Thématiques négationnistes
L’explosion de l’église: quand les négationnistes sombrent dans le surnaturel
Nicolas Bernard
Oradour, 10 juin 1944, un massacre nazi et sa négation
© Nicolas Bernard - PHDN 2024 - Reproduction interdite sauf pour usage personnel -
No reproduction except for personal use only
Retour au Sommaire (Oradour et sa négation)
- Le massacre dans l’Église: les faits
Les témoignages de la seule rescapée: Marguerite Rouffanche — Les témoignages des SS interrogés après la guerre — Constats matériels — Synthèse des dégâts matériels dans l’église — Reconstitution du drame de l’église après l’évasion de Marguerite Rouffanche- Le «scénario» negationniste: magique explosion et maquisards-poltergeists
Aux origines des discours négationnistes: une propagande nazie… quelque peu timide — Une explosion «cachée»? Quand les négationnistes falsifient l’historiographie du massacre — Une explosion… «au-delà du réel»: quand Reynouard «explose» lui-même sa propre théorie — Une bataille dans l’église… ou aux frontières du réel? — Marguerite Rouffanche, témoin gênant — Contre Marguerite Rouffanche, un délire hypercritique
Préambule (par PHDN)
Les négationnistes se sont acharnés à présenter mensongèrement Oradour-sur-Glane comme un village de résistants. C’est un mensonge repris de la propagande nazie. Les négationnistes se sont acharnés à justifier l’assassinat collectif des hommes, toujours en reprenant des argumentaires nazis (et en falsifiant le droit de la guerre). C’est une apologie de crimes de guerre. Mais le mensonge le plus spectaculaire et le plus répugnant des négationnistes est celui qui consiste à nier la pleine responsabilité des Allemands dans le meurtre des femmes et des enfants d’Oradour dans l'église où ils les avaient parqués à cette fin. Ici encore le socle de cette falsification repose sur la fiction délirante d’Oradour village de résistants, mais également sur une série de falsifications de témoignages, de l’historiographie et des constats matériels pour inventer littéralement une explosion d’un chimérique «dépôt de munitions» placé dans l’église par la résistance, pur fruit de l’imaginaire délirant (et on le verra, surnaturel) des négationnistes, lesquels vont jusqu’à fantasmer des combats dans l’église entre les SS et des résistants tout droits sortis de leur imagination débridée. Le nazi renvendiqué Vincent Reynouard qui déclare explicitement que son «travail» sur Oradour vise à réhabiliter nazis, SS et IIIe Reich, s’est fait le spécialiste pitoyable de ces mensonges, que la présente page réduit à néant.
Introduction
Les négationnistes, entre autres manipulations, se plaisent parfois à enfoncer des portes ouvertes, pour faire croire au sérieux de leur entreprise de falsification. Il leur arrive ainsi de prétendre avoir «découvert» un fait pourtant connu depuis belle lurette par les historiens ou même le grand public, fait qu’ils réinterprètent et falsifient à leur guise, pour faire croire à l’existence d’une «histoire officielle» corsetée par une «conspiration du silence». L’exemple de la rumeur du savon fabriqué à partir de corps humains par les nazis est, sur ce point, éloquent: bien que cette légende se soit glissée dans la mémoire collective, l’écrasante majorité des historiens n’y a jamais ajouté foi, ce qui n’a nullement empêché les négationnistes d’alléguer avoir eux-mêmes (!) disqualifié ce mythe, et «contraint» les historiens à un pénible «revirement»… Cette rhétorique, comme toujours chez les négationnistes, relève de la pure et simple escroquerie intellectuelle et complotiste, destinée à leur accorder une «rigueur» qu’ils n’ont pas, tout en déformant sciemment l’historiographie, ravalée frauduleusement à une sorte de «Ministère de la Vérité».
Le traitement du massacre d’Oradour par les négationnistes n’y échappe pas. Mieux encore, il n’est pas exagéré d’écrire que cette mécanique falsificatrice fonctionne ici à plein régime. En effet, le militant néo-nazi Vincent Reynouard consacre des centaines de pages à tenter d’établir la matérialité d’une explosion dans l’église d’Oradour, un fait qu’il transforme en «scoop» que dissimulerait «l’histoire officielle»… alors que la circonstance que l’église d’Oradour ait été victime d’une explosion (en plus d’avoir été incendiée) est, en vérité, publiquement connue depuis plusieurs décennies, aussi bien des historiens, de la Justice que du public. Mais il est vrai que Reynouard, lui, va plus loin: c’est cette explosion qui aurait détruit l’église et tué les femmes et les enfants qui y avaient été parqués par les SS. Plus terrible encore, ladite explosion aurait été causée par des maquisards planqués dans le sanctuaire et qui, ensuite, auraient échangé des coups de feu avec les SS en tentant de sortir…
Si le caractère délirant de telles affirmations saute aux yeux, il importe de disséquer le «raisonnement» frauduleux qui les sous-tend. D’autant plus frauduleux, au demeurant, que les négationnistes eux-mêmes le discréditent, en démontrant le contraire de ce qu’ils entendent «démontrer».
I. Le massacre dans l’Église: les faits
L’extermination des femmes et des enfants dans l’église constitue, selon le mot de l’historien Jean-Jacques Fouché, «un massacre dans le massacre»1. Les circonstances nous sont connues par le témoignage de la seule survivante du carnage, Marguerite Rouffanche, ainsi que par celui, pas toujours très fiable, des SS interrogés après la guerre. Les constats matériels effectués dans les jours suivant la tuerie permettent également de confirmer le déroulement de ces faits.
Les témoignages de la seule rescapée: Marguerite Rouffanche
Marguerite Rouffanche (1897-1988) est alors cultivatrice. Elle réside au lieu-dit «chez Gaudy», avec son époux et ses trois enfants; l’une de ses filles, mariée, est mère d’un garçon de sept mois. Tous périront dans le massacre, dont elle sera la seule survivante:
«Dès que nous fûmes dans l’église, racontera-t-elle à un enquêteur américain, Ecto Munn, le 3 octobre 1944, les portes furent fermées. De temps en temps un Allemand venait inspecter l’intérieur de l’église. Nous sommes restés ainsi en attente pendant environ une heure. Deux Allemands vinrent porter à l’intérieur de l’église une espèce de boîte d’environ 50 cm x 50 x 50 cm. Celle-ci paraissait garnie de ficelle blanche embrouillée. Un des Allemands enleva le couvercle. Les deux Allemands se retirèrent ensuite par la porte derrière l’église. Peu d’instants après le départ des Allemands, la boîte explosa et une fumée noire se dégagea aussitôt, fumée qui nous fit étouffer. Toutes les femmes et les enfants tombèrent en poussant de grands cris.»2La caisse devait comprendre, soit des explosifs (qui auraient alors dysfonctionné), soit des grenades fumigènes utilisées pour déloger les équipages de chars ennemis3, ici utilisées pour asphyxier et terroriser. Peut-être l’engin, artisanal, a-t-il été confectionné le jour même: Maurice Beaubreuil, caché sous le plancher de la maison de sa tante, affirmera avoir entendu, dans la direction de l’église, un bruit de scies et de marteaux, comme pour confectionner un ouvrage en bois4. Toujours est-il que ce que comptaient réaliser les Allemands avec cette caisse ne sera jamais totalement éclairci.
«Peu d’instants après, ajoute Marguerite Rouffanche, les Allemands ouvrirent la petite porte par où ils étaient sortis et commencèrent à faire sortir des personnes. J’ignore le sort qui fut réservé à ceux qui sont sortis, cependant j’affirme que j’ai entendu une mitraillade.»5 A l’intérieur, règne la terreur, «des cris!!! non, des horreurs, des horreurs, c’était épouvantable, on ne peut pas l’expliquer, c’est terrible ce que nous avons vu.»6 Au milieux des toux, des hurlements, de la mêlée, Marguerite Rouffanche gagne la sacristie avec ses deux filles, Andrée, âgée de 18 ans, et Amélie, 21 ans, mais «cette dernière, dans l’affolement et dans la panique, échappa son petit garçon, un bébé de sept mois, qui disparut dans la fumée aveuglante.»7
Contrairement à Marguerite Rouffanche, bien des femmes et des enfants se ruent vers la petite porte de sortie dans la nef droite de l’église, où l’on retrouvera un amas de corps carbonisés et de nombreux impacts de balles8. «On nous a confié la mission de tirer avec nos mitrailleuses par la porte sur les femmes et les enfants, indiquera le soldat SS Adolf Heinrich. C’était terrible, leurs pleurs et leurs cris. Totalement désespérées, certaines femmes tentèrent de sortir. Elles furent toutes abattues.»9 Les Allemands ne font pas de quartier: ils visent bas10, criblant de balles des voitures d’enfants11. La fille de Marguerite Rouffanche, Amélie, retrouve son bébé, mais alors les Allemands se mettent à tirer des rafales de l’extérieur de la sacristie, par les fenêtres et à l’intérieur de l’église. «A côté de moi, ma fille, la plus jeune, a été tuée par des balles qui lui ont tranché la carotide.»12
Marguerite Rouffanche fait alors «la morte». «Une fusillade éclata dans l’église, puis de la paille, des chaises furent jetés pêle-mêle sur les corps qui gisaient sur les dalles.»13 Et pour cause: «Nous avons reçu l’ordre de porter des fagots qui se trouvaient à proximité de l’église et les déposer à l’intérieur de cet édifice sur un tas de bancs, racontera un soldat SS, Alsacien enrôlé de force. Les bancs étaient entassés au fond de l’église et derrière cet amoncellement on percevait des plaintes et gémissements de femmes.»14
Une fois de plus, les SS ne prennent pas la peine de s’assurer que les victimes sont mortes avant d’y mettre le feu. Ils jettent des grenades, tirent de nouveau15, démolissent des statuettes, s’attaquent au confessionnal16. Du côté de Marguerite Rouffanche, le plancher de la sacristie s’effondre, semble-t-il soufflé par une explosion de flammes. «Les gens qui étaient dans la sacristie sont passés sous le plancher. Ma fille aînée et d’autres voisines ont brûlé vivantes»17. «Les flammes commençaient à me lécher, poursuit Marguerite Rouffanche, j’eus même une partie de mes cheveux brûlés; je traversai les flammes et me précipitai derrière le maître autel. Par un hasard providentiel, un escabeau se trouvait là. J’en profitai pour me lancer à l’extérieur de l’église en traversant un petit vitrail. Je tombai sur un amas de ronces.»18 Après cette chute de trois mètres, «je suis tombée sur mes jambes sans me faire aucun mal»19.
C’est alors qu’une jeune femme de vingt-deux ans, Henriette Joyeux (née Hyvernaud), la hèle du haut du vitrail, lui tend son bébé, René, sept mois. Las, les Allemands tirent sur la malheureuse alors qu’elle franchit la fenêtre20, et/ou peu après sa chute21. «Pendant des heures, je grattais la terre avec mes doigts, cherchant à m’enfoncer et à m’en recouvrir les vêtements pour ne pas être découverte. Mes blessures me faisaient bien souffrir, mais, pendant toute la nuit, j’avais surtout très soif et je suçais sans cesse les petits pois et les cosses pour me désaltérer.», indiquera Marguerite Rouffanche22. Un soldat SS du nom de Pakowski se vantera d’avoir achevé l’enfant et sa mère à coups de crosse23.
Entre-temps, Marguerite Rouffanche se réfugie dans le jardin du presbytère, se cache au milieu des petits pois. Dans sa course, elle est blessée de cinq balles aux jambes et à l’épaule. Miraculeusement, elle survit. «Pendant des heures, je grattais la terre avec mes doigts, cherchant à m’enfoncer et à m’en recouvrir les vêtements pour ne pas être découverte. Mes blessures me faisaient bien souffrir, mais, pendant toute la nuit, j’avais surtout très soif et je suçais sans cesse les petits pois et les cosses pour me désaltérer.»24 Elle sera retrouvée le lendemain, mise à l’abri et hospitalisée.
Ce témoignage, toutefois, n’est que partiel. Marguerite Rouffanche, en effet, n’a pas assisté à tout. La suite est connue grâce aux témoignages des SS.
