Sajmište, un camp d’extermination en Serbie
Menachem Shelach
Traduction de l’article de Shelach «Sajmište — an extermination camp in Serbia», Holocaust and Genocide Studies, Vol. 2, No. 2, pp. 243-260, 1987, version revue de l’article paru dans Studies ont the Holocaust Period IV (Université de Haïfa, 1986).
Traduit de l’américain par Philippe Bertinchamps — Paru dans Staro Sajmiste: un camp de concentration en Serbie, Non Lieu, 2012.
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Sur la rive gauche de la Save non loin de son confluent avec le Danube se dresse Sajmište1, l’ancien parc des expositions. Les baraques décrépites, dissimulées par les buildings de Novi Beograd, abritent des Rroms et des sans-logis, exclus de la société socialiste. Un groupe se blottit autour du feu. Le linge sèche au vent à l’ombre d’une tour jadis imposante. Près de l’ancienne entrée principale, ces mots:
«Entre 1941 et 1945, ce lieu fut un camp de concentration établi par les fascistes allemands. Souvenons-nous des victimes qui périrent ici».
La petite plaque attire discrètement l’attention. Quarante-cinq ans plus tôt, ce lieu retentissait des cris de désespoir de milliers de femmes et d’enfants. Au printemps 1942, près du portail aujourd’hui démantelé, ces femmes et ces enfants ont été poussés dans un camion à gaz et mis à mort durant le parcours dans Belgrade. La tragédie des Juifs de Serbie a pris fin ici, en ce lieu abandonné.
Que faire des femmes et des enfants?
Le 6 avril 1941, l’Allemagne et ses alliés envahissent la Yougoslavie. Quinze jours plus tard, l’armée yougoslave capitule. L’État est démantelé. L’Allemagne occupe la Serbie, cœur de la Yougoslavie et foyer de son indépendance. Dans la foulée, les autorités militaires s’installent à Belgrade. Un général est à leur tête, mais divers services luttent entre eux pour exercer l’hégémonie sur la Serbie. L’administration civile est entre les mains du Gruppenführer SS Harald Turner, un technocrate, ancien chef de l’administration militaire à Paris. Turner est un SS de la première heure. Il a ses entrées dans les hautes sphères de la hiérarchie. Son autorité s’étend sur les affaires civiles. Une unité spéciale des troupes du RSHA, l’Einsatzgruppe Serbien, lui obéit (et parfois s’oppose à lui). Les tâches de cette unité sont les mêmes que celles des troupes de choc en Pologne: sécurité intérieure, lutte contre les ennemis de l’Occupation, suivi des éléments suspects, gestion du problème juif. Le Standartenführer SS Wilhelm Fuchs commande cet Einsatzgruppe jusqu’en janvier 1942. Il est remplacé par le Gruppenführer SS August Meyszner et son adjoint le Standartenführer SS Emanuel Schäfer. Statuent également sur la «question juive»: Felix Benzler, diplomate, plénipotentiaire du ministère des Affaires étrangères, et Franz Neuhausen, plénipotentiaire général pour l’économie en Serbie et responsable devant Göring. Il est attendu de ces hommes qu’ils prennent des mesures coordonnées avec l’armée suite à l’insurrection serbe en juillet 19412.
La Gestapo est en charge de la politique antijuive. À sa tête, le Sturmbannführer SS Bruno Sattler. Le Sturmführer SS Stracke contrôle le Département des affaires juives. Au lendemain de l’Occupation, une série de lois antijuives est publiée à Belgrade: enregistrement obligatoire, destruction des emplois, recensement des biens (c’est-à-dire pillage légalisé), restriction de mouvement, ségrégation, travail forcé3.
Après la déclaration de guerre entre l’Allemagne et la Russie le 22 juin 1941, l’oppression des autorités allemandes sur la population provoque une insurrection spontanée. Pour l’étouffer, les Allemands maintiennent tous les Juifs de sexe masculin en détention préventive dans des camps de concentration, sous prétexte que les «Juifs incitent la population à la révolte». Or, les Allemands le savent: peu de Juifs ont pris le maquis et pratiquement aucun ne figure parmi ses chefs4.
Les Juifs qui s’apprêtent à rejoindre la résistance en sont empêchés à cause du contrôle sévère exercé par les Allemands. Parmi les centaines d’actes de sabotage, nous savons (comme les Allemands le savaient) qu’un seul fut commis par un jeune Juif5.
Fin août 1941, les Juifs de sexe masculin sont internés dans des camps de concentration, dont celui de Topovske Šupe à Belgrade. Les fusillades collectives ont débuté conformément à la stratégie de représailles. Hitler et le maréchal Keitel, chef de l’OKW (Oberkommando der Wehrmacht, Haut Commandement des Forces armées), ont donné l’ordre de fusiller cinquante à cent «communistes» pour tout Allemand tué. L’état-major en Serbie opte pour le nombre le plus élevé et prescrit de tuer cinquante otages pour tout Allemand blessé. Dans sa campagne contre les partisans, l’armée allemande pille, incendie des villages et chasse les habitants. La Wehrmacht, faut-il le rappeler, agit volontairement et en toute conscience6.
Les Juifs n’ont pas pris part à l’insurrection serbe mais ils ont été la cible des mesures de rétorsion de l’armée allemande. Fin 1941, presque tous les Juifs de sexe masculin ont été abattus. Un historien serbe notera que «l’insurrection des Serbes n’a été, aux yeux des Allemands, qu’un prétexte pour annihiler [les Juifs]»7. Quand les quotas d’otages requis par l’armée ne sont pas atteints, les hommes du SD livrent des prisonniers juifs.
Le destin des femmes et des enfants juifs est planifié avant que les fusillades des hommes ne s’achèvent. En octobre 1941, tandis que les pelotons de la Wehrmacht font des heures supplémentaires, des hauts fonctionnaires de l’armée sont convoqués à Belgrade à l’initiative de Harald Turner et de Felix Benzler pour examiner la «question juive» en Serbie. Les deux hommes implorent Berlin de les soulager du «fardeau juif». Ils préconisent les déportations en Roumanie ou à l’Est. Berlin refuse, mais leur insistance agace le ministère des Affaires étrangères et le RSHA. Ribbentrop transmet à Martin Luther, chef de la Division Allemagne, qui fait passer à Franz Rademacher, chef du Referat juif, qui s’en remet à Adolf Eichmann, son homologue au RSHA. Lors d’une communication téléphonique en présence de Luther, Rademacher prend conseil auprès d’Eichmann: que faire des Juifs de Serbie? La réponse fuse, concrète: «Fusillez-les!» (Erschiessen)8. Luther envoie un message irrité à Benzler, son délégué à Belgrade:
«Si l’état-major de l’armée allemande en Serbie estime que les Juifs interfèrent dans l’opération de nettoyage… il est de son devoir de s’en débarrasser… Dans d’autres territoires [d’Europe], d’autres commandants militaires se sont chargés de quantités bien plus considérables de Juifs sans même le mentionner»9.
