L'invention d'une doxa néo-fasciste : le rôle de l'avant-garde nationaliste-révolutionnaire
Idéologie négationniste, propagandes anti-américaine, anti-immigration, anti-juive
Par Nicolas Lebourg
Domitia*, no 1, octobre 2001.
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7. Je suis partout !
Le FN obtient ses premiers succès par le biais de l'anticommunisme davantage que grâce à l'anti-immigration. L'opposition au communisme permet de se présenter positivement. Déjà, Duprat donnait cette consigne de propagande : les nationalistes étant les premiers ennemis du communisme, ils sont les premiers défenseurs de la liberté.58 Dès l'origine, le FN s'oppose en bloc aux socialismes, i.e. selon lui à l'ensemble du bloc politique, UDF et RPR compris. Selon la presse frontiste, toute évolution sociétale serait due à l'influence pernicieuse du marxisme. En outre, le nazisme et le fascisme sont dits issus du socialisme.59 Les néo-droitiers du Club de l'Horloge appartenant à la droite usent de leur position pour populariser l'idée que l'extrême droite était résistante alors même que le pacte germano-soviétique était encore en vigueur. M. Griotteray (UDF, Horloger) explique que l'affirmation contraire relève de manipulations pour empêcher la droite de s'allier avec le FN.60 L'équation définie amalgame en fait la bande des quatre au marxisme, celui-ci à l'URSS, cette dernière au nazisme61. Face à cela, le FN se pose en garant de la République...
Parmi les combats nécessaires pour le FN, il y eut bien sûr l'anti-antiracisme. Il répète que le MRAP est communiste, SOS Racisme socialiste, Ras l'Front trotskyste, la LICRA sioniste : l'antiracisme ne serait donc pas le corollaire de la République, mais le masque de la subversion totalitaire. Non seulement, après la première affaire du « détail », M. Le Pen se compare à Dreyfus, mais par surcroît il demande régulièrement si, face au complot dont il serait victime, il ne va pas porter une étoile bleu-blanc-rouge62. L'assassinat de Duprat, le vitriolage de M. Caignet, démontreraient que le pouvoir use de milices juives, nouvelles SA. Aussi, pour Le Choc du Mois, mêlant les signatures FN et TV, face au PCF, face à une droite affiliée à la Trilatérale, M. Le Pen serait le seul rempart contre le fascisme renaissant.63 Quant aux immigrés, selon MM. Le Pen et Mégret et la presse FN, ils ne sont plus les travailleurs immigrés, mais des hordes dont la violence dans les banlieues, dites territoires occupés, réalisent, après l'invasion, une épuration ethnique.
La presse frontiste joue ici un rôle important. Elle ne cesse de relayer les procès faits aux négationnistes pour témoigner de la censure censée peser sur la France, rejoignant l'idée de M. Blot, Horloger frontiste, selon laquelle l'antiracisme est devenu une idéologie totalitaire.64 Elle présente donc les anti-négationnistes comme les nouveaux Torquemada, constituant la gestapo de la pensée. Présent remplace le mot « beur » par censuré et « Juif » par tabou, à l'instar de la presse du PPF qui écrivait intouchable à la place de « Juif ».Ces journaux usent d'une écriture très spécifique : les mots racisme ou fascisme y sont écrits entre guillemets lorsqu'il s'agit du FN, sans lorsqu'ils sont suivis de l'adjectif juif ; apartheid et intolérance servent à qualifier l'attitude de l'établissement envers le parti, révisionnisme s'écrit sans guillemets quand il s'agit de contester l'histoire officielle, en particulier pour mettre en cause le fait que celle-ci ne reconnaisse pas les nombreux génocides de tout ordre que la presse frontiste invente (le génocide vendéen en particulier, thème où la République est décrite en analogie avec le IIIe Reich) ; enfin, le « matraquage politico-médiatique » dénoncé est signifié par l'utilisation de tirets et guillemets dans l'expression « les-heures-les-plus-sombres-de-notre-histoire ». Cette presse a ainsi travaillé à détourner à l'avantage du FN la phase obsessionnelle du syndrome de Vichy.65
Si le FN a évité le discours antisémite entre 1980 (départ de Militant) et 1986, il ne cesse après cette date, où il est légitimé par son groupe parlementaire, d'y recourir crescendo. Après 1995, l'anti-immigration passe derrière la dénonciation du complot juif. Entre ces deux dates, son discours va se situer à un double niveau, par la dénonciation de la démocrature, de la Ripouxblique et de son totalitarisme larvé, discours populiste qui prépare l'affirmation antisémite. Pour lui, l'année 1986 a été marquée par la publication dans Le Monde d'un communiqué du B'nai B'rith. Cette organisation juive demandait à la droite de tenir son engagement de ne pas s'allier avec le parti lepénien. Pour celui-ci, l'affaire devient le diktat du B'nai B'rith, les hommes politiques de droite étant dits avoir dû prêter serment dans les loges de l'association. Celle-ci devient rapidement le centre d'accusations qui en font le symbole parfait du lobby juif, elle se voit également accusée d'être « la maison-mère », la donneuse d'ordres, des mouvements antiracistes.66
