Rassinier, de la gauche au négationnisme

Interview de Nadine Fresco

Ras l’front, no 73, avril 2000

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Adresse originale de l’article (aujourd’hui disparu) : http://www.raslfront.org/archives/73_04.html


Par une biographie minutieuse, Nadine Fresco retrace le cheminement politique de Paul Rassinier, revendiqué par les négationnistes comme leur père fondateur. Ras l’front a choisi de revenir avec l’auteur sur le parcours de ce militant politique initialement de gauche. Le livre de Nadine Fresco, Fabrication d’un antisémite, est paru en février 1999 aux Editions du Seuil, dans la collection La Librairie du XXe siècle.

Ras l’front : Pourquoi avez-vous titré votre biographie du négationniste Rassinier, Fabrication d’un antisémite ?

Nadine Fresco : Parce que c’est l’antisémitisme qui est le moteur même du négationnisme. Au fil des siècles, on a périodiquement accusé les juifs de fomenter des complots à l’échelle internationale. Dans ce cas précis, l’accusation est de taille : elle affirme que les juifs sont parvenus à faire croire à l’existence d’un génocide qui n’aurait pas eu lieu et qu’ils ont fabriqué de toutes pièces cette rumeur pour extorquer des réparations financières aux Allemands. Une telle accusation d’escroquerie politique et financière, qui suppose que les juifs manipulent à leur gré le monde politique et les médias, s’inscrit bien dans la tradition de ces dénonciations antisémites récurrentes.

Ras l’front : A l’origine le négationniste Rassinier est un homme de gauche, mais vous invitez à aller au-delà de cette étiquette.

N. F. : Dès son plus jeune âge Rassinier est un militant. En 1923, à dix-sept ans, il entre au parti communiste dont il en est exclu dix ans plus tard. En 1934, il adhère à la SFIO et quand la guerre survient il est secrétaire-adjoint de la fédération de son département, le Territoire de Belfort.

Instituteur, un des rares cols blancs parmi les miliitants ouvriers, comme le montrent les rapports de police de l’époque, il est régulièrement le secrétaire de rédaction des journaux locaux de ces organisations.

La caractéristique de son engagement politique, c’est le pacifisme.  Il n’est pas le seul dans ces années de l’entre deux guerres. Il faut bien se représenter l’extrême proximité des deux conflits mondiaux  pour comprendre ce qu’a pu être alors l’impact, la profondeur du sentiment pacifiste. Tant de jeunes hommes tués, des monuments aux morts dans le plus petit village, des mutilés, des gueules cassées, des veuves, des orphelins, des champs labourés d’obus : le pays était tout entier habité de la présence de cette guerre si proche. Il fallait donc absolument que cette effroyable boucherie demeurât la « der des der ».

A gauche, il y avait de plus comme une nécessité de réparer la compromission de la classe ouvrière en 1914. Alors qu’en juillet 1914, la motion votée par le Parti socialiste, celle de Jaurès, appelait à la grève générale dans toute l’Europe en cas de guerre, les mêmes socialistes, dans leur presque totalité, se sont pourtant ralliés dès le début du conflit à la politique gouvernementale d’Union sacrée.

Dans la deuxième partie des années 30,  Rassinier a tout de suite rejoint ceux qui autour du secrétaire général Paul Faure étaient pour la paix à tout prix. Pour eux,  aucune cause " fût-elle celle de la lutte contre le fascisme " ne méritait qu’on fasse la guerre. Ils n’avaient évidemment aucune sympathie pour le nazisme mais ils étaient prêts à toutes les concessions devant Hitler pour éviter un nouveau conflit.

Ras l’front : Ce pacifiste a quand même un côté hargneux, il se complaît dans une rhétorique de la dénonciation...