À cause des mauvaises communications, Eichmann et le ministère des Affaires étrangères ignorent tout de l’ampleur des tueries commises par la Wehrmacht en Serbie. En octobre 1941, Rademacher part en mission d’évaluation à Belgrade. Il est accompagné par le Sturmbannführer SS Suhr et l’Untersturmführer SS Stoschke, deux émissaires d’Eichmann. Ils rencontrent Turner, Benzler et Fuchs. Ceux-ci les informent des initiatives de l’armée et de l’exécution des Juifs de sexe masculin. La «question juive» en partie résolue, l’état-major en Serbie attend que Berlin l’aide à se débarrasser des femmes et des enfants. Turner et Benzler plaident de nouveau en faveur des déportations en Roumanie ou à l’Est. Rademacher, qui parle au nom de Ribbentrop, exclut l’option roumaine. Les hommes d’Eichmann, quant à eux, expliquent que les déportations à l’Est sont suspendues jusqu’à l’été 1942. Leur conclusion est de grouper provisoirement les femmes et les enfants juifs dans un camp et de s’occuper d’eux plus tard10.
Turner et son équipe cherchent un site. Ils songent d’abord à créer un ghetto dans le quartier rrom de Belgrade. Mais l’insalubrité du lieu les répugne, eux pourtant pas délicats quand il s’agit des Juifs. Quelqu’un lance l’idée de transférer ces Juifs en bateau sur une île du Danube près de Mitrovica. Le plan est abandonné après des inondations causées par les pluies. Finalement, la solution est trouvée à un jet de pierre du quartier général. Sur la rive gauche de la Save, près du pont de Zemun, à un petit kilomètre du centre-ville, se dresse un complexe de bâtiments vides construit avant la guerre: le parc des expositions. Connu sous le nom de Sajmište, il a été bâti par la municipalité de Belgrade à la fin des années 1930 dans le but d’attirer le commerce international, mais la guerre y a mis fin. Un officier a alors l’idée «brillante» de l’aménager en camp de concentration. Les femmes et les enfants juifs, qui constituent un «danger pour l’ordre public et la paix», y seront regroupés.
Le lieu convient à merveille. Les détenus sont surveillés sans effort et ne peuvent pratiquement pas s’évader. La proximité des centres administratifs et de la Police de sécurité renforce le contrôle. La gare centrale de Belgrade n’est pas loin, idéale pour le transport des Juifs de Serbie à Sajmište, puis à l’Est11. Dans l’enceinte, des pavillons de différentes tailles servent à de multiples fins: logement, administration ou stockage. La tour centrale est transformée en tour de guet.
Sajmište a deux «points noirs»: non seulement tout le monde en ville peut voir ce qui s’y passe depuis la colline du parc de Kalamegdan, située en face, mais en plus, il est situé sur le territoire de l’«État indépendant de Croatie», un État fantoche créé de toutes pièces par les Allemands lors du dépeçage de la Yougoslavie et dirigé par un groupe paramilitaire fasciste, les oustachis. L’obstacle de la souveraineté sera franchi, le gouvernement croate acquiescera à la requête du ministère des Affaires étrangères12. Quant au secret de l’opération: les Allemands paraissent sûrs de la victoire, la découverte éventuelle de leurs crimes ne les émeut pas. La contradiction est flagrante entre les ordres secrets concernant les massacres et les activités au grand jour à Belgrade. En 1943, un an après la mise à mort des Juifs, Herman Neubacher, le représentant des Affaires étrangères dans les Balkans, voudra fermer le camp, car «son existence continuelle à la vue des gens de Belgrade est politiquement intolérable en raison des sentiments publics». Sa demande sera rejetée13. Mais pour l’heure, le gouvernement croate ayant gracieusement accordé son autorisation, Turner avertit tous ceux concernés par l’opération de s’apprêter au transfert des femmes et des enfants juifs de Serbie14.
Dans un article remarquable sur Sajmište, le professeur Christopher Browning met en relief le haut degré de coopération et l’harmonie inhabituelle qui ont prévalu dans la gestion de Sajmište. Si les «cinq rois de Serbie» (ainsi que Browning nomme l’état-major militaire: Bader, Fuchs, Turner, Benzler, Neuhausen) sont notoirement incapables de s’entendre, la sélection, la construction, le financement du Judenlager Semlin (Sajmište), ainsi que les négociations diplomatiques, révèlent une collaboration fructueuse15. Bader assure la logistique. Turner coordonne l’opération. Fuchs contrôle le camp, ses policiers montent la garde et organisent les gazages. Benzler règle la diplomatie. Neuhausen, qui tient les cordons de la bourse, finance.
Le camp est prêt
Trois semaines passent entre l’ordre de Turner et les premiers arrivages de détenus. Des équipes de travail composées d’hommes juifs, gardés en vie pour cette raison, préparent le camp afin d’accueillir un grand nombre de gens16. Au début de la guerre, Sajmište a été endommagé par les bombardements allemands. Les fenêtres des pavillons sont brisées, les murs lézardés, les toitures béantes et les portes manquent. Les bâtiments sont inadaptés au logement. Les travailleurs réparent tant bien que mal les dégâts; des fenêtres sont murées, des portes remplacées, mais le toit ne peut être remis en état et l’ensemble des réparations reste très sommaire. Dans le plus grand pavillon (numéro 3), des châlits en bois sont érigés sur trois niveaux. Les bâtiments plus petits font office d’infirmerie, de cuisine, buanderie ou bureaux. Les préparatifs révèlent une totale indifférence aux conditions de vie des détenus. Quatre rangées de barbelés ceinturent le camp, des miradors munis de projecteurs sont dressés17.
Le 3 décembre 1941, lors d’une réunion à Belgrade en présence du général Kuntze, adjoint du général en chef de l’armée allemande dans les Balkans, la décision est prise d’«interner tous les Juifs et les Rroms au camp de Zemun [Sajmište], car il est prouvé que ce sont des agents de renseignement des insurgés»18. Quatre jours plus tard, le 7 décembre, la police serbe, qui avait prêté main-forte aux Allemands lors des rafles, ordonne aux femmes juives de se présenter le lendemain au quartier général de la police, 23 rue Washington, accompagnées de leurs enfants. Elles sont autorisées à emporter de la nourriture pour trois jours, ainsi que leurs effets personnels. Elles doivent verrouiller leur appartement et déposer les clés, l’adresse indiquée sur une étiquette, à la police.
Le 8 décembre, des centaines de femmes et d’enfants juifs marchent dans les rues de la capitale en emportant leurs derniers biens. La police fouille les arrivants et s’empare des objets de valeur19. C’est une journée d’hiver glaciale. Les gens se blottissent les uns contre les autres en attendant l’arrivée des camions, en fin de matinée. Durant trois jours, ces camions font la navette. Ils transportent environ 5000 personnes, bientôt massées dans un unique pavillon. Dedans, la confusion règne. Les détenus se bousculent à la recherche d’un endroit où s’étendre. Les enfants pleurent, les bébés braillent, les malades gémissent, les vieillards s’effondrent; des rixes éclatent à cause de la tension. Le froid n’épargne personne. Après la guerre, l’une des rares survivantes témoignera:
«En arrivant à Sajmište, nous avons été parqués dans le pavillon 3… Les fenêtres étaient cassées, les murs fêlés, la neige tombait du toit éventré sur le sol en béton, les flaques gelaient»20.
Une autre prisonnière décrit les conditions de vie:
«Chacun cherche un espace d’environ 50 centimètres pour se coucher. Grimper au troisième niveau est très dangereux… Il arrive que des femmes, parmi les plus âgées et celles qui souffrent le plus de la faim, s’évanouissent et se blessent sérieusement. Certaines d’entre elles meurent. L’humidité gèle sur les murs, on a l’impression d’être dans un réfrigérateur… Les sécrétions des enfants tombent des lits supérieurs sur ceux du dessous… La paille sur laquelle on dort n’est pas changée, elle devient un magma immonde, humide et nauséabond. Nous n’avons reçu ni drap ni couverture et ceux qui n’en ont pas gèlent la nuit»21.