Les témoignages des SS interrogés après la guerre
Les SS interrogés par la Justice française et ouest-allemande après la guerre apporteront des précisions sur le massacre dans l’église. Citons-en quelques uns, à lire avec les précautions d’usage, car ils ont cherché à minimiser, à tort ou à raison, leur implication dans le drame:
- Paul G. (soldat incorporé de force), le 8 septembre 1945: «Cette église et une seule maison à côté n’étaient pas encore allumées, alors que tout autour flambait. Nous avons reçu l’ordre de porter des fagots qui se trouvaient à proximité de l’église et les déposer à l’intérieur de cet édifice sur un tas de bancs. Les bancs étaient entassés au fond de l’église et derriére cet amoncellement on percevait des plaintes et gémissements de femmes. J’ai bien relevé sur le plancher quelques traces de sang que quelque chose d’anormal s’était passé. Pendant que je portais ainsi des fagots dans cette église, j’ai vu le Unterscharführer Genary de ma compagnie, démolir systématiquement à coups de crosse de fusil les statuettes et arracher les portes du confessionnal. […] Aussitôt après j’ai du quitter l’endroit avec mon groupe, en nous dirigeant sur le Pont de la Glane, où nous nous sommes reposés. Peu aprés j’ai vu flamber l’église. A un moment donné le SS Pakowski, soldet de deuxième classe, est revenu de l’Eglise et nous a dit qu’il venait de découvrir une jeune femme avec son bébé dans les cabinets d’aisance situés prés de l’Eglise, précisant qu’il venait de les exterminer la maman et le bébé à coups de crosse de fusil. Ainsi je suis resté sur le Pont de la Glane, et je ne l’ai quitté que lorsque le clocher de l’église s’était effondré, Je n’ai pas vu le cadavre qui gisait prés de ce pont. Le jour en question j’étais comme du reste tous ceux que j’ai vus autour de moi dans un état voisin de celui de l’ivresse ou de la folie. Lorsque nous nous trouvions assis au Pont de la Glane on m’a raconté qu’on avait tenté de faire sauter l’église avec des explosifs, mais, que cette opération n’avait pas réussi, les charges n’étant pas suffisamment fortes, et qu’à cette occcasion, [l’artificier] Gnug avait été trés griévement blessé à la tête et évacué. Je me suis d’ailleurs trouvé en juillet et août avec ce sous-officier à l’hôpital militaire de Dijon où il avait été soigné. Il avait eu le crâne fendu et souffrait d’une forte dépression du système nerveux avec accés de colère violente, frisant la démence, de sorte que je n’ai jamais pu lui parler car il était devenu inabordable.»25
- Jean-Pierre E. (soldat incorporé de force), le 24 septembre 1945: «Lauber, sergent SS, nous a conduits sur la place de l’église et nous avons dû courir pour nous dégager de la fumée épaisse qui nous enveloppait et qui remplissait les rues, car tout brûlait déjà. En passant, j’ai vu que le garage où on avait fusillé le groupe d’habitants flambait. Le chef de bataillon Dieckmann se tenait sur la place de l’église au moment de notre arrivée. Il était debout les bras croisés. Kahn dirigeait les opérations sur cette même place. De l’intérieur de l’édifice, on percevait des cris et des hurlements de femmes et d’enfants. Des SS s’affairaient à porter des fagots et de la paille dans l’édifice, et, durant cette opération, j’ai vu deux Unterscharführer, sergents SS, Maurer et Boos, entrer à l’intérieur de l’église où ils ont tiré ensuite des rafales de mitraillettes, tandis que d’autres SS ont lancé des grenades à main à l’intérieur du même édifice, sans aucun doute pour achever la population […]. En dernier on a été rassemblés dans la rue, face à l’église, pour assister à la destruction de cette église. J’ai vu le sous-officier Boos venir remettre au capitaine Kahn une charge d’explosifs. Kahn, accompagné de quelques SS armés, est entré dans l’église. Aussitôt une explosion s’est produite et, en quelques instants, tout l’intérieur de l’édifice était en flammes, la fumée s’échappant par les vitraux. Je n’ai pas bien vu comment la charge d’explosifs avait été confectionnée car je me trouvais assez loin des lieux. Le chef de bataillon Dieckmann nous avait fait mettre au garde-à-vous, sur la route, durant cette opération […]. Au moment où le feu a été mis à l’église, on entendait toujours des cris à l’intérieur, mais moins qu’au début, ce qui prouve que, lorsqu’on y a mis le feu, des personnes étaient encore vivantes ou agonisantes […]. Sur la place à côté de l’église, sous une charrue, gisait le corps d’un enfant d’environ un an […]. Plus tard j’ai demandé à un SS allemand […] si dans l’église il n’y avait pas eu d’Alsaciens ou d’Alsaciennes […]. L’Allemand m’a fait savoir qu’il y avait bien une Alsacienne dans l’église, qui avait demandé à parler au capitaine Kahn, mais celui-ci a refusé de la recevoir en disant qu’il ne devait survivre personne de manière qu’il n’existerait aucun témoin.»26
- Auguste L. (soldat incorporé de force), le 22 novembre 1945: «En y allant [à la place de l’église], j’ai constaté que plusieurs immeubles, situés sur le parcours, étaient déjà en feu. Le capitaine se tenait à l’entrée de la place de l’église, en bordure de la route principale. Il nous a ordonnés d’aller nous mettre à l’abri en nous rangeant dans une ruelle d’en-face en précisant que l’église allait être dynamitée et qu’elle sauterait d’un instant à l’autre. Je n’avais pas vu préparer la charge explosive et je n’ai jamais su comment elle avait été confectionnée. A un certain moment, alors que nous nous trouvions dans la ruelle précitée, nous avons perçu le bruit d’une forte détonation. Aussitôt Kahn s’est précipité vers l’édifice, et peu après, nous avons appris que le Unterscharführer Gnug qui devait faire sauter l’église avait été grièvement blessé et évacué, mais personnellement, je n’en ai rien aperçu, car on nous a donné l’ordre d’aller apporter de la paille, des fagots de bois à l’église. Pendant cette opération, j’ai vu des sous-officiers, notamment le nommé BOOS jeter au moins une demi douzaine de grenades à manches à l’intérieur de l’édifice d’où on entendait des cris et des clameurs. Une fumée acre bleuâtre s’est dégagée et cela m’a donné l’impression qu’on avait voulu dynamiter. Puis les sous-officiers ont pénétré à l’intérieur de l’église pour tout exterminer à coups de feu de mitraillettes. Plus tard, j’avais appris qu’une femme avait voulu se jeter par un vitrail, mais qu’elle avait été abattue par un coup de feu tiré par un “SS”. J’avais moi-même été commandé de me poster face à l’église, en contre-bas, sur la route, pour veiller a ce que personne ne s’échappe, cela au moment où des femmes avaient tenté de s’échapper par les vitraux. Je n’ai plus vu personne qui aurait tenté de s’enfuir, mais j’ai relevé au mur sous un vitrail, une traînée de sang. Au moment où je tenais ainsi ma faction, j’ai remarqué le Unterscharführer Boos qui s’est précipité sur deux femmes, une jeune fille et probablement la mère de celle-ci qui sortaient d’une maison située en face de l’église, à droite de la rue principale et à côté d’un grand hôtel. Une autre femme gisait déjà là. Boos a refoulé les deux personnes en question vers la grange et a ouvert le feu sur elles, les abattant et les tuant net avec sa mitraillette. Dans la soirée, je lui ai dit: “N’avez vous pas encore assez tué de monde, est-ce la guerre que vous faites?”, il m’a répliqué que si je ne me taisais pas, il en ferait autant de moi. Lorsque la tuerie à l’église était terminée, j’ai aidé à porter des matières inflammables, paille et fagots pour permettre d’allumer l’édifice. Quoique une cinquantaine de grenades à main avaient été lancées à l’intérieur, on entendait encore à ce moment des cris et des clameurs poussées par des blessés, femmes et enfants. Je n’ai pas pénétré profondément dans l’église et je n’ai vu que peu de cadavres épars à l’entrée du porche. C’étaient des cadavres de femmes. Je répète que ce sont les sous-officiers qui ont commis le massacre à l’intérieur de cette église, tandis que je cherchais à éviter de pénétrer plus avant pour ne rien voir de cette barbarie.»27
Ce sont là les déclarations des troupiers. Leur commandant, le SS-Hauptstumführer Otto Kahn, interrogé (librement) par le Parquet de Dortmund en décembre 1962, indiquera également:
«Après un moment, je fus appelé dans le village à nouveau par une estafette pour voir le commandant et je le trouvai approximativement à 30 mètres de l’église. La première chose que je lui demandai était de savoir ce qu’il voulait faire maintenant. Cela suffisait à présent. Le village était en train de brûler. Je me rappelle que le presbytère était à proximité de l’église et qu’il était lui aussi en train de brûler. Je dis donc au commandant qu’il devait maintenant laisser filer les femmes. Je crois lui avoir dit de chasser les femmes dans la forêt. La seule remarque que fit Diekmann [le chef du détachement SS à Oradour] fut: C’est hors de question. Sur quoi il posa la question: Avez-vous des explosifs avec vous? Je répondis: “Non.” Sur ce, un Unterscharführer derrière moi, responsable des armes et des munitions, répondit: “Oui, Sturmbannführer, j’ai encore quelque chose dans mon camion.” Il dit qu’il avait un lot de 2 ou 4 kilos d’explosifs avec lui. Je me tournai vers lui et lui dis: “Idiot.” Toujours est-il que Diekmann lui donna l’ordre d’aller chercher les explosifs et me demanda si j’avais des notions de mise à feu des explosifs. Bien que j’aie été formé dans le génie en tant qu’ancien soldat de l’infanterie, le déclarai: “Non.” Sur cette question de Diekmann, un sergent qui affirma avoir un brevet d’artificier, s’avança. Il donna l’ordre d’installer les explosifs dans l’église et de les mettre à feu. Je n’ai pas vu où il avait installé les charges étant donné que je ne l’ai pas accompagné. D’un autre côté, Diekmann accompagna le sergent. Je suppose que la charge fut placée à l’intérieur du bâtiment. Quand eut lieu l’explosion, le sergent fut très grièvement blessé. Je le vis sortir hurlant et couvert de sang de la porte de l’église. Le nom de ce sergent ne m’est pas familier, toujours est-il qu’il est mort de ses blessures. Suite à l’explosion, tout le sol trembla et un bruit assourdissant nous vint de l’église. Mais les murs restèrent debout. Je vis Diekmann rassembler dans l’intervalle quelques équipes avec des mitrailleuses et se presser vers la porte de l’église. Cette entreprise était si agaçante pour moi que je m’éloignai et partis en direction du nord.»28En mars 1967, sollicitant un maintien de sa pension d’invalidité, Kahn allèguera au Ministère de l’Intérieur ouest-allemand qu’il n’est pas coupable du massacre, mais fera état des éléments suivants:
«Ensuite Dickmann [sic] m’a laissé rentrer au village. Il m’a ordonné de toujours demeurer à la limite du village. Il m’a alors dit qu’il voulait faire sauter l’église. Alors que j’étais sans voix à ce moment-là et que je faisais une grimace irritée, il a laissé tomber la remarque: “Ils ont probablement peur.” Il m’a demandé le stock d’explosifs de l’unité et comme je ne l’ai pas donné, il s’est laissé chercher l’opérateur de l’appareil et a assemblé le stock. Sur ses ordres personnels, l’explosif a été amené et un subalterne s’est porté volontaire pour procéder à la démolition. À ce moment-là, je me suis opposé à cette explosion et j’ai suggéré que Dickmann [sic] épargne les femmes et les enfants et les laisse partir. Il a refusé et a fait attacher la charge explosive sur et dans l’église. C’est ici qu’a eu lieu une explosion d’environ 2 kilogrammes. Où et comment la charge a été installée dans l’église, je ne le sais pas car je ne suis pas entré dans l’église. Dickmann [sic] a laissé la charge s’enflammer. L’homme qui a tiré sur la porte de l’église a été grièvement blessé. Je ne peux pas décrire les conséquences de la détonation et son impact, car j’ai quitté le village immédiatement et je suis resté aux abords du village jusqu’à la fin de la campagne d’extermination. Les impressions que j’ai reçues lors de cette campagne d’extermination ne m’auraient pas permis de retourner au village d’Oradour malgré les ordres.»29Témoignages des plus significatifs! Kahn, à l’évidence, parle librement, ne serait-ce que parce qu’il n’est point en garde à vue, et, surtout, s’efforce de minimiser autant que possible sa responsabilité dans l’atrocité. Mais il décrit tout de même la tentative de dynamiter l’église par les SS.
Il ressort de ces différentes déclarations que les SS ont, après avoir déposé une caisse qui a dégagé une fumée asphyxiante, pénétré dans l’église et tiré sur les femmes et les enfants, les massacrant tous, allant jusqu’à jeter des grenades. Ils ont amené de la paille et des fagots, et ont même jeté des bancs sur les corps, vivants ou morts, pour servir de combustible à l’incendie qu’ils allaient déclencher. Ils ont également tenté de faire sauter le clocher mais le bâtiment a tenu bon, et l’explosion a blessé l’artificier SS Gnug30. L’église a ensuite été livrée aux flammes: clocher, toiture, et charniers (concentrés dans la nef centrale, autour du maître-autel et dans la chapelle Sainte-Anne, dans la nef droite, là où se trouvait une petite porte par laquelle les femmes et les enfants ont tenté de s’enfuir).
Constats matériels
Les premiers constats matériels confirment les déclarations de Marguerite Rouffanche et des bourreaux. Le lendemain du massacre, en effet, divers témoins se rendent dans l’église. Leur témoignage est consigné comme suit par le journaliste Pierre Poitevin:
«Dans ce qui fut le sanctuaire, sous la voûte qui à résister aux flammes, parmi les débris de toutes sortes, dix, vingt, trente, cinquante cadavres à demi calcinés émergent d’une couche d’ossements et de cendres.
Des têtes se sont détachées des troncs, des bras et des jambes gisent çà et là, épars.
Des lambeaux de chairs brûlées sont collés, agglutinés aux murs.
Une douzaine de petits crânes noircis dont, à l’intérieur, la matière cérébrale a gardé une couleur jaunâtre, dorée, sont là, en chapelet, dans le chevet du chœur.
Une main crispée pend après un ornement de fer tordu accroché au maître-autel.
Et devant le bas-relief intact des disciples d’Emmaüs, un corps décapité est étendu en croix.
Des enfants, qui ont dû fuir le plus loin possible de l’asphyxie et des flammes, sont comme aplatis, affaissés le long des murs. Ils n’ont plus de visages humains.
Dans le confessionnal, épargné par le feu et dont la porte est restée ouverte, deux petits cousins, Sadry, 12 ans, et Roby, 14 ans, sont encore debout, se tenant par la main et tournant le dos comme pour éviter les coups de leurs meurtriers.
Sous leurs culottes courtes, leurs cuisses potelées sont sanguinolentes, percées par des balles.
La sacristie s’est effondrée dans la cave, entraînant avec elle, dans le fatras des matériaux, son chargement de corps, mutilés, broyés, carbonisés.
Enfin, dans la chapelle obscure de Sainte-Anne, dont les murs sont recouverts de suie et dont le soubassement de l’autel, porté à l’incandescence, s’effrite maintenant en une fine poussière brune, c’est un amoncellement, un entassement d’ossements informes, grisâtres et fuligineux qui, semblables à du mâchefer, forment une croûte encore chaude, fumante, épaisse et craquelée.
Des odeurs de chair roussie, brûlée, fétide, empuantissent l’air, et les émanations nocives font fuir de dégoût les premiers arrivants écœurés et oppressés à la vue de cet hallucinant charnier.»31
Jean Pallier, ingénieur de la SNCF, fait partie de ces témoins. Il indiquera, dans un témoignage adressé au régime de Vichy mais ultérieurement diffusé par la Résistance:
«C’est alors que j’appris, il était 17 heures, que l’on venait de découvrir, dans l’église, les cadavres des femmes et des enfants. Il n’est pas de mots pour décrire pareille abomination. Bien que la charpente supérieure de l’église et le clocher soient entièrement brûlés, les voûtes de la nef avaient résisté à l’incendie. La plupart des corps étaient carbonisés, mais certains, quoique sur le point d’être réduits en cendres, avaient conservé figure humaine. Dans la sacristie, deux petits garçons de 12 à 13 ans, se tenaient enlacés, unis dans un dernier sursaut d’horreur. Dans le confessionnal, un garçonnet était assis, la tête penchée en avant. Dans une voiture d’enfant, reposaient les restes d’un bébé de 8 à 10 mois.»32Sur place le 13 juin 1944, le Préfet régional Marc Freund-Valade relatera, à l’attention du régime de Vichy:
«Dans l’église en partie en ruines, se trouvaient des débris humains calcinés provenant de cadavres d’enfants (tel un pied d’enfant dans une pantoufle), des ossements étaient mêlés aux cendres des boiseries. Le sol était jonché de douilles portant la marque STKAM [marque allemande] et les murs de l’église portaient de nombreuses traces de balles à hauteur d’hommes. Il est à noter que si le toit de l’église s’est effondré, le plafond qui est en maçonnerie est à peu près intact ainsi que les murs. Le feu n’a donc pu prendre à l’intérieur de l’église que s’il a été mis intentionnellement. A l’extérieur de l’abside, le sol était fraîchement remué: les restes des femmes et des enfants avaient été enterrés là par les troupes allemandes. A côté, des vêtements d’enfants à moitié calcinés avaient été rassemblés. Sur l’emplacement de ce qui avait été des granges, des corps humains entièrement calcinés entassés les uns sur les autres et partiellement recouverts de matériaux divers offraient le spectacle du plus atroce charnier.»33Mgr. Rastouil, évêque de Limoges, qui accompagne le Préfet Freund-Valade, ajoutera:
«Surprise… et enseignement: Sur le flanc extérieur de l’église, le crucifix de mission est intact, tout argenté de minium récemment passé. Et je pense: Le Christ, oui le Christ seul, sur les ruines accumulées par la haine des hommes. Il m’a semblé, à cette minute, que j’entendais le Christ du Calvaire crier sur le monde à feu et à sang: Quand donc viendrez-vous à moi; et je vous redirai: Aimez-vous donc les uns les autres.
Nous pénétrons dans l’église: ruines, désolation, horreur! L’autel brisé par endroits par les balles et le marteau; le tabernacle enfoncé devant et derrière; la table de communion arrachée et tordue; çà et là des morceaux de crânes, de jambes, de bras, de thorax, un pied dans un soulier.
Les statues brisées gisent sur le sol; mais, surprise encore et enseignement: face à l’autel, à gauche, deux statues sont absolument intactes, celle de Notre-Dame de Lourdes et, à trois ou quatre mètres, celle de Bernadette tournée vers Marie et en prière. Et je me souviens que Notre-Dame a été donnée pour patronne à la France, et Bernadette, la petite Française, me semble nous crier: Mais priez-la donc, comme moi, Elle vous sauvera.
