307. Réquisitions du Procureur JACKSON présentées devant le Tribunal Militaire International de Nuremberg le 26 juillet 1946, extrait cité in Telford TAYLOR, Procureur à Nuremberg, Seuil, 1995, p. 510. 308. Dominique SORDET, Les derniers jours de la démocratie, Agence Inter France, 1944, p. 86, cité in Pascal ORY, La France allemande (1933-1945), Gallimard, coll. « Folio-Histoire », 1995, p. 317-318. 309. Olivier ROUMELIAN, « Un délit d'opinion au service des droits de l'homme ? », LPA, 16 février 1996, p. 10 et s.. 310. Propos tenus par GÖRING à Nuremberg devant le psychologue américain Gustav M. GILBERT, reproduits in Joseph PERSICO, Nuremberg. Infamy on trial, Penguin Books, 2000 (2e édition), p. 91. 311. Michel TROPER, « La loi Gayssot et la Constitution », op. cit., p. 1253. 312. Le Monde, 21 mai 1996. 313. Le Monde, 4 mai 1996. « Notre code pénal est suffisant : la loi sur la liberté de la presse est satisfaisante », déclarait Bernard SEILLIER lors des débats parlementaires : J.O., Sénat, débats, 11 juin 1990, p. 1452. Voir également : J.O., A.N., débats, 2 mai 1990, p. 921, intervention de M. HYEST. Cette opinion n'est pas sans renfermer une contradiction majeure, l'acception du principe de la sanction du négationnisme cohabitant avec le refus - au nom de la liberté d'expression - d'une loi devant atteindre cet objectif... Apparemment, aucun de ces beaux esprits n'a pris garde à la commission de cette aporie. 314. Est considérée comme une apologie la publication d'un texte ou la tenue de propos de nature à inciter à porter un jugement favorable à la réalisation d'un crime. La jurisprudence de la Cour de Cassation a inclus l'apologie du délinquant ou du criminel (voir notamment pour une réaffirmation d'un principe proclamé en 1912, Cass. Crim. 8 novembre 1988, Gaz. Pal., 1989.I.83, note Jean-Paul DOUCET). 315. CA Paris, XIe Ch., 19 mars 1952, D. 1952, jurisprudence, p. 694-696. 316. La loi n° 51-18 du 5 janvier 1951 avait complété l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 en ajoutant aux crimes dont il était défendu de faire l'apologie les crimes de guerre et les crimes ou délits de collaboration avec l'ennemi. Il s'agissait d'accorder une concession aux anciens Résistants pour obtenir leur appui dans le vote de cette loi qui prévoyait l'amnistie de certains crimes et délits de collaboration (Herbert LOTTMAN, L'épuration, Livre de Poche, 1994, p. 530-531). Autre contexte historique, celui du procès BARBIE et des inculpations de Maurice PAPON et Paul TOUVIER : la loi n° 87-1157 du 31 décembre 1987 (dont l'objet principal était la lutte contre le trafic de stupéfiants) modifiait par une disposition annexe ce même article 24 en sanctionnant l'apologie des crimes contre l'humanité. 317. Cass. Civ., 15 octobre 1953, Gaz. Pal. 1954, p. 131-133. 318. Florent BRAYARD, Comment l'idée vint à M. Rassinier, op. cit., p. 176-182. 319. CA Lyon, XIe Ch., 2 novembre 1951, D. 1952, jurisprudence, p. 696-699. La Cour d'Appel s'était inspirée d'une théorie défendue en doctrine et par certains arrêts de jurisprudence selon laquelle une association pouvait revendiquer un préjudice personnel lorsque tous ses membres avaient été attaqués dans les intérêts moraux et matériels défendus par cette association. La Cour ne pouvait statuer sur le fondement de la sanction de la diffamation raciale visant un groupe de personnes appartenant par leur origine à une race ou une religion déterminée : RASSINIER et PARAZ visaient les déportés, non les juifs (voir France JEANNIN, Le Révisionnisme. Contribution à l'étude du régime juridique de la liberté d'expression en France, op. cit., p. 67-68). 320. Cass. Crim., 16 décembre 1954, D. 1955, jurisprudence, p. 287-291, rapport de M. le conseiller Maurice PATIN. Paul RASSINIER fut cependant condamné par la XVIIe Chambre du TGI de la Seine le 10 novembre 1965 pour diffamation à l'encontre de deux anciennes Résistantes déportées, Macha SPETER-RAVINE et Marie-Claude VAILLANT-COUTURIER, du fait de la publication le 26 mars 1964 d'un article dans Rivarol sous le pseudonyme de Jean-Pierre BERMONT (du nom de son village natal) à l'occasion du procès d'Auschwitz se déroulant à Francfort (voir à ce sujet Devin O. PENDAS, « Auschwitz, je ne savais pas ce que c'était. Le procès d'Auschwitz à Francfort et l'opinion publique allemande », Le Génocide des Juifs entre procès et histoire, op. cit., p. 79-111) : « Ma conviction est que le tribunal de Francfort devrait commencer à dresser le compte exact de tous les Langbein, Lindgens, Speter-Ravine, Vaillant-Couturier, etc., qui, de leur propre aveu, ont eu la main très lourde en matière de vols de nourriture au détriment de la masse des détenus ». A la différence de la précédente espèce, la diffamation était personnelle - voir Florent BRAYARD, Comment l'idée vint à M. Rassinier, op. cit., p. 385-393. 