La « loi GAYSSOT » et la Constitution
Nicolas Bernard
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Chap. III - Le racisme face à la Constitution
2. Les finalités de l'article 24bis
III-2 Les finalités de l'article 24bis : la lutte contre une forme nouvelle de propagande antisémite
Qu'il reste toujours quelque chose des plus impudents mensonges, c'est un fait que les plus grands artistes en tromperie et que les associations de trompeurs ne connaissent que trop bien et qu'ils emploient dès lors bassement.Adolf HITLER261Le négationnisme s'avère être un vecteur de l'antisémitisme : la négation de l'extermination des juifs, en faisant injure aux morts et aux survivants, en s'inscrivant dans une certaine continuité de la propagande judéophobe, constitue une indéniable atteinte à la dignité humaine (1). S'agit-il de laisser agir la libre confrontation des idées pour mieux faire éclater (ou confirmer) la vérité historique ? C'est à la fois sous-estimer la force rhétorique des négateurs et surestimer le potentiel de diffusion des réfutations (2).
III-2.1 Le négationnisme, continuité d'un génocide : une atteinte au principe de dignité humaine
On l'a vu, la doctrine négatrice de l'extermination des juifs ne constitue en rien une école de pensée historique, mais l'un des derniers avatars de l'antisémitisme. Une forme de racisme s'en prenant au « crime absolu »262 commis par le IIIe Reich. Selon le Garde des Sceaux, Pierre ARPAILLANGE, présentant le texte de l'article 24bis au Parlement, « on a dit que la négation de l'holocauste devait être combattue dans le cadre du débat d'opinion, qu'il ne peut y avoir en France d'histoire officielle, pénalement défendue, que le discrédit jeté sur ces thèses par la communauté scientifique est suffisant pour que le juge n'ait pas à intervenir et, enfin, pour reprendre le titre d'un article très digne publié par M. Alexandre Adler qu'une loi n'abolira jamais le mensonge. Ces arguments sont forts et montrent à quel point le débat est complexe. Mais je pense, pour ma part, que , si la révision de l'histoire est toujours un droit, souvent un devoir, la négation de l'holocauste par les auteurs qui se qualifient, selon un terme inapproprié, "révisionnistes" n'est, aujourd'hui, qu'une expression du racisme et le principal vecteur contemporain de l'antisémitisme »263.
Cette « barbarie banalisée », pour reprendre l'expression d'Alain GERARD-SLAMA264, demeure en tout état de cause une agression portée contre « ceux qui ont survécu et ceux qui ne sont pas revenus »265. Le négationnisme tourmente le survivant, ravive cette angoisse de ne pas être cru pour ne pas avoir été compris. « Vous direz la vérité aux gens, en Amérique, déclarait un officier SS à Simon WIESENTHAL en septembre 1944 alors que les camps étaient « liquidés » pour éviter d'être libérés par les Alliés. C'est bien. Et vous savez ce qui arrivera ? Ils ne vous croiront pas. Ils penseront que vous êtres fou. Ils pourraient même vous mettre dans un asile. Qui pourrait croire à toutes ces horreurs, s'il n'a pas vécu dedans ? »266 « Le malheur du survivant, écrit Yves TERNON, c'est d'être à la fois devenu libre et resté enchaîné là-bas. Il se tait ou tente de raconter à des gens bienveillants qui peinent à comprendre. Trop souvent il éprouve un sentiment de culpabilité : pourquoi n'a-t-il pas partagé le sort des victimes ? S'il décide de parler, il consacre toutes ses forces à dire et à faire savoir de quel enfer il revient. Témoin direct de l'assassinat des siens, il devient le héraut de leur innocence »267. Face à ce souci de parler pour mieux assumer l'horreur vécue268, les négationnistes suscitent la « querelle de l'innocence »269 en prenant la défense des bourreaux. En ce sens, le négationnisme, initié par les exterminateurs eux-mêmes dès avant leur défaite militaire pour se disculper, s'inscrit dans la continuité du génocide : les « Eichmann de papier », pour reprendre l'expression de Pierre VIDAL-NAQUET, « non seulement se réjouissent de l'Holocauste, mais ajoutent, avec une subtile malveillance, l'insulte aux souffrances en accusant survivants et témoins d'être des menteurs. Ils exterminent une seconde fois les victimes en proclamant qu'elles n'ont jamais existé, en affirmant, dans leur falsification de l'histoire, que ces morts réelles ont été falsifiées »270. Ne dit-on pas, pour citer un exemple, que l'ancien membre des Sonderkommandos271 de Birkenau, David OLERE, a succombé du fait de l'essor de la campagne négationniste menée dans les années 1980272 ?
L'on peut, à juste titre, parler d'atteinte au principe de dignité humaine, principe auquel le Conseil Constitutionnel a conféré valeur constitutionnelle par la décision Bioéthique n° 343-344 DC du 27 juillet 1994, l'ayant ont fondé sur cette disposition du Préambule de la Constitution de 1946 selon laquelle, « au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d'asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau, que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés » : les juges constitutionnels en avaient déduit que « la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle ». La notion est certes large et a, depuis la décision du Conseil Constitutionnel, fait l'objet d'applications variées, tant par le juge administratif (qui en faisait « l'une des composantes de l'ordre public »273) que par le juge judiciaire274. Le principe de dignité est également apparu en droit de la presse275. Le Conseil Constitutionnel lui-même a contribué à obscurcir ce concept et sa portée, notamment en ce qui concerne le débat relatif à l'interruption volontaire de grossesse276. La dignité humaine peut être mise en équilibre avec d'autres principes constitutionnels.
