L’HÉRITAGE NAZI
Des Nouvelles Droites européennes à la littérature niant le génocide
Pierre-André Taguieff
Les Nouveaux Cahiers, no 64, printemps 1981Reproduction interdite sauf autorisation de l’auteur
I. - Qu’est-ce qu’une stratégie métapolitique
«Cette manière apolitique de faire de la politique…».
Maurice Bardèche: La «Nouvelle Droite»
(in Défense de l’Occident, no 167, juillet-août 1979, p. 15).«Répétons-le: la Nouvelle Droite se situe sur un tout autre plan [que celui d’un «projet politicien»]: celui de la culture ou, pour prendre un terme qu’elle affectionne, de la métapolitique». Ainsi parlait Alain de Benoist dans les Idées à l’endroit (1979, Hallier, p. 21). Le Groupement de Recherche et d’Etudes pour la Civilisation Européenne (G.R.E.C.E.) ne serait-il qu’une inoffensive société de pensée, tout comme sa sœur jumelle la revue Nouvelle Ecole, une association culturelle parmi d’autres, regroupant de «purs» intellectuels soucieux de réfléchir ensemble, librement, sur les sciences, les arts, les religions, les philosophies? Alain de Benoist concédait cependant: «Certes, ce serait tomber dans l’angélisme que de ne pas admettre que toute idée peut un jour trouver un prolongement dans le domaine politique. Mais là n’est pas l’affaire de la Nouvelle Droite» (ibid.). Cette présentation de soi relève en fait du spectacle efficace et s’insère dans une stratégie d’invasion lente du champ politique. Il suffit pour s’en convaincre de bien lire les textes, y compris les plus exotériques: commentant Gramsci, J.-Cl. Valla rappelle que la prise du «pouvoir civil», effet d’un consensus portant sur les valeurs, les mythes et les affects, est «le préalable obligatoire à tout succès dans l’ordre politique» (Dix ans de combat culturel, 1977, p. 74). Le gramscisme de droite se donne pour reprendre à son compte la stratégie «culturelle» des «marxistes», afin de «battre l’adversaire sur son terrain» (ibid.). Une telle conception stratégique suppose que «la vulnérabilité des sociétés modernes à la propagande du pouvoir culturel» soit «très grande» (ibid.). Règle de guerre culturelle, précisée par Alain de Benoist constatant «la vulnérabilité, elle aussi grandissante, de l’opinion publique à un message métapolitique [qui est] d’autant plus efficace et d’autant mieux reçu et assimilé que son caractère directif et suggestif n’est pas clairement perçu comme tel, et, par conséquent, ne se heurte pas aux mêmes réticences rationnelles et conscientes qu’un message à caractère directement politique» (les Idées à l’Endroit, p. 258).
Le vieux concept de la suggestibilité des foules, hérité de Gustave Le Bon (inspirateur, entre autres, d’Hitler et de Goebbels), se retrouve ici à peine remanié. Le combat métapolitique, c’est la politique continuée et efficace, mais en d’autres lieux que proprement politiques. Alain de Benoist précise qu’il y a eu «transfert du lieu de la politique»: les domaines métapolitiques, «réputés neutres (religion, culture, art, éducation, économie)», dessinent l’espace réel où s’exerce la lutte pour le pouvoir, (cf. Vu de Droite, 1977, p. 217). On commence peut-être à décrypter les insistantes dénégations «métapolitiques» portant sur le politique. Sachant ce que recouvre l’expression tactique de «stratégie culturelle» et/ou d’«action métapolitique», la lecture des textes publiés se fait plus aisément: l’écran lexical laisse voir l’appareil en action. L’objectif à moyen terme est de fissurer le consensus doxique portant sur les valeurs «égalitaristes» (du «judéo-christianisme» au «marxisme», en passant par 1’«économie libérale»), définissant le pouvoir culturel, afin de détruire les bases mêmes du pouvoir «démocratique». En bref, de procéder à une «révolution conservatrice», version pré-nazie de la contre-révolution dans l’idéologie allemande des années 1919-1933, qu’inaugurerait aujourd’hui la stratégie du contre-pouvoir culturel. «C’est là que réside la raison d’être du G.R.E.C.E., son originalité», commente «Robert de Herte», alias Alain de Benoist (Eléments, février-avril 1977, no 20, p. 3). D’où une pédagogie élitiste politiquement nécessaire: «Il n’y a qu’un moyen de lutter de façon durable contre la subversion qui est à l’œuvre dans toutes les sphères de la structure sociale: c’est de fournir une vue-du-monde qui enlève à cette subversion ses attraits. C’est d’entreprendre la formation mentale de ceux qui, dans les années qui viennent, auront entre leurs mains le pouvoir de décision (ibid., souligné par moi). Déjà, au temps d’Europe Action, «Fabrice Laroche» (alias Alain de Benoist), se penchant sur le passé pédagogique de ses virils camarades, affirmait: «Notre but était simple: créer une élite d’individus capables de propager les idées à tous les niveaux» (Cahiers Universitaires, no 25, déc. 1965, p. 5). Dès les premières livraisons de sa revue de style universitaire (métapolitique oblige), Alain de Benoist était amené à soulever parfois le voile sur ses visées: «ce dont nous avons besoin, c’est d’hommes influents, ayant leur place dans les sphères de décision d’aujourd’hui, et plus encore dans celles de demain» (Nouvelle Ecole, no 9, Eté 1969, Itinéraire, p. 7).
Un entrisme de haute école.
On ne saurait mieux prosaïquement définir l’entrisme systématique, et hautement électif, prôné par l’appareil G.R.E.C.E.-Nouvelle Ecole. Le Bulletin intérieur du G.R.E.C.E., datant de janvier 1969, plus explicite de par sa fonction même, vérifie l’hypothèse d’une volonté de prise du pouvoir politique à long terme: «En aucun cas, tant que le correspondant est dans la phase d’observation, les objectifs purement politiques ne doivent être dévoilés. Ils ne le seront que lorsque sera reconnue sa qualité de membre, et encore, à ce stade, nous devons présenter notre objectif surtout comme une révolution intellectuelle et morale, et n’aborder la stratégie politique qu’avec la plus grande prudence». Le politique, voire le para-militaire, c’est l’envers bien réel du décor1. Deux axes peuvent donc être dégagés du combat dit culturel: infiltration et noyautage d’appareils institutionnels existants, d’une part, normalisation progressive des productions intellectuelles liées aux fascismes historiques d’autre part. Détournement et banalisation réalisés par l’instrumentation culturelle, arme imperceptible et séduisante façade tout à la fois.
Un fin connaisseur, Maurice Bardèche, fasciste de vieille expérience, a fort justement cerné le sens de l’entreprise néo-droitière, reconnaissant: «Cette realpolitik de la droite que la génération d’Alain de Benoist nous propose est peut-être la seule voie qui nous reste ouverte pour sortir du «ghetto» où la droite s’est trouvée bloquée». (Défense de L’Occident, no 170, déc. 1979, p. 29). L’efficacité des stratégies discursives du G.R.E.C.E.-Nouvelle Ecole a pu être constatée sous les espèces de la multiplication de ses réseaux d’infiltration: le Club de l’Horloge pour la haute administration, le Comité de liaison des Officiers et Sous-officiers de réserve (C.L.O.S.O.R.) et Nation Armée pour l’institution militaire, le Groupe d’Etudes pour une Nouvelle éducation (G.E.N.E.) pour les milieux éducatifs2, les Cercles régionaux et publications thématisant le «retour aux racines-droit à la différence», visant ainsi à noyauter les mouvements régionalistes, le Figaro-Magazine touchant le grand public de droite, les éditions Copernic, etc… Laissons à Louis Pauwels le soin de présenter ses proches et collaborateurs (la rédaction du Figaro-Magazine grouillant de membres et de sympathisants du G.R.E.C.E.), ainsi que leurs amis, comme engagés dans une tâche de rupture déclarée positive avec le marxisme, «pensée condamnée par les faits», et consistant à lui opposer «une autre pensée fondée sur la réalité que découvrent les sciences de la vie» (Maiastra, Renaissance de l’Occident? Plon, 1979, p. 33). Le directeur des Services culturels du Figaro raconte: «Cette entreprise a commencé parmi les intellectuels de trente ans, au sein d’innombrables ateliers, forums, cercles de travail, entre autres parmi les chercheurs (sic) du G.R.E.C.E. ou les jeunes énarques et polytechniciens du Club de l’Horloge» (ibid.).
En bref, la réussite d’un néo-fascisme «culturel» émondé du lexique et des références trop visiblement fascistoïdes est incontestable. Bardèche l’a reconnu volontiers, malgré certaines de ses réserves, prenant l’allure de remontrances, sur «les silences de la Nouvelle Droite» («on ne va pas au combat sans drapeau (…). Il y a une mesure à garder en tout. Même en tactique»): «Cette brêche ouverte dans la ligne de front du terrorisme intellectuel est la preuve qu’un renouvellement des références et du vocabulaire était souhaitable, que nous devons l’accepter tel qu’il est» (art. cit., ibid.)3. Sous les mécanismes formels de séduction, l’essentiel est que demeure la force fasciste substantielle, à peine cryptée par le jeu des substitutions et focalisations référentielles: Spengler et Moeller van den Bruck plutôt que Rosenberg et Himmler — les doctrinaires inspirateurs du nazisme plutôt que ses agitateurs et responsables —, Julius Evola présenté sous angle héroïque plus volontiers qu’en tant que philosophe de l’antisémitisme, même «noble». La stratégie métapolitique s’est diffusée par les effets convaincants de ses succès.
Avoir réussi à rallier une importante fraction des cadres intellectuels de la droite classique en compagnie d’éléments extrémistes sous armure culturelle, autour de quelques mythes et motifs critiques mis en slogans: l’organisation trifonctionnelle du social, présumée propre aux supposés Indo-Européens, posée comme norme, l’anti-monothéisme et ses suites: anti-universalisme, anti-humanitarisme, l’anti-égalitarisme et sa double implication: ni libéralisme ni socialisme, la critique systématique des valeurs démocratiques présentées comme autant de «tabous», c’est là une tâche qu’aucun parti d’extrême-droite en France n’eût pu accomplir avec autant d’efficacité. On ne sera point surpris de ce que le gramscisme de droite ait tôt eu ses démarqueurs, à commencer par le charismatique président-fondateur de la revue Nouvelle Acropole, mensuel de l’association du même nom. On admirera la fidèle paraphrase du nouveau jargon de bois, ici teinté de populisme, des droites métapolitiques: «nous avons oublié que le véritable pouvoir est le pouvoir culturel, celui qui élabore les doctrines, celui qui cultive les hommes et qui forge les âmes de demain (…). Les élites gouvernantes ont abandonné le pouvoir culturel aux intellectuels. Mais ne faisons pas de confusion, la culture n’est pas seulement l’intellect; elle est grandeur et force, mystique et organisation. (…) Elle est le sang et la forme du peuple». (F. Schwarz, in Nouvelle Acropole, no 54, nov. 1979, pp. 1-3).
Une nouvelle stratégie idéologique unitaire s’est mise en état d’être opératoire, depuis le milieu des années 70, lorsque la Nouvelle Droite s’est constituée en centre de formulation et de diffusion de thèmes conducteurs destinés au réarmement intellectuel des familles politiques réunies en majorité présidentielle. «Pour la première fois dans l’histoire de notre pays un mouvement de pensée doctrinale s’appuyant sur les traditions profondes et les racines de la race occidentale fait entendre sa voie», diagnostique judicieusement l’ancien Waffen S.S. P. Bousquet (in Militant, août-septembre 79, p. 2).
II. - Le G.R.E.C.E. - Nouvelle Ecole saisi dans sa filiation et son contexte
C’est un fait que la stratégie métapolitique de la Nouvelle Droite s’est précédée elle-même, significativement: la véritable rupture, dans l’histoire politique récente de l’extrême-droite en France, date du tournant de 1962-1963, lorsque l’utopisme activiste subit sa mutation en une entreprise patiente de réarmement idéologique, conduite selon un retour sélectif et critique sur les traditions européennes du nationalisme révolutionnaire. C’est un autre fait que le dispositif néo-droitier, tel qu’il fonctionne aujourd’hui, s’insère dans une histoire intellectuelle et politique spécifiable dont il faut remonter le fil pour en comprendre le sens, la fonction et l’efficace.
1) LA FILIATION FRANÇAISE
«… nos premiers maîtres, Drumont et Barrés».
Fabrice Laroche, alias Alain de Benoist («Pour une éthique nationaliste», Cahiers Universitaires, II, déc. 1962, p. 21).«Ancien collaborateur d’Henri Coston, chroniqueur et journaliste de nombreuses revues d’information, Fabrice Laroche nous offre en ce livre une étude essentielle [Salan devant l’opinion, éd. Saint-Just, mai 1963].»
B. Ripoche, Europe Action, 8 août 1963, p. 72.Le G.R.E.C.E. a été officiellement fondé le 17 janvier 1969, lorsque l’association ainsi nommée s’est déclarée à la Préfecture des Alpes-Maritimes. Mais dès le 15 novembre 1967, les premiers contacts nationaux avaient été pris, avant qu’un secrétariat provisoire ne s’installât à Nice en janvier 1968. Quant au premier numéro de Nouvelle Ecole, il est daté de février-mars 1968. Constat de haute importance: le personnel fondateur du G.R.E.C.E. est le même que celui de Nouvelle Ecole, et issu en majorité de la mouvance d’Europe Action.
