvernements des pays occupés par l’Allemagne en exil en Angleterre: Belgique, Luxembourg, Pays-Bas, Norvège, Tchécoslovaquie, Pologne12. Au printemps 1941, la rupture est consommée à son tour avec la Yougoslavie, la Grèce et l’URSS du fait des offensives nazies et, en raison de l’intervention anglo-gaulliste, avec les États du Levant, Syrie et Liban.
Cependant, le réseau des relations extérieures de Vichy demeure étendu. La suppression des légations après la rupture officielle des liens diplomatiques ne signifie pas obligatoirement le terme de tout lien. Ainsi des agents français de second rang demeurent à titre officieux après avril 1941 à Zaghreb en Croatie, ainsi qu’à Athènes et Salonique13. Mais Vichy conserve surtout des relations parfaitement normales avec une quarantaine d’États: les États asiatiques (Chine, Japon…), tous ceux du continent américain, États-Unis en tête, les Dominions, les neutres européens – Suisse, Suède, Eire, Vatican, Espagne, Portugal –, les États moyen-orientaux – Turquie notamment –, les alliés de l’Axe de la zone danubienne et balkanique, la Slovaquie exceptée.
Aussi le ministère des Affaires étrangères de Vichy possède-t-il de la mi-1941 à la fin de 1942, pendant les années cruciales pour notre propos, de nombreuses «fenêtres»14 sur le monde, en particulier chez les neutres et dans le Sud-Est européen, hauts lieux de l’information sur les Juifs européens. De surcroît, les Allemands lui laissent, à cette époque, une assez grande liberté de liaison avec ses délégations que ce soit par la «valise», le «fil», la radio ou les courriers. Étrangement, l’occupant a seulement limité la circulation de la «valise», moyen commode et, en principe, sûr d’échanger le courrier diplomatique. Son défaut cependant est d’être fort lent, et de ne desservir qu’un nombre limité de postes, essentiellement les capitales des pays neutres limitrophes (Berne, Madrid, Lisbonne), ainsi que Moscou jusqu’à l’été 1941, et Ankara15.
Pour ces postes encore, comme pour des destinations plus lointaines, le ministère dispose de certaines lignes télégraphiques et de liaisons-radio. Vichy peut ainsi toucher par fil, plus rapidement mais aussi plus laconiquement, Madrid, Lisbonne, Genève, Moscou, Stockholm, Bucarest, Sofia et Budapest, via Clermont. Il communique avec New York par transmissions radio, et de là avec l’Amérique du Sud grâce à un câble sous-marin demeuré sous son contrôle. Pour Ankara et les postes du Moyen-Orient en général, il y a moyen d’utiliser, jusqu’en juin-juillet 1941, le radio-relais de Beyrouth.
Enfin, chaque fois que l’occasion s’en présente, les agents confient des courriers à des voyageurs de confiance. Ce procédé est bien évidemment aléatoire, mais il a la réputation d’être le plus sûr tout en autorisant l’envoi de textes longs, à l’instar de la valise.
Il est donc clair qu’avant la fin de 1942 les liaisons sont ralenties et gênées de diverses manières. Certains postes, comme Belgrade et Zaghreb, se trouvent isolés, réduits finalement à communiquer avec Vichy via la légation de Budapest, ce qui entraîne des délais considérables. Mais le système fonctionne vaille que vaille, d’autant que les Allemands autorisent les Français à échanger avec ses postes, même dans les pays neutres, des messages chiffrés.
Relativement satisfaisant jusque-là compte tenu des circonstances, l’état de la machine diplomatique de Vichy se détériore irrémédiablement après l’invasion de la zone Sud, le 8 novembre 1942. A noter tout d’abord une «évasion» sans précédent du personnel; dans les postes fermés par Vichy, c’est même d’«un véritable écroulement de l’appareil diplomatique»16 qu’il faut parler, tandis qu’en métropole les démissions s’accumulent. Vichy, entre 1942 et 1944, perd environ deux cents agents, soit démissionnaires retirés sur leur Aventin, soit ralliés à de Gaulle ou à Giraud. Le ministère lui-même, sous la houlette du secrétaire général Charles Rochat, est réduit «à l’état d’ombre»17.
Parallèlement le réseau des relations prend des allures de «peau de chagrin»18, avec seulement dix-sept postes à l’étranger en octobre 1943. Après la rupture avec les États-Unis et tous les États américains – excepté l’Argentine – entre novembre 1942 et janvier 1943, le régime de Pétain ne garde de contacts qu’avec quelques pays asiatiques (mais plus la Chine à partir d’octobre 1943), et, notons-le, des pays qui continuent d’être des postes d’écoute privilégiés en ce qui concerne le sort des Juifs: presque tous les neutres européens, la Turquie et les pays alliés de l’Allemagne, Finlande, Roumanie, Bulgarie, Hongrie. Par ailleurs Berlin restreint sévèrement la liberté des liaisons19.
Au total toutes les fenêtres sur l’extérieur ne sont pas closes en 1943 et 1944, mais les communications, considérablement perturbées, sont désormais placées sous étroite surveillance. Autant de réalités à conserver en mémoire au moment d’évaluer l’information collectée par l’outil diplomatique de Vichy.
La collecte des informations: les revues de la presse étrangère
En dépit des «beaux restes» conservés jusqu’à la fin de 1942, la diplomatie vichyste n’a jamais pu exercer une activité un tant soit peu soutenue, sinon en Extrême-Orient, et seulement jusqu’à la fin de 1943. Comme nous le savons, les relations franco-allemandes et franco-italiennes ne sont plus de son ressort. Sur l’ensemble du terrain européen en fait, le ministère ne traite plus guère que de broutilles. Avec les interlocuteurs étrangers qui lui restent, les rapports sont généralement de pure courtoisie.
Ce quasi «chômage technique» combiné au rôle plus stratégique que jamais du renseignement en ces heures troublées explique les efforts considérables développés par les diplomates dans le domaine de l’information. De fait, le Département réceptionne une documentation considérable, qu’il s’agisse des dépêches et télégrammes ordinaires en provenance des postes encore en activité, des revues de presse prenant généralement la forme de bulletins ronéotypés, ou des bulletins d’écoute des radios étrangères émanant du ministère de l’Intérieur, lesquels en l’occurrence, d’après les rares spécimens rencontrés, se sont révélées d’un très mince intérêt pour notre propos.
Le ministère reçoit donc surtout de diverses sources, et d’un bout à l’autre de la guerre, d’abondantes analyses de la presse allemande et neutre. Le service de presse de la délégation française à la commission d’armistice de Wiesbaden, qui vit quasiment recluse, passe la presse allemande au peigne fin pour en tirer la matière de trois publications ronéotypées – les Bulletins quotidiens d’information, les Notes, les Bulletins économiques hebdomadaires –, tous fidèlement «servies» au Département par la direction des services de l’armistice20.
De leur côté, les légations dans les pays neutres ont conservé, ou rapidement reconstitué, des services de presse qui produisent une documentation régulièrement confiée à la valise21. Berne passe ainsi quotidiennement en revue la presse suisse, parfois aussi la presse allemande du Reich et du Gouvernement général, et communique à l’occasion des publications émanant de réfugiés politiques dans la Confédération22. A Stockholm, le service d’information et de presse en fait fréquemment de même pour les journaux scandinaves, tandis que les attachés de presse à Madrid et Lisbonne donnent un compte rendu hebdomadaire de la presse locale23.