En ce qui concerne le racisme et sa composante négationniste, il faut faire remarquer que la condamnation constitutionnelle de la dégradation de l'homme ne peut que servir de fondement à la prohibition de la haine raciale. La disposition du Préambule de la Constitution de 1946 à laquelle le Conseil Constitutionnel s'est référé désigne expressément les régimes ayant bafoué la dignité humaine - ainsi l'introduction du principe dans le débat sur le sort des embryons, tant en ce qui relève de la procréation médicalement assistée que de l'interruption volontaire de grossesse, dénonçait-elle certaine politique eugénique menée par l'Allemagne nazie277 ainsi que les expériences médicales. L'Allemagne nationale-socialiste avait également cherché à briser l'homme en le parquant dans le monde concentrationnaire, et le concept d'humanité en exterminant des communautés proclamées races inférieures278. En définitive, la notion de dignité supposerait, comme l'explique Bertrand MATHIEU, « l'interdiction de tout acte inhumain, c'est-à-dire de tout acte qui tend à méconnaître en tout homme, en tout être humain, une personne humaine. En ce sens, non pas la prise en compte des différences, mais la discrimination qui tend à considérer qu'il y a des hommes moins hommes que les autres, des sous-hommes, est radicalement inacceptable »279.
Le négationnisme vise à promouvoir ces régimes hostiles au principe de dignité humaine : en effaçant leurs crimes, il les réhabilite. « Je veux nous disculper et nous défendre, mais je ne peux pas le faire avec ce que nous avons réellement commis. Je ne le nie pas. Mais aucun avocat ayant quelque chose à défendre n'ira exposer les éléments à charge ! », concèdera le leader d'extrême droite, négationniste et ancien gardien d'Auschwitz Thies CHRISTOPHERSEN280. L'on a pu voir au surplus qu'il portait atteinte à la dignité des survivants et des victimes des crimes contre l'humanité en les qualifiant de faussaires et de menteurs, tout en ravivant les douleurs de leur mémoire, et que les tribunaux admettaient et admettent encore l'existence d'un préjudice résultant de la négation des génocides. Selon Serge KLARSFELD, cette négation relève d'un « caractère de propagande et cause un préjudice sentimental à ceux qui ont perdu un proche dans les camps. Ceux qui sont contre cette loi ne vivent pas au milieu des survivants et n'entendent pas leurs cris »281. Serge KLARSFELD estime cependant que les poursuites ne seront plus nécessaires « une fois que les témoins seront morts »282.
Mais l'article 24bis n'a pas pour unique fonction de protéger les survivants et les victimes de la propagande négationniste : il s'agit là d'une condition peut-être nécessaire, mais non suffisante. En effet, « la difficulté est que le blasphème peut lui aussi infliger à des croyants une très grande souffrance et qu'il n'est pas possible de mesurer l'intensité des souffrances ni de les classer par espèces pour décider que celle-ci doit être à tout prix évitée et non celle-là »283. La « loi GAYSSOT » s'inscrit également dans la répression du racisme afin de prévenir des troubles à l'ordre public et le retour en force d'une idéologie méprisant le concept de dignité humaine : en bref, elle se pose comme l'une des garanties des fondements de l'Etat libéral.
III-2.2 Le négationnisme, vecteur de troubles à l'ordre public
La constitutionnalité d'une sanction du négationnisme ne se fonde pas uniquement sur la volonté de protéger les victimes du national-socialisme. Il s'agit également de lutter contre une propagande organisée qui fait peser sur l'ordre public un danger certain. Nombreux, pourtant, sont ceux qui prétendent que la réfutation menée par les historiens devrait suffire à discréditer les négationnistes. Il est toutefois permis d'en douter.
L'article 24bis ne sanctionne pas l'erreur, l'ineptie historiques, il ne punit pas des « zéros intellectuels », des « crétins », mais d'habiles propagandistes qui ont pu rencontrer certain succès dès l'éclatement de « l'affaire FAURISSON ». Il ne s'attaque pas au mensonge historique en tant que tel, mais à ce qu'il implique : « Ce qui nous anime, déclaraient Jean-Claude GAYSSOT et Charles LEDERMAN en 1996, c'est la lutte contre l'antisémitisme militant et revanchard que constitue le négationnisme. Plus on s'éloignera de l'époque ou ces crimes ont été commis, de leur révélation, de la disparition des victimes et des témoins, plus il risque d'être dangereux »284. Le paravent universitaire de l'énoncé « révisionniste » n'est pas sans présenter certaine force de conviction à l'égard du profane, alors que les falsifications et autres dénaturations de sources seront aisément décelables aux yeux du spécialiste. Un ouvrage comme La mystification du XXe siècle, d'Arthur BUTZ, constitue un modèle de la méthodologie du doute systématique à prétention scientifique : plus de 300 pages agrémentées de près de 530 notes infrapaginales, de statistiques, d'annexes, de reproductions de documents d'origine tronqués ou interprétés de manière hypercritique... Pierre VIDAL-NAQUET parlait à cet égard de « réussite assez effrayante : le lecteur est conduit persuasivement par la main et amené peu à peu à l'idée qu'Auschwitz est une rumeur orientée, dont d'habiles propagandistes ont fait peu à peu une vérité [...]. C'est Butz et non pas Faurisson qui pourrait être défini dans les termes de Zola comme l'ouvrier diabolique de l'erreur judiciaire »285. Le même Pierre VIDAL-NAQUET reconnaîtra que son célèbre essai, Un Eichmann de papier, réfutation des thèses de Robert FAURISSON parue dans la revue Esprit en 1980, avait connu « un effet assez foudroyant, en ce sens qu'il a été l'article à la mode, pendant quelque temps, de l'intelligentsia parisienne ; l'honnêteté oblige à dire qu'il n'est que trop vrai qu'une bonne partie de cette intelligentsia se préparait à se laisser convaincre par les arguments de Faurisson »286.
