Le camion à gaz et la solution finale en Serbie
Christopher Browning
Traduction de l’article de Christopher Browning «The Final Solution in Serbia. The Semlin Judenlager: a case study», Yad Vashem Studies, XV, 1984.
Traduit de l’américain par Philippe Bertinchamps — Paru dans Staro Sajmiste: un camp de concentration en Serbie, Non Lieu, 2012.
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Remarques de PHDN: la toponymie des lieux serbes varie beaucoup selon les langues utilisées. La municipalité de Zemun est ainsi désignée sous le nom de «Semlin» dans les historiograhies en allemand, anglais mais également français. L’ouvrage dont est tirée la présente traduction est une contribution majeure à l’histoire de la Shoah en Serbie et rassemble des études de grande valeur, disponibles pour la première fois en français. Un complément bibliographique est fourni en fin d’article.
Le processus d’extermination en Serbie a lieu au tout début de la solution finale en Europe. Il couvre la période de transition allant des pelotons d’exécution aux gazages. La première phase consista à fusiller en masse les Juifs de sexe masculin. Les exécutions commencèrent à la mi-octobre 1941, quelques jours avant les premières déportations des Juifs d’Allemagne. Elles ne sont qu’en partie analogues aux opérations meurtrières des Einsatzgruppen en Russie au début de l’été précédent. En Serbie, les bourreaux sont des troupes de l’armée allemande, pas des unités SS, et les victimes, des hommes âgés de 14 à 70 ans, pas des familles entières. De plus, les pelotons d’exécution opèrent sous le prétexte de représailles aux dommages infligés par les partisans et non dans le but avoué d’exterminer la population juive. L’incertitude quant au but ultime et à l’ampleur de la politique des nazis est levée alors que la liquidation des Juifs de Serbie entre dans sa seconde phase, la phase finale. Les survivants des massacres de l’automne, pour la plupart des femmes et des enfants, sont placés dans un camp de concentration à Zemun, de l’autre côté de la Save en venant de Belgrade. Ils sont tués sans distinction d’âge ni de sexe dans un camion à gaz envoyé de Berlin par le département automobile du RSHA. Au début du mois de mai 1942, les derniers Juifs du camp de Zemun sont gazés, avant même que ne soient opérationnels les camps de la mort de Treblinka et de Sobibor en Pologne. Si, à l’automne 1941, les exécutions de représailles de la Wehrmacht contre les Juifs de Serbie sont un prélude à la solution finale, la mise à mort des Juifs de Zemun dans le camion à gaz est l’un de ses tout premiers chapitres.
Judenlager Semlin
En avril 1941, les Allemands envahissent la Yougoslavie. Le pays conquis est démantelé. Les alliés de l’Allemagne en reçoivent des portions. Un État oustachi est créé en Croatie. La Serbie reste une zone d’occupation de l’armée allemande. Au cours des dix jours de frénésie, entre le refus par la Yougoslavie d’une alliance avec l’Allemagne et l’invasion le 6 avril, des plans d’urgence sont dressés. Le 2 avril, un ordre du Haut Commandement des Forces armées (OKH) confie à un Einsatzgruppe du Sipo-SD en Serbie la responsabilité des tâches qui incombent à ces organes policiers dans le Troisième Reich, dont la lutte contre les ennemis d’État. Parmi ceux-ci, les Juifs1. l’Einsatzgruppe du Standartenführer SS Docteur Wilhelm Fuchs est subordonné au chef de l’administration militaire, le Gruppenführer SS Docteur Harald Turner. Celui-ci est sous l’autorité directe de plusieurs commandants militaires — Schröder, Danckelmann, Böhme et Bader — qui paradent à travers la Serbie en 1941. Les pleins pouvoirs et la responsabilité de la politique de l’Occupation reviennent donc au commandement militaire, tandis que les Juifs de Serbie sont sous la juridiction de la SS.
Peu après l’invasion, la délégation des affaires juives à la SS est remise en question. De fait, une foule de fonctionnaires participent à la mise en ouvre de la politique antijuive de l’Allemagne. L’administration militaire de Turner compte deux fonctionnaires en charge des affaires politiques concernant les Juifs et des propriétés juives. L’état-major de la Feldkommandantur 599, district incluant Belgrade, est placé sous la responsabilité du colonel von Kaisenberg qui dispose de fonctionnaires chargés des biens et des appartements juifs2. De même, les autres districts militaires ont leurs propres experts en affaires juives, le listage des biens juifs étant une section obligatoire des comptes rendus sur la situation des Kreiskommandanturen (sous-districts) à la Feldkommandantur 6103. À Belgrade, des directives régulant les heures d’achats et de couvre-feux sont placardées au nom du commandant de la ville, Kaisenberg. Diverses catégories de Juifs doivent s’enregistrer auprès de la police sur ordre du chef de l’Einsatzgruppe Sipo-SD, Fuchs4. La pleine juridiction des propriétés juives est confiée à l’administration pour les biens juifs au sein du bureau du général plénipotentiaire pour l’économie en Serbie, Franz Neuhausen, responsable devant Göring, même si les biens personnels et les bijoux des Juifs sont cédés bon gré mal gré au Sipo-SD5. Enfin, le plénipotentiaire du ministère des Affaires étrangères, Felix Benzler, est chargé de traiter en Serbie toutes les questions liées aux Affaires étrangères qui, selon lui et Ribbentropp, incluent les francs-maçons et les Juifs6. Bref, en Serbie, la structure administrative chaotique caractérisant l’occupation allemande partout ailleurs en Europe est flagrante, politique juive comprise.
Très vite, les Juifs de Serbie sont soumis à une vague de mesures discriminatoires: enregistrement, marquage, couvre-feu, travail forcé, restrictions des activités économiques et sociales, confiscation des biens7. Leur situation s’aggrave au cours de l’été 1941 avec le soulèvement des partisans. Les Juifs, séparés de leur famille, sont les victimes des représailles disproportionnées des Allemands et de la terreur qu’ils font régner pour briser la résistance. À la mi-août, les Juifs du Banat sont chassés de chez eux et expédiés à Belgrade; bientôt, tous les Juifs de sexe masculin de plus de quatorze ans de Belgrade et de la région du Banat sont internés dans le camp de Topovske Supe8. Début août, le plénipotentiaire du ministère des Affaires étrangères, Felix Benzler, prescrit, sur le conseil de Harald Turner, la déportation des Juifs de Serbie (de préférence en Roumanie) comme condition préalable à la pacification du pays. Berlin rejette la requête. Les prisonniers juifs de sexe masculin fourniront un réservoir commode de victimes aux mesures de représailles de l’armée allemande, à présent systématisées à un taux de cent pour un. Le «problème» des hommes juifs résolu, les Allemands étudient la question des femmes, des enfants et des vieillards, initialement estimés à vingt mille. Ils envisagent de les interner dans un camp à Mitrovica puis, au printemps, de les déporter dans «un camp de réception à l’Est»9.
Le camp de concentration de Mitrovica, planifié à Jarak puis à Zasavica, s’avère impropre à la construction à cause des inondations. Le 23 octobre 1941, la décision est prise d’abandonner Mitrovica et d’utiliser les terrains et les pavillons du parc des expositions sur la rive gauche de la Save, face à Belgrade10. Ce côté de la Save étant en territoire croate, Benzler demande à l’ambassade d’Allemagne à Zagreb de s’enquérir si le parc des expositions peut servir de camp de transit «où seront d’abord emmenés les femmes et les enfants juifs». Les Croates acceptent, à condition que le camp soit gardé par des Allemands, non par des Serbes, et qu’il soit ravitaillé à partir du territoire serbe, et non croate11. Le jour où les Croates donnent leur accord, Turner informe ses commandants régionaux de se préparer au transfert des femmes et des enfants juifs dans un camp de regroupement près de Belgrade peu après le 15 novembre12.
L’aménagement du camp (transformation des pavillons en immenses baraquements et installation du réseau de barbelés) est pris en charge par l’Organisation Todt. Celle-ci facture les coûts matériels et de travail à l’administration militaire de Turner qui, à son tour, reçoit du général plénipotentiaire pour l’économie en Serbie les fonds couvrant les coûts de construction13. Neuhausen récupéra vraisemblablement ces débours avec les recettes des biens juifs confisqués par sa propre administration fidéicommissaire14. Moins d’un mois et demi après que le commandement militaire a abandonné Mitrovica et sélectionné le site de Zemun, le camp est prêt. Le 8 décembre 1941, les survivants juifs de Belgrade sont tenus de se présenter à la police munis de vivres pour plusieurs jours et de leur trousseau de clés, accompagné d’une étiquette avec leur nom et adresse. Ils sont aussitôt transférés au camp de Zemun15. Alors que les «cinq rois de Serbie» — le commandement militaire, Fuchs, Benzler, Turner et Neuhausen — sont notoirement incapables de s’entendre, la sélection, la négociation diplomatique, la construction et le financement du Judenlager Semlin témoignent d’un rare exemple de collaboration sans heurt.