Les sondages effectués dans cette masse documentaire font d’abord découvrir sans surprise que les informations relatives aux Juifs, très clairsemées dans la documentation en provenance de Berne, sont pratiquement absentes de celle produite par Stockholm, Madrid et Lisbonne. Les renseignements militaires et économiques sur l’Allemagne ainsi que les nouvelles données sur la France et les problèmes franco-français, surtout à partir de 1942-1943, sont en effet les informations prioritairement recherchées par les rédacteurs. De ce fait, le chapitre des souffrances civiles en général, celui des souffrances endurées par les Juifs particulièrement, ne revêt qu’un intérêt très limité.
Mais lorsque ce chapitre est abordé, par Berne donc, c’est d’une manière qui semble faite pour calmer d’éventuelles alarmes. Dans la presse allemande de l’été 1941 par exemple, l’ambassade relève avec une certaine complaisance les mentions sur l’«acharnement au combat du soldat russe», le «caractère d’âpreté extraordinaire» de la lutte face à une population soviétique «fanatique»24. Notations générales certes, mais qui peuvent laisser entendre, au cas où quelque chose filtrerait des massacres juifs conduits par les Einsatzgruppen, que de tels faits ne concernent pas les seuls Juifs, voire que les Juifs portent la responsabilité d’exactions commises contre eux dans le feu des combats. Des exemplaires d’un bulletin d’exilés lituaniens réfugiés en Suisse et transmis à Vichy peuvent concourir à créer la même impression: dénonçant les «déportations en masse» de «familles entières» commises par «les barbares rouges» pendant la période de l’occupation soviétique, ils font des Juifs les «acolytes des tchéquistes»25. De même les massacres perpétrés en Croatie visent, rapporte Berne en août 1941, tous les opposants à Pavelitch, communistes et serbes surtout, juifs dans une moindre mesure26.
De Berne encore, parviennent en septembre et en octobre 1941 des brèves concernant les Juifs du Reich: beaucoup d’entre eux ont perdu leur logement, ceux de Rhénanie sont expulsés vers Berlin et, avec leurs coreligionnaires berlinois, ils «seraient dirigés vers la Pologne et les territoires de l’Est». Le tout reçoit cependant une explication rationnelle: après les bombardements anglais, les autorités allemandes, explique-t-on, ont besoin des logements juifs pour reloger leurs sans-abri27.
Le 31 juillet 1942, alors même que le grand processus des déportations amorcé depuis plusieurs mois en Europe centrale vient de se déclencher en France, l’ambassade de Berne donne, fait inhabituel, de très larges extraits d’un curieux article paru dans le Weltwoche. Ce journal suisse s’évertue à démontrer que «le système de déportation en masse qui vient d’être appliqué à plusieurs milliers de Hollandais, de Norvégiens, de Slovènes, de Tchèques, de Français ou de Belges a tout d’abord été expérimenté sur les Juifs», allusion, d’ailleurs explicitée, à l’expérience éphémère de la «Réserve» de Lublin dans les premiers mois de la guerre. L’«on sait aujourd’hui, croit pouvoir affirmer le journal, que de telles mesures n’étaient pas spécialement antisémites, mais représentaient une expérience qui devait être utilisée pour la déportation de nombreux ressortissants d’autres peuples». Le camp de Theresienstadt, destiné aux Juifs du Protectorat, aurait constitué une autre expérience, d’ailleurs peu réussie, non pas, précisons-le, du point de vue des détenus, mais des habitants originels de la ville victimes d’un système d’indemnisation défaillant! En conclusion l’article propose les explications suivantes aux mesures allemandes: le Reich cherche à «briser la volonté de résistance», comme le fit naguère l’Angleterre avec les forçats d’Australie; il a besoin de travailleurs dans les territoires évacués par les Russes et préfère isoler les éléments dangereux dans la perspective de l’ouverture d’un second front28.
Sélection d’informations étrange en vérité si l’on songe aux nouvelles relativement concordantes – et souvent exactes – sur le sort fait aux Juifs dont la presse suisse s’est largement fait l’écho en 1942, ce que les représentants de la France sur place n’ont pu ignorer. Par ses choix de 1941 et 1942, l’ambassade de Berne donne le sentiment de sélectionner des informations propres au mieux à rassurer sur le sort des Juifs de France. Ce sentiment se renforce, par contraste, à considérer la bien meilleure «couverture» consentie aux exactions allemandes commises contre les étudiants et les intellectuels tchèques, à l’«éradication» de la culture autochtone et, par-dessus tout, aux représailles subies par les malheureux villageois de Lidice après l’assassinat de Heydrich29.
La personnalité des représentants de Vichy n’est certainement pas étrangère à ce traitement de l’information. Aux postes stratégiques de Madrid et de Berne, Vichy a nommé des «fidèles» n’appartenant pas toujours à une «Carrière» qui est tenue en méfiance. De François Pétri à Madrid, de Renom de la Baume30, puis de l’Amiral Bard à Berne, tous fermes soutiens de la politique de collaboration, on peut gager qu’ils se souciaient peu d’encombrer Vichy de nouvelles embarrassantes. Il est moins aisé d’expliquer l’attitude des représentants nettement moins «bien pensants» de Lisbonne et de Stockholm, où Vichy dut opérer plusieurs mutations. Ainsi en Suède: au ministre Pierre Guerlet succède en octobre 1941 Vaux de Saint Cyr, qui fait lui-même défection en janvier 1943. C’est seulement à partir du printemps 1943 que Vichy dispose d’un agent sûr dans la capitale suédoise en la personne du chargé d’affaires François Ponty31. Or la presse du cru, bien que d’un ton moins libre que la presse suisse, laissa filtrer, à propos de Juifs, des informations en nombre trop significatif pour qu’elles aient pu échapper à la vigilance de Vaux de Saint Cyr. Lui auraient-elles paru insuffisamment dignes de foi? Il y a, comme nous le verrons, quelque raison de le penser. Ce n’est en tout cas qu’en 1943 et 1944, et par la Suisse toujours, que parviennent de loin en loin à Vichy quelques brèves alarmantes sur le sort des Juifs danois, polonais et hongrois, mais en nombre trop restreint pour être significatif32.
A l’évidence, le poste d’observation de Wiesbaden, était nettement moins propice que les capitales neutres, la presse allemande, soumise à une censure d’airain, se montrant peu diserte sur le traitement infligé aux Juifs. Au chapitre des «Questions politiques», les analyses journalières font toutefois une bonne place en novembre et décembre 1941 à des propos de responsables nazis qui, lus aujourd’hui, paraissent transparents. Ainsi, dans l’organe officieux du ministère de la Propagande, le Das Reich du 16 novembre, Goebbels annonce-t-il que la prophétie faite par Hitler dans son discours du 30 janvier 1939 devant le Reichstag sur la «destruction de la race juive en Europe» était en voie de réalisation. «En déchaînant cette guerre, la juiverie mondiale s’est entièrement trompée en surestimant les forces dont elle dispose. Elle est maintenant la victime d’une action d’anéantissement progressif. […] Elle périt ainsi selon sa propre loi, œil pour œil, dent pour dent33.»
Signe peut-être du trouble ressenti par certains Français de Wiesbaden, la Note du 27 octobre s’attache à rapprocher une série de faits: l’entrée en vigueur le 19 septembre de l’étoile jaune pour les Juifs allemands (le port est vérifié dans la ville même), une information entendue à la radio allemande sur le transfert «dans des districts du Gouvernement général réservés à la population juive» ainsi que des mesures analogues en Slovaquie, Hongrie, Roumanie, et au Luxembourg, le rappel inlassable enfin par la presse allemande, depuis le lancement de la campagne de Russie, de la fameuse prophétie de Hitler. Ce regain antisémite ne semble pas relever, tout bien pesé, d’«un simple désir de représailles»; la «question juive» est bien «un problème essentiel pour les dirigeants du IIIeReich» et tout cela découle d’un «plan établi» et d’«une volonté déterminée». Mais l’analyste paraît finalement se rallier à l’hypothèse d’un plan d’expulsion systématique34. Comment d’ailleurs conclure autrement à cette date encore prématurée?
