Domitia est la revue du CRHiSM (Centre de Recherches Historiques sur les Sociétés Méditerranéennes); son secrétaire de rédaction est Aymat Catafau, directeur du département d'Histoire de l'Université de Perpignan. Le CRHiSM, regroupant historiens et historiens de l'art, est présidé par le professeur Jean-Marcel Goger. 4. Cf. Ghislaine Desbuissons, Itinéraire d'un intellectuel fasciste : Maurice Bardèche, thèse de doctorat, I.E.P. de Paris, 1990 ; Anne-Marie Duranton-Crabol, L'Europe de l'extrême droite de 1945 à nos jours, Complexe, 1991 ; Valérie Igounet, Histoire du négationnisme en France, Le Seuil, 2000. 5. Maurice Bardèche, L'oeuf de Christophe Colomb, Les Sept Couleurs, 1951, pp. 1-137. 6. Qu'est ce que le nationalisme ?, Europe-Action, numéro spécial, mai 1963. L'information selon laquelle M. Venner fut le principal rédacteur de ce numéro provient d'Alain de Benoist, courrier à l'auteur. La revue est née de la Fédération des Etudiants Nationalistes, fondée par Duprat et François d'Orcival afin d'offrir une « couverture » à JN. Une partie des membres ira fonder Occident (MM. Duprat, Longuet, Madelin, Robert), puis Europe-Action se scindera entre le GRECE (Alain de Benoist, Pierre Vial) et la revue Militant (les anciens Waffen SS Jean Castrillo, Bousquet, Pauty). Celle-ci participe à la fondation du FN qu'elle quitte à la fin 1980, refusant de collaborer plus avant avec Stirbois, accusé d'être Juif et sioniste. Militant fonde en 1983 le Parti Nationaliste Français (dont le sigle fait référence au PNF de Mussolini), dont le PNFE est une scission plus ouvertement néo-nazie. 7. Christophe Bourseiller, Les Maoïstes, Plon, 1996 ; Frédéric Laurent, L'Orchestre noir, Stock, 1978 ; René Monzat, Enquêtes sur la droite extrême, Le Monde éditions, 1992. Le nom de Jeune Europe avait déjà été utilisé pour un ouvrage de 1933 de Marc et Dupuis, du groupe anti-conformiste Ordre nouveau, pour une revue d'Evola en 1942, et était celui d'un mouvement de la France vichyste dont le logo a été repris par le Parti Communautaire-National européen, dont le dirigeant, disciple autoproclamé de Thiriart et ancien membre du mouvement néo-nazi FANE (Fédération d'Action Nationale et Européenne), estimait au temps de l'URSS que celle-ci était l'héritière du IIIe Reich. Le PCN, sans activité réelle en France, se présente comme le concurrent de l'autre mouvement national-bolchevique, UR, proche de Bruno Mégret. 8. Sur Versailles et la SDN, M. Milza note : Pacifisme, respect du statu quo territorial et démocratie se trouvent ainsi étroitement associés pour constituer un bloc politico-idéologique ayant à la fois des implications nationales et internationales, toute atteinte à l'un de ses éléments débouchant sur une remise en question de l'ensemble. D'une certaine façon le fascisme est né de cette remise en cause globale. Il s'inscrit dans une perspective révisionniste et correspond à une attitude de refus de l'ordre international fondé sur les traités. (Pierre Milza, « Fascisme et relations internationales », Relations internationales, printemps 1980, p. 36) 9. François Duprat, Les Mouvements d'extrême droite en France de 1944 à 1971, Les Editions de l'Homme libre, 1998, première édition : 1972, pp. 36-39. 10. Philippe Buton et Laurent Gervereau, Le Couteau entre les dents. 70 ans d'affiches communistes et anticommunistes, préface d'Annie Kriegel, Chêne, 1989, p. 110 ; Géraud Durand, Enquête au coeur du Front National, Jacques Grancher,1996, p. 126. Michel Winock, Nationalisme, Antisémitisme et fascisme en France, Le Seuil, 1990, pp. 50-83. 11. Jean-Yves Camus, René Monzat, Les Droites nationales et radicales en France, P.U.L., Lyon, 1992, p. 79 ; Olivier Dard, La Synarchie ou le mythe du complot permanent, Perrin, 1998, pp. 162-169 ; François de Fontette, Sociologie de l'antisémitisme, P.U.F., 1991, p. 66 ; Léon Poliakov, « La Russie au XXe siècle », dir. Léon Poliakov, Histoire de l'antisémitisme 1945-1993, Le Seuil, 1994, p. 289. Selon M. Monzat les ventes totales des livres de M. Coston « démontrant » l'existence du complot juif mondial représenteraient quarante mille exemplaires (Le Monde, 22 novembre 1996).