La vie au Judenlager est extrêmement pénible, surtout à la fin du mois de décembre et au mois de janvier. La température est si basse que la Save gèle. Les grands pavillons d’exposition ne sont pas chauffés. Pour maximiser les dortoirs des deux pavillons où des milliers de personnes sont entassées, des châlits de bois à étages sont érigés, entre lesquels on se déplace sur les mains et les genoux. Outre la faim et le froid, des travaux de pelletage à l’aéroport tout proche achèvent de miner les forces. Une «auto-administration» des prisonniers est créée (la «doyenne» en est une jeune femme de moins de trente ans nommée Sarfas) qui, chaque matin, rencontre le commandant. Les travaux administratifs et physiques sont menés par les Juifs, y compris les patrouilles dans l’enceinte du camp pour éloigner les prisonniers des barbelés. Il est interdit d’apporter de la nourriture et les enfants qui se faufilent sous la clôture non électrifiée pour mendier dans les faubourgs de Zemun sont battus s’ils se font attraper16.
Au mois d’octobre, les Allemands estiment à 20 000 le nombre total de femmes, d’enfants et de vieillards juifs. Au début du mois de décembre, le Haut Commandement militaire prévoit d’interner 16 000 Juifs et Tsiganes à Zemun17. Ces estimations se révèlent trop élevées. Le 15 décembre 1941, le nombre de Juifs internés est de 5 29118. Comme des Juifs d’autres régions de Serbie seront transférés à Zemun durant l’hiver, le nombre total de prisonniers juifs augmentera au fur et à mesure. Dans tous les cas, les deux séries existantes de chiffres ne concordent pas: les registres yougoslaves (du service d’aide sociale de la municipalité de Belgrade) attestent un maximum de 6 800 prisonniers à la fin du mois de février19. Les registres allemands en indiquent 5 780 à la même époque20. Le 19 mars, 500 autres Juifs de Kosovska Mitrovica seront déportés à Zemun, ce qui élève le total à 6 28021. Selon le commandant allemand, Herbert Andorfer, au moins dix pour cent des prisonniers sont des Rroms22. Il est possible que les deux chiffres différents représentent le nombre total de prisonniers d’une part, et de prisonniers juifs de l’autre. Quoi qu’il en soit, aucun ne reflète le taux considérable de mortalité au cours des mois d’hiver. L’estimation officielle yougoslave selon laquelle 7 500 Juifs ont péri à Zemun paraît donc correcte23.
Même si le nombre total de détenus au Judenlager Semlin reste bien en deçà des attentes initiales des Allemands, l’approvisionnement du camp pose problème. Des accords préalables stipulaient que Turner verserait l’argent sur un compte de la municipalité de Belgrade, chargée de ravitailler le camp. Le commandant du camp vérifierait les factures pour la nourriture reçue, contrôlant les retraits du compte24. Mais tout de suite, les Allemands se plaignent des provisions insuffisantes. Le 31 décembre 1941, le premier commandant, le Scharführer SS Edgar Enge, exige une double ration de pain. L’Oberkriegsverwaltungsrat Docteur Ranze, de la Feldkommandantur 599, oppose son veto25. Neuf jours plus tard, Enge demande une augmentation de 33 pour cent de la livraison de lait à cause du grand nombre d’enfants malades26. S’ensuivent une série de plaintes contre plusieurs commandes non livrées et la piètre qualité des denrées alimentaires27. Finalement, le nouveau commandant, l’Untersturmführer SS Herbert Andorfer, observant que la nourriture ordonnée représente le minimum absolu de rations requises (die tabellenmässig festgestellten Mindestmengen), menace de ne plus contrôler les factures jusqu’à ce que toutes les commandes soient livrées28. La municipalité de Belgrade prévient son service d’aide sociale que les Allemands sont prêts à poursuivre les responsables pour des commandes non livrées alors que le besoin de vivres est urgent29. Jusqu’à ce point du moins, les commandants allemands ne se comportent pas comme des hommes sachant qu’ils vont bientôt tuer leurs prisonniers.
Par la suite, les plaintes iront dans l’autre sens. En février, le premier paiement des Allemands à la municipalité de Belgrade est épuisé. À la mi-mars, un second emprunt leur est finalement accordé30. En avril, le maire Dragomir «Dragi» Jovanovic exige un nouvel acquittement, qui ne sera pas réglé avant la mi-juin. Les Allemands doivent toujours une petite différence, mais le parcimonieux docteur Ranze, constatant que beaucoup de factures dressées par les Serbes paraissent trop élevées, recommande la formation d’une commission d’examen. Bien conscient que le Judenlager n’est plus en fonction, Ranze réclame que tout article non détérioré livré au camp soit remis au bureau d’intendance de la Feldkommandantur pour servir ailleurs31.
La Police de sécurité allemande à Belgrade
En décembre 1941, peu après l’ouverture du camp, un remaniement majeur de la police allemande a lieu en Serbie. Jusqu’alors, l’Einsatzgruppe de la Police de sûreté et du Service de sécurité (Sipo-SD) sous les ordres de Fuchs dépendait du Gruppenführer SS Turner, dont le bureau était sous l’autorité directe du commandant militaire. Himmler rappelle Fuchs et démantèle l’Einsatzgruppe. Il nomme un chef suprême des SS et de la Police, August Meyszner. Comme Turner, celui-ci est un Gruppenführer SS, pas plus haut gradé que lui. Ses ordres pour les questions relatives aux affaires militaires émanent du commandement militaire, et non de Turner. Ses instructions quant aux affaires relevant de la police viennent directement de Berlin32. Le Sipo-SD et la Police d’ordre (Ordnungspolizei) sont sous sa pleine coordination, mais chacun de ces organes reçoit des directives précises de Berlin. Le nouveau chef du Sipo-SD, responsable du camp de Zemun et de ses prisonniers juifs, est le Standartenführer SS Emanuel Schäfer.
Né en 1900, fils d’un propriétaire d’hôtel, Schäfer est élevé en Allemagne dans la région frontière de Haute Silésie. L’été 1918, après avoir terminé le lycée, il est appelé sous les armes. Il rejoint un régiment d’artillerie à Berlin mais ne verra jamais le front. De retour chez lui, il se lie à diverses formations paramilitaires allemandes combattant les Polonais en Haute Silésie33. Rybnik, sa ville natale, est revenue à la Pologne lors de la partition. Il renonce à la citoyenneté polonaise, s’inscrit à l’université de Breslau et, en 1925, obtient son doctorat en droit. La même année, il rallie le Stahlhelm, une association de vétérans nationalistes. Il embrasse une carrière dans la police, d’abord à Potsdam puis à Breslau où, de 1928 à 1933, il dirige la division des homicides. En 1928, ayant «l’impression que le Stahlhelm se nécrosait» (den Eindruk, dass der Stahlhelm im Absterben begriffen war), il quitte la ligue34. Trois ans plus tard, impressionné par la «vitalité» des nazis tout en méprisant les «livres officiels du parti», Schäfer devient «membre de soutien» (förderndes Mitglied) de la SS, mais pas du parti (NSDAP).
Au cours des semaines de prise du pouvoir par les nazis, Schäfer est nommé chef de la police politique de Breslau. En mai 1933, il postule au NSDAP. Un an plus tard, il découvre que sa candidature a été rejetée, sans doute à cause d’un règlement de comptes dû aux poursuites pour sodomie qu’il avait engagées contre l’ancien Gauleiter Helmut Brückner. La position de Schäfer se complique lorsque l’Obergruppenführer SA Edmund Heines, membre célèbre de la coterie homosexuelle des chefs de la SA d’Ernst Röhm, prend le contrôle de la police de Breslau et enrôle Schäfer dans la section d’assaut. «Plus attiré» par la SS, Schäfer devient un agent de son service de renseignements, le SD, et dénonce la corruption de plusieurs dignitaires du parti, Heines en tête, qui sera assassiné le 30 juin 1934 lors de la Nuit des longs couteaux. Un avis de promotion dans le dossier de Schäfer souligne ses résultats: «Après la prise de pouvoir, en tant que chef de la police d’État de Breslau, à l’époque dirigée par Edmund Heines, il [Schäfer] a coopéré avec le SD-RFSS et rendu de précieux services au prix de grands dangers»35 (Nach der Machtübernahme hat er als Leiter des Staatspolizei in Breslau, die damals Edmund Heines unterstellt war, trotz grosser Gefahr für sich mit dem SD-RFSS zusammengearbeitet und diesem wertvolle Dienst geleistet).
En mai 1934, Schäfer est nommé chef de la police d’État (Staatspolizeistelle) à Oppeln où il continue de travailler pour le SD. Son transfert tardif de la SA à la SS en septembre 1936 est compensé par trois promotions en l’espace de vingt-six mois. Au cours de l’été 1939, la confiance absolue de Heydrich en son agent de longue date du SD est démontrée. Le 10 août, Schäfer reçoit un coup de téléphone afin de rencontrer Heydrich à l’aéroport. Celui-ci l’informe que le führer «a besoin d’un prétexte pour la guerre» (braucht einen Kriegsgrund). Schäfer le conduit à plusieurs points frontière en vue de monter de toutes pièces une attaque sur le territoire allemand. Une semaine plus tard, cette fois encore guidés par Schäfer, Himmler et Heydrich font une inspection aérienne de la zone frontalière. Un poste de la douane est choisi et, la nuit du 31 août, après un ajournement de dernière minute, une fausse attaque est déclenchée (indépendamment de l’incident de Gleiwitz)36. Le même mois, lors de l’invasion de la Pologne, Schäfer est nommé à la tête de l’Einsatzgruppe II, qui se distinguera par un nombre élevé d’exécutions37.