C’est au sein d’une telle société que se retrouvent alors un bon nombre d’anciens de Jeune Nation, de la Fédération des Etudiants Nationalistes (F.E.N.), du Mouvement Nationaliste du Progrès (M.N.P.) et du Rassemblement Européen de la Liberté (R.E.L.)4, etc…: J. Bruyas, Alain de Benoist-«F. Laroche», R. Lemoine, J.-C. Valla, P. Vial, D. Venner-«Julien Lebel», J. Mabire, etc… En un mot, l’élite intellectuelle de l’extrême-droite européaniste des années 60. On sait que le G.R.E.C.E. et Nouvelle Ecole (mais aussi bien le Club de l’Horloge)5 évitent, en toute réciprocité, de dévoiler les intersections majeures qui les constituent, comme l’unité d’inspiration et d’objectifs donnant un sens d’ensemble à leurs pratiques: à preuve la double appartenance masquée par le jeu des pseudonymes: tel Yvan Blot, du Club de l’Horloge, devenant «Michel Norey» au Comité de rédaction de Nouvelle Ecole et au G.R.E.C.E. tandis qu’Alain de Benoist, de Nouvelle Ecole, se métamorphose en «Robert de Herte», éditorialiste d’Eléments, pour ne prendre que deux exemples; l’identité des références scientifiques (K. Lorenz, G. Dumézil) et philosophiques (Spengler, Gehlen); l’usage commun de la stratégie culturelle du type gramscien retourné.
Il est intéressant de noter qu’un G.R.E.C.E. s’était constitué dès 1965: non pas encore le métapolitique Groupement de Recherche et d’Etudes pour la Civilisation Européenne mais les plus simplement politiques Groupes de Recherches et d’études pour la Communauté européenne. On y trouvait certains militants guerriers d’Europe Action et de la Fédération des Etudiants Nationalistes (F.E.N.) qui se changeront, trois ans plus tard à peine, en intellectuels, chercheurs et méditatifs. Une bienheureuse indiscrétion d’un organe du Centre de Documentation politique et universitaire (C.D.P.U.)6 a permis d’établir ce petit fait décisif, (le Nationalisme en 1971: bilan et perspectives, 15 mai 1971, tirage: 80 exemplaires). L’idée directrice de la stratégie culturelle ne date donc pas de 1968, elle a surgi dans l’orbite du «réalisme biologique» et de la défense du «monde blanc» prônés par Europe Action (no 1, janvier 1963)7, revue de combat née des réflexions théoriques, après l’échec de l’O.A.S., de D. Venner durant son séjour en prison (il fut libéré en septembre 1962).
Dès le Manifeste de la Classe 60, rédigé en juin 1960 par l’équipe d’étudiants qui venait de fonder la Fédération des Etudiants Nationalistes, se trouvaient énoncés de concert anti-démocratisme et racisme, dérivations d’une position de refus devant les valeurs égalitaires: «Nous rejetons la conception démocratique, individu anonyme qui abdique de sa personnalité et de sa valeur devant l’absurde et injuste loi égalitaire par laquelle un Bigeard est rabaissé au niveau du dernier balayeur de quartier, un Pasteur à celui d’un analphabète originaire du Congo et la mère de famille à celui de la prostituée.» (réédité in Cahiers Universitaires, 9-10, sept.-oct. 1962, p. 3).
Le conflit des valeurs.
Le scientisme raciologique constituait le sol idéologique du groupe voisin nommé Europe Action, où le doctrinaire signant «Gilles Foumier» esquissait les grandes lignes d’une anthropologie de tradition nationale-socialiste: «Une civilisation est le produit d’une race; seule la race qui l’a créée est capable de la maintenir dans sa voie naturelle de développement» («Existe-t-il des races «inférieures»?», Europe Action, 7 juillet 1963, p. 44). D’où le principe d’intransmissibilité des formes culturelles, en tant qu’irréductiblement fixées sur leur socle racial propre: «Toute tentative de transplantation d’une civilisation dans un terrain racial étranger à celui qui l’a vu naître est une tentative impossible» (ibid.). Enfin la supériorité de la «civilisation blanche» y était affirmée selon l’argument scientifico-technique, disons prométhéen, qui, de Renan à Louis Rougier (le maître très respecté d’Alain de Benoist), prétend légitimer l’ethnocentrisme occidental: «la civilisation blanche (…) est la seule à fournir des moyens certains de domination sur le milieu physique. (…) C’est selon ce critère que le réaliste biologique considère qu’il existe des races inférieures, c’est-à-dire incapables, de par leurs caractéristiques psychiques héréditaires, d’accroître au-delà d’une certaine limite leur emprise et leur domination sur le milieu naturel» (pp. 44-45).
Quant à l’antisémitisme, fort modéré dans son expression il n’en faisait pas moins naturellement partie de l’héritage mental des milieux d’obédience réaliste-biologique. On pouvait lire, par exemple, sous la plume, d’ordinaire fort prudente, de «F. Laroche», ce commentaire de stricte tradition drumontienne (par Coston interposé): «Tout a commencé avec l’œuvre d’un cinéaste français du nom, évocateur, de Jessua. Son film, la Vie à l’envers, est une illustration assez classique des principes d’antiphilosophie qu’il aborde de front» (Europe Action, no 23, nov. 1964, p. 11)8. Ces principes illustrés par l’auteur ressemblant à son nom (apprécions l’allusion), ce sont ceux auxquels s’oppose le réalisme biologique: déracinement, utopisme, universalisme. Alain de Benoist, critique cinématographique consciencieux, précise: «L’Homme qui mène «sa vie à l’envers», c’est celui qui peu à peu rompt avec sa famille, et le monde réel, se déracine, s’abstrait en contemplations absolues» (ibid.).
Les judéo-chrétiens, car c’est d’eux qu’il s’agit dans de telles allusions, ne sont de nulle part. Et risquent de contaminer par leur charge négative toute culture rencontrée. Le G.R.E.C.E. une fois fondé, l’antisémitisme vague et oblique fera place à un «anti-judéo-christianisme», expression substitutive permettant des attaques directes et virulentes: «… une pensée négative se référant aux valeurs abstraites (…), se déplaçant dans l’irrationnel, absolue dans ses principes, totalitaire dans ses applications, tendant à l’universalisme sous toutes ses formes, trouvant enfin son incarnation dans les idéologies foisonnantes du Proche-Orient.» (Nouvelle Ecole, no 4, août-sept. 1968, Itinéraire, p. 7). Plus récemment, on rappelle volontiers que «le poison idéologique qui a emporté le monde antique s’est fixé au cœur de la civilisation européenne», (Eléments, no 31, août 1979, p. 3). Les actifs parasites nommés par le Message d’Uppsala «rongeurs de la civilisation blanche» ou «toxines sémites» n’ont point disparu, sous les euphémismes, de l’imaginaire du G.R.E.C.E. (cf. plus bas, et n. 27). L’interprétation pathologique elle-même ne manque pas à l’appel: «le fanatisme sectaire trouve son origine dans le monothéisme des «religions du Livre»… Cette maladie de l’esprit touche aujourd’hui les milieux les plus divers» (P. Vial, in Eléments, no 31, p. 36). Le juif, bien qu’innommable en propre, demeure présent.
La doctrine stratégique, patiemment élaborée d’Europe Action au G.R.E.C.E.-Nouvelle Ecole, a donc pris son départ d’une volonté d’ouvrir, hors du jeu parlementaire comme du romantisme activiste, l’espace idéologique requis par une «révolution conservatrice». Retourner la machine polémique du marxisme contre le projet social qui lui donnait sens, ce n’est certes pas là schème nouveau: les contre-révolutions qui, au XXe siècle, ont réussi, se sont accomplies selon cette inversion de cible et cette subversion sémantique. C’est pourquoi l’ouvrage inaugural de Venner (Pour une critique positive)9 se voulait, selon la formule de F. Duprat, «le Que Faire du nationalisme français» (cf. les Mouvements d’extrême droite en France depuis 1944, Ed. Albatros, 1972, p. 122). Mais la tentative de constituer une avant-garde politique se soldera par un nouvel échec. Le G.R.E.C.E.-Nouvelle Ecole substituera le «gramscisme» des néo-droites européanistes au «léninisme» de l’extrême-droite nationale d’après son autocritique. Un gramscisme qui peu à peu se mâtinera des thèses d’A. Cochin sur la Révolution française, suivant une analogie plutôt flatteuse, ainsi que l’exhibe volontiers P. Vial: «Comme cette société de pensée qu’est la franc-maçonnerie [voir n. 1] a préparé les esprits à la révolution de 1789, la société de pensée qu’est le G.R.E.C.E. entend préparer les esprits à la révolution du XXIe siècle, qui saura unir l’héritage spirituel le plus ancien et la technologie la plus progressiste» (le Monde, 24 août 1979). Cet héritage, c’est celui de l’âme indo-européenne, celui des structures mentales prétendument propres aux Indo-Européens et à leurs descendants. Autant et plus que Dumézil, la Nouvelle Droite aurait pu à juste titre se réclamer ici de Rosenberg10. C’eût été moins habile.
2) LA NORTHERN LEAGUE (LA LIGUE NORDIQUE)
ET L’INTERNATIONALE RACISTE«Nous avons appris avec peine le décès, survenu le 25 septembre dernier à Fribourg-en-Brisgau (R.F.A.) du professeur Hans F.K. Günther (…), l’un des anthropo-raciologues les plus célèbres d’avant-guerre (…). Il avait reçu en Allemagne, en août 1968, deux membres du comité de rédaction de Nouvelle Ecole (Nouvelle Ecole, no 6, hiver 1968-1969, p. 89).
On a justement repéré dans la droite «radicale» ou «révolutionnaire» de la fin du XIXe siècle (J. Soury, G. Vacher de Lapouge, G. Le Bon, en France) la provenance idéologique majeure de l’actuelle Nouvelle Droite11. Dès la généralisation, accomplie par Spencer (1862), des lois de la sélection naturelle et leur application directe aux structures sociales, psychologiques et morales, le darwinisme social est apparu comme la philosophie politique indépassable en son temps. La vie sociale n’étant qu’une lutte perpétuelle aboutissant à la survie des plus aptes, l’élite apparaît comme produite selon les lois naturelles, la hiérarchie sociale est naturalisée, le pouvoir appartient aux «meilleurs» baptisés par la science, ceux qui sont sortis victorieusement des examens de passage sélectifs.
L’antisémitisme subit, dans ce contexte social-darwinien, une transformation décisive: de religieux, national et économique qu’il avait été, successivement et simultanément, il se pare désormais des rigueurs présumées de l’anthropologie physique (Broca, 1860) et du sélectionnisme évolutionniste. L’antisémitisme se donne alors comme scientifique et l’anti-judéo-christianisme croit pouvoir se fonder sur les lois de la lutte des races, posées comme raison dernière de celles de la lutte des classes: de même que les populations nationales comportent un déchet social irréductible qu’il s’agit d’expulser — et non pas d’entretenir par des lois sociales «antibiologiques» — afin de défendre l’intégrité du corps social sain, de même les races humaines sont alourdies de divers déchets raciaux, dont «l’ethnie juive», parasitaire par excellence, figure à la fois l’infécondité et la morbidité extrême.
Le mythe raciste est moins alimenté dès lors par le fantasme de supériorité que par celui de pureté: l’impératif racial, social et politique s’abrège en une lutte pour la préservation du propre bio-culturel. Le racisme différentialiste s’est installé dans l’idiosyncrasie de la droite raciophile, au point de la conduire à récuser le colonialisme, dangereux pour le métissage qu’il est susceptible d’engendrer. L’essentiel consiste à se garder des contacts: le mélange, c’est la dégénérescence inéluctable.
Il aurait fallu néanmoins suivre aussi bien les chemins de la raciologie, de la «sociobiologie» et de la biopolitique eugéniste des inspirateurs, compagnons de route et théoriciens du nazisme12. Car la Nouvelle Droite ne vient pas du printemps 1968: elle a emprunté la voie, éminement «culturelle», préalablement tracée par la Ligue Nordique, fondée en 1957 à l’initiative de R. Pearson et à laquelle l’ancien théoricien nazi de l’anthropologie raciale Hans F.K. Günther adhéra sans tarder, entouré de certains de ses semblables. Quel rapport avec le G.R.E.C.E.? On pourrait lire dans le Who’s Who (1975- 1976) à l’entrée «Alain de Benoist»: «Docteur en biologie honoris causa de l’institut supérieur des sciences du Québec (…). Membre de la Mensa (France)13, de la Société des Amis de Bayreuth, de la Ligue Nordique, de l’association G.R.E.C.E.».
Inégalitarisme et racisme du Nouvel Ordre Européen.