Selon Deborah LIPSTADT, c'est cette perversion de la méthodologie scientifique créant une apparence de sérieux « qui fait que la négation de l'Holocauste soit si dangereuse. L'individu moyen, s'il n'est pas informé, éprouvera des difficultés à discerner leurs objectifs véritables »287. Ces capacités de persuasion ne sont pas sans rappeler cet autre fantasme du complot juif, Les Protocoles des Sages de Sion, à propos desquels l'historien Norman COHN écrit : « ... le mythe de la conspiration mondiale juive peut également exercer son influence sur la masse de la population, ce qui peut aussi avoir des répercussions sur le sort des Juifs. La propagande séculaire relative à la sorcellerie, au meurtre rituel et au gouvernement secret juif a créé une atmosphère générale de peurs superstitieuses qui a bien peu de choses à voir avec les conflits spécifiquement économiques. Le vague soupçon d'une collectivité juive unifiée, attelée à des tâches sinistres, et dotée d'un mystérieux pouvoir, demeurait largement répandu au cours de la première moitié du XXe siècle. Il est certain que les adeptes fanatiques du mythe de la conspiration, les vrais partisans des Protocoles, étaient toujours relativement peu nombreux ; mais ils l'étaient assez pour se faire entendre, et un public beaucoup plus vaste, composé de gens qui ne les croyaient qu'à demi, retenait soigneusement des bribes de leurs racontars. Il n'y a pas lieu de s'en étonner, car seules les personnalités exceptionnellement mûres sont complètement immunisées contre les peurs et les haines infantiles auxquelles font appel les mythes de ce genre »288. Les médias ne sont pas sans porter quelque responsabilité dans ce succès des thèses négationnistes, du moins leur publicité. La crédibilité des Protocoles avait été appuyée par le Times lui-même le 8 mai 1920 (mais réfutée - tardivement - par ce même journal, le 18 août 1921, qui concluait au faux289) : soixante ans plus tard, Le Monde offrait à ses lecteurs les thèses de Robert FAURISSON290 alors que la revue L'Histoire laissait publier en 1995 un article niant la réalité du génocide arménien. L'on se souvient que les négationnistes tentaient de s'infiltrer dans les universités et les instituts de recherche... Rarement l'on aura vu une telle entreprise de dénégation systématique.
Notons également que les négationnistes peuvent se contenter de susciter le doute dans l'esprit du lecteur sans nécessairement le convaincre en totalité. Patrice LORAUX a démontré que le discours négationniste « vise à détruire le consentir en ses deux acceptions, l'acquiescement sur la base d'un sentir en commun », c'est à dire qu'il revient à créer une rupture dans le consensus existant au sein de l'opinion, à troubler cette « sensibilité commune » considérant comme acquises certaines valeurs et données historiques, en bref à faire naître le doute291, ce que confirmait André COMTE-SPONVILLE : « Pourquoi sommes-nous persuadés qu'il y a eu, de la part du nazisme, une politique délibérée d'extermination des juifs ? Parce que nous l'avons lu. Où ? Dans des journaux le plus souvent, dans des livres parfois... Aussi parce que nous avons vu d'insoutenables images à la télévision... Avons-nous vérifié l'authenticité de ces images, les sources de ces journaux, les témoignages et documents dont ces livres font état ? Bien sûr que non: comment le pourrions-nous ? Et le négationniste d'exulter: "Vous voyez bien ! La vérité, c'est que vous n'en savez rien ! Vous répétez ce qu'on vous a dit... Ce n'est pas de l'histoire, c'est du bourrage de crâne !" Nous voilà pris, c'est du moins le soupçon qui naît, en flagrant délit de crédulité. S'il ne faut être certain que de ce qu'on a vérifié soi-même, comment le serions-nous de ces horreurs ? C'est ainsi que le refus d'être crédule pousse parfois à la crédulité : certains - c'est peut-être ce qui est arrivé à l'abbé Pierre - vont croire aveuglément au doute, à l'ignorance, au soupçon. Les négationnistes n'en demandent pas davantage. »292 Faire naître le doute parvient au moins à insinuer au lecteur, au destinataire, que tout ne lui a pas été dit, qu'il demeure des faits probablement erronés, ce qui jette certain trouble - injustifié - sur la validité des témoignages des victimes et revient à les disqualifier partiellement, tout en présentant les négationnistes comme des chercheurs accomplis qui, certes, défendent une thèse absurde mais dont les arguments ne sont pas totalement négligeables. Un négationniste comme David IRVING, de par ses travaux relatifs à la Deuxième Guerre Mondiale et ses qualités indéniables de « prospecteur de documents », a joui, jusqu'au procès qu'il intentera à Deborah LIPSTADT, d'une réputation de respectabilité matinée d'un parfum de scandale qui au demeurant n'inquiétait guère les historiens, bien qu'il fût un négateur de l'extermination des juifs, un néo-nazi déclaré et que ses méthodes révélassent sa malhonnêteté pour qui voulait les examiner avec davantage d'attention293.