La campagne de Pologne terminée, les Einsatzgruppen sont dissous. Schäfer prend la tête de la Staatspolizeistelle à Katowice. Fin octobre, deux mille Juifs sont déportés dans le camp d’Eichmann à Nisko38. En octobre 1940, Schäfer est transféré à la Staatspolizeistelle de Cologne. L’année suivante, il supervise les trois premières déportations des Juifs de cette ville — le 21 et le 28 octobre, deux mille à Lodz et le 6 décembre, mille à Riga39. En janvier 1942, Schäfer est convoqué à Berlin pour rencontrer Heydrich. Celui-ci le nomme commandant du Sipo-SD à Belgrade, sous prétexte que son expérience de combattant à la frontière polonaise après la Première Guerre mondiale l’a disposé à lutter contre les partisans. Selon Schäfer, lors de cette réunion, Heydrich ne fait pas allusion à la question juive en Serbie40.
Le nouveau chef de la police de Belgrade est une recrue précieuse de Heydrich — un Allemand frontalier ultranationaliste, nazi déterminé, d’une loyauté à toute épreuve envers la SS. C’est aussi un technocrate de la police, cultivé et blanchi sous le harnais. Les officiers allemands avec qui il est en contact sont agréablement surpris de découvrir que Schäfer, contrairement à son prédécesseur Fuchs ou à son chef Meyszner, n’est pas un «SS obtus» (ein sturer SS-Mann). Il laisse au contraire une «impression profondément humaine» (einen durchaus menschlichen Eindruck). Il est «raisonnable» et «très accommodant»41. Les autorités judiciaires d’après-guerre seront également impressionnées par son comportement. C’est «un fonctionnaire probe et correct» (korrekt und sauberer Beamter). Il n’est pas «considéré comme un cadre malveillant de la Gestapo, mais comme un fonctionnaire qui — bien que nazi fervent ayant une connaissance antérieure des pratiques criminelles — accomplit son devoir en faisant preuve de tendances humaines et en tâchant de remédier aux excès du régime»42 (nicht als ein Gestapo-funktionär üblen Gepräges anzusehen, vielmehr als ein Beamter zu betrachten ist, der — zwar begeisterter Nationalsozialist mit frühzeitiger Kenntnis von den verbrecherischen Pratiken — seine Pflict getan, aber menschliche Züge gezeigt hat und bemüht gewesen ist, Auswüchsen des Regimes abzuhelfen). «Aimé» de son cercle de proches, secrétaire, chauffeur, aide de camp43, Schäfer présente un visage différent au personnel nonchalant et souvent corrompu qu’il hérite de Fuchs: un supérieur arrogant, sévère, irréprochable qui impose une «discipline de fer» et devant qui ils s’inclinent à outrance. Ses hommes disent que, pour lui, «l’humanité ne commence qu’au rang de capitaine»44 (Der Mensch finge bei ihm erst mit dem Hauptsturmführer).
Pour Heydrich, le vernis de respectabilité de Schäfer est sans doute bienvenu. Mais l’essentiel est son curriculum sans tache: espion accompli du SD contre la SA, conspirateur fidèle à la veille de la guerre, commandant impitoyable d’Einsatzgruppe en Pologne, auteur des déportations des Juifs de Katowice et de Cologne. Que la Serbie ait été le second territoire du Reich déclaré Judenfrei peu après l’arrivée de Schäfer n’a rien d’étonnant compte tenu de ses faits d’armes.
Quand il entre en fonction à Belgrade, Schäfer reprend le personnel de Fuchs. Il réorganise l’Einsatzgruppe en divisions parallèles à la structure du RSHA à Berlin, mettant fin à ce qu’il appelle la rivalité mesquine et les disputes entre Sipo, SD et Kripo45. La division IV de la Gestapo est placée sous le commandement du Sturmbannführer SS Bruno Sattler. Né en 1898, fils d’un ingénieur civil, Sattler a combattu deux ans au front pendant la Première Guerre mondiale. Après la guerre, son implication dans les Freikorps de Potsdam culmine avec le putsch de Kapp. Assagi, il s’inscrit à l’université. Six semestres plus tard, l’inflation anéantit la fortune familiale. En 1928, à la recherche d’un emploi, il rejoint la police criminelle. En 1931, il adhère au NSDAP et, en 1936, à la SS. Il sert à la Gestapo de Paris avant de venir à Belgrade.46
Le bureau juif, ou Judenreferat, relève de la Gestapo. Il est composé de quatre Allemands et de quatre Volksdeutschen du Banat47. Deux Allemands dirigent le Judenlager Semlin et participent aux gazages: l’Untersturmführer SS Herbert Andorfer et le Schärführer SS Edgar Enge. Né en 1911 à Salzbourg, en Autriche, enfant naturel, Andorfer a été élevé et pris en charge par sa mère. En 1929, il passe son baccalauréat avec des notes suffisantes pour entrer à l’université. Mais les finances de la famille ne lui permettent pas d’autres études qu’une formation professionnelle dans l’hôtellerie. Il travaille deux étés comme secrétaire dans un hôtel de Bad Ischl. Le reste du temps, il est au chômage, excepté un travail temporaire de démarcheur. De 1934 à 1938, il devient secrétaire, puis directeur d’un hôtel à Sölden am Ötztal. En octobre 1931, alors sans emploi, Andorfer avait adhéré au NSDAP et, en septembre 1933, à la SS. Il reste membre de la SS pendant la période d’«illégalité» et fait sortir clandestinement d’Allemagne la littérature du parti. Au lendemain de l’Anschluss, il est nommé Ortsgruppenleiter à Sölden. En mai 1938, il choisit de partir à Innsbruck faire carrière dans la SS plutôt que dans l’hôtellerie. Sa candidature auprès de la Waffen-SS est rejetée, mais Andorfer entre à l’université d’Innsbruck où il contrôle l’opinion publique et le marché noir pour le compte du SD. Son parcours universitaire s’achève avec le début de la guerre. Après un avertissement pour avoir enfreint à la discipline suite à un commentaire désobligeant à l’égard de ses supérieurs, Andorfer est transféré à Salzbourg, puis au camp d’entraînement du Sipo-SD à Pretzsch. Il prend part à l’invasion de la Yougoslavie, sert dans divers avant-postes du SD et est affecté à l’état-major de Belgrade. À la fin du mois de janvier 1942, il est nommé commandant du Judenlager Semlin48.
L’homme à qui Andorfer succède est Edgar Enge49. Enge est né en 1905 à Thuringe. Très vite, sa famille déménage à Leipzig. Son père a fait faillite après s’être lancé dans l’élevage de volailles. Mais jusqu’à la moitié des années 1920, il parvient à subvenir aux besoins de sa famille en tant que commis voyageur. En 1923, Enge est placé en apprentissage pour une période de deux ans dans une entreprise de matériel de bureau. De 1926 à 1930, il travaille régulièrement puis, son père et lui se retrouvent tous deux au chômage. Dans la famille, seul son frère a un emploi. En 1935, Enge devient guide touristique à Leipzig. Deux ans plus tôt, en 1933, il avait rejoint la SA, estimant que «tous les hommes jeunes devaient être politiquement actifs» (es wurde von allen jüngeren Menschen erwartet, dass sie sich irgendwie politisch betätigten). Mais surtout, il espérait trouver du travail. Ce n’est qu’en 1938 qu’il adhère au parti. En 1940, il est appelé sous les drapeaux. Au lieu d’être recruté dans l’armée, Enge, 35 ans, rejoint un camp d’entraînement de la Schutzpolizei. Après deux mois de formation et, d’après lui, sans initiative de sa part, il est sélectionné par la Sipo et est envoyé à l’essai dans un camp d’entraînement de la Gestapo à Francfort. Il demande avec succès sa mutation à Leipzig et l’été 1941, il part en Yougoslavie. Gestapiste sans être membre de la SS, il reçoit cependant l’uniforme SS et le grade de Schärführer conformément à son grade dans la Gestapo50. On ignore quand Enge entre au Judenreferat. Au cours de l’automne 1941, il assiste à au moins un massacre de Juifs. Par la suite, il confessera avoir été présent à de nombreuses fusillades de représailles51. En décembre et en janvier, il dirige le Judenlager de Zemun jusqu’à ce qu’Andorfer, plus haut en grade, le remplace.
