La « loi GAYSSOT » et la Constitution
Nicolas Bernard
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Seconde PartieChap. III - Le racisme face à la Constitution
La prohibition du négationnisme, législation
constitutionnellement tolérable1. Haine et discrimination
« Effacer les traces », l'image résume le système nazi tout entier, conception du monde, rapport au passé, manifestations écrites et visuelles. Tout ce qui a constitué une nation : traditions, grands hommes, régions, révolutions et réactions, doit être jeté au feu en même temps que les livres « décadents ».Pierre AYÇOBERRY225Faut-il prendre la peine de se battre contre ce genre de périodiques ? Faut-il leur intenter des procès ? Faut-il les interdire ? Il me semble que oui. Les mineurs à qui l'on fourre ces torchons entre les mains en savent très peu sur le IIIe Reich. Si leur seule source d'informations est un ramassis de mensonges et de faux documents, cela risque d'en marquer certains. Et ce d'autant que personne ne s'élève contre ces textes. Cela ne peut que les inciter à conclure qu'ils disent la vérité. Nous ne pouvons en admettre pareilles conclusions.Simon Wiesenthal226La conception dite « responsable » de la liberté d'expression implique certaine intolérance constitutionnelle des discours nuisibles à l'égard d'autrui et de la démocratie libérale. Une justification que d'aucuns jugent laborieuse a été trouvée : limiter la liberté d'expression reviendrait à la protéger d'une disparition découlant de l'instauration de l'anarchie ou d'un régime autoritaire. Cette liberté pourrait être restreinte... pour ne pas être restreinte, du moins abolie.
Il serait préférable - et plus simple - de fonder cet encadrement sur le principe selon lequel la liberté des uns ne doit pas nuire à celle des autres. Principe qui s'applique dès qu'il s'agit de relater des événements passés dont la présence est si vivace dans notre mémoire collective de par la monstruosité qui les caractérise. L'Histoire peut se réviser : elle ne se détruit pas, et encore moins au détriment des victimes d'une entreprise d'extermination comme ce XXe siècle en a été le théâtre.
L'extermination des Juifs et des Tziganes par les nazis fait partie de ces faits notoires et acquis, même par les juges qui examinent la responsabilité de l'historien en matière de négation de ces mêmes faits. Le négationnisme, cette déclinaison de l'antisémitisme, cette nouvelle forme de persécution des anciennes cibles de l'hitlérisme, cette vaste entreprise de dénégation de la nature criminelle du IIIe Reich, ne peut se voir protégé au titre de la liberté d'expression, si l'on se réfère à la conception française, voire même européenne. Notre Droit interne a institué la répression de l'incitation à la haine raciale : ce principe admis, un souci de cohérence requiert un traitement équivalent d'un racisme dissimulé sous l'enveloppe d'une thèse historique « révisionniste » (chapitre III).
L'article 24bis s'avère dès lors utile et bien des effets pervers qui lui ont été reprochés ont été exagérés, notamment grâce à une jurisprudence à la fois nuancée et fondée sur les intentions des auteurs cette loi. Loi qui pourra d'autant moins être considérée comme non conforme à la Constitution que nombre de pays étrangers ont adopté une législation similaire, avec l'appui du Comité européen des Droits de l'Homme et du Comité des Droits de l'Homme pour les Nations Unies (chapitre IV).
Chapitre III. La propagande raciste face à la Constitution
Dr. THOMA. - Croyez-vous que le discours de Himmler, dans lequel il exigeait que 30 millions de Slaves fussent exterminés, n'exprimait que son opinion personnelle, ou estimez-vous qu'il était en accord avec la conception idéologique nationale-socialiste ?
Témoin VON DEM BACH ZELEWSKI. - Je suis aujourd'hui d'avis que c'était la suite logique de notre idéologie.
Dr. THOMA. - [...] Mais autrefois, quelle était votre opinion ?
Témoin VON DEM BACH ZELEWSKI. - Il est dur pour un Allemand de lutter jusqu'à cette conviction. Il m'a fallu beaucoup de temps pour y parvenir.
Dr. THOMA. - Alors comment se fait-il que le témoin Ohlendorf, qui a comparu ici même il y a quelques jours, ait reconnu que grâce à une Einsatzgruppe, il aurait massacré 90 000 hommes, et qu'il ait informé le Tribunal que cela ne correspondait pas à l'idéologie nationale-socialiste ?
Témoin VON DEM BACH ZELEWSKI. - Personnellement, je suis d'un autre avis. Si, pendant des années, on prêche la doctrine que la race slave est une race inférieure et que les Juifs ne sont même pas des êtres humains, une telle explosion est inévitable.227
Le 1er octobre 1946, le Tribunal militaire international de Nuremberg reconnaissait Julius STREICHER coupable du 4e chef d'accusation et le condamnait à la mort par pendaison : « Le fait que Streicher poussait au meurtre et à l'extermination, à l'époque même où, dans l'Est, les Juifs étaient massacrés dans les conditions les plus horribles, réalise la « persécution pour des motifs politiques et raciaux », prévue parmi les crimes de guerre définis par le statut, et constitue également un crime contre l'humanité »228. STREICHER, journaliste nazi particulièrement violent, n'avait pourtant pas donné d'ordre de persécution ou d'extermination, ses fonctions officielles au sein du IIIe Reich étant par ailleurs relativement marginales229 : mais ses appels au meurtre avaient, aux yeux du Tribunal, « excité à la persécution des juifs ». Cette condamnation était, à l'époque, loin d'être isolée230. Un demi-siècle plus tard, le Tribunal pénal international pour le Rwanda édictait ses premières condamnations, pour participation au génocide, des journalistes hutus de Radio-Télévision Libre Milles Collines qui avaient incité leurs concitoyens à exterminer les Tutsis231.
