L'invention d'une doxa néo-fasciste : le rôle de l'avant-garde nationaliste-révolutionnaire
Idéologie négationniste, propagandes anti-américaine, anti-immigration, anti-juive
Par Nicolas Lebourg
Domitia*, no 1, octobre 2001.
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5. Invention du « génocide anti-français »
Le thème de l'afflux d'immigrés se lie à celui du « génocide des enfants français » par la légalisation de l'avortement. L'assouplissement de la législation relative à l'IVG apparaissait pourtant dans le programme initial du FN (1972). Toutefois, Duprat prévient que la loi Veil peut être un moyen de récupérer électorat ou cadres droitiers, aussi expose-t-il qu'il faut animer les associations, les manifestations qui s'y opposent car seule une politique de présence peut nous permettre de rejouer un véritable rôle politique.42 Il y a donc bien chez Duprat, encore une fois, derrière ce thème de propagande, la volonté de construire le parti nationaliste. La marge de manoeuvre apparaît d'autant mieux que le débat parlementaire a été marqué par un certain nombre d'attaques contre Simone Veil. L'anathème contre la ministre, rescapée d'Auschwitz comme tous les députés le savent, relève clairement de la banalisation du discours antisémite sionisme = nazisme. Pour René Feit, député giscardien, la ministre mène la France au nazisme, Pierre Bas, député néo-gaulliste s'enflamme, crie à l'eugénisme néo-nazi et demande Pourquoi donc épargner les aliénés, les infirmes, les vieillards ? Le nazisme les a-t-il épargnés ? Dans quelle nouvelle monstrueuse conjuration se cultivent en secret ces horreurs ?43
Dans les colonnes de Militant, un temps organe officiel du FN, puis du National, qui reprend cette fonction et dont M. Le Pen était l'éditorialiste et le directeur politique, Duprat va dessiner le tableau d'une France que l'on tenterait d'assassiner, dont on tenterait de détruire le peuple, via immigration et IVG (un on dans quel est inclue la Trilatérale)44.
Duprat développe alors jusqu'au bout, de manière implacable, le raisonnement de sa logique politique. Le sionisme est censé être une machine mondiale impérialiste, colonialiste et raciste ayant pour bras séculier Israël, nouvel Etat fasciste. Un fascisme issu du capitalisme financier chercherait à s'étendre par le complot sur l'ensemble de l'humanité. Il ne manquait dès lors que de se souvenir du titre de l'ouvrage que Henry Coston avait fait paraître en 1937, La France colonie juive. Duprat peint le tableau de cette nouvelle colonisation :
Le Nationalisme-révolutionnaire envisage la France comme une nation colonisée, qu'il est urgent de décoloniser. Les Français se croient libres alors qu'ils ne sont, en vérité que les jouets de lobbies étrangers, qui les grugent et les exploitent (...). Face à cette situation, nous pouvons estimer que les conditions de lutte des Nationalistes-Révolutionnaires sont similaires à celles qui furent le lot des groupes nationalistes du Tiers-Monde (...). Il est évident que cette situation de pays colonisé n'est pas perçue par nos compatriotes ; cette cécité n'est due qu'à l'habileté de nos exploiteurs, qui n'ont de cesse que de prendre le contrôle des Mass-Media, puis, insensiblement, de toute notre culture nationale, dont la réalité même peut désormais être niée. (...) La conscience de l'état de Nation-dominée qui est celui de notre patrie représente la première pierre de notre édifice doctrinal. En effet, nous devons estimer que notre devoir le plus impératif et le plus évident est de tout faire pour mettre fin à cet état de chose. 45