Schäfer et Sattler, les deux officiers SS responsables des Juifs de Zemun, sont issus de la haute bourgeoisie. À la fin de la Première Guerre mondiale, ils se sont impliqués dans des activités paramilitaires avant même que l’adversité ne les frappât (la ville natale de Schäfer fut attribuée à la Pologne et la fortune familiale de Sattler s’évanouit lors de l’inflation). Tous deux ont suivi une formation universitaire et embrassé une carrière dans la police avant de rejoindre les nazis en 1931. Andorfer et Enge, les SS chargés des assassinats, sont issus de la petite bourgeoisie. Ils ont uni leur destinée à celle des nazis alors qu’ils subissaient le chômage prolongé et la misère économique. Les Juifs de Serbie ont été exécutés selon une division du travail typique de la SS: des organisateurs expérimentés et éduqués, et des exécutants recrutés parmi les petites classes moyennes déprimées de l’Allemagne.
Le camion à gaz
Les circonstances accompagnant la décision d’envoyer un camion à gaz à Belgrade restent obscures à cause des rapports contradictoires. Le 11 avril 1942, Harald Turner écrit à l’adjoint de Himmler, Karl Wolff:
«Il y a déjà quelques mois, j’ai fait abattre tous les Juifs disponibles et en même temps, j’ai concentré toutes les femmes et tous les enfants juifs dans un camp, avec l’aide du SD j’ai obtenu un “camion d’épouillage” qui a finalement nettoyé en une période de 14 jours à 4 semaines le camp dont les affaires ont été transférées à Meyssner [sic] qui, depuis son arrivée, en a pris la direction»52 (Schon vor Monaten habe ich alles an Juden im hiesigen Lande greifbare erschiessen und sämtliche Judenfrauen und Kinder in einem Lager konzentrieren lassen und zugleich mit Hilfe des SD einer “Entlausungswagen” angeschaft, der nun in etwa 14 Tage bis 4 Wochen auch die Räumung des Lagers endgültig durchgeführt haben wird, was allerdings seit Eintreffen von Meyssner und Übergabe dieser Lagerdinge an ihn, von ihm weitergeführt worden ist).
L’affirmation de Turner d’avril 1942 selon laquelle il a initié l’envoi du camion à gaz est douteuse pour deux raisons. D’abord, les rapports antérieurs de Turner, qui ont été conservés dans les dossiers de la SS, ne mentionnent aucune initiative de ce genre. Turner se targue d’avoir débarrassé Belgrade de ses Juifs et de les avoir parqués dans un camp de concentration53. Ensuite, les rapports de Turner à Berlin sont souvent inexacts et inspirés par la recherche d’un avantage personnel. Il tente désespérément de protéger sa position menacée tant par les militaires, qui essaient de dévaloriser la fonction de chef de l’administration militaire, que par Himmler, qui a nommé un chef suprême de la SS et de la police dont la compétence s’étend sur plusieurs domaines jusque-là attribués à Turner, la police en particulier. Les déclarations de Turner sur son rôle dans les affaires juives sont donc très exagérées, sinon totalement fausses, dans une tentative infructueuse pour impressionner Himmler54.
Si, pendant la guerre, Turner a intérêt à surestimer son rôle dans la mise à mort des Juifs de Serbie, après la guerre, Schäfer sous-estimera le sien. Schäfer a catégoriquement affirmé qu’avant son départ pour Belgrade, il n’avait pas discuté avec Heydrich de la question juive en Serbie, et que ni lui ni aucun autre bureau en Serbie n’avait motivé l’envoi du camion à gaz. Il a reconnu savoir que le camion à gaz avait servi à tuer des malades mentaux peu après le début de la guerre (un Sonderkommando dirigé par Herbert Lange était basé à Poznan et a utilisé le camion à gaz pour mener les opérations d’euthanasie dans les territoires incorporés alors que Schäfer était à Katowice). Schäfer a nié être au courant des opérations des Einsatzgruppen en Russie (cet aveu l’aurait rendu complice de l’assassinat des Juifs de Cologne, déportés à Riga). Mais il a admis avoir entendu parler, peu après son arrivée à Belgrade, des fusillades massives des hommes juifs à l’automne 1941. Convaincu que la décision de détruire les Juifs d’Europe avait été prise à Berlin, il a tout de suite compris de quoi il s’agissait en lisant le télégramme de l’Obergruppenführer SS Heinrich Müller, chef de la Gestapo à Berlin (autant que Schäfer s’en souvînt):
«Concerne: opération juive en Serbie. Commando spécial avec camion Saurer en route avec mission spéciale». (Betrifft: Judenaktion in Serbien. Einsatzkommando mit Spezialwagen Saurer auf dem Landwege mit Spezialauftrage unterwegs)
Refusant pour une fois de partager les responsabilités, Schäfer a convenu que le télégramme lui était directement parvenu. Ni Meyszner, ni les militaires, ni aucun autre bureau allemand en Serbie n’étaient impliqués, Meyszner étant toutefois tenu informé55.
Si les rapports contradictoires de Turner et de Schäfer ne sont pas totalement fiables, certains faits sont hors de doute. Au mois d’août, le plénipotentiaire des Affaires étrangères, Felix Benzler, recommande de déporter les Juifs. Fin octobre, après que les Juifs de sexe masculin ont été fusillés, Friedrich Suhr, un émissaire d’Eichmann arrivé de Berlin, assiste à une réunion. Il est convenu d’interner les femmes et les enfants et de les déporter dans un «camp de rétention à l’Est» dès que ce sera techniquement faisable. En décembre, Benzler réitère son appel à la déportation des Juifs au plus tôt le printemps venu56. À l’arrivée de Schäfer, Benzler le presse à son tour de déporter les Juifs de Zemun en Roumanie. Tant pour Schäfer que pour Benzler, le Judenlager avec ses procédures compliquées — situé en territoire croate, ravitaillé par les Serbes, gardé à l’extérieur par l’Ordnungspolizei et administré à l’intérieur par la Sipo — est «extraordinairement pesant» (ausserordentlich lästig)57. Les autorités d’occupation allemande ne veulent pas voir son existence prolongée. Or, Heydrich annonce son intention de procéder aux déportations d’Ouest en Est. La Serbie ne sera donc pas débarrassée de ses Juifs dans un avenir proche. Toutefois, des camions conçus pour gazer des femmes et des enfants juifs, dont l’exécution par fusillade s’avère trop pénible, sont achevés dans les garages de la Sipo de Heydrich.
L’hypothèse selon laquelle la décision a été prise à peu près comme allant de soi se justifie: à Belgrade, les autorités allemandes veulent se débarrasser des femmes et des enfants juifs à partir du printemps. En nombre restreint, ils ne seront pas fusillés par l’armée, contrairement aux hommes. Heydrich, lui, ne prévoit aucune déportation dans la région avant un an. En revanche, il a sous la main des camions à gaz conçus exprès pour tuer cette catégorie de Juifs. Si Belgrade veut se débarrasser de ses Juifs, qu’elle s’en charge. Heydrich fournira l’équipement.
Une telle interprétation concorde avec d’autres événements qui se sont déroulés ailleurs à la même époque. Les Allemands ont programmé la destruction des Juifs d’Europe, mais les moyens leur font défaut. Lorsque les autorités de Lodz se plaignent d’un arrivage supplémentaire de Juifs allemands dans leur ghetto déjà surpeuplé, le Sonderkommando de camions à gaz de Lange, transféré de Poznan à Chelmno, réduit le ghetto de Lodz. Quand, en décembre 1941, Hans Frank, qui a longtemps insisté pour que les Juifs du Gouvernement général fussent expédiés ailleurs, envoie à Berlin son secrétaire d’État, Josef Bühler, il apprend que Berlin n’a plus l’intention de planifier la déportation des Juifs polonais. Frank et ses hommes exécuteront eux-mêmes leurs Juifs, Berlin leur montrera comment58. À son tour, Belgrade talonne Berlin pour que ses Juifs soient déportés; Berlin lui expédie un camion à gaz.
Martin Broszat a émis l’hypothèse que la solution finale est née d’une série de tueries locales non coordonnées et spontanées. En haut, la direction nazie prône les déportations en Russie comme solution à la question juive. Or, la campagne militaire stagne et les déportations sont suspendues. Pour alléger le fardeau, les autorités allemandes prennent l’initiative d’éliminer certains de leurs Juifs. Les massacres sont de plus en plus fréquents et systématiques. Selon lui, le concept de «solution finale» aurait émergé après-coup et ne serait pas la conséquence d’un ordre venu d’en haut59. Mon interprétation, si elle est correcte, révélerait un enchaînement opposé des causes et des effets. La direction nazie décide d’exterminer physiquement les Juifs, bien qu’elle n’en ait pas les moyens. Cependant, lorsque les autorités locales se plaignent du manque d’aide concernant leurs Juifs, Berlin s’active. Pourvu que ce soit faisable, des camions à gaz sont livrés à ceux qui se plaignent afin qu’ils exécutent eux-mêmes le «sale boulot». Ce n’est pas la pression d’en haut pour les déportations qui encourage les dirigeants locaux à tuer; c’est la pression d’en bas pour les déportations qui entraîne les autorités centrales à fournir les moyens de tuer localement en attendant que les camps de la mort soient prêts.