L'invention d'une doxa néo-fasciste : le rôle de l'avant-garde nationaliste-révolutionnaire

Idéologie négationniste, propagandes anti-américaine, anti-immigration, anti-juive

Par Nicolas Lebourg

Domitia*, no 1, octobre 2001.

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2. De l'Etat français à la Nation-Europe

Bardèche est, en importance comme en chronologie, l'un des premiers théoriciens de ce néo-fascisme. Dès 1948, il publie le premier ouvrage négationniste, Nuremberg ou la Terre promise, qui lui vaudra quelques jours de prison et un prestige incommensurable à l'extrême droite. Il participe à la tentative de création d'une internationale néo-fasciste, le Mouvement Social Européen (MSE). Essai avorté mais qui contribuera au mythe de « l'Internationale noire », et de ce nouvel « internationalisme » qui se nourrit de la vision européïste de la Waffen SS (dont la moitié des membres étaient des non-Allemands en 1944). Le MSE prône la construction d'un empire européen anticommuniste, corporatiste, placé sous la direction d'un chef désigné par plébiscite. L'empire formé devrait disposer de règles de défense et d'économie communes à ses nations intégrées, dont, à certaines conditions, des colonies. Au MSE, il y a également Mosley, le chef de file historique du fascisme britannique, auteur en 1947 et 1958 des deux ouvrages fondateurs du concept de la Nation-Europe, jouissant d'un gouvernement unique, éliminant trusts et syndicats, libérée de la tutelle américaine et de la menace soviétique, annexant un tiers de l'Afrique à son profit en une Eurafrique. Bardèche se voit confier la tâche de fédérer les divers groupes néo-fascistes français, puis, face au peu de goût de l'écrivain pour ce genre d'opérations, de créer une revue devant diffuser les thèses du MSE en France. Ce sera Défense de l'Occident qui, de 1952 à 1982, disposera des contributions des principaux intellectuels extrémistes de droite et jouera un important rôle en tant que laboratoire d'idées. La revue va chercher à diffuser de nouveaux thèmes, dont le négationnisme et l'antisionisme.4

Toujours dans l'optique de propagande du MSE, Bardèche publie un ouvrage de définition de sa conception géopolitique, qui influencera toute une conception du nationalisme. Il y expose longuement que les USA ont tué le mauvais cochon durant la Seconde Guerre mondiale, l'antifascisme ne s'étant avéré qu'un artifice de la domination bolchevique. Seuls les nationalistes ayant toujours combattu le communisme, ils seraient les seuls aptes à construire l'Europe anticommuniste, naturellement alliée aux pays nationalistes du monde arabe. Cet anticommunisme ne saurait cependant avoir pour corollaire une accointance avec les USA, l'Europe nationaliste se devant d'être indépendante des blocs :

Si la pensée de certains est de faire une Europe antifasciste et apatride, qui serait pour ainsi dire télécommandée de New-York ou Tel-Aviv, cette Europe colonisée ne nous intéresse pas du tout, et nous croyons d'autre part qu'une telle conception ne ferait que préparer l'infiltration communiste et la guerre. 5

La guerre d'Algérie va à la fois saper pour un temps toute idée d'entente avec les nationalistes arabes, mais aussi donner une dynamique à l'unité d'action entre les nationalistes d'Europe, apportant volontiers leur soutien à l'OAS. Dominique Venner, idéologue du parti néo-fasciste Jeune Nation (JN) impliqué dans l'OAS, publie en 1962 Pour une critique positive (assez inspiré du Que faire ? de Lénine) où il tente de redéfinir ce que doivent être l'action et la pensé nationaliste. Il complète ce texte dans Qu'est ce que le nationalisme ? affirmant entre autres une idéologie nationale-sociale d'entraide européenne, racialiste, antisémite, négationniste, et une volonté révolutionnaire sans concession aucune faite au « Régime ». Il affirme que la Révolution ne sera faisable qu'une fois l'idéologie révolutionnaire définie, le parti révolutionnaire construit, idéologie que ne trouve pas encore l'extrême droite.6

Le Belge Jean Thiriart va aller beaucoup plus loin. Cet ancien membre de l'Association des Amis du Grand Reich Allemand a fondé le mouvement Jeune Europe (JE) pour soutenir le combat de l'OAS. Il devient un collaborateur des services de différentes nations arabes, entretient des liens étroits avec le camp palestinien, avec le bloc soviétique, et proposerait même à Zhou Enlai que la lutte tricontinentale devienne quadricontinentale, les nationalistes-européens oeuvrant avec la Chine maoïste pour bouter les Américains hors d'Europe.7

