Lettre à Régine Deforges
L’écrivain Régine Deforges tient une chronique hebdomadaire dans le journal l’Humanité. Le 5 novembre 2003, paraît sa chronique, intitulée « L’éclaircie » et qui traite principalement d’initiatives de paix émanant des sociétés civiles israéliennes et palestiniennes. Malheureusement, cette chronique se conclut sur le paragraphe suivant, quelque peu hors sujet :
« Le livre d’Israël Shamir, l’Autre Visage d’Israël (1), a été retiré de la vente à la suite de pressions sur Denis Bourgois, coéditeur, avec Franck Spengler, de l’ouvrage, sous prétexte de “passages antisémites”. “Des passages de la traduction française, lus trop hâtivement, présentent un caractère antisémite. Aussi, les Éditions Balland ont-elles décidé d’interrompre immédiatement la commercialisation de l’ouvrage”, a annoncé Denis Bourgois contre l’avis de Franck Spengler. Selon l’éditeur, “l’auteur de ce livre traduit de l’anglais, citoyen israélien d’origine russe, s’en prend à la politique actuelle du gouvernement Sharon et prône la création pacifique d’un État israélo-palestinien.” Prise de position qui mérite pour le moins que l’on retire le livre de la vente avant de le brûler, et l’auteur avec...
(1) Aux Éditions Blanche-Balland. »Or Israel Shamir est un antisémite hystérique, ainsi que nous l’avons largement établi, et l’ouvrage dont il est question contient de nombreux passages violemment antisémites. De plus, et ce n’est pas anodin, Franck Spengler, responsable des éditions Blanche est le fils de Régine Deforges. Quel type de déontologie cette dernière applique-t-elle pour omettre d’en informer son lecteur ? Dès le 6 novembre nous faisions parvenir la lettre suivante à Régine Deforges, par l’intermédiaire de l’email de l’Humanité. Voici le texte de la lettre en question:
A l’attention de Mme Régine Deforges, mais la rédaction de l’Humanité a tout loisir de lire...
Chère Madame Deforges,
Je lisais avec attention votre chronique parue dans l’Humanité du 5 novembre 2003 (page 23) intitulée “L’éclaircie”. Et ne pouvais que souscrire à ce que je lisais. Il est important de souligner et dénoncer l’impasse dans laquelle se trouvent Israéliens et Palestiniens, de mentionner et encourager les voix israéliennes qui n’adhèrent pas à la politique menée par le gouvernement d’Ariel Sharon, d’encourager les initiatives de paix émanant des sociétés civiles israéliennes et palestiniennes. Je ne prendrais cependant pas la peine de vous écrire s’il n’y avait ce “mais” auquel vous vous attendez évidemment.
Vous avez donc trouvé pertinent de rajouter un dernier paragraphe dénonçant le retrait de l’ouvrage d’Israel Shamir paru chez Balland/Editions Blanches. J’ai d’abord cru que vous alliez adopter une posture, toujours intéressante, de défense d’une liberté d’expression absolue, posture avec laquelle on peut être en désaccord et débattre mais certainement pas condamner “consubstantiellement”. Hélas non. Vous avez fait votre l’approche de Franck Spengler qui consiste à prétendre que le livre de Shamir aurait été retiré non parce qu’il était antisémite (votre expression “sous prétexte d’antisémitisme” montre que vous n’y croyez pas et que vous invitez vos lecteurs à ne pas y croire), mais parce qu’il critiquerait la politique du gouvernement Sharon et serait pour la paix, d’où votre ironie finale.
Cette présentation est une ignominie mensongère.
Vous vous êtes fait berner par ceux qui vous ont exposé le cas Shamir. Israel Shamir *est* un antisémite hystérique. Non parce qu’il critique Israel ou le gouvernement Sharon (ou alors je suis moi-même un antisémite), mais parce qu’il reprend les pires poncifs antisémites (les Juifs assassins du Christ, comploteurs pour dominer le monde, virus de l’humanité, etc.) Suggérer qu’il ne l’est pas c’est se faire complice de sa propagande de haine permanente. L’antisémitisme de Shamir a été dénoncé par Dominique Vidal, rédacteur en chef adjoint du Monde diplomatique, peu connu pour sa complaisance envers Israel, par Ilan Halevi, conseiller du président Yasser Arafat, représentant de l’OLP et du Fatah auprès de l’Internationale socialiste, ou par des militants arabes pro-palestiniens tels que Ali Abunimah et Hussein Ibish. Le cautionnement de Shamir par des “bonnes âmes” pro-palestiniennes est une obscénité. Que cette obscénité soit prétendument justifiée par la posture pro-palestinienne de Shamir ne la rend pas moins obscène. Bien au contraire.
Dominique Vidal, Ilan Halevi, Ali Abunimah et Hussein Ibish sont-ils des “inconditionnels” d’Israël ou de Sharon? Sont-ils des “agents sionistes”? Quand la critique d’Israël, fondée en soi, se transforme en une hystérie qui fait adhérer à *n’importe quels* propos, aussi ignobles soient-ils, du moment qu’ils se présentent sous un emballage “antisioniste”, et que les saloperies antisémites ne sont plus dénoncées pour ce qu’elles sont — des saloperies antisémites —, il y a un problème, ne trouvez-vous pas? Le fait que le texte français de l’ouvrage de Shamir ait été établi par Maria Poumier, connue pour sa proximité avec les négationnistes, la jubilation des négationnistes et des antisémites du monde entier sur l’Internet devant les textes de Shamir (reproduits ad nauseam sur leurs sites), ne semble pas vous “interpeller”. Vous ignoriez donc que Shamir avait appelé les français à voter Le Pen au second tour en 2002? Qu’il expliquait le succès de Le Pen parce que “le peuple de France ne [voulait] pas goûter une occupation judéo-nazie”? Vous ignoriez que Shamir avait appelé à l’alliance avec un groupe nazi américain? Vous l’ignoriez? Ah? Vous n’étiez pas informée? Mal informée? Vous auriez du l’être avant de commettre un paragraphe qui vous fait prendre le parti d’une crapule antisémite. Mais sans doute l’auteur d’une “chronique” se sent-elle dégagée de toute responsabilité?