N. F. : Oui. Et ça commence très tôt. Son tout premier article, écrit alors qu’il n’a que vingt ans dans l’hebdomadaire communiste de Belfort, s’intitule « J’accuse et je proteste ». Instituteur-suppléant, il doit en effet à un appui politique de droite accordé à sa famille le fait d’obtenir un poste auquel il n’avait pas droit — et qu’il récuse, tout en l’acceptant. Ce fait minuscule et précoce montre ce qui ne cessera d’être une double caractéristique de Rassinier, son besoin de reconnaissance sociale qui n’a d’égal que son besoin d’en découdre. Et la réthorique de dénonciation qu’il a longuement pratiquée durant ses années communistes, telle qu’elle lui avait été alors inculquée, il l’a poursuivie par la suite sur d’autres objets de dénonciation.

Ras l’front : Que devient ce pacifiste une fois la guerre déclarée ?

N. F. : Avant guerre, on peut lire ses éditoriaux chaque semaine dans l’hebdomadaire socialiste du Territoire de Belfort. On y constate l’intensité, la constance de son pacifisime. Brusquement arrive la guerre, et là c’est la plongée dans le silence.

La seule trace écrite publiée qu’on trouve alors de lui, c’est au printemps 1942, dans Le Rouge et le Bleu, un journal socialiste dirigée par Charles Spinasse, un de ces hommes de la SFIO que le pacifisme a poussé jusqu’à la collaboration. Rassinier y publie un article intitulé « Charles Péguy nous avait prévenus », dans lequel se lisent l’immuabilité de son pacifisme et, à peine voilée, l’atmosphère antisémite du moment. C’est aussi un texte de révision massive, puisqu’il fait tout bonnement de Péguy un antidreyfusard ! Le Rouge et le Bleu cesse de paraître à l’été 1942, impossible évidemment de savoir si Rassinier aurait continué d’y collaborer.

Malgré son pacifisme, il fait partie d’un groupe de résistants belfortains au sein du mouvement Libération-Nord en 1943. Mais pacifiste jusqu’au bout, il s’y montre constamment hostile à toute action armée. Il s’y préoccupe aussi beaucoup de son avenir politique et personnel. Au cours de ma recherche, j’ai découvert par hasard aux Archives nationales, une lettre manuscrite de Rassinier, de novembre 1943, adressée à un résistant socialiste parisien. Avec une inconscience qui fait frémir, lorsqu’on sait ce que représentaient les risques d’ouverture du courrier à l’époque, loin d’utiliser un pseudonyme, il signe de son nom, parfaitement lisible. Il y donne aussi le nom d’un grand nombre de résistants belfortains ou de sympathisants, dans une sorte d’organigramme fantasmatique de son département tel qu’il l’imagine pour les lendemains de la victoire.

Il s’y nomme à trois postes importants. Cela a quelque chose de poignant, la lettre est datée du 1er novembre 1943 et le 30 du même mois Rassinier est  arrêté, déporté en Allemagne, deux mois à Buchenvald puis, en avril 1944, à Dora où il reste jusqu’à la libération du camp en avril 1945.

Ras l’front : Le personnage n’est pas sympathique, sa déportation ne le transforme pas...

N. F. : Dans un univers aussi épouvantable qu’un camp de concentration, chacun a survécu comme il l’a pu, est demeuré humain comme il l’a pu. Que peut on véritablement en percevoir, en comprendre si on n’y a pas été ? On peut juste essayer d’approcher cette réalité, notamment à travers ce qu’en ont dit ceux qui en sont revenus.

La plupart des anciens déportés écrivant dans les années qui suivent la libération des camps essaient de transmettre ce qu’a été la déportation, en soulignant la difficulté éprouvée à témoigner d’une expérience de cette nature. Ils se montrent soucieux d’établir la vérité. Rassinier lui, comme il l’écrit en préambule de son premier livre Passage de la ligne, paru en 1949, veut « rétablir la vérité à l’intention des historiens et des sociologues de l’avenir ». Tout Rassinier est dans ce « rétablir », dans cette posture de redresseur de torts. A traiter ainsi les autres d’affabulateurs, de menteurs, à crier si fort, si continuement à l’imposture comme il le fait dans ce livre, et comme il ne cessera de le faire jusqu’à sa mort, dans ses livres ultérieurs, c’est lui-même qu’il dévoile comme imposteur.