Sur la dalle ensanglantée, en présence des autorités et de quelques personnes en larmes, parents de disparus, dont une maman qui me présente la photo en communiante de sa fillette en me disant: Monseigneur, vous l’avez confirmée là il y a un mois, je dis les prières de l’absoute.»34
Mais à la date à laquelle Freund-Valade et Mgr. Rastouil visitent les lieux, les Allemands sont déjà revenus au village, les 11 et 12 juin, et ont extrait plusieurs cadavres de l’église pour les enterrer dans plusieurs fosses alentours. Le journaliste Pierre Poitevin, de retour au village le 15 juin, note les éléments suivants:
«À mesure qu’on avance, là où la Glane traversait d’importantes métairies, ce ne sont plus qu’habitats éventrés, dont les communs présentent la même désolation.
«Sur la gauche, l’église sans sa toiture de briques rouges et dont la tour est décapitée de son clocher d’ardoises, apparaît en sa masse trapue de granit, noircie par les flots de fumée et mutilée par le feu. Elle est marquée des stigmates de la douleur et de la souffrance.
«Cette ruine n’est plus qu’un tombeau.
«Devant l’édifice, des débris de zinc, des gouttières enchevêtrées de treillage sont restés accrochés sur la grande croix argentée, donnant l’impression que le Christ est entouré de fils de fer barbelés. […]
[Précédant les sauveteurs], j’ai tenu, seul, à revenir dans l’église. Sur le seuil, devant la cloche fondue et dont le bronze est encastré dans des pierres tombées de la voûte, le bénitier est rempli d’ossements. Le sol est jonché de douilles de balles noircies par l’incendie. De la tribune, il ne reste même plus trace de poutres calcinées, mais seulement quelques morceaux de charbon de bois…
En face, une chapelle dédiée, me dit-on, à saint Joseph, et d’où on accède au clocher, a été épargnée par le feu.
Elle dut servir de refuge à bon nombre de femmes et d’enfants asphyxiés ou tués sur place.
Tous les objets du culte sont brisés, renversés.
On aperçoit des traces de balles sur les murs, sur le tabernacle et sur l’autel.
La grande plaque de marbre À nos Morts Glorieux, guerre 1914-18, sur laquelle sont inscrits plus de cent noms d’enfants d’Oradour ayant donné leur vie pour la France, est trouée par les projectiles.
La grande nef est vidée de ses chaises et de ses bancs, mais la terre battue est couverte de débris de toutes sortes.
Aux fenêtres, les vitraux ont disparu, pulvérisés sous l’action de la chaleur.
À gauche, le confessionnal est intact. On remarque, sur les montants, des éclaboussures de sang séché, ainsi que des traces de balles.
En face la chapelle de la Vierge, l’autel, les vases, les draperies, les ornements et les statues ont peu souffert.
Deux statues, celle de Notre-Dame de Lourdes et plus loin celle de Bernadette, sont intactes dans cette chapelle latérale de gauche.
Par contre, à droite, la chapelle de Sainte-Anne, puis le chœur et la sacristie sont dans l’état de destruction totale que j’ai précédemment décrit.
Si la statue du bon curé d’Ars est décapitée, celle de Jeanne d’Arc, qui lui faisait face, a disparu, pulvérisée dans les cendres. Le maître-autel s’effrite. Ses pierres tombent en poussière.
Dans le tabernacle béant, passent les rayons du soleil projetés du vitrail d’où Mme Rouffanche a pu miraculeusement se sauver.»35
La partie gauche du bâtiment, en entrant, est «à peu près intacte», témoignera Pierre Poitevin au procès de Bordeaux, ajoutant: «Le confessionnal, une chapelle, les objets du culte étaient renversés, mais pas de morts. Mais un petit peu plus loin à droite alors j’ai vu des mains d’enfants, des petits crânes d’enfants avec des cervelles jaunes qui étaient là.»36 Le commissaire Petit, l’un des premiers enquêteurs à se rendre sur les lieux, précisera devant cette même juridiction:
«Après le dégagement de l’église, nous avons trouvé des tas de cendres humaines. Ce tas était important puisque, dans certains coins, en particulier quand on entrait dans l’église, vers le fond, vers la petite porte, il atteignait presque la hauteur de la table [environ 80 centimètres de haut]. Il y avait d’ailleurs, à cet endroit-là, beaucoup de points d’impacts qui se situent les uns sur la plaque qui était apposée dans l’église, sur un pilier qui se trouve plus à droite. Il y avait quelque chose de remarquable dans ces cendres: c’est que, dans leur épaisseur, on retrouvait, par exemple, des petites mains d’enfants, des débris, des doigts, un peu comme si cela s’était consumé lentement, mais alors, à très haute température […].»37Le 4 juillet 1944, le commissaire Massiéra, des Renseignements généraux, fait état au régime de Vichy des dégâts suivants dans le lieu saint:
«L’église conserve son ossature encore intacte: les murs latéraux et la toiture ont résisté aux flammes à l’exception du clocher. L’intérieur, par contre, a été fortement endommagé.
Des personnes qui vinrent après le départ des Allemands qui eut lieu le 10 dimache matin vers 10 heures, purent voir à l’entrée de l’église, dans une encoignure de la porte d’entrée, le cadavre calciné d’une femme tenant dans ses bras un cadavre de bébé également carbonisé; plus loin, près du confessionnal dans la nef gauche, deux cadavres d’enfants également carbonisés qui s’étreignaient encore, Dans la nef droite, à l’intérieur, de la chapelle située près de l’antel, s’étendait un grand charnier où l’on pouvait distinguer avec des décombres, des parties de cadavres calcinés, des membres raidis et révulsés, des lambeaux de chair fumants, etc.. qui constituaient un amas de dépouilles humaines s’élevant à une hauteur approximative de 1 mètre.
La plupart des restes humains s’étaient amoncelés dans cette chapelle et il est vraisemblable que femmes et enfants s’étaient réfugiés dans ce coin de l’église dans l’espoir de voir s’ouvrir la petite porte de sortie qui s’y trouvait.
Il est à noter que les Allemands revinrent le lundi matin et essayèrent de faire disparaître les dépouilles des victimes. Ile creusèrent une fosse de 3 m environ, de dimension à 3 m approximativement de la petite porte précitée et y enfouirent 60 à 80 cadavres insuffisamment calcinés dont une dizaine avaient été épargnés par les flammes. Ils les recouvrirent sous une épaisseur de 20 cent mètres de terre et dissimulèrent la fosse sous de petits branchages et des lambeaux de vêtements.
Néanmoins, après leur passage, le charnier situé dans la nef droite atteignait encore une hauteur de 30 centimètres, dans les cendres des lambeaux de chair, des crânes et des ossements étaient encore enfouis. Les nombreux bijoux, les alliances et les objets métalliques qui furent découverts à cet endroit laissent supposer que des centaines de personnes avaient trouvé la mort dans cette chapelle.
D’autre part, les marches des escaliers donnant accès à la petite porte de sortie disparaissaient également sous les cendres et les ossements.
Comme il a été dit précédemment, dans la sacristie dont le plancher s’était effondré, une trentaine de cadavres calcinés gisaient sous les décombres.
Dans la cave du presbytère qui est située à droite de l’église et qui la touche sur un point, dix cadavres calcinés en partie ont été découverts et ont dû être jetés à cet endroit le lundi matin par les Allemands.
Dans la partie droite du chœur, quelques débris de cadavres non entièrement calcinés, attestaient que le feu avait été moins violent dane cette partie de l’église; la partie gauche du lieu saint paraît avoir été épargnée en partie par les flammes et le confessionnal en bois se dresse encore intact. Néanmoins, la voûte du clocher qui surplombait l’église s’est effondrée et la cloche [a] fondu sous l’action de la chaleur.
Il est à noter qu’un témoin, boucher à Oradour, Place du Champ de Poire, qui a perdu sa femme et ses 2 enfants, s’étant approché du bourg vers 16 hs.30 a vu jeter un engin incendiaire sur le clocher; c’est ce qui explique que seule cette partie de la voûte centrale de l’église soit effondrée.
Le sol de l’église est jonché de platras, de briques et de cendres notamment dans la partie droite, qui a été davantage éprouvée par l’incendie.
Dans la chapelle où se trouvait le charmier, l’autel a été complètement détruit par les flammes et les briques qui le constituaient ont été en partie calcinées; les murs sont noircis et ébréchés par place.
Du maître autel, seul subsiste le bloc de maçonnerie dénudé. La partie gauche de l’église a échappé en partie anx flammes.
Il semble, étant donné les puissants effets de l’incendie qui ont calciné des ossements et détruit en certains endroits des parties de maçonnerie, que des engins incendiaires, tels que plaques de phosphore, ont été employés.
Dans la nef droite de l’église, des nombreux points d’impact sont apparents à trois points différents, 1° A l’angle du mur de la deuxième chapelle droite, qui fait face à la porte d’entrée. 2°. Sur la plaque des morts située derrière l’autel de la même chapelle qui a été percé en deux endroits, sur le mur qui soutient cette plaque et sur le pilier qui se trouve à prominité. 3° A l'angle du mur de la première chapelle droite et du chœur.
La forme et la dispositon de ces points d’impact attestent que des coups de feu ont été tirés obliquement par les SS sur les femmes et les enfants, de la porte d’entrée de l’église.
De nombreux points d’impact entourent également extérieurement la fenêtre de la sacristie.
Dans la chapelle de la nef droite où s’étendait le charmier, des douilles de cartouches furent trouvées à terre en grande quantité: dans le centre de l’église et sur le seuil de la porte d’entrée, des quantités plus réduites de douilles furent également découvertes.»38
Le commissaire Petit, l’un des premiers enquêteurs sur les lieux, indiquera au procès de Bordeaux que de nombreuses douilles ont été retrouvées, surtout à l’entrée et à l’intérieur de l’église («la quantité la plus importante se trouvait sur le côté gauche du portail») et précisé que «chose de très particulier, la cloche avait fondu, ce qui nous a fait croire qu’il y avait la présence d’engins incendiaires dans l’église. Cette cloche était absolument tombée «goutte à goutte […]»39. Plus précisément, deux cloches figuraient dans l’église, et comme il l’a été constaté sur les photographies, elles ont fondu partiellement, par le cerveau, les bords s’étant détachés avant la fonte totale.
En outre, comme l’indiquera le Dr. Benech au procès de Bordeaux, nombre de femmes et d’enfants qui n’ont pas succombé aux balles ou aux grenades auront péri carbonisés: «Or, je ne suis pas spécialiste en balistique, mais, sans vouloir tirer de conclusions par trop formelles, je crois pouvoir dire que, de par le niveau des blessures, de par les cadavres trouvés intacts, de par ces positions qu’on ne pouvait pas ne pas voir, ces bouches présentant des rictus de souffrance, ces bras tordus, ces attitudes d’abri, de repli, que tout cela témoignait que la plupart des cadavres qu’on a pu voir avaient beaucoup souffert avant de rendre le dernier soupir.»40
Synthèse des dégâts matériels dans l’église
Toitures détruites; nef gauche globalement épargnée par le feu et les balles, à l’inverse de la nef droite, manifestement la cible de plusieurs impacts et en proie à un violent incendie – outre que c’est à cet endroit que seront retrouvés le plus grand nombre de cadavres réduits en cendres; traces de suie au-dessus de plusieurs vitraux, mais pas au dessus des cloches; lesquelles ont partiellement fondu, par le cerveau, du clocher jusqu’au sol; voûte de la nef ayant tenu bon; morceaux d’arcs de pierre de la voûte du clocher retrouvés à côté ou sous des cloches fondues; nombreuses douilles allemandes (marque STKAM), et landaus criblés de balles… En tenant compte de ces constats, et des photographies des lieux, un enquêteur, Pascal Maysounave, effectuera la synthèse suivante, indispensable à connaître:
«… l’observation de la vieille église d’Oradour est déterminante: elle porte les marques de l’action menée par les SS, un peu à la manière de fantassins engagés au combat dans la destruction d’un blindé.
Avant de l’incendier, les Allemands ont tenté de briser l’église. Les photos prises le surlendemain du massacre imposent plusieurs faits dont les traces sont encore visibles sur l’édifice.
Si l’église est debout, à l’intérieur, des blocs de pierre ont chu en deux endroits, à l’entrée, sous le clocher, et à la hauteur du transept. A l’entrée, des morceaux d’arcs de pierre et d’oculus gisent au sol, mêlés au bronze des cloches et aux étriers en fer d’un joug de cloche. Un battant de cloche est pris dans la masse. A l’entrée du chœur, des blocs de la voûte et des éléments de remplissage de voûte sont au sol, à l’exclusion de tout autre. Au-dessus de la table de communion, l’arc de pierre, toujours en place, a bougé, et son arrondi est déformé. Sur la partie de l’arc, à gauche en regardant vers le chœur, les éléments se sont décalés et plusieurs pierres sont largement ébréchées. Un incendie très violent a eu lieu dans l’édifice, mais certains endroits sont très brûlés et d’autres pas du tout. Le toit de tuile au-dessus du chœur, de la nef et des chapelles latérales, et d’ardoise pour la flèche du clocher, a, quant à lui, brûlé, et se trouve totalement effondré sur les voûtes qui ont résisté. Des ardoises du clocher ont brûlé sur la charpente, d’autres sont tombées à l’extérieur, d’autres encore au-dessus de la voûte de l’oculus, d’autres enfin se sont collées sur et dans la masse du bronze des cloches, à l’entrée.
Les éléments des six arcs de pierre qui soutenaient l’oculus sont au sol, ni brûlés ni attaqués par le feu. Leurs arêtes sont nettes. Le bronze en fusion n’a pu couler sur leur surface la plus large, en gouttes parfaitement étalées à l’horizontale, que lorsque les pierres étaient déjà à terre, et alors la chaleur était suffisante pour les faire adhérer parfaitement. Outre les colliers en fer des jougs, outre les ardoises, des clous sont pris dans le blonze en plaque, certains provenant du plancher de la tribune réduite en charbon de bois, d’autres de pièces de bois placées entre les voliges et les chevrons de la flèche. Entre feu extérieur (toit) et feu intérieur (nef), la voûte est demeurée en place.
A l’intérieur, le sol en pierre demeure très peu brûlé dans l’ensemble, sauf en un endroit: une dalle-marche, sous la table de communion, à droite du petit portail d’accès au chœur, est creusée et comme effeuillée par un effet incendiaire de très grande puissance. En dehors de cela, le dallage n’a pas été endommagé par l’effet direct d’un feu puissant. Le foyer principal s’est développé au centre de la nef et dans la seconde chapelle de droite, où la liquéfaction par le feu des corps amoncelés a produit une sorte de vitrification, depuis la fenêtre et la petite porte jusqu’au centre de l’église. C’est la tâche sombre sur les photos de juin 1944, tâche et dépôt encore visibles aujourd’hui. Des éléments de texture de tissus y sont encore perceptibles. L’autel de cette chapelle, briques internes et plaques de marbre extérieures, a été détruit par le feu. Par contre, l’autel en bois de la première chapelle de droite, tabernacle en bois avec peinture à la feuille d’or craquelée, le couvercle des fonts baptismaux, le confessionnal de la chapelle de gauche, ainsi que son autel en dur, sont demeurés pratiquement intacts. Là où les bois n’ont pas brûlé, les enduits au mur n’ont pas brûlé. Dans tout l’édifice, les enduits ont beaucoup plus souffert en partie haute qu’en partie basse. Ce fait, ainsi que le bon état du sol, font penser qu’il n’y a pas eu d’emploi de liquide incendiaire à même le sol.