A cette menace réelle, l'article 24bis est-il le meilleur choix ? L'on a pu constater que beaucoup en doutent, préférant recourir à l'Histoire. S'agit-il pourtant de recourir au débat d'idées pour mieux faire triompher la vérité, selon la conception américaine de la liberté d'expression ? Ce serait admettre que l'existence des crimes contre l'humanité nazis puisse être matière à discussion, ce que rejette l'unanimité des historiens. D'une part en effet, « un dialogue entre deux hommes, fussent-ils adversaires, suppose un terrain commun, un commun respect, en l'occurrence, de la vérité. Mais avec les "révisionnistes", ce terrain n'existe pas. Imagine-t-on un astrophysicien qui dialoguerait avec un "chercheur" qui affirmerait que la lune est faite de fromage de Roquefort ? »294. D'autre part, un tel débat serait, compte tenu de la mémoire des victimes, éthiquement contestable.
Au demeurant, un débat, tel que réclamé par les négationnistes, n'est qu'affaire de rhétorique et dialectique : en l'occurrence, le caractère convaincant d'une affirmation ne dépend nullement de la véracité de celle-ci, mais du degré d'habileté de celui qui l'énonce. « On peut avoir objectivement raison quant au débat lui-même tout en ayant tort aux yeux des personnes présentes, et parfois même à ses propres yeux, observait SCHOPENHAUER. En effet, quand mon adversaire réfute ma preuve et que cela équivaut à réfuter mon affirmation elle-même, qui peut cependant être étayée par d'autres preuves - auquel cas, bien entendu, le rapport est inversé en ce qui concerne mon adversaire : il a raison bien qu'il ait objectivement tort. Donc, la vérité objective d'une proposition et la validité de celle-ci au plan de l'approbation des opposants et des auditeurs sont deux choses bien distinctes »295. Stephen Jay GOULD, célèbre paléontologue ayant combattu les créationnistes, ces adversaires de la théorie de l'évolution réhabilitant la version biblique des origines de l'Univers, de la Terre et de l'Homme (et dont la rhétorique présente bien des similarités avec le négationnisme) reconnaissait que « le débat est une forme d'art. Il s'agit de sortir victorieux de la confrontation. Il ne s'agit pas de découvrir la vérité. Le débat relève d'un certain nombre de règles et de procédés qui n'ont absolument rien à voir avec l'établissement des faits [...]. [Les créationnistes] sont très bons à ce jeu-là. Je ne pense pas que je pourrais avoir le dessus dans un débat contre les créationnistes »296. Ce type de débat impliquant des négationnistes fut organisé aux Etats-Unis dans des émissions télévisées, débats qui confirmèrent les préceptes de SCHOPENHAUER et les craintes de Stephen GOULD297...
Si le débat avec les négationnistes est exclu, il reste tout de même quelques instruments de lutte. « Il faut d'abord rendre disponible ce que l'on sait des négationnistes et du négationnisme », estime Gilles KARMASYN, qui ajoute : « Nous appelons "réponse" le fait de démonter la mécanique, de démasquer la falsification, d'exhiber la méthode de manipulation des faits par les négationnistes. Il s'agit toujours de réfuter le fond du discours et d'exhiber la perversion de la forme »298. La connaissance de l'Histoire demeure encore le meilleur obstacle à la progression du négationnisme, mais le bagage culturel requis pour résister demeure particulièrement important, ainsi que le remarquait Gilles KARMASYN : « Peut-on se contenter de renvoyer à Pierre Vidal-Naquet lorsqu'une falsification négationniste est "balancée" sur un forum de discussion ou sur le Web ? C'est faire un pari bien risqué sur le bagage philologique, politique ou historique du lecteur. N'oublions pas que si l'on a l'impression de connaître l'histoire du génocide, parce qu'on en entend beaucoup parler, on en ignore généralement les modalités et le déroulement. Qui a lu Hilberg ? Les négationnistes jouent sur cet écart réel entre une connaissance effective assez faible et une impression, erronée, de bien connaître »299. Il est certain que l'existence d'une réfutation n'implique pas nécessairement qu'elle sera lue300, voire même convaincante du moins suffisante. A quelques rares exceptions près, les historiens ne se sont pas lancés dans une entreprise de réfutation (sur le fond et sur la forme) des mensonges négationnistes, préférant mettre l'accent sur la connaissance historique des crimes nazis (et, plus récemment, du négationnisme) par publications d'ouvrages et organisations de colloques. N'en soyons pas surpris : pareille tâche de « dissection » du discours négationniste s'avère lourde et ingrate, et présente, qui plus est, des intérêts historiquement réduits. « Si chaque fois qu'un "révisionniste" produit une nouvelle affabulation, il fallait lui répondre, les forêts du Canada n'y suffiraient pas »301.
En somme, l'on ne saurait partager l'opinion des contempteurs de l'article 24bis sur ce point : l'Histoire suffirait à combattre efficacement les négateurs. C'est à la fois faire peu de cas des attraits rhétoriques du négationnisme et surestimer l'impact des réfutations : encore faut-il qu'elles existent (et force est de constater qu'elles sont loin de porter sur tous les points de l'« argumentaire » négationniste), encore faut-il qu'elles soient lues. Le risque de séduction se réduit, certes, proportionnellement à l'essor des connaissances historiques : il ne saurait totalement disparaître. En 1987, un mois après que Jean-Marie LE PEN eut qualifié les chambres à gaz de « détail de l'histoire de la Seconde Guerre Mondiale », un sondage de la SOFRES rapportait que 89 % des personnes interrogées étaient certaines que les nazis avaient utilisé les chambres à gaz, 1 % exprimaient leurs doutes, personne n'affirmait leur inexistence. Le 14 juin 1990, alors que la future « loi GAYSSOT » était débattue au Parlement, un autre sondage publié dans Le Monde permettait de « mesurer l'ampleur des dégâts causés par le "révisionnisme". Pour 34 % des adultes au total - la proportion tombe de moitié chez les lycéens et les étudiants et à 9 % chez les élèves des grandes écoles -, l'utilisation des chambres à gaz ne constitue pas un fait clairement prouvé. Parmi les 23 % qui estiment qu'il s'agit d'un "fait qui a eu lieu, mais qui n'est pas clairement prouvé", on retrouve des personnes qui ont fourni des réponses erronées aux questions portant sur les autres faits historiques, et semblent donc facilement ébranlables faute d'un bagage culturel suffisant. Il n'en est pas de même pour les 10 % pour qui le fait "n'est pas vraiment prouvé" : ceux-là semblent connaître l'histoire d'après leurs autres réponses, et être directement influencés par les élucubrations négationnistes, tout comme, évidemment, le 1 % qui croit à un mensonge »302. Un sondage Louis Harris précisait en 1993 que 5 % des Français interrogés estimaient « possible que l'extermination des juifs par les nazis n'ait jamais eu lieu »303.