La collecte de l’information: le courrier diplomatique
Au total, les diplomates de Vichy ne pouvaient guère tirer leur information sur le génocide juif en cours d’exécution que du courrier diplomatique. Non pas, comme on pourrait s’y attendre, de celui en provenance du Vatican ou d’Ankara, bien connus pour avoir été des plaques tournantes de l’information pendant la guerre. Le représentant de l’État français dans l’enclave vaticane – l’académicien Léon Bérard depuis novembre 1940 – est dans une situation inconfortable: gêné dans ses mouvements et ses contacts, il ne peut communiquer avec Vichy que par le truchement de la valise qui emporte chaque semaine le courrier du Saint-Siège vers Berne, en échange de sa promesse de ne traiter que de sujets ayant directement trait à sa mission35. L’ambassadeur à Ankara – Jules Henry, puis Jean Helleu avant son ralliement à de Gaulle en juillet 1942, enfin Gaston Bergery36 – ne connaît pas, lui, ces entraves malgré des difficultés de liaisons croissantes. A supposer même l’absence de toutes autres sources de renseignements sur place, son silence ne saurait signifier ignorance puisque les agents en poste à Bucarest, Budapest et Sofia lui communiquaient presque systématiquement des copies de leurs courriers adressés à Vichy, courriers importants, eux, pour le sujet qui nous occupe. Il faut tenir compte sans doute, là comme dans les autres capitales neutres, du tempérament des ambassadeurs en place, hésitant, voire falot, pour Helleu, résolument pétainiste pour son successeur.
Car le courrier en provenance des légations en pays neutre est aussi peu explicite que les revues de presse, à l’unique exception, à notre connaissance, d’un courrier de Vaux de Saint Cyr à Laval faisant état des confidences d’une personnalité estonienne sur le «traitement spécial» subi par les Juifs d’Estonie dès l’arrivée des Allemands dans le pays, un an plus tôt37. Le courrier décrit les préliminaires au massacre (recensement, spoliations, concentration), puis le convoyage en avril 1942 des «Israélites» à Riga sous la garde de la milice estonienne, suivi quelques semaines plus tard des exécutions: «Chaque nuit un lot de plusieurs milliers de Juifs, hommes, femmes, enfants en bas âge, furent conduits dans une plaine où une tranchée était creusée et après avoir été déshabillés, ils ont été abattus à coup de mitrailleuses. Ces massacres durèrent pendant trois semaines pendant lesquels 40 000 Israélites furent massacrés.» Parmi les victimes, il y aurait, précise le diplomate «quelques centaines de Juifs hollandais et belges», mais il ignore, prend-il la peine d’ajouter comme seule note personnelle, si des Français en font partie.
On sent pourtant le diplomate ébranlé par ce témoignage direct, lui qui était demeuré jusque-là silencieux sur les massacres baltes et polonais dont la Suède recevait l’écho depuis des mois. Sa remarque sur des victimes éventuelles parmi des Juifs déjà déportés d’Europe occidentale, dont peut-être des Juifs français, retient particulièrement l’attention. Exprimée avant les grandes déportations de l’été 1942, elle prouve que le diplomate connaît l’existence du premier convoi de France en mars 1942 et s’inquiète du sort des déportés raciaux. Quoi qu’il en soit, Vaux de Saint Cyr ne tarde pas à rallier de Gaulle, et cette dépêche reste sans suite38.
Les informations les plus abondantes convergent essentiellement des postes balkaniques où certains agents se trouvent en prise directe avec la tragédie. La plupart d’entre eux avaient été priés dans les premiers mois de la guerre de fournir des informations sur la législation antisémite appliquée dans les différents pays où ils étaient en poste: ils y virent peut-être une invite à continuer de fournir des informations sur les Juifs39. Ces agents, d’ailleurs, appartiennent toujours à la Carrière, et semblent être, dans l’ensemble, des vichystes tièdes. Plusieurs penchent en secret pour la «Dissidence» et s’emploient à entretenir le contact avec elle avant de s’y rallier ouvertement dès que l’occasion s’en présente. Ainsi Jacques Truelle, ministre de France à Bucarest d’octobre 1940 à sa défection, en 1942. Grand mutilé de guerre, il était au moment de la défaite ministre à Washington et aurait dû sa nouvelle affectation «à ses sympathies manifestes pour l’Angleterre et pour la France libre»40. Hypothèse des plus plausibles si l’on en juge par la suite.
C’est en effet d’abord de Roumanie que proviennent des informations circonstanciées, grâce à des contacts entretenus par Truelle au plus haut niveau dans la communauté juive. Du pogrom monstre de Iassy, déclenché juste avant le début de l’offensive roumaine en URSS, le 2 juillet 1941, jusqu’à octobre 1942, Truelle adresse au minimum onze courriers à ce sujet à Vichy41. Après avoir rendu compte du déluge de mesures draconiennes qui s’abattent sur les Juifs des régions frontalières annexées par l’URSS en 1940, Bukovine et Bessarabie, il évoque, le 28 août, pour la première fois, les déportations qui affectent ces régions et qui visent, dit-il, à l’«extermination complète des Israélites». Il utilise encore le terme de «pogroms», mais leur ampleur le frappe42.
Son courrier du 10 novembre 1941, long de sept pages, marque un tournant dans sa perception des événements sous le coup de «témoignages précis […] de la bouche de Roumains revenant des régions [ex-soviétiques]» et de lettres des «malheureux exilés» parvenues à Bucarest. Il met en perspective tous les événements survenus depuis Iassy et décrit très précisément les méthodes de déportation roumaines dans les régions recouvrées, ainsi que les massacres d’Odessa, dans la zone d’opération des troupes roumaines en URSS. Truelle mentionne également les échanges épistolaires entre le Conducator et le président de l’Union des communautés juives de Roumanie en faisant peu de cas des accusations du maréchal Antonescu: non, les Juifs des provinces récupérées n’ont pas été les seuls à insulter les troupes roumaines lors de leur retraite de 1940. «Quant à prétendre qu’Odessa n’a résisté que parce qu’elle était défendue par des Juifs», c’est «vraiment trop ridicule pour pouvoir être pris au sérieux». Surtout, Truelle ne perçoit plus les exactions en termes de pogroms: «Jusqu’à présent, et même à Iassy l’été dernier, on pouvait croire que les persécutions étaient dues à des initiatives de quelques militaires isolés ou de tyranneaux locaux. Aujourd’hui, il n’y a plus de doute qu’on est en présence d’un plan systématique d’extermination conçu depuis déjà quelque temps.» Il y a lieu de redouter «que les mesures de déportations prises en Bessarabie et en Bukovine ne soient étendues à l’ensemble du pays».