Ce « lobby juif » n'est pas directement attaquable car, comme l'affirme une note interne, c'est tactiquement mauvais et cela détériore notre image, [il faut attaquer les associations antiracistes qui lui servent d'écran et qui] constituent la partie émergée de l'iceberg, du Parti de l'étranger, ou encore du lobby pro-immigration. François Brigneau expose la même idée, à propos des prémisses de la loi Gayssot, aux lecteurs de National-Hebdo :
Les étrangers étant chez eux chez nous il faut les protéger, favoriser l'insertion des allogènes, donc affaiblir la résistance française aux métissages de toute sorte (...) Sous l'action des groupes de pression : le MRAP, la LICRA, SOS Racisme, La Ligue des Droits de l'Homme cosmopolite qui est la partie visible de l'iceberg maçonnique, le parti Juif derrière tous ses masques, s'accentue la répression contre la France française. 67
La formulation du discours « communisme = Juifs = sionisme = nazisme + mensonge de la Shoah » est bel et bien passée au sein de l'offre politique. Le paradoxe veut que, pour réussir pleinement l'opération, NR et FN vont bénéficier de la disparition de ce qui fut pourtant la première motivation du militantisme d'extrême droite durant des décennies : l'existence de l'URSS « judéo-bolchevique », et que ceci va les mener à un discours qui n'est pas sans similitude avec le rapport Emilanov.
Notes.58. CEH, 26 juillet 1977. Bon nombre de ses travaux d'historien sont consacrés à ce sujet.
59. IFN, Militer au Front, dir. Bruno Mégret, Editions Nationales, 1991, p. 138 ; il s'agit du guide du militant. L'argument est asséné inlassablement par M. Le Pen.
60. In Le Figaro, 3 décembre 1991.
61. La propagande anti-communiste utilise l'amalgame communisme=nazisme dès l'origine de la guerre froide.
62. Propos tenus : en meeting à Nogent-sur-Marne (Le Monde, 18 février 1986), en meeting à Besançon (Le Monde, 23-24 février 1986), aux BBR de 1987 (MM. Fredet et de Saint Affrique, Dans l'Ombre de Le Pen, Hachette, 1998, p. 121) et de 1988 (MM. Bariller et Timmermans, 20 Ans au Front, préfaces de MM. Lang et Mégret, postface de M. Le Pen, Editions Nationales, 1992, p. 94).
63. Le Choc du Mois, juillet-août 1988. Le journal est dirigé par l'ex-Waffen SS M. de la Mazière (TV) et M. Brigneau (FN), antisémite et négationniste farouche qui a été milicien, premier vice-président du FN, et le journaliste le plus en vu de la presse d'extrême droite d'après-guerre. Suite à la partition du FN, il a publié un livre intitulé Le Pen m'a tuer.
64. In Le Figaro magazine, 15 septembre 1990. La dite « idéologie totalitaire » est nommée droidl'hommisme. Cette expression, qui durant des années n'a été utilisée que par la presse ou les dirigeants FN, s'est retrouvée ces dernières années chez une certaine gauche « républicaine », visiblement ignorante de l'origine du concept.
65. Etude du Choc du Mois, d'Identité, de Minute, de National-Hebdo, de Présent et de Rivarol sur la période 1980-1993, portant sur à peu près mille cinq cents exemplaires. Cf. Henry Rousso, Le Syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, Le Seuil, 1990.
66. Durant la campagne des présidentielles de 1988, Présent édite une brochure sur cette affaire, avec consigne de lui assurer une diffusion sans cesse grandissante, et impossibilité d'en commander moins de quinze (!). Soixante-dix mille exemplaires en auraient ainsi été vendus.
67. Note interne publiée par M. Taguieff in Commission nationale consultative des Droits de l'Homme, La Lutte contre le racisme et la xénophobie, La Documentation française, 1991, pp. 152-153 ; M. Brigneau, « Le Journal d'un homme libre », National-Hebdo, 12 avril 1990. La journaliste Anne Tristan a infiltré le FN quelques mois. Elle narre qu'au départ il n'était question que du danger représenté par les Arabes. Et seulement au bout de cinq mois, ils m'ont dit : « Enfin, le vrai problème, ce sont les Juifs, la ploutocratie, la mainmise des Juifs sur tous les journaux, sur tous les pouvoirs... » (Différences, mars 1990).
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05/01/2002