L'influence de Thiriart sur les nationalistes d'Europe va être fondamentale -complétée par les thèses national-bolcheviques d'Otto Strasser, l'ancien idéologique scissionniste du NSDAP. Le Traité de Yalta est désigné comme un pacte où USA et URSS seraient des alliés objectifs dans le dépeçage de l'Europe. En fait, cette conception géopolitique a le grand avantage de redessiner spatialement l'opposition théorique du fascisme au communisme et au capitalisme. « Yalta » et le duopole USA-URSS prennent ici le rôle que tenaient le Traité de Versailles et la SDN dans l'économie politique mussolinienne.8 Cependant, l'ennemi désigné n'est plus tant le bolchevisme que les USA, colonisateurs de l'Europe, et, Israël, colonisateur du monde arabe. Les USA représentent l'ennemi principal car ils sont perçus comme les diffuseurs du cosmopolitisme et du matérialisme -même si Thiriart fait l'apologie du terrorisme anticommuniste.

Le premier mouvement nationaliste français à avoir explicitement utilisé le slogan US Go home ! fut le Parti Républicain d'Unité Populaire (1946). Fondé par René Binet, également co-fondateur du MSE, puis responsable de sa scission donnant naissance au Nouvel Ordre Européen (NOE), ce groupuscule comptait essentiellement d'anciens communistes et d'anciens trotskystes, souvent passés par la Waffen SS - tel Binet, qui illustre bien ces deux derniers cas. D'orientation national-bolchevique, le PRUP prônait l'indépendance européenne et la violence anticommuniste. Ce mouvement sert de base en 1948 à la constitution d'un autre groupuscule mené par Binet et Bardèche, et dont les idées-forces sont cette fois la constitution de l'Europe, l'antisionisme, la revendication d'un Etat fort et populaire9.

Pour d'autres raisons, le PCF mène bientôt une campagne Us go home ! d'une toute autre importance pour les masses. C'est d'ailleurs lui qui invente l'expression d'Europe des Patries, dès 1965. Alors que la propagande vichyste assimilait Israël et USA, le PCF amalgame vertement les USA et le IIIe Reich. Il dénonce en une affiche les hommes politiques anti-URSS comme les nouveaux COLLABOS de l'occupation américaine, tandis que ses membres seraient LES PATRIOTES [qui] ne pactisent pas avec l'occupant ! Selon Michel Winock le thème anti-américain qui pénètre le plus la société est celui de la résistance face à la colonisation américaine, et l'imposition d'un nouveau totalitarisme, plus sournois.10

C'est également l'évolution du capitalisme qui est mise en cause sous cet angle et sous celui du conspirationnisme. La dénonciation de la montée du pouvoir technocratique donne lieu à une reconversion du mythe synarchique : la commission Trilatérale, club néo-libéral fondé en 1973 par Rockefeller, est accusée de créer des hommes d'Etat (MM. Barre, Carter et Giscard d'Estaing), aussi bien par la presse d'extrême droite que par Le Monde diplomatique ou L'Humanité. A travers la prose communiste, il est fait état du caractère néo-fasciste de la Trilatérale, la résistance devant s'organiser face aux ambitions totalitaires de l'empire américain.

L'extrême droite ne bénéficie bien sûr ni des mêmes relais ni exactement de la même vision. Henry Coston travaille à la diffusion de l'idée d'une Trilatérale dernier avatar de la Synarchie et du complot juif mondial. Créant des chefs d'Etat, la Trilatérale préparerait ainsi le gouvernement juif mondial. M. Coston est justement le théoricien du complot juif, depuis les années trente jusqu'aux colonnes de la presse frontiste, et l'inventeur de la dénonciation du B'nai B'rith. Il est à noter que ce dernier est également mis en cause par une publication soviétique de la même époque, le rapport Emilanov, publié en 1977. Ce document établit la liste des supposés Juifs et francs-maçons membres du gouvernement de Jimmy Carter - de même qu'en France on avait fait le compte des membres de la Trilatérale en son entourage. M. Carter aurait été élu sur ordre de l'organe suprême de la confédération sioniste-maçonnique, l'ordre B'nai Brith [face auquel l'URSS ne peut se défendre que par] la création d'un large front mondial antisémite et antimaçonnique sur le modèle des fronts antifascistes. Autrement l'inévitable génocide attend tous les goyim, car la menace d'une domination mondiale du sionisme fixée pour l'an 2000 pèse sur tous les goyim de la terre.11 Ce sont là des idées que l'on allait retrouver chez les nationalistes français.