Précisons, avant tout commentaire, cet arsenal d’appartenances: l’institut mentionné de façon quelque peu tronquée est l’institut supérieur des Sciences Psychosomatiques, Biologiques et Raciales dont le directeur n’est autre que le Docteur J. Baugé-Prévost, auteur d’ouvrages présumés «scientifiques» aussi fameux que le Celtisme-l’Ethique biologique de l’homme blanc» (Ed. Celtiques, Montréal, 1973). Préfaçant le commentaire du «Manifeste social-raciste» (texte de base du Nouvel ordre européen) présenté par le «professeur G.-A. Amaudruz», il concluait sur une petite musique désormais acclimatée dans l’hexagone par les bons soins du G.R.E.C.E.: «l’idée même d’égalité est une absurdité. Les hommes sont par essence inégaux tant au physique qu’au moral. Il en est de même pour les races» (Nous autres racistes, Ed. Celtiques, Montréal, 1971, p. 9). Sur la question, Nouvelle Ecole ne citera pas le néo-nazi trop reconnaissable Baugé-Prévost, mais le Prix Nobel K. Lorenz: «L’inégalité des hommes est l’un des fondements et l’une des conditions de toute culture (…). C’est la même chose avec les groupes raciaux» (Nouvelle Ecole, hiver 1974-1975, no 25-26, p. 45).
Il est vrai que l’éthologie d’un Lorenz relève autant de la guerre idéologique que de la recherche scientifique. Son engagement sans équivoque dans le camp des doctrinaires eugénistes du national-socialisme permet de comprendre la place privilégiée que lui accorde le G.R.E.C.E.- Nouvelle Ecole — le recours à Lorenz est également systématique au Club de l’Horloge — dans son Panthéon des valeurs sûres et des figures médiatrices (Moeller van den Bruck, Spengler, C. Schmitt, Evola, Abellio, Fabre-Luce, Rougier…) par lesquelles la Nouvelle Droite indique sa propre généalogie intellectuelle14. L’esprit d’extermination du «déchet social», fondateur de la tradition eugéniste, préside aux attaques incessantes de Lorenz contre les idées égalitaires, barrant la route à l’élimination des présumés moins aptes: «Notre bienveillance envers les déficients sociaux, que leur infériorité soit due seulement à un accident irréversible dans la petite enfance ou à des tares héréditaires, menace la sécurité de ceux qui sont normaux» (les Huit péchés capitaux de notre civilisation, 1973, tr. fr., Flammarion, 1976, p. 89; tr. modifiée).
Un excellent exemple de «coup» sémantique est fourni par la mention du prix attribué à Lorenz, en 1973, par le Deutscher Kulturwerk europäischen Geistes, au sein d’une série de distinctions prestigieuses (Nouvelle Ecole, no 25-26, p. 50). Or le prix en question provient d’une association étroitement liée à la Ligue Nordique et qui a couronné des pro-nazis académiques, tel Hans Grimm, ancien membre éminent du Kampfbund für deutsche Kultur (1929) de Rosenberg15. Ce même Rosenberg qui décorera de sa propre main, en 1941, le très méritant Günther en lui accordant la «médaille Goethe pour l’art et la science», comme le rappelle une note d’information de Nouvelle Ecole (no 15, mars-avril 1971, p. 67), avant de faire une très imprudente allusion — une fois n’est pas coutume — à «une lettre adressée [par Günther] en avril 1966 à l’un des animateurs de Nouvelle Ecole». Qui donc saura jamais quand débuta cette correspondance?
Le Quatrième Congrès international de Médecine naturelle, tenu à Montréal du 13 au 15 septembre 1974, réunissait les principaux responsables de l’institut supérieur des Sciences Psychosomatiques, Biologiques et Raciales: Jacques de Mahieu et J. Baugé-Prévost (G.A. Amaudruz, «Recteur» de l’institut à Lausanne, se contentera d’envoyer un texte d’introduction mettant l’accent sur la «décadence» due au métissage du «monde blanc»), une brochette de grands délirants électro-hypno-naturothérapiques et autres, auxquels s’était adjoint un invité singulier: le «Docteur Alain de Benoist». Celui-ci fit plusieurs interventions: le 14 sur le thème «L’ère de l’éthologie», le 15 sur deux autres thèmes significatifs: «Biologie du comportement animal et humain» et «Des lois de la vie et de la promotion biologique».
Dans la plaquette présentant le programme, publiée aux Ed. Celtiques (Montréal, 1974), on pouvait lire sous la plume du même Alain de Benoist, au terme d’une virile critique du féminisme: «Du droit de vote au «droit à l’orgasme», il y a seulement glissement progressif dans l’illusion» (De la sexualité, in op. cit., p. 27). Qu’en pense la perspicace B. Groult, exemplifiant la confusion ambiante, elle qui écrivait à Alain de Benoist: «J’ai trouvé Nouvelle Ecole remarquable» (Nouvelle Ecole, 11, janvier-février 1970)? Passons sur la bien connue Mensa, regroupant l’élite testée de la nation et sur la Société des Amis de Bayreuth, dernier avatar du Cercle de Bayreuth où se cotoyaient, dès la fin du siècle dernier, H.S. Chamberlain et L. Schemann, fondateur de la Société Gobineau (1894). On y pourrait faire certaines rencontres (deux mille six cents adhérents en 1977, selon les chiffres donnés par le membre Alain de Benoist, in Vu de droite, p. 534 sq).
L’Internationale Nordique
Abordons maintenant l’appartenance essentielle: la Ligue Nordique (Northern League). Son objectif: unir «les intérêts, l’amitié et la solidarité de toutes les nations teutoniques». Grâce à l’étude récente du psychologue britannique Michael Billig, nous en connaissons mieux les ramifications internationales et les objectifs véritables. (Psychology, Racism and Fascism, Birmingham, 1978, tr. fr., Maspero, 1981). Notons sommairement quelques faits significatifs. Parmi les membres fondateurs de la Ligue Nordique on trouve donc Hans F.-K. Günther qui, d’élève doué du bio-anthropologue E. Fischer, est très vite devenu théoricien et chantre officiel de la «race nordique», couvert d’honneurs par le Troisième Reich16; Roger Pearson, universitaire spécialiste d’«anthropologie», physique et pour tout dire raciale, actuel président de la Ligue Nordique, membre du comité de patronage de Nouvelle Ecole, président du Council on American Affairs, membre de la World Anticommunist League (W.A.C.L., créée en 1967 dans le Sud-Est asiatique), fondateur, en 1956, du périodique Northern World qui publiera, en 1959, une version abrégée de Rassenkunde Europas, l’un des ouvrages raciologiques quasi-bibliques de la «science nazie», publié par Günther en 1924. L’organe du G.R.E.C.E., Eléments, après avoir fourni certaines précisions sur la IXe conférence, à Séoul, de la W.A.C.L. (Eléments no 16, juin-août 1976, p. 25), ajoute avec satisfaction: «La nécessité du combat culturel n’échappe pas à la W.A.C.L.».
Il n’est pas inutile de souligner la présence à Séoul de l’Association française pour la Défense de la culture (A.F.D.C.) où Claude Chollet, membre du G.R.E.C.E. et du conseil d’administration du Mouvement Normand (cf. revue Haro)17, assume de hautes responsabilités (le 27 septembre 1974, l’A.F.D.C. tient significativement son congrès à Nice, où elle invite le Centro italiano di documentazione e azione sociale (C.I.D.A.S.)18. Roger Pearson, enfin, a succédé au colonel Gayre of Gayre, décédé en 1979, à la direction de la revue The Mankind Quarterly diffusant, depuis sa fondation en 1960, un racisme aux allures les plus académiques, mêlant l’anthropologie physique à la psychologie raciale, l’eugénique à l’archéologie raciologique. Cette revue britannique entretient les meilleurs rapports avec son homologue allemande Neue Anthropologie, plus confidentielle. Entre les deux revues circulent auteurs et articles. Or ces deux publications de style académique échangent régulièrement de la publicité avec Nouvelle Ecole, qui les mentionne élogieusement, les analyse soigneusement, en traduit certains textes.
Neue Anthropologie est éditée par Jürgen Rieger, membre de la Ligue Nordique, disciple de Günther et défenseur tout autant de la «race nordique», organisateur à Munich, en 1977, d’un meeting sur le thème: «Eternelle pénitence pour Hitler?». Dans ce contexte nazi-révisionniste prirent la parole G. Frey, président de la néo-nazie Deutsche Volksunion, rédacteur en chef de la Deutsche Nationalzeitung, et A.-R. Butz, l’homologue américain de Faurisson; aussi ne s’étonnera-t-on pas de retrouver le «Rapport du professeur Faurisson sur le «Journal d’Anne Frank» déposé par son auteur chez Maître Rieger19, comme le rapporte — ingénuité ou cynisme? — l’adjuvant Thion («Vérité historique ou vérité politique?», La Vieille Taupe, 1980, p. 299). Précisons que la Ligue Nordique possède un organe officiel: The Northlander, paraissant à Amsterdam, et que Neue Anthropologie est publiée à Hambourg par la Gesellschaft für Biologische Anthropologie, Eugenik und Verhaltensforschung. Les préoccupations sont les mêmes: l’inégalité héréditaire individuelle et raciale de l’intelligence, la psychologie «ethnique», la philologie et l’archéologie indo-européaniste, la touche germanolâtrique — l’Atlantide fait immensément problème — l’eugénisme et l’eugénique, l’anthropologie raciale20. L’unité idéologique suppose aussi bien un semblable recours à la stratégie métapolitique. Il reste que c’est en la seule France que l’objectif d’infiltration et de détournement institutionnels a trouvé un terrain singulièrement favorable, et une réalisation en bonne voie.
La Ligue Nordique est assurément une résurgence des nombreuses associations se réclamant de l’idéal indo-germanique, aryen ou nordique, apparues en Allemagne dans le contexte dessiné par la littérature völkisch, la wagnérolâtrie liée au pangermanisme, la diffusion militante du gobinisme et l’immédiate vulgarisation des thèmes de l’hygiène raciale (c’est-à-dire de l’eugénique). L’hygiéniste Alfred Ploetz (1860-1940) sera par exemple le fondateur très naturel d’une Société Nordique (1921), avant d’être récompensé de son œuvre pionnière par Hitler qui lui confiera une chaire universitaire (cf. Léon Poliakov: le Mythe Aryen, 1972, p. 310). Hans F. K. Günther, de son côté, collaborait à la plupart des publications liées au Mouvement Nordique (revue mensuelle: Rasse, dont Günther et Clauss, autre célèbre raciologue völkisch, étaient les rédacteurs associés). H. Rauschning a précisément démonté le mécanisme d’une telle société pseudo-culturelle: derrière le décor peint aux couleurs de l’histoire et de la mythologie «nordiques» fonctionnait une «officine de propagande perfide et d’espionnage cynique» destinée à provoquer l’adhésion très prosaïque de la Suède au Grand Reich (Hitler m’a dit, 1939, tr. fr., Coll. Pluriel, 1979, p. 198 sq.). Nordisme et stratégie culturelle faisaient déjà bon ménage.
3) QUI PATRONNE «NOUVELLE ECOLE»?
Un rapide balayage du comité de patronage de Nouvelle Ecole est déjà fort éloquent, concernant le caractère international de l’entreprise néo-droitière, en ce qu’il permet d’inventorier, outre Roger Pearson, certains noms valant pour autant de pistes à suivre. J’en sélectionne ici quelques-uns, les accompagnant de notations volontairement brèves, considérablement éloignées des titres prestigieux, exhibés en vrac, dont Nouvelle Ecole, généreusement, les affuble — stratégie oblige, et les béotiens à éblouir non moins que les jobards sont légion, dans les rangs serrés des lecteurs et disciples de Louis Pauwels.
- Franz Altheim: éminent spécialiste de l’histoire ancienne d’obédience nationale-socialiste, ancien collaborateur d’Himmler21, doctrinaire prestigieux au sein de l’Ahnenerbe, organisation étroitement liée à la S.S.
- Henry E. Garrett (décédé en 1973): farouche opposant, dans les années 50, à l’intégration raciale dans les Etats du sud des Etats-Unis, auteur de pamphlets anti-intégrationnistes, rédacteur adjoint de The M.Q., rédacteur à l’American Mercury22, reste ouvertement antisémite; membre de la Ligue Nordique.
- R.Gayre of Gayre (décédé en 1979): raconte volontiers sa visite à Günther dans le laboratoire berlinois de ce dernier, en 1939; auteur de Teuton and Slav on the Polish Frontier (1939), ouvrage s’appuyant sur le «travail autorisé dans le domaine de la science raciale allemande du professeur Hans F. K. Günther»; participa au Congrès national européen qui se tint en Suède, à Malmoë (mai 1951)…, membre de la Ligue Nordique.
- Wesley C. George: choisi par le doux gouverneur G. Wallace pour rédiger une Biologie du problème de la race dont on trouvera la traduction française, due à Alain de Benoist, dans Nouvelle Ecole (no 7, hiver 1966-69: «l’étude du professeur W.C. George met les choses formellement au point», y précise l’itinéraire, p. 7).
- Johannes D.J. Hofmeyr: président et fondateur de la Société sud-africaine de génétique, membre du Conseil honoraire de The M.Q., collaborateur régulier du magazine d’extrême-droite South African Observer, où l’ancien premier ministre Vorster passe pour un tenant de la «doctrine sioniste-communiste de l’égalité» (!), ainsi que du Journal des affaires raciales, publié par le Bureau sud-africain des affaires raciales; membre de la Ligue Nordique.
- Robert E. Kuttner: rédacteur adjoint de The M.Q., collaborateur de la revue nationale-raciste Spotlight, rédacteur depuis 1966 à l’American Mercury, revue comptant A.J. App., antijuif spécialisé dans la littérature anti-génocidaire (publiée chez The Liberty Bell), parmi ses collaborateurs; responsable de la publication du recueil Race and modem science (New York, 1967) où l’on peut lire des études d’Ilse Schwidetzky23, C. Gini, B. Lundman, etc… (compte rendu dans Nouvelle Ecole, 27-28, automne-hiver 1975, pp. 160-161, repris de L’Anthropologie, revue dirigée chez Masson par H.V. Vallois); membre de la Ligue Nordique.