Ces exemples illustrent un fait : l'acceptation d'une sanction pour l'incitation à la haine raciale par le Droit pénal international. Le danger que fait courir sur les individus l'expression du racisme n'est certes plus à démontrer. Le fait, pour le Droit international, de sanctionner des publications et autres moyens de communications destinés à promouvoir la haine ne peut qu'avoir un impact non négligeable sur les Droits nationaux. Le bloc de constitutionnalité français ne pourra que tolérer la prohibition du racisme au nom de l'intégration républicaine (I). Par voie de conséquence, l'interdiction d'un des derniers avatars de cette rhétorique, le négationnisme, ne saurait véritablement porter atteinte à la Constitution (II). Il est vrai que le dispositif législatif français, qualifié à l'occasion d'« arsenal », est particulièrement abouti en ce qui concerne le combat contre la haine raciale et la « nouvelle judéophobie »232...
III-1 Haine et discrimination raciales, phénomènes non tolérés par la Constitution
C'est un crime d'égarer l'opinion, d'utiliser pour cette besogne de mort cette opinion qu'on a pervertie jusqu'à la faire délirer. C'est un crime d'empoisonner les petits et les humbles, d'exaspérer les passions de réaction et d'intolérance, en s'abritant derrière l'odieux antisémitisme, dont la grande France libérale des droits de l'homme mourra, si elle n'en est pas guérie.Emile ZOLA233Le racisme, cette « insulte à la dignité humaine »234, ne se voit pas protégé en France par la Constitution. Le Droit français interdit toute forme de discrimination raciale (1). Pour mieux lutter contre cette dégradation de l'être humain, le Droit français a notamment mis l'accent sur un système répressif des publications racistes, à la différence d'autres démocraties libérales, telles la Grande-Bretagne (2).
III-1.1 Un principe : les prohibitions constitutionnelles de la discrimination raciale
« Mal nommer les choses, disait CAMUS, c'est ajouter au malheur du monde ». La maxime vaut, on l'a vu, pour l'usage erroné du terme « révisionnisme ». Elle vaut également pour la définition, toujours malaisée, du racisme. La Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale adoptée le 21 décembre 1965 s'en prend à « toute doctrine de supériorité fondée sur la différenciation entre les races ». Selon Albert MEMMI, le racisme se matérialise par la « valorisation, généralisée et définitive, de différences, réelles ou imaginaires, au profit de l'accusateur et au détriment de sa victime, afin de justifier une agression »235. Daniel SIBONY ajoute : « Car la souffrance du jaloux - due à ce que l'autre, l'étranger, réussit mieux que lui, mieux qu'il ne devrait - se transforme en haine. Il se sent trahi de l'intérieur, trahi par l'idéal qu'il a nourri, par les règles du jeu qu'il a lui-même posées. Cette souffrance peut devenir une conviction, plus ou moins forte voire délirante : à savoir qu'en réalité, on est meilleur que ces étrangers (métèques, Juifs, Noirs, Arabes...) ; que s'ils paraissent réussir certaines choses, c'est justement une apparence ; car ce sont des ratés, des infirmes, des pervers. On peut même faire pour cela une théorie ; ce sera une théorie "raciste" ; un discours de la haine identitaire. »236 Le racisme divise, scinde, fragmente l'humanité ; il méprise, rejette, abolit les droits de l'homme : « Je n'ai pas besoin qu'on me dise pourquoi Dreyfus a trahi, écrit Maurice BARRES au cours de « l'Affaire ». En psychologie, il me suffit de savoir qu'il est capable de trahir et il me suffit de savoir qu'il a trahi. L'intervalle est rempli. Que Dreyfus est capable de trahir, je le conclus de sa race. »237 C'est ainsi qu'il faut définir le racisme : une incitation à la discrimination et à la haine, à la peur et à la violence.
Entendu comme tel, faut-il le tolérer ? Aucune démocratie libérale ne l'admettra. « On ne peut pas être indulgent envers le racisme, poursuit Albert MEMMI, on n'introduit pas le monstre dans la maison, même et surtout pas sous un masque, car c'est lui accorder une chance, c'est augmenter la part de l'animal en nous et chez les autres hommes, c'est diminuer celle de l'humain. Accepter l'univers raciste, même un peu, c'est avaliser la peur, l'injustice et la violence ; c'est accepter que demeurent les ténèbres historiques dans lesquelles nous vivons largement encore; c'est accepter que l'étranger reste une victime possible. (Or, quel homme n'est pas un étranger relatif ?) Le racisme illustre, en somme, l'inévitable négativité de la condition de l'homme dominé ; c'est-à-dire éclaire d'une certaine manière toute la condition humaine. »238 D'aucuns avancent que le racisme, l'antisémitisme ne peuvent être couverts par la liberté d'opinion parce qu'il ne saurait s'agir d'une opinion239. SARTRE ne soutenait-il pas « l'antisémitisme ne rentre pas dans la catégorie de pensées que protège le Droit de libre opinion », lui qui se refusait « à nommer opinion une doctrine qui vise expressément des personnes particulières et qui tend à supprimer leurs droits ou à les exterminer »240 ?