La nourriture dans le camp est en dessous des normes, tant en qualité qu’en quantité. Les provisions de bouche sont fournies par la municipalité de Belgrade qui les livre après avoir pourvu aux besoins de la population serbe, elle-même soumise à un rationnement strict. Le problème des vivres atteint des proportions telles que le docteur Jung, médecin SS réputé pour sa froideur et sa brutalité, intervient à la fin du mois de décembre. Il exige une double ration de pain quotidien. Sa demande est rejetée. La nourriture est souvent impropre à la consommation humaine. Les pommes de terre et le chou, éléments de base des repas, sont pourris. Se plaindre ne sert à rien, car personne ne s’intéresse au sort des femmes et des enfants juifs22.
Les lettres de Hilda Dajč, une jeune infirmière partie de son plein gré au camp, expriment cette angoisse:
«Nous nous avilissons, car nous avons faim, nous devenons agressifs et commençons à compter, les uns les autres, les bouchées. Nous sommes à bout d’espoir23».
Un membre du personnel de l’hôpital de Belgrade témoigne des effets du manque d’hygiène, de la surpopulation, du froid et de la malnutrition:
«Au cours de l’hiver [1941-1942], nous avons eu à traiter une foule de nouveaux patients: les femmes de Sajmište. Des enfants les accompagnent, couverts d’engelures. Leurs ongles tombent à cause de la faim et du froid. Ils ont l’air de squelettes vivants, n’ayant que la peau sur les os. Ils nous fixent de leurs yeux de vieillards. On ne dirait pas que ce sont des enfants. Les femmes refusent de parler de ce qui se passe à Sajmište»24.
La rupture physique entraîne la dépression nerveuse. Ici encore, les lettres de Hilda Dajč sont évocatrices:
«Mon âme peine à retrouver son calme. Il n’y a plus de place pour une quelconque pensée philosophique dans cet espace et ce réel terrifiants entourés de barbelés; c’est une chose que vous, qui vivez en dehors, êtes loin d’imaginer, car vous hurleriez de douleur. Toutes les phrases qui parlent de la puissance de l’esprit chutent devant les larmes de la faim et du froid; tout espoir de prochaine sortie possible s’évapore devant l’horizon bouché d’une existence passive qui ne ressemble nullement à la vie. Il ne s’agit même pas d’une quelconque ironie de la vie, mais bien de sa dimension la plus tragique. Nous le supportons, non parce que nous sommes forts, mais parce que nous sommes inconscients de notre condition»25.
En janvier 1942, les détenus affamés protestent. Le Sturmführer SS Stracke, directeur du Département juif de la Gestapo de Belgrade, se rend au camp. Il tient un discours, menaçant de fusiller cent détenus si un tel mouvement se reproduit26. Le taux de mortalité augmente de jour en jour. Les corps s’entassent dans l’ancien pavillon turc avant d’être enterrés sur la rive opposée de la Save gelée. Hilda Dajč écrit dans l’une de ses lettres qu’un matin, en entrant dans la morgue, elle découvre les corps de 25 personnes mortes pendant la nuit27. S’il est difficile d’estimer le nombre de victimes qui ont péri à Sajmište avant les gazages, nous pouvons en avoir une idée grâce au pourcentage de Rroms qui ont perdu la vie durant leur incarcération de six semaines. 57 Rroms sur 600 sont morts, soit environ 10 %28.
Accablés par les épreuves physiques et mentales, les prisonniers le sont aussi par l’absence de communication avec l’extérieur. Coupés du monde, ils voient la vie qui continue en ville.
Hilda Dajč écrit:
«On est si près du monde et à la fois tellement loin de tout… Tout serait supportable à condition de savoir ce que l’on n’arrive pas à savoir, c’est-à-dire, le moment où les portes de la grâce s’ouvriront. Que comptent-ils faire de nous? Nous vivons en permanence sous haute tension: vont-ils nous fusiller, nous faire sauter, nous transporter en Pologne?»29.
L’incertitude engendre la rumeur. Le bruit court, la nouvelle se répand. L’espoir naît et meurt aussitôt. Les Allemands entretiennent ces ouï-dire. Les esprits sont brouillés, les prisonniers se démoralisent, leur volonté s’amoindrit. Les illusions dont ils s’abreuvent pour préserver leur santé mentale sont exploitées sans merci30.
Le camion à gaz arrive
Entre décembre 1941 et janvier 1942, alors que la «vie» au camp suit son cours, les officiers allemands cherchent à tout mettre en œuvre pour atteindre leur objectif: le «traitement» des femmes et des enfants juifs de Serbie. Les déportations étant exclues avant l’été, ils pressent Berlin de trouver une solution radicale. Les méthodes des Einsatzgruppen en Russie ne seront pas employées. En Serbie, la Wehrmacht, moins entraînée ou moins fanatisée que les escadrons de la mort, procède aux fusillades. Berlin hésite. Les effets psychologiques des massacres à l’Est et les troubles nerveux éprouvés par les pelotons d’exécution en Serbie ont mis en garde contre le risque de confier cette tâche à l’armée régulière. En dépit des ressemblances entre les fusillades des Einsatzgruppen à l’Est et celles de la Wehrmacht en Serbie, les méthodes sont différentes31.
Faute de documents, nous ignorons comment l’idée d’expédier un camion à gaz à Belgrade pour asphyxier les prisonniers de Sajmište a vu le jour.
Il s’agit à présent de présenter les membres du personnel allemand impliqués dans les gazages. En janvier 1942, le Standartenführer SS Wilhelm Fuchs est démis de ses fonctions. Les chamailleries continuelles qui l’opposent à Harald Turner sont terminées. Fuchs est remplacé par le Gruppenführer SS August Meyszner, un hiérarque de l’administration nommé par Hitler. Meyszner est l’agent de Himmler. Il vient superviser les gazages. Il arrive de Berlin en compagnie du Standartenführer SS Emanuel Schäfer, nouveau chef de la Police de sécurité et du SD, en charge du camp de Sajmište32. La «question juive» ne lui est pas étrangère. Schäfer a été à la tête de la Gestapo à Cologne, où il a diligenté les déportations des Juifs de cette ville. Il a également été chef de la Gestapo à Katowice en Pologne. Stracke, son adjoint, est le directeur de la Division juive à Belgrade. Il veille sur l’administration du camp.
