Un dictionnaire du génocide
L’Aktion T4
Aktion T4 (assassinat des handicapés) : La vision nazie du monde racialiste et sanitaire est aussi un projet. Elle est rapidement incarnée par un souci d’«améliorer la race», cachant à peine des préoccupations économiques: la prise en charge par la société de ceux que les nazis présentent comme des «vies ne valant pas la peine d’être vécues» présente à leurs yeux un coût injustifiable. La propagande nazie prépare longtemps la population à des mesures radicales qui sont prises discrètement voire secrètement sur l’ordre d’Hitler peu après le déclenchement de la guerre. À la suite des mesures de stérilisations forcées puis d’assassinat des nouveaux-nés handicapés, une opération prétendument d’«euthanasie», en réalité d’assassinat des handicapés et malades mentaux, désignée sous le nom de code d’«Aktion T4», car son administration se trouvait au 4 de la (rue) Tiergartenstrasse à Berlin (dans une villa spoliée à une famille juive), est déclenchée. Elle fera plus de soixante dix-mille victimes principalement allemandes et autrichiennes et fut suivie, après un prétendu arrêt officiel, par l’opération dite 14f13 qui consista principalement à assassiner les esclaves concentrationnaires jugés «inaptes au travail», qui fit plus de vingt-mille victimes. Joseph Goebbels notait dans son journal le 31 janvier 1941 qu’il a «discuté avec Bouhler de la question de la liquidation confidentielle des malades mentaux. 40 000 sont éliminés, 60 000 doivent encore dégager. C’est un travail difficile, mais nécessaire. Et il faut le faire maintenant. Bouhler est l’homme qu’il faut pour ça»1. Une politique plus générale d’assassinat des handicapés et malades mentaux fut pratiquée à l’échelle européenne. Si, dans le cadre de l’Opération T4 proprement dit, plusieurs procédés furent employés (dont l’empoisonnement et la famine), elle fut le prétexte au développement des premières techniques de gazage aux fins d’assassinat: l’expertise développée à cette occasion fut utilisée pour la mise au point des camions à gaz et ses experts furent mis à la disposition de l’Opération Reinhard de meurtre de masse des Juifs du Gouvernement Général. Une autre opération d’assassinat de handicapés fait le lien avec le massacre des Juifs: à partir de la fin 1939 le Sonderkommando Lange est employé dans le Warthegau (partie de la Pologne annexée au Reich) pour le meurtre des «handicapés». C’est le même groupe qui mettra en place le centre de mise à mort par camions à gaz à Chelmno, fin 1941. Les assassinats de handicapés et de malades mentaux dans les territoires conquis furent aussi souvent effectués par fusillades. Au total, on estime qu’environ trois cent milles personnes furent assassinées par les nazis dans le cadre de toutes ces opérations. Tous ces crimes sont parfaitement documentés.
Développements :
Chapitre III («L’Euthanasie») de l’ouvrage de Eugen Kogon, Herrmann Langbein & Adalbert Rückerl, Les chambres à gaz secret d'Etat, Seuil, Points Histoire, 1987. Lire…
Les citations de documents nazis présentées par PHDN liant les opérations d’assassinats de handicapés ou de malades à l’extermination des Juifs. Lire... .
Documents :
Hitler ordonne l’assassinat des handicapés. Voir…
Gottfried Ewald proteste explicitement en 1940 contre l’assassinat des handicapés. Voir…
Le Dr. Erhard Wetzel propose , en octobre 1941, d’appliquer aux Juifs inaptes la «méthode de Brack», le responsable du programme T4 sous la responsabilité duquel avait été développé la technique d’assassinat par gazages. Lire…
Film d’un gazage expérimental par gaz d’échappements de handicapés à Moghilev (en Biélorussie), en septembre 1941 (à partir de la trentième seconde). À compléter par l’étude exhaustive de ce document sur Holocaust Controversies. Le film se trouve ici… .
Fondamental :
En 2013, la Revue d’Histoire de la Shoah a publié un numéro entièrement consacré aux opérations T4 et 14f13. Tous les articles de ce numéro sont en ligne et en libre accès. Leur lecture est incontournable. Voir ce numéro.