Dès que le télégramme de Müller lui parvient, Schäfer informe Sattler. Il lui ordonne de faire le nécessaire et attend l’arrivée du camion. Les deux chauffeurs Scharführer SS Götz et Meyer se présentent. Ils expliquent que leur mission est de tuer les Juifs du camp de Zemun. Ce n’est pas une surprise. Schäfer les envoie chez Sattler à qui il confie l’entièreté de l’opération. Il se déplacera malgré tout pour assister à une opération de gazage60.
Début mars, le commandant du Judenlager, Herbert Andorfer, est convoqué par — il ne s’en souviendra plus — Schäfer ou Sattler (à qui il rapporte tous les huit ou dix jours). Les Juifs, apprend-il, vont bientôt être «relocalisés» dans un «camion spécial» venu d’Allemagne, dans lequel ils seront «endormis» (eingeschläfert). Andorfer accompagnera le camion pour assurer le secret de l’opération. Il reçoit des documents spéciaux pour éviter les fouilles au moment de franchir la Save, du territoire croate au territoire serbe. Un détachement de la police éloignera les intrus lors du déchargement et de l’ensevelissement61.
Andorfer est déconcerté à l’idée de faire face à ceux qui mourront bientôt. En tant que commandant du camp, voilà plus d’un mois qu’il collabore avec l’«auto-administration». Il connaît personnellement une cinquantaine de prisonniers. D’après ses dires, il buvait le café et jouait aux cartes avec certains d’entre eux après qu’ils eurent appris à ne plus le craindre. Au début, il avait éludé la question de savoir où se trouvaient les hommes. Quant au futur, il répondait que tout le monde serait déporté en Roumanie. À présent, il annonce une relocalisation dans un camp de transit en Yougoslavie. Les prisonniers l’assaillent de questions. Andorfer tape à la machine un règlement fictif et met un terme à leurs demandes pressantes.
L’«Aktion» commence. Le camion à gaz se gare devant les portes du camp dans l’attente du chargement. Un camion à plateforme pénètre dans l’enceinte pour emporter les bagages des «relocalisés». Un des chauffeurs du camion à gaz se balade à l’intérieur du camp, rassemble autour de lui les enfants et leur distribue des bonbons62. Un membre du personnel médical juif est sélectionné pour accompagner le transport. La supercherie est totale. Au début, les volontaires ne manquent pas. Les prisonniers se mettent d’accord pour dissimuler dans le camion à bagages des messages donnant des nouvelles du soi-disant camp en Roumanie. Aucun message ne sera jamais trouvé aux endroits convenus. Le contingent de volontaires finit par se tarir. Les Allemands dressent des listes et les prisonniers juifs sont appelés jour après jour. Ils ne se doutent pas encore du destin qui les attend63.
Une fois chargé, le camion à gaz roule jusqu’au pont de la Save à une centaine de mètres de l’entrée du camp. Andorfer attend là, dans une voiture, pour ne pas devoir assister au chargement. Le pont a été endommagé. Il ne reste qu’une travée, la circulation est alternée. Le départ est minuté de telle sorte que le camion à gaz n’attendra jamais le trafic venant en sens inverse avant de traverser le pont. Une fois de l’autre côté, le camion à gaz s’arrête. Un chauffeur sort et raccorde le tuyau d’échappement à l’intérieur du compartiment scellé. Le camion à bagages s’en va dans une autre direction. Le camion à gaz et la voiture du commandant quittent Belgrade vers le champ de tir d’Avala (Avelar dans les documents allemands) à une dizaine de kilomètres au sud-ouest de la ville.
Au champ de tir d’Avala, une fosse a été creusée. Un détachement de gardiens du 64e Bataillon de la police de réserve de l’Ordnungspolizei attend. L’été précédent, le 64e Bataillon de la police de réserve (plus tard rebaptisé 1er Bataillon du 5e régiment de la police SS) a été impliqué dans des actions contre les partisans et des exécutions de représailles. Il lui revient également des tâches plus ordinaires de surveillance; ainsi, des équipes de vingt-cinq policiers montent la garde à l’extérieur du périmètre du camp de Zemun. Début mars, Karl W., entré en 1935 à la Schutzpolizei et basé depuis l’été en Yougoslavie, est convoqué avec trois hommes au quartier général de la Sipo à Belgrade. Il choisit son ami Paul S. et deux hommes qui se trouvent dans la pièce d’à-côté, Leo L. et Karl L64. Ils sont mis dans le secret de l’opération au quartier général et ont l’ordre de remettre leur rapport le lendemain matin au pénitencier de Belgrade.
Ils prennent leur service, ayant pour instruction de surveiller un détachement de sept prisonniers serbes. Un camion de la police, conduit par un homme en uniforme du SD, les emmène au champ de tir d’Avala. Là, ils retrouvent les véhicules de Zemun. Alors qu’un gros camion semblable à un camion de déménagement recule vers la fosse, Andorfer informe Karl L. qu’il s’agit du camion à gaz transportant les Juifs de Zemun. W. poste ses hommes pour surveiller l’entrée en même temps que les prisonniers qui déchargent les cadavres dans la fosse. La portière s’ouvre, des corps massés contre elle se mettent à tomber. Les prisonniers serbes accomplissent leur travail horrible en moins d’une heure. W. est sommé de revenir le lendemain matin.
Andorfer avait déjà approché son compatriote autrichien, Hans Rexeisen, chef de la division III du Sipo-SD de Belgrade, pour être muté. Rexeisen lui avait dit qu’il serait transféré dans une unité anti-tchetniks. Sans résultat. Après avoir assisté au premier déchargement, Andorfer adressera une requête écrite à Schäfer pour rejoindre les Waffen-SS. Son travail, dit-il, peut être accompli par quelqu’un d’autre, moins apte au combat. Sa mutation lui sera refusée. Mais Edgar Enge, son prédécesseur à Zemun, sera désigné pour partager la besogne. Au début, ils iront à deux, puis à tour de rôle. Enge ne fera rien pour être muté. Il s’étonnera seulement que — le boulot étant si déplaisant — les participants à cette opération ne reçoivent aucune gratification65. Les quatre policiers, qui parlaient entre eux, en concluront qu’ils ont été abusés. Mais craignant d’adresser une demande de mutation à leurs supérieurs, car ils avaient juré le secret et cette requête pouvait être rapportée au SD, ils continueront66.
Durant deux mois, les mêmes — Andorfer, Enge, les chauffeurs Götz et Meyer, les quatre policiers et les sept prisonniers serbes — répètent la procédure épouvantable. Tous les matins sauf les dimanches et les jours fériés, le camion à gaz fait le trajet de Zemun à Avala. Le gros Saurer, capable de transporter cinquante hommes adultes, est chargé d’une centaine de femmes et d’enfants67. Le 10 mai 1942, le camion, escorté par Enge, effectue son dernier voyage mortel. Il emmène les Juifs de l’administration du camp. Après le déchargement final, les prisonniers serbes, à qui l’on avait dit qu’ils seraient envoyés au travail en Norvège, sont fusillés68. À cause d’un essieu cassé, le camion à gaz est renvoyé en train à Berlin69. Les quatre policiers obtiennent trois semaines de congé annuel plus une semaine de permission exceptionnelle qui fut, rapporta l’un d’eux à un ami, «pleinement méritée» (redlich verdient). Ils retournent à Berlin gratuitement dans un compartiment particulier du Sipo-SD70. Le Judenreferat à présent inutile, la requête d’Andorfer est satisfaite. Il part combattre les partisans à l’avant-poste du Sipo-SD à Novi Pazar. Schäfer, Sattler et Enge restent à Belgrade. Déjà, de nouveaux prisonniers affluent au camp de Zemun.
Le camp n’a pas été choisi pour l’inaccessibilité ni la discrétion du lieu: d’un côté se trouve la grand-route fréquentée par l’occupant allemand, qui s’étire du pont de la Save à la banlieue de Zemun en passant par l’aéroport, la radio allemande et le quartier général de Neuhausen; de l’autre, la Save et au-delà, Belgrade. Des hauteurs de la ville, on aperçoit le camp. En 1941, les Allemands ne semblent nullement gênés. Ils sont arrivés dans les Balkans comme le nouveau Herrenvolk, confiants en la victoire et peu concernés par l’étalage de leurs atrocités. Ce n’est qu’à la fin de l’année 1943, alors que le cours de la guerre a changé et qu’un effort tardif est fait pour «humaniser» la politique d’Occupation, qu’ils s’inquiéteront. Le nouvel ambassadeur allemand, Hermann Neubacher, exige de déplacer le camp de Zemun parce que son maintien «à la vue des gens de Belgrade est politiquement intolérable en raison des sentiments publics»71 (von der Augen der Belgrader Bevölkerung aus stimmungmässen Gründen für politisch nicht tragbar). La réclamation de Neubacher fut ignorée.