Lors de sa création au début du mois de décembre 1941, la responsabilité du camp proprement dit est confiée au Schärführer SS Edgar Enge, de la Gestapo de Belgrade. Une désignation temporaire. Ses qualifications ne satisfont pas aux standards de la SS: manque d’aptitude à diriger, éducation médiocre, carrière insignifiante dans la SS intégrée par hasard33. À la fin du mois de janvier 1942, il est remplacé par l’Untersturmführer SS Herbert Andorfer. Celui-ci a trente ans. C’est un Autrichien de la petite bourgeoisie. Il a terminé le lycée mais a dû interrompre ses études universitaires à cause de la dépression. Il a travaillé dans le secteur hôtelier en Autriche. Il est devenu membre du Parti national-socialiste en 1931 et de la SS en 1934. Avant l’Anschluss, ses activités politiques clandestines l’ont obligé à trouver refuge en Allemagne. Il a ensuite rallié l’état-major de la Police de sécurité où il s’est spécialisé dans la lutte contre le marché noir et le contrôle de l’opinion publique, soit le renseignement et l’espionnage. Puis, il a suivi une formation dans un camp d’entraînement de la SS pour Einsatzgruppen à Pretch, avant de rallier une unité des forces d’occupation de la Yougoslavie. Avant son arrivée à Belgrade, il a pris part aux combats anti-partisans34. Désormais commandant de Sajmište, il fait face à environ 6000 détenus juifs, femmes et enfants, plus une centaine d’hommes qui ont survécu aux massacres de l’automne 1941 et qui seront transférés, puis fusillés en février35.
Les femmes et les enfants juifs de Smederevo, Niš et Šabac sont transférés à Sajmište en février. À la fin du mois, on compte environ 7000 détenus. En ville, des bruits courent sur la «solution finale». Des hauts fonctionnaires allemands sont au courant des événements à l’Est. L’un d’eux a l’idée de faire venir un camion à gaz. Le dossier de Turner contient une lettre du 11 avril 1942, un mois avant la fin des gazages. Cette lettre est adressée à Karl Wolff, l’adjoint de Himmler. Turner écrit:
«Il y a déjà quelques mois, j’ai fait fusiller tous les Juifs disponibles et en même temps, j’ai concentré toutes les femmes et tous les enfants juifs dans un camp, avec l’aide du SD j’ai obtenu un camion d’épouillage [Entlausungwagon] qui a finalement nettoyé le camp en quelques semaines»36.
Schäfer a affirmé qu’en janvier 1942, la veille de son départ pour la Serbie, Heydrich l’avait briefé, sans faire allusion aux Juifs. Après la guerre, lors de son procès, il a assuré n’avoir jamais demandé à Berlin l’envoi d’un camion à gaz. Mais en arrivant à Belgrade, il a entendu parler des exécutions des Juifs de sexe masculin et a compris que cela faisait partie de la «solution finale». Il n’a donc pas été surpris de recevoir un télégramme de Berlin lui annonçant l’envoi du camion, ni douté de l’usage qui en serait fait. Ce télégramme disait:
«Concerne: opération juive [Judenaktion] en Serbie. Commando spécial [Einsatzkommando] avec camion Saurer en route avec mission spéciale».
Schäfer a nié la responsabilité des crimes dans lesquels il avait trempé (comme la déportation des Juifs de Cologne dans des camps polonais). Mais il a admis que le télégramme sur l’arrivée imminente du camion à gaz lui avait été adressé en personne et que, naturellement, il avait averti son supérieur, Meyszner37.
Comment est née l’idée de faire venir un camion à gaz de Berlin? Dans une lettre adressée à Wolff, Turner affirme en avoir eu l’initiative. Selon Browning, il se vante. Turner cherche à renforcer sa position auprès de Himmler dans le conflit qui l’oppose à Meyszner. Browning écrit: «Les déclarations de Turner sur son rôle dans les affaires juives sont très exagérées, sinon totalement fausses… pour impressionner Himmler»38. Il est possible que Turner se soit servi de la question juive aux dépens de ses rivaux. Faut-il en conclure qu’il a exagéré ses mérites? Vu ses états de service, sa première idée a été de se débarrasser des Juifs de Serbie. Tout au long de l’été et de l’automne 1941, il prie Berlin de les déporter en Pologne ou en Roumanie. Après avoir essuyé un refus catégorique, il se range à l’avis de la Wehrmacht et des Affaires étrangères: la liquidation des Juifs de sexe masculin fera partie du plan de terreur contre les partisans39. Browning dépeint un Turner vacillant, vaincu par les «rois de Serbie». Ce n’est pas le même Turner qui prend du galon dans la SS et a ses entrées dans le Saint des Saints nazi.
En février 1942, dans un rapport de quinze pages à Himmler, Turner écrit que les soldats de la Wehrmacht ont «refusé d’exécuter des Juifs». Les Einsatzgruppen et ses propres forces de police ont dû s’en charger. Selon Browning, l’affirmation de Turner est fausse40. D’habitude, les soldats de la Wehrmacht ne renâclent pas à la besogne. Mais il arrive parfois qu’ils refusent d’obtempérer. En octobre 1941, le lieutenant Walther écrit:
«Au début, mes hommes n’étaient pas impressionnés. Mais il devint évident que tel ou tel n’avait pas la résistance voulue pour procéder très longtemps aux exécutions. Mon impression personnelle est qu’on n’éprouve, durant la fusillade, aucun blocage psychologique. Ces blocages surviennent néanmoins quand on y réfléchit le soir, quand on est seul»41.
Interrogé après la guerre, Walther a reconnu avoir participé à trois fusillades collectives. Puis, il a dû arrêter à cause des cauchemars. Il a demandé sa mutation et l’a obtenue. La police de Turner a pris la relève42. Turner a lui-même écrit que les soldats de la Wehrmacht avaient refusé de tirer. Son propos sur le camion à gaz est-il vraiment fanfaron? À la fin du mois, le camion arrive à Belgrade. Son but, évident aux yeux de ceux qui savent, est la mise à mort des Juifs43.
Début mars, Andorfer est convoqué à la Police de sécurité. Lors de son procès, après la guerre, il ne se souviendra plus par qui, Schäfer ou Sattler, le chef de la Gestapo. Quoi qu’il en soit, il est informé de l’arrivée d’un camion spécial. Ce camion facilitera la «relocalisation» des Juifs de Sajmište. Ils seront «endormis» (Eingeschläft). Sa mission consiste à escorter le camion depuis le camp jusqu’au lieu d’inhumation. Il s’agit, lui dit-on, d’une opération secrète du Reich (Geheimreichsache). Pour lui faciliter la tâche, on lui remet des documents spéciaux qui éviteront la fouille du camion par les gardes lors du passage du pont de la Save. La police allemande déchargera les corps et les enterrera.
À son retour, Andorfer réunit la direction juive et l’informe du départ imminent de tous les détenus vers un nouveau camp. Les Juifs, méfiants, le pressent de questions. Pour dissiper leurs craintes et renforcer la tromperie, Andorfer rédige le règlement d’un camp imaginaire. Il dresse une liste complète des droits et des devoirs du prisonnier44. Il ordonne de faire accompagner chaque transport par un médecin ou une infirmière afin de «garantir les besoins médicaux». La mystification est totale. Les prisonniers tentent en vain de connaître la destination du transport et le sort de sa cargaison45. La supercherie est un succès. Au début, les volontaires sont nombreux. Les Allemands dressent des listes. Les prisonniers, dans leur innocence, sont convaincus que n’importe quel changement est préférable à Sajmište. Le 5 mai 1942, trois jours avant la fin des gazages, qui ont débuté deux mois plus tôt, un prisonnier Serbe interné à Sajmište demande des nouvelles de ses amis juifs à l’une des rares fillettes encore présente dans le camp. Elle répond: «Oh oui, ils étaient là… Ils ont été envoyés en Pologne il n’y a pas longtemps. On y va tous, au ghetto. C’est mieux qu’ici, dit-on. Les adultes travaillent et nous, les enfants, on étudie à l’école. Beaucoup sont partis. Je suis impatiente de les rejoindre»46.