L'interdiction pénale de l'expression publique du négationnisme, du moins si l'on fait abstraction d'Internet, pouvait présenter l'avantage de restreindre l'accès aux publications niant la réalité des crimes nazis. Ce ne serait d'ailleurs pas la première fois que le législateur interdirait certain type de discours nuisant à des principes constitutionnels car pouvant présenter une apparence persuasive. Ainsi la loi du 9 juillet 1976 limitait la publicité en faveur du tabac, la « loi EVIN » du 10 janvier 1991 l'interdit (et apporte certaines restrictions à la publicité en faveur des boissons alcoolisées)304. Le Conseil Constitutionnel n'a pas invalidé cette dernière loi, qui n'avait d'ailleurs pas été déférée sur le fondement d'une atteinte liberté de communication - le Conseil ne se plaçant pas davantage sur ce terrain -, les requérants ayant invoqué la défense du droit de propriété et de la liberté d'entreprendre. Les juges constitutionnels ont estimé que la prohibition de la publicité favorable au tabac était « fondée sur les exigences de la protection de la santé publique, qui ont valeur constitutionnelle »305. Dans le même ordre d'idées, quoique sur le champ des choix politiques, la loi du 19 juillet 1977 interdisait la diffusion de sondages sur les élections et les référendums une semaine avant le scrutin - la réforme législative du 19 février 2002 réduira cependant cette période préalable à deux jours.
L'article 24bis paraît s'inscrire dans cette tendance législative de protection de la « partie faible », pour reprendre les termes en usage dans le Droit des contrats. En matière économique et commerciale, outre les dispositions du Code Civil relatives aux vices du consentement, de nombreuses lois sont en effet intervenues pour garantir les intérêts du consommateur, de la loi du 1er août 1905 sur la répression des fraudes à la loi du 1er février 1995 : interdiction de la publicité mensongère, restrictions apportées à la publicité comparative, devoir d'information à la charge du fabricant ou du vendeur professionnel, délais de réflexion préalable ou de rétractation, sanction des clauses abusives... Le législateur admet le principe d'une protection de l'individu en tant que profane face aux professionnels, en matière économique, en matière commerciale, en matière contractuelle, en matière de santé publique. L'on voit assez mal pourquoi il n'en serait pas de même en matière de lutte contre le racisme, surtout lorsque ce dernier, pour ce qui est de l'Histoire ou des théories de supériorité des races, revendique une légitimité scientifique et s'attaque aux survivants d'une tentative d'éradication massive résultant de ces théories.
La protection constitutionnelle du discours raciste et négationniste serait d'autant plus injustifiée qu'il s'agit là d'informations fausses, qui ne concourent pas, du moins pas directement, à la découverte de la vérité, si l'on se réfère à la conception utilitariste de MILL, conception qui est pourtant l'un des fondements de la liberté d'expression. La Cour suprême elle-même considère que les « fausses déclarations de faits », parce qu'elles « interfèrent avec la fonction de recherche de la vérité du marché des idées », ne sont pas protégées par le Premier Amendement306. Dès lors, l'incitation à la haine raciale ne saurait se voir préservée au nom de la liberté d'information, pas plus qu'elle ne peut être, ainsi que nous l'avons vu, défendue par la liberté de communication.
Reste à savoir si l'article 24bis est l'outil approprié, au regard du bloc de constitutionnalité.
Notes.261. Adolf HITLER, Mein Kampf, Nouvelles Editions Latines, 1934, p. 230. En l'espèce, le futur Chancelier du Reich se référait aux juifs...
262. Selon le titre de l'ouvrage de Roger MANVELL et Heinrich FRAENKEL consacré au génocide commis par les nazis (Stock, 1967).
263. J.O., Sénat, débats du 11 juin 1990, p. 1146.
264. Le Figaro, 25 mai 2000.
265. Ron ROSENBAUM, Pourquoi Hitler ? Enquête sur l'origine du mal, J.-C. Lattès, 1998, p. 7.
266. Cité in Simon WIESENTHAL, Les Assassins sont parmi nous, Stock, 1967, p. 372.
267. Yves TERNON, L'innocence des victimes. Au siècle des génocides, Desclée de Brouwer, 2001, p. 115-116.
268. Pour une mise au point globale de l'impact psychologique des meurtres de masse sur les rescapés et leurs familles, voir Pierre MOUTIN & Marc SCHWEITZER, « Les crimes contre l'humanité : études cliniques du silence à la parole », in Marcel COLIN (dir.), Le crime contre l'humanité, Erès, 1996, p. 123-137. Les troubles psychiques, concluent les auteurs, résultant de ces « événements traumatiques graves voire extrêmes » que sont les crimes contre l'humanité, « sont souvent graves, persistants » et se prolongent « au delà de la première génération » : « leur approche clinique et thérapeutique individuelle ne peut se faire, pour qu'advienne vraiment le passage du silence à la parole, sans une certaine rencontre, à un niveau plus profond, avec le juridique, l'historique et le social » (ibid., p. 134).
