Les Einsatzgruppen
Le «Rapport Jäger»
L’assassinat de plus de 137 000 Juifs en Lituanie en 1941
Rédigé le 1er décembre 1941 par le SS-Standartenführer Karl Jäger, commandant de l'Einsatzkommando 3 de l'Einsatzgruppe A, ce rapport fournit une comptabilité sanglante et détaillée des sorties meurtrières de ces «unités spéciales» dans l’URSS occupée par les nazis, ici plus spécifiquement en Lituanie. La plupart du temps, les chiffres des Juifs assassinés sont divisés en trois catégories, «les hommes juifs», «les femmes juives», et «les enfants juifs». Pendant les cinq mois couverts par ce rapport, l’E.K.3 a assassiné 137 346 personnes, presque toutes juives (en fait, 137 443), dont un tiers d’enfants, et un tiers de femmes. Ce document illustre le projet génocidaire nazi contre les Juifs, qu’aucune «justification» politique ou militaire ne peut édulcorer. La transcription de l’original est disponible en ligne. Des informations sur la source archivistique, l’origine des fac-similés et la diffusion du rapport sont fournies après la traduction. Une longue étude de l’historien Christoph Dieckmann sur l’assassinat des Juifs lituaniens en 1941 est également proposée sur le site. Par ailleurs, en 2021, l’historien Helmut Walser Smith a mis en ligne une traduction anglaise du rapport Jäger pour laquelle chaque chaque lieu/exécution mentionné dans le rapport propose un lien vers des informations cartographiques et des détails sur les événements rapportés laconiquement dans le document.
Lire l’introduction de Yale F. Eideken sur le rapport Jäger
Le commandant de la sécurité et du SD
Einsatzkommando 3Kauen, 1er Décembre 1941
Affaire du Reich, Secret!
fait en 5 exemplaires
exemplaire n°4.
Bilan des exécutions effectuées par les commandos spéciaux EK3 jusqu'au 1er décembre 1941.
Le commando EK3 est entré en action le 2 juillet 1941 pour assurer des tâches de police de sécurité.
(Sa mission a commencé le 9 août 1941 dans la région de Vilna le 2 octobre 1941 dans la région de Schaulen. Jusqu'à cette date, Vilna était du ressort du commando n°9 et Schaulen du commando n°2.)Le rapport contient trois erreurs: le total du 13 août devrait être de 718 et non 719; celui du 19 août de 643 et non 645, celui du 12 septembre (Vilna) de 3 434, et non 3 334. Ainsi le total corrigé est-il de 137 443 victimes, incluant environ quatre mille Juifs assassinés par les partisans lituaniens (constats empruntés, mais vérifiés, à Ronald Headland, Messages of Murder, A Study of the Reports of the Einsatzgruppen of the Security Police and the Security Service, 1941-1943, Rutherford: Fairleigh Dickinson University Press, 1992, p. 252 note 36).
Sources et diffusion
Version française élaborée à partir de l’original allemand (Ernst Klee, Willy Dressen, Volker Riess,«Schöne Zeiten». Judenmord aus der Sicht der Täter und Gaffer, S. Fischer Verlag GmbH, Frankfurt am Main, 1988, p. 52-62) et de la traduction fournie dans Ernst Klee, Willy Dressen, Volker Riess, Pour eux «C’était le bon temps», La vie ordinaire des bourreaux nazis, Plon, 1990, p. 40-54. La présente version se démarque donc parfois de celle proposée par la traduction officielle de l’ouvrage de Klee, Dressen et Riess.
L’original du rapport Jäger est conservé aux Archives d'État Militaires Russes (Rossiiskii Gosudarstvennyi Voennyi Arkhiv / Российский государственный военный архив) de Moscou, en abrégé RGVA ou parfois SAM (State Archives Moscow), sous la cote 500-1-25 (feuillets 110 à 118). Les RGVA apparaîssent également dans la littérature historienne sous leur ancienne appellation de «Osobi Archives», abrégé en OA, OS ou OSO.
Des informations sont fournies par l’historien allemand Wolfram Wette, auteur d’une biographie de Karl Jäger (Wolfram Wette, Karl Jäger. Mörder der litauischen Juden, Frankfurt am Main: S. Fischer Verlag, 2011) sur la provenance et la postérité de ce document. Nous en proposons un résumé principalement fondé sur la traduction de Roberto Muehlenkamp pour Holocaust Controversies. Le Rapport Jäger, la quatrième copie d’un jeu de cinq, tombe entre les mains soviétiques en 1944 pendant la reconquête de la Lituanie. Les Soviétiques ne mettent cependant pas ce document à disposition du Tribunal de Nuremberg, probablement parce qu’il montre de façon trop spectaculaire que les Juifs étaient la cible d’une politique d’extermination spécifique de la part des nazis, ce qui était contraire à la doxa communiste qui voulait que tous les citoyens soviétiques avaient été également la cible des politiques meurtrières nazies. C’est seulement en 1963, à l’occasion d’un procès désormais célèbre contre douze criminels nazis, à Coblence, dont Georg Heuser, que le Ministère des Affaires étrangères soviétique fait connaître ce document au bureau central de l’administration judicaire sur les crimes nazis (Zentrale Stelle der Landesjustizverwaltungen für die Aufklärung von NS-Verbrechen) de Ludwigsburg. Le document, imméditatement désigné sous le nom de Jäger Bericht, y est longuement examiné et authentifié. Des fac-similés sont alors conservés dans cette institution (sous la cote Zst.Dok.Slg., Ordner 108, Bl. 472-480). C’est via ces fac-similés que le document sera alors diffusé par les historiens et sur internet (voir ci-après).