Après un silence de quelques mois, il reprend la question dans six courriers, de juin à octobre 1942. Vichy est donc tenu informé du danger terrible encouru par l’ensemble des Juifs roumains, du fait de la pression qu’exercent alors les Allemands sur leur allié, puis de la brusque détente intervenue en septembre-octobre, lorsque les Roumains refusent finalement de donner suite. Le sort tragique des déportés de Bukovine et de Bessarabie est confirmé et précisé, avec pour source avouée rien moins que le propre commandant des camps de Transnistrie, le colonel Lungu. Truelle estime avec une remarquable exactitude le nombre des déportés à 185 000 et montre peu d’espoir qu’il y ait beaucoup de survivants43. Fait curieux: le 22 juin, il affirme que 8500 Juifs de Hollande, 11 600 Juifs de France et 7000 Juifs de Belgique auraient été transférés en Transnistrie dans des «conditions épouvantables de transport» et que «les autorités allemandes et roumaines les utilisent à divers travaux sans les nourrir ni les payer. Aucune dispense n’est accordée, même aux malades ni aux enfants qui sont traités comme des adultes dès l’âge de 8 ans. A la suite de ce régime particulièrement cruel, le taux de la mortalité serait d’environ 30% par jour44».
Même si cette dernière information – dont il n’est pas impossible qu’elle ait eu pour fonction d’avertir Vichy de ne pas livrer les Juifs de France – est erronée, aucun autre agent dans les Balkans ne s’est montré aussi explicite. D’autres renseignements néanmoins sont parvenus à Vichy en 1942 et 1943 de Bulgarie et, à un moindre degré, de Croatie et de Grèce. En Bulgarie, au cours de l’été 1942, le ministre Jean-François Blondel signale, entre autres mesures discriminatoires récemment décrétées, la décision d’expulser tous les Juifs sans travail de Sofia, ajoutant ce commentaire significatif: «De toutes ces mesures, la plus redoutable est, sans conteste, la déportation. Aussi les quelque 50 000 Israélites établis en Bulgarie (soit 0,75%) sentent-ils qu’un grand malheur s’est abattu sur eux. Ils craignent de subir le sort de leurs coreligionnaires de Pologne ou de Roumanie45.»
Le pire survient cependant au printemps 1943, lorsque les autorités bulgares consentent d’abord à la déportation des 15 000 Juifs des nouvelles provinces de Macédoine et de Thrace annexées en 1941, puis à l’expulsion des 25 000 Juifs de Sofia, ce que les Allemands considéraient comme un prélude à la déportation générale. Le nouveau chargé d’affaires français, Henri-Paul Roux, envoie alors au moins quatre courriers46. Le 16 mars, il décrit les mesures de concentration préliminaires des Juifs de Thrace et de Macédoine, le chargement sur des «wagons-plates-formes» avec pour destination la Pologne. Néanmoins c’est à l’annonce de l’expulsion des Juifs de Sofia vers la province, en mai suivant, que le chargé d’affaires se fait l’écho de l’angoisse du judaïsme local: «Dans les milieux juifs, on appréhende vivement que cette mesure ne soit que le prélude d’une déportation analogue à celle qui a frappé récemment les Juifs de Macédoine et de Thrace47.»
Un nouveau et long courrier, le 30 juin 1943, décrit l’expulsion et les spoliations dont sont victimes les Juifs de Sofia, et trahit l’inquiétude du diplomate. La plupart des «Israélites» expulsés «sont convaincus que leur transfert en province ne sera qu’une étape sur la route de la déportation définitive et que, dans un délai plus ou moins long, ils seront envoyés en Pologne, si tant est qu’ils y arrivent. Les bruits les plus sinistres courent en effet ici sur le traitement que les Allemands réserveraient désormais aux Juifs qui leur sont livrés. On affirme que les Israélites déportés dans les territoires soumis au contrôle du Reich seraient asphyxiés dans des wagons ou des camions spécialement conçus à cet effet». «Personne, ajoute-t-il pour tout commentaire, n’a eu de nouvelles des Juifs déportés de Thrace et de Macédoine».
Quelques mois plus tard, le 20 novembre 1943, dans un climat moins tragique, le nouveau ministre de France à Sofia, M. de Kergariou, manifeste à la fois un soulagement et une perception nette de la menace à laquelle les Juifs bulgares viennent d’échapper: les Juifs bulgares, déclare-t-il, ne courent plus le risque «d’être jetés dans des camps de concentration, ni celui, plus grave encore, d’être déportés en Allemagne et en Pologne comme l’ont été autrefois ceux de Thrace et de Macédoine dont personne, ici, depuis lors, n’a entendu parler».
Enfermé à Zaghreb, l’agent officieux qu’est le consul Georges Gueyraud en Croatie après 1941 fait montre tout d’abord de prudence devant des rumeurs qu’il juge exagérées. Dès les débuts de l’État oustachi, il ressort cependant de ses courriers que la terreur frappe indistinctement Serbes, communistes et Juifs, et il lui arrive entre février 1942 et mars 1943 de s’attarder davantage sur le sort réservé aux Juifs, sans pour autant signaler les terribles camps de concentration croates ni les déportations de l’été 1942, puis de mars 1943, vers Auschwitz48. Au début de 1942 pourtant, il rapporte «l’aveu [du ministre des Affaires étrangères croate] que tous les Israélites devaient disparaître d’une façon ou d’une autre du territoire de l’État49». Et le 11 août 1942, sur la foi désormais de «témoins sérieux», il revient sur les «horreurs qui furent commises en Croatie, l’an dernier, en Bosnie notamment, sur les populations pravoslaves ou juives et qui accompagnent depuis lors les hostilités dans les diverses parties de la Croatie». Ces atrocités, souligne-t-il, ont l’aval du Reich50. Un peu plus tard, le diplomate signale les propos de l’archevêque de Zaghreb, Mgr Stepinac, contre «les doctrines raciales» et les «excès du régime» et une démarche célèbre – et plus tard controversée – du prélat auprès de Pavelitch en faveur de certaines catégories de Juifs51.
A Salonique, le vice-consul Eugène Haimet n’a eu que le temps, avant la fermeture de son consulat par les Allemands en décembre 1942 et les grandes déportations qui suivirent en 1943, de signaler la «rude épreuve» subie par les «Israélites» de la ville depuis son occupation, à savoir la mobilisation des hommes et leur assignation, dans des conditions épouvantables, à la construction de routes52.
Mais le Département a été informé encore durant l’été 1944 des déportations hongroises par son chargé d’affaires M. de Charmasse. Son premier courrier surtout, du 1er juillet 1944, au long de sept pages parfaitement explicites, récapitule, en s’appuyant sur des témoignages – dont celui du consul de France à Kolozsvar – et sur la presse hongroise, l’ensemble des mesures anti juives prises depuis le 19 mars 1944, date de l’intervention allemande53. Il souligne toute l’horreur de la situation des ghettos improvisés en province, et ajoute: «déjà plusieurs [d’entre eux] ont été vidés; les Juifs qui s’y trouvaient ont été emmenés par chemin de fer vers une destination inconnue» dans des conditions affreuses. «Quelle est, poursuit-il, la destination de ces convois? D’après certains renseignements, il s’agirait d’envoyer les Israélites travailler en Allemagne et en Pologne. Un diplomate neutre m’a affirmé au contraire qu’il possédait des preuves que les Juifs sont dirigés par milliers vers des établissements spéciaux, situés en Pologne, où ils sont asphyxiés en masse dans des chambres à gaz. Après quoi, les corps sont soumis à un système crématoire perfectionné qui les fait disparaître sans laisser aucun vestige. Ce témoignage a d’autant plus de valeur qu’il émane d’un diplomate connu pour ses sentiments germanophiles54.» Trois semaines plus tard, il fait encore savoir que «les déportations ont cessé à Budapest; mais, en province, elles continuent […]» avec l’aide de forces de police allemandes55.