La seconde chapelle de droite, le centre de la nef, la table de communion, la partie du chœur sur la gauche de l’autel, la sacristie ont, eux, subi des foyers d’une intensité extrême. A gauche de l’autel, le long du mur de la sacristie, le granit a été érodé par le feu, et le mortier de liaison des mœllons de pierre a tellement cuit qu’il est redevenu poudreux, de couleur jaune, et qu’il ne subsiste plus qu’en profondeur, entre les pierres. Les jambages de la porte de la sacristie sont particulièrement éclatés. Le banc de pierre entre cette porte et la table de communion est d’autant plus attaqué qu’on approche de la porte. La paroi de vitraux derrière l’autel est particulièrement touchée par le feu. A gauche de l’autel, plus haut qu’hauteur d’homme, un moignon de pierre rongé par le feu atteste l’ancienne présence d’une statue. Il semble donc qu’un foyer principal se soit développé de la seconde chapelle jusqu’à la sacristie, qu’un effet de cheminée se soit produit en provenance de cette chapelle, depuis le centre de la nef aussi, et enfin depuis la sacristie vers les vitraux du fond, surtout la partie gauche. La partie gauche de l’autel a disparu, mangée par le feu.
Les photos de l’église, prises à l’extérieur en 1944, ne disent pas autre chose. Les montées de fumée grasse ont léché les murs au-dessus de la porte de la sacristie donnant sur la place. L’air qui a alimenté ce foyer a été aspiré à l’intérieur de l’édifice religieux par les fenêtres étroites des chapelles latérales nord et sud, en direction du chœur et du clocher. Pour ce dernier, il n’y a pas eu, au rez-de-chaussée, de foyer puissant; seule la tribune a brûlé. Plusieurs traces importantes du décor peint d’origine sont encore en place sous la voûte de l’oculus. A la base du clocher, la coulée des cloches présente sur les éléments d’arcs de pierre montre, en l’absence d’effondrement de la voûte de l’oculus, que la fonte et la chute des cloches a été postérieure à la chute des cordons d’origine de l’oculus.»41
Reconstitution du drame de l’église après l’évasion de Marguerite Rouffanche
De ces observations, Pascal Maysounave, dès 1996, élaborera le scénario suivant, le plus plausible en l’état. Cette reconstitution révèle ce qui arrive après l’évasion de Marguerite Rouffanche. Tout d’abord,
«pénétrant dans l’église avec leurs charges de démolition, [les SS] prennent l’escalier donnant dans la première chapelle, à droite, débouchant sur la voûte de ladite chapelle, puis, à gauche, sur la voûte centrale. Là, tournant encore sur leur gauche, ils gagnent la porte unique d’accès au clocher, qui donne sur l’oculus, au pied du beffroi en bois soutenant les cloches. Ils posent la charge, l’assurent, l’amorcent. Immédiatement avant ou après cette opération, ils posent au moins une seconde charge plus avant, sur l’arc de pierre, à hauteur du transept. Le bruit de l’explosion retentit dans le bourg comme un coup de mortier, assourdi par le clocher et les combles. L’oculus, soufflé, s’effondre au sol avec la plus grande partie des six cordons de pierre qui le soutiennent et qui se décollent de la voûte sans entraîner celle-ci. Seuls quelques morceaux s’en détachent, agrandissant l’orifice selon un dessin que les coulées de béton de confortement de la voûte, réalisées en 1945, nous révèlent. Les remplissages de voûte et la voûte elle-même demeurent en place. Au-dessus de la table de communion, l’arc de voûte résiste, quoique fortement ébranlé par la deuxième charge.»ses allégations42C’est un échec, le clocher ne s’effondre pas et l’explosion, on s’en rappelle, blesse l’artificier SS Gnug. Pascal Maysounave poursuit:
«Dans les instants qui suivent, et afin d’interdire malgré tout l’accès à l’église pour les semaines qui viennent, les Allemands ont recours aux moyens incendiaires. Il ne s’agit pas ici de paille ou de meubles, comme cela a été le cas pour le bûcher des corps entassés au centre de la nef. Après avoir déposé plusieurs engins sur les corps amoncelés dans la moitié sud-est de l’église et dans la sacristie, les SS grimpent de nouveau sur les voûtes, mettent en place ce qu’il faut pour incendier le toit, espérant ainsi venir à bout de la voûte centrale ébranlée, puis regagnent le clocher, où le beffroi est escaladé jusqu’au jougs des cloches, immédiatement sous la charpente qui supporte la flèche. Les engins incendiaires sont fixés sur les jougs. La mise à feu est opérée. Sur la voûte centrale, la charpenterie s’embrase. Sous la flèche, jougs, entablement de bois de la toiture, beffroi, tout flambe simultanément. Les ardoises coiffent un bref instant le feu et la fumée qui s’échappe en filets à l’extérieur. La volige entamée, les ardoises décloutées s’envolent et tombent au sol en claquant, celles qui restent brûlent comme de l’essence. A l’intérieur, sous l’effet de l’extrême chaleur très localisée, les cloches fondent par le cerveau, une dégoulinade de bronze tombe par l’orifice élargi qui a succédé à l’oculus. Seuls les battants de fer et les bords des cloches plus éloignés vont chuter sans avoir fondu. Coulée de bronze et débris tombent sur les pierres de l’oculus à terre et sur les restes des cordons de pierre. C’est dans ces instants que Joseph et Maurice Beaubreuil voient le clocher se vriller, à droite, à gauche, sans pencher, puis s’effondrer verticalement dans la tour43. Avant la chute, sous la vieille croix en fer forgé, une moitié de la boule de laiton étamé s’est déformée sous l’effet de la chaleur.
Il semble que l’on puisse attribuer la rotation du clocher dans un sens, puis dans l’autre, et son effondrement vertical, sans basculement, à l’existence d’une charpente de flèche relativement récente.
Elle avait dû être refaite selon la structure de fermes portant pannes et chevrons, en sapin, conformément au savoir-faire en vigueur à la fin du XIXe siècle.
Dans la nef, la plus grande partie des corps des victimes fut brûlée dans des conditions telles que l’amas des restes constitua une couche épaisse amalgamée au sol, qu’il fallut dégager au pic et à la pioche, en particulier au niveau du grand charnier de la seconde chapelle à droite. Un effet de four a été provoqué dans l’église, mais d’intensité inégale. Sous la voûte cuite et ébranlée qui a résisté, un certain nombre de corps ont été totalement calcinés, laissant une grande quantité de cendres et d’ossements, et aussi, parfois, des organes intacts. D’autres corps, ayant conservé leur apparence, mais entièrement cuits, sont tombés en poussière au moindre contact, lors de la reconnaissance des corps. Ici et là, une main reste accrochée à des ornements de fer, grille de communion ou accessoire de l’autel. Enfin, d’autres corps n’ont été que légèrement déformés par la chaleur: deux enfants ont été découverts dans le chevet du chœur, derrière l’autel. Le long des murs, des corps d’enfants aplatis et affaissés. Dans la nef, des jambes, des bras, des crânes.»44
On peut également supposer, faute de complète certitude, que les SS ont installé leurs explosifs sous l’oculus, mais il résulte des éléments précités, et comme le révèle la fusion des cloches sur les éléments d’arcs de pierre de la voûte du clocher,
- d’une part, que ledit clocher a bel et bien été victime d’une explosion,
- et, d’autre part, que la fusion des cloches, extrêmement rapide puisqu’elle n’ont fondu que par le cerveau, permettant aux bords de se détacher, est intervenue de haut en bas, postérieurement à l’endommagement de la voûte du clocher.
Excès de pointillisme? Nullement. Car ce constat est fondamental. En effet, si l’explosion et la fusion avaient été simultanées, l’effet de souffle et la chaleur intense auraient dispersé les cloches sur les murs ou par les ouvertures du clocher. Tel n’ayant pas été le cas, l’explosion ne peut scientifiquement avoir entraîné la fusion des cloches de haut en bas, laquelle découle nécessairement d’engins incendiaires à effet rapide, déclenchés postérieurement. Ce qui valide totalement les conclusions de Pascal Maysounave.
Ces conclusions, le négationniste Vincent Reynouard les connaît. On devine même, en le lisant, qu’elles l’ont particulièrement agacé. Dans Un demi-siècle de mise en scène, notre militant néo-nazi se limite à injurier cet enquêteur (lui reprochant d’être illogique…) recourant notamment à la méthode hypercritique (allant jusqu’à discuter le nombre de grenades lancées par les SS!) et à des témoignages anonymes, donc invérifiables, donc irrecevables45. Rien de très sérieux, donc, d’autant que, un demi-siècle plus tard, dans Le Cri des victimes, Reynouard, cette fois, restera muet sur cette reconstitution — silence qui signe sa gêne radicale —, et préfère répéter ses propres allégations ou, pour être plus précis, ses inventions. Que nous allons à présent examiner – ce qui nous conduira, littéralement, dans la «Quatrième Dimension».
II. Le «scénario» negationniste: magique explosion et maquisards-poltergeists
L’église d’Oradour-sur-Glane a été le théâtre de fusillades, de mitraillages, d’incendies et même d’une tentative – manquée – de destruction par dynamitage. Ces faits constitutifs du massacre gênent, bien entendu, les négationnistes. Lesquels vont démesurément exagérer les effets de l’explosion ratée (pour lui attribuer la quasi-totalité de la catastrophe), l’imputer aux maquisards, et imaginer, pour faire bonne mesure, une bataille entre ces derniers et les SS dans le lieu saint. Non sans faire croire, frauduleusement, que ladite explosion aurait été dissimulée par «l’histoire officielle»… alors qu’elle a été évoquée en long et en large au procès de Bordeaux, puis par des travaux d’historiens!
Aux origines des discours négationnistes: une propagande nazie… quelque peu timide
Comme ailleurs, les discours négationnistes selon lesquels aucun massacre n’aurait eu lieu dans l’église s’inspirent de la propagande nazie. Le 20 juin 1944, le général Gleiniger, commandant l’état-major de liaison no586 à Limoges, rapporte: «Dans la ville de Limoges et à la campagne, l’agitation qui s’est emparée de la population était devenue si forte qu’il nous est apparu sage d’y faire face en faisant répandre oralement par le bureau de la censure militaire relayé par 500 hommes de confiance la version selon laquelle les femmes et les enfants auraient été conduits dans l’église pour leur protection. Le feu aurait pris pour une raison indéterminée provoquant l’explosion d’un stock d’explosifs et de munitions que les terroristes avaient entreposé.»46 De fait, une fiche de synthèse de ces éléments de langage, en date du 18 juin 1944, indiquait: «Les femmes et les enfants avaient été rassemblées par la troupe dans l’église pour leur sécurité. Sous l’église, les terroristes ont placé un dépôt d’explosifs et de munitions qui a pris feu pendant les combats et a déterminé une explosion qui a détruit l’église.»47
Il était temps d’apporter ces éclaircissements, car, depuis le 10 juin 1944, le flou régnait en maître sur les rumeurs allemandes. Le 14 juin, l’état-major de liaison no588, à Clermont- Ferrand, indiquait certes, sans grande précision: «Les femmes et les enfants avaient fui vers l’église. L’église a pris feu. Des explosifs étaient entreposés dans l’église. Des femmes et des enfants ont également péri.»48 Et le 19, le Dr. Sahm, responsable de la censure militaire, indiquait aux journalistes français: «En ce qui concerne ce qui s’est passé à l’église, où les femmes et les enfants avaient été envoyés pour y être mis en sécurité, nous ne comprenons pas ce qui est arrivé, nous essayons de le savoir! […] Après tout, Messieurs, il y a davantage de femmes et d’enfants victimes des bombes anglaises qu’à Oradour.»49
Toutefois, la gêne domine. L’occupant préfère ne pas s’encombrer de détails sur cette atrocité. Du reste, le 4 janvier 1945, le «juge-juriste» de la division «Das Reich», Detlef Okrent, tout en prétendant, par une attestation commise pour les besoins de la cause, que «les représailles semblent pour des raisons militaires absolument justifiées», n’y fera aucune allusion50 – un silence significatif d’une stratégie de dissimulation. Ces silences et ambiguïtés perdurent après la guerre chez les ex-officiers de la 2e division blindée SS. Le «rapport Stückler» composé en 1949 indiquera que, d’après Diekmann, l’incendie du village se serait communiqué à l’église (où Diekmann aurait réuni les femmes et les enfants pour leur sécurité), ce qui aurait déclenché une explosion – mais ce même «rapport» n’excluait pas que Diekmann ait fait lui-même exploser le lieu saint51. En règle générale, ces anciens cadres de la «Das Reich» privilégieront cette dernière version, imputable à un coup de folie de Diekmann (providentiellement mort en Normandie le 28 juin 1944), exaspéré par les «crimes» du maquis. Lammerding ira jusqu’à «reprocher» à Diekmann, dans son «testament» recueilli par Otto Weidinger en 1970, d’avoir «fait ou laissé brûler dans l’église des centaines de femmes et d’enfants. Et cela, je ne puis l’accepter. Cela, c’est un crime. Je le reconnais.»52
Une version inacceptable pour les héritiers de ces officiers, à savoir l’Allemand Herbert Taege, le Belge Pierre Moreau, et le Français Vincent Reynouard. Ces derniers, pour innocenter les SS, ont cependant fort à faire. Il leur faut tenir compte, en effet, des témoignages de Marguerite Rouffanche et des SS interrogés après la guerre, des énormes tas de cendres des victimes, des innombrables traces d’incendie, des impacts de balles dans le sanctuaire, et des douilles allemandes retrouvées sur place. Et il leur faut expliquer, aussi, comment l’église a pris feu: assurément, alléguer, comme précédemment, que l’incendie du village se serait propagé au lieu saint est manifestement absurde, comme cela ressort de la configuration de la localité! Entreprise difficile, donc, qui les amènera à développer la «théorie» suivante: des maquisards auraient fait sauter un dépôt de munitions dans l’église, qui aurait causé les dégats subis par celle-ci, et tué nombre de femmes et d’enfants; ils auraient ensuite échangé des coups de feu avec les SS; lesquels auraient également tenté de sauver des femmes et des enfants de l’incendie.
Une telle falsification est aussi inepte que perverse, car elle revient à transformer un massacre en bataille, et à imputer la mort des femmes et des enfants à la Résistance. Et elle repose, d’ailleurs, sur une autre falsification: le «grand complot», en effet, se serait employé, depuis 1944, à camoufler l’existence d’une explosion dans l’église… Falsification, disions- nous, parce qu’hélas pour nos faussaires, il n’en est rien – et ils le savent.
Une explosion «cachée»? Quand les négationnistes falsifient l’historiographie du massacre
A en croire les négationnistes Pierre Moreau et Vincent Reynouard, «l’histoire officielle» aurait cherché, de 1945 à nos jours, à dissimuler l’existence d’une explosion qui aurait endommagé l’église. De la sorte, elle aurait tu la pseudo-culpabilité des maquisards dans cette tragédie, et tenté d’imposer au grand public la thèse selon laquelle le sanctuaire aurait été exclusivement ravagé par un incendie53.
Une telle rhétorique n’a rien d’historique, et tout de complotiste. Elle englobe dans un même ensemble conspiratif des récits historiques élaborés à des époques différentes, des premières tentatives, rigoureuses mais lacunaires, de 1944-1945, aux ouvrages scientifiques publiés les décennies suivantes, sans tenir compte des progrès de l’historiographie et de la Justice dans la description du massacre, ni des distinctions à opérer entre des ouvrages pionniers, marqués par leur époque, et des travaux rédigés ultérieurement à partir d’un plus large éventail de sources.
Ainsi, il est exact que les deux premiers récits circonstanciés de la tragédie, à savoir l’ouvrage du journaliste Pierre Poitevin (Dans l’enfer d’Oradour) et celui de Guy Pauchou et Pierre Masfrand (Vision d’épouvante), tous deux rédigés en 1944, n’évoquent nullement le dynamitage de l’église par les SS – et donc, l’explosion qu’ils ont déclenchée. Et pour cause: ces enquêteurs, qui avaient travaillé «à chaud», en temps de guerre, n’avaient eu accès qu’à des témoins locaux, dont les rares rescapés du massacre, et ne pouvaient qu’ignorer ceux des SS (surtout «malgré nous» alsaciens) que la Justice commençait à peine à retrouver. Or, c’est grâce à ces interrogatoires, dans le cours de l’instruction, que sera révélée la tentative nazie de faire sauter l’église, à laquelle aucun rescapé français n’a assisté. Dans ces conditions, aussi bien Pierre Poitevin que Guy Pauchou et Pierre Masfrand n’avaient aucun moyen de connaître ce fait – et, plus forte raison, de l’aborder dans leurs exposés respectifs. C’est pourquoi se sont-ils limités à indiquer que l’église avait été victime d’un incendie.