Ce numéro avait été précédé en 2005 par un autre consacré aux aspects idéologiques, culturels et politiques, «Classer, penser, exclure. De l’eugénisme à l’hygiène raciale». Il propose une série d’études fondamentales pour comprendre comment l’Opération T4 et ses déclinaisons ont pu émerger comme potentialités avant d’être entreprises concrètement. Tous les articles de ce numéro sont en ligne et en libre accès. Voir ce numéro.
En 1997, déjà, la revue publait un numéro entièrement consacré au rôle des médecins dans les crimes nazis et au procès qui leur fut consacré, «1946-1996. Le procès des médecins à Nuremberg Éthique, responsabilité civique et crimes contre l'humanité». Procès, expérimentations médicales, assassinats des handicapés, liens avec le génocide, silences d’après guerre, questions d’éthique y sont abordés dans de nombreux articles. Voir ce numéro.
Liens :
L’extermination de malades et handicapés mentaux sous le régime national-socialiste. Synthèse complète, historiographiquement à jour, proposée par le projet «Violence de masse et Résistance» de Science-Po (ex «Encyclopaedia of Mass Violence») Suivre le lien… Bonne synthèse grand public, parue dans la revue Histomag’44 en 2010 (Hors Série no. 4 février-mars 2010). Suivre le lien… «Nazisme: Aktion T4, la mise à mort des “inutiles”», synthèse courte et accessible par le magazine GEO Histoire, (no 26, avril-mai 2016, «Le nazisme: aux racines d'une idéologie dévastatrice, 1871-1933»). Suivre le lien… Histoire de la Médecine et Éthique médicale est un site proposé par Benoît Massin, Docteur en Histoire des Sciences, présentant des supports de cours et bibliographies sur les détournements de la médecine par les régime totalitaires. On y trouve notamment une excellente section sur Histoire de la médecine sous le nazisme. Suivre le lien… Excellents articles et documents en lien avec l’Aktion T4 sur Holocaust Controversies. Suivre le lien… Documentation sur les assassinats des handicapés en Pologne par le Sonderkommando Lange en 1940/1941 sur Holocaust Controversies. Suivre le lien… "Life Unworthy of Life" and other Medical Killing Programmes, la riche section consacrée aux crimes «médicaux» sous le nazisme du Web Genocide Documentation Center du Dr Stuart D. Stein (archivé sur phdn). Suivre le lien… Restitution de qualité d’une conférence de Benoît Massin, De l’eugénisme à la Shoah, sur le site du Cercle d’étude de la déportation et de la Shoah. Suivre le lien… André Trannoy, «La Suppression des existences superflue sous le IIIe Reich», Études, 1990-07. Suivre le lien… Documentaire «T4, un médecin sous le nazisme», de Catherine Bernstein (2015, 55 min, diffusé le lundi 29 février 2016 à 22 h 25 sur France 3). Voir la vidéo… Endstation Hadamar. Bergsträßer Opfer der NS-Rassenpolitik, Bensheim: Geschichtswerkstatt Geschwister Scholl, 2008. Cette documentation (en allemand) présente Hadamar, l’un des principaux centres de l’Aktion T4. Y figurent des documents et facsimilés ainsi qu’une longue bibliographie. Lire l’ouvrage… Version en ligne de l’exposition «La guerre contre les "inférieurs"» de l’Hôpital Otto Wagner de Vienne (en anglais, mais existe en allemand). Propose de nombreux documents. Voir le site… Section du site Nizkor consacrée à l’Aktion T4. Suivre le lien… Bibliographie:
Une production considérable existe en allemand et en anglais, aussi ne présentons-nous ici que les ouvrages en français les plus importants et une sélection d’ouvrages dans d’autres langues.
- Benno Müller-Hill, Science nazie, science de mort. L’extermination des juifs, des tziganes et des malades mentaux de 1933 à 1945, Paris: Odile Jacob, 1989.
- Ernst Klee, La médecine nazie et ses victimes, Arles: Solin-Actes Sud, 1998.
- Michaël Tregenza, Aktion T4: Le secret d'Etat des nazis: l'extermination des handicapés physiques et mentaux, Paris: Calmann-Lévy, 2011.
- Henry Friedlander, Les Origines de la Shoah: de l’euthanasie à la Solution Finale, Paris: Calmann-Lévy, 2015.