Ce panorama des informations servies à Vichy ne serait pas complet si n’étaient mentionnées pour terminer certaines notations éparses venant d’autres postes, de Washington par exemple qui signale en novembre 1941 les déportations des Juifs du Reich et du Protectorat vers la Pologne56, certains comptes rendus d’écoute radiophonique, singulièrement de la BBC, fournissent également des éléments, notamment une dépêche de Reuter du 9 juillet 1942 sur la conférence de presse consacrée par les Polonais de Londres aux «atrocités allemandes en Pologne» et aux «700 000 Juifs […] assassinés avec une bestialité inconnue jusqu’alors»57. On a peine à croire d’ailleurs que ce soit là l’unique écho parvenu à Vichy, via la radio anglaise, des informations fournies par la résistance polonaise aux Alliées. Les entretiens discrets qu’ont parfois des diplomates du Département, à Vichy et à Royat, avec des informateurs étrangers, diplomates ou journalistes, livrent parfois aussi des informations, comme, en septembre 1943, celle de l’arrestation des 800 derniers Juifs de Norvège58. Une note de la direction politique et commerciale mentionne enfin le 16 juillet 1942 les témoignages de deux paysannes russes déportées du travail en Rhénanie sur les massacres de Juifs dans la région de Wilno et en Ukraine59.
Arrivé à ce point de notre enquête, il est donc permis d’avancer les conclusions suivantes: un certain nombre d’informations sur les massacres perpétrés dans les pays du Sud-Est européen, ainsi que des rumeurs faisant état d’un programme d’extermination à l’échelle de l’Europe, en nombre limité mais de bonne source, sont bel et bien parvenues à Vichy. En dehors des diplomates qui ont transmis ces informations, un certain nombre de leurs collègues en poste à l’étranger, et assurément ceux d’Ankara, en ont également eu connaissance; il est difficile enfin de supposer ceux en poste dans les pays neutres, surtout la Suisse, aussi ignorants que leur silence pourrait a priori le laisser croire. Reste à tenter d’évaluer l’impact de ces nouvelles.
L’impact des informations collectées
Quel crédit les diplomates en poste dans les pays balkaniques accordent-ils eux-mêmes à ces informations? Leur manière même de les présenter suggère qu’ils leur accordent foi, même si tous, loin de là, n’ont pas conscience d’un programme d’anéantissement des Juifs étendu à toute l’Europe. Mais une autre façon, plus tangible, de juger de leur état d’esprit est encore d’analyser leur comportement face au problème auquel ils sont tous confrontés: celui du sort des citoyens français d’origine juive que les autorités locales entendaient traiter comme leurs coreligionnaires autochtones.
Ces agents adoptent tous, sans hésiter, une attitude de protection, s’évertuant à soustraire leurs compatriotes aux mesures discriminatoires, et plus encore aux programmes d’expulsion et de déportation alors même que les Juifs de France en sont l’objet. Jacques Truelle, en Roumanie, plaide par exemple pour n’avoir pas à appliquer une directive de Darlan du 20 juin 1941 sur la délivrance de «certificats ethniques» aux citoyens français se trouvant à l’étranger. Il y réussit semble-t-il et obtient de l’administration roumaine qu’elle ne fasse aucune discrimination entre Français60. Le vice-consul Haimet à Salonique parvient en juillet 1942 à éviter le travail obligatoire à six citoyens et sujets français ainsi qu’à un protégé syrien. En mai 1943, lorsque les Juifs sont expulsés de Sofia, Henri-Paul Roux intervient aussitôt, avec un succès mitigé, pour empêcher qu’une cinquantaine de ses compatriotes ne soient contraints de suivre leurs coreligionnaires bulgares61.
Ce comportement quasi schizophrène des diplomates français, serviteurs par ailleurs d’un régime qui persécute des Juifs, prend plus de relief encore à voir certains d’entre eux insister pour que leurs compatriotes menacés soient rapatriés en France, comme s’ils y couraient un danger moindre. Comme le fit Henri-Paul Roux en juin 1943, notamment pour les familles des anciens combattants. A.M. de Charmasse qui le saisit d’une demande similaire en mai 1944, Rochat répond que le retour des Juifs de nationalité française ne saurait être que «facultatif» (!) tandis que celui des Juifs syriens et libanais, «sujets» français seulement, est exclu62.
Sans doute ne faudrait-il pas idéaliser à l’excès les motifs d’une attitude de protection qui ressort probablement en partie d’un réflexe de défense du prestige national qui est de tradition au Quai. Les diplomates intercesseurs ne manquent jamais par exemple d’évoquer les exemptions obtenues par leurs collègues italiens, suisses, ou espagnols pour leurs propres nationaux, sachant sans doute toucher une corde sensible au sein de leur hiérarchie. Toutefois leur comportement procède aussi, et pour quelques-uns, surtout, d’une très vive inquiétude. Pour Jacques Truelle, il y aurait «un réel danger» à faire une discrimination entre citoyens français dans la Roumanie de 1941. Henri-Paul Roux prend sur lui de suivre de très près le sort de la trentaine d’exilés juifs français de Sofia dont il a obtenu le regroupement dans une localité située à une heure seulement de la capitale bulgare; il garde ainsi le contact avec eux, leur rend même visite régulièrement et espère leur éviter le pire, le cas échéant. Son successeur, M. de Kergariou, qui n’a plus de raisons de nourrir tant d’alarmes, suit son exemple63.
Est-il loisible à présent de cerner l’attitude des fonctionnaires du Département devant les informations mises à leur disposition? Ont-ils même une réaction quelconque? S’efforcent-ils de trouver une forme d’intelligibilité aux faits portés à leur connaissance? Y a-t-il en somme des raisons de penser que les diplomates de Vichy étaient en mesure d’imaginer le sort qui attendait les juifs déportés de France? A ces questions essentielles, il est infiniment plus difficile de répondre.
Observons néanmoins que les agents qui fournissent des informations sur la question juive le font de leur propre initiative. Nulle requête ne les y pousse, passé les années 1940 et 1941 où le Département demande à être tenu informé des mesures antisémites mises en œuvre par les pays alliés et satellites de l’Allemagne.
On peut tenir pour assuré que certaines des dépêches signalées plus haut ont bien été lues, puisque certains passages sont dûment cochés ou soulignés. Même en l’absence d’indices de cette sorte, il nous semble raisonnable de penser qu’ils l’ont été dans la mesure où la recherche de l’information est la principale occupation et raison d’être du ministère à l’époque. Ce qui implique que certains fonctionnaires de rang intermédiaire, au niveau de la sous-direction Europe notamment, et, de façon moins assurée, de rang supérieur, ont effectivement pris connaissance d’informations sinistres, vraies ou fausses, sur le sort des Juifs d’Europe centrale et orientale ainsi que sur celui des déportés raciaux d’Europe occidentale. Cela, soulignons-le, non seulement tandis que les déportations françaises battaient leur plein, mais même un peu avant par deux au moins des courriers susmentionnés, celui de Jacques Truelle faisant faussement état en juin 1942 de la présence de déportés occidentaux en Transnistrie et celui de Vaux de Saint Cyr en date du 6 juillet 1942 sur les trop véridiques massacres estoniens. Certaines des informations reçues sont d’ailleurs reprises dans des notes de la direction des Affaires politiques et commerciales pour le cabinet du ministre.
Ajoutons enfin que les archives ne gardent aucune trace de tentative pour mettre en perspective les différentes nouvelles concernant les Juifs d’Europe. Ce trait vaut pour les rapports de synthèse, réalisés, probablement dans la perspective des futurs traités de paix, à propos de pays comme la Roumanie où l’on dénombrait avant guerre environ 800 000 Juifs: la question juive n’y est même pas évoquée64.