La première publication en direction du grand public du Rapport Jäger a lieu en 1971, sous la forme de fac-similés de la version détenue par les Archives de Ludwigsburg, dans l’ouvrage coordonné par le procureur général de la République Adalbert Rückerl, alors directeur de la Zentrale Stelle et cheville ouvrière de nombreux procès contre des criminels nazis: Adalbert Rückerl, NS-Prozesse. Nach 25 Jahren Strafverfolgung: Möglichkeiten — Grenzen — Ergebnisse, Karlsruhe: Verlag C.F. Müller, 1971. Les fac-similés y figurent, non paginés, en toute fin de l’ouvrage, qui dresse un bilan désabusé mais déterminé de ce qui a été fait en matière de poursuites contre les crimes nazis en République Fédérale d’Allemagne. En 2003, dans l’ouvrage de Vincas Bartusevicius, Joachim Tauber et Wolfram Wette (éds.), Holocaust in Litauen. Krieg, Judenmorde und Kollaboration im Jahre 1941, Köln/Weimar: Böhlau Verlag, 2003, ce sont encore les fac-similés de 1963 qui sont reproduits. La première transcription complète en allemand est publiée en 1988 dans Schöne Zeiten, traduit en français en 1990 (et en anglais en 1988). D’après Ronald Headland (op. cit., p. 252) une première traduction complète en anglais était parue dès 1970 dans Documents accuse (collectif), Vilnius: Gintaras, 1970. Raul Hilberg en publie également une traduction en anglais en 1971 dans Documents of Destruction: Germany and Jewry, 1933-1945, Chicago: Quadrangle Books, 1971. Dans son ouvrage de 2011, Wolfram Wette propose, pour la première fois, les fac-similés (en noir et blanc) des neuf pages originales conservées dans les archives russes. Dès 2005 toutefois, des fac-similés couleur d’excellente qualité de quatre pages (1, 3, 5, 6) de ces originaux avaient été publiées dans Stiftung Denkmal für die ermordeten Juden Europas (Hrsg.), Materialien zum Denkmal für die ermordeten Juden Europas, Berlin: Nicolaische Verlagsbuchhandlung GmbH, 2005, p. 144-147.
Sur internet, c’est Danniel Keren qui le premier, le 4 février 1995, poste sur le forum Usenet alt.revisionism, une transcription anglaise (tirée de la traduction de Schöne Zeiten) du rapport Jäger (Danny Keren, "Five Months With Einsatzkommando 3: 137,346 Murdered", alt.revisionism, 4 Feb 1995, Message-ID: <199502050004.TAA01606@cslab6b>), partielle cependant (souvent reproduite avec ses lacunes initiales). Ken McVay, obtient des scans de la version allemande de 1963 auprès de l’Institute für Zeitgeschichte, et les met en ligne sur son site nizkor.org en décembre 1996, suivi par Ken Lewis en 1997 sur son site (Electriczen/Einsatzgruppen Archive, site disparu que nous avons archivé sur phdn) accompagné de la transcription partielle en anglais de Danniel Keren. PHDN met en ligne la traduction (complète) en français du Rapport Jäger dès août 1998 (c’est la page que vous lisez). La transcription complète de l’original allemand n’apparaît qu’en 2001 sur un site consacré par Albrecht Kolthoff au négationniste britannique David Irving (site disparu que nous avons archivé sur phdn). La traduction enfin complète en anglais (accompagnée des scans déjà publiés par Ken McVay et Ken Lewis) est mise en ligne par the Holocaust History Project en 2002 (site également disparu que nous avons archivé sur phdn). Il est intéressant de constater que toutes les publications internet du rapport Jäger sont le fait non d’institutions, mais de personnes privées engagées dans la lutte contre le négationnisme (et qu’en 2018 elles se trouvent presque toutes sur PHDN…). A priori, jusqu’en 2010, tous les scans mis en ligne sur internet dérivent de cette version obtenue par Ken McVay en 1996. Depuis 2010, on dispose en ligne de nouveaux scans des fac-similés fournis par les Soviétiques aux Allemands en 1963. C’est donc toujours cette version de 1963 (aujourd’hui conservée aux Bundesarchiv) qui est reproduite sur internet, à l’exception, désormais (2018), des fac-similés couleur de l’original que nous présentons (pour la première fois, tous supports confondus, intégralement) sur PHDN, lesquels proviennent directement des archives russes.
Mentionnons enfin que d’autres fac-similés de documents et rapports émanant de Karl Jäger ont depuis été publiés dans la littérature historienne. Wolfram Wette a publié un long article sur Karl Jäger dans Die Zeit, en 2012. En 2018, Jean Grégor et Pierre Péan publient au Seuil une enquête inspirée par le Rapport Jäger, Comme ils vivaient. A la recherche des derniers Juifs de Lituanie.
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