- Götz Aly, Les anormaux: les meurtres par euthanasie en Allemagne, 1939-1945, Paris: Flammarion, 2014 (voir un compte-rendu)
- Robert Jay Lifton, Les Médecins nazis: le meurtre médical et la psychologie du génocide, Paris: R. Robert Laffont, 1989 (la version originale en anglais est disponible en ligne).
- Götz Aly (éd.), Aktion T4 1939-1945: Die "Euthanasie"-Zentrale in der Tiergartenstrasse 4, Berlin: Edition Hentrich, 1987.
- Frank Schneider & Petra Lutz (éd.), Erfasst, verfolgt, vernichtet./registered, persecuted, annihilated - Kranke und behinderte Menschen im Nationalsozialismus/The Sick and the Disabled under National Socialism, Berlin: Springer, 2014. Cet ouvrage remarquable accompagne l’exposition organisée en 2010 par l’association allemande de psychiatrie, psychothérapie et psychosomatique. Il contient de nombreux facsimilés de photos et documents notamment des personnes et lieux impliqués dans l’Aktion T4, ainsi que de leurs victimes.
- Alice Ricciardi von Platen, L’extermination des malades mentaux dans l’Allemagne nazie, Ramonville-Saint-Agne: Érès, 2001 (traduction d’un ouvrage paru en Allemagne en 1948).
- Le rôle des sciences bio-médicales sous le IIIe Reich: orientation bibliographique, travail extrêmement complet de mise en perspective d’une foisonnante historiographie proposant une bibliographie commentée, sur l’excellent site Histoire de la Médecine et Éthique médicale déjà mentionné.
- Michael Burleigh, Death and Deliverance. ‘Euthanasia’ in Germany, c.1900 to 1945, Cambridge: Cambridge University Press, 1994.
- Volker Rieß, Die Anfänge der Vernichtung “lebensunwerten Lebens” in den Reichsgauen Danzig-Westpreußen und Wartheland, 1939/40, Frankfurt am Main: Lang, 1995.
- Michael Robertson, Astrid Ley et Edwina Light (éd.), The First into the Dark: The Nazi Persecution of the Disabled, Sidney: UTS ePRESS, 2019 (en ligne…).
- En 2006 et 2007, l’International Journal of Mental Health publie trois numéros entièrement consacrés au traitement des handicapés pendant la Seconde Guerre mondiale, en Europe occupée et sur ses marges: The Holocaust and the Mentally Ill: Part I: Extermination (fall 2006, vol. 35, no 3), The Holocaust and the Mentally Ill: Part II: Starvation (winter 2006/2007, vol. 35, no 4), The Holocaust and the Mentally Ill: Part III: Euthanasia (spring 2007, vol. 36, no 1).
Notes.
1. Notre traduction d’après l’original allemand: «Mit Bouhler Frage der stillschweigenden Liquidierung von Geisteskranken besprochen. 40 000 sind weg, 60 000 müssen noch weg. Das ist eine harte, aber auch eine notwendige Arbeit. Und sie muß jetzt getan werden. Bouhler ist der rechte Mann dazu» (Joseph Goebbels, Die Tagebücher von Joseph Goebbels, Teil I, Aufzeichnungen 1923-1941, Band 9, Dezember 1940 - Juli 1941, éd. Elke Fröhlich, München: K. G. Saur, 1998, p. 119). On trouve souvent à la place du chiffre 40 000 celui de 80 000. De fait, d’autres éditions du Journal de Goebbels proposent ce chiffre (c’est par exemple le cas de Ralf Georg Reuth (éd.), Joseph Goebbels Tagebücher, Band 4: 1941-1942, München: Piper, 1992, p. 1525. Cette édition ne propose pas le journal dans son intégralité). Toutefois l’édition coordonnée par Elke Fröhlich est celle qui fait désormais foi auprès de la communauté historienne. Nous n’avons pas pu déterminer d’où provenait ce premier chiffre, mais celui de 40 000 est plus cohérent avec ce que l’on sait du rythme des assassinats. Nous avons eu du mal à traduire l’adjectif stillschweigenden, stricto sensu «tacite» au sens de passé sous silence, informel, non officiel. Nous pensons qu’ici le terme désigne à la fois le caractère secret et illégal de la mesure (même si elle a été ordonnée, en secret, par Hitler), d’où notre choix de restituer cela par «confidentiel».
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