C’est donc une attitude d’indifférence et de passivité qui caractérise le personnel du Département. Ce constat fait, il reste encore à en déterminer les motifs. L’incrédulité? Il paraît difficile d’admettre que le Département dénie tout fondement aux renseignements fournis pas des agents chevronnés. Et on voit mal surtout comment, dans le contexte contemporain des déportations françaises, ces doutes éventuels ne se seraient pas traduits, au moins avant la fin de 1942, lorsque le secret des liaisons était encore assuré, par des demandes de vérifications et d’informations supplémentaires.
En vertu de quoi, l’absence d’intérêt des fonctionnaires du ministère, a fortiori celle de Laval, pourraient bien dissimuler en fait une forme de savoir informulé, un savoir sur lequel l’esprit éviterait de s’arrêter, mais qui n’en serait pas moins réel. Car, à supposer même qu’aucune des informations relevées plus haut n’ait franchi le barrage des sous-directions, le fait – dont ils étaient parfaitement avertis – que la question était tabou auprès des Allemands aurait dû au minimum provoquer une réaction «professionnelle» de curiosité de leur part, ce qui n’est nullement le cas. A ce titre, la façon purement bureaucratique dont les services du ministère, lorsqu’ils sont interrogés par des ressortissants d’un pays allié de l’Allemagne proches des victimes sur le sort de certains Juifs déportés de France, instruisent leurs demandes, peut paraître singulièrement révélatrice: ils transmettent sans commentaire au ministère de l’Intérieur, lequel répond invariablement que le transfert en zone occupée marque la fin de sa compétence. Le ministère des Affaires étrangères renvoie alors le demandeur auprès des autorités allemandes, avec le résultat que l’on devine65.
A contrario, Laval multiplie les explications embarrassées lors des rafles et des déportations de France de l’été 1942, sans que s’en trouve infirmée notre impression d’un savoir inavoué. Qu’on en juge plutôt: le chef du gouvernement et ministre des Affaires étrangères invite, dans un premier temps, les ambassadeurs à Lima et à Washington à déclarer que les déportés qui «appartiennent à des catégories réputées suspectes» sont transportés dans l’«Est de l’Europe» en raison du risque d’ouverture d’un second front en Europe et d’une «assimilation matérielle» impossible. «Quant à l’intention prêtée à l’Allemagne de stériliser les enfants de souche juive, ajoute-t-il, elle relève de la fantaisie et de la propagande.» Puis, dans une lettre circulaire, le même Laval a le front de conférer aux déportations le sens d’un «rapatriement […] dans l’Est de l’Europe, leur pays d’origine», et de prétendre que le mouvement «a lieu par familles, i.e. les enfants mineurs avec leurs parents à moins que ceux-ci ne préfèrent partir seuls», alors qu’en réalité les enfants séparés de leurs parents lors des rafles de juillet, non déportables à l’origine, viennent d’être expédiées vers la Pologne sur l’intervention personnelle de Laval! Tout cela ne l’empêche en rien de peindre au pasteur Boegner, interloqué, un bucolique rassemblement des Juifs dans une colonie agricole, quelque part en Pologne66.
On reconnaît dans ce discours cynique des éléments du discours allemand habituel (la colonie agricole), ainsi que certaines explications fallacieuses manifestement empruntées à la presse helvétique, à celle du moins que l’ambassade de Berne donne à connaître (le second front). Quant à l’image du «rapatriement» et au «bobard» facile à démentir de la stérilisation systématique des enfants, ils sortent, jusqu’à plus ample informé, de l’esprit fertile du seul Laval. Ce cumul d’arguments pour le moins spécieux nous semble bien, au total, le fruit soit d’un trop réel savoir, soit d’une volonté délibérée de ne pas savoir, ce qui, en l’espèce, ne fait pas grande différence. Au chapitre du génocide juif, les hauts fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères comme le chef du gouvernement ont bien plus probablement respecté la loi du silence dictée par l’occupant qu’ignoré réellement la tragédie qui se déroulait.
Notes.
1. Expression empruntée au titre de l’ouvrage dirigé par Stéphane Courtois, Adam Rayski, Qui savait quoi. L’extermination des Juifs, 1941-1945, La Découverte, Paris, 1987.
2. Citons, outre le livre fondamental de Walter Laqueur, Le Terrifiant Secret. La «solution finale» et l’information étouffée, collection Témoins, Gallimard, Paris, 1981 (traduit de l’anglais); Christopher Browning, The Final Solution and the German Foreign Office, Holmes and Meier, New York-Londres, 1978; Bernard Wasserstein, Britain and the Jews of Europe 1939-1945, Clarendon Press, Oxford, 1979; David Wyman, L’Abandon des Juifs. Les Américains et la solution finale, postface d’André Kaspi, Flammarion, Paris, 1987 (traduit de l’américain); Jean Claude Favez, Une mission impossible? Le CICR, les déportations et les camps de concentration nazis, Éditions Payot, Lausanne, 1988.
3. Tom Segev, Le Septième Million. Les Israéliens et le génocide, Éditions Liana Levi, Paris, 1993 (traduit de l’hébreu et de l’anglais par Eglal Errera).
4. La question de l’information dans la France de Vichy est traitée en deux pages par Walter Laqueur, op. cit., et le livre collectif dirigé par Stéphane Courtois et Adam Rayski, op. cit., consacré à la France, ne fait qu’une place limitée aux milieux dirigeants en général (Denis Peschanski, «Que savait Vichy?», pp. 53-66).
5. A l’exception notable de l’étude de Christopher Browning, mais le cas de la Wilhelmstrasse est très particulier, op. cit.
6. Elle a développé un grand effort pour reconstituer des archives perdues.
7. L’historien Jean-Jacques Becker désigne sous ce terme l’un des écueils les plus fréquents du témoignage comme source pour l’historien.
8. Nous en avons concrètement l’expérience dans les archives du Quai d’Orsay. Au total, environ soixante dossiers ont été consultés pour cette étude, soit un nombre très supérieur aux seuls dossiers concernant nominativement la «question juive».
9. Cette partie tire l’essentiel de sa matière de Jean-Baptiste Duroselle, Politique étrangère de la France. L’abîme, 1939-1944, Imprimerie nationale, Paris, 1986 (première édition, 1982), chap. 15, et de Jean Baillou (sous la direction de), Les Affaires étrangères et le corps diplomatique français, t. 2, 1870-1980, Éditions du CNRS, Paris, 1984, pp. 541-559.
10. Toutefois les défections augmentent dès le printemps 1942, après le retour de Laval au pouvoir, ce qui accrut la défiance des Allemands qui soupçonnent depuis toujours des sentiments «gaullistes» chez les diplomates français.
11. Même lorsque ce dernier se trouve être en même temps, comme Laval, ministre des Affaires étrangères, le ministère, laissé en fait à la gouverne du secrétaire général, Charles Rochat, n’a pas son mot à dire dans ce domaine.
12. Un temps, des «offices» maintiennent certaines relations techniques avec la Belgique, le Luxembourg et la Norvège, situation à laquelle les Allemands mirent fin en mai 1942. Sur les relations de Vichy, voir la note manuscrite du 2 juillet 1943, «La situation de la France à l’égard des pays européens», in MAE, Guerre 1939-1945, Vichy État français, vol. 20.