- F.J. Los (décédé en 1974): ancien collaborateur régulier de The M.Q. et de The Northlander, revue de la Ligue Nordique dont il était membre.
- Bertil J. Lundman: publia ses premières recherches dans Zeitschrift für Rassenkunde (1935-1944), revue dirigée par E. Von Eickstedt et à la rédaction de laquelle O. Fr. v. Verschuer voisinait avec Hans F.K. Günther; collaborateur de The M.Q., membre de la Ligue Nordique24.
- Jacques de Mahieu : directeur de l’institut de Science de l’Homme de Buenos-Aires; éminent spécialiste des «Indiens blancs du Paraguay» (cf. Nouvelle Ecole, no 24, hiver 1973-74, p. 46); auteur d’un Précis de biopolitique, premier ouvrage publié par l’institut Supérieur des Sciences psychosomatiques, biologiques et raciales fondé en 1969 à l’initiative du Nouvel Ordre Européen, «Précis» recommandé et distribué par le même N.O.E. comportant dans ses rangs supérieurs le fameux Suisse G.A. Amaudruz25, pionnier néo-nazi de la littérature dite «révisionniste», «professeur» dont le pamphlet est mentionné par Faurisson et l’objectif S. Thion, soutien anarcho-gauchiste du premier (S. Thion, op. cit., p. 341, Amaudruz: Ubu justicier au premier procès de Nuremberg, chez Ch. de Jonquières, éd. Les Actes des Apôtres, 1949); ancien correspondant en Argentine de Nouvelle Ecole.
- Louis-Claude Vincent: «Professeur» à l’Ecole d’anthropologie de Paris, vulgarisateur du très nazi «Message d’Uppsala» (in le Valentinois, juillet-août 1960, repris dans la revue anticommuniste Psyché-Sôma, nov. 60-janv. 61), vraisemblablement rédigé en 1958 par un groupe raciste français en relation avec le Nouvel Ordre Européen26, source inspiratrice de Nouvelle Ecole après l’avoir été d’Europe Action27, «archéologue» défendant la délirante théorie du «continent Mu» (le Paradis perdu de Mu, La Source, 1969), tout à fait dans la ligne de l’association nazie l’Héritage des ancêtres (Ahnenerbe). Tels sont les premiers enseignements qu’un simple regard quelque peu préparé permet d’induire de la liste des «bons noms» patronnant Nouvelle Ecole.
4) LA BIOPOLITIQUE ET LES INDO-EUROPEENS
Je n’ai nul besoin d’insister sur l’extrême intérêt présenté par ces coïncidences, rencontres, convergences, filiations, identités de vues, échanges réciproques d’hommes et de thèmes: l’ensemble de ces indices, convenablement analysés et mis en place, devrait permettre de conférer une assise factuellement sûre à l’hypothèse, trop souvent lancée comme épouvantail, d’une «internationale noire». Un ensemble de récents travaux (de M. Billig, déjà mentionnés, ceux du collectif «N.R.» dans le Droit de vivre, avril-juillet 1980, et l’article synthétique d’A. Schnapp: «Du nazisme à Nouvelle Ecole…» ; cf. n. 21) dessine les connexions supra-nationales des nouvelles droites intellectuelles. En compagnie de revues sœurs comme Neue Anthropologie et The Mankind Quarterly, Nouvelle Ecole, à laquelle il conviendrait d’adjoindre par exemple Mannus (fondée en 1909 par l’archéologue nordiciste G. Kossina, et où l’on retrouve D.A. Swan, de The M.Q.), Genus (fondée en 1931 par le fasciste italien C. Gini)28 ou Homo (qui, sous la direction d’I. Schwidetzky, a pris la suite de Zeitschrift für Rassenkunde en 1949), n’offre au regard non préparé que la face volontairement visible, le séduisant décor et la pointe intellectuelle relativement souriante, dirigés par la stratégie de la mise en acceptabilité, d’un appareil multidimensionnel qu’on appellera conventionnellement, et faute de mieux, néo-nazi.
L’idée-force engendrant la sapience29 des Nouvelles Droites intellectuelles tient dans cette simple formule qu’on pouvait lire dans Nouvelle Ecole: «La vraie politique, c’est la biopolitique» (no 9, été 1969, Itinéraire, p. 7). Tel est le principe proto-fondateur des diverses mises en forme idéologiques de style «racial-révolutionnaire», masquée ou non. Les objectifs de la guerre culturelle néo-droitière en dérivent: d’abord rendre acceptable la raciologie de tradition sociale-darwiniste, par la diffusion systématique des représentations constitutives du «réalisme biologique» partagé par les groupes néo-nazis (le Nouvel ordre européen, etc.), les associations germanolâtres (la Ligue Nordique, etc.) et les publications de type académique comme Nouvelle Ecole, The M.Q., Neue Anthropologie, etc.; ensuite rendre crédible une «politique du vivant» (pour reprendre l’euphémisme lancé par le Club de l’Horloge, lui-même euphémisation généralisée du G.R.E.C.E.) d’inspiration eugéniste (élitisme, principe hiérarchique, neutralisation du «déchet» social) autant que raciologique (artillerie «culturelle»: refus de la «panmixie planétaire»30, culte des «différences» pensées comme inégalités — «mentales», «ethniques», etc…); enfin, tâche plus délicate mais assurément finale, réhabiliter les fascismes historiques (mouvements, idéologies et régimes), et singulièrement le nazisme élargi, certes, à son contexte «révolutionnaire-conservateur», ce qui implique de faire sauter le verrou résistant le plus à sa recevabilité: le génocide nazi des juifs. Soit en le passant sous silence, soit en allant jusqu’à nier la volonté hitlérienne d’extermination massive non moins que la réalité factuelle du (double) génocide. D’où les liens très naturels avec la pseudo «Ecole historique» dite «révisionniste», mythe monté de toutes pièces pour les besoins de la propagande antijuive et néo-teutomane (son leitmotiv thérapeutique: «déculpabiliser le peuple allemand»).
L’action politique postulée par un tel système de motifs biopolitiques, européanistes et nordico-hiérarchiques est celle qui vise la destruction radicale des valeurs de 1789. L’actuelle attaque, d’une surprenante violence, contre les droits de l’homme, présentés comme une rêverie égalitaire aux effets totalitaires, au titre généalogique d’ultime «transposition» de «l’universalisme biblique» (cf. Eléments, no 37, janvier-mars 1981), n’a point d’autre sens. Laissons Louis Pauwels, le-bon-aryen, transmettre le message de ses nouveaux inspirateurs: «Après 1978 commence le temps, non des révolutionnaires, mais des conservateurs: j’entends d’une révolution conservatrice. Il ne s’agit plus de penser comme en 1848, mais de penser à la fois comme avant 1789 et comme en 2100». (Maiastra, Renaissance de L’Occident?, Pion, 1979, p. 23). L’Homo europaeus, cher à Vacher de Lapouge, n’est pas loin: «dans un même mouvement la conception antique de l’homme européen, longtemps refoulée dans l’inconscient, remontera à la conscience. Elle remonte déjà» (ibid.).
Voilà bien ce qui fait tout l’espoir métapolitique et politique des compagnons d’armes d’Alain de Benoist. Le meilleur doit revenir au jour et à sa place. Qu’est-ce donc que l’aristocratie naturelle dans l’ensemble flou des humains? Michel Poniatowski, qui «avait ouvert la voie» (Eléments no 30, juin 1979, p. 6) précise sans ambages: «C’est la race indo-européenne qui porte l’élan scientifique, culturel, technique, et qui imprime sa marque à l’essor de nos sociétés» (L’Avenir n’est écrit nulle part, nouvelle édition, 1979, Livre de Poche, p. 156, souligné par moi; cette affirmation faisant, à elle seule, mentir le titre de l’ouvrage). Le racisme européano-centrique est en nets progrès en France depuis quelques années, et devenu évidence de départ dans bien des têtes qui pensent pour nous.
III. - L’invention du révisionnisme
«Une lutte va s’ouvrir ayant comme enjeu l’âme des foules et comme objet les condamnés de Nuremberg en tant que symboles.»
G.A. Amaudruz: Ubu justicier…, 1949.
La double négation de la volonté hitlérienne d’extermination et de la réalité du génocide ne date pas de Faurisson. Celui-ci fait bien plutôt figure de dernier venu dans l’entreprise. Reconstituons brièvement la filiation dudit révisionnisme par la caractérisation de quelques-uns de ses repères idéologiques — sans nous arrêter au Fondateur universellement cité par les propagandes antisémites: Paul Rassinier, dont la dérive progressive, du milieu des années 50 à sa disparition (1967), en direction d’une hitlérodicée accompagnée d’accusations antijuives obsessionnelles, a suffisamment révélé les raisons passionnelles, si l’on peut ainsi dire, qui dirigeaient clandestinement son entreprise de «révision» historique.
1) UN FASCISTE-REVISIONNISTE MODELE:
MAURICE BARDECHEIl arrive à Faurisson de reconnaître les siens en de glorieux précurseurs et de réciter la généalogie de son entreprise. Ainsi en va-t-il dans un contexte où le Professeur se lamente avec une amertume de circonstance sur «la conspiration du silence» [faite] autour des ouvrages «révisionnistes», transformant ceux-ci, goûtons la métaphore, en «samizdat» (Interview à Storia illustrata, août 79, repris in Thion: Vérité…, p. 193). Après une présentation globale des négateurs, ses semblables, comme autant d’auteurs qui, lorsqu’ils «parviennent à briser le mur du silence», les pauvres innocents, «sont traités de nazis, ce qui les confine dans un ghetto» (ibid.; appréciez l’analogie), il s’emploie à parcourir ainsi la galerie des martyrs réviseurs: «Je ne peux que renvoyer ici aux cas de Maurice Bardèche, Paul Rassinier, Manfred Röder, Thies Christophersen, Wilhelm Stäglich, J.G. Burg (juif), Hellmut Diwald, Udo Walendy, Arthur R. Butz, et à mon propre cas» (in: Thion, p. 212, n. 57).
Reportons-nous maintenant à l’Orientation bibliographique rédigée par l’habile compilateur-intermédiaire Thion: «du côté de la littérature révisionniste» (ibid., p. 341). On y trouve cité le déjà épinglé G.A. Amaudruz, saisi dans l’une de ses premières œuvres (Ubu justicier au premier procès de Nuremberg, 1949), référence néo-nazie négligée par Faurisson lui-même. Mais point de Maurice Bardèche sur la liste orientatrice. Pourquoi donc cet oubli? Le personnage serait-il tout de même, pour un prétendu libertaire, un peu trop marqué par tous les fascismes, les vieux et les derniers surgis? Beau-frère de Brasillach — «héritier spirituel du «poète assassin.» «selon son compagnon» Duprat (op. cit., p. 35) —, universitaire de haute tradition antisémite n’ayant jamais hésité, lui, à se proclamer «fasciste», Maurice Bardèche est, justice lui soit rendue, à l’origine de la relecture hypercritique de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale: c’est en 1948 qu’il publia Nuremberg ou la Terre Promise (Les Sept Couleurs), bientôt suivi de Nuremberg II ou les Faux Monnayeurs (1950). Dans sa Lettre à François Mauriac (1947), il s’était déjà posé comme l’adversaire le plus résolu du «résistancialisme» — on sait que le «pacifiste» Rassinier continuera le combat. Duprat commentait, admiratif: «L’extrême-droite «fasciste» a trouvé son leader intellectuel» (ibid.). Très respectueux de l’acharnement croissant mis par Rassinier à minimiser les massacres hitlériens, Bardèche lui laissera volontiers, par la suite, ce territoire «historique».
L’objectivité voulait donc que fût nommé celui qui déclamait il y a plus de trente ans, sur un ton déjà faurissonnien, éminent précurseur: «Nous vivons depuis trois ans sur une falsification de l’histoire» (Nuremberg ou…, p. 10) et qui accueillit les ultimes délires antijuifs de Rassinier (le Véritable procès Eichmann ou les vainqueurs incorrigibles, 1962; le Drame des juifs européens, 1964, Les Sept Couleurs). Entretemps, Bardèche avait été désigné à Malmoë comme co-responsable (en compagnie de l’ancien SS Priester, mort en 1960) du Mouvement social européen dont le Manifeste-Programme fut joint au premier numéro de Défense de l’Occident, revue lancée par Bardèche en décembre 195131. Notons en passant que c’est dans cette publication mensuelle que se sont rencontrés et formés la grande majorité des intellectuels de l’extrême-droite française depuis près de trente ans. L’année qui suivit le Congrès de Malmoë, Bardèche publia l’Œuf de Christrophe Colomb, où il présentait une systématisation des idées issues de la rencontre, définissant un néo-fascisme européen doté d’une certaine cohérence.