269. Yves TERNON, L'innocence des victimes, op. cit., p. 116-117.
270. Ron ROSENBAUM, Pourquoi Hitler ?, op. cit., p. 362.
271. Les Sonderkommandos étaient ces déportés spécialement réquisitionnés par les SS pour ramasser et incinérer aux crématoires les cadavres des personnes gazées. Lorsque les nazis durent « liquider » les camps, ils exécutèrent ces témoins de l'extermination. Certains, comme David OLERE ou Henryk TAUBER, survécurent et témoignèrent. D'autres, en attendant la mort, prirent des notes et les enfouirent sous la terre du camp - voir « Des voix sous les cendres. Manuscrits des Sonderkommandos d'Auschwitz-Birkenau », Revue d'Histoire de la Shoah, n° 171, janvier-avril 2001.
272. David OLERE, interné à Auschwitz de mars 1943 à janvier 1945, membre du Sonderkommando affecté au Krematorium III du camp de Birkenau, se mit à retranscrire ses épreuves sous forme de dessins décrivant précisément le processus de mise à mort tel qu'il était en usage dans les camps nazis. La qualité de ces dessins a poussé les négationnistes à contester la véracité du témoignage d'OLERE, au prix de nouvelles falsifications d'ouvrages. Ainsi Robert FAURISSON prétendit-il que Jean-Claude PRESSAC, spécialiste des crématoires d'Auschwitz, « estimait que ce témoin là souffrait du "Krematorium delirium" », utile manière de discréditer un témoin par citation d'ouvrage interposé évoquant une pathologie mentale (Robert FAURISSON, « Réponse à Jean-Claude Pressac », RHR, 1994, 2ème édition, p. 41). Or, pour qui vérifie la citation apportée par Robert FAURISSON, il n'est pas difficile de constater que jamais Jean-Claude PRESSAC n'a tenu les propos que lui prête l'universitaire lyonnais. Il estimait au contraire ce témoignage particulièrement fiable, marqué par l'épouvante, d'où cette phrase, qui diffère quelque peu de ce qu'en a fait croire Robert FAURISSON à ses lecteurs : « Nous dérivions au milieu d'une espèce de krematorium delirium » (Jean-Claude PRESSAC, Auschwitz. Technique and Operation of the Gas Chambers, Beate Klarsfeld Foundation, 1989, p. 556). David OLERE est mort le 2 août 1985, « tué non par l'âge ou la maladie, mais par les théories négationnistes enseignées à la jeunesse par un professeur d'université de Lyon » (Alexandre OLER, Un génocide en héritage, préface de Serge KLARSFELD, Wern, 1998, p. 121).
273. Le Conseil d'Etat a ainsi considéré que l'attraction de « lancer de nain » consistant à faire lancer un nain par des spectateurs conduit à utiliser comme un projectile une personne affectée d'un handicap physique portait atteinte à la dignité de la personne humaine : CE, Ass., 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge, RFDA 1995, p. 1204, concl. FRYDMAN ; AJDA, 1995, p. 878, chron. Jacques-Henri STAHL & Didier CHAUVAUX ; D. 1996, p. 177, note Gilles LEBRETON ; JCP, 1996.II.22630, note Francis HAMON ; RDP 1996, p. 536, notes Manuel GROS et Jean-Charles FROMENT.
274. Le Tribunal de Grande Instance de Saintes l'avait ainsi concilié avec le droit au logement, estimant qu'il revenait au juge de faire prévaloir l'un ou l'autre au regard des éléments du dossier (TGI Saintes, 28 mars 1995, Juris-Data, n° 1342). Dans la lignée de cette jurisprudence, le Tribunal de Grande Instance de Toulouse a fait prévaloir le principe de dignité sur les dispositions de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative au séjour des étrangers en France (TGI Toulouse, 30 octobre 1995, D. 1996, jurisprudence, p. 101, note Danièle MAYER et Jean-François CHASSAING).
275. Particulièrement en ce qui concerne le droit à l'image. La Cour de Cassation reconnaît que la liberté de communication des informations autorise la publication d'images de personnes impliquées dans un événement, sous la seule réserve de la dignité de la personne humaine (Cass. Civ. 1ère, 20 février 2001, Légipresse 2001, n° 180, III, p. 53, note Emmanuel DERIEUX ; D. 2001, jurisprudence, p. 1199, note Pierre GRIDEL ; D. 2001, jurisprudence, obs. Agathe LEPAGE, p. 1990) : la photographie publiée représentant distinctement le corps et le visage d'un préfet assassiné, gisant sur la chaussée, est attentatoire à la dignité de la personne humaine (Cass. Civ. 1ère, 20 décembre 2000, Légipresse 2001, n° 180, III, p. 53, note Emmanuel DERIEUX ; JCP 2001.II.10488, concl. SAINTE-ROSE, note Jacques RAVANAS ; D. 2001, jurisprudence, p. 1990, obs. Agathe LEPAGE). Cass. Civ. 1ère, 12 juillet 2001 : cassation, pour violation de l'article 10 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, ensemble l'article 9 du Code Civil, de l'arrêt qui, pour juger illicite la publication, sans l'autorisation de l'intéressé, d'une photographie pour l'illustration d'un article relatif à sa mise en examen, retient que cette publication, bien que réalisée par des moyens non critiquables et ne portant pas atteinte à la vie privée de l'intéressé, méconnaît le droit exclusif de chacun sur son image comme sur l'utilisation qui en est faite (D. 2002, informations rapides, p. 1380).