13. Vichy a adopté le principe de ne pas établir de relations officielles avec les États nés de la guerre. Cela vaut pour les États «successeurs» de l’ex-Yougoslavie – Croatie, Serbie –, comme pour la Slovaquie évoquée plus loin dans le texte. Néanmoins le consul général François Gueyraud, puis le vice-consul André Gailliard, demeurent à Zaghreb pour assurer «la protection des intérêts français en Yougoslavie» (sur la situation de ce poste: MAE, Guerre 1939-1945, Vichy État français, vol. 14, de Darlan à Blondel à Sofia, 31 décembre 1941, et Alger CFLN-GPRF, vol. 1417, «Le consulat de France à Zaghreb», note de juin 1943.Le vice-consul Eugène Haimet ne quitte Salonique qu’en décembre 1942 sur l’injonction allemande, tandis qu’un chargé d’affaires français reste à Athènes jusqu’en avril 1943.
14. Jean Baillou, op. cit., p. 556.
15. «La valise», convoyée par des «courriers», ne fait, par exemple, l’aller et retour Vichy-Moscou ou Vichy-Ankara (subissant sur ce dernier parcours 70 transbordements) qu’une fois par mois, et deux fois par mois entre Vichy et Lisbonne. La correspondance à ce sujet entre Bergery, ambassadeur à Ankara, et le Département est très éclairante (MAE, Papiers 40, Papiers Bergery, vol. 1, 4 et 5).
16. Jean-Baptiste Duroselle, op. cit., p. 575.
17. Jean Chauvel, cité par Jean-Baptiste Duroselle, op. cit.. Très révélatrices de l’hémorragie subie, les hésitations de Bergerie, vers la fin de 1942, à autoriser les agents en poste dans les Balkans à se rendre à Istambul, porte de l’évasion vers la Syrie (MAE, Papiers 40, Papiers Bergery, vol. 2, de Bergery au Département, 11 décembre 1942).
18. Jean-Baptiste Duroselle, op. cit., p. 573.
19. En décembre 1942, seuls Laval et Rochat (signant «Diplo») se voient autorisés à expédier et recevoir des télégrammes chiffrés. A partir de l’automne 1943, tous les messages doivent être soumis en clair à un bureau de contrôle allemand situé à Marseille, lequel est maître de l’acheminement. La circulation des valises est compromise après la découverte de son utilisation par des diplomates résistants entre Paris et Madrid. Sur la crise survenue dans les liaisons du fait des exigences allemandes et sur sa solution partielle en décembre 1942, voir MAE, Papiers 40, Papiers Bergery, vol. 2.
20. Un tableau récapitulatif mensuel permettait de se retrouver plus facilement dans cette documentation. Sur les conditions de vie de la délégation française à Wiesbaden, voir le «Résumé d’impressions sur l’Allemagne» rédigé en mars 1943 par le général Beynet, président de cette délégation du 1er octobre 1941 au 26 janvier 1943, lors de son ralliement, MAE, Guerre 1939-1945, Londres CNF, vol. 228.
21. Selon Jean Baillou, op. cit., ces services mis sur pieds pendant la drôle de guerre, ont été dissous peu après l’armistice, en même temps que les services du blocus et les missions d’achat (par exemple pour Stockholm, voir MAE, Guerre 1939-1945, Vichy Europe vol. 707, de Roger Maugras au Département, 18 juillet 1940). Pourtant ces services ressurgissent bientôt avec une double mission: informer Vichy et, avec l’aide de l’Agence Havas, faire de la propagande.
22. Ainsi Les Nouvelles de Lituanie, nationalistes, férocement anticommunistes et passablement antisémites.
23. Ces comptes rendus, surtout ceux de Stockholm, incorporent parfois des renseignements fournis par des industriels neutres ou de personnalités étrangères, baltes par exemple.
24. MAE, Guerre 1939-1945, Vichy Europe, vol. 17, analyses de la presse allemande des 2 juillet, 6 août et 11 septembre 1941.
25. Les Nouvelles de Lituanie, no de mai-août 1941 et juin 1942 in MAE, Guerre 1939-1945, Vichy Europe, vol. 882.
26. D’après La Liberté de Fribourg, MAE, Papiers 40, Bureau d’études Chauvel, vol. 34, note du 18 août 1941.
27. MAE, Guerre 1939-1945, Vichy Europe, vol. 88, de M. de la Baume à Darlan, 19 septembre 1941; Papiers 40, Bureau d’études Chauvel, vol. 58, «Extraits de la presse de Berne. Questions juives», 20 octobre 1941.
28. MAE, Guerre 1939-1945, Vichy Europe, vol. 747, analyse de la presse suisse du 31 juillet 1942 et suite in vol. 748, analyse de presse du 1er août 1942. L’information est reprise, sans mention de la source, dans une note de la Direction politique: Papiers 40, Bureau d’études Chauvel, vol. 59.
29. Une affaire présentée par tous les agents comme le summum de l’horreur atteignable par la «barbarie» nazie.
30. Renom de la Baume avait précédé François Pietri à Madrid avant de rejoindre son nouveau poste de Berne.
31. En ce qui concerne la légation de Lisbonne, le ministre François Gentil est remplacé après sa défection en 1942 par le chargé d’affaires Pierre Baraduc, auquel succède Georges Monnier en 1943.
32. MAE, Guerre 1939-1945, Vichy État français, vol. 139, «Nouvelles. Extraits de la presse suisse», ministère de l’Information, 18 octobre 1943; Vichy Europe vol. 746, analyse de la presse suisse du 28 mars 1944.
33. MAE, Guerre 1939-1945, Vichy Europe vol. 50, Note no 973 du 17 novembre 1941 (id. in Papiers 40, Bureau d’études Chauvel, vol. 58). D’autres informations dans la même veine dans ce dossier, Note no 969 du 15 novembre 1941 (à propos d’un discours du gauleiter de la Warthe) et in Vichy Europe vol. 51, Bulletin no 997 du 2 décembre 1941 (à propos du même article de Goebbels). Il arrivait également aux Français de Wiesbaden de fournir des renseignements sur les ghettos du Gouvernement général.
34. MAE, Papiers 40, Bureau d’études Chauvel, vol. 56, Note no 933 (8 pages au total dont de larges extraits d’une étude du Dr Hochberg, membre de l’Institut pour l’étude de l’Allemagne nouvelle, parue dans Das Reich du 28 septembre).
35. Wladimir d’Ormesson, qui dut quitter sa résidence du palais Taverna à Rome pour la Cité du Vatican le 12 juin 1940 du fait de l’entrée en guerre de l’Italie contre la France, se sentait, comme son successeur Léon Bérard, quasiment «interné». Sur cette question, voir MAE, Guerre 1939-1945, Vichy Europe, vol. 545.
36. Gaston Bergery, qui n’est pas, à la différence de Helleu, un diplomate de caractère, fut auparavant ambassadeur à Moscou.
37. MAE, Guerre 1939-1945, Vichy Europe, vol. 88, de Vaux de Saint Cyr à Laval, 6 juillet 1942. On note avec intérêt l’utilisation d’un des termes favoris des Allemands pour masquer leur entreprise génocidaire: «traitement spécial» traduit Sonderbehandlung.
38. François Conty envoie d’abondantes revues de presse à Vichy d’octobre à décembre 1943, mais sans aborder jamais la question juive.
39. Des exemples in MAE, Guerre 1939-1945, Vichy Europe vol. 188, 412, 685 et 926.
40. MAE, Guerre 1939-1945, Londres CNF, vol. 274, note du 31 octobre 1940. La situation est analogue en Bulgarie: le ministre Jean-François Blondel rallie la France Libre à la fin de 1942; les Allemands se plaignaient dès 1941 de son attitude «anglophile», soulignant son mariage avec une «Israélite» (MAE, Guerre 1939-1945, Vichy État français, vol. 17). Les successeurs de Blondel, Henri-Paul Roux, puis M. de Kergariou, surtout le premier semble-t-il, ont des sympathies gaullistes.