Sur un strict plan philosophique, l'argument est discutable241. En Droit, il est inopérant. Conceptuellement discutable car la définition de l'opinion nous paraît trop limitative : l'on se ralliera à la conception retenue par Jean-Philippe FELDMAN, qui définissait l'opinion comme étant « un avis déclaré, une croyance probable, une conviction personnelle, une attitude de l'esprit qui tient pour vraie une assertion »242. Juridiquement inopérant, parce que la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789 admet en son article 10 que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi ». La Déclaration reconnaît l'existence d'opinions dangereuses, et le racisme, cette antithèse du principe édicté par cette même Déclaration selon lequel « les hommes naissent libres et égaux en droits » en fait visiblement partie : il peut être sanctionné de ce fait. Le racisme, l'antisémitisme seront sanctionnés au titre d'opinions, opinions dangereuses, opinions agressives. La loi du 28 juillet 1894 ne sanctionne-elle pas la provocation aux crimes et aux délits lorsqu'elle était faite dans un « but de propagande anarchiste » ?
La Constitution française pose ainsi les fondements de la lutte contre les discriminations raciales. Le Préambule de la Constitution de 1946 évoque en premier lieu la victoire sur les puissances totalitaires de l'Axe : « au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d'asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ». Par ce paragraphe introductif rédigé au lendemain de la découverte de l'univers concentrationnaire243, la République se veut bel et bien l'opposée du système d'avilissement national-socialiste - GOEBBELS n'avait-il pas prétendu que « l'an 1789 sera rayé de l'Histoire »244 ?
Le Préambule se revendique comme luttant contre les discriminations : l'alinéa premier prévoit que « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme », le troisième prohibe les discriminations professionnelles fondées sur les origines, les opinions, ou les croyances, le huitième que « la Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement », garantissant « à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs » (neuvième alinéa). Les alinéas suivants proclament « la solidarité et l'égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales » et garantissent « l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture ». L'alinéa quatorzième rappelle que « la France forme avec les peuples d'outre-mer une Union fondée sur l'égalité des droits et des devoirs, sans distinction de race ni de religion », principe auquel répond le dernier alinéa : « Fidèle à sa mission traditionnelle, la France entend conduire les peuples dont elle a pris la charge à la liberté de s'administrer eux-mêmes et de gérer démocratiquement leurs propres affaires ; écartant tout système de colonisation fondé sur l'arbitraire, elle garantit à tous l'égal accès aux fonctions publiques et l'exercice individuel ou collectif des droits et libertés proclamés ou confirmés ci-dessus ».
Le principe d'égalité ainsi proclamé interdit par là même toute discrimination raciale. La Constitution de 1958 instaure le régime qui veillera au respect de ce principe, son article premier disposant que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. » L'on voit que le Droit français met l'accent sur l'égalité de tous devant la loi, ce au nom de l'intégration républicaine initiée par la IIIe République et dont la politique d'instruction civique et de laïcité ne sont pas les moindres des illustrations245. Le concept de « citoyenneté française » suppose que la culture d'origine et la religion doivent rester dans la sphère privée. Les autres pays n'adoptent certes pas la même conception de la lutte contre le racisme. La Grande-Bretagne, par exemple, prend davantage en considération les spécificités de chaque groupe social246. L'Allemagne fédérale comme la Suisse reconnaissent pour leur part des religions officielles et leur attribue des prélèvements fiscaux.
La République prévoyant l'égalité devant la loi des citoyens la composant, toute politique gouvernementale qui, à l'image de Vichy, introduirait une législation fondée sur la discrimination raciale ne serait que contraire à la Constitution. Le bloc de constitutionnalité réprouve les actes objectifs de discrimination raciale car contraires à l'essence d'une démocratie libérale, ce qui signifie d'une part que la République ne peut tolérer une politique publique instaurant de telles pratiques, d'autre part que le législateur doit apporter des garanties visant à s'en prémunir - ce qui autorise des garanties d'ordre pénal. La lutte contre les discriminations doit, selon la conception française, inclure un dispositif normatif devant sanctionner du moins permettre de combattre les actes incitant à la discrimination et la haine raciales. Ce qui implique, par souci de cohérence, d'interdire la diffusion d'opinions recommandant ou ayant pour conséquence, même éventuelle, la commission de ces actes.
III-1.2 Un outil : la prohibition pénale de la diffusion des idées racistes
Le 4 avril 1882, Franz HOLUBEK, leader d'un mouvement d'artisans de Vienne, organisa une émeute contre les juifs. Jugé, il plaida non coupable, invoquant sa bonne foi : il s'était fondé sur les écrits antisémites d'un chanoine ayant versé dans le fanatisme antijudaïque, August ROHLING, dont l'ouvrage ayant inspiré HOLUBEK, Der Talmudjude, multipliait les falsifications avérées du Talmud, en prétendant notamment que les juifs avaient recours à des meurtres rituels. La stratégie de défense menée par HOLUBEK porta ses fruits, puisque la Cour l'acquitta247.