       
   

Notes.

4. Cf. Ghislaine Desbuissons, Itinéraire d'un intellectuel fasciste : Maurice Bardèche, thèse de doctorat, I.E.P. de Paris, 1990 ; Anne-Marie Duranton-Crabol, L'Europe de l'extrême droite de 1945 à nos jours, Complexe, 1991 ; Valérie Igounet, Histoire du négationnisme en France, Le Seuil, 2000.  

5. Maurice Bardèche, L'oeuf de Christophe Colomb, Les Sept Couleurs, 1951, pp. 1-137.  

6. Qu'est ce que le nationalisme ?, Europe-Action, numéro spécial, mai 1963. L'information selon laquelle M. Venner fut le principal rédacteur de ce numéro provient d'Alain de Benoist, courrier à l'auteur. La revue est née de la Fédération des Etudiants Nationalistes, fondée par Duprat et François d'Orcival afin d'offrir une « couverture » à JN. Une partie des membres ira fonder Occident (MM. Duprat, Longuet, Madelin, Robert), puis Europe-Action se scindera entre le GRECE (Alain de Benoist, Pierre Vial) et la revue Militant (les anciens Waffen SS Jean Castrillo, Bousquet, Pauty). Celle-ci participe à la fondation du FN qu'elle quitte à la fin 1980, refusant de collaborer plus avant avec Stirbois, accusé d'être Juif et sioniste. Militant fonde en 1983 le Parti Nationaliste Français (dont le sigle fait référence au PNF de Mussolini), dont le PNFE est une scission plus ouvertement néo-nazie.  

7. Christophe Bourseiller, Les Maoïstes, Plon, 1996 ; Frédéric Laurent, L'Orchestre noir, Stock, 1978 ; René Monzat, Enquêtes sur la droite extrême, Le Monde éditions, 1992. Le nom de Jeune Europe avait déjà été utilisé pour un ouvrage de 1933 de Marc et Dupuis, du groupe anti-conformiste Ordre nouveau, pour une revue d'Evola en 1942, et était celui d'un mouvement de la France vichyste dont le logo a été repris par le Parti Communautaire-National européen, dont le dirigeant, disciple autoproclamé de Thiriart et ancien membre du mouvement néo-nazi FANE (Fédération d'Action Nationale et Européenne), estimait au temps de l'URSS que celle-ci était l'héritière du IIIe Reich. Le PCN, sans activité réelle en France, se présente comme le concurrent de l'autre mouvement national-bolchevique, UR, proche de Bruno Mégret.  

8. Sur Versailles et la SDN, M. Milza note : Pacifisme, respect du statu quo territorial et démocratie se trouvent ainsi étroitement associés pour constituer un bloc politico-idéologique ayant à la fois des implications nationales et internationales, toute atteinte à l'un de ses éléments débouchant sur une remise en question de l'ensemble. D'une certaine façon le fascisme est né de cette remise en cause globale. Il s'inscrit dans une perspective révisionniste et correspond à une attitude de refus de l'ordre international fondé sur les traités. (Pierre Milza, « Fascisme et relations internationales », Relations internationales, printemps 1980, p. 36)  

9. François Duprat, Les Mouvements d'extrême droite en France de 1944 à 1971, Les Editions de l'Homme libre, 1998, première édition : 1972, pp. 36-39.  

10. Philippe Buton et Laurent Gervereau, Le Couteau entre les dents. 70 ans d'affiches communistes et anticommunistes, préface d'Annie Kriegel, Chêne, 1989, p. 110 ; Géraud Durand, Enquête au coeur du Front National, Jacques Grancher,1996, p. 126. Michel Winock, Nationalisme, Antisémitisme et fascisme en France, Le Seuil, 1990, pp. 50-83.

11. Jean-Yves Camus, René Monzat, Les Droites nationales et radicales en France, P.U.L., Lyon, 1992, p. 79 ; Olivier Dard, La Synarchie ou le mythe du complot permanent, Perrin, 1998, pp. 162-169 ; François de Fontette, Sociologie de l'antisémitisme, P.U.F., 1991, p. 66 ; Léon Poliakov, « La Russie au XXe siècle », dir. Léon Poliakov, Histoire de l'antisémitisme 1945-1993, Le Seuil, 1994, p. 289. Selon M. Monzat les ventes totales des livres de M. Coston « démontrant » l'existence du complot juif mondial représenteraient quarante mille exemplaires (Le Monde, 22 novembre 1996).

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05/01/2002