Rassinier, Itinéraire d’un antisémite « banal »

Interview de André Larger sur l’ouvrage de Nadine Fresco

Le Pays, 18 mars 1999

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Adresse originale de l’article (aujourd’hui disparu) : http://www.lepays.net/jdj/99/03/18/BE/article_27.html


Considéré comme le père du « révisionnisme », Paul Rassinier ne cesse, depuis quelques années, de susciter l’intérêt des historiens. Après Florent Brayard et son « Comment l’idée vint à M. Rassinier », paru en 1996, c’est aujourd’hui Nadine Fresco, dont l’ouvrage « Fabrication d’un antisémite » vient de sortir qui renouvelle la connaissance que nous avons de ce personnage surprenant. Mais qui donc était Paul Rassinier ? Ce sera notre question du jour à Belfort.

On croyait tout connaître de Paul Rassinier et voilà que Nadine Fresco, dans la magistrale étude qu’elle vient de lui consacrer, fait table rase, ou presque, de nos certitudes et nous oblige à jeter un regard nouveau sur ce que fut son itinéraire politique et intellectuel. Comment expliquez-vous cela ?

Jusque-là, les chercheurs s’étaient surtout intéressés aux vingt dernières années de la vie de Paul Rassinier, lorsque, ayant fui le Territoire, il règle ses comptes avec une société qui n’a pas voulu lui accorder les honneurs auxquels il aspirait, en sombrant dans le négationnisme. Exilé à Mâcon, Nice puis Asnières, il nie l’horreur des camps de concentration, met en doute l’existence des chambres à gaz, fait des SS des victimes du système, dénonce le mensonge juif, etc. Comment en est-il arrivé là ? Comment un fils d’agriculteur élevé dans le droit fil de la religion catholique a-t-il pu devenir le père du révisionnisme ? C’est la question à laquelle s’est attaquée Nadine Fresco car, nous dit-elle, on ne naît pas naturellement antisémite, on le devient. L’antisémitisme, heureusement pour l’humanité, n’est pas une maladie génétique.

Paul Rassinier n’est pas né antisémite, dites-vous. Alors comment l’est-il devenu ? Est-il tombé dedans lorsqu’il était petit ?

Pas exactement, l’antisémitisme n’étant pas non plus une potion. Mais, depuis les dernières décennies du XIXe siècle, depuis Drumont surtout, depuis l’affaire Dreyfus ensuite, il imprégnait, prononcé ou diffus, pratiquement tous les milieux, de l’extrême gauche à l’extrême droite, les pacifistes n’étant pas épargnés. L’afflux d’immigrants juifs de l’Est, dans les années vingt, n’a fait que renforcer ce sentiment et poser avec plus d’actualité ce que l’on appelait pudiquement la « question juive », ici à Belfort comme ailleurs. Mais quantité de Français ont été soumis à cette influence antisémite et n’ont pas sombré dans un antisémitisme forcené. Alors pourquoi Paul Rassinier fait-il exception ? C’est là tout le problème.

Nous recherchons les influences auxquelles a pu être soumis Paul Rassinier. Qu’en est-il à ce point de vue de son milieu familial ?

Les Rassinier sont depuis longtemps installés dans la Porte de Bourgogne. On trouve leur trace à Charmois depuis le XVIIe siècle au moins. Joseph, le père, est l’un des premiers de cette famille d’agriculteurs à poursuivre des études au-delà de l’école primaire. Il obtient son brevet élémentaire, s’engage pour trois ans et fait campagne au Tonkin. A son retour, il se marie et s’installe à Bermont où son épouse a hérité d’une ferme à proximité de l’église. C’est là que naît, en 1906, le petit Paul. Tout le monde va à l’église et mène une vie conforme à la tradition catholique. Joseph le père, caractère entier et coléreux, est un insatisfait. Il estime qu’il n’a pas la place qu’il mérite dans la société. Agriculteur, c’est trop peu pour lui qui a étudié. Excellent polémiste, il collabore, quelques années durant, aux journaux locaux de droite, antisémites par nature. Il est mobilisé durant la Première Guerre mondiale et, à son retour, rompt brutalement avec l’Eglise. En 1923, bénéficiant de circonstances particulières, il est élu conseiller général sur la liste communiste ! Il sera réélu constamment jusqu’à sa mort. Il a obtenu ce qu’il voulait, il est satisfait et devient un notable qui ne marchande pas son dévouement au service de ses électeurs. En 1923, il quitte le parti communiste à la suite de Ludovic Oscar Frossard et entre à la SFIO. Voilà pour le milieu familial.

Quels sont les rapports entre le père et le fils ?