276. Voir décision n° 2001-446 DC du 27 juin 2001 Loi relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception (Rec., p. 74), RDP 2001, n° 5, note Véronique GIMENO. Cette décision met en « équilibre » le principe de dignité humaine avec la liberté de la femme : le Conseil Constitutionnel se déclare en l'occurrence incompétent pour apprécier la qualification opérée par le législateur même si l'action de ce dernier s'inscrit dans les limites posées par le bloc de constitutionnalité. Il n'apporte cependant aucune définition de la qualité de « personne humaine », mais l'on pourrait déduire des termes employés que l'embryon est un titulaire de la dignité humaine.
277. Dès le mois d'octobre 1939, la Chancellerie du Reich lancera l'opération T4, visant à supprimer les « Aryens déficients » que sont les malades mentaux et autres handicapés. En dépit des protestations de l'Eglise et des désaccords manifestés par l'opinion en 1941, l'opération ne sera jamais interrompue et passera sous le contrôle des SS sous le terme de 14f13. Le Reich comptait 320.000 aliénés en 1939 : ils ne seront que 40.000 en 1945. Sur le massacre des handicapés, voir Yves TERNON & Socrate HELMAN, Le Massacre des aliénés, Castermann, 1971 et Eugen KOGON, Hermann LANGBEIN & Adalbert RÜCKERL, Les chambres à gaz, secret d'état, op. cit., p. 24-71. L'eugénisme était pourtant recommandé par des Prix Nobel français de la première moitié du XXe siècle, tels Charles RICHET et Alexis CARREL... Sur les dérives de la médecine nazie, on lira avec intérêt l'étude psychologique accomplie par Robert J. LIFTON, Les médecins nazis, meurtres médicaux et psychologie d'un génocide, Robert Laffont, 1986 ainsi que l'étude globale menée par Yves TERNON & Socrate HELMAN, La médecine allemande et le national-socialisme, Castermann, 1973.
278. « Détruire un homme est difficile, presque autant que le créer, écrira Primo LEVI. Cela n'a été ni aisé ni rapide, mais vous y êtes arrivés, Allemands. Nous voici dociles devant vous, vous n'avez plus rien à craindre de nous : ni les actes de révolte, ni les paroles de défi, ni même un regard qui vous juge ».
279. Bertrand MATHIEU, « La dignité de la personne humaine : quel droit ? quel titulaire ? », D. 1996, chronique, p. 285.
280. Cité in Michael SCHMIDT, Néo-nazis. La terrible enquête, op. cit., p. 377.
281. Cité in Valérie IGOUNET, Histoire du négationnisme en France, op. cit., p. 446.
282. Ibid..
283. Michel TROPER, « La loi Gayssot et la Constitution », op. cit., p. 1253.
284. Le Monde, 26 juin 1996. Voir également J.O., A.N., débats, 2 mai 1990, p. 955, intervention de M. GAYSSOT.
285. Pierre VIDAL-NAQUET, Les assassins de la mémoire, op. cit., p. 74.
286. Cité in Valérie IGOUNEt, Histoire du négationnisme en France, op. cit., p. 269.
287. Deborah LIPSTADT, Denying the Holocaust, op. cit., p. 217. Deborah LIPSTADT évoque par ailleurs le cas de personnalités victimes de la rhétorique négationniste : en février 1983, l'acteur américain Robert MITCHUM exposerait ainsi ses doutes au magazine Esquire vis-à-vis de la réalité de l'extermination des juifs (ibid., p. 15)... Plus sérieusement, un spécialiste anciennement réputé du fascisme, Ernst NOLTE, a repris l'argumentaire de Robert FAURISSON dans sa correspondance avec François FURET (lettre du 5 septembre 1996), publiée dans l'ouvrage commun Fascisme et communisme, Plon, 1998 - voir notamment p. 87-95. Ni François FURET, ni aucun autre historien n'a relevé le fait. Et alors qu'Ernst NOLTE s'intégrait davantage dans une rhétorique négationniste (voir Gilles KARMASYN et alii, « Le négationnisme sur Internet », op. cit., p. 22), l'un de ses ouvrages, majeur mais fort contesté, La Guerre Civile Européenne 1917-1945, était traduit en français et publié aux Editions des Syrtes en 2000. Les thèses de Ernst NOLTE avaient pris un tournant plus radical dans les années 80, et avaient fait l'objet d'une ardente polémique en Allemagne dans le cadre de l'Historikerstreit, la « Querelle des Historiens », portant sur la place du nazisme dans l'Histoire et la mémoire allemandes (voir à ce sujet Devant l'histoire. Les documents de la controverse sur la singularité de l'extermination des Juifs par le régime nazi, Cerf, 1988, et Edouard HUSSON, Comprendre Hitler et la Shoah. Les Historiens de la République fédérale d'Allemagne et l'identité allemande depuis 1949, PUF, 2001). L'absence de réaction des historiens et des intellectuels français devant cette assimilation des « thèses faurissoniennes » par Ernst NOLTE pose la délicate question de savoir s'il revient aux seuls historiens et intellectuels de s'attaquer au négationnisme.
288. Norman COHN, Histoire d'un mythe. La « conspiration juive » et les protocoles des sages de Sion, op. cit., p. 264.
289. Ibid., p. 74-75.
290. Cet article, paru le 29 décembre 1978, était certes accompagné d'une réfutation argumentée de Georges WELLERS : les négationnistes arguèrent de cette confrontation qu'un débat sur l'existence de l'extermination des juifs en général et des chambres à gaz en particulier était possible. « Du jour où Robert Faurisson, universitaire dûment habilité, enseignant dans une grande université, a pu s'exprimer dans Le Monde, quitte à s'y voir immédiatement réfuté, la question cessait d'être marginale pour devenir centrale, et ceux qui n'avaient pas connaissance directe des événements en question, les jeunes notamment, étaient en droit de demander si on voulait leur cacher quelque chose » (Pierre VIDAL-NAQUET, Les assassins de la mémoire, p. 13).