Il n’est pas sans intérêt de constater l’existence d’un fil continu de Bardèche à Faurisson, au plan de l’histoire des mentalités fascisantes et teutomanes: les auteurs «anti-exterminationnistes» (Butz, Faurisson, etc…) sont bien les fils naturels des «anti-résistancialistes» de la trempe des Bardèche et Rassinier. Ce dernier constitue d’ailleurs le maillon essentiel entre les deux «Ecoles», et le point de référence obligé de toutes les variétés internationales de «révisionnisme»32. Quant à Bardèche, on ne peut que lui reconnaître le statut enviable d’homme fasciste total, espèce de prototype intangible, bien que fort adaptable, où se trouvaient imbriqués, dès les années 50, l’intellectuel néo-droitier à l’état germinal, le chef-agitateur fasciste, le «révisionniste» avant la lettre.
Notre guide bibliographique, Thion, cite assurément, dans sa liste des «révisionnistes» officialisés, Butz, Burg, Rassinier et Stäglich, mais nullement Christophersen, Röder (préfacier du précédent), Diwald et Walendy qu’il refoule prudemment sous la rubrique «autres ouvrages cités» (pp. 345-47), en compagnie d’autres grandes références anti- «exterminationnistes» telles que «R.E. Harwood» (pseudonyme vraisemblable de R. Verral, membre responsable du National Front anglais, rédacteur en chef de Spearhead — «Fer de Lance», publication du National Front —), auteur de la brochure Six millions de morts le sont-ils réellement?, diffusée en 1974 dans la plupart des pays d’Europe et David Irving (notamment Hitler’s War, New York, The Viking Press, 1977, gros ouvrage de plus de 900 pages, recommandé par tous les néo-fascismes européens). On comprend la tactique thionesque: ne mentionner directement que les noms d’auteurs perçus comme respectables, afin d’éviter au lecteur ce constat décisif, visible à l’œil nu, que la quasi-totalité de la population révisionniste mondiale est d’obédience néo-nazie.
2) UN AUTEUR «REVISIONNISTE»
ENGAGE: G.A. AMAUDRUZ.Partons d’un accroc, néanmoins, à la règle de prudence, sans que l’on puisse trancher: acte manqué du subtil Thion ou simple indice de l’une de ses ignorances? Car notre «libertaire» cite sans vergogne le professeur de langues Amaudruz, néo-fasciste suisse qui ne s’est jamais masqué, co-fondateur et secrétaire général du Nouvel Ordre Européen (institué à Zurich en septembre 1951, suite à la profonde déception causée par le Congrès de Malmoë, trop peu raciste au gré des R. Binet, Berti, Amaudruz, etc…; y figurera le coéquipier de Bardèche à la direction du Mouvement Social Européen, Priester); Amaudruz, espèce de Bardèche dénué d’esprit de finesse, est le responsable pour la Suisse de l’Europe réelle (mensuel lancé en 1957 par l’ancien aspirant SS J.R. Debbaudt qui a republié, en 1967, les Protocoles des Sages de Sion); il a été l’adjoint du colonel Fonjallaz, chef du fascisme helvétique; il est en outre le pieux rééditeur de son vieil ami R. Binet — «fasciste de type puritain», disait euphémistiquement de lui Bardèche —; on lui doit une apologie émue du IIIe Reich (Ubu justicier…, Aux Actes des Apôtres, Paris, 1949) à travers une récusation du Procès de Nuremberg; il est aussi le rédacteur responsable du Courrier du Continent, bulletin mensuel du Nouvel Ordre Européen; on le retrouve collaborant au Combat Européen, organe des Jeunesses d’Action européenne, puis des Comités d’Action européenne de langue française dirigés par Pierre démenti, ancien collaborationniste, membre-fondateur de la L.V.F. (juillet 1941), antijuif toujours délirant33 — et révisionniste de l’histoire de France elle-même: «Pétain était national-socialiste avant Adolf Hitler, j’en fus le témoin», nous assure-t-il sans rire dans sa feuille européaniste (1981, 1).
C’est donc à ce gentil professeur suisse, interdit de séjour en R.F.A. et en Belgique — ce qui doit lui conférer quelque gloire au regard de la mystique anti-étatique — que le tandem Faurisson-Thion, esprits forts et libres, jamais dupes, fait crédit. Pas à Léon Poliakov, pas à G. Reitlinger, pas à R. Hilberg (dont l’étude fondamentale n’est jamais affrontée), pas à G. Tillion, pas à Saül Friedländer. Mais au lumineux auteur de Nous autres racistes (1971), à l’exégète «social-raciste» attitré. C’est vers un Amaudruz que les tropismes du couple réviseur le poussent aveuglément. Finissons sur une petite note érudite. Le «problème juif», dans le Manifeste social-raciste du Nouvel Ordre Européen, était ainsi posé: «L’ethnie juive, dirigée depuis longtemps par son déchet biologique, est utilisée comme un instrument de politique anti-aryenne» (op. cit., p. 68). Les esprits préparés reconnaîtront sans mal la «problématique» du fameux Message d’Uppsala, reprise et condensée dans bien des textes, d’Europe Action à Nouvelle Ecole, message biopolitique dont on ne remerciera jamais assez le «Professeur» L.-Cl. Vincent de nous l’avoir fait connaître, dévoilant l’une des inspirations occultes de la Nouvelle Droite. Ce sont de tels énoncés qui appelaient l’élucidation amaudruzienne afin d’être correctement déchiffrés (cf. note 25).
Une question me déchire: Thion et/ou Faurisson ont-ils lu les œuvres complètes du «social-raciste» Amaudruz? J’attendrai patiemment leurs réponses. En attendant, mettons- nous à l’écoute des perspectives d’un avenir radieusement révisé que dessine le sus-nommé Clémenti: «Quand l’Histoire sera vraiment enseignée de nouveau aux petits Européens, (…), ils trouveront le chemin vers Céline, Benoist-Méchin, Rassinier, Thion et Faurisson» (le Combat européen, nouvelle série, no 1, 1981).
3) LE «TEMOIGNAGE» DE THIES CHRISTOPHERSEN
«J’étais à Auschwitz. Il ne s’y trouvait pas de «chambre à gaz». Telle est la «bonne nouvelle» délivrée par le «témoin» Thies Christophersen dans sa brochure le Mensonge d’Auschwitz (1973, trad. française M. Caignet, Ed. F.A.N.E., 1976), distribuée par le Combat européen de Pierre démenti; notons qu’une édition allemande très récente est préfacée par W. Stäglich (lecture conseillée par Thion, p. 341) dont le livre, le Mythe d’Auschwitz, est désormais disponible en traduction française et diffusé — encore — par le Combat européen.
Thion s’élève contre les «tracasseries» et les «abus divers» auxquels les «auteurs révisionnistes» sont soumis, notamment en Allemagne (Vérité... 156). Et Faurisson commente amèrement l’affirmation plus haut citée de Christophersen: «A peine écoute-t-on les témoins à décharge qui ont le courage de prononcer cette phrase. Encore aujourd’hui, quiconque, en Allemagne, porte témoignage en faveur de Thies Christophersen (…) risque une condamnation pour «outrage à la mémoire des morts» (Vérité…, pp. 88 et 105). Lamentable atmosphère que celle dans laquelle on méprise le courage et bafoue le sens du Progrès. Lisons Faurisson dans son contexte: «encore aujourd’hui», déplore-t-il. Lors d’une manifestation en forme de cortège, organisée par Schönborn, à Hambourg, trois participants portaient des masques d’âne et des pancartes: «Ane que je suis, je crois encore que des juifs ont été gazés dans des camps de concentration allemands» (cité in Courrier du continent, déc. 1979, p. 5). Schönborn est le néo-führer de la Ligue de combat des soldats allemands. Le Rhin n’est plus une frontière naturelle pour l’ultra-nationalisme germanique.
Mais qui est donc ce paisible et néanmoins valeureux «auteur», victime d’une «répression» (Thion, 156) impitoyable?
D’abord ce technicien affecté à un commando chargé de recherches sur le caoutchouc artificiel, de janvier à décembre 1944, à trois kilomètres d’Auschwitz. On peut ici faire l’hypothèse confirmée par le témoin que, l’entreprise étant sous le contrôle d’Himmler, le dénommé Christophersen relevait de la SS ! Ce qui vaudrait pour un début d’explication de sa description idyllique du camp d’Auschwitz; de ses souvenirs joyeux de l’année 44, de ses soupçons très radicaux concernant l’existence des chambres à gaz et l’extermination des juifs (il estime à 200 000 les pertes juives pendant la seconde guerre mondiale, chiffre repris par Bardèche dans Défense de L’Occident, no 130, juillet 1975, p. 6). Quelles sont donc les libres activités «intellectuelles» de ce «témoin»? Aujourd’hui «journaliste» en Allemagne fédérale, Christophersen dirige la Bauern-und Bürger-Initiative, organisation formée sur le modèle de la Deutsche Bürger Initiative (D.B.I.) de l’ex-avocat néo-nazi M. Röder (radié du barreau pour sa préface à la brochure de Christophersen), dirige la maison d’édition Kritik Verlag, collabore au mensuel Faschistischen Front (Hambourg) de M. Borchardt (numéro spécial d’août 1976: «Aucun juif n’a jamais été gazé!»), dirige le mensuel Die Bauernschaft für Recht und Gerechtikeit dont le no 3 (1975), sur le thème: «La conscience raciale est-elle condamnable?», a été interdit de vente en Allemagne, mais distribué régulièrement par le Nouvel Ordre Européen; il écrit aussi régulièrement dans le bulletin mensuel (le Courrier du Continent) du Nouvel Ordre Européen, etc… Il y confiait récemment (no 227, déc. 79, p. 7), résumant sa philosophie politique: «Pour trouver de nouveaux chemins, il faut revenir à ce qui a fait ses preuves. Le socialisme national n’est pas l’invention d’Adolf Hitler. Il l’a réalisé avec succès (…). Je ne suis pas un politicien et je ne veux pas l’être. Il me manque la dignité et le bagage culturel. Aussi je cherche le groupe, la personnalité. Je ne trouve encore rien en Allemagne. C’est pourquoi j’ai accepté une invitation aux Etats-Unis. Les conditions d’un renouveau semblent favorables».
Fidèle auto-portrait, comme on le voit ! On comprend que le Nouvel Ordre Européen puisse diffuser la brochure d’un tel témoin, en compagnie d’ouvrages de J. Baugé-Prévost, R. Binet, J. de Mahieu, M. Marmin (sur A. Breker), «R. Harwood», P. Costantini, P. Clémenti, A.R. Butz, U. Walendy, etc… H.S. Chamberlain («un wagnérien de la famille», comme le caractérisait joliment Alain de Benoist dans Nouvelle Ecole, 31-32, printemps 79, p. 144 sq.). Et c’est sur la foi de ce pitre décervelé, parmi d’autres, que le grand suspicieux Faurisson fonde sa négation du fonctionnement génocidaire d’Auschwitz ! Voyons bien où se porte la crédulité d’un Faurisson, impitoyable pour tout témoignage d’anciens déportés ou résistants, et nous découvrirons ce qui le meut, et qu’il nous cache. Notre célinien a des tendances irrépressibles. Elles le dévoilent.
La déculpabilisation de l’Allemagne et le complot juif mondial.
Il faudrait s’attarder sur U. Walendy, spécialisé dans l’hitlérodicée, ainsi que sur le professeur d’informatique A.R. Butz, antisémite devenu «historien» pour les besoins de la Cause, auteur d’un ouvrage gonflé de stéréotypes antijuifs — dans l’imposture (Hoax) du XXe siècle, (Historical Review Press, 1976, tr. fr. à paraître, munie d’une préface de Faurisson), Butz n’hésite pas à mettre sur le compte de l’esprit «talmudique» des juifs, suivant un mode d’«explication» cher à A. Rosenberg, «l’imposture des six millions». Quant à H. Diwald, auteur d’une Geschichte der Deutschen (1978), je note sans surprise ce qu’en pense la revue d’Alain de Benoist, lui accordant la mention suprême (I): «Histoire du peuple allemand, non pas des origines à nos jours, mais de nos jours aux origines. L’ouvrage fondamental des vingt dernières années» (Nouvelle Ecole no 33, été 1979, p. 102, souligné par moi). «On rend un peuple malade, lorsque l’on fait tout pour criminaliser son histoire», confiait cet auteur fondamental à la revue du G.R.E.C.E., Eléments (no 30, juin 1979, p. 32), qui concluait: «son dernier livre (…) réhabilite l’histoire allemande. Un best-seller» (ibid., p. 33).
Moins allusif et précautionneux, un commentaire paru précédemment dans la même revue précisait de Diwald: «On lui prête d’ailleurs des opinions «nationales-révolutionnaires», qui le situeraient parmi les héritiers de certains courants de la «révolution conservatrice». (…) Son ouvrage rompt avec les précautions de style et de langage caractérisant tant d’auteurs pour qui retracer une histoire nationale consiste surtout à battre sa coulpe. Il réhabilite, du même coup, la démarche historique et se propose en exemple à la nouvelle génération» (no 28-29, mars 79, p. 17). Rappelons en passant que les butors de l’ex-F.A.N.E. se voulaient, eux aussi, «nationaux-révolutionnaires», comme la plupart de leurs nordico-héroïques correspondants européens.
La normalisation politique et culturelle du nazisme, en tant qu’expression assumable de l’histoire allemande, implique une opération immémoriale, toujours remise à jour dans la tradition occidentale: la dénonciation du Complot juif. Métapolitiquement interprété, celui-ci devient une entreprise systématiquement conduite pour égarer les esprits sur les causes présumées véritables du second conflit mondial. Selon le principe de similitude de la cause et de l’effet, on conclut à un Complot mondial, nouvelle version des Protocoles des Sages de Sion, accommodés aux actuelles lignes de force du champ idéologique occidental. L’obsession du «complot juif mondial», comme l’a justement relevé Pierre Vidal-Naquet (cf. Esprit, sept. 1980, pp. 33-34 et 37-38), travaillait le maître incontesté du «révisionnisme», Paul Rassinier, à tel point que ses derniers livres se réduiront à n’en être que la démonstration, par tous les moyens.