41. MAE, Guerre 1939-1945, Vichy Europe vol. 685: ce dossier conserve 8 de ces courriers; nous sommes parvenus au chiffre de 11 par les références faites à d’autres courriers perdus ou disparus. Serait-il possible que l’informateur de Truelle ne soit autre que le grand rabbin de Roumanie, Alexandre Safran? Mais celui-ci, dans ses mémoires, Un tison arraché aux flammes (Stock, Paris, collection Judaïsme/Israël, 1989) ne dit mot du diplomate, alors qu’il évoque d’autres figures d’Occidentaux. Il pourrait alors s’agir du Dr Fildermann, le président de l’Union des communautés juives de Roumanie.
42. Ibid., de Truelle au Département, le 28 octobre 1941. De fait les premières déportations «sauvages» au-delà du Dniestr avaient eu lieu en juillet, dans une zone où opérait encore l’armée allemande qui les fit aussitôt cesser. Elles reprennent en octobre après l’intervention d’un accord.
43. Ibid., de Truelle au Département, 22 juin et 17 août 1942. Le nombre des survivants n’excèdera pas la cinquantaine de mille.
44. Le chiffre a été entouré d’un trait de crayon au Département.
45. MAE, Guerre 1939-1945, Vichy Europe, vol. 188, de Blondel au Département, 2 septembre 1942.
46. Trois d’entre eux se trouvent dans le vol. 188, ibid.; le quatrième, auquel le ministre plénipotentiaire fait référence dans l’un de ces courriers, n’a pu être retrouvé.
47. MAE, Guerre 1939-1945, Vichy Europe, vol. 188, de Henri-Paul Roux au Département, 27 mai 1943.
48. MAE, Guerre 1939-1945, Vichy Europe, vol. 945 et 946. Le consul souligne malgré tout l’ampleur des mesures antisémites (recensement, marquage) prises en mai et juin 1941 en Croatie.
49. MAE, Guerre 1939-1945, Vichy Europe, vol. 946, de Gueyraud au Département, 2 février 1942. La phrase a été soulignée au Département.
50. Ibid. Il précise s’être jusque-là «abstenu, par souci d’objectivité, de rapporter, en raison de leur invraisemblance, certains épisodes qui illustrent de façon particulièrement tragique le sadisme qui présida et préside encore à ces excès».
51. MAE, Guerre 1939-1945, Vichy Europe, vol. 945, de Gueyraud au Département, 18 septembre 1942 et 20 mars 1943. Certains passages des sermons sont cités.
52. MAE, Guerre 1939-1945, Vichy Europe, vol. 390, de Haimet au chargé d’affaires à Athènes, 18 juillet 1942 (copie); l’information se trouve aussi dans Papiers 40, Bureau d’études Chauvel, vol. 58. Pour un récit plus détaillé, voir le rapport fait par Haimet le 2 juin 1943 après son ralliement au général Giraud in MAE, Guerre 1939-1945, Londres CNF, vol. 255.
53. MAE, Guerre 1939-1945, Vichy Europe, vol. 412.
54. Ce passage a été vigoureusement coché au Département. Il serait évidemment tentant de voir dans ce mystérieux informateur le Suédois Wallenberg que le diplomate «dédouanerait» en lui prêtant de prétendus sentiments germanophiles.
55. MAE, Guerre 1939-1945, Vichy Europe, vol. 412, de M. de Charmasse au Département, 24 juillet 1944. [Extrait plus long et fac-similés sur PHDN]
56. MAE, Guerre 1939-1945, Vichy Europe, vol. 88, note de la direction politique du 4 novembre 1941 d’après un correspondant américain à Berlin. Le but de l’opération serait «avant tout d’assurer des appartements à des familles allemandes […] mais aussi [ce serait] une réponse à l’activité anti-allemande des Juifs anglais et américains». Les relations entre Washington et Vichy ayant été rompues le 9 novembre 1942, on ne retrouve pas d’écho dans les archives de la confirmation donnée par le Département d’État du programme d’extermination à la fin de novembre 1942.
57. MAE, Papiers 40, Bureau d’études Chauvel, vol. 40, note du 9 juillet 1942.
58. MAE, Guerre 1939-1945, Vichy Europe, vol. 968, notes d’information «NAC» des 29 août et 27 octobre 1941, du 27 février 1942; vol. 969, notes «NAC» des 13 août et 23 septembre 1942.
59. MAE, Guerre 1939-1945, Vichy Europe, vol. 88, note de la direction politique, 16 juillet 1942. La première paysanne, témoin du massacre des 700 Juifs de son village, raconte comment après les avoir obligés à travailler tout l’été, les Allemands les ont assassinés: «jeunes et vieux, certains suppliaient, d’autres offraient de l’argent, il n’en est pas resté un seul». «A Kirovograd, selon la seconde, 4000 Juifs ont été rassemblés aussitôt après l’arrivée des Allemands. On leur a fait creuser de grandes tranchées et pendant deux jours on a entendu crépiter les “mitrailleuses”. Au cours de l’été, la chaleur venue, il a fallu exhumer les cadavres pour les enterrer à nouveau à plus de profondeur.»
60. MAE, Guerre 1939-1945, Vichy Europe, vol. 685, de Truelle à Darlan, 9 septembre et 18 octobre 1941. La circulaire de Darlan a été retrouvée dans un courrier de M. Médioni à de Gaulle, Mexico, 22 août 1941, MAE, Guerre 1939-1945, Londres CNF, vol. 207.
61. MAE, Guerre 1939-1945, Vichy Europe, vol. 188, de Roux au Département, 27 mai et 30 juin 1943. Seuls 20 des 50 Français juifs sont finalement admis à rester à Sofia.
62. Ibid., note de la sous-direction d’Europe du 17 juillet 1943 résumant la requête présentée par Roux le 30 juin précédent. La réponse n’a pas été retrouvée.
63. De Truelle au Département, 9 septembre 1941, op. cit.; MAE, Guerre 1939-1945, Vichy Europe, vol. 188, de M. de Kergariou à Laval, 20 novembre 1943. Son soulagement est révélateur: «Nos compatriotes ne courent plus le risque d’être jetés dans des camps de concentration ni celui, plus grave encore, d’être déportés en Allemagne ou en Pologne comme l’ont été autrefois ceux de Thrace et de Macédoine dont personne, ici, depuis lors, n’a plus entendu parler».
64. MAE, Papiers 40, Bureau d’études Chauvel, vol. 41, note de la sous-direction d’Europe sur la «politique intérieure roumaine (juin 1940-juin 1943)», 6 juillet 1943.
65. On trouvera des cas de ce genre in MAE, Guerre 1939-1945, Vichy Europe, vol. 140, 141, 705.
66. MAE, Guerre 1939-1945, Vichy État français, vol. 140, de Laval à Washington et Lima, 9 août 1942. A des prélats venus protester, de Brinon, l’ambassadeur de Vichy à Paris, aurait également répondu le 7 août que ces arrestations étaient «liées aux préparatifs pour un second front (id., de l’ambassadeur à Washington au Département, 7 août 1942); id., de Laval à tous les postes, 29 septembre 1942; Carnets du pasteur Boegner: 1940-1945, prés. et ann. par Philippe Boegner; Fayard, Paris, 1992.