Ras l’front : L’étonnant c’est que la révision sur laquelle il débouche, monstrueuse, la négation des camps, naît d’un nid de petites ambitions contrariées, de rancoeurs mesquines...

N. F. : Dans mon livre, je formule une conjecture, ce qui en principe ne fait pas partie de l’outillage de l’historien, mais c’est une longue fréquentation du personnage et des diverses composantes de sa vie qui m’a donné cette conviction : si Rassinier était parvenu à obtenir de son environnement immédiat, de son territoire familier, cette reconnaissance, cette légitimation de sa personne  à laquelle il aspirait si fortement, les négationnistes auraient dû se trouver un autre père fondateur. Il serait resté dans son Territoire et dans son teritoire politique qu’était la gauche.

Quand il revient de déportation en 1945, malgré un état de santé très précaire, qui fait bientôt mettre à la retraite anticipée cet instituteur qui n’a que 39 ans, il se jette aussitôt dans la bataille électorale.

A l’automne 1946, il est député socialiste du Territoire. Mais cette reconnaissance enfin obtenue, il ne la conserve que cinq semaines, parce que de nouvelles élections ont aussitôt lieu. Ce titre qu’il vient à peine de recevoir lui est pris par le maire radical de la ville, Pierre Dreyfus-Schmidt, qui est juif. Et c’est de cette défaite, survenant au lendemain de sa toute première victoire, que datent ses premières manifestations repérables d’antisémitisme. Dans les éditoriaux furibonds qu’il écrit alors, Dreyfus-Schmidt n’est plus traité comme l’adversaire singulier qu’il a toujours été dans ce microcosme belfortain. Rassinier écrit à son propos qu’il y a « des gens qui sont comme ça. Nés dans le  “bedide gommerce”, ils en ont conservé l’âpreté au gain » et qu’ils « font de la politique comme leurs parents vendaient des tissus ». Cet échec politique de l’automne 1946, il le supporte d’ailleurs si mal qu’à peine quelques mois plus tard il quitte pour toujours ce Territoire-de-Belfort où il avait vécu depuis sa naissance en 1906.

Et durant les vingt années qui lui restent à vivre — il meurt en 1967 à l’âge de 61 ans —, cette reconnaissance, cette légitimation qu’il n’est pas parvenue à recevoir, qu’il n’a pas obtenue des siens, il va aller la chercher, à n’importe quel prix, vraiment très loin de ce qui était son milieu politique puisque dans les années soixante, il collabore activement, pour que ses livres soient publiés, traduits, pour faire enfin parler de lui, avec des fascistes déclarés, tel Maurice Bardèche, devenu son éditeur, ou Johann von Leers, qui avait été l’adjoint de Goebbels à la propagande sous le IIIe Reich.

Quand, en 1947, il quitte pour toujours son territoire de toujours, il ne sait évidemment pas jusqu’où le mènera son ressentiment. Mais visiblement, il a conscience du changement radical qui s’ouvre dans sa vie. Dans une lettre à Pierre Monatte il écrit alors en effet  « Condamné à l’inaction , je vais en profiter pour procéder moi-même à une révision des valeurs révolutionnaires et autres. Où ça me conduira, je n’en sais rien, mais à l’occasion je te ferais part de mes conclusions. »

Pas besoin de faire d’anachronisme sur le mot de « révision » qu’il emploie alors longtemps avant d’être revendiqué après sa mort comme père fondateur de ceux qui se proclament « révisionnistes » quand ils prétendent que le génocide est un bobard inventé par les juifs. Mais cette révision a bien conduit Paul Rassinier jusqu’à une dénonciation obsessionnelle, monomaniaque des juifs, qui lui a valu d’être reçu à bras ouvert par ceux-là mêmes qui l’avaient déporté dans un camp de concentration.

Nadine Fresco

propos recueillis par Anne Tristan

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01/06/2010 — mis à jour le 07/07/2010