Notons simplement deux lapsus calami. La première confusion signifiante, reprise par le très bon élève Butz (The Hoax…, p. 248), se rencontre dans le Drame des juifs européens (1964): le studieux Centre de Documentation juive contemporaine y est promu en satanique «Centre mondial de documentation juive» et plus précisément en une «entreprise de fabrication et de falsification de documents historiques» (p. 8 sq.) ! La seconde concerne un poncif orthodoxement recopié par Faurisson, «Harwood» et leurs simulacres: Chaïm Weizmann, ayant déclaré, début septembre 1939, que «les juifs [faisaient] cause commune avec la Grande-Bretagne et [combattraient] dans le camp des démocraties», devient faurissoniennement le «président du Congrès juif mondial» en la personne de qui «la communauté juive internationale a déclaré la guerre à l’Allemagne le 5 septembre 1939» (cf. Interview d’août 79, repris in Thion: Vérité…, p. 187). Or le président du Congrès juif mondial était alors le rabbin américain Stephen Wise !
Quelle importance, ces détails, quand on détient la vérité définitive sur le bellicisme juif éternel… La banalisation du nazisme se nourrit de telles falsifications: «Pour Hitler, les juifs étaient les représentants d’une nation hostile belligérante» (Faurisson, cité in Thion: Vérité…, p. 91, n. (b)). Rassinier avait déjà désigné la cible et lancé l’accusation standard: «tous les juifs du monde, au lieu de rechercher un compromis d’autant plus aisé à trouver que Hitler en recherchait un, passionnèrent le débat en se déclarant aussitôt, et de leur propre aveu, en état de guerre (…) avec l’Allemagne, ce qui supposait une intervention militaire; ils cherchèrent, dans tous les pays où ils avaient quelque influence, à entrainer le monde dans cette voie» (les Responsables de la Seconde Guerre Mondiale, N.E.L., 1967, pp. 78-79).
Simple remarque de transition sur la position néo-droitière du problème: après avoir prôné la lecture de Rassinier au temps d’Europe Action (no 5, mai 1963, p. 54), puis défendu la liberté d’expression des négateurs du génocide corrélativement à la symétrisation du «révisionnisme» et de 1’«exterminationnisme», présentés comme les deux instances également respectables d’une actuelle controverse (le Figaro-Magazine, 10 mai 1980, Histoire-Magazine de septembre-octobre 1980, p. 29), les doctrinaires de la Nouvelle Droite, esquissant l’amalgame le plus pernicieux, s’orientent vers la dénonciation des «passions» qui interdiraient le débat historique nécessaire: «Ce qu’a subi Kravchenko, d’autres l’ont également subi à des degrés divers. L’ancien déporté Paul Rassinier fut couvert d’injures (…). Les mêmes campagnes hystériques menacent aujourd’hui Faurisson et interdisent tout débat sérieux et rigoureux sur une question qui, pourtant, ne sera pas tranchée à coups d’invectives et de procès d’intention». (J. Cl. Valla, le Figaro-Magazine, 23 mai 1980, p. 71). Faurisson ou le dissident solitaire persécuté par l’idéologie «exterminationniste» qui terrorise l’opinion en bloquant toute recherche scientifique: telle est l’aberrante image que fait surgir un ensemble de textes dépouillant progressivement leur prudence initiale sur la question. L’expectative a fait toute la place à l’engagement. Ce qui importe, ce n’est pas tant qu’une telle présentation du prétendu révisionnisme soit mensongère, ce qu’elle est, c’est sa funeste habileté tacticienne. Car elle déplace la question même qu’elle fait surgir sur le terrain de la liberté de débattre, et diffuse l’insidieuse mélodie du génocide-problème. Les media néo-droitiers ont ainsi pris le motif «révisionniste» dans l’orbite de leur puissance persuasive. La guerre culturelle s’annonce totale34.
Résurgence ou émergence?
«Un institutionnalisme développé au sein du triangle formé par Cari Schmitt, K. Lorenz et A. Gehlen pourrait facilement atteindre un niveau de large crédibilité, ce qui suffirait aux préjugés collectifs pour déchaîner une virulente agressivité et la diriger, à défaut d’ennemis extérieurs, contre des ennemis intérieurs» (J. Habermas: Profils philosophiques et politiques, 1971, tr. fr. 1974, Gallimard, p. 283).
Nous sommes bien loin d’avoir fait le tour de ce musée des horreurs que ne laissait point paraître d’emblée la galerie des portraits épinglée par Faurisson. Je n’irai pas plus avant dans la quête de l’envers des «bons noms». La vérité cachée du prétendu révisionnisme, c’est à la fois la relance de la machine antijuive, selon de nouvelles sources mythiques, et la «déculpabilisation» de l’Allemagne nazie. C’est le transfert du mal absolu, du bourreau vers la victime, inversion perverse des rôles. Ce qu’il s’agit de ne pas manquer, c’est le sens d’une telle révision dans notre histoire présente. Les diverses formes de l’idéologie «raciste-révolutionnaire» ne peuvent avoir aujourd’hui d’efficience qu’. condition de renverser l’accord des esprits sur le caractère foncièrement négatif des fascismes historiques. Et, en premier lieu, de sauver de la réclusion morale à perpétuité le national-socialisme, dont l’accomplissement a été historiquement illustré par le système des camps d’extermination massive qu’implique nécessairement toute biopolitique raciste.
C’est pourquoi les réviseurs nient, s’acharnent aujourd’hui à effacer dans ses moindres détails l’existence du dispositif génocidaire, à récuser toutes traces factuelles et mémorielles rappelant monumentalement l’immense massacre. Il s’agit pour eux de lever l’hypothèque pesant sur la constitution d’un Nouvel ordre européen de type impérial, fondé sur le principe raciologique des «ethnies» — thème récurrent, depuis la fin des années 1940: «l’unité des peuples européens». C’est là l’enjeu véritable de nos pseudo-historiens réviseurs, soldatesque idéologique que se donnent aujourd’hui les appareils formant le nouvel «ordre noir» intelligent de New York à Johannesburg, de Paris à Lausanne, de Londres à Munich. Le temps des «nostalgiques du IIIe Reich», histrions dérisoires, est terminé. Il faut que les Fredriksen ne nous troublent plus la vue. Les nouveaux venus ne nous font plus rire. Fascistes discrets, ils préparent l’avenir européen d’une «politique du vivant», d’un amoralisme aussi froid que présumé savant. Systématisme et secret: telles sont les deux propriétés de base du nouveau fascisme, machine polytechnocratique.
Commence en effet l’ère des bâtisseurs d’un Empire européen — IVe Reich qui ne dit pas son nom —, intellectuels rompus à la guerre des idées, technocrates infiltrés dans les grands corps des Etats, stratèges efficaces et occultes de l’orchestration «culturelle» des propagandes, politiciens en place gagnés à la Cause biopolitique, magistrats détournant en douceur les principes juridiques selon l’unique impératif de créer un consensus social par l’expulsion de ce qui apparaît à la normalité ambiante comme déchet irrécupérable — la peine étant recentrée sur ses seuls effets dans l’opinion à laquelle elle est censée donner quelque cohérence —, idéologues chargés de la reprise en main des appareils militaires, militants-guerriers entraînés et fanatisés, hommes de main à tout faire, etc.
Il n’est certes point faux de dire que nous vivons en France les beaux jours commençants d’un néo-vichysme technocratique. Nul ne peut se dérober devant le constat d’une revanche historique dont les actuels artisans sont des transfuges de Vichy comme de l’O.A.S.-métro, des groupes fascisants (Jeune Nation, Occident, etc.) comme des sociétés de pensée (indo-)européanistes. Ces transfuges au pouvoir (ou dans son ombre) bénéficient aujourd’hui des divisions de la gauche, voire de sa décomposition, de l’effacement progressif des faits dans les mémoires, des effets de démoralisation dès à la crise, de l’empire d’un «bonheur» privé, miettes de haute sécurité garantie par un ordre pluridimensionnel, totalitarisme honteux, de l’assoupissement des consciences dans les simples limites dépolitiquement performantes qu’assurent les sociétés post-industrielles, de la disparition — sans parler du ralliement partiel — de bien des figures issues du gaullisme historique, rempart longtemps de marbre. Pétain revient par énarques interposés35.
Un fascisme non classique.
Mais peut-être s’agit-il, plus profondément, de tout autre chose que d’un sursaut pétainiste: d’un ordre total et d’une terreur douce pour la nouveauté desquels nous n’avons plus ni noms ni concepts adéquats. D’un fascisme non classique. Le Führer et son peuple ont laissé la place à l’idéologue, l’élite présumée polytechnicienne et sa main d’œuvre à tout manipuler. Un fascisme imperceptible nous menace: nous n’en voyons plus, nous n’en entendons plus les trop évidents symptômes (camps et grands rassemblements). C’est qu’il les a tactiquement dépouillés. La grande ruse du nazisme technocratisé consiste à faire croire qu’il n’existe pas.
Il nous faut désormais prendre en compte les trois figures articulées de l’ennemi malgré la mauvaise visibilité soutenant leur progression: d’abord les Nouvelles Droites intellectuelles, véritables instituts raciologiques masqués, travaillant sur le mode positif: retour aux «racines indo-européennes», affirmations inégalitaristes, appel à une révolution conservatrice; elles visent à conditionner idéologiquement les futures «élites» européennes par la diffusion des représentations biopolitiques non moins qu’à installer dès à présent leurs propres élites dans les lieux de pouvoir. La récusation des Droits de l’Homme, comme imposture universaliste, est une pièce maîtresse de la guerre culturelle. Ensuite le «révisionnisme» se chargeant complémentairement, sur le front «historique» du combat culturel, des aspects radicalement critiques de la tâche: négation du génocide et des responsabilités majeures de l’Allemagne nazie recanalisées sur «les juifs» ou «les démocraties», diabolisées sur le même mode que le stalinisme… Enfin la multiplication des organisations de combat, tapies derrière les décors culturels, d’un militantisme d’inspiration fasciste, volant de forces répressives parallèles, utilisables à tout moment de crise, parfois même converties conjoncturellement en groupes ou partis politiques. Face à la conjonction inquiétante de tels centres de forces (culturelles, politiques, para-militaires), les intellectuels attachés aux idées des grandes révolutions démocratiques doivent se mettre à la tâche, s’informer le plus précisément possible, analyser les filiations et les ramifications, repérer les points d’articulation, mettre au jour les objectifs et les règles stratégiques de l’ennemi.
Celui-ci est redevenu intelligent et cultivé. Il faut le combattre avec ses propres armes. Et d’abord le reconnaître.
Notes
1. Les Cahiers du Centre de Documentation Politique et Universitaire (C.D.P.U.) (cf. note 6) donnaient ce compte rendu d’un camp d’été tenu en 1973: «Une soixantaine de participants dont pas mal d’anciens membres d’Ordre Nouveau et de 1’U.L.N. Ce camp organisé à l’initiative du groupe Nouvelle Ecole et des groupes G.R.E.C.E., se déroula dans de bonnes conditions sur le modèle et dans la tradition des camps de la Fédération des Etudiants Nationalistes (…). Les cours magistraux portèrent sur les sujets suivants: archéo-nationalisme d’aujourd’hui, le réalisme biologique, l’anthropologie philosophique, Nietzsche contre Marx, les systèmes économiques actuels et l’économie organique, société et communauté, race et histoire de l’Europe. Le camp se termina par un examen et un exposé (…): «Le modèle de communauté que nous prônons pour l’Europe: organique et non pas mécanique et utilitaire, hiérarchisée, inégalitaire, dépourvue de factions antagonistes, où les chefs suscitent les responsabilités…» (no 4, novembre 1973).
L’auteur de ce panorama des grands thèmes constituant l’armature mentale du néo-nazi intellectuel d’aujourd’hui, vraisemblablement M. Schneider, alors directeur des Cahiers, conclut: «En résumé, une formation nationale-socialiste de haute école destinée à former des individus d’élite pour prendre, non pas le Pouvoir par une lutte ouverte et sans compromission contre le système, mais les «places» par la création d’une franc-maçonnerie» (souligné par moi). La Nouvelle Droite se pensera de plus en plus clairement selon cette analogie de la société intellectuelle fermée, formatrice d’une élite s’imposant selon le jeu du «système» en place, excluant toute tentative du type «putsch». Fascisme assurément, mais où le peuple, loin d’être ce réservoir d’énergie d’un quelconque conducteur démagogue, est tenu à l’écart selon les modernes techniques médiatiques de mise en sommeil, tandis que les polytechnocrates s’emparent, sans laisser d’indices, des rôles décisifs. «C’est la stratégie de l’entrisme à un haut niveau et du recrutement des jeunes par l’intermédiaire des groupes G.R.E.C.E. …» (souligné par moi), note finalement le commentateur bien informé du C.D.P.U.
2. Groupe d’Etudes pour une Nouvelle Education (G.E.N.E.), fondé en janvier 1976 (Bulletin: Nouvelle Education depuis janvier 1977).