Pierre Moreau et Vincent Reynouard vont pourtant s’employer à faire croire que ces premiers récits, certes rigoureux mais incomplets, car marqués par les lacunes de leur époque, constitueraient le socle d’une «version officielle» intangible sur plusieurs décennies, qui consisterait à soutenir «la thèse officielle de l’incendie»54, en taisant l’existence d’une explosion. Ce qui revient à dénaturer l’historiographie du massacre55, laquelle a progressé depuis 1944: dès 1979, dans une synthèse historique sur le village d’Oradour-sur-Glane, Albert Hivernaud écrivait que «le sinistre Kahn envisagea d’abord de faire sauter l’église pour les tuer d’un seul coup. Mais la tentative fit plus de bruit que de dégâts et, seul, un adjudant S.S. fut grièvement blessé en prêtant la main à cet acte sacrilège, comme on l’apprendra plus tard, au cours du procès.»56 Et on se souvient que le chercheur Pascal Maysounave avait décrit cette explosion en 1996, avant même que Reynouard ne publie son premier ouvrage niant le massacre, en 1997. Cette dénaturation de l’historiographie repose, comme toujours chez les négationnistes, sur un mensonge pur et simple. Car l’explosion que «l’histoire officielle» aurait camouflée… avait été publiquement révélée au procès de Bordeaux en 1953.
«On apprend qu’il y eut une tentative pour faire sauter l’église d’Oradour à la dynamite», indique ainsi le chroniqueur judiciaire du Monde, Jean-Marc Théolleyre, le 16 janvier 1953, lors de la lecture, en audience, des différents arrêts de renvoi57. De fait, la Chambre des mises en accusation de la Cour d’Appel de Bordeaux mentionnait cet épisode dans un arrêt du 16 février 195058, de même que l’acte d’acccusation59. Les accusés SS, notamment alsaciens, l’avaient évoqué lors de l’instruction, si bien que l’explosion de l’église sera plusieurs fois mentionnée lors des audiences devant le Tribunal militaire de Bordeaux, ne serait-ce que pour évoquer la blessure accidentelle de l’artificier SS Gnug: notamment, le réquisitoire du Commissaire du Gouvernement évoquait cette tentative de destruction à l’explosif, «acte à la fois sacrilège et criminel»60 Ainsi, la Justice française avait expressément indiqué que les SS avaient tenté de dynamiter l’église, mais que l’explosion déclenchée n’avait pas obtenu le résultat espéré, ce qui était – et reste – conforme aux éléments testimoniaux et matériels du dossier.
Bref, l’explosion que, selon Moreau et Reynouard, le «grand complot» tentait d’occulter… avait été révélée par la Justice française. Et non seulement Reynouard, pour ne citer que lui, le sait-il, mais encore… l’admet-il61. Ainsi, Reynouard prétend, d’une part, que nos autorités auraient cherché à camoufler l’existence d’une explosion (pour défendre «la thèse officielle de l’incendie»), et d’autre part qu’elles l’auraient révélée – mais pour l’imputer aux SS. Comme toujours, notre brave militant néo-nazi se contredit grossièrement d’un chapitre à l’autre, ce qui révèle une réelle sophistication dans la conjonction de l’incompétence de la mauvaise foi radicales. Et ce n’est pas fini.
Une explosion… «au-delà du réel»: quand Reynouard «explose» lui-même sa propre théorie
Reynouard prétend également que l’explosion déclenchée dans le clocher aurait en fait été bien plus dévastatrice: «Vers 16h, plusieurs détonations ébranlèrent l’église. Un dépôt de munitions qui se trouvait sous les combles venait d’être mis à feu probablement par des résistants réfugiés dans le clocher […]. Dans l’église, des femmes et des enfants périrent, brûlés par les gaz enflammés et déchiquetés par les pierres de l’édifice transformées en projectiles.»62 Ces brûlures ayant été causées, à l’en croire, par une «flamme qui traversa l’église en un temps très bref.»63
Quelles «preuves» avance-t-il? Aucune autre qu’une interprétation pseudo-scientifique, lacunaire et, in fine, à la fois fantaisiste et orientée, des éléments matériels précités, notamment:
- Des victimes partiellement brûlées, certaines déchiquetées64: la «démonstration», toutefois, ne vaut rien, car leur état peut découler d’autres causes que l’explosion à laquelle tient tant Reynouard, à savoir, de la part des SS, des lancers de grenades et des rafales d’armes automatiques (à savoir des armes de guerre), sans oublier le fait que lesdits SS, en revenant sur les lieux le 12 juin, ont tenté d’arracher des corps des tas de cendres, et que des animaux en liberté erraient dans les ruines, ce qui a pu les amener à s’attaquer aux cadavres.
- «Les dégâts visibles dans la chapelle Sainte-Anne» (deuxième chapelle de la nef droite en entrant dans le bâtiment), que Pierre Poitevin décrit comme suit: «les murs sont recouverts de suie et […] le soubassement de l’autel, porté à l’incandescence, s’effrite maintenant en une fine poussière brune»65, sachant que le commissaire Massiéra, des Renseignements généraux, indiquera: «l’autel a été complètement détruit par les flammes et les briques qui le constituaient ont été en partie calcinées; les murs sont noircis et ébréchés par place.»66 C’est dans cette chapelle que se trouvait un charnier, un tas de cendres haut d’au moins 80 centimètres, et où seront retrouvés plusieurs impacts de balles. Là encore, la «démonstration» de Reynouard sollicite beaucoup trop l’imagination, car de tels dégâts n’ont pu être causés par l’explosion qu’il décrit (car, dans ce cas, les autres chapelles devraient se trouver dans le même état, ce qui n’est nullemet le cas), mais par des tirs et l’incinération de ces cadavres, l’intense chaleur des flammes ayant calciné les briques et détruit l’autel.
- «L’effondrement de la voûte du clocher»: effondrement partiel, précisons-le, et dont il est établi qu’il a été causé par la tentative de dynamitage du clocher par les SS, si bien que la «preuve» de Reynouard n’en est pas une.
- D’autres dégâts tels que la décapitation de la statue du curé d’Ars, près du chœur, ou des gravats, mais là encore, rien n’établit que pareils dommages aient été causés par l’explosion que décrit Reynouard, et rien n’exclut qu’ils aient été causés par les SS, si bien que la «preuve» de Reynouard n’en est pas une.
- La croix faîtière: située au sommet du clocher, elle a été retrouvée avec sa sphère inférieure très légèrement endommagée, alors que, d’après Reynouard, si incendie il y avait eu, cette sphère aurait certainement fondu, ce qui le conduit à «déduire» que la croix a été projetée en l’air par une explosion. Mais Reynouard ne précise pas où a été retrouvée cette croix faîtière – ce qui est bien dommage s’il veut faire croire à une explosion. Par ailleurs, l’utilisation d’engins incendiaires par les nazis a entraîné un incendie extrêmement rapide de la toiture du clocher, ce qui a vraisemblablement conduit à la chute de la croix faîtière avant même que ne fonde sa sphère inférieure (tout de même endommagée). Là encore, la «preuve» de Reynouard n’en est pas une.
Bref, comme toujours, beaucoup de bruit pour rien, d’autant que Reynouard va lui-même démontrer le contraire de ce qu’il entendait démontrer, et ce, sur deux points majeurs.
Tout d’abord, en effet, Reynouard souligne l’absence – relative – de dégâts sur la nef gauche (confessionnal et chapelle de la Sainte-Vierge) pour tenter de réfuter la thèse d’un incendie généralisé. Dont acte, mais ce faisant, et sans qu’il semble s’en rendre compte, il pulvérise lui-même sa propre allégation attribuant l’ensemble des dégâts matériels de l’église à une explosion (ou une série d’explosions, l’équivoque règne) déclenchée par les maquisards à partir des combles ou du clocher. Car, écrit-il, l’explosion dans le clocher aurait conduit à «l’effondrement au moins partiel de la voûte avec, en particulier, la destruction des ogives. Vers le bas, une fraction de seconde a suffi pour que les gaz surchauffés issus de l’explosion envahissent la nef […]. Dans le même temps, certaines pierres arrachées de la voûte ont été projetées à grande vitesse dans toutes les directions.»67 Mais alors, si les pierres volaient «dans toutes les directions», pourquoi la nef gauche, de même, à droite, que la chapelle Saint-Joseph, auraient-elle été épargnées? Ces pierres auraient-elles miraculeusement dévié de leur trajectoire? Ou bien ladite explosion aurait-elle acquis sa propre conscience et, pour on ne sait quelle raison, aurait délibérément choisi ses points d’impact? Au demeurant, quand Reynouard daigne nous livrer un schéma «explicatif» de sa «thèse», il s’avère que ce dessin révèle une explosion (pierres projetées et gaz enflammés) qui aurait également épargné la chapelle Sainte- Anne… alors qu’il nous assène le contraire68. Comprend-il seulement ce qu’il raconte?
Mais c’est sur un autre point que Reynouard va lui-même démonter en totalité sa «théorie», à savoir l’état des cloches. Rappelons que ces dernières ont été retrouvées en bas du clocher, partiellement fondues par le cerveau, encastrées sur des éléments d’arcs de pierre qui soutenaient la voûte du clocher. Comme nous l’avons vu, on sait qu’elles ont fondu de haut en bas, du clocher jusqu’au sol, goutte à goutte. Reynouard, lui y consacre une large part de ses «découvertes»: les cloches, admet-il, ont partiellement fondu par le cerveau, laissant les bords – relativement – intacts. Et il soutient alors que cette césure entre le cerveau et les bords ne pourrait avoir été déclenchée par un incendie, même très violent, mais par une explosion.
Citons-le dans le détail, car c’est à cette occasion que Reynouard va démontrer le contraire de ce qu’il entendait démontrer (nous soulignons les passages importants):
«Quel phénomène très court et très violent a-t-il pu provoquer cette frontière si nette entre les parties bien conservées et les parties disparues [des cloches]? Une explosion. Dans le cadre de notre exposé, on peut considérer une explosion comme une combustion qui s’emballe. L’énergie est instantanément libérée sous forme de chaleur et d’une onde de choc (élévation subite de la pression). Une partie de l’énergie libérée sera absordée par le métal. Le phénomène provoquera une fusion quasi-instantanée et un éparpillement du métal fondu. Il sera si bref qu’aucun écoulement de chaleur par conduction ne se produira. D’où une frontière très nette etre la partie disparue par fusion et la partie intacte. L’état des cloches visibles dans l’église d’Oradour vient donc confirmer la thèse de l’explosion violente qui s’est produite dans le clocher.»69Une explosion libèrera donc une intense chaleur et une onde de choc, un effet de souffle, ce qui aurait dû entraîner, nous dit Reynouard, «une fusion quasi-instantanée et un éparpillement du métal fondu». Dont acte, mais ce n’est précisément pas ce qui s’est passé, puisque les cloches, loin d’avoir été «éparpillées» par l’explosion que Reynouard nous décrit, ont fondu, comme on sait, du clocher vers le sol, du haut vers le bas. Reynouard, en prétendant que l’état des cloches retrouvées au sol confirmerait sa «théorie», a tout simplement «oublié» qu’une explosion… produisait un effet de souffle, une onde de choc. Et il a magistralement démontré l’inverse de sa théorie, à savoir que la fusion des cloches ne doit rien à l’explosion qu’il imagine, mais à une intense chaleur qui ne peut avoir été causée que par des engins incendiaires (et non explosifs) à effet rapide – d’où la fusion par le cerveau, si rapide que la chaleur n’a pu se diffuser jusqu’aux bords, qui se sont, eux, détachés et ont chuté jusqu’au sol70.
Une explosion qui détruit les toitures et la voûte du clocher, projette des gaz enflammés et des pierres dans tous les sens, tue à cette occasion d’innombrables femmes et enfants mais… épargne poliment des portions entières de l’église, et, au lieu d’éparpiller des cloches de bronze en fusion, les fait tranquillement fondre de haut en bas: ce n’est plus de l’Histoire, ce n’est pas même de la science, mais bel et bien du paranormal. De telles apories et une telle manipulation des éléments du dossier achèvent d’ôter toute légitimité scientifique au négationnisme, qui bascule une fois de plus dans la loufoquerie pure et simple.
Ajoutons une remarque sur la façon de procéder de Reynouard: son scénario fantasmé accumule plusieurs éléments fictifs que, pour tenter de rendre factuels, Reynouard essaie de justifier chacun séparémment les uns des autres, à chaque fois par des raisonnements et des arguments sophistiqués ajoutant les hypothèses fragiles aux hypothèses controuvées et surtout sans se soucier de la cohérence de telle hypothèse/argument par rapport aux autres éléments qu’il avance, et qui souvent les affaiblissent radicalement. Il construit ainsi un système qui est en fait radicalement incohérent, ce dont il semble ne jamais s’apercevoir. Les négationnistes sont des myopes radicaux qui se déplacent le nez au ras du sol sans jamais voir la route, en donnant de grands coups de volant à chaque caillou qu'ils rencontrent. L’historien, au contraire, ne perd jamais de vue l’ensemble des faits et des hypothèses.
Une bataille dans l’église… ou aux frontières du réel?
