QER 17

Une réponse à la "Q&A" 17 par Nizkor


17. 

Combien de juifs ont fui, loin en Union Soviétique?

Les négationnistes de l’IHR répondent:

«Plus de deux millions. Les allemands n’ont pas eu accès à cette population juive.»

Nizkor répond:

Ce qui importe c’est le nombre de juifs qui demeuraient. Voir la question 18.

[N.d.T.:
Les chiffres fournis par l’IHR, sans le moindre contexte, ni la moindre référence, sont au mieux largement exagérés et ne permettent pas de comprendre les enjeux et la réalité des tentatives de fuite des Juifs en URSS.

Une évacuation massive des Juifs en URSS est une vieille invention négationniste qui n’a aucun lien avec la réalité. Les historiens ont étudié les mouvements réels de populations juives au moment de l’invasion allemande de l’URSS en juin 1941. Ainsi, il y avait environ 2 000 000 de Juifs dans les territoires annexés par l’URSS en 1939 et 1940 (partie orientale de la Pologne, Bessarabie et états baltes). Entre 140 000 et 180 000 d’entre eux ont réussi à fuir au moment de l’invasion allemande en 1941 (Mordechai Altshuler, «Escape and Evacuation of Soviet Jews at the Time of Nazi Invasion. Policies and Realities», in Lucjan Dobroszycki et Jeffrey S. Gurock (ed.), The Holocaust in the Soviet Union, M. E. Sharpe, New York, 1993, p. 97). Mordechai Altshuler précise bien qu’il n’a existé aucune politique spécifique d’évacuation des Juifs (ibid., p. 100).

Le caractère limité du nombre de Juifs qui put s’échapper (voir plus bas) s’explique également par le fait que, contrairement à ce qu’une certaine propagande communiste a tenté de faire croire, il n’y a eu aucune volonté ni politique spécifique d’évacuation des Juifs des territoires que les Allemands étaient en train d’envahir (voir entre autre Ben-Cion Pinchuk, «Was There a Soviet Policy for Evacuating the Jews? The Case of the Annexed Territories», Slavic Review, vol. 39, no 1, mars 1980, ainsi que Laurent Rucker, «L’Union soviétique a-t-elle sauvé des Juifs?», Les Cahiers de la Shoah, vol. 2, no 1, 2002)

Par ailleurs, en 1939 déjà des dizaines de milliers de Juifs polonais avaient tenté de fuir la zone d’occupation allemande vers la zone soviétique. Pour beaucoup ils avaient été refoulés par les Soviétiques, mais 150 000 parvinrent à passer (Mark Kupovetsky, «Estimation of Jewish Losses in the USSR During World War II», Jews in Eastern Europe, no 2 (24), 1994, p. 29, cité par Laurent Rucker, art. cit., p. 64). Il faut relever qu’ils furent très mal accueillis et que leurs conditions de (sur)vie furent en général catastrophiques (Yosef Litvak, «Jewish Refugees from Poland in the USSR, 1939-1946», in Zvi Gitelman (ed.), Bitter legacy: Confronting the Holocaust in the USRR, Indiana University Press, Bloomington, 1997). De plus une part importante de ces réfugiés fut évidemment «rattrapée» par les nazis en 1941. Entre temps, entre 1939 et 1941, les autorités soviétiques déportèrent, de la partie de la Pologne qu’elles avaient annexées, environ 120 000 citoyens polonais dont 36 000 Juifs (Jan Gross, «The Jewish Community in the Soviet-Annexed Territories on the Eve of the Holocaust», in Lucjan Dobroszycki et Jeffrey S. Gurock, op. cit., p. 162. On peut remarquer que Gross, p. 156, fournit un chiffre de réfugiés Juifs polonais en 1939 plus élevé que Mark Kupovetsky, mais il se fonde sur des sources plus anciennes). Ce qui au départ se voulait une mesure de coercition politique et de rétorsion (et elle l’était: entre 25% et 30% de ces déportés allaient mourir) s’avèrerait salutaire pour les survivants, si l’on compare le taux de mortalité, plus de 90% de ceux qui restèrent sur place, à la merci des nazis.

Quant au nombre de Juifs polonais ayant finalement pu fuir en URSS hors de portée des nazis, Yosef Litvak donne une valeur légèrement plus élevé que Altshuler et Gross (140 à 180 000) puisqu’il considère qu’il s’élève à environ 250 000 (Yosef Litvak, «Jewish Refugees from Poland in the USSR, 1939-1946», in Zvi Gitelman (ed.), Bitter legacy: Confronting the Holocaust in the USRR, Indiana University Press, Bloomington, 1997, p. 148).