Comité de Liaison des Officiers et Sous-officiers de Réserve (C.L.O.S.O.R.) fondé en avril 1975 par Ph. Conrad; celui-ci, membre du G.R.E.C.E. et du comité de rédaction de Nouvelle Ecole lancera, en 1976, la revue Nation Armée. On le retrouve en 1980 à la rédaction du mensuel Histoire-Magazine, revue dont la cible est le grand public amateur d’histoire.3. Réaction semblablement bienveillante d’un ancien compagnon d’Alain de Benoist au Rassemblement Européen pour la Liberté (R.E.L.), Pierre Bousquet, dans le mensuel des ultras du Front National: «Et voici que se lève une nouvelle droite contestataire, parfaitement agnostique, profondément ancrée dans la réalité biologique et la dimension sélective individuelle. Une nouvelle droite pour qui le bonheur et l’égalité ne constituent que des mots creux…» (Militant, revue nationaliste populaire d’action européenne, août-septembre 1979, p. 16).
4. Jeune Nation: fondée en novembre 1954 autour de la forte personnalité de Pierre Sidos; dissolution par décret le 15 mai 1958; puis militantisme dans la semi-clandestinité dans l’orbite de l’O.A.S. Notons que l’arrivée de D. Venner, entouré de ses coéquipiers, en 1956, marque une rupture définitive avec le néo-pétainisme de Sidos.
Fédération des Etudiants Nationalistes (F.E.N.): groupuscule estudiantin d’extrême-droite né en 1960 pour prendre la relève de Jeune Nation (publication: les Cahiers Universitaires, ayant «F. Laroche»-Alain de Benoist parmi ses collaborateurs réguliers).
Mouvement Nationaliste du Progrès (M.N.P.): parti légaliste fondé en 1965 et regroupant un bon nombre de militants d’Europe Action (D. Venner, J. Mabire, Alain de Benoist, Fr. d’Orcival, R. Lemoine, P. Bousquet, J. Bruyas, J.-Cl. Valla…).
Rassemblement Européen de la Liberté (R.E.L.): constitué en novembre 1966 en vue des législatives de 1967; trente candidats se présenteront, aucun d’entre eux ne sera élu. Après un scandale politicofinancier, l’éclatement du M.N.P. - R.E.L. donnera naissance à trois groupes relativement autonomes: celui qui publiera la revue Militant (P. Bousquet, P. Pauty), l’institut d’études occidentales (Bulletin: Cité-Liberté) autour de D. Venner, le G.R.E.C.E. et Nouvelle Ecole fondés de concert par A de Benoist, J. Bruyas, J.-Cl. Valla, etc. L’avenir appartiendra à cette dernière mouture de l’extrême-droite activiste culturalistement reconvertie.
5. Le Club de l’Horloge a été fondé par Yvan Blot et quelques autres énarques en 1974. Sans malignité aucune, Yvan Blot déclarait en 1979: «Nous sommes un club politique qui se propose d’être un laboratoire d’idées pour l’actuelle majorité» (Le Matin, 25 juillet 1979). Michel Poniatowski, Philippe Malaud, Jacques Médecin, Joseph Fontanet et quelques autres avaient su répondre avec empressement.
6. Le Centre de Documentation Politique et Universitaire (C.D.P.U., Nice et Aix-en-Provence) a été notamment dirigé par J. Bruyas, l’un des fondateurs du G.R.E.C.E. et de Nouvelle Ecole. Citons-en deux textes exemplaires: Essai de synthèse pour un néo-fascisme (1969) et Principes de l’action fasciste (Cahiers du C.D.P.U., 8 septembre 1975). L’un et l’autre dus à M. Schneider.
7. Europe-action (janvier 1963 novembre 1966) et les Cahiers Universitaires (1962-1967) regroupaient certains militants d’extrême-droite issus de Jeune Nation et des sympathisants de l’O.A.S. sous l’influence de D. Venner [(cf. note (4)].
8. Sur cette curieuse notion, pourtant centrale, cf. G. Foumier: Eléments d’anti-philosophie, in Europe Action, no 11, novembre 1963, pp. 51-60. On y pouvait lire, par exemple, que «le dualisme iranosémite, tel un poison subtil, s’est infiltré dans le corps européen» (p. 60), que «la propagande universaliste sape la vitalité du monde blanc, sa volonté de résistance au monde non-blanc» (ibid.). L’ennemi culturel une fois reconnu, l’auteur de ce texte rappelle fermement que «face à l’assaut afro-asiatique, les Européens ont à tenir un poste de combat…» (ibid.). Dans la première livraison de la revue Nouvelle Ecole (1, février-mars 1968), le même G. Foumier donnait certaines précisions sur la catégorie oppositive «indo-européen vs sémite»: «tout peuple de langue asianique ou indo-européenne était (et est encore) de race blanche, et tout peuple de langue chamito-sémite était (et est encore) le produit d’un métissage très ancien entre Blancs et Noirs» (Rome et la Judée, art. cit., p. 6). Alain de Benoist n’a toujours pas démenti l’allégation de M. Savary (in la Tribune de Genève) et de N.R. (in le Droit de vivre) selon laquelle «G. Foumier» aurait été l’u n de ses nombreux pseudonymes.
9. «Fabrice Laroche» citait avec émotion son maître Venner: l’éthique nationaliste, selon ce dernier, «développe chez l’homme européen la conscience de ses responsabilités par rapport à l’humanité dont il est l’ordonnateur naturel» («Pour une crit. pos.», in «Pour une éthique nationaliste», Cahiers Universitaires, no 11, décembre 1962, p. 24). Le jeune Alain de Benoist notait encore, avec générosité envers l’ennemi d’hier: «Personne ne conteste le courage magnifique de certains jeunes résistants de 1942, mais on peut seulement se demander quelle eût été leur position, sachant qu’ils mouraient pour la République des Mendès, Joanovici, Pouillon et Rothschild» (ibid., souligné par moi). La «profonde intelligence» de la question juive, dans les œuvres tacticiennes d’A. de Benoist, date en effet de quelques mois. Sur la fonction catalytique de l’ouvrage de Venner, cf. Cahiers Universitaires no 13, février 1963, pages 2-3, où celui-ci est posé comme un «point de départ».
10. On lira avec intérêt les pages consacrées à la Révolution française, empoisonnée par l’égalitarisme et l’humanitarisme, dans Der Mythus des 20. Jahrhunderts (4e éd., 1932, Munich, pp. 210-212): «Grâce à l’humanité, des nègres et des juifs peuvent épouser des femmes de race nordique et même occuper des emplois importants…» (212). Démocratie et marxisme sont définis comme rejetons de 1’«idéologie juive» (ibid., 213). Les méfaits de la «démocratie maçonnique» sont incommensurables, au regard de la tradition qui va de Vacher de Lapouge à la Nouvelle Droite, en passant par Rosenberg et quelques autres.
11. Deux ouvrages essentiels ont récemment paru sur la question: Z. Sternhell: la Droite révolutionnaire, 1885-1914 (Seuil, 1978); J. Plumyène: les Nations romantiques (Fayard, 1979). Les classiques études de Léon Poliakov (Histoire de l’antisémitisme, tomes III et IV, Calmann-Lévy, 1976 et 1977; le Mythe aryen, Calmann-Lévy, 1972) sont bien sûr à consulter.
12. Sur la pensée «nordique», en rapport avec la montée du nazisme, cf. M. Weinreich: Hitler’s Professors, New York, 1946; H.-J. Lutzhoft: Der Nordische Gedanke in Deutschland, Stuttgart, 1971. Le livre de M. Billig (L’Internationale raciste - De la psychologie à la science des races, tr. fr., 1981, Maspero) fournit un grand nombre d’informations précises et de points de repère. Il faut également mentionner la remarquable synthèse publiée par G.G. Field dans le Journal of the History of Ideas (Nordic Racism, J.H.I., July-Sept. 1977, vol. 38, No. 3, pp. 523-540). L’ouvrage polémique magistral que vient de publier P.-P. Grass., L’Homme en accusation (A. Michel, 1980), comporte des considérations comparatives fort instructives sur les sociobiologies nazie et américaine.
13. «Mensa» (où résonne «mens»: esprit, pensée): association fondée notamment par sir Cyril Burt (psychologue anglais), visant à regrouper les Q.I. remarquables, les défendre contre les agressions «égalitaristes», les constituer en élites de l’avenir. Alain de Benoist s’est longtemps présenté comme «membre de la Mensa», par exemple dans son opuscule Nietzsche: morale et grande politique (G.R.E.C.E., 1973, p. 10), où il va jusqu’à s’introduire lui-même sous son pseudonyme de «Robert de Herte» ! L’ancien président de Mensa-France n’est autre que Robert Lehr, membre du comité de patronage de Nouvelle Ecole.
14. Le Club de l’Horloge se réfère plus spécifiquement aux œuvres de K. Lorenz et A. Gehlen — à juste titre — mais aussi aux travaux de G. Dumézil — abusivement. Rappelons en passant la significative prise de position d’un Lorenz, en 1940: «Il faudrait, pour la préservation de la race, être attentif à une élimination des êtres moralement inférieurs encore plus sévère qu’elle ne l’est aujourd’hui (…). Nous devons — et nous en avons le droit — nous fier aux meilleurs d’entre nous et les charger de faire la sélection qui déterminera la prospérité ou l’anéantissement de notre peuple». Sur les articles pronazis publiés par Lorenz dans les années 1940-1943, cf. M. Billig, op. cit., page 135, note 13.
15. Cf. H. Brenner: la Politique artistique du national-socialisme (1963), tr. fr., Maspero, 1980, p. 17 sq.; A. Hamilton: l’Illusion fasciste (1971), tr à fr., Gallimard, 1973, p. 172; M. Billig, p. 130; L. Richard: le Nazisme et la culture, Maspero, 1978, pp. 347-348 (et 168-169).
16. Sur Hans F.-K. Günther, cf. Billig, op. cit., pages 53-58; H.-J. Lutzhoft, op. cit.. Et l’analyse, minutieuse autant que clairvoyante, que donnait de l’un de ses principaux livres (Rassenkunde des deutschen Volkes, 1922, 14e éd. en 1930 !) le germaniste E. Vermeil, dans ses Doctrinaires de la Révolution allemande (N.E.L., 1938, rééd. 1948), pp. 250-262.
17. Les milieux droitiers du régionalisme normand sont depuis longtemps pris en main par la Nouvelle Droite, à travers l’u n de ses doyens: Jean Mabire, fondateur en 1949 de la revue Viking (disparue en 1958), dont la relève fut prise par Hiémal.
18. Sur la W.A.C.L., cf. F. Laurent: l’Orchestre noir, Stock, 1978, p. 298 sq.; sur ses liens avec le C.I.D.A.S. (Centre italiano di documentazione e azione sociale), cf. p. 304, n. 1. M. Grémillon a bien dessiné le contexte significatif dans lequel le C.I.D.A.S. a été invité à Nice (Spaggiari et ses amis, l’Express, 21 mars 1971 repris in J. Brunn: la Nouvelle Droite, Nouvelles Editions Oswald, 1979, pp. 46-51).
19. J. Rieger mériterait à lui seul toute une étude. Il réalise l’union, en une même personne, des trois types fascistoïdes principaux: le néo-droitier intellectuel, le néo-nazi, le «révisionniste». Relevons simplement ce compte rendu de sa plaquette Rase-Det store grunn-problem (Oslo) dans Nouvelle Ecole (no 29, 1976, p. 110): «Les races de l’Europe et leur distribution actuelle. Un survol de la question» (Not. «(2 )» , c’est-à-dire: «Livres à consulter, sur lesquels on peut faire certaines réserves, mais qui méritent d’être lus»). Dans un précédent ouvrage, mis à l’index des livres «dangereux pour la jeunesse» en R.F.A., Rieger lançait cet appel: «Nous devons réveiller les puissances de notre race. Les géants blancs arrivent !» («Rass: ein Problem auch für uns !» - «La race: un problème aussi pour nous -». Objet d’un élogieux compte rendu in The M.Q., 1971, 111-115). Cf. Billig, op. cit., pages 115-117. Rieger est, bien sûr, membre de la Ligue Nordique.
20. Sur ces deux revues (Neue Anthropologie et The M.Q.), leurs collaborateurs, leurs contenus et leurs stratégies discursives, cf. M. Billig, op. cit., ch. 4 et 5 (pp. 89-122).
21. Sur F. Altheim: cf. A. Schnapp et J. Svenbro: Du nazisme à Nouvelle Ecole…, Estratto da Quademi di storia, 11, juin-juillet 1980, pp. 107-119; L. Poliakov: les Précurseurs, in Sciences et Tensions sociales, 1979, no 1, pages 33-34.