Domination-colonisation culturelle, économique, politique qui donne un sens au combat des extrêmes droites, ce sens qu'elles recherchaient désespérément depuis que la perte de l'Algérie française leur avait ôté le seul thème politique mobilisateur de l'après Seconde Guerre mondiale. La terre entière devient une grande Palestine occupée où les NR seraient l'avant-garde des peuples pour la libération nationale et sociale (de même que le ba'th se considère comme l'avant-garde de la Nation arabe). L'extension du discours antisioniste est une arme politique majeure, Duprat écrivant que QUICONQUE CROIT QUE NOTRE NATION EST COLONISEE ACCEPTERA TOT OU TARD NOS METHODES D'ACTION EN VUE DE SA LIBERATION.46
Année Zéro, texte où François Duprat appelle les GNR à se préparer au coup de force, démontre que la rhétorique, en quelques années, est parfaitement au point : droite et gauche sont dites servir les mêmes intérêts, ceux des groupes capitalistes qui oppressent notre peuple. Notre pays n'est plus qu'une colonie (...). A cet égard, le travail opiniâtre d'Henry Coston et de son équipe a été capital, en mettant à nu le processus de colonisation et d'exploitation de la France par une toute petite clique extérieure à notre peuple. [Il n'est que ce régime capitaliste dictatorial et] un Parti Communiste avide de profiter de cette décrépitude pour s'emparer du pouvoir, flanqué sur sa gauche par des pseudo-révolutionnaires, manipulés par le Sionisme.47
En somme, voici resurgir l'idée de Drumont, enrichie par tous les récents discours antisémites-anticapitalistes-antisionistes. C'est aussi une légitimité retrouvée : les néo-fascistes peuvent ainsi enfin se situer du côté de l'opprimé et non de l'oppresseur, faire renaître « le fascisme de gauche », mais toujours contre les Juifs. Le premier mode de domination de ceux-ci serait, à en croire Duprat, le « mythe de la Shoah », aussi devient-il le principal propagandiste négationniste.
Notes.42. François Duprat, CEH, 05 décembre 1974. La tactique est d'autant plus importante, que le PFN, rival du FN fondé par les-ON après leur brouille avec M. Le Pen, a une attitude hésitante envers les intégristes. Duprat cherche en conséquence à les attirer dans l'orbite du FN, la dénonciation de l'IVG fait partie de ces mains tendues. Il appelle Présent, au nom de l'unité d'action, par-delà l'affrontement idéologique entre contre-révolutionnaires et NR, à rejoindre le FN (CEH, 26juillet 1977). Il fulmine face à la constitution par les giscardiens du mouvement démocrate-chrétien : depuis plus de deux ans, je ne cesse de demander aux camarades « Nationaux-Catholiques » de créer un « Parti Social-Chrétien », afin d'utiliser cette étiquette chrétienne et d'empêcher les régitimistes de l'utiliser à leur profit. (CEH, 24 mai 1977). Le leader des GNR impose au IVe congrès du FN une motion de soutien à Mgr.Lefebvre, non sur le fond religieux, spécifié ne pas concerner le parti, mais au nom de la liberté d'expression (Le Monde, 03 novembre 1976). Les nationaux-catholiques quitteront justement la droite dite républicaine pour le FN en 1984 par refus de suivre « la juive avorteuse » aux élections européennes.
43. Cités in Maurice Szafran, Les Juifs dans la politique française, Flammarion, 1990, p. 215.
44. Le NOE adopte cette théorie immédiatement (cf. bulletin interne du NOE reproduit in Bernard Brigouleix L'Extrême droite en France, Fayolle, 1977, p. 221). Comme souvent, Duprat ne fait que vulgariser et systématiser une idée de son mentor : dès 1960 Bardèche conspue l'immigration en la décrivant telle un véritable génocide moderne (reproduit in William Karel, Histoire d'une droite extrême, deuxième partie, Arte, 3 février 1999) mais il n'insiste pas sur ce thème.
45. François Duprat, Le Manifeste nationaliste-révolutionnaire, ibid., pp. 6-7.
46. CEH, 20 juillet 1976.
47. François Duprat, Année Zéro, mai 1976, p. 5. Le nom agit en référence : c'était celui que s'était choisi un groupe terroriste né d'Ordine Nuovo, le mouvement de Pino Rauti, également fort impliqué dans la stratégie de la tension. Il a été récemment utilisé par la presse du GUD.
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05/01/2002