David Irving chez les néo-nazis


Le 21 avril 1990 se tenait à la Löwenbräukeller de Munich une grande manifestation: une réunion de néo-nazis et de négationnistes du monde entier. La «fine fleur» de ces deux fanatismes était présente. Faurisson, Ersnt Zündel, l’ancien nazi Remer, la crème des néo-nazis comme Anthony Hancock, Michael Kühnen , Ewald Altans. Certains vont prendre la parole devant des hordes zieg-heilantes qui finiront d’ailleurs par chanter Deutchland über alles. David Irving faisait partie de la «fête». Le journaliste allemand Michael Schmidt était présent. Il a donné un récit, et des photos de cette grande «fête» dans son ouvrage Néo-nazis. La terrible enquête (J.-C. Lattès, 1993). Voici les passages (p. 318-325) où Irving apparait:

Voilà l’air du temps, ici. Au cœur de la Bavière, à Munich. Et tout particulièrement à la Löwenbräukeller, où a été prise la photo de famille. Mais ce jour-là, le 21 avril 1990, il y a encore autre chose. C’est le lendemain de l’anniversaire du «grand-oncle» Adolf. C’est aussi dans cette belle ville de Munich qu’Adolf Hitler avait entrepris en 1923 sa marche sur la Feldherrenhalle et avait tenté son coup d’Etat. Près de soixantedix-ans plus tard, tous s’accordent sur un point, au moins ici, dans la Löwenbräukeller: Munich est et demeure la «capitale du mouvement».

De grandes baies vitrées, à l’avant de la salle, laissent couler la lumière du jour jusqu’au milieu de la pièce, où elle se mêle, bleuâtre, à l’orange des lampes. Cette salle haute avec galeries, tribune et travées latérales n’a aucun mal à accueillir les huit cents personnes. On lit, lettre après lettre, le slogan «La vérité rend libre» sur les pancartes brandies, à l’avant de la tribune, par un alignement d’hommes vêtus de blousons d’aviateurs. Rien ne vous empêche, ici, de songer à un autre slogan, Arbeit macht frei, le travail rend libre: celui qu’on lisait à l’entrée du camp d’Auschwitz.

[…]

De temps en temps, on regarde aussi de l’autre côté, vers la travée latérale de la salle, où de jeunes hommes se tiennent assis en chemise brune et en Pantalons militaires. Ils ont un nerf de bœuf dans la Poche de leur veste et sont prêts à intervenir en cas d’incident. De temps en temps, les membres de ce service d’ordre martial répondent aussi aux regards qu’on leur adresse: «Bonjour» — la gentille dame à la jupe bavaroise connaît l’un d’entre eux: «Oui, oui, comment ça va? — Bien, merci», grogne en retour la chemise brune.

Jeunes et vieux s’entendent admirablement. Pas trace ici de conflits de générations. Car on a quelque chose en commun: armés de leur chope de bière, de saucisses blanches et de choucroute, ces ultra-Allemands attendent l’orateur qui va leur dire ce qu’ils veulent entendre. Ils attendent en veste de loden et en jupe bavaroise, en complet sombre ou en costume coton et synthétique, en blouson aviateur et en robe noire de jeunes Hitlériennes. Ce qu’ils sont venus entendre, c’est la révision de l’histoire. Le révisionnisme — une nouvelle version de l’histoire. Ils attendent de nouvelles «Vérités»: ils en ont assez de sentir la faute peser sur leurs épaules. La faute de la dernière Guerre mondiale, la faute des crimes de guerre, la faute de l’holocauste. Une faute qu’ils n’éprouvent pas le moins du monde comme un devoir, mais comme un fardeau. Ce fardeau, on va bientôt le leur ôter. La révision de l’histoire s’approche. Mais le «révisionniste», le rédempteur, ne vient pas de Bavière. C’est un ancien ennemi héréditaire, un Anglais. David Irving: tel est le nom de ce nouveau membre de la famille. Un historien que l’on qualifie volontiers de «controversé». Ses livres se vendent par millions dans le monde entier. […]

Les livres de David Irving sont ainsi lus par beaucoup de gens qui n’ont aucune idée précise sur l’identité de cet «historien anglais renommé». Bien sûr, on entend dire ici et là: «Il est contesté.» Mais ceux qui achètent ses ouvrages n’en savent manifestement pas beaucoup plus. […]

Les partisans du Deutsche Volksunion (DVU) connaissent déjà mieux la véritable personnalité d’Irving. Car le Londonien apparaît fréquemment et de bon cœur, moyennant un cachet rondelet, aux réunions du président Gerhard Frey, pour confirmer sous les applaudissements et devant la mer de drapeaux des teutonisants que les Anglais ont bien bombardé Dresde. Et que cela n’était pas du tout nécessaire.

Ici, en famille, dans la Löwenbräukeller, le lendemain de l’anniversaire du Führer, on connaît ce sujet sur le bout des doigts. Dresde, ici, n’intéresse que dans la mesure où l’on peut comparer le nombre des victimes avec celui d’autres victimes. Et cela, les tantes et les oncles du noyau familial s’en sont chargés depuis longtemps. Ici, David Irving doit changer de casquette Pour être accueilli à bras ouverts dans le cercle familial. Ici, on va «à l’essentiel». C’est de l’holocauste que l’on parle. Auschwitz! Majdaneck, Sobibor, Belzec, Kulmhof, Treblinka, Babi Yar, Chelmno, et tant d’autres lieux... tout cela est à présent réduit à Auschwitz. Ou plus exactement: aux chambres à gaz qui s’y trouvent.