L’explosion surnaturelle de l’église, nous assènent Taege, Moreau et Reynouard, n’a pu être déclenchée par les SS, mais par des maquisards («anciens Espagnols rouges», selon Taege71). Reynouard précise: «Les SS s’étant rués vers le sanctuaire, une bataille s’engagea avec les maquisards, dont certains tentaient de fuir par les vitraux de la façade est.»72 Taege, déjà, osait écrire qu’«il faudrait même supposer que les partisans ont utilisé les femmes et les enfants de l’église comme boucliers en s’abritant derrière eux ou en les utilisant pour se dissimuler»73. Des maquisards non identifiés à ce jour, qu’aucun rescapé ni aucun SS n’a aperçus, et que même la propagande allemande déployée tant par la «Das Reich» que les autres structures de l’occupant nazi n’a jamais évoqués, bref de purs et simples poltergeists, invisibles et évanescents, puisqu’ils auraient, eux, miraculeusement survécu à l’explosion qu’ils auraient provoquée dans les combles et/ou le clocher, à la différence des femmes et des enfants…
On comprend qu’une telle «hypothèse» ait suscité le scepticisme jusqu’au cœur de l’extrême-droite elle-même. ««Ici, cependant, nous nous retrouvons, en quelque sorte, devant le même genre d’invraisemblances (quoique contraires) que dans les récits officiels, écrivait ainsi le publiciste extrémiste André Figueras. D’abord, on ne nous explique pas quelle aurait été la raison de cette explosion dont les auteurs ne pouvaient pas ignorer qu’elle serait fatale à des centaines d’innocents. D’autre part, s’il leur était loisible de sortir de l’église, sans être abattus par les SS, cela prouverait que l’église n’était ni fermée, ni cernée. Dans ce cas, pourquoi un certain nombre de femmes et d’enfants, devant que l’explosion ne survienne, n’auraient-ils pas suivi les fuyards qui leur montraient la voie? J’avoue qu’ici je bute sur de l’obscurité, alors qu’auparavant tout semblait très clair.»74
Mais, pour les négationnistes, il importe de fournir une «explication», même inepte, même alambiquée, même incohérente, à ces faits accablants pour la division «Das Reich», et découverts par l’administration de Vichy à l’intérieur de l’église: de multiples traces de balles et la présence de nombreuses douilles allemandes qui jonchaient le sol du sanctuaire, preuve que des tirs sont intervenus, et que ces tirs étaient exclusivement d’origine allemande (et visaient d’ailleurs les voitures d’enfants, détail que les négationnistes préfèrent généralement ignorer). Aussi est-il nécessaire aux négationnistes de transformer, une nouvelle fois, une extermination de femmes et d’enfants en bataille. Quitte à sombrer, de nouveau, dans le complotisme, à l’instar de Reynouard:
«Méfions-nous cependant. En effet, rien ne prouve que ces quantités de douilles n’ont pas été apportées là après la tragédie. Il est possible aussi que des résistants aient disposé de stocks de munitions préalablement volés aux Allemands (rappelons que des munitions sortaient de la poudrerie de Bergerac pour être livrées aux maquisards). De plus, remarquons que, dans leur ouvrage, Masfrand et Pauchou ne parlent que d’une seule douille portant l’inscription suivante: KAM St 42-5, les autres portant des inscriptions différentes (WRA 9mm, hrn St 39-43, hrn St 40-43, hrn St 41-43, aso Stf 8-44) ou rendues illisibles par le feu et l’oxydation. Notons que la marque W.R.A. 9M-M est d’origine américaine et qu’à l’époque ces douilles n’étaient utilisées, sur le territoire français, que par le maquis, notamment dans les mitraillettes STEN!»75Mais de telles objections n’ont aucun fondement. Comment imaginer, tout d’abord, que des Résistants aient pu amener des stocks de munitions allemandes dans le village, tout en retirant de l’église, une à une, leurs propres douilles d’origine française, américaine ou britannique (puisque seules des munitions allemandes ont été découvertes), le tout au nez et à la barbe des Allemands et de l’administration de Vichy, dont il est révélateur qu’elle n’a jamais songé à cette «hypothèse»? D’autant que les maquis manquaient alors singulièrement de munitions76… De même, si Pierre Masfrand et Guy Pauchou font état de douilles de marque Winchester, ils indiquent qu’elles ont été retrouvées «dans les ruines», ce qui ne signifie pas, contrairement à ce qu’allègue Reynouard, «dans l’église»77. Rappelons, sur ce dernier point, que les Allemands avaient fait main basse sur plusieurs munitions entreposées ou parachutées par les Alliés, et utiliseront, dans leur arsenal, des pistolets-mitrailleurs de marque Sten, jusqu’à copier eux-mêmes cette dernière arme78: dès lors, elles peuvent avoir servi à massacrer les victimes hors de l’église, ou alors ont été déposées pour faire croire à des combats dans le village entre la «Das Reich» et la Résistance.
Reynouard, fidèle à ses habitudes, manipule un autre témoignage, celui d’un incorporé de force alsacien, Auguste L. A l’en croire, en effet, son procès-verbal d’audition du 22 novembre 1945 indiquerait: «J’avais moi-même été commandé de me poster face à l’église, en contre- bas, sur la route, pour veiller à ce que personne ne s’échappe, et cela au moment même où les hommes avaient tenté de s’échapper par les vitraux.»79 Des hommes, donc des maquisards? Las! il ne il ne s’agit là que d’une copie du véritable procès-verbal, laquelle copie a été communiquée aux avocats de la défense des accusés alsaciens avant le procès de Bordeaux (Reynouard l’a découverte en consultant les fonds de l’Association des déserteurs, évadés et incorporés de force du Bas-Rhin, à Strasbourg)80. Or, l’original dudit procès-verbal, paraphé et signé par Auguste L., indique, lui, expressément: «J’avais moi-même été commandé de me poster face à l’église, en contre-bas, sur la route, pour veiller a ce que personne ne s’échappe, cela au moment où des femmes avaient tenté de s’échapper par les vitraux.»81 A l’évidence, la copie communiquée aux avocats des «malgré nous» était entachée d’une erreur de plume, qu’exploite ici Reynouard pour les besoins de ses foutaises, sans avoir cherché à la vérifier plus avant. Sur un point aussi fondamental, il aurait semblé aussi naturel que nécessaire de se reporter à l’original (ce que nous avons fait). Nous n’irons pas jusqu’à faire l’hypothèse presque flatteuse que Reynouard l’a effectivement fait puis choisi de citer la copie erronée qui l’arrangeait. Non, nous nous contenterons de faire une nouvelle fois le constat de son incompétence (qui penche toutefois toujours dans le sens qui l’arrange).
Pour finir, on ne s’attardera guère sur l’un des rares «témoins» nommément cités par Taege et Reynouard en faveur de leurs «théories», à savoir Eberhard Matthes, officier de l’armée fédérale ouest-allemande (la Bundeswehr). Ce dernier prétendait qu’en 1963, alors qu’il visitait Oradour en uniforme (!), des habitants lui auraient spontanément avoué que les SS, loin d’avoir mis le feu à l’église, auraient sauvé de l’incendie plusieurs femmes et enfants82; malheureusement, il a été établi que ce témoin, d’ailleurs indirect, avait proféré, sur un autre sujet historique (le bombardement de Dresde par les Alliés en 1945), et même sa propre participation à la Seconde Guerre mondiale, des mensonges si énormes qu’un historien allemand en avait conclu qu’il «n’est pas un témoin fiable de son temps»83. Un faux témoin, en d’autres termes, au service d’une falsification de l’Histoire. Quant aux vrais témoins, les négationnistes dénaturent, comme d’habitude, leurs déclarations. Ce que révèle leur traitement des déclarations de Marguerite Rouffanche.
Marguerite Rouffanche, témoin gênant
La survie de Marguerite Rouffanche pose un problème manifeste aux négationnistes. En effet, son témoignage, couplé aux aveux – parfois partiaux – des SS après la guerre, et aux constats matériels, permet d’établir que les SS ont tiré sur la foule des femmes et des enfants, et que le carnage n’est pas dû à la «magique explosion» inventée par Taege, Moreau et Reynouard, ni même à un quelconque assaut de maquisards cachés… Dans cette logique, il leur essentiel de discréditer ses déclarations, par tous les moyens que procure la méthode hypercritique, surtout les plus stupides.
Enumérons ces «arguments». Reynouard nie d’abord l’existence de l’escabeau que Marguerite Rouffanche a emprunté, derrière le maître-autel pour atteindre les vitraux, comme s’il était impossible qu’une église pût comprendre des escabeaux (les escabeaux seraient-ils assimilés à une œuvre de Satan?)84. Il remarque également que, sur une photographie prise le 3 octobre 1944, ses mains ne sont recouvertes d’aucun bandage, et que sa main gauche, «bien visible, semble en parfait état», alors qu’elle aurait dû subir «de graves coupures à la paume des mains (muscles sectionnés) voire au ventre et aux jambes (au moment de franchir l’obstacle)»85: mais ladite photographie, loin d’être en haute définition, nous montre Marguerite Rouffanche habillée, sa main gauche posée sur sa main droite, paumes invisibles, si bien qu’on ne saurait en déduire quoi que ce soit sur ses blessures. Sachant qu’à la date où a été prise cette photographie, Marguerite Rouffanche, blessée de cinq balles aux jambes et à l’épaule, était encore traitée à l’hôpital de Limoges86 — ce que Reynouard n’ignore pas, car il l’écrit lui-même87.
Reynouard prétend également que le saut de Marguerite Rouffanche à partir du vitrail (qui ne lui a occasionné aucune blessure) serait «impossible», car quatre mètres séparent ledit vitrail du sol, en pente: «Un homme en bonne condition physique spécialement entraîné pourrait peut-être sauter par l’emplacement du vitrail et parvenir à arrêter sa chute au prix d’un effort intense. Mais il paraît impossible que Mme Rouffanche (qui avait quarante-sept ans au moment du drame) et Mme Joyeux (qui portait vraisemblablement son bébé dans les bras) aient pu franchir sans dommages corporels ce dénivelé de presque dix mètres qui sépare le vitrail de la route. Par ailleurs, il faut remarquer que, dans sa déposition, Mme Rouffanche parle de son saut de plus de trois mètres, mais n’explique jamais la méthode utilisée pour interrompre sa roulade intermédiaire.»88 Fidèle à un tic négationniste consistant à solliciter des défis de ses «adversaires», il réclame même une «reconstitution du saut»89…
Toutefois, cette «démonstration» est fantaisiste, car la chute de Mme Rouffanche a été amortie par un roncier sous les vitraux (ce qui réduisait d’autant la distance — d’au moins un mètre: voir ci-après), lequel a pu l’empêcher de dévaler sur la route située non loin. Vincent Reynouard le sait parce que, comme il le rapporte lui-même, le survivant et témoin d’Oradour, Robert Hébras, lui a déclaré en 1990 que se trouvait sous le vitrail par lequel Mme Rouffanche s’est échappée un massif «de ronces de plus d’un mètre de haut»90. Aussi Vincent Reynouard conteste-t-il (forcément) l’existence même de ce roncier à partir de photographies de l’église illustrant son absence, mais leur valeur probante est inexistente, car on ne sait pas à quelle date elles ont été prises (le roncier a pu brûler dans l’incendie, ou être détruit par les sauveteurs pour déblayer les alentours de l’église). Pire encore, il allègue que «jamais, donc, Madame Rouffanche n’a prétendu être tombée dans un roncier»91, ce qui est grossièrement inexact, car elle l’a au moins indiqué à un enquêteur américain le 4 octobre 1944: «Je tombai sur un amas de ronces.»92 Indication d’autant plus significative que personne, alors, ne songeait à contester son témoignage, ce qui lui confère une force probante indéniable. Il est assez ironique de lire que Reynouard accuse Robert Hébras de mentir sur le massif de ronces alors même que le témoignage de celui-ci corrobore évidemment celui de Mme Rouffanche, lequel résiste, in fine, solidement à l’hypercritique négationniste, et se trouve renforcé, qui plus est, par des éléments fournis par ces derniers eux-mêmes…
D’autant que, comme on s’en souvient, les indications de Marguerite Rouffanche ont été corroborées par un autre fait, que nous avons décrit plus haut: l’assassinat d’Henriette Joyeux et son bébé René, dont les cadavres ont été retrouvés à proximité, et dont le meurtrier SS a été identifié. Reynouard parle d’«ineptie», d’«invraisemblance», d’«impossibilité», mais sans jamais étayer ces jugements à l’emporte-pièce autrement que par une lecture hypercritique des témoignages et des affirmations gratuites93. Citons-en une, relative à la trace de sang découverte sous un vitrail, pourtant établie: «Or, rien ne prouve que ce sang ait effectivement appartenu à H. Joyeux. Nous sommes même persuadés qu’il appartenait à des maquisards qui furent mitraillés par les SS alors qu’ils tentaient de fuir par ce vitrail.»94 Une allégation bâtie sur l’invention aussi extravagante que gratuite et surnaturelle de maquisards combattant dans l'église (voir plus haut), et notamment sur la citation erronée du malgré-nous alsacien Auguste L. du 22 novembre 1945, décryptée plus haut – bref, force vent et vide parfait.
Reynouard croit judicieux d’y ajouter un passage d’un autre témoignage, antérieur, d’Auguste L., en date du 12 avril 1945: «c’était atroce, de petits enfants de 2 ans avaient été projetés hors de l’Eglise par l’explosion et horriblement mutilés.»95 Ce qui lui fait déduire que l’église aurait été détruite par une explosion. Mais il a extrait la citation de son contexte, car voici ce que déclarait également ce même Auguste L.:
«Je suis resté de garde aux camions qui suivaient lentement la progression et dès l’entrée de la localité, j’ai assisté à toute la scéne suivante:
Les SS sont entrés dans toutes les habitations faisant sortir tous les habitants, hommes et femmes, vieillards, enfants, qu’ils ont rassemblés sur la place du village près de 1'Eglise ; puis ils ont séparé les hommes et les vieillards des femmes et des enfants: mettant les 1ers dans les granges aux abord de la place, les 2émes dans l’Eglise.
L’ordre de fusiller et tuer tout le monde a été alors donné par le Capitaine KAHN.
Les SS ont alors exécuté tous les hommes à coups de fusils et mitraillettes et fusils mitrailleurs. Ils entraient dans les granges et les tuaient à bout portant — 80 à 100 ont été exécutés de la sorte puis ce fut au tour des femmes et des enfants, toujours sous le commandement du Capitaine KAHN, l’entrée de l’Eglise a été dynamitée mais celle-ci ne s’étant pas écroulée complétement, au milieu des cris et des gémissements les SS ont achevé leur œuvre d’assassins sanguinaires en jetant des grenades sur les personnes qui n’étaient pas tuées.
Puis pour terminer ils incendiairent le village mettant le feu à presque toutes les maisons et l’Eglise pour effacer leur forfait.
Tout était terminé à 21 heures. Les SS sont remontés dans les camions, le village brûlait encore quand nous sommes partis.
Au cours du drame j’ai pu sauver trois personnes: 2 jeunes filles de 20 à 25 ans et un vieillard d’environ 60 ans qui venaient sans doute des champs alors que la population était déjà rassemblée sur la plàce, je leur ai dit de ne pas entrer au village et de se sauver, ce qu’ils ont fait.
Le lendemain 11 Juin vers 4 heures du matin, nous étions à nouveau sur les lieux pour enterrer les cadavres, j’étais toujours de garde aux camions et n’ai pas assisté à cette macabre corvée. Mes camarades alsaciens m’ont dit que c’était atroce, de petits enfants de 2 ans avaient été projetés hors de l’Eglise par l’explosion et horriblement mutilés. Je ne puis dire affirmativement le nombre de tombes qui ont été creusées dans les jardins derriére les maisons.»96
Ainsi, la déclaration d’Auguste L. du 12 avril 1945 réfutait totalement les inepties négationnistes de Reynouard, tant l’accusation de «village partisan» que le déroulement même du massacre, d’autant qu’Auguste L. n’attribue nullement l’extermination de l’église à une explosion, et n’évoque, s’agissant des cadavres de bébés projetés par l’explosion, que les déclarations de ses «camarades alsaciens», ce qui n’en fait, sur ce point, qu’un témoin indirect. Autant d’éléments que Reynouard se garde bien de signaler à ses lecteurs, ce qui révèle, là encore, une manipulation particulièrement malhonnête de ses sources.
Contre Marguerite Rouffanche, un délire hypercritique
Pour tenter de discréditer Marguerite Rouffanche, Vincent Reynouard va user d’une des méthodes favorites des négationnistes: l’hypercritique (qui «est à la critique ce que la finasserie est à la finesse», écrivaient Langlois et Seignobos). Il va notamment jouer sur les descriptions, par ce témoin, de la caisse déposée par les SS dans la nef avant le massacre, et qui, sans exploser, c’est-à-dire sans voler en éclats ni se désintégrer, va cracher une fumée asphyxiante.