Vers la première semaine de mars, avant le début des gazages, quatre hommes du Bataillon 64 sont appelés au quartier général de la Police de sécurité à Belgrade. Placés sous les ordres d’un certain Wetter, ils doivent se rendre le lendemain à la prison centrale où un groupe de prisonniers serbes leur sera confié. La mission est classée secret. De la prison, les sept prisonniers serbes sont emmenés dans un camion de la Police de sécurité à quinze kilomètres de la ville, au champ de tir d’Avala47. À Sajmište, Andorfer peaufine les derniers détails. L’aube se lève. Deux camions arrivent aux portes du camp. Le plus petit pénètre dans l’enceinte et se gare en face du bâtiment de la direction. Le plus gros, qui ressemble à un camion de déménagement gris foncé, attend à l’entrée, hors du périmètre. La veille, 50 à 80 détenus se sont portés volontaires. Ils chargent leurs biens empaquetés et étiquetés dans le petit camion et font la file avant de grimper dans le grand. Les chauffeurs, le Schärführer SS Meyer et le Schärführer SS Götz, leur prêtent la main. Les prisonniers prennent place sur les bancs (dix selon les témoins) posés dans le sens de la largeur. Une fois tout le monde à bord, les lourdes portières sont fermées hermétiquement. Les chauffeurs s’installent au volant. Le convoi démarre. Andorfer (et parfois son adjoint Enge) ouvre la route dans une petite auto. Le camion à gaz et celui à bagages suivent. Cent mètres plus loin, sur le pont de la Save entre Sajmište et Belgrade, la frontière entre l’«État indépendant de Croatie» et la Serbie occupée, Andorfer stoppe. Il sort les papiers spéciaux, les montre aux gardes croates et allemands et passe le poste de contrôle. Le convoi s’arrête sur l’autre rive. Un chauffeur descend du camion à gaz et connecte le pot d’échappement à un tuyau en caoutchouc relié à l’intérieur. Le camion à bagages bifurque, tandis que le camion à gaz redémarre en direction de l’autoroute Belgrade-Niš. Les femmes et les enfants sont asphyxiés durant le trajet.
Le convoi arrive au champ de tir d’Avala une vingtaine de minutes plus tard. Wetter, ses hommes et les prisonniers serbes sont à pied d’œuvre. Tandis que le camion à gaz recule vers les fosses fraîchement creusées, Andorfer rejoint Wetter (ils se fréquentaient quand Wetter était garde à Sajmište). Il lui explique la situation et ordonne de veiller sur les lieux. Quand les portières du camion s’ouvrent, les cadavres s’écroulent. Les prisonniers serbes les jettent dans les fosses. Une heure plus tard, tout est fini. Chacun rentre en ville, sommé de revenir le lendemain48.
Un autre groupe de prisonniers serbes, qui ne dépend ni de Wetter ni d’Andorfer, est présent à Avala. Il participe à sa manière aux gazages: il creuse les fosses, mais s’éloigne à l’arrivée du camion. En décembre 1944, après la Libération, un homme de ce groupe témoignera:
«Je creusais les fosses pour les prisonniers qui étaient gazés. Nous ne recouvrions pas ces fosses… L’autre groupe, que les Allemands emmenaient chaque jour, s’en chargeait… De loin, je voyais approcher une petite voiture allemande dans laquelle était assis un officier. Une autre voiture suivait en escorte, puis un gros camion d’où s’échappait une fine fumée… J’ai creusé ces fosses pendant deux mois, entre mars et mai. Quand les gardes allemands voyaient arriver le convoi, ils nous tenaient à l’écart et nous interdisaient de regarder le déchargement… Pendant cette période, nous avons creusé 81 ou 82 fosses… Chacune avait une capacité d’environ cent corps… Seuls les Juifs asphyxiés y étaient enterrés. Nous avons creusé d’autres fosses pour les victimes des fusillades»49.
À la longue, les gazages devinrent une espèce de routine. Tous les jours sauf les dimanches, le gros camion gris se rangeait devant l’entrée principale du camp et les Juifs s’installaient pour leur dernier voyage. Les Allemands, industrieux, organisaient parfois deux gazages par jour. Quand Andorfer s’ennuyait, il prenait congé et le convoi partait sans lui.
Un chauffeur SS distribuait des bonbons aux enfants pour gagner leur affection. Les derniers Juifs de Sajmište furent tués le 8 mai 1942.
Les prisonniers juifs ont été leurrés. Mais hors du camp, personne n’était dupe. Au mess des officiers allemands, les rumeurs allaient bon train. Elles parvinrent aux oreilles des Serbes. Après la guerre, les fonctionnaires allemands interrogés par la justice ont reconnu qu’ils savaient50. Après chaque opération, le camion était lavé à grande eau dans la cour du bâtiment de la Police de sécurité pour évacuer les excréments des victimes asphyxiées. Le personnel parlait de son «boulot». Le bruit courut parmi les Serbes de souche allemande, la police et les citoyens51. Les Allemands, confiants dans la victoire, ne prirent pas la peine de garder le secret. Tous les jours, un camion bizarre traversait Belgrade. Les cris assourdis qui s’en échappaient éveillèrent curiosité et méfiance. Lors du dernier gazage, des hauts gradés se rendirent à Avala. Le camion vidé de sa cargaison, les cadavres enterrés, les sept prisonniers serbes prirent position au bord du charnier. Ils écoutèrent ensuite un officier prononcer leur arrêt de mort. Puis, ils furent fusillés et enterrés. Qui les a abattus? Les bureaucrates de Belgrade ont-ils émis le vœu de procéder eux-mêmes à une exécution? Ou n’ont-ils fait que regarder quand Enge et ses policiers déchargeaient les coups de fusil? Les tribunaux de l’Allemagne de l’Ouest ont étudié la question sans pouvoir trancher52.
Les gazages terminés, il restait quelques femmes non-juives mariées à des Juifs. Elles furent libérées après avoir promis le secret. Un groupe de Juifs allemands (de Šabac ou du Banat) acheva les tâches administratives, puis fut fusillé vers la fin du mois de mai53.
Les malades et le personnel de l’hôpital juif de Belgrade, ainsi que les détenus juifs du camp de Banjica, ont été tués, eux aussi, dans le camion à gaz. La nuit du 19 au 20 mars, les médecins et les infirmières furent arrêtés et conduits à l’hôpital, rue Veliki Stevan, en même temps que les patients juifs de la petite infirmerie de l’immeuble de l’Oneg Shabbat, rue Kosmasjka. 700 personnes furent enfermées. À l’aube, les familles et les proches se retrouvèrent aux alentours. Le quartier avait été bouclé. Ils furent tenus à l’écart par les gardes allemands. Le camion à gaz arriva vers midi. Le chargement pouvait commencer. Les témoins dépeignirent un tableau d’épouvante: infirmes, aveugles et grabataires furent traînés, poussés et battus par des soldats implacables. Les malades en civière furent jetés dans le camion. Les Allemands hurlaient: «Los, los!» (Plus vite, plus vite). Plaintes, pleurs et cris d’adieu parvinrent à la foule. La même scène se reproduisit pendant trois ou quatre jours. Le camion gris faisait le va-et-vient entre l’hôpital et Avala54.