Les auteurs de la solution finale en Serbie ne tarderont pas à faire connaître leurs exploits aux autorités à Berlin et dans les Balkans. Le 29 mai 1942, dans un mémorandum sur les mesures à prendre contre les Juifs dans les territoires occupés, l’expert en affaires juives au ministère des Affaires étrangères écrit: «La question juive n’est plus d’actualité en Serbie. Il ne s’agit plus que de poser les questions légales de propriété»72 (Die Judenfrage ist in Serbien nicht mere akut. Es handelt sich dort nur noc hum die Regelung vermögensrechtlicher Fragen). Dix jours plus tard, le 8 juin 1942, lors d’une réunion d’officiers de la Wehrmacht où sont présents Paul Bader, général en chef en Serbie, et Walter Kuntze, commandement en chef du Sud-Est en visite depuis son quartier général en Grèce, Schäfer annonce qu’il n’existe plus de problème juif en Serbie73.
Le gazage des Juifs du camp de Zemun n’était pas un mystère pour les Allemands. Dans le bureau de Schäfer, on en parlait comme d’«un secret de Polichinelle»74. Le camion était garé dans la cour du quartier général de la police. Ses chauffeurs le lavaient après chaque opération75. Cette cour, le camp de Zemun et le site d’ensevelissement étaient gardés par les hommes du 64e bataillon de la police de réserve. Le bruit courut76. Schäfer admit qu’il était impossible d’empêcher les bavardages. Lui-même avait enfreint la règle de confidentialité auprès de son personnel et confié «avec fierté» à un médecin militaire que «Belgrade était la seule grande ville d’Europe débarrassée de ses Juifs»77. Au printemps 1942, la femme de ménage de l’expert judiciaire de l’état-major de Turner, une Allemande de souche, lui demande si c’est vrai que «les femmes juives ont été tuées dans un camion à gaz»78. Un soldat allemand proche du Sipo-SD, au courant des exécutions des Juifs et des Serbes l’automne précédent — les détails des fusillades étaient le sujet de conversation favori à l’heure des repas — avait entendu parler du camion à gaz79. Même des soldats allemands sans rapport avec la SS savaient80. La rumeur se répandit jusque parmi les Juifs de Croatie qui n’étaient pas encore internés et les Juifs de Serbie réfugiés en Hongrie81. Si les Allemands conduisaient tous les jours un camion à gaz dans le bas de la ville de Belgrade avec des passagers qui, dans leur agonie mortelle, hurlaient et martelaient la portière arrière, le secret n’était pas une priorité. Sauf à l’égard des futures victimes qui ne se doutaient de rien. Plus tard, les traces de ces crimes furent effacées. En décembre 1943, le Kommando 1005 de Paul Blobel, chargé d’exhumer et d’incinérer les cadavres des charniers laissés par les Einsatzgruppen en Russie, arriva en Yougoslavie et nettoya, entre autres, les fosses communes d’Avala82.
Eu égard au nombre de victimes, la mise à mort des Juifs au Judenlager Semlin est un épisode mineur de l’Holocauste. Il n’en demeure pas moins instructif pour ce qui est du personnel et de son déroulement. Dans les camps de la mort en Pologne, le gros des effectifs provenait soit des formations à tête de mort, rompues au système concentrationnaire allemand, soit du programme d’euthanasie. En Serbie, hormis les diplomates, les bureaucrates et les officiers impliqués dans la politique antijuive de l’Allemagne, les SS chargés des gazages des Juifs n’étaient pas des vétérans endurcis par leur expérience dans le programme d’euthanasie ou les camps de concentration. La Yougoslavie était un théâtre marginal comparé à l’envergure des opérations militaires et des politiques d’occupation à l’Est. En Yougoslavie, les forces armées n’étaient pas de premier ordre. Les SS, sauf Schäfer, étaient des hommes à la carrière insignifiante et sans éclat. Or, à Zemun, le manque d’entraînement ou d’expérience ne fut pas un obstacle au crime de masse.
La SS a souvent été décrite comme une élite endoctrinée idéologiquement. Hautement disciplinée, loyale et obéissante, elle exécute les politiques les plus radicales de Hitler. Ces facteurs importants en éclipsent peut-être d’autres, essentiels. La SS est une organisation à facettes, un réservoir de main-d’ouvre compétente et spécialisée. La spécialisation et la division du travail, clés de la productivité humaine, expliquent la capacité de la SS à semer la destruction. Les organisateurs et les techniciens comptent autant que les exécuteurs; le champ des compétences autant que la discipline et l’engagement idéologique.
Mais la division et la spécialisation du travail n’ont pas seulement contribué à l’efficacité entre les mains des organisateurs des crimes de masse. Elles ont abouti à compartimenter et à rendre routinière la participation des acteurs en bas de l’échelle, améliorant leur capacité d’agir sur une base de «travail ordinaire». Les Einsatzgruppen étant quotidiennement confrontés à la réalité meurtrière de leurs actes, l’inefficacité et la lourdeur psychologique des méthodes de tuerie sont apparues aux organisateurs. Par comparaison, le développement du camion à gaz et son usage pour tuer les Juifs de Zemun anticipent l’efficacité et le détachement routinier des camps de la mort. Les gardes font leur métier: garder, que ce soit un pont, un camp de concentration ou une fosse commune. Les chauffeurs conduisent, que ce soit une limousine ou un camion à gaz. Les chimistes travaillent dans leurs laboratoires du crime pour résoudre des meurtres ou pour les faciliter. Les mécaniciens fabriquent dans leurs garages des véhicules en tout genre, pour toute sorte d’usage, que les superviseurs du département motorisé procurent et acheminent. Les commandants des camps font régner l’ordre dans les camps, que ce soit en menaçant les Serbes pour obtenir un minimum de denrées alimentaires afin de maintenir les prisonniers en vie un mois de plus, ou en inventant le règlement d’un camp de transit imaginaire afin, l’instant d’après, d’envoyer à la mort des prisonniers qui ne se doutent de rien.
Andorfer, qui connaissait les Juifs de Zemun en tant qu’êtres humains individuels, fut affligé, il faut reconnaître, par l’assassinat collectif. Mais la compartimentation des tâches apporte un réconfort. Il était chargé de surveiller les vivants dans le camp et d’assurer le secret de leur mort. Les opérations de tuerie n’étaient pas de son ressort. Le matin, il attendait le camion sur le pont; l’après-midi, après le déjeuner, il visitait le camp. Il a déclaré ne pas être un assassin. Il n’a pas inventé le camion à gaz et il ne l’a pas envoyé de Berlin. Il n’a pas chargé les prisonniers, il n’a pas raccordé le tuyau d’échappement, il n’a pas conduit le camion. «Le meurtrier, c’était mon gouvernement ! C’était un meurtre de bureau» (Der Mörder war meine Regierung ! Das war ein Schreibtischmord), où les organisateurs ont manipulé les «petites gens»83.
Certains comme Schäfer, hauts gradés à la carrière exemplaire, virent dans la mise à mort des Juifs de Zemun l’occasion de prendre du galon. Mais, sauf le chauffeur qui rassemblait autour de lui les enfants juifs et leur distribuait des bonbons, beaucoup pouvaient éviter de prendre conscience, de façon directe et intime, de leur participation à un crime de masse. Leurs victimes restaient des abstractions déshumanisées. Leurs actions étaient un accident de parcours. Ce ne sont pas les initiatives ni les ressources qui ont rendu possibles les assassinats collectifs, mais le détachement psychologique. Il a permis d’accomplir un travail ordinaire dans des circonstances qui ne l’étaient pas.
La chaîne de la complicité est longue: mécaniciens, chef du département motorisé, chimistes, chef des affaires techniques à Berlin, gardes, chauffeurs et réseau policier de la SS. Beaucoup d’entre eux avaient embrassé une carrière dans la police avant de rejoindre la SS. On ne tirera pas de jugement quantitatif à partir d’une étude de cas limitée. Mais les particularités institutionnelles et les fonctionnaires de la police allemande méritent autant d’attention que l’idéologie et la discipline de la SS.
En Serbie, la question du déroulement est aussi importante. La période qui s’étend du printemps 1941, avec la formation des Einsatzgruppen, jusqu’au printemps 1942 et, à la mi-mars, l’ouverture du camp de la mort à Belzec, est une phase confuse dans l’histoire de la politique antijuive des Allemands. Les documents ne révèlent rien du processus de décision au niveau le plus haut de la direction nazie. Un large éventail d’interprétations a vu le jour. À cause de ce manque d’informations, il faut tenter de reconstruire le processus de décision à partir de son reflet à l’échelon le plus bas.