Récapitulons les différentes déclarations de Marguerite Rouffanche sur ce point précis:
- Juin 1944: «C’était une caisse du volume et de la hauteur de ma table de nuit. Personne ne voulut s’en approcher, mais elle n’explosa pas.»97
- Rapport du commissaire Massiéra (Renseignements généraux) du 4 juillet 1944: «Ensuite deux jeunes soldats âgés de 20 à 25 ans pénétrèrent dans l’église et déposèrent en son centre une grade caisse entourée de ficelles. Ils y mirent le feu et, aussitôt, une épaisse fumée se répandit. Des femmes et des enfants commencèrent à tomber sur le sol; notamment dans la nef droite.»98
- 4 octobre 1944: «Deux Allemands vinrent porter à l’intérieur de l’église une espèce de boîte d’environ 50 x 50 x 50 cm. Celle-ci paraissait garnie de ficelle blanche embrouillée. Un des Allemands enleva le couvercle. Les deux Allemands se retirèrent ensuite par la porte de derrière l’église. Peu après leur départ, la boîte explosa et une fumée noire s’en dégagea aussitôt; fumée qui nous fit étouffer. Toutes les femmes et les enfants tombèrent en poussant de grands cris.»99
- Le 16 novembre 1944: «une boîte mesurant environ 80 cm de long, devant la sainte table, à l’extrémité de la nef. Cette boîte qui paraissait lourde puisqu’ils l’ont portée à deux, était garnie de ficelles blanches qui dépassaient l’emballage. Je l’ai vue cette boîte, non loin de moi et j’ai vu les deux Allemands l’ouvrir. C’est en l’ouvrant que j’ai constaté qu’elle était garnie de ficelles blanches. Aussitôt après, les Allemands sont ressortis, sans nous avoir adressé la moindre parole et et sans avoir l’air de se préoccuper de nous. Je me suis alors imaginé qu’on allait faire sauter l’église et nous autres avec. Cependant, tout le monde est resté calme. Quelques instants après, une petite détonation est partie de la boîte et aussitôt une fumée noire, acre et piquante s’en est dégagée, remplissant toute l’église. Cette fumée était asphyxiante et des cris, des clameurs ont été poussés par femmes et enfants.»100
- Le 30 novembre 1944: «Vers 16 heures, des soldats, âgés d’une vingtaine d’années, placèrent dans la nef, près du chœur, une sorte de caisse assez volumineuse de laquelle dépassaient des cordons qu’ils laissèrent traîner sur le sol. Ces cordons ayant été allumés, le feu fut communiqué à l’engin dans lequel une forte explosion soudain se produisit et d’où une épaisse fumée noire et suffocante se dégagea. Les femmes et les enfants, à demi asphyxiés et hurlant de frayeur, affluèrent vers les parties de l’église où l’air était encore respirable.» 101
- Dans une brochure parue en décembre 1944: «Vers 19 h 30 une caisse est amenée dans la nef, puis deux cordons ayant été allumés, les gardiens se retirent. Une explosion se produit, immédiatement suivie d’une épaisse fumée dégageant une forte odeur de phosphore.»102
- 7 juillet 1947: «Pendant tout le temps que je suis restée dans l’église, je n’ai vu ni entendu aucune explosion. La caisse qui a été emportée dans l’église a dégagé une fumée épaisse et asphyxiante sans dégager aucune flamme. Il y avait eu auparavant un bruit sourd. Après cette explosion il y a eu un [illisible: remous?] et je me suis réfugiée dans la sacristie. Je n’ai donc pas pu voir ce qui se passait dans l’église au dernier moment. […] La caisse a été portée par deux Allemands qui se sont retirés sans être aucunement blessés.»103
- Audience du procès de Bordeaux du 31 janvier 1953: «Après une longue attente, ils ont apporté une caisse dont se dégageait un cordon blanc. Puis ils ont placé cette caisse sur deux chaises devant la Sainte Table, de cette caisse se dégageaient des cordons blancs. Je ne peux connaître l’engin que c’était. Et au bout d’un certain laps de temps, la caisse a éclaté d’un bruit très sourd et une fumée nous a entourés, on étouffait, et on ne se voyait plus dans l’église. A ce moment là, les gens sont montés pêle-mêle les uns sur les autres, avec les 250 enfants des écoles sans compter les bébés que les mamans tenaient sur les bras. […] Cette caisse est partie d’elle-même. Evidemment, il devait y avoir un certain temps pour donner la détonation, il fallait bien que ces messieurs se retirent et après cette fumée dispersée, ils sont rentrés dans l’église et alors là, ils ont mitraillé. […] [Ils ont allumé les mèches blanches qui pendaient.] Evidemment et ils sont ressortis. Alors à ce moment là, il s’est dégagée une fumée étouffante, suffocante qui se répandait dans l’église.»104
- Documentaire «Oradour-sur-Glane raconté par les rescapés» (diffusé le 14 juin 1969): «Pour arriver dans cette église on avait déposé une caisse sur deux chaises d’où sortaient des cordons. Evidemment tout le monde se demandait ce qui allait nous arriver. Moi j’ai dit à une personne des Bruyères moi j’ai dit “ça c’est une bombe, nous allons tous sauter avec l’église.” “Oh, elle me dit, ne parlez pas de ça”, et le fait est, cette boîte a explosé. On ne s’est plus vus dans… ça nous a étouffés… les gens… tout noirs…»105
Point n’est besoin d’en rajouter. Il ressort de ces déclarations une cohérence constante: les SS ont déposé une caisse garnie de ficelles blanches dans la nef, avant l’extermination des femmes et des enfants; ils ont ouvert le couvercle et allumé les mèches; de la caisse a retenti peu après une détonation sourde; elle n’a pas volé en éclats, mais a dégagé une fumée asphyxiante. Marguerite Rouffanche évoque parfois une «explosion», mais il est évident qu’elle emploie ce terme pour décrire, non point le fait de se rompre brutalement en projetant des fragments, mais une détonation, ce qu’elle-même précise expressément à la Justice militaire le 7 juillet 1947.
L’emploi occasionnel du terme «explosion» par cette cultivatrice ignorant les choses et les mots de la guerre va pourtant être exploité par Reynouard pour prétendre l’inverse, à savoir qu’elle se contredirait d’une déclaration à l’autre, donc qu’elle aurait menti, donc qu’elle a été subornée par le «grand complot», et donc qu’il n’y a pas eu massacre106. Là où Reynouard voit, avec malhonnêteté, des contradictions, il n’y a, en vérité, que des imprécision de termes (extrêmement banals dans les témoignages), lesquelles sont dissipées par un recoupement de ses différentes déclarations, qui établit que Marguerite Rouffanche ne s’est pas contredite en décrivant la caisse apportée par les SS.
Celui qui, en revanche, se contredit souvent et dénature les témoignages, c’est bel et bien Vincent Reynouard. Lui-même, en effet, prétend que les prétendues «contradictions» de Marguerite Rouffanche découleraient des évolutions de la «version officielle» depuis 1944, qui tantôt évoquerait une explosion, et tantôt la dissimulerait – mais, d’un autre côté, il nous assène que, depuis le massacre, les autorités auraient cherché à imposer «la thèse officielle de l’incendie» et à faire disparaître toute trace d’une explosion! Une aporie là encore magistrale, nouvelle illustration (s’il en fallait) que le discours négationniste est une anti-Histoire, c’est-à-dire qu’il dédaigne toute cohérence (et même toute recherche de cohérence), se contentant de diffuser un pur et simple écran de fumée.
Notes.
1. Jean-Jacques Fouché, Oradour, Paris, Liana Levi, 2001, p. 159.
2. Déclaration de Marguerite Rouffanche du 4 octobre 1944, Rapport E.O. Munn, source privée et Michel Baury (éd.), Oradour-sur-Glane. Un crime contre l’humanité, Waterloo, Jourdan, 2021, p. 204-205.
3. Delarue, Trafics et crimes sous l’Occupation, op. cit., p. 431. Egalement La Contemporaine, Fonds Jacques Delarue, cote F Delta 835/21. Un manuel militaire allemand précisait comment utiliser de telles grenades: Oberkommando des Heeres (éd.), Der Panzerknacker. Anleitung für den Panzernahkämpfer. Das Merkblatt 77/3, mai 1944 (coll. personnelle de l’auteur).
4. Déclaration de Maurice Beaubreuil, 8 juillet 1947, AJM, «Dossier Oradour», Liasse VI, 04-00088-89. Son frère Martial confirme avoir «nettement perçu les bruits d’une scie et d’un marteau» avant une «forte explosion en provenance de l’église suivie d’une forte mitraille provenant de tous les coins du bourg» (PV d’audition de Martial Beaubreuil, 10 novembre 1944, 1207/70, AD Haute-Vienne, 1517 W 424). Le journaliste et Résistant Pierre Poitevin évoquera, lors du procès de Bordeaux, un témoin susceptible d’indiquer «où a été préparée cette bombe» (déposition de Pierre Poitevin, Sténographie du procès de Bordeaux, audience du 23 janvier 1953, p. 30-31, fonds ADEIF) mais son affirmation ne sera pas suivie d’effet.
5. Déclaration de Marguerite Rouffanche du 4 octobre 1944, Rapport E.O. Munn, source privée et Michel Baury (éd.), Oradour-sur-Glane. Un crime contre l’humanité, Waterloo, Jourdan, 2021, p. 205.
6. Déposition de Mme Rouffanche, Sténographie du procès de Bordeaux, audience du 31 janvier 1953, p. 4.
7. Pierre Poitevin, Dans l’enfer d’Oradour. Le plus monstrueux crime de guerre, Limoges, Publications du Centre, 1944, p. 92. Lequel commet une erreur: Andrée Rouffanche venait d’avoir 18 ans, non 21 (https://fusilles-40-44.maitron.fr/?article218073), tandis qu’Amélie Peyroux avait 21 ans, non 23 (https://fusilles-40-44.maitron.fr/?article218071).
8. Rapport du commissaire Massiéra, 4 juillet 1944, p. 6 et 14-15 (AD Haute-Vienne, 1517 W 424). Voir également l’analyse de Pascal Maysounave, Oradour, plus près de la vérité, Limoges, Lucien Souny, 1996, p. 227.
9. Déposition d’Adolf Heinrich du 27 juin 1956, citée dans Picaper, Les ombres d’Oradour, op. cit., p. 182 et Erkenbrecher, Oradour und die Deutschen, op. cit., p. 241.
10. Déposition André Petit, Sténographie du procès de Bordeaux, audience du 28 janvier 1953, p. 30. Voir également l’analyse de Guy Pauchou et Pierre Masfrand, Oradour-sur-Glane. Vision d’épouvante, Limoges, Lavauzelles, 1945, p. 65.
11. Attestation du Dr. Pierre Masfrand, non datée, AJM, «Dossier Oradour», Liasse VI, 04-00208-209.
12. PV d’audition de Marguerite Rouffanche, 16 novembre 1944, 1207/25, AD Haute-Vienne, 1517 W 424.
13. Attestation de Marguerite Rouffanche, 30 novembre 1944, AJM, «Dossier Oradour», Liasse VI, 04-00236, reproduite dans Pauchou et Masfrand, Oradour-sur-Glane. Vision d’épouvante, op. cit., p. 57.
14. Déclaration de Paul G., 8 septembre 1945, AD Haute-Vienne, 1517 W 484.
15. PV d’audition de Jean-Pierre E., 24 septembre 1945, no2384, AD Haute-Vienne, 1517 W 484. PV d’audition d’Auguste L., 22 novembre 1945, no2-208, AJM, «Dossier Oradour», Liasse XIII, 07-00595. PV d’audition d’Auguste L., 20 janvier 1948, no403/1, AJM, «Dossier Oradour», Liasse XIII, 07-00411 et 07-00660. Un officier SS confirmera le fait à un autre de ses camarades en 1945 (PV d’audition de Heinz Simstedt, 3 août 1945, AD Haute-Vienne, 1517 W 424, 0909).
16. Déclaration de Paul G., 8 septembre 1945, AD Haute-Vienne, 1517 W 484.
17. Déposition de Mme Rouffanche, Sténographie du procès de Bordeaux, audience du 31 janvier 1953, p. 5.
18. Déclaration de Marguerite Rouffanche du 4 octobre 1944, Rapport E.O. Munn, source privée et Michel Baury (éd.), Oradour-sur-Glane. Un crime contre l’humanité, Waterloo, Jourdan, 2021, p. 205. Selon ses déclarations, Marguerite Rouffanche indique avoir sauté du vitrail de gauche (PV d’audition de Marguerite Rouffanche, 16 novembre 1944, 1207/25, AD Haute-Vienne, 1517 W 424), ce qui semble conforme à son témoignage enregistré par Ecto Munn, ou de la fenêtre du milieu, la plus grande (attestation de Marguerite Rouffanche, 30 novembre 1944, AJM, «Dossier Oradour», Liasse VI, 04-00237, reproduite dans Pauchou et Masfrand, Oradour-sur-Glane. Vision d’épouvante, op. cit., p. 57-58). Une telle variation apparaît des plus bénignes.
19. PV d’audition de Marguerite Rouffanche, 16 novembre 1944, 1207/25, AD Haute-Vienne, 1517 W 424.
20. PV d’audition de Marguerite Rouffanche, 16 novembre 1944, 1207/25, AD Haute-Vienne, 1517 W 424. Déclaration de Marguerite Rouffanche du 4 octobre 1944, Rapport E.O. Munn, source privée et Michel Baury (éd.), Oradour-sur-Glane. Un crime contre l’humanité, Waterloo, Jourdan, 2021, p. 205. Plaide en ce sens le fait qu’un SS alsacien, enrôlé de force, a aperçu une traînée de sang sous un vitrail de l’église (PV d’audition d’Auguste L., 22 novembre 1945, no2808, AJM, «Dossier Oradour», Liasse VII, 03-00567).
21. Attestation de Marguerite Rouffanche, 30 novembre 1944, AJM, «Dossier Oradour», Liasse VI, 04-00237, reproduite dans Pauchou et Masfrand, Oradour-sur-Glane. Vision d’épouvante, op. cit., p. 57- 58. Poitevin, Dans l’enfer d’Oradour, op. cit., p. 51-52.
22. Déclaration de Marguerite Rouffanche du 4 octobre 1944, Rapport E.O. Munn, source privée et Michel Baury (éd.), Oradour-sur-Glane. Un crime contre l’humanité, Waterloo, Jourdan, 2021, p. 205.
23. Déclaration de Paul G., 8 septembre 1945, AD Haute-Vienne, 1517 W 484. Egalement PV d’audition de Paul G., 10 octobre 1946, AJM, «Dossier Oradour», Liasse VI. On retrouvera, en effet, le cadavre d’Henriette Joyeux, porteur de traces de balles dans la tête, près des W.C. dans le jardin du presbytère sous une couche de 30 à 40 cm de terre (PV d’audition de Léonarde Devoyont, 23 novembre 1944, AD Haute-Vienne, 1517 W 424; PV d’audition d’André Petit, 22 décembre 1944, 1207/94, AD Haute-Vienne, 1517 W 424). Le petit René sera retrouvé le crâne défoncé, la jambe gauche brisée: attestation de Martial Machefer, 8 décembre 1944, AJM, «Dossier Oradour», Liasse VI, 04-00231; déclaration de Martial Machefer, 8 juillet 1947, AJM, «Dossier Oradour», Liasse VI, 0108; déposition de Martial Machefer, Sténographie du procès de Bordeaux, audience du 29 janvier 1953, p. 10. Voir également Pauchou et Masfrand, Oradour-sur-Glane. Vision d’épouvante, op. cit., p. 67, ainsi que Baury, Oradour-sur-Glane. Un crime contre l’humanité, op. cit., p. 106-116. De même, déposition de René Hyvernaud, Sténographie du procès de Bordeaux, audience du 28 janvier 1953, p. 18-19; déposition d’Aimé Faugeras, Sténographie du procès de Bordeaux, audience du 28 janvier 1953, p. 23-24 (qui date cependant, mais inexactement, la découverte du corps du nourrisson au 12 juin); déposition de Jean Hyvernaud, Sténographie du procès de Bordeaux, audience du 28 janvier 1953, p. 44- 45.