L'exemple, un parmi d'autres, illustre une nécessité : punir les actes racistes suppose d'interdire la diffusion de messages, d'idées, d'opinions susceptibles d'encourager la commission de tels actes, par incitation expresse ou indirecte. La Déclaration des Droits de l'Homme ne l'interdit pas : elle autorise le législateur à restreindre la liberté d'opinion relativement aux opinions susceptibles de troubler l'ordre public et de nuire aux droits et libertés d'autrui. Il est vrai qu'il reste malaisé de définir l'ordre public, notion qui présente certes quelque risque de détournement de la part d'un pouvoir peu au fait des idéaux démocratiques. Le maintien de du bon ordre, de la sûreté, de la sécurité et de la salubrité publiques, pour reprendre les dispositions de l'article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales, servirait la mise en oeuvre des exigences et principes constitutionnels, ainsi que l'a reconnu le Conseil Constitutionnel, pour qui « la recherche des auteurs d'infractions et la prévention d'atteintes à l'ordre public, notamment d'atteintes à la sécurité des personnes et des biens, sont nécessaires à la mise en oeuvre de principes et de droits ayant valeur constitutionnelle »248. Or les exemples ne manquent pas qui établissent que les publications racistes et antisémites constituent un trouble manifeste à l'ordre public249. L'expression de l'antisémitisme constitue de plus une atteinte peu contestable à la dignité humaine, notion élargie s'il en est, ainsi qu'on le verra plus loin pour le négationnisme.
La Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale du 21 décembre 1965250 apporte quelques éclaircissements sur la question des prohibitions - outre que s'y référer peut nous aider à apprécier la constitutionnalité d'une législation antiraciste. Ratifiée par la France le 10 novembre 1971, elle est en effet à l'origine de la loi du 1er juillet 1972 relative à la lutte contre le racisme. Cette Convention comporte un article 4, qui stipule que « les Etats parties condamnent toute propagande et toutes organisations qui s'inspirent d'idées ou de théories fondées sur la supériorité d'une race ou d'un groupe de personnes d'une certaine couleur ou d'une certaine origine ethnique, ou qui prétendent justifier ou encourager toute forme de haine et de discrimination raciales ; ils s'engagent à adopter immédiatement des mesures positives destinées à éliminer toute incitation à une telle discrimination, ou tous actes de discrimination ». Les Etats s'engagent notamment « à déclarer délits punissables par la loi toute diffusion d'idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale, toute incitation à la discrimination raciale, ainsi que tous actes de violence, ou provocation à de tels actes, dirigés contre toute race ou tout groupe de personnes d'une autre couleur ou d'une autre origine ethnique, de même que toute assistance apportée à des activités racistes, y compris leur financement » (paragraphe a). Il leur appartient en revanche de prendre en compte la « clause de sauvegarde »251, qui renvoie aux principes formulés dans la Déclaration universelle des Droits de l'Homme de 1948 et aux droits expressément énoncés à l'article 5 de la Convention, à savoir les droits politiques (droit de vote, droit de prendre part au gouvernement, droit d'accès à la fonction publique) et civils (droit de circulation, droit de propriété, droit à la sûreté, liberté syndicale, droit à la santé, droit au logement, droit à la liberté d'opinion et d'expression...). La Convention distingue ainsi la diffusion d'idées racistes et l'incitation à la discrimination raciale, preuve que les Etats parties doivent condamner la propagande raciste sous toutes ses formes.
La mention d'une condamnation de toute diffusion d'idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale est issue d'un amendement déposé par la Tchécoslovaquie au cours des débats préparatoires à l'adoption de la Convention. La rédaction du texte avait mis en lumière les discordances politiques et idéologiques entre pays occidentaux, pays de l'Est et Etats issus de la décolonisation. Les délégués d'Europe orientale et d'Union soviétique avaient ainsi exigé des restrictions à la liberté d'expression tout en recommandant le respect des principes de souveraineté des Etats et de non-ingérence252. Les Etats occidentaux avaient accepté ces recommandations tout en émettant des amendements selon lesquels les parties signataires ne devaient porter atteinte aux droits civils énoncés à l'article 5 de la Convention et aux articles 19 et 20 de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme - le représentant du Nigéria reprenant ces objections dans un texte de compromis renvoyant à la Déclaration universelle des Droits de l'Homme dans son ensemble mais omettant le sous-amendement américain prenant en considération « le droit fondamental à la liberté d'expression »253.