Lorsque le père est rendu à la vie civile après la guerre 1914-1918, ils paraissent s’être tendus. Paul a un caractère entier, emporté, comme son père, comme lui il veut réussir à s’imposer, à être quelqu’un. Certaines de ses prises de position se font en rupture avec le père. Etant l’aîné, il doit faire des études, c’est la volonté paternelle. Il entre à l’école primaire supérieure de Luxeuil mais, étant d’intelligence moyenne, voire médiocre, il échoue en 1922 au concours d’entrée aux écoles normales de Vesoul et de Chaumont. Il ne fait pas partie des meilleurs, c’est là le drame de sa vie. Il doit s’y reprendre à plusieurs fois pour réussir là où d’autres s’imposent sans effort apparent. En 1923, il entre à l’école normale de Belfort où il ne sera pas un élève très brillant.

Vous avez parlé de rupture avec le père ?

Alors que son père quitte le parti communiste pour la SFIO, lui entre en 1923 au parti communiste. Ici à Belfort, ce parti est alors exsangue. Tous ses militants chevronnés l’ont quitté à la suite de Ludovic Oscar Frossard. Jeune, inexpérimenté, Paul Rassinier est une proie facile pour la propagande bolchevique, stalinienne. Il y acquiert les modes de pensée et de raisonnement ainsi que les idées rudimentaires qui lui tiendront lieu, sa vie durant, de culture politique : rejet de la guerre comme produit du capitalisme, dénonciation du système capitaliste et de ses valets, les banquiers et usuriers juifs, défense de l’Allemagne humiliée et odieusement exploitée par le traité de Versailles de 1919, etc.

Pourquoi l’influence du parti est-elle si forte sur Paul Rassinier ?

Ce n’est pas un esprit brillant, pas un intellectuel, mais un tâcheron. Il n’assimile pas, ne soumet par le corpus idéologique au crible de la raison, il se bat, il invective, il martèle, il éructe, il cherche le corps à corps... C’est avant tout un militant extraordinaire, un bourreau de travail qui ne ménage pas sa peine au service de son parti. Ce qu’il veut c’est, par la politique, se faire une place au soleil. Son père a réussi à devenir conseiller général, pourquoi lui ne ferait-il pas aussi bien et même mieux ? Exclu du parti communiste en 1932, il adhère, après une période intermédiaire, au parti socialiste. Du jour au lendemain, il brûle ce qu’il avait adoré et tombe à bras raccourcis sur ses anciens amis.

Beaucoup d’autres ont fait comme lui. Il n’y a là rien que de très ordinaire comme démarche.

Certes, mais pour lui c’est une occasion nouvelle d’essayer d’arriver au premier rang. Expulsé malgré lui du parti communiste, il est à la recherche d’un nouveau tremplin pour se propulser plus haut. Français moyen, instituteur moyen, d’intelligence moyenne, il est bourré d’ambition. Il devient secrétaire adjoint de la SFIO aux côtés de René Naegelen, sans grand relief lui aussi mais beaucoup plus courtois et policé que lui. Paul Rassinier écrit dans « Germinal » et « Le Territoire » dont il assume la parution. En 1936, dans la circonscription de Belfort-campagne, il réalise un excellent score. Le drame pour lui, ce n’est pas l’élection prévue du candidat de droite, mais la concurrence à gauche du radical Pierre Dreyfus-Schmidt, beaucoup plus brillant que lui, issu d’un milieu qu’il exècre et, qui plus est, de confession israélite.

Pierre Dreyfus-Schmidt, qui va devenir son « ennemi public » numéro un, celui qui l’empêchera d’accéder aux responsabilités dont il rêve ?

Absolument. Pierre Dreyfus-Schmidt, voyant qu’aucun accord n’est possible avec Rassinier, le supporte. Face à ses furieuses attaques personnelles, le maire de Belfort dira, un peu plus tard : « Je ne lui en veux pas. Je le connais de longue date. Il ne se rend compte des violences de langage que quand ce n’est pas lui qui les commet ». Mobilisé en 1939, Paul Rassinier est rendu à la vie civile en 1940 et reprend son métier d’instituteur. En 1942, il rejoint la Résistance au sein de Libération-Nord, puis en 1943 un groupe d’intellectuels parisiens, les « Volontaires de la liberté » qui veulent faire paraître un journal et trouvent en lui l’homme dont ils ont besoin. Le 1er novembre 1943 paraît le premier numéro de « IVe République ». Ce sera le seul car, le 30 du même mois, Rassinier est arrêté dans sa classe, sauvagement torturé à la caserne Friedrich, transféré à Compiègne puis déporté en 1944 dans les camps de Buchenwald et Dora.