22. L’American Mercury était l’une des références significatives de Rassinier, comme l’a noté N. Fresco (cf. les Temps Modernes, juin 1980, p. 2207) précisant que le numéro de boîte postale servant d’adresse à 1’American Mercury est le même que celui de l’Institute for Historical Review (Institut de révision historique) organisateur de la «Convention» révisionniste de septembre 1979, tenue près de Los Angeles (Etats-Unis), où Faurisson intervint aux côtés des App, Walendy, Bennett et Butz, prestigieuse brochette d’antijuifs fascisants (cf. Fresco, art. cit., 2160 sq, 2207). La charte révisionniste, mise au point à l’issue de la rencontre, déclarait notamment que «l’escalade constante de la propagande sur l’Holocauste» diffusée par les media et les agences gouvernementales «empoisonne l’esprit du peuple américain et particulièrement la jeunesse» (cité par Fresco, 2164). La façon dont le falsificateur Rassinier utilisait comme prétendue source historique l’American Mercury mérite d’être rappelée: «S’il est vrai, comme le prétend l’American Mercury, que le mouvement sioniste international se refuse à un recensement de la population juive mondiale — quel aveu ! — et, par là, la rende impossible, je ne vois guère où on pourrait trouver la vérité ailleurs que là. Si tant est qu’on puisse la trouver» (le Drame des juifs européens, 1964, p. 126, soul. par moi).
23. I. Schwidetzky, l’une des plus régulières collaboratrices de Zeitschrift für Rassenkunde, revue raciologique nazie, et notamment pendant les années de guerre. On ne s’étonne pas de la retrouver parmi les signataires du manifeste en faveur des recherches héréditaristes du type de celles du psychologue Jensen (manifeste publié dans la revue Homo, de la même Schwidetzky, repris ensuite dans Neue Anthropologie, d’avril-juin 1974).
On lit dans Nouvelle Ecole (no 29, printemps-été 1976, p. 109): «Use Schwidetzky: Grundlagen der Rassensystematik (1). Les fondements modernes de la classification raciale. Par l’ancienne assistante de von Eickstedt directrice de la revue Homo, Eickstedt «(1)» signifie: «La sélection, qui comprend les titres les plus intéressants publiés durant la période écoulée»). Cette sympathique raciologue collabore à The M.Q. (cf., par exemple, vol. 2, no 1, 1961, pp. 10-12: Psychologie raciale). Egon Freiherr v. Eickstedt est le célèbre raciologue nazi, auteur de Rassenkunde und Rassengeschichte der Menscheit (Stuttgart, 1934), ouvrage de référence… Dans ses Grundlagen der Rassenpsychologie (Stuttgart, 1936), il renvoyait doctement à la «raciologie sociologique» (soziologischen Rassenlehre) de Mein Kampf (op. cit., p. 105, n. 141; les autres références «scientifiques» étaient partagées par M. Grant, H.F.K. Günther, A. Rosenberg, etc.
24. On trouve la signature de B.J. Lundman dès 1939, dans Zeitschrift für Rassenkunde (IX). Ce maître de conférences désormais honoraire de l’Université d’Uppsala (chaire d’anthropologie physique) est une vieille relation d’Alain de Benoist qui, dans les Cahiers Universitaires (no 30, janvier-février 1967, pp. 26-29), avait traduit (sous son pseudonyme de «F. Laroche») un texte de l’anthropologue portant justement sur les Nations nordiques. Quelques pages plus loin se découvrait un texte inspiré du jeune traducteur: Soleil noir et tragédie (pp. 49-53), émaillé de relents de la théorie «glaciale» d’Hörbiger saupoudrée de «nordicisme» exalté. Qu’on en juge: «Le pessimisme nordique est une réaction instinctive contre les espérances maladives contredisant la connaissance brutale. C’est un refus total à compenser le caractère contraignant du monde sensible, évident dès la naissance par la création d’un paradis fictif, Age d’Or, société idéale ou Parousique, Jugement dernier» (p. 50). L’élève de Rougier se souvient également du scientisme renanien, à preuve ce fragment de psychologie météorologique: «Le climat du Nord, lui-même austère et glacé, y a-t-il sa part? Il y contribue sans nul doute. Plus qu’ailleurs; la rudesse des conditions de vie maintient vivante l’idée d’une lutte universelle» (ibid.). L’article suivant était de Lucien Rebatet, de la même eau (les Dieux du Nord chantent), où le vieux fasciste s’interrogeait sur «ce qu’il y a de plus nordique en Wagner» (pp. 54-57).
25. Dans Nous autres racistes (Ed. Celtiques, Montréal, 1971), Amaudruz recommandait, en termes élogieux, la lecture du Précis de J. de Mahieu: «Il s’agit, là, d’un ouvrage d’extrême avant-garde, résumant quelque vingt années de recherches scientifiques et philosophiques et ouvrant à la biopolitique une foule de perspectives capitales nouvelles.» (p. 12). Il ajoutait: «Notre travail, lui, se propose un objectif plus modeste: fournir aux racistes des répliques aux objections des antiracistes» (ibid.). Modestie toute didactique - destin obscur des catéchumènes sociaux-racistes. Dans la Bibliographie, on relève, outre les grands classiques raciologiques (E. von Eickstedt, E. Fischer, H. Günther, Vacher de Lapouge, H.-S. Chamberlain, W. Darr., W. Scheidt, O. von Verschuer, etc.), des références très «Nouvelle Droite»: R. Ardrey, G. Le Bon, Cyril Burt, J. Evola, H. Garrett, G. Montandon, D.-A. Swan, L. Rougier, W. Sombart, etc. Jusqu’à R. Gayre of Gayre, W.-C. George J. Hofmeyr, R. Kuttner, N. Lahovary, O. Mordrel, J. Mabire et… F. Laroche - F. d’Orcival (le Courage est leur Patrie, Paris, 1965, apologie émue des chefs activistes de l’O.A.S.). Prenons acte de cette reconnaissance.
26. Cf. Amaudruz, 1971, pp. 104-105: «Un texte d’avant-garde qui fait honneur à la pensée française». Ch. de Jonquières, éditeur d’Amaudruz et consorts, est à l’origine de l’Union des intellectuels indépendants, créée peu après la Libération par certains rescapés de la Collaboration. On le retrouvera aux côtés de R. Binet à la direction du Mouvement National Progressiste, lancé en 1952 sur le programme: «… un Etat fort qui se rattache au sol, au sang, aux traditions» (cf. Henri Coston, Lectures françaises, décembre 1960, pp. 195 et 540).
27. L’Itinéraire de Nouvelle Ecole (no 14, janvier-février 1971, p. 12) se contentait de recopier un passage, classique dans les milieux néo-nazis, du Message, en l’appliquant aux événements de mai 1968: «Mai 1968: révolte de la jeunesse, mais aussi surgissement des «Katangais» et des drogués, sortis de leurs cryptes comme des escargots après la pluie des sottises et des absurdités. C’est qu’à l’occasion des grands troubles les sociétés sont comme un bocal qu’on agite: les impuretés sont brusquement portées à la surface (…). Mais qu’on laisse l’histoire décanter l’événement. Et le déchet biologique retombe au fond. La hiérarchie sociale actuelle n’est pas conforme à la hiérarchie biologique. Elle n’en est pas non plus l’inverse. Ce n’est pas en maintenant le bocal immobile, ni en le renversant qu’on l’assainira, car c’est aux extrêmes que s’observe la plus grande densité d’éléments troubles: l’écume biologique à la surface, la lie biologique au fond.
L’écume biologique forme le bouillon de culture des parasites légaux et semi-légaux, des exploiteurs directs et indirects de l’opinion, de ceux qui donnent dans le clinquant et s’agglomèrent aux robinets de profit (…). La lie biologique est le bouillon de culture des éléments plus primitifs, que leur incapacité à manier la dialectique confusionniste rejette dans les formes inférieures du parasitisme…»
28. C. Gini, membre du Conseil scientifique de The M.Q. proposait, par exemple, ces principes explicatifs de la distinction «primitifs-civilisés»: «L’esclavage a joué ainsi un rôle décisif dans les progrès de l’humanité. Plus il a été dur et prolongé, plus la psychologie de l’accumulation s’est développée, condition du développement de la technique productive et de la richesse.» La «psychologie primitive», c’est la cause des «conditions arriérées» des «populations primitives». Il est quasiment impossible de les faire «évoluer», leur psychologie étant due à un «arr. t de l’évolution». En outre, «les classes inférieures des populations civilisées ressemblent aux populations primitives.» D’où de sévères remarques que ne désavoueraient pas aujourd’hui les dénonciateurs de «l’utopie égalitaire»: «C’est là une circonstance qu’oublient les promoteurs des réformes agraires. Ils prêchent la répartition de la terre entre les travailleurs agricoles sans s’inquiéter des capacités de ceux-ci» (Méthodes et résultats de Vêtue des populations primitives, in Genus, XI, no 1-4, 1955, pp. 154-156). On aperçoit quelle politique dérive tout naturellement d’une telle «science».
29. J’entends par «sapience», à la suite du sociologue P. Pharo («Les intellectuels, la morale et l’histoire», article à paraître prochainement dans la Revue française de Sociologie), une «capacité collective de penser pratiquement, au travers de certains schèmes à la fois pratiques et symboliques, la cohérence d’une histoire». Cet ensemble inarticulé. de thèmes et de façons de donner du sens à l’événement est susceptible de s’expliciter en discours et d’acquérir une certaine cohérence notionnelle: la sapience prend, dès lors, la consistance d’une idéologie singulière, exposable sous forme de thèses et de jugements de valeur. La sapience néo-droitière comporte une relecture «objective» de l’histoire des fascismes, une attitude «positive» face à la «science raciale», un racisme différentialiste se présentant comme antiracisme, l’aspiration à l’Imperium masquée par un antitotalitarisme de façade ne coûtant rien et ralliant efficacement…
30. Dans la Politique du vivant (Albin Michel, 1978), se trouvent récusées les manifestations suivantes de «l’utopie égalitaire»: «l’antiracisme égalitaire», 1’«hybridation» (242 sq), la «panmixie planétaire» (240 sq), le «métissage universel et systématique» (243), la «caféaulaitisation» où «le café et le lait disparaissent tous les deux» (246). Les justifications théoriques sont de même obédience que celles du G.R.E.C.E.: l’éthologie de Lorenz, la sociobiologie de Wilson, la pseudoanthropologie d’Ardrey fondée sur «l’impératif territorial»; ce qu’il s’agit de légitimer par un scientisme dénoncé en son temps par A. Jacquard (le Monde, 19 juillet 1979) et, aujourd’hui, par P.-P. Grass. (l’Homme en accusation, Albin-Michel, 1980), c’est l’organisation hiérarchique du social, le prétendu instinct d’agression, l’héritabilité de l’intelligence et de la personnalité, etc. Cf. l’étude accablante d’H. Landier, in Notes de conjoncture sociale, 16 février 1981, dévoilant la filiation, soigneusement dissimulée, du G.R.E.C.E. au Club de l’Horloge (cf. aussi Droit et Liberté, mars 1981).
31. Bardèche publia Rassinier comme il publie aujourd’hui Faurisson. L’enjeu n’a point changé de 1960 à 1980. Mais la minimisation systématiquement conduite par Rassinier a fait place à la négation pure et simple proclamée par Faurisson. On passe de la relativisation à la table rase. L’Allemagne nazie n’est plus seulement déculpabilisée, elle est innocentée.
32. Rassinier deviendra, au cours des années 1950, l’une des références ordinaires du drumontien Henri Coston, professionnel de la dénonciation des diverses figures de la «puissance juive». Le pamphlet de Rassinier: le Parlement aux mains des banques (Contre, courant, Paris, 1955) donne ainsi son titre au premier chapitre de la Haute banque et les trusts (La Librairie Française, 1958). Les discours respectifs du national «anticapitaliste» et du socialiste «pacifiste» sont, en fait, indiscernables, dérivant d’une même passion antijuive. Rassinier s’est lancé à corps perdu dans une vision politico-financière de l’histoire, comme l’illustre cette curieuse «explication» des faits, résumée par Coston: Rassinier «a révélé que la banque Lazare, alliée aux Gradis et aux Servan-Schreiber (les Echos, L’Express), avait poussé M. Mendès France au pouvoir afin que ce dernier, en sacrifiant les intérêts d’un groupe concurrent dans le Nord-Vietnam, puisse sauvegarder les intérêts des Gradis-Lazare, situés principalement dans le sud» (les Financiers qui mènent le monde, la Librairie française, 1955, p. 144, n. 1; la «révélation» avait été faite dans la Voie de la Paix, décembre 1955).
33. On s’en convaincra en lisant ces diatribes contre Simone Veil: «Tout en vous exprime Israël (…). Vous avez abâtardi la France et, maintenant, vous vous attaquez à l’Europe. Vous imposez, avec vos amis Klarsfeld, le mensonge historique de l’holocauste comme une vérité indiscutable (…). Allez-vous-en, Madame, l’Occident n’a que faire de vous.» (Courrier du Continent, no 234, décembre 1980, p. 5; je n’ai cité que les propos les plus théoriques…).
34. La publication, aux Editions Copernic, d’un livre de Ch. Saint- Prot: la France et le renouveau arabe (1980), très représentatif de l’antisionisme absolu qui sue l’antisémitisme, marque une étape nouvelle dans la stratégie du G.R.E.C.E. Directeur politique de la Revue d’étude des relations internationales, Ch. Saint-Prot y énonçait récemment: «Le sionisme est un extrémisme totalitaire, comme tous les totalitarismes il ne connaît aucune mesure dans ses prétentions» (Jérusalem, ville arabe, novembre 1980, no 29, p. 6). Un tel sens de la nuance ne trompe pas…
35. Sur les liens du pouvoir actuel avec les extrêmes-droites fascisantes, cf., par exemple, F. Laurent: l’Orchestre noir (Stock, 1978, pp. 109-112, 377-385, etc.); et, plus spécifiquement: Pol Bruno: la Saga des Giscard (Ramsay, 1980).
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