Les Etats-Unis se sont efforcés de ne pas opérer d'interprétation extensive de l'article 4 qui, selon leur délégation, n'imposait nullement aux signataires « l'obligation de prendre des mesures portant atteinte au droit à la liberté d'expression et à la liberté d'association ». Ils avaient visiblement déduit des propositions émanant des pays de l'Est une autorisation accordée à un Etat de sanctionner les critiques portées contre sa politique, et avaient fait savoir qu'ils s'opposaient à cette interprétation254. Ce choix des Etats-Unis pose le problème de la portée de l'article 4, fondement conventionnel à l'élaboration d'un dispositif de prohibition de la diffusion des idées racistes. La Grande-Bretagne devait émettre de semblables réserves d'interprétation relativement à l'article 4255, de même l'Italie qui pourtant allait adopter la loi n° 654 du 13 octobre 1975 énonçant en son article 3 qu'était passible d'une peine de réclusion d'une à quatre années « quiconque diffuse de quelque manière que ce soit les idées fondées sur la supériorité d'une race ou la haine raciale »256. Faut-il dès lors y voir une obligation d'instauration d'une législation sanctionnant la diffusion d'idées racistes pour la France ? En 1989, Charles KORMAN pouvait écrire que le dispositif français, en dépit de la loi du 1er juillet 1972 sanctionnant la « provocation, à la haine ou à la violence » (article 24, alinéa 6, de la loi du 29 juillet 1881) était insuffisant au regard des exigences de la Convention, compte tenu des incertitudes entourant la notion de « provocation » et l'application restrictive et parfois hésitante de cette disposition par la jurisprudence257. La « loi GAYSSOT » sera adoptée l'année suivante, sans que les rédacteurs et les parlementaires fassent cependant référence à la Convention de 1965... Cela étant dit, la Convention nous paraît fournir un fondement relativement solide à la légitimité de l'article 24bis. Elle autorise la sanction en Droit français de la diffusion des idées racistes. Depuis sa célèbre décision Loi relative à l'interruption volontaire de grossesse du 15 janvier 1975, le Conseil Constitutionnel n'opère certes pas (pour le moment ?) de contrôle de conformité des lois aux conventions internationales. Il est cependant envisageable de combiner les limites aux libertés d'opinion et d'expression telles qu'elles sont tolérées par la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen avec l'article 4 de la Convention et les dispositions du Préambule de la Constitution de 1946 interdisant les actes de discrimination, ce d'autant plus qu'à la différence de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis, la France n'a formulé aucune réserve expresse lors de la signature de cette Convention. Ajoutons à cela que le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale se félicitera de l'adoption de cette loi lors de l'examen du rapport périodique de la France au mois de mars 1994258.
Il faut dire que la loi du 1er juillet 1972 était censée répondre aux exigences du Droit international, en améliorant l'état des normes répressives antérieures, notamment la « loi MARCHANDEAU » du 21 avril 1939 qui avait introduit en Droit français la pénalisation de la « diffamation commise entre des personnes qui appartiennent par leur origine à une race ou une religion déterminées » (article 32, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881). Parce que cette disposition avait assez vite révélé ses limites259, le législateur créerait en 1972 trois délits distincts, la « provocation à la discrimination, à la haine, ou à la violence » (article 24, alinéa 6 de la loi du 29 juillet 1881), la « diffamation » (article 32, alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881), l'« injure » (article 33, alinéa 2, de loi du 29 juillet 1881). Etant entendu que selon les auteurs de la loi et, dans une certaine mesure, la jurisprudence, le terme « provoquer » puisse prendre le sens plus large d'« inciter »260... Il importe dès lors de faire remarquer qu'une présomption de dangerosité a été instituée en ce qui concerne les publications racistes (conformément au régime de la loi de 1881, ainsi qu'on l'a vu), que le Droit français admet la sanction pénale des publications de diverses natures visant à promouvoir la haine raciale, que cette sanction demeure manifestement conforme à la Constitution - notamment en ce que les dispositions précitées doivent être et sont interprétées de manière restrictive par la jurisprudence. Le Droit français promeut ainsi la répression par définition d'infractions pénales, politique législative qui n'est pas réellement retenue en Droit anglo-saxon - l'Angleterre, notamment, préfère recourir à la mise en oeuvre de la responsabilité civile et a mis en place un organisme spécialisé (la Commission pour l'égalité raciale), dont la mission est de conseiller, aider les victimes. Toujours est-il que le législateur ne paraît pas considérer que les réfutations argumentées des idées et théories qui prétendent fonder une discrimination ou inciter à la violence soient suffisantes pour les contrer.
Si l'interdiction des discours racistes est tolérée en Droit français, si l'outil servant à la mise en oeuvre de cette interdiction n'est autre que la loi pénale, l'on ne pourra que constater la compatibilité de la « loi GAYSSOT » à la Constitution - à moins de mettre un terme à la législation française visant à combattre le racisme et l'antisémitisme. Cette conception spécifiquement française résulte d'une combinaison entre, d'un côté, les autorisations accordées par la Constitution et le Droit international en matière de restrictions à apporter à la liberté d'expression et, de l'autre, la prise en considération de ces éléments : le racisme constitue tant une atteinte indéniable au principe de dignité humaine (tel que consacré par le Conseil Constitutionnel) qu'un facteur de trouble réel à l'ordre public. La propagande négationniste, en tant que propagande raciste, en tant qu'injure aux victimes des crimes nazis contre l'humanité, ces crimes commis au nom d'un régime auquel la République a clairement proclamé son hostilité dans le Préambule de la Constitution de 1946, ne saurait de ce fait être protégée par la liberté d'expression telle qu'elle résulte du contenu du bloc de constitutionnalité.