24. Poitevin, Dans l’enfer d’Oradour, op. cit., p. 93.
25. Déclaration de Paul G., 8 septembre 1945, AD Haute-Vienne, 1517 W 484.
26. PV d’audition de Jean-Pierre E., 24 septembre 1945, no2384, AD Haute-Vienne, 1517 W 484.
27. PV d’audition d’Auguste L., 22 novembre 1945, no2808, AJM, «Dossier Oradour», Liasse VII, 03-00566-567.
28. https://www.oradour.info/appendix/kahnsta1.htm. Jean-Paul Picaper, Les ombres d’Oradour, Paris, L’Archipel, 2014, p. 379-380.
29. https://www.oradour.info/appendix/kahnsta4.htm.
30. Voir la synthèse des témoignages allemands et alsaciens par Fouché, Oradour, op. cit., p. 161-165. Voir également, sur la blessure de Gnug, PV d’audition d’Albert D., 21 août 1946 et 22 novembre 1946, AJM, «Dossier Oradour», Liasse VII.
31. Poitevin, Dans l’enfer d’Oradour, op. cit., p. 61-62.
32. CMO, A 2 A (1-30), «Ma mission des 9, 10, 11, 12, 13 juin 1944», Réf. OIW/3/36000 (version intégrale). Son témoignage sera reproduit intégralement dans Les Lettres françaises, numéro spécial, 1er août 1944, «Sur les ruines de la morale: Oradour-sur-Glane».
33. Rapport du Préfet de la Région de Limoges, 15 juin 1944, AD Haute-Vienne, 986 W 481, et AJM, «Dossier Oradour», Liasse VI.
34. Poitevin, Dans l’enfer d’Oradour, op. cit., p. 133.
35. Poitevin, Dans l’enfer d’Oradour, op. cit., p. 73-74 et 77-78.
36. Déposition de Pierre Poitevin, Sténographie du procès de Bordeaux, audience du 23 janvier 1953, p. 28.
37. Déposition d’André Petit, Sténographie du procès de Bordeaux, audience du 28 janvier 1953, p. 29- 30.
38. Rapport du commissaire Massiéra, 4 juillet 1944, p. 14-16 (AD Haute-Vienne, 1517 W 424)
39. Déposition André Petit, Sténographie du procès de Bordeaux, audience du 28 janvier 1953, p. 33.
40. Déposition du Dr. Benech, Sténographie du procès de Bordeaux, audience du 28 janvier 1953, p. 40.
41. Pascal Maysounave, Oradour, plus près de la vérité, Limoges, Lucien Souny, 1996, p. 229-232.
42. Maysounave, Oradour, plus près de la vérité, op. cit., p. 231-232.
43. A noter, ici, une imprécision: le frère de Maurice Beaubreuil s’appelle Martial Joseph Beaubreuil. Aucun document n’atteste qu’ils ont vu le clocher se vriller, mais Pascal Maysounave semble avoir interrogé personnellement les deux témoins (il mentionne un entretien avec Maurice Beaubreuil à la page 285 de son livre). Lors du procès de Bordeaux, Maurice Beaubreuil indiquera: «Vers 7 h 1⁄2 8 h, nous avons vu l’église brûler, les flammes commençaient à sortir du clocher, les ardoises sautaient. Les flammes étaient verdâtres, bleuâtres, elles faisaient un drôle d’effet.» (Déposition Maurice Beaubreuil, Sténographie du procès de Bordeaux, audience du 25 janvier 1953, p. 43). A ce procès, Martial Beaubreuil apportera les précisions suivantes: «Nous avons quand même toujours entendu des coups de feu et ce n’est qu’environ vers 7 h 30 je pense que nous avons entendu une explosion provenant de l’église. Là nous l’avons bien vu, et nous avons alors vu sortir du clocher une flamme identique à celle d’un chalumeau lorsque vous soudez.» (Déposition Martial Beaubreuil, Sténographie du procès de Bordeaux, audience du 25 janvier 1953, p. 40). Lors d’une audience précédente, Hubert Desourteaux avait affirmé: «J’ai entendu beaucoup de bruit de mitraillage. Beaucoup, beaucoup, ça mitraillait sans arrêt. Et au bout d’un moment, j’ai entendu une rumeur dans l’église, à 150 mètres de moi. […] Je ne pouvais discerner ce qui se passait; ça mitraillait sans arrêt; il y avait même des mortiers qui tiraient. A ce moment-là, j’ai entendu un bruit bizarre: c’était les ardoises de l’église qui tombaient les unes après les autres… Le feu était dans l’église.» (Déposition Hubert Desourteaux, Sténographie du procès de Bordeaux, audience du 22 janvier 1953, p. 12-13).
44. Maysounave, Oradour, plus près de la vérité, op. cit., p. 232-235.
45. Vincent Reynouard, Le massacre d’Oradour. Un demi-siècle de mise en scène, Anvers, VHO, p. 91-96 (ci-après Demi-siècle).
46. Verbindungsstab 586, Abt. Ic, Tgb.Nr. 1216 /44 an Hauptverbindungsstab 588 Clermont-Ferrand, Betr. Vorgänge in Oradour-sur-Glane, 20.6.1944, p. 2, CMO, 1 ETUD 2-4. Trad. d’après Jean-Paul Pierrot, «L’invention du mensonge», L’Humanité, 8 juillet 1994 https://www.humanite.fr/-/-/linvention-du-mensonge (anciennement https://www.humanite.fr/node/83249)
47. Extrait cité par Jean-Paul Pierrot, «L’invention du mensonge». Document reproduit partiellement en fac-similé dans L’Humanité, 4 février 1953. Egalement CMO, 1 ETUD 2-4.
48. TMI, vol. YYYVII, doc. F-257, p. 18,
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9760029n/f34.image.r=oradour?rk=42918;4.49. Cité dans Poitevin, Dans l’enfer d’Oradour, op. cit., p. 119.
50. SS Ausbildungsgruppe Süd Gericht, Tgb Nr. 4/45, «Tötung franz. Staatsangehöriger ohne Urteil», 4.1.1945, Taube Archive of the International Military Tribunal (IMT) at Nuremberg, RF Exhibit 392, H-4569, p. 7-8: https://virtualtribunals.stanford.edu/catalog/mt839rq8746aspace_2176525c3d71b2b45fcf51aebfd61429. Traduction française in Taube Archive of the International Military Tribunal (IMT) at Nuremberg, French Document Book: Extermination of Innocent Populations, H-5051, p. 182-183: https://virtualtribunals.stanford.edu/catalog/mt839rq8746aspace_f43a54599d88943f3f189c48a9f83839.
51. Rapport» d’Albert Stückler, février 1949, «Die 2. SS-Panzer-Division «Das Reich» in Frankreich vom Februar – Juli 1944», Teil II, Anlage 7, «Vorgänge in Limoges und Oradour sur Glane (8.-10 Mai 1944)», p. 4, fonds ADEIF.
52. Cité dans Michel Peyramaure, La division maudite, Paris, Robert Laffont, 1987, p. 427.
53. Voir les articles de Pierre Moreau dans Nouvelle Voix d’Alsace-Lorraine, no78/1985, no79/1985, no82/1985, no83/1986, no84/1986 (réunis en un seul volume, sous le titre En écoutant crier les pierres). Et Reynouard, Demi-siècle, op. cit., ainsi que Le Cri des victimes, op. cit.
54. Reynouard, Demi-siècle, op. cit., p. 31.
55. Du reste, Moreau et Reynouard «oublient» que le livre de Pierre Poitevin n’a pas été réédité après 1945. Et s’il est vrai que Vision d’épouvante a été réédité en l’état pendant plusieurs décennies, une telle circonstance ne prouve nullement la matérialité d’une conspiration du silence, dans la mesure où d’autres ouvrages publiés depuis décrivaient précisément l’explosion causée par les SS dans le lieu saint.
56. Albert Hivernaud, Petite histoire d’Oradour-sur-Glane. De la Préhistoire à nos jours, Limoges, 1979, p. 47 (1ère édition).
57. Le Monde, 16 janvier 1953:
https://www.lemonde.fr/archives/article/1953/01/16/apres-plus-de-trois-audiences-de-procedure-l-interrogatoire-des-accuses-commence_1970960_1819218.html.58. Chambre des Mises en accusation de la Cour d’Appel de Bordeaux, arrêt du 16 février 1950, p. 8 (fonds ADEIF).
59. Tribunal militaire de Bordeaux, acte d’accusation dressé par le lieutenant-colonel Troyes, p. 15, 18, 24 (fonds ADEIF).
60. «Réquisitoire allemand» du 4 février 1953, Sténographie du procès de Bordeaux, audience du 4 février 1953, p. 37.
61. Reynouard, Demi-siècle, op. cit., p. 77-78.
62. Reynouard, Demi-siècle, op. cit., p. 329. Voir également Le Cri des victimes, op. cit., p. 403.
63. Reynouard, Demi-siècle, op. cit., p. 82.
64. Ibid., p. 79-82.
65. Poitevin, Dans l’enfer d’Oradour, op. cit., p. 62.
66. Rapport du commissaire Massiéra, 4 juillet 1944, p. 16 (AD Haute-Vienne, 1517 W 424).
67. Reynouard, Le Cri des victimes, op. cit., p. 317.
68. Reynouard, Le Cri des victimes, op. cit., p. 318.
69. Ibid., p. 294-295. Dans un pamphlet publié en 2013, Reynouard avait déjà formulé une conclusion identique: «Dans le cadre de notre exposé, on peut considérer une explosion comme une combustion qui s’emballe. L’énergie est instantanément libérée sous forme de chaleur et d’une onde de choc (élévation subite de la pression). Une partie de l’énergie libérée va être absorbée par le métal, ce qui provoquera une fusion quasi instantanée et un éparpillement du métal fondu. Le phénomène sera si bref qu’aucun écoulement de la chaleur par conduction ne surviendra. Il en résultera une frontière très nette entre la partie disparue par fusion et la partie intacte. L’état des cloches visibles dans l’église d’Oradour vient donc confirmer la thèse de l’explosion violente qui s’est produite dans le clocher.» (Vincent Reynouard, «Oradour: la contre-enquête», Sans Concession, 2013, p. 30)
70. Lesquels engins, comme l’indique Pierre Maysounave, ont vraisemblablement été installés sur les jougs des cloches, «immédiatement sous la charpente qui supporte la flèche», ce qui explique pourquoi aucune trace de suie ne semble pouvoir être identifiée au-dessus des fenêtres du clocher.
71. Taege, Wo ist Kain?, op. cit., p. 314.
72. Reynouard, Demi-siècle, op. cit., p. 329.
73. Taege, Wo ist Kain?, op. cit., p. 311-312.
74. André Figueras, Pétain et la Résistance, auto-édition, 1989, p. 126. Figueras soutenait notamment que le capitaine Dreyfus était bel et bien coupable de trahison (Ce canaille de D…reyfus, auto-édité, 1982).
75. Reynouard, Demi-siècle, op. cit., p. 205.
76. Notamment, l’attaque de la garnison allemande de Tulle par les maquisards, le 7 juin 1944, révélait déjà chez les libérateurs un manque criant de munitions (Fabrice Grenard, Tulle: enquête sur un massacre, Paris, Tallandier, «Texto», 2024, p. 137 et 145).
77. Pauchou et Masfrand, Oradour-sur-Glane. Vision d’épouvante, op. cit., p. 104
78. Voir Leroy Thompson, The Sten Gun, Osprey, Oxford/New York, 2021, p. 6 et 68-71.
79. Reynouard, Demi-siècle, op. cit., p. 209.
80. PV d’audition d’Auguste L., 22 novembre 1945, no2808 (Fonds ADEIF).
81. PV d’audition d’Auguste L., 22 novembre 1945, no2808, AJM, «Dossier Oradour», Liasse VII, 03-00567.
82. Taege, Wo ist Kain?, op. cit., p. 304-306; Reynouard, Demi-siècle, op. cit., p. 211-212.
83. Sur Matthes, voir Picaper, Les ombres d’Oradour, op. cit., p. 243-246.
84. Reynouard, Le Cri des victimes, op. cit., p. 359-360.
85. Ibid., p. 361.
86. Déclaration de Marguerite Rouffanche du 4 octobre 1944, Rapport E.O. Munn, source privée et Baury (éd.), Oradour-sur-Glane. Un crime contre l’humanité, op. cit., p. 206.
87. Reynouard, Le Cri des victimes, op. cit., p. 362.
88. Reynouard, Demi-siècle, op. cit., p. 206.
89. Reynouard, Le Cri des victimes, op. cit., p. 371-373.
90. Vincent Reynouard, «Oradour: la contre-enquête», Sans Concession, 81, 2013, p. 85. Repris en plaquette: Vincent Reynouard, Oradour: la contre-enquête, Sans Concession, plaquette sans date (probablement 2013), p. 57. Il est assez significatif que dans sa grosse publication de 1997, Reynouard se gardait bien de mentionner le récit de Robert Hébras et se contentait de nier l’existence de la végétation sous le vitrail. Il écrivait alors (sans qu’on comprenne bien pourquoi il faisait cette remarque, mais c’était un contre-feu hypocrite au constat de Robert Hébras qu’il connaissait mais prenait soin de ne pas citer): «De plus, on remarque que, tout comme aujourd'hui, aucune végétation (ronces, haie…) n’existait sur ce talus» (Reynouard, Demi-siècle, op. cit., p. 206). Lorsqu’en 2013, il mentionne enfin le constat que lui a confié Robert Hébras en 1990, alors qu’il ignore le témoignage de Mme Rouffanche d’octobre 1944, c’est pour le seul plaisir pervers d’accuser celui-ci de mensonge. Ce faisant, il ne fait que corroborer le témoignage de Mme Rouffanche!
91. Reynouard, Le Cri des victimes, op. cit., p. 366.
92. Déclaration de Marguerite Rouffanche du 4 octobre 1944, Rapport E.O. Munn, source privée et Baury (éd.), Oradour-sur-Glane. Un crime contre l’humanité, op. cit., p. 205.
93. Reynouard, Demi-siècle, op. cit., p. 207-209 et Le Cri des victimes, op. cit., p. 374-378.
94. Reynouard, Demi-siècle, op. cit., p. 209.
95. Reynouard, Le Cri des victimes, op. cit., p. 375-376.
96. Déclaration d’Auguste L., 12 avril 1945, AJM, «Dossier Oradour», Liasse VII, 03-00571-572.
97. Poitevin, Dans l’enfer d’Oradour, op. cit., p. 92.
98. Rapport du commissaire Massiéra, 4 juillet 1944, p. 5 (AD Haute-Vienne, 1517 W 424).
99. Déclaration de Marguerite Rouffanche du 4 octobre 1944, Rapport E.O. Munn, source privée et Baury (éd.), Oradour-sur-Glane. Un crime contre l’humanité, op. cit., p. 204-205.
100. P.V. d’audition de Marguerite Rouffanche, 16 novembre 1944, 1207/25, A.D. Haute-Vienne, 1517 W 424.
101. Attestation de Marguerite Rouffanche, 30 novembre 1944, A.J.M., «Dossier Oradour», Liasse VI. Reproduite dans Pauchou et Masfrand, Oradour-sur-Glane. Vision d’épouvante, op. cit., p. 57.
102. Front national, Le massacre d’Oradour-sur-Glane par les hordes hitlériennes, Limoges, Imprimerie Brégéras, décembre 1944, p. 10.
103. Déclaration de Marguerite Rouffanche, 7 juillet 1947, A.J.M., «Dossier Oradour», Liasse VI.
104. Déposition de Mme Rouffanche, Sténographie du procès de Bordeaux, audience du 31 janvier 1953, p. 2-4.
105. «Oradour-sur-Glane raconté par les rescapés», ORTF, 14 juin 1969: https://www.youtube.com/watch?v=O1N-2g27Pi8 (INA Histoire).
106. Reynouard, Demi-siècle, op. cit., p. 59-73 et Cri des victimes, op. cit., p. 225-245.
[ Oradour et sa négation | Négationnisme et réfutations | Toutes les rubriques ]