La controverse ne sera pas résolue par la seule étude du cas serbe. Il témoigne cependant qu’entre l’automne 1941 et le printemps 1942, un changement radical a eu lieu dans la politique antijuive des Allemands en Serbie. L’exécution des Juifs de sexe masculin fut le produit de facteurs locaux liés à la lutte contre les partisans et à la politique de représailles de l’armée. Les Juifs adultes de sexe masculin étaient un réservoir de victimes commode et facilement remplaçable. Leur exécution a satisfait les quotas de représailles sans répercussion politique indésirable grave sur la guerre contre les partisans. Berlin a envoyé à Belgrade des SS et des représentants du ministère des Affaires étrangères pour trouver une «solution locale» à la question juive. À leur arrivée, ils s’aperçurent que la pression n’était pas nécessaire. Une solution locale était déjà en cours. Mais les fusillades massives de l’automne ne firent pas consciemment partie de la «solution finale» de la question juive à l’échelle européenne. À l’époque, si un tel plan avait été conçu, il était loin d’être réalisable. Les autorités à Belgrade et les représentants de Berlin avaient prévu de placer les femmes, les enfants et les vieillards juifs dans un camp de concentration et de les déporter dès que possible dans un «camp de rétention à l’Est» (alors que, manifestement, aucun camp de travail n’était destiné à cette catégorie de Juifs !). Or, il n’existait pas encore de pareil «camp de rétention» et les déportations n’étaient pas réalisables aussi tôt que Belgrade le souhaitait. Une autre solution s’est avérée faisable: envoyer un camion à gaz à Belgrade. Ce ne fut pas un massacre local spontané, approuvé et supporté par Berlin, mais la consommation en Serbie d’un plan plus large visant à détruire les Juifs d’Europe. La fierté avec laquelle Schäfer fit étalage de ses prouesses — «Belgrade est la seule grande ville d’Europe débarrassée des Juifs»84 — et le zèle avec lequel Turner chercha à s’attribuer le mérite de l’opération témoignent que tous deux savaient pertinemment de quelle façon ces événements étaient perçus à Berlin.
Complément bibliographique (par PHDN)
- Christopher R. Browning, «Sajmiste as a European site of Holocaust remembrance», Filozofija i drustvo, 2012 Volume 23, Issue 4
- Semlin Judenlager. Site en anglais sur l’histoire et la mémoire du camp de Zemun.
- Les lettres d’Hilda Dajc
Notes.1. Bundesarchiv-Militärarchiv Freibourg (ci-dessous BA-MA), RW 40/79: mémorandum de Schröder, 17 juillet 1941, et mémorandum de Turner, 27 août 1941. Voir aussi Helmut Krausnick, «Die Einsatzgruppen vom Anschluss Ôsterreichs bis zum Feldzug gegen die Sowjetunion. Entwicklung und Verhältnis zur Wehrmacht», Partie I de Die Truppe des Weltanschauungskrieges (Stuttgart, 1981), p. 137.
2. Vojno Istorijski Institut Belgrade (ci-dessous VII), archives allemandes, 27-2-38, annuaire téléphonique de la Feldnachrichten Kommandantur 32.
3. VII, archives allemandes, microfilm Prague, rouleau 8/photogramme 629.
4. VII, archives allemandes, 50-4-2, 50-4-7, 50-8-1, 66-2-3/a et 66-2-31.
5. NI-1575, rapport Gurski, 23 mars 1945.
6. Akten zur Deutschen Aussenpolitik, 1918-1945, (ci-dessous ADAP) Séries D, Partie 2 (Göttingen, 1970), pp.475-76.
7. Voir «Verordnung betreffend die Juden und Zigeuner» du 30 mai 1941. Une copie est au Jevrejski Istorijski Muzej, Belgrade (ci-dessous JIM), 21-1-1/20.
8. Zdenko Löwenthal, éd., The crimes of the Fascist Occupants and Their Collaborators Against Jews in Yugoslavia (Belgrade, 1957), pp. 2-3.
9. Christopher R. Browning, The Final Solution and the German Foreign Office (New York, 1978), pp. 56-62.
10. BA-MA, 17 729.8: Entrées des 26 et 30 septembre, 6 et 28 octobre 1941. (NOKW-193 et NOKW-262)
11. Politisches Archiv des Auswärtigen Amtes Bonn (ci-dessous PA), Gesandschaft Belgrad 62/6: Benzler à Agram, 29 octobre 1941, et Troll à Belgrade, 11 novembre 1941.
12. NOKW-801, Turner à la Feld- und Kreiskommandanturen, 11 novembre 1941.
13. Bundesarchiv Koblenz (ci-dessous BA, R 26 VI/GWS-476, correspondance du 16 décembre 1941.
14. NI-1575, rapport Gurski, 23 mars 1945.
15. Löwenthal, The Crimes of the Fascist Occupants, p. 4.
16. JIM, 24-2-2/4, témoignage du Dr. Lev Brandeis. Landgericht Köln, 24 Ks 1/52 et /53, Starfverfahren gegen Emanuel Schäfer (ci-dessous procès Schäfer), II, pp. 730-41 (témoignage de Hedvig Schönfein). Landgericht Dortmund, 45 Ks 2/68, Strafverfahren gegen Herbert Andorfer (ci-dessous procès Andorfer), II, pp. 8-11 (témoignage de Herbert Andorfer). Institut für Zeitgeschichte (ci-dessous IfZ), document Eichmann 1432 (rapport de Milan Markovic).
17. NOKW-1150, mémorandum du major Jais, décembre 194.
18. NOKW-610, rapport de 10 jours du plénipotentiaire général en Serbie, 20 décembre 1941.
19. VII, archives Nedic, 36-33/8-2, facture des provisions de bouche du Judenlager.
20. NOKW-1221, rapport de dix jours, 10 mars 1942.
21. NOKW-1077, rapport quotidien, 19 mars 1942.
22. Procès Andorfer, II, p. 42.
23. Löwenthal, The Crimes of the Fascist Occupants, p. 4. IfZ, document Eichmann 1119 (rapport d’A. Alexander).
24. VII, archives Nedic, 26-14/7-1, municipalité de Belgrade au département du service d’aide sociale, 15 décembre 1941.
25. VII, archives Nedic, 26-22/1-1 et 3, Enge à la municipalité de Belgrade, 31 décembre 1941, et municipalité de Belgrade au commandant du Judenlager, 1 janvier 1942.
26. VII, archives Nedic, 36-22/11-1, Enge à la municipalité de Belgrade, 1 janvier 1942.
27. VII, archives Nedic, 36-25/1-3, rapport d’Enge du 16 janvier 1942; 36-27/1-2, Enge à la municipalité de Belgrade, 20 janvier 1942.
28. VII, archives Nedic, 36-30/1-5, Andorfer à la municipalité de Belgrade, 1 février 1942.
29. VII, archives Nedic, numéro du document peu clair, municipalité de Belgrade au département d’aide sociale, 3 février 1942.
30. BA, R 26 VI/GWS-476: Jovanovic à Turner, 24 février 1942; Turner à Neuhausen, 16 mars 1942.
31. BA, R 26 VI/GWS-476: Jovanovic à Turner, 20 avril 1942; Ranze à Turner, 6 juillet 1942.
32. Centre de documentation de Berlin (ci-dessous CDB), dossier SS d’August Meyszner.
33. CDB, dossier SS de Schäfer. Procès Schäfer, II, pp. 185-91.
34. Procès Schäfer, III, p. 627.
35. CDB, dossier SS de Schäfer.
36. IfZ, Zs 573.
37. Krausnick, Die Truppe des Weltanschauungskrieges, p. 47.
38. H. G. Adler, Der Verwaltete Mensch: Studien zur Deportation des Juden aus Deutschland (Tübingen, 1974), pp. 129-33; Seev Goschen, «Eichmann und die Nisko-Aktion im Oktober 1939», Vierteljahrshefte für Zeitgeschichte 29/1 (1981), pp. 74-96. Cela rend grotesque l’affirmation de Schäfer selon laquelle le chef suprême de la SS et de la police Erich von dem Bach-Zelewski l’a accusé d’avoir fait de la Haute Silésie un «Eldorado» pour les Juifs et les Polonais et l’a rétrogradé à la Staatspolizeistelle de Cologne avec un personnel plus petit (100 au lieu de 400 personnes). Von dem Bach-Zelewski a nié avoir joué un rôle dans le transfert de Schäfer et offert l’explication la plus plausible: ce transfert aurait résulté du fait que le Gauleiter silésien Joseph Wagner, un protégé de Göring, dirigeait «ses» nouveaux territoires incorporés avec ses hommes, alors que Schäfer était loyal à Heydrich. Procès Schäfer, I, pp. 190-93, et II, pp. 266-67.
39. Justiz und NS-Verbrechen: Sammlung deutscher Strafurteile wegen National-sozialistische Tötungsverbrechen 1945-1966 (Amsterdam, 1974), XII, p. 575. Ce procès, 24 Ks 3/53 du Landgericht Köln, a suivi de près le procès de Schäfer pour crimes en Serbie et impliqué d’autres défenseurs.
40. Procès Schäfer, II, pp. 191 et 331.
41. Procès Schäfer, II, pp. 357 (témoignage de Walter U.); III, p. 585 (témoignage de Paul Bader); et II, p. 351 (témoignage du Dr. Jœrg-Wilhelm H.).
42. Justiz und NS-Verbrechen, XII, p. 595. Procès Schäfer, I, p. 90 (jugement du processus de dénazification de Bielefeld).