Notes.225. Pierre AYÇOBERRY, La Question nazie. Les interprétations du national-socialisme 1922-1975, Seuil, coll. « Points-Histoire », 1979, p. 31.
226. Simon WIESENTHAL, Justice n'est pas vengeance, Robert Laffont, 1989, p. 347.
227. Extrait de la déposition faite au procès de Nuremberg le 7 janvier 1946 par le général SS Erich VON DEM BACH ZELEWSKI, ancien responsable de la lutte contre les partisans sur le Front de l'Est ayant également mis en application la « Solution finale » en Biélorussie et dans les Etats baltes, décoré de la Croix de Chevalier pour avoir écrasé l'insurrection de Varsovie à l'été 1944, ici contre-interrogé par l'avocat de l'accusé Alfred ROSENBERG (Procès des grands criminels de guerre devant le Tribunal militaire international de Nuremberg, édité à Nuremberg en 1947, Texte officiel en langue française, Service d'Information des Crimes de Guerre, Office français d'édition, Paris, vol. IV, p. 494).
228. Procès des grands criminels de guerre devant le Tribunal militaire international de Nuremberg, op. cit., vol. I, p. 324.
229. STREICHER était l'un des maîtres d'oeuvre de la propagande nationale-socialiste. Fondateur et directeur du journal raciste et pornographique Der Stürmer, il s'était rendu célèbre par ses incitations à la haine antisémite qui, aux yeux de certains leaders nazis, finissait parfois par « dépasser toute mesure »... En 1940, la Cour suprême du Parti national-socialiste reconnut STREICHER coupable de corruption et autres délits et le conduisit à quitter son poste de Gauleiter de Franconie. Avec l'appui de HITLER, il parvint néanmoins à conserver la direction du Stürmer. Son rôle politique devint alors des plus réduits, mais il relança ses campagnes de presse contre les juifs, « cette race maudite par Dieu [...], dont le père est le diable ». La condamnation à mort de STREICHER par le Tribunal de Nuremberg souleva néanmoins quelques controverses, émanant notamment du procureur américain Telford TAYLOR, qui estimait que l'impact de la propagande de STREICHER avait été davantage réduit que ne l'avait retenu le Tribunal et que « la publication d'un journal, si odieux et aberrant qu'il soit, ne doit être mise en cause qu'avec la plus grande prudence » (Telford TAYLOR, Procureur à Nuremberg, Seuil, 1995, p. 605). Le colonel TAYLOR émet l'hypothèse que les juges de Nuremberg ont fait preuve d'un degré moindre de sensibilité à l'égard de cet accusé : son allure de « brute repoussante » avait fait sur eux mauvaise impression (ibid., p. 576-577 et p. 613).
230. Si GOEBBELS s'était suicidé le 1er mai 1945, son adjoint Otto DIETRICH fut emprisonné la même année et condamné à sept ans d'emprisonnement pour crimes contre l'humanité en 1949. DIETRICH bénéficia cependant d'une mesure de libération l'année suivante, pour bonne conduite (voir Robert S. WISTRICH, Who's who in Nazi Germany, Routledge, 1995, 2e édition, p. 39-40). Rappelons qu'à la même époque, l'épuration frappait les écrivains et journalistes français par trop compromis dans la collaboration avec l'Allemagne : condamnations à mort pour Robert BRASILLACH, Paul CHACK, André SUAREZ, réclusion perpétuelle pour Charles MAURRAS... Mais ces procès sanctionnèrent moins les incitations à la haine antisémite que les actes d'allégeance au national-socialisme : voir Pierre ASSOULINE, L'épuration des intellectuels, Complexe, 1999 et, sur la place tenue par l'antisémitisme dans l'épuration de manière générale, Katy HAZAN, « Les représentations de la persécution des Juifs dans les procès de l'épuration en France », Revue d'Histoire de la Shoah, n° 156, janvier-avril 1996, p. 57-79.
231. Voir à ce sujet Raymond VERDIER, Emmanuel DECAUX & Jean-Pierre CHRETIEN (dir.), Rwanda. Un génocide au XXe siècle, l'Harmattan, 2000, ainsi que William BOURDON & Jean-François DUPAQUIER (dir.), La Justice internationale face au drame rwandais, Karthala, 1996.
232. Selon le titre de l'un des derniers essais de Pierre-André TAGUIEFF, éd. Les Mille et Une Nuits, 2001.
233. Emile ZOLA, Lettre à M. Félix Faure, président de la République, publiée dans le journal L'Aurore du 13 janvier 1898 sous le titre « J'accuse ! », extrait cité in Jean-Denis BREDIN, L'Affaire, Julliard, 1983, p. 236.
234. Marc KNOBEL, Le Monde, 13 septembre 2001.
235. Voir Albert MEMMI, Le racisme, Folio-Gallimard, 1994, p. 108-113.
236. Daniel SIBONY, Le racisme ou la haine identitaire, éd. Christian Bourgeois, 1997, p. 9-10.
237. Cité in Zeev STERNHELL, La droite révolutionnaire, op. cit., p. 203.
238. Albert MEMMI, Le racisme, op. cit., p. 175.
239. Pierre ARPAILLANGE définissait ainsi l'antisémitisme, lors de sa présentation de la « loi GAYSSOT » à l'Assemblée nationale, comme une agression, un délit qui ne pouvait entrer dans la domaine de la liberté d'opinion.