Le 9 mai, les gazages étaient finis. Le 9 juin, le camion rentrait à Berlin. Schäfer envoya un télégramme au Sturmbannführer SS Friedrich Pradel, chef du département motorisé de la RSHA:
«Concerne: camion spécial de type Saurer. Les chauffeurs… Götz et Meyer ont fini leur mission. Ils rentrent avec le camion. À cause d’un dommage à l’arrière du camion… j’ai ordonné leur transport en train»55.
Conclusion
Andorfer et Enge furent envoyés dans d’autres détachements de la Police de sécurité. L’extermination des Juifs de Sajmište avait été un succès. Andorfer fut décoré de la Croix de fer de seconde classe. Il obtint de l’avancement. Le camp de concentration de Sajmište fut agrandi. Des milliers de nouveaux prisonniers y furent torturés et tués, ou déportés dans des camps du Reich.
Le Haut Commandement allemand des Forces armées en Serbie se félicita d’avoir liquidé les Juifs. Au mois d’août 1942, dans un rapport au nouveau général en chef dans les Balkans, Harald Turner écrivit: «La Serbie est le seul pays d’Europe où la question juive est résolue»56. En privé, Emanuel Schäfer se rengorgeait: «Belgrade est la seule grande ville d’Europe débarrassée de ses Juifs»57.
La destruction des Juifs d’Europe, la «Solution finale», a soigneusement été dissimulée. Si beaucoup ont pris part à divers aspects de sa mise en œuvre, peu avaient conscience de la totalité du projet. Lorsque les dirigeants du Troisième Reich ont commencé à douter de la victoire, ils ont effacé les traces de leurs crimes. En juin 1942, le SS Standartenführer Paul Blobel, un ancien des Einsatzgruppen, auteur de la tuerie des Juifs de Kiev à Babi Yar, est désigné à la tête du «Kommando 1005». Sa tâche est de détruire les fosses communes des territoires occupés à l’Est, en Pologne et en Russie. Il ouvre les fosses, incinère les cadavres, élimine les traces des massacres58.
Dépêché à Belgrade en novembre 1943, Blobel ordonne au SS Sturmbannführer Sattler de constituer une brigade spéciale d’exhumation. Dix fonctionnaires de la Police de sécurité sous les ordres du SS Untersturmführer Sack et quarante-huit Allemands de la Police militaire sous les ordres du lieutenant Erich Grunwald sont de corvée. Les brigades d’exhumation comptent cent prisonniers serbes et juifs (ceux-ci ont été déportés depuis la côte dalmate occupée par les Allemands après la reddition des Italiens en septembre 1943). Entre décembre 1943 et avril 1944, ces brigades déterrent des milliers de cadavres, d’abord au champ de tir de Jajinci (Avala), puis dans d’autres régions de Serbie59. Le travail accompli, tous les prisonniers sont fusillés. Seuls trois Serbes échappent miraculeusement à la mort. L’un d’eux témoignera après la guerre: «En déterrant les cadavres des femmes et des enfants [de Sajmište], j’ai remarqué qu’ils n’avaient pas été fusillés. Leur corps n’était pas marqué par les balles ni les blessures… Il n’y avait pas de trace de sang comme dans les autres charniers»60.
Les cadavres ont été empilés et incinérés. Les cendres ont été collectées, puis dispersées dans la rivière. Sur ordre de Blobel, les objets trouvés ont été envoyés au Département criminel du RSHA à Berlin61.
La majorité des Allemands qui ont participé au massacre ont été jugés. Les Alliés ont extradé Harald Turner, August Meyszner et Wilhelm Fuchs en Yougoslavie où ils ont été passés par les armes. Emanuel Schäfer a vécu sous une fausse identité jusqu’au milieu des années 1950, puis il a été traduit devant un tribunal ouest-allemand qui l’a condamné à six ans et demi de prison. Le verdict reposait sur sa participation à la déportation des Juifs de Cologne62. Herbert Andorfer s’est réfugié au Venezuela (probablement avec l’aide de l’Église) où il a travaillé sous un faux nom jusqu’au début des années 1960. Puis, il est rentré en Autriche et s’est engagé sous son vrai nom dans une agence de tourisme. Il a été appréhendé dans le sillage des procès sur le camion à gaz après que son adjoint Enge eut été jugé en 1967. Les tribunaux autrichiens ont refusé de le poursuivre sous prétexte qu’il était citoyen vénézuélien. Mais le Gouvernement fédéral allemand est intervenu et l’a déféré à la justice de Dortmund en 1968. Il a été déclaré coupable de complicité de meurtre et condamné à deux ans et demi de prison. Mais il a été libéré à l’issue de son procès, compte tenu de son incarcération alors qu’il était en instance de jugement en Autriche63. Son séjour en prison correspond à une journée de détention pour dix Juifs tués.
Enge a été fait prisonnier de guerre, sans être traduit devant la justice. De retour de captivité, il vécut dans le respect de la loi jusqu’à son arrestation en 1965. Il sera relâché, puis de nouveau arrêté en 1968, déclaré coupable de complicité de meurtre, comme Andorfer, et condamné à un an et demi de prison. Il bénéficiera d’une grâce à cause de son âge et de sa mauvaise santé64. Les gardes allemands qui surveillaient les charniers ont témoigné lors de plusieurs procès en Allemagne de l’Ouest sans jamais être poursuivis, bien qu’ils fussent soupçonnés d’avoir exécuté des prisonniers serbes65.
Sajmište n’occupe pas une place centrale dans l’historiographie de l’Holocauste. Mais son étude peut éclairer certaines zones d’ombre, entre autres le rôle joué par le camion à gaz, décrit par un historien comme une «curiosité technologique de la Solution finale»66. Des milliers d’êtres humains ont été tués dans des camions de ce type. Ensuite, comme Browning le note, cet épisode illustre la division du travail dans la mise en œuvre de la Solution finale entre les «meurtriers de bureau» et les exécutants. Enfin, le massacre de Sajmište est fondamental dans l’histoire de l’Holocauste en Serbie. Les femmes et les enfants juifs ont été mis à mort en ce lieu déserté, proche du centre-ville de l’ancienne capitale yougoslave, mais éloigné de la conscience de ses citoyens. Leurs corps ont été déterrés et les cendres ont été dispersées. Ces mots sont un hommage à leur mémoire.
Complément bibliographique (par PHDN)
- Christopher R. Browning, Sajmiste as a European site of Holocaust remembrance, Filozofija i drustvo 2012 Volume 23, Issue 4
- Semlin Judenlager. Site en anglais sur l’histoire et la mémoire du camp de Zemun.
- Walter Manoschek, "Serbien ist judenfrei": Militärische Besatzungspolitik und Judenvernichtung in Serbien 1941/42, Oldenbourg Wissenschaftsverlag, Münich, 1995.
Notes.1. Le camp a plusieurs noms. Les Allemands l’appelaient Judenlager Semlin, les Serbes Jevrejski Logor Sajmište et les Juifs Jevrejski Logor Zemun. Cet article reprend le nom contemporain, Sajmište.
2. Sur l’occupation militaire allemande, voir (1) Norman Rich, Hitler’s War Aims, Vol.2 (New York, Norton, 1974); Jovan Marjanović, «Le système de l’occupation allemand en Serbie», Les systèmes de l’Occupation en Yougoslavie, éd. Brajović et al (Belgrade, Les Instituts pour l’Étude du Mouvement ouvrier, 1963), pp. 263-301. Sur la vie personnelle de Turner, son dossier au Centre de documentation de Berlin (CDB).