La population juive de la Pologne comptait avant-guerre à 3,3 millions de personnes. Plus de 91% de cette population ne put échapper aux nazis. Pour ce qui est des régions soviétiques — dans les frontières d’avant 1939 — occupées, les taux d’évacuation sont plus élevés quoique difficiles à évaluer. En tout état de cause, la majorité des Juifs de ces régions ne put s’échapper (Mordechai Altshuler, op. cit., p. 97-99). Mordechai Altshuler observe par ailleurs que la fuite ne garantissait pas, loin s’en faut, la survie.

Dans le cas des Juifs des territoires soviétiques, le calcul est, comme on vient de le préciser malaisé. Néanmoins on peut essayer, avec les données dont on dispose de déterminer un ordre de grandeur. Il y avait, en 1941, un total de 4,2 millions de Juifs dans tous les territoires soviétiques, c’est-à-dire dans l’URSS d’avant 1939 avec les territoires annexés en 1939 et 1940 incluant 1,3 million de Juifs polonais, y compris ceux qui avaient fui la partie de la Pologne occupée par les nazis en 1939 (Altshuler, op. cit., p. 324 et John C. Zimmerman, Holocaust denial, University Press of America, 2000, p. 29). Entre 1 million et 1,5 million (au maximum) réussit à fuir en URSS non occupée (John C. Zimmerman, Ibid.). Cela permet de calculer le nombre de Juifs soviétiques, non issus des territoires polonais, restés dans les territoires envahis par les nazis. Si on fait l’hypothèse majorante de 250 000 Juifs polonais ayant réussi à fuir, entre 1,65 et 2,15 millions de Juifs issus des territoires soviétiques d’avant 1939, sont restés sur place à la merci des nazis. Le bilan des massacres systématiques de Juifs soviétiques (dans les frontières d’avant 1939) principalement dans les opérations mobiles de tueries (un million de personnes assassinées est aujourd’hui le seuil minimal dans l’historiographie) est en accord avec ces ordres de grandeur. {Ajout 2025: une dizaine d’années après que nous ayons dressé ces constats sur la base de l’historiographie alors disponible, Mark Kupovetsky est revenu complètement sur ces sujets et a affiné toutes les estimations dont nous parlons ici. S’il parvient à des chiffres légèrement différent, les ordres de grandeur sont les mêmes que ceux que nous exposions et ses résultats confirment pleinement notre propos. Voir Mark Kupovetsky, «Jewish population losses during World War II within the prewar (september 1939) and postwar borders of the USSR», in Alfred Kokh & Pavel Polian (éds.), Denial of The Denial, or the Battle of Auschwitz. The Demography and Geopolitics of the Holocaust: The View from the Twenty-First Century, Boston: Academic Studies Press, 2012, p. 149-170. On peut mentionner quelques uns de ses résultats. 4 965 000 Juifs se trouvaient, en juin 1941, dans l’espace qu’occuperaient les frontières de l’URSS en 1945, non compris les réfugiés venus de l’«Ouest» en 1939-1940, que Kupovetsky estime entre 280 000 et 635 000 (en grande majorité de Pologne, mais aussi beaucoup de Roumanie et un petit nombre de Tchécoslovaquie). Concernant les territoires occupés par les nazis en 1941-1942, Mark Kupovetsky, parvient à un total de 4 065 000 Juifs répartis en 2 180 000 Juifs soviétiques issus des frontières d’avant 1939, et 1 885 000 provenant des territoires occupés ensuite par l’URSS, mais sans inclure dans ces chiffres les réfugiés mentionnés plus haut. Pour les pertes, il aboutit notamment, en ce qui concerne les seuls Juifs soviétiques originaires des frontières d’avant 1939 à 1 112 000 victimes. Nous retombons dans tous les cas sur les ordres de grandeur auxquels nous avions abouti nous-même quelques années plus tôt.}

Une dernière fois, il faut souligner que toutes les études menées sur ces sujets, notamment les études citées ici, montrent qu’il n’y eut aucune politique spécifique d’évacuation des Juifs de la part des autorités soviétiques, et que le nombre de Juifs demeurés à la merci des nazis est largement en accord avec les bilans de victimes dressés par les historiens.]


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