43. Procès Schäfer, II, pp. 206-8 (témoignage de Marianne K.), pp. 247-49 (Ernst M.), et p. 306 (Hans S.).
44. Procès Schäfer: II, pp. 348-49 (témoignage de Walter H.); p. 356 (August K.); et III, pp. 654-58 (Bruno M.).
45. Procès Schäfer, II, pp. 194-98.
46. CDB, dossier SS Sattler.
47. VII, archives allemandes, 32-12-3 (témoignage de Toma Pfeffer).
48. CDB, dossier SS Andorfer. Procès Andorfer, II, pp. 8-9, 42, et III, p. 305.
49. Landgericht Stuttgart, Ks 21/67, Strafverfahren gegen Edgar Enge (ci-dessous procès Enge); Haftheft, pp. 45-51, Hauptaken, pp. 44-47, 183. Procès Andorfer, I, p. 87.
50. Le Centre de documentation de Berlin ne contient aucun document d’officier SS au nom d’Edgar Enge.
51. NOKW-497, rapport Liepe, 13 octobre 1941. Procès Enge, Haftheft, p. 55.
52. CDB, dossier SS Turner, Turner à Wolff, 11 avril 194.
53. BA, NS 19/1730: rapport politique mensuel de Turner du 3 décembre 1941, et Gesamtsituationsbericht de Turner au Reichsführer SS, 15 février 1942.
54. Par exemple, dans son rapport du 15 février 1942, Turner affirme que la garnison de Belgrade a refusé de fusiller des Juifs, que l’Einsatzgruppe et la police placés sous son commandement ont abattu, sous ses ordres «exclusivement», tous les Juifs et Rroms de sexe masculin à Belgrade et déplacé les femmes et les enfants. En fait, le premier ordre de tuer les Juifs a été donné par le général Franz Böhme à Turner (NOKW-192 du 4 octobre 1941); la plupart de ces exécutions ont été menées par les troupes de l’armée (selon les rapports, les hommes de Turner ont fusillé 3 616 des 11 164 otages fusillés — environ un tiers — bien que les statistiques de l’armée de prennent pas en compte les fusillades des Juifs de Sabac (NOKW-474, Aktennotiz du 20 décembre 1941); la garnison de Belgrade faisait partie des troupes qui procédaient aux exécutions des Juifs (NOKW-905, rapport de Walther du 4 novembre 1941). Turner a brièvement retardé la livraison des Juifs aux pelotons d’exécution de l’armée (ADAP, XIII, Part 2, pp. 570-72, rapport de Rademacher sur son voyage à Belgrade, 25 octobre 1941); Browning, The Final Solution and the German Foreign Office, pp. 56-67).
55. Procès Schäfer, II, pp. 199-204, 331-34, 342-44. Landgericht Hannover, 2 Ks 2/65, Strafverhafen gegen Pradel und Wentritt (ci-dessous procès Pradel), VIII, pp. 55-57, et XII, pp. 238-39.
56. ADAP, XIII, Partie 2, pp. 570-72 et 805 (Luther Vermerck du 9 décembre 1941).
57. Procès Pradel, VII, pp. 55-57, et XII, pp. 238-39. Procès Enge, Hauptakten, p. 35.
58. Werner Präg et Wolfgang Jacobmeyer, éd., Das Diensttagebuch des deutschen Genralgouverneurs in Polen 1939-1945 (Stuttgart, 1975), p. 457.
59. Martin Broszat, «Hitler und die Genesis des 'Endlösung'. Aus Anlass der Thesen von David Irving", Vierteljarhshefte für Zeitgeschichte 25 (1977), pp. 739-75. La version anglaise de l’article de Broszat se trouve dans Yad Vashem Studies, XIII (1979), pp. 73-125. Pour ma critique de la thèse de Broszat, voir «Zur Genesis des 'Endlösung'. Eine Antwort an Martin Broszat», Vierteljahrshefte für Zeitgeschichte 27/1 (1981), pp. 97-109.
60. Procès Schäfer: II, pp. 331-374; III, pp. 624 et 690.
61. Pour le compte-rendu d’Andorfer, voir procès Andorfer, II, pp. 12-16, 41-46, et III, 3-31; procès Enge, Hauptakten, pp. 83-88, 99-103, 162-63.
62. Toutes les tentatives pour retrouver les chauffeurs Götz et Meier ont échoué. Les quelques chauffeurs de camions à gaz qui ont été identifiés étaient des chauffeurs à temps-plein du Sipo-SD assignés aux tâches relevant du camion à gaz. Procès Pradel, XV, pp. 49-56. Si le RSHA avait recours à ses propres chimistes et mécaniciens, ce n’est pas surprenant qu’il ait fait appel à sa propre équipe de chauffeurs expérimentés. Avec environ 4 000 véhicules, il ne manquait de rien.
63. Procès Schäfer, III, pp. 727-41 (témoignage de Schönfein).
64. Pour le témoignage de Karl L., voir procès Pradel, XII, pp. 223-32, et XIV, p. 125; procès Enge, Hauptaken, pp. 104-7; et procès Andorfer, I, pp. 149-152, et III, pp. 43-48. Pour le témoignage de Leo L., voir procès Pradel, XIII, pp. 47-50; procès Enge, Hauptaken, pp. 3-6, 25-30; et procès Andorfer, I, pp. 153-54, et pp. 48-51.
65. «Aussi comique que cela puisse sonner, je voudrais aussi mentionner ici qu’aucun cadeau ni aucune prime n’ont été donné par la direction à ceux qui ont participé à cette action» (So komisch es klingen mag, möchte ich auch hier erwähnen, dass seitens des Führung keinerlei Geschenken oder Belohnung an die an dieser Aktion Beteiligten stattgefunden hat). Pour le compte-rendu d’Enge, voir procès Enge, Haftheft, pp. 56-62, et Hauptakten, pp. 183-86; procès Andorfer, III, pp. 55-61.
66. Procès Pradel, XII, pp. 7-8; et procès Andorfer, I, p. 154.
67. Schönfein, l’épouse suisse et protestante d’un médecin juif, témoigna qu’ils étaient régulièrement 100 par voyage. Karl W. et Leo L. ont fait une estimation initiale de 100 par camion, mais l’ont ensuite diminuée à 50. Au rythme de huit voyages par semaine durant neuf semaines, la cargaison moyenne des gazages de 6 280 personnes fut de 87 par voyage.
68. Schönfein confirme qu’Andorfer était au camp le dernier matin. Leo L. donne le seul témoignage solide et digne de foi sur la fusillade des prisonniers serbes. Il est revenu de sa position de garde à l’entrée quand Enge a annoncé aux prisonniers qu’ils seraient abattus. Il est ensuite retourné à son poste et à entendu les fusils-mitrailleurs. Sans surprise, les témoignages d’Enge et de Karl L. sur cet incident sont inconsistants, non plausibles et présentés à leur avantage.
69. Trials of the Major War Criminals before the International Military Tribunal (Nuremberg, 1947-1949), XXVI, p. 109 (501-PS, Schäfer à Pradel, 8 juin 1942).
70. Procès Andorfer, I, p. 60 (témoignage de Kurt S.).
71. NOKW-1421, Felber à Meyszner, 24 décembre 1943.
72. PA, Pol. IV (348), mémorandum Rademacher, 29 mai 1942.
73. NOKW-926, rapport sur le voyage du Commandant militaire du Sud-Est en Serbie, 7-14 juin 1942.
74. Procès Pradel, XIV, p. 127 (témoignage d’Enge).
75. Procès Enge, Hauptaken, p. 58; et procès Andorfer, III, p. 58 (témoignage d’Enge).
76. Procès Pradel, XII, p. 8 (témoignage de Karl L.); et procès Andorfer, I, p. 59 (témoignage de Kurt S.).
77. Procès Andorfer, III, p. 42; procès Schäfer; II, p. 416; III, p. 497 (témoignage de Fritz M.) et p. 598 (témoignage de Ernst W.); II, p. 353 (témoignage du Dr. R.).
78. Procès Pradel, I, p. 213 (témoignage du Dr. Walter U.).
79. Procès Schäfer, III, pp. 647, 654-58 (témoignage de Bruno M.).
80. Landgericht Kassel, 3 Js 11/66, Ermittlungsverfahren gegen Walter Liepe, p. 30 (témoignage de Karl B.) et p. 44 (témoignage d’Anton S.).
81. JIM, 24-2-2/4 (témoignage du Dr. Lev Brandeis); procès Schäfer, II, pp. 387-88; et procès Pradel, I, p. 210 (témoignage d’Alexender F.).
82. Nürnberg Staatsarchiv Rep. 502 VI, T 4 (déclaration sous serment de Wilhelm Gustav temple).
83. Procès Andorfer, III, pp. 3-31, 67-70 (témoignage d’Andorfer au tribunal). Sur la compartimentation et la routine, voir aussi George Kren et Leon Rappoport, The Holocaust and the Crisis of Human Behavior (New York, 1980), pp. 140-141.
84. Procès Schäfer, I, p. 26 (témoignage de Frederick K.), et II, p. 353 (témoignage du Dr. R.).
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22/01/2014