Contrairement à vous, sans doute, j’ai lu les textes de Shamir depuis qu’ils sont apparus sur la toile (le premier sur un site antisémite ukrainien à la fin de l’année 2000 reproduisait un article de Shamir paru dans la presse antisémite russe) ainsi que l’ouvrage paru chez Balland/Editions Blanches. Je n’avais rien lu d’aussi violemment et pernicieusement (oui, les deux à la fois — il est très doué, Shamir) antisémite. Vous auriez pu écrire que même un ouvrage contenant des ignominies antisémites avait le droit d’être publié (mais c’est aussi le droit d’un éditeur de le retirer, n’est-ce pas?). Vous n’aviez pas le droit de suggérer que Shamir n’était pas un antisémite, tout simplement parce que c’est un mensonge qui cautionne les ignominies de Shamir. Que vous soyez la mère de Franck Spengler, co-éditeur de Shamir, ne constitue certes pas une circonstance atténuante. Vous avez d’ailleurs omis de préciser dans votre “chronique” que vous preniez la défense du fiston... Quelle élégance.
Et dire que vous n’êtes même pas antisémite! Au moins la méchanceté eût-elle été moins pathétique que l’incompétence.
Je tenais donc à vous faire savoir que vous vous étiez monstrueusement plantée. Pour les plus mauvaises raisons du monde. Je suppose que vous aurez l’inertie et le degré de réaction de ces pavés qui mènent vers l’enfer et que jamais vous n’irez admettre votre fourvoiement.
Pour en savoir plus sur Shamir, voir :
http://www.phdn.org/antisem/antision/shamir.htmlMais peut-être éviterez-vous avec un soin tout particulier de lire la page en question? Ce serait tellement plus confortable... N’est-ce pas?
Très cordialement,
Gilles Karmasyn
Responsable de PHDN: http://www.phdn.org/A ce jour, ni Régine Deforges, ni l’Humanité n’ont jugé utile de nous répondre.
Copie d’écran de la version web de l’article, lorsqu’elle existait avant de disparaître... © L’Humanité 2003
Mise à jour du 06/12/2003
Nous constatons ce jour que toute trace de la chronique de Régine Deforges du 5 novembre a disparu du site web de l’Humanité. A l’adresse initiale de l’article ne figure plus que le texte « Pas d’article à cette adresse ». Le lien vers la chronique du 5 novembre a disparu de la page du site donnant accès à toutes les chroniques de Régine Deforges. Les chroniques de Régine Deforges s’égrainent chaque semaine depuis le 15 octobre 2003 (après l’interruption estivale de 2003), avec un passage direct du 29 octobre au 12 novembre. Tel n’était évidemment pas le cas dans les premières semaines de novembre, pendant lesquelles le lien, et la page existaient bel et bien. Le moteur de recherche google a continuéde proposer, pendant quelques semaines, la version effacée de l’article dans son cache, mais cette même cette version a disparu début 2004.
L’Humanité laisse d’ordinaire l’intégralité des chroniques en ligne. La « disparition » de la chronique de Régine Deforge du 5 novembre n’est ni une bévue technique ni un hasard. C’est évidemment le résultat d’une décision. Elle constitue de facto de la part de la rédaction de l’Humanité l’admission du caractère scandaleux du paragraphe de Régine Deforges sur Israel Shamir. Cependant aucun communiqué public, aucun message, même privé, ni de la part de l’Humanité ni de celle de Régine Deforges, n’en prend acte. Après le silence, le camouflage? Enverra-t-on également des émissaires dans les bibliothèques afin de découper l’article de Régine Deforges des éditions papier? Le procédé nous rappelle hélas les photos que Staline faisait retoucher afin d’y faire disparaître les personnages qui ne devaient plus faire partie de l’histoire officielle de l’URSS. Tout le monde peut se tromper. L’admettre n’est en rien infâmant, bien au contraire. Tenter de faire disparaître toute trace de l’erreur plutôt que d’en prendre acte relève d’une hypocrisie qui fait pitié.
Mise à jour du 28/12/2011
Le site de l’Humanité a sans doute subi quelques évolutions depuis 2004. Aussi, à l’occasion de quelque migration informatique, avons nous le plaisir de retrouver en cette fin d’année 2011 (mais cela est assez récent car nous avons vérifié régulièrement) la chronique originale de Régine Deforges, à l’adresse suivante: http://www.humanite.fr/node/356807. Toujours accompagnée d’aucune rectification, ni d’aucune réponse à notre courrier de 2003 (huit ans...). Le scandale de l’indignation vertueuse de Mme Deforges défendant un antisémite hystérique demeure intact. L’Humanité s’était d’ailleurs enfoncée dans les poubelles de la complaisance envers l’antisémitisme en faisant l’éloge explicite de la chronique de Régine Deforges sur Shamir (Pierre Ysmal, « À lire. Vigilante Régine, vigilante », l’Humanité, 29 mai 2004) qu’elle osait republier sous format papier en 2004, sans le moindre complément ni explication. C’est (toujours) là: https://www.humanite.fr/node/306396
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11/11/2003 -- mis à jour le 17/01/2004 puis le 28/12/2011