321. TGI Paris, XVIIe Ch. Corr., 3 juillet 1981, inédit. 322. Reproduits supra, p. 12. 323. CA Paris, XIe Ch., 23 juin 1982, inédit. 324.Cass. Crim., 28 juin 1983, Bull. Crim. 1983, n° 202. 325. Entretien avec Marc LEVY. 326. Une seule décision de la Cour de Cassation (Cass. Crim. 2 juin 1980, inédit) valida la condamnation d'un individu, Marcel IFRIG, ayant contesté la réalité de l'extermination des juifs par les termes suivants : « les juifs affirment que sous le troisième Reich, sous Hitler, six millions de juifs auraient été gazés. Je ne conteste pas cela, et ne le contredirais pas, même si les juifs affirmaient avoir eu 60 millions de victimes, je ne mettrais même pas en doute le nombre de 600 millions. Je ne suis pas du tout en mesure d'apporter une preuve pour ou contre ». L'article en question prétendait que l'immigration en Alsace-Lorraine de médecins d'origine étrangère n'améliorait pas la sécurité des malades. La Cour de Cassation estima que « le passage concernant l'extermination des juifs [...] pris dans son contexte tente de mettre en doute, sinon la réalité, du moins l'importance de l'holocauste, et de suggérer au lecteur qu'il a été mystifié », ce qui était constitutif des délits de diffamation raciale et de provocation à la haine raciale (voir France JEANNIN, Le Révisionnisme. Contribution à l'étude du régime juridique de la liberté d'expression en France, op. cit., p. 78-80). Cet arrêt peut être cependant considéré comme sans portée aucune : il n'a pas été publié et ses motifs n'ont jamais été reproduits dans des décisions ultérieures, au contraire. 327. Ce que d'ailleurs tenta paradoxalement d'établir l'universitaire de Lyon, qui se déclarait en l'espèce « spécialiste de critique de textes et de documents ». Autre écueil de cette décision de justice : la reconnaissance d'une immunité pour l'historien étudiant une période ancienne et révolue, ce qui fut infirmé en appel. 328. Le néo-nazi germano-canadien Ernst ZÜNDEL avait été accusé par le Ministère public canadien d'avoir sciemment publié des déclarations mensongères, à savoir la négation de l'extermination des juifs. Lors du procès en première instance, en 1985, le tribunal exigea du Ministère public de prouver la fausseté des publications négationnistes d'Ernst ZÜNDEL, en bref d'établir la réalité de l'extermination, ce dans le respect des règles anglo-saxonnes de recevabilité de preuve, ce qui excluait notamment tout témoignage « par ouï-dire », c'est à dire décrivant des événements auxquels ils n'avaient pas personnellement assisté mais qui leur avaient été rapportés par des tiers. Etaient a priori exclus les historiens, qui furent néanmoins admis à témoigner (par nécessité résultant de l'impossibilité à obtenir des témoignages vivants sur de nombreux points), en la personne de Raul HILBERG, qui fut par ailleurs quelque peu malmené par l'avocat de la défense, Douglas CHRISTIE - de même Christopher BROWNING au cours du procès en appel. De même, pour ces mêmes motifs, Robert FAURISSON fut-il appelé à témoigner en tant qu'expert reconnu par la Cour pour la défense, ainsi que d'autres négationnistes comme le pornographe antisémite Dietlieb FELDERER et Thies CHRISTOPHERSEN. Certaines autres preuves furent rejetées car irrecevables (ainsi le film réalisé par l'armée américaine sur les camps nazis et projeté à Nuremberg, ses auteurs étant décédés et ne pouvant faire l'objet d'un contre-interrogatoire). Ernst ZÜNDEL fut condamné en première instance et en appel, mais les exigences procédurales n'avaient pas été sans alourdir considérablement la tâche du Ministère public. La Cour suprême du Canada déclara finalement que la disposition ayant servi de fondement à la condamnation d'Ernst ZÜNDEL n'était pas conforme à la Constitution (décision du 27 août 1992, Rc Zundel 2 RCS 731) : cette limitation de la liberté d'expression ne pouvait être justifiée, le but initial de l'infraction (préserver l'harmonie politique en prévenant toute calomnie contre la monarque et la noblesse) n'étant pas urgent et important dans la société actuelle et ne pouvant se transformer en un objectif de préservation de l'harmonie raciale, religieuse ou ethnique comme l'avait envisagé le Ministère public. La Cour considéra cependant que le paragraphe 319(2) du Code criminel, qui criminalise la diffusion volontaire de la haine, était d'une portée suffisamment limitée pour ne pas indûment porter atteinte à la liberté d'expression, car il était axé sur les déclarations visant à fomenter la haine contre un groupe identifiable - voir décision Rc Keegstra [1990] 3 R.C.S. 697 du 13 décembre 1990. Sur l'ensemble de l'affaire ZÜNDEL, voir Leonidas E. HILL, « The Trial of Ernst Zundel: Revisionism and the law in Canada », Simon Wiesenthal Center Annual, vol. 6 (1989), p. 165-219. 