Lorsqu’il rentre de déportation, comment se présente la situation politique dans le département ?

Lorsqu’il revient, en 1945, c’est en ambulance. Sa santé est ruinée à jamais, suite aux tortures subies. Il est fréquemment obligé de s’allonger et d’effectuer des séjours à l’hôpital. Et puis, il rentre après tout le monde. Pierre Dreyfus-Schmidt, son adversaire traditionnel d’avant 1940, est revenu avec la Première armée française, en novembre 1944, a repris son poste de maire et a conforté l’implantation du parti radical socialiste. Malgré sa santé précaire, Paul Rassinier reprend les rênes du parti socialiste, fait paraître un journal « IVe République », dont il s’est approprié le titre et multiplie réunions et débats publics, mais échoue face au maire de Belfort allié aux communistes. Il n’est toujours rien. Il n’a toujours aucune responsabilité publique. Sa rancoeur envers Pierre Dreyfus-Schmidt ne connaît plus de bornes.

Il finit tout de même par être élu en 1946 ?

Victoire à la Pyrrhus. Election pour quelques semaines. Chant du cygne. C’est la grande affaire de l’année 1946, décisive pour la suite de sa vie. Lors de l’élection à la seconde assemblée constituante, il n’est que suppléant de Naegelen, car malade. Profitant d’une fausse manoeuvre de Pierre Dreyfus-Schmidt qui s’est séparé des communistes, René Naegelen est élu député, puis démissionne pour laisser la place à Paul Rassinier qui, enfin, occupe une place, qui pour lui, est un dû, une reconnaissance logique de sa valeur. Mais pour quelques semaines seulement, car la Constituante, son travail achevé, cesse d’exister début octobre. Qu’importe, Paul Rassinier, dont l’égo n’a d’égal que l’aigreur du caractère, peut enfin écrire député sur sa carte de visite !

Son but est atteint, il peut respirer et préparer l’élection législative suivante, celle de novembre 1946, dans la sérénité ?

C’est mal le connaître. Il se sent en état d’infériorité par rapport au maire qui a renoué avec le parti communiste. Il se livre contre lui à des attaques personnelles d’une violence rare. Il franchit délibérément le seuil de l’antisémitisme, traitant Pierre Dreyfus-Schmidt de « sieur Dreyfus », de spécialiste du « bédite gommerce », etc. Outrés, écoeurés par « la campagne de racisme à laquelle se livre l’organe de la fédération », plusieurs des membres les plus influents de la SFIO quittent le parti. Privé de soutiens importants, Paul Rassinier est battu et quitte définitivement le Territoire l’année suivante.

C’est alors qu’il commence sa carrière d’écrivain, celle qui le fera connaître et assurera la pérennité de son souvenir ?

L’orientation nouvelle de son action, il l’écrit dans une lettre au syndicaliste pacifiste Monate, datée de 1947 et citée par Nadine Fresco : « Condamné à l’inaction, je vais en profiter pour procéder par moi-même à une révision des valeurs révolutionnaires et autres. Où ça me conduira, je n’en sais rien... »

Cela nous le savons aujourd’hui ?

Malheureusement. Tout au long de ses ouvrages et de ses articles, ce sera un lent glissement vers les thèses dites par la suite négationnistes, ce qui le conduit à minimiser l’horreur des camps de concentration, à nier l’existence des chambres à gaz, à défendre l’action de SS, à dénoncer le péril juif, etc. Qui plus est, il correspond avec Johann von Leers, l’ancien adjoint de Goebbels réfugié au Caire, rencontre le frère d’Eichmann, donne des conférences dans les milieux pro-nazis en Allemagne... Aigri, il règle ses comptes à distance. Lorsqu’il meurt en 1967, il a néanmoins conservé de nombreux amis. Il aurait peut-être alors sombré dans l’oubli si, une dizaine d’années plus tard, un certain Robert Faurisson, maître de conférence à l’université de Lyon, ne s’était appuyé sur ses écrits pour, à son tour, nier le génocide juif et l’existence des chambres à gaz, dénoncer le mensonge sioniste, faisant ainsi de Paul Rassinier le premier des négationnistes et le père du révisionnisme. Telle fut la destinée de ce Français moyen, destinée qui aurait pu être tout autre, comme l’écrit Nadine Fresco, « s’il avait pu recevoir par les urnes la légitimité qu’il attendait de son Territoire, si ces concitoyens immédiats lui avaient accordé par leurs votes un titre de maire ou de député ». Alors « les négationnistes auraient dû se trouver une autre figure de fondateur ». Ce ne fut pas le cas.

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01/06/2010 — mis à jour le 07/07/2010