240. Jean-Paul SARTRE, Réflexions sur la question juive, Folio-Gallimard, 1985, p. 10. Ecrit dans le contexte de l'immédiat après-guerre, l'ouvrage de SARTRE a cependant été vigoureusement contesté, pas nécessairement sur les points évoqués ci-dessus, par maints auteurs et philosophes, dont Hannah ARENDT. Selon Enzo TRAVERSO, « relu aujourd'hui, un essai comme les Réflexions sur la question juive montre toutes ses limites. Sartre a eu l'intuition d'un problème dont il ne saisit pas la dimension historique. Son étude est riche de remarques pénétrantes et abonde en formules brillantes, mais elle ne touche pas le fond du problème. Auschwitz est à peine évoqué, le génocide ne rentre pas dans son horizon intellectuel » (voir Enzo TRAVERSO, L'histoire déchirée. Essai sur Auschwitz et les intellectuels, Cerf, 1997, p. 189-218).
241. Les tenants de la thèse selon laquelle le racisme ne constitue nullement une opinion définissent celle-ci comme étant une affirmation dont l'esprit n'ignore pas le caractère aléatoire et incertain : or le racisme constitue davantage une profession de foi (selon ADORNO), une passion (selon SARTRE), un jugement brutal, non réfléchi. L'homme qui professe une opinion admettrait son caractère faillible, le raciste qui exprime sa haine non. Conception singulièrement limitée, qui aboutit à « disqualifier l'ensemble des convictions non étayées et autres topiques » (Jean-Philippe FELDMAN, « Peut-on dire impunément n'importe quoi sur la Shoah ? », op.cit., p. 264). Par ailleurs, PLATON, citant SOCRATE, distinguait dans le Ménon l'opinion simple, non réfléchie, résultant davantage du ouï-dire que d'une réflexion personnelle, l'opinion droite, qui retranscrit involontairement la vérité, presque instinctive, et la connaissance, vérité confirmée par l'expérience. Davantage pertinente s'avère être l'observation selon laquelle la législation antiraciste ne limite que l'expression publique, sous certaines formes, des idées racistes : « Ce n'est pas un délit d'opinion, car s'il est interdit de répandre de telles idées, il reste permis de les avoir. Ce n'est même pas une suppression de la liberté d'exprimer ses idées, car il entre, dans la diffusion ou la propagande, un élément de publicité qui laisse libre l'échange privé d'opinions. Il n'est question que d'éviter l'effet de masse de théories dont l'Histoire a révélé les dangers abominables. La sottise individuelle est hors d'atteinte du droit. » (Claude LOMBOIS, Droit pénal international, Dalloz, 2e édition, 1979, paragraphe 216, p. 249). L'argument n'est cependant pas totalement convaincant : dès lors que l'on interdit l'expression publique d'une opinion, il y a délit d'opinion.
242. Jean-Philippe FELDMAN, « Peut-on dire impunément n'importe quoi sur la Shoah ? », op. cit., p. 264.
243. Selon l'expression de David ROUSSET, L'Univers concentrationnaire, écrit en 1945, publié l'année suivante, réédité chez Pluriel, 1998.
244. Cité in Peter YOUNG, La Deuxième Guerre Mondiale, éd. Solar, 1981, p. 10.
245. Politique d'intégration actuellement en crise, au demeurant ; voir Michel WIEVORKA (dir.), Une société fragmentée ? Le multiculturalisme en débats, La Découverte, 1996, qui estime que « l'appel au modèle républicain, quand il ne tend pas à devenir nostalgique ou incantatoire, risque de devenir purement répressif - référence à une conception pure et dure de la laïcité, mise en place d'un traitement avant tout policier de la crise humaine par exemple » (p. 40). Voir également Gérard NOIRIEL, « Petite histoire de l'intégration à la française », Le Monde diplomatique, janvier 2002, p. 4 et 5.
246. Ce modèle n'est pas non plus épargné par les crises, encourageant la ségrégation officieuse des communautés, au point que le directeur du Ministère public britannique, Sir David CALVERT-SMITH, confiera le 25 juin à la BBC avoir « la ferme conviction que la société britannique est institutionnellement raciste » (Le Figaro, 25 juin 2002). Le Comité des Nations unies pour l'élimination des discriminations raciales avait, en août 2000, exprimé sa « profonde préoccupation » devant la dégradation des relations entre Britanniques de souche et groupes ethniques minoritaires (ibid.). Voir Didier LAPEYRONNIE, L'individu et les minorités. La France et la Grande-Bretagne face à leurs immigrés, PUF, 1993 et Catherine HAGUENAU-MOIZARD, « La lutte contre le racisme par le Droit en France et au Royaume-Uni », RIDC, 2-1999, p. 348 et s..
