Les falsifications de Rassinier
Quand Rassinier falsifie une lettre de Martin Broszat
Rassinier voudrait faire croire qu'il se documente. Il affirme beaucoup et donne, plus ou moins bien, des sources. Rassinier affirme par exemple qu'il n'a pas existé de chambres à gaz, ni celles qui servaient à l'extermination de masse des Juifs dans les camps d'extermination, ni celles qui servaient, à une plus petite échelle, à assassiner les déportés devenus inutiles ou indésirables, dans certains camps de concentration, notamment situés en Allemagne. Pour nier ces dernières, Rassinier allait s'appuyer sur une lettre de l'historien allemand Martin Broszat au journal Die Zeit, paru le 19 août 1960.
En 1962, Rassinier s'appuie sur le contenu de cette lettre pour affirmer que :
la question des chambres à gaz ne subsiste donc plus que pour Auschwitz et « les camps de la Pologne occupée » [...] aujourd'hui, c'est acquis, sur tout le territoire allemand, il n'y eut aucun camp doté d'une chambre à gaz, l'Institut d'histoire contemporaine de Munich qui est le parangon de l'hostilité et de la résistance au nazisme en convient
(Paul Rassinier, Le véritable procès Eichman, Les Sept Couleurs, p. 79)
Dans ces années 1960, Rassinier écrivait sous un pseudonyme, Jean-Pierre Bermont, dans dans l'organe néo-fasciste Rivarol. Il devait y reprendre à plusieurs reprises les mêmes affirmations. Ainsi, le 20 février 1964, il écrit:
[...] ces experts sont ceux que, le 19 août 1960, M. Paul Rassinier a contraints à reconnaître qu'il n'y avait « jamais eu aucune chambre à gaz dans aucun camp de concentration situé sur le territoire du Grand Reich » [...] Or, depuis 1948, on a su qu'à Dachau il n'y avait jamais eu de chambre à gaz (cf. déclaration ci-dessus citée de l'Institut d'histoire contemporaine de Munich).
(Jean Pierre Bermont, pseudonyme de Rassinier, Rivarol, n° 684, 20 février 1964, cité dans Paul Rassinier, Ulysse trahi par les siens, La Vieille Taupe, 1980, p. 157 et 160)
Le 14 mai 1964, Rassinier se faisait encore plus précis dans ses « citations »:
Or, « il n'y avait de chambre à gaz, ni à Dachau, ni à Ravensbrück, ni dans aucun autre camp de concentration situé en territoire allemand » a déclaré officiellement, le 19 août 1960, le Dr Broszat
(Jean Pierre Bermont, pseudonyme de Rassinier, « Du procès des gardiens d'Auschwitz à la journée de la déportation », Rivarol, n° 696, 14 mai 1964, cité dans Paul Rassinier, Ulysse trahi par les siens, La Vieille Taupe, 1980, p. 174)
L'historien allemand Martin Broszat, spécialiste du IIIe Reich a effectivement envoyé une lettre au journal Die Zeit qui est parue le 19 août 1960. Rassinier prend bien soin, dans les articles de Rivarol, de mettre des guillemets aux propos qu'il prête à Martin Broszat. Il prétend donc bien citer les propos exacts de ce dernier. Aussi nous faut-il examiner de que Martin Broszat a vraiment écrit. Voici les extraits significatifs auxquels Rassinier fait référence :
« Ni à Dachau, ni à Bergen-Belsen, ni à Buchenwald des juifs ou d'autres détenus n'ont été gazés. La chambre à gaz de Dachau n'a jamais été complètement terminée ni mise "en service". [...] L'extermination de masse des juifs par gazage commença en 1941-1942 et eut lieu uniquement en de rares points choisis à cet effet et pourvus d'installations techniques adéquates, avant tout en territoire polonais occupé (mais nulle part dans l'Ancien Reich) »
Nulle part Broszat ne fait référence aux camps de concentration, situés pour certain en Allemagne ou en Autriche, qui étaient dotés de chambres à gaz, comme Ravensbrück, Mauthausen, Neuengamme, Strutthof-Natzweiller, Orianenbourg-Sachenhausen (L'Institut d'histoire contemporaine de Munich a fait le bilan de ces gazages en 1992). Le propos de Broszat est double : pas de gazage dans les trois camps de Dachau, Bergen-Belsen ou Buchenwald. L'extermination de masse des Juifs par gazages n'a eu lieu que dans des centres de mise à mort spécifiquement aménagés et qui n'étaient pas situés dans l'ancien Reich. Mais l'extermination en masse des Juifs par gazage est quelque chose de différent des gazages d'êtres humains en général, quelque chose de différent des exécutions de détenus inutiles ou indésirables dans les chambres à gaz qui équipaient certains camps de concentration. Que l'extermination de masse des Juifs par gazage n'ait pas eu lieu dans l'ancien Reich (Auschwitz et Chelmno étaient cependant situé dans le Grand Reich) ne signifie pas qu'aucun gazage n'ait eu lieu dans les camps de concentration situés en Allemagne, ni qu'aucun des camps de concentration situés en Allemagne n'était doté de chambres à gaz. Broszat n'a rien dit de tout cela. Et pour cause!
En guise de résumé, analysons les citations de 1964, qui contiennent et impliquent celle de 1962, et mettons donc vis à vis le propos que Rassinier prête à Broszat et ce que Broszat vraiment écrit...
Propos que Rassinier prête à Broszat Broszat écrit vraiment Conclusion il n'y avait pas de chambre à gaz à Dachau Il y avait une chambre à gaz à Dachau (qui n'a pas servi) Rassinier a falsifié le propos de Martin Broszat il n'y avait pas de chambre à gaz à Ravensbrück Broszat n'évoque à aucun moment Ravensbrück Rassinier a falsifié le propos de Martin Broszat Il n'y avait de chambre à gaz dans aucun camp de concentration situé en territoire allemand L'extermination de masse des Juifs par gazages n'a pas eu lieu dans le territoire de l'ancien Reich Rassinier a falsifié le propos de Martin Broszat [Il n'y a] jamais eu aucune chambre à gaz dans aucun camp de concentration situé sur le territoire du Grand Reich L'extermination de masse des Juifs par gazages n'a pas eu lieu dans le territoire de l'ancien Reich Non seulement Rassinier ment (Auschwitz se trouve sur le territoire du Grand Reich) mais il a falsifié le propos de Martin Broszat Quatre mensonges dont trois en une seule phrase! Tout ce que rapporte Rassinier est faux. On a peine à croire à tant de mauvaise foi. Rassinier est bien un falsificateur dont on peut se demander s'il a jamais eu le texte original de la lettre de Broszat sous les yeux. Quoiqu'il en soit, à sa suite, la plupart des négationnistes ont également falsifié la lettre de Broszat, que nous étudions en détail par ailleurs. Le plus acharné fut sans conteste le négationniste Faurisson qui a proféré ce même mensonge plus d'une dizaine de fois.
Rendons ici hommage à Georges Wellers qui fut un des premiers à dénoncer la falsification du texte de Martin Broszat par Rassinier et les sectaires négationnistes, dans son précieux ouvrage, Les chambres à gaz ont existé. Des documents, des témoignages, des chiffres, Gallimard, Collection Témoins, 1981, p. 141-142.
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21/07/2000 -- mis à jour le 22/06/2001