3. Jovan Ivanović a écrit un excellent article sur le meurtre des Juifs de Belgrade, «Teror nad Jevrejima u Beogradu», Godišnjak Grada Beograda (Belgrade, 1966), Vol. XIII, pp. 289-317.
4. La preuve que les Allemands savaient que les Juifs n’avaient pas participé à l’insurrection serbe se trouve dans une lettre privée de Turner d’octobre 1941 à son ami et mentor, le Gruppenführer SS Hildebrandt, à qui il écrit: «… 2200 [hommes]… presque exclusivement des Juifs seront abattus dans les huit prochains jours… La question juive se résout d’elle-même plus vite ainsi. En réalité, c’est une erreur si l’on tient à préciser ce point que pour un Allemand assassiné — dont la proportion de 1 % devrait être supportée par les Serbes — 100 Juifs soient abattus; mais nous avions les Juifs dans les camps… et ils doivent disparaître [und sie mussen ja auch verschwunden]. Voir Tribunal militaire international [ci-dessous TMI], NO 5810.
5. Sur Almoslino et l’exécution de 122 otages juifs, voir Zločini protiv Jevreja u Jugolseviji, éd. Zdenko Levental (Belgrade: Savez Jevrejskih Opština, 1952), pp. 15-17; documents allemands, TMI, NOKW 251, 551, 1057, NO 9252.
6. Sur la politique de représailles des Allemands, voir Christopher R. Browning, Fateful Months (New York, Holmes & Meier, 1985), pp. 39-56. Le Tribunal militaire international de Nuremberg (Procès 7) a placé la responsabilité des crimes commis par l’armée allemande en Serbie sous le Haut Commandement allemand des Forces armées dans les Balkans. Le maréchal List et son adjoint le général Kuntze ont été incarcérés. Le commandant de la terrible campagne contre les insurgés de septembre-octobre 1941, le général Böhme, s’est suicidé après la guerre.
7. Ivanović, «Teror nad Jevrejima u Beogradu», p. 299; TMI, NOKW 192. Ainsi, les conséquences de l’embuscade de Topola où 21 soldats allemands ont été tués. L’état-major de l’armée a demandé à Turner de l’approvisionner en otages juifs afin d’atteindre les quotas. Ceux-ci ont été remplis grâce aux détenus juifs de Belgrade et de Šabac.
8. Le célèbre «Erschiessen» a été repris plusieurs fois après la guerre, entre autres lors des procès d’Eichmann et de Rademacher. Voir les Archives de l’État d’Israël [ci-dessous AEI] 06/1244 et les archives de Yad Vashem [ci-dessous YV] TR 10/628, 73-74.
9. AEI 06/650.
10. Ibid., 06/170. Pour en savoir plus sur cette réunion, voir YV TR 10/628, 68-71.
11. Le cours de la Save a été un peu détourné depuis la fin de la guerre. À l’époque, Sajmište était entouré de trois côtés. On trouve une photographie du site à la veille de la guerre dans Jovan Ivanović et Mladen Vukomanović, Dani Smrti na Sajmištu (Novi Sad: Savez Udružavanja boraca N O. Rata Srbije, 1969), p. 6.
12. Politisches Archiv Auswartiges Amtes, Gesandschaft Belgrad 62/6, 29 octobre, 11 novembre 1941; TMI, NOKW 801. La seule exigence croate était que la nourriture destinée à Sajmište fût fournie par Belgrade.
13. Browning, Fateful Months, p. 82.
14. Vojno Istorijski Institut (Archives de l’armée yougoslave) [ci-dessous VII], Dossiers allemands 272-19/3.
15. Browning, Fateful Months, p. 70.
16. Lors de la réunion d’octobre à Belgrade, il fut décidé d’épargner 500 Juifs de sexe masculin comme contingent de travail à Sajmište. Voir note 10.
17. Ivanović et Vukomanović, Dani Smrt, pp. 8-9.
18. NOKW 1500. Kuntze a affirmé à Nuremberg n’avoir rien su de l’affaire.
19. Jevrejski Itorijski Muzej (Archives juives de Belgrade) [ci-dessous JIM], 24-2-2/8, témoignage de Charlotte Roth.
20. Zločini, éd. Levental, p.25, témoignage de Vera Danon; JIM 24-2-2/6, témoignage de Hedwiga Schöfein. Seulement dix femmes parmi celles détenues à Sajmište ont survécu à la fin de la guerre. Non Juives mariées à des Juifs, toutes ont été libérées quelques jours après la fin des gazages, début mai 1942.
21. Zločini, éd. Levental, p. 26, témoignage de Šarlote Čošić.
22. Jaša Romano, Jevreji Jugoslavije 1941-1945 (Belgrade: Savez Jevrejskih Opština Jugoslavije, 1980), p. 81; VII, dossiers allemands 22/1-1/36, 22/1-3/36. La ration quotidienne de pain de la Gestapo était de 900 grammes, celle des Serbes de 500 grammes et celle des Juifs de 200 grammes, voir VII 38/10-2/36. La quantité journalière de lait au camp était de 40 litres, soit 0,03 litre pour les 300 enfants juifs, voir VII 36/11-1/36. Pour les plaintes du commandant, voir VII 25/1-3/36.
23. Les lettres de Hilda Dajč sont aux Istorijski Arhiv Grada Beograda (Archives de la municipalité de Belgrade). Elles sont une source unique sur la vie quotidienne dans le camp. Ces lettres pleines de sensibilité sont très bien écrites et méritent d’être publiées. Hilda Dajč était étudiante en architecture avant la guerre. Au début de l’Occupation, elle travaille comme infirmière à l’hôpital juif de Belgrade. Entrée volontairement au camp pour subvenir aux tâches médicales, elle y sera tuée. Voir Politika 20.2.1974.
24. Zločini, éd. Levental, p. 26, témoignage de Kušnin.
25. Lettres de Hilda Dajč.
26. Ivanović et Vukomanović, Dani Smrt, p. 24.
27. Lettres de Hilda Dajč.
28. Zločini, éd. Levental, p. 28. L’arrestation et la libération des Rroms de Sajmište exigent une recherche plus approfondie. La politique des Allemands concernant les Rroms était ambigüe et changeante. Le Troisième Reich les ayant déclarés criminels, ils furent emprisonnés dans des camps de concentration. Voir Donald Kennick et Graltan Paxton, The Destiny of Europe’s Gypsies (Londres: Chalto-Heinemann, 1972), pp. 59-100. En Serbie, les commandements locaux ont exempt d’incarcération les Rroms «utiles et positifs». Plusieurs Rroms serbes ont été fusillés avec les Juifs, d’autres ont été utilisés par les Allemands pour creuser les fosses communes. Les femmes et les enfants rroms (principalement du district de Srem) transférés à Sajmište ont été libérés du camp avant le début des gazages. Ces deux événements sont connectés.
29. Lettres de Hilda Dajč.
30. Lors de son procès, Andorfer a expliqué avoir composé le faux règlement du camp par compassion pour les victimes, afin de leur épargner crainte et angoisse. Voir YV TR 10/900, 19-20.
31. Plusieurs documents allemands rendent compte des effets psychologiques des exécutions commises par les Einsatzgruppen. Cela influença, sans aucun doute, l’ordre de Himmler de trouver une méthode plus «humaine» d’exécutions massives. Sur les effets psychologiques sur les soldats allemands en Serbie, voir note 16.