247. Voir Cecil ROTH & Geoffrey WIGODER (éd.), Encyclopaedia Judaïca, Jérusalem, Keter Publishing House, 1982, vol. XIV, p. 224 et Léon POLIAKOV, Histoire de l'antisémitisme, tome 2, op. cit., p. 272-273. L'ouvrage de ROHLING connut une diffusion d'autant plus grande que son auteur avait obtenu une chaire à l'Université de Prague grâce à divers appuis au sein de l'Eglise. La crédibilité de ROHLING subit un revers sérieux lorsqu'en 1885 il renonça, au dernier moment, aux poursuites entamées contre un certain Joseph Samuel BLOCH, qui avait démontré ses falsifications. Quoique il fut révoqué de l'Université, ROHLING put voir son oeuvre servir d'inspiration à de nombreux idéologues antisémites : le Talmudjude fut ainsi traduit en français dès 1889 et bénéficia d'une préface d'Edouard DRUMONT. Les douze procès de meurtres rituels attribués aux juifs de 1867 à 1914 peuvent être considérés comme la résultante de cette propagande fort répandue et dont l'agitation fut authentifiée à Rome par l'organe officieux Civitità Catholica, revue jésuitique dénonçant le « complot juif »... Agitation qui a survécu à son auteur de plusieurs décennies, puisqu'elle a fait l'objet d'une diffusion sur internet (voir Gilles KARMASYN et alii, « Le négationnisme sur Internet », op. cit., p. 25). En dépit d'une réfutation solide menée dans les années 1880, les falsifications du Talmud opérées par l'abbé ROHLING sont encore invoquées à l'appui des campagnes antisémites...
248. Décision n° 80-127 DC des 19 et 20 janvier 1981 Loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes (Rec., p. 15). Voir RDP 1981, p. 651 et s., note Loïc PHILIP ainsi que les commentaires de Jean RIVERO et Christian DE GOURNAY dans l'AJDA 1981, p. 275 et s..
249. L'Affaire DREYFUS a ainsi donné lieu à de nombreuses manifestations et troubles antisémites (Michel WINOCK, La fièvre hexagonale, Seuil, coll. « Points-Histoire », 1987, p. 170-171). Le futur maréchal LYAUTEY écrivait à ce propos : « Il nous semble discerner là une pression de la soi-disant opinion ou plutôt de la rue, de la tourbe, de celle qui est souvent emballée à côté. Elle hurle "à la mort" sans savoir contre ce Juif, parce qu'il est juif et qu'aujourd'hui l'antisémitisme tient la corde, tout comme elle hurlait il y a cent ans : "Les aristocrates à la lanterne" » (cité in Léon POLIAKOV, Histoire de l'antisémitisme, tome 2, op. cit., p. 300).
250. Voir à ce sujet Régis DE GOUTTES, « La Convention internationale et le comité des Nations Unies sur l'élimination de la discrimination raciale », RTDH 1996, p. 515-539.
251. Kim DONG HI, La Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, thèse, Paris II, , 1971, p. 143 (Bibliothèque Cujas : DZ 1971/52).
252. « C'est une erreur de logique de croire qu'on porte atteinte à la liberté d'expression et à la liberté d'association en interdisant les organisations fascistes et la propagande fasciste » fit savoir le délégué soviétique. Le représentant tchécoslovaque déclara de même que « le droit à la liberté d'expression comporte certaines restrictions. Il doit être exercé dans les limites imposées par les droits d'autrui et par les intérêts de la société » (cités in Kim DONG HI, La Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, op. cit., p. 37 et 45-46).
253. Ibid., p. 46-47.
254. Ibid., p. 147-148.
255. Ibid., p. 146-147.
256. Voir, sur la législation antiraciste italienne, Andreana ESPOSITO, « Le discours raciste et la liberté d'expression en Italie », RTDH 2001, numéro spécial « Le droit face à la montée du racisme et de la xénophobie », p. 403-414.
257. Voir Charles KORMAN, « Le délit de diffusion d'idées racistes », JCP, 1989.I.3404. Contra : Jean-Philippe FELDMAN, « Peut-on dire impunément n'importe quoi sur la Shoah ? », op. cit., p. 247-252. Pour notre part, signalons que l'article 22bis de la directive 89/552/CEE du 3 octobre 1989 visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres relatives à l'exercice d'activités de radiodiffusion télévisuelle, dispose que « les Etats membres veillent à ce que les émissions ne contiennent aucune incitation à la haine pour des raisons de race, de sexe, de religion ou de nationalité ».
258. A/49/18, p. 24, paragraphe 142.
259. Voir Jacques FOULON-PIGANIOL, « Réflexions sur la diffamation raciale. Eléments constitutifs du délit et imperfections du texte actuel », D. 1970, chron., p. 133-166.
260. Le projet de loi initial avait proposé l'usage des deux termes dans le but de caractériser ce délit spécifique : « provoquer » et « inciter », à quoi les députés avaient exprimé certaines réserves quant à l'opportunité d'opérer cette addition (J.O., A.N., débats, 7 juin 1972, p. 2280 et s..), le Garde des Sceaux, M. René PLEVEN, ayant même observé que le Gouvernement, loin d'avoir mentionné les termes récurrents de la loi de 1881 (« provoquer directement »), avait omis l'adverbe, pouvait conclure qu'il avait donné « au mot "provoquer" son sens plein lequel couvre certainement l'acceptation du verbe "inciter" » (ibid., p. 2293) - voir Charles KORMAN, « Le délit de diffusion d'idées racistes », op. cit..
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16/02/2003