Irving a une recette pour faire oublier tout cela: «La vérité rend libre». Mais seule «rend libre» cette «Vérité» qui leur ôtera cette culpabilité essentielle. C’est donc elle que l’on attend. Le gros monsieur au gilet de laine tape nerveusement des doigts sur la table. La rumeur s’amplifie à l’arrière de la salle quand quelque chose se déplace devant le stand des livres d’Irving. Les minutes s’écoulent. La tension devient presque insupportable. Même si chacun sait ce que va dire David Irving. Michael Kühnen regarde sa montre. Son fidèle, Gottfried Küssel, s’est annoncé, mais lui non plus n’est pas là.

© M. Schmidt
David Irving et le nŽo-nazi Thomas HainkeDavid Irving, le néo-nazi Thomas Hainke à ses côtés, s’adresse à 800 personnes

Thomas Hainke, le «Gauleiter de Westphalie Orientale - Lippe» bronche à peine quand je lui souris. Il est en service. Il se tient juste à côté du pupitre de l’orateur, tendu, tout de noir vêtu comme le veulent les circonstances, bottes aux pieds. La tête dressée, il tient, formant un angle décoratif, le drapeau du Reich noir-blanc-rouge. Il surveille le pupitre, voilà une mission amusante! Je me demande encore un instant si je vais l’interroger tout de suite sur ses nouvelles «blessures de guerre», mais David Irving arrive. Ce sera pour plus tard.

Le Zarathoustra de Richard Strauss retentit dans les haut-parleurs. Les cuivres monumentaux font vibrer la salle. Puis des ovations se mêlent aux sons de fanfare. Et David Irving remonte la travée, entre les bancs des spectateurs, avec la grâce de l’homme habitué aux applaudissements. Il ne manquerait plus que les vieilles dames lui attrapent la main pour la baiser.

Irving porte un costume noir. Regard droit, chemise blanche, il rayonne de cette compétence souveraine indispensable pour mener à bien la révision de l’histoire. Il a été chez Thyssen, en Allemagne, quand il avait vingt et un ans, en tant que métallurgiste — cela explique que l’allemand coule presque sans peine de sa bouche britannique:

«J’ai la vérité!» tonne Irving après une longue présentation. Puis il entretient le suspens. Il ne «le» dit pas encore.

«Nous savons...» proclame-t-il finalement,

«... si je le mentionne ici, c’est seulement comme note de bas de page...»

Mais c’est précisément cette note-là, ce «détail», qu’ils attendent tous. Irving le sait. Les huit cents spectateurs retiennent leur souffle. Irving les libère: «qu’il n’y a jamais eu de chambres à gaz à Auschwitz!...» «Ouiiii» hurle le peuple, ivre de bonheur. Irving doit s’interrompre, car l’ovation n’en finit pas. Comme une jubilation après une émotion torturante, le bonheur de cette innocence toute fraîche jaillit de la poitrine des auditeurs. Pas de chambres à gaz — pas d’extermination de masse — pas de culpabilité. «Bravo!» crie le retraité robuste. «Bravo!» Au milieu de la salle, quelques personnes se dressent. Ovation debout pour la «libération». La dame à permanente et au col pointu s’essuie le nez. Reconnaissante, secouée par l’émotion. Quel délice, quel plaisir!

Ici, Irving ne tient pas à ce qu’on le prenne pour un historien sérieux. Il explique donc ce qui lui paraît logique:

«De la même manière que la chambre à gaz de Dachau, dans les premières années d’après-guerre, était un leurre, les installations de chambres à gaz que l’on présente aujourd’hui aux touristes à Auschwitz ont été construites après la Seconde Guerre mondiale par la Pologne actuelle. Les preuves existent, les installations ont été examinées par des chimistes, nous avons publié dans le monde entier des documents sur ce sujet - je peux vous le dire, mesdames et messieurs: la poussière qui tourbillonne à présent va abasourdir nos ennemis!»

Cette promesse de propager la bonne nouvelle jusqu’à l’épuisement de l’adversaire provoque de nouvelles ovations.

«Aaah! Tout à fait!» «Exactement» «Bravo!» «Très juste!» — les témoignages d’assentiment s’individualisent, mais ils ne cessent pas pour autant. Irving, au pupitre, muet, laisse passer la vague. A côté de lui, Thomas Hainke tient fermement son drapeau du Reich, sans se départir de son air grave et énergique.

«Il n’y a qu’une vérité», proclame Irving avec la fougue de l’illuminé, «et c’est la vérité totale! La vérité rend libre!»

A présent, les huit cents auditeurs libérés ne tiennent plus sur leur chaise. Nouvelles ovations debout. «Vérité totale» comme «guerre totale», «la vérité rend libre» comme «le travail rend libre»: c’est exactement ce dont on a besoin en ce moment. En avant, sus à l’ennemi! Les «galopins juifs» changeront d’avis quand on les confrontera aux preuves accablantes qu’Irving dépose sur la table!

Ces «preuves», ainsi que Michael Schmidt le rapporte, ce sont le frauduleux «rapport Leuchter», ainsi que la prose de l’ancien SS, Thies Christophersen qui devait plus tard avouer à Schmidt qu’il mentait pour défendre le nazisme (p. 377).

On trouvera un compte-rendu assez détaillé du reportage de Michael Schmidt («La peste brune. Voyage à lintérieur du néonazisme», diffusé à la télévision en décembre 1991) par Henry Rousso, dans Vingtième Siècle, Revue d’Histoire, 1992, no34 (en ligne).

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