291. Voir Patrice LORAUX, « Consentir », Le Genre Humain, n° 22, novembre 1990.
292. L'Express, 30 mai 1996.
293. Voir notamment Richard EVANS, Lying about Hitler, op. cit., p. 237-259.
294. Pierre VIDAL-NAQUET, Les assassins de la mémoire, op. cit., p. 9.
295. SCHOPENHAUER, L'art d'avoir toujours raison, Les Mille et Une Nuits, 2000, p. 8. L'auteur du Monde comme volonté et représentation recensait dans cet ouvrage trente-huit stratagèmes destinés à assurer le succès d'une thèse en discussion, même objectivement erronée.
296. Conférence donnée à Caltech en 1985, extrait cité par Michael SHERMER, Why People believe Weird Things, W.H. Freeman and Company, 1997, p. 153.
297. Voir Michael SHERMER & Alex GROBMAN, Deyning History, op. cit., p. 109-114.
298. Gilles KARMASYN, Gérard PANCZER et Michel FINGERHUT, « Le négationnisme sur Internet », op. cit., p. 60 et 62.
299. Ibid..
300. Pour citer une nouvelle fois l'exemple de la diffamation accomplie à l'encontre des AUBRAC, rappelons que le livre de Gérard CHAUVY s'est vendu à 30.000 exemplaires alors que les ventes de la réfutation publiée par l'historien François DELPLA n'ont pas atteint les 2.000 unités (entretien avec François DELPLA, mars 2002). Le fait est qu'en l'espèce, un doute infondé subsiste encore sur les AUBRAC.
301. Pierre VIDAL-NAQUET, Les assassins de la mémoire, op. cit., p. 93.
302. Philippe BERNARD, « Les gardiens de la mémoire », Le Monde, 14 juin 1990, reproduit in La Deuxième Guerre Mondiale 1939-1945. Récits et mémoire, Le Monde Editions, 1995, p. 180-181.
303. Valérie IGOUNET, Histoire du négationnisme en France, op. cit.. Le même sondage, effectué aux Etats-Unis, révéla que 22 % des adultes et 20 % des étudiants formulèrent la même réponse. Il convient néanmoins de ne pas accorder à ces résultats une importance qu'ils ne sauraient avoir : la question (« Pensez-vous qu'il soit possible ou impossible que l'Holocauste n'ait pas eu lieu ? ») paraissait mal rédigée, ne serait-ce que par l'usage équivoque de la double-négation. Un sondage Gallup montra par la suite que 83 % des Américains interrogés déclaraient que l'extermination des juifs avait eu lieu, 13 % qu'elle avait probablement eu lieu et 4 % qu'elle ne s'était pas produite (ou étaient sans opinion) - voir Deborah LIPSTADT, Deyning the Holocaust, op. cit., p. XI-XII. Notons à ce sujet qu'une véritable campagne de réfutation des contre-vérités négationnistes est pratiquée depuis quelques années aux Etats-Unis, essentiellement par le biais d'Internet où des sites web de qualité, tels http://www.nizkor.org et http://phdn.org/archives/holocaust-history.org, ont contredit la totalité, ou presque, des allégations énoncées par les Holocaust Deniers, en mettant notamment à disposition du public de très nombreuses informations relatives aux crimes nazis, à l'Allemagne nationale-socialiste, à la Deuxième Guerre Mondiale, et aux négationnistes eux-mêmes. Cette démarche citoyenne exemplaire a « permis de contenir dans une certaine mesure les délires négationnistes, ceux proférés en anglais en tout cas » (Gilles KARMASYN et alii, « Le négationnisme sur Internet », op. cit., p. 62). Rien de commun en France, même si le site web de Gilles KARMASYN, http://www.phdn.org s'est attelé avec efficacité mais isolément à ce genre de travail. Ces militants anti-nazis américains rejettent catégoriquement une législation prohibant le négationnisme, estimant qu'il s'agit là d'une « erreur grave », et préfèrent s'en remettre au débat d'idées, n'hésitant pas à renvoyer aux sites négationnistes par des liens hypertextes. Moralement discutable (car impliquant l'acceptation d'un « débat » sur la réalité de l'extermination des juifs), cette stratégie n'a pas été inefficace, au point que ce sont désormais les sites négationnistes qui refusent ce type de connections (voir Eudes YVES, « Peut-on censurer les sites révisionnistes ? », Le Monde, 12 février 1996). Elle suppose néanmoins un appareil de réfutation complet, ce qui est le cas pour les sites américains, et non en France.
304. Voir Jean-Simon CAYLA, « La lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme (commentaire de la loi du 10 janvier 1991 et de la décision du Conseil constitutionnel du 8 janvier 1991) », Rev. Droit sanit. et soc., 27 (2), avril-juin 1991, p. 204 et s..
305. Décision n° 90-283 DC du 8 janvier 1991, AJDA 1991, p. 382, note Patrick WACHSMANN ; RFDC 1991, p 293, note Louis FAVOREU.
306. Décision Hustler Magazine v. Falwell (485 US 46) du 24 février 1988, qui ajoute que ces fausses déclarations « engendrent un dommage à la réputation individuelle qui ne peut être facilement réparé par un discours opposé, même convaincant ou efficace ».
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16/02/2003