32. Meyszner a déclaré lors de son interrogatoire en Yougoslavie que Schäfer l’avait informé de l’arrivée imminente du camion à gaz. Voir AEI 06/1435.
33. Enge n’était pas un SS. Après avoir été appelé en 1940, il a rejoint la Gestapo à cause de son inaptitude aux tâches militaires. Son nom apparaît en tant qu’observateur de la Gestapo de Belgrade lors d’une fusillade collective. Voir YV TR 10/656. Browning, Fateful Months, p.76. TMI, NOKW 497 (Rapport du lieutenant Lieppe).
34. Le professeur Browning fait une distinction sociologique perspicace entre les meurtriers de bureau et les exécutants. Il écrit: «Les Juifs de Serbie ont été exécutés selon une division du travail typique de la SS: des organisateurs expérimentés et éduqués, et des exécutants recrutés parmi les petites classes moyennes déprimées de l’Allemagne». Voir Browning, Fateful Months, p. 76. Turner, Fuchs et Schäfer étaient issus de familles aisées et avaient fait des études supérieures (droit et économie). Ils avaient des relations étroites avec la direction SS. De son côté, Andorfer avait à peine terminé le gymnase et sa famille avait été atteinte par la crise économique. Son adjoint Enge a été forcé d’abandonner l’école après la sixième et s’est retrouvé au chômage pendant deux ans. Voir leur dossier personnel au CDB.
35. Jaša Romano, Jevreji Jugoslavije, p. 83.
36. CDB, voir le dossier de Turner.
37. Browning, Fateful Months, pp. 77-8.
38. Ibid., p. 77. Browning écrit: «Les rapports de Turner à Berlin sont souvent inexacts et inspirés par la recherche d’un avantage personnel».
39. Bundesarchiv Koblenz, NS (Neu) 19-1730.
40. Christopher Browning, «The Final Solution in Serbia — The Semlin Judenlager», in Yad Vashem Studies 15 (1983), 73-4. Traduction française en ligne:
https://phdn.org/histgen/camionsagaz/browning-semlin.html41. TMI, NOKW 905.
42. Le professeur Browning a enquêté sur les dossiers interrogatoires de Walther après la guerre. Walther aurait fait carrière dans la Bundeswehr, voir Browning, Fateful Months, p. 54. Une tout autre opinion de Turner a été donnée par l’un de ses subordonnés durant son séjour en France: «Turner était un homme capable, un juriste, membre du parti et de la SS, mais un esprit indépendant». Voir David Pryce-Jones, Paris in the Third Reich (Londres: Collins, 1981), p. 252.
43. AEI 05/1435. Meyszner a déclaré être absolument sûr que seuls les Juifs avaient été tués dans le camion à gaz. Schäfer et le détachement spécial ont reçu l’ordre strict d’utiliser le camion uniquement pour les Juifs.
44. Browning, Fateful Months, p. 80; YV TR 10/900, 11-12, 19-20. Les représentants juifs dans le camp étaient deux femmes juives nommées Jarfash et Kraus, des réfugiées allemandes. Les témoins ont affirmé qu’elles collaboraient avec la SS. Avant leur désignation, les détenus étaient représentés par deux Juifs de Belgrade, remarquables et dévoués, l’ancien directeur adjoint de la communauté juive Emil Dajč et sa secrétaire Mila Demajo. Tous deux ont été fusillés en février 1942. Voir VII, dossiers allemands 27/1-30; Zločini, éd. Levental, p. 26.
45. Zločini, éd. Levental, p. 30.
46. Témoignage de Kompanjec. Voir Otpor u žicama (Belgrade: Savez odruženja boraca NOR, 1962). Vol. 2, pp. 21-22.
47. Browning, Fateful Months, p. 105. Wetter est nommé Karl W.
48. YV 10/900. Les efforts pour retrouver les chauffeurs du camion ont échoué. Apparemment, tous deux aimaient les enfants et leur auraient donné des bonbons avant de les faire grimper dans le camion. Lors du procès d’Andorfer, le lieu où les chauffeurs connectaient le tuyau au camion et la distance entre le camp et le pont de la Save ont longuement été discutés. Le problème aurait pu être facilement résolu en envoyant quelqu’un à Belgrade mesurer la distance (en fait, une petite centaine de mètres).
49. Zločini, éd. Levental, p. 32, témoignage de Militinović. Son estimation d’environ 8000 victimes correspond aux chiffres des documents contemporains. Voir annexe.
50. Zločini, éd. Levental, pp. 32-4. Il s’agit des témoignages de Turner, Kiessel (l’adjoint de Turner), Helm et Meyszner devant les autorités yougoslaves. Le protocole est classé dans VII.
51. Browning, Fateful Months, pp. 82-3.
52. Lors de son procès, Enge a affirmé qu’il n’avait pas fusillé ces prisonniers serbes. Il a ajouté qu’à ce moment-là, il était parti chercher quelque chose pour un officier SS et n’avait pas vu qui les avait abattus. Selon Wetter, le chauffeur Götz aurait procédé à ces exécutions. Il est évident que chacun a tenté d’accuser l’autre. Voir YV TR 10/656, 4-7. Déposition d’un témoin serbe, Zločini, éd. Levental, p. 32.
53. Voir notes 20 et 46. Le témoignage de Kompanjec rapporte l’histoire impressionnante d’une jeune fille juive conduisant fièrement à la mort un groupe de détenus.
54. Zločini, éd. Levental, pp. 36-7.
55. PS 501.
56. NOKW 1486, YV TR 10/900, 4.
57. Browning, Fateful Months, p. 85. Browning, Fateful Months, p. 85. Lors de son procès, Schäfer a été qualifié par les juges de «fonctionnaire correct et honnête». Selon d’autres, ce n’était pas un «SS obtus». Il a laissé une «impression profondément humaine» aux juges chargés de la dénazification à Bielefeld. Ils le décrivent comme un homme qui a «accompli son devoir en faisant preuve de tendances humaines et en tâchant de remédier aux excès du régime». Voir ibid., p. 74.
58. Témoignage de Blobel au procès des Einsatzgruppen; NO 3947. Voir aussi Raul Hilberg, The Destruction of the European Jews (New York, Quadrangle Books, 1973), pp. 222, 628-9.
59. Muharem Kreso, Njemačka okupaciona uprava u Beogradu, p. 210.
60. Zločini, éd. Levental, p. 43. Témoignage de Damjanović.
61. VII, dossiers allemands 24-1-2/8; Kreso, Njemačka okupaciona uprava u Beogradu, p. 210.
62. YV TR 10/219.
63. YV TR 10/900.
64. YV TR 10/656. Le système de justice en Allemagne de l’Ouest était lent. Quatre années ont passé entre la déposition d’Enge, à l’époque des procès sur le camion à gaz, et son appréhension en 1965.
65. Lors de leur interrogatoire au procès d’Andorfer, les gardes allemands ont exprimé leur profonde déception. Le «sale boulot» achevé, la seule marque d’estime à laquelle ils ont eu droit a été une semaine de congé en Allemagne et un compartiment à couchettes. Enge a exprimé de pareils sentiments: «Il peut sembler étrange que nous n’ayons aucune compensation ou prime pour l’opération [de Sajmište]». Je voudrais remercier le professeur Browning qui a analysé les dossiers des interrogatoires et m’a autorisé à reprendre ces citations.
66. Browning, Fateful Months, p. 65.
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22/01/2014