329. Daniel JACOBY, entretien retransmis par France-Culture dans le cadre de l'émission intitulée Le négationnisme ou l'abus d'oubli, par Jean-Marc TURINE (réalisation : Bruno SOURCIS), 5e partie diffusée le 10 novembre 2000. 330. Bernard BEIGNIER, « De la langue perfide délivre-nous... », op. cit., p. 521-522. 331. Ce moyen a été soulevé une première fois par l'avocat négationniste Eric DELCROIX (voir notamment La Police de la Pensée contre le révisionnisme, op. cit.). L'argument, pour séduisant qu'il soit, n'en est pas moins spécieux : il ne remet pas en cause le principe même d'une sanction pénale du discours négationniste, se contentant de mettre en lumière les imperfections du texte juridique tel qu'il a été introduit en Droit français. Les juges ne s'y sont d'ailleurs pas trompés et ont rejeté ce raisonnement. La Cour d'Appel de Paris (CA Paris, 27 mai 1992, Gaz. Pal., 1992, 2, Somm., p. 321) a en effet rappelé que l'accord de Londres du 8 août 1945 instituant le Tribunal militaire international et le statut de ce dernier avaient été publiés au Journal Officiel du 7 octobre 1945, que l'autorité de chose jugée d'une décision judiciaire procède de son caractère définitif indépendamment de toute publication, et que le procès-verbal des audiences du procès de Nuremberg avaient non seulement fait l'objet d'une traduction en français, mais étaient encore disponibles à la Cour internationale de Justice de La Haye. La Cour de Cassation répondra également que l'autorité de chose jugée d'une décision de justice procède de son caractère définitif, indépendamment de toute publication (Cass. Crim., 23 février 1993, Bull. Crim. 1993, n° 86). La thèse défendue par les tribunaux ne saurait totalement convaincre. Certes, elle confirme l'applicabilité du jugement de Nuremberg, mais comme l'a fait remarquer Jean-Paul DOUCET, « l'autorité entre les parties de la chose jugée par le jugement qui leur a été lu ou modifié ne saurait à l'évidence jamais équivaloir à une publication tournée vers l'ensemble des justiciables » (Gaz. Pal., 1993, 2, Chron. Dr. Crim., p. 292). A quoi l'on peut certes répondre par cette phrase extraite de la déclaration d'ouverture du procureur Robert JACKSON, qui dirigeait le Ministère public américain à Nuremberg : « La véritable partie plaignante à votre barre est la Civilisation » (citée in Telford TAYLOR, Procureur à Nuremberg, op. cit., p. 189). Faut-il en conclure que l'autorité de chose jugée des verdicts de Nuremberg était universelle ? L'argumentaire juridictionnel présente surtout l'inconvénient de répondre à une critique purement formelle de la « loi GAYSSOT » par une objection tout aussi formelle : il eût été préférable de se reporter aux finalités du texte de loi, à savoir la prohibition d'un discours antisémite niant la réalité des crimes de masse commis par les nazis, crimes dont on est en droit de supposer que l'essentiel est connu de l'opinion publique, pour avoir, entre autres, été juridiquement constaté à Nuremberg. La question centrale, en l'occurrence, porte sur la connaissance de ces crimes. Les critères de publication des normes juridiques ont pour but d'assurer leur connaissance par les citoyens (« nul n'est censé ignorer la loi ») pour qu'elles leur soient applicables. La référence à Nuremberg opérée par le législateur avait pour fonction d'identifier les crimes dont la contestation était interdite, les crimes contre l'humanité accomplis par l'Allemagne nationale-socialiste. Or l'on ne pourra nier que ces crimes sont au moins connus pour l'essentiel : « le jugement rendu par le Tribunal de Nuremberg est si notoire que le directeur de la publication d'une revue politique ne peut sérieusement prétendre en ignorer les dispositions principales » (Jean-Paul DOUCET, ibid.). C'est, par ailleurs, parce que les crimes nazis sont particulièrement notoires que leur négation est menée avec tant de détermination et ce caractère presque industriel qu'on lui connaît... 332. Robert FAURISSON, « Katyn à Nuremberg », Revue d'Histoire Révisionniste, n° 2 (août-sept.-oct. 1990), p. 138-144. 333. L'URSS parvint certes à inclure ce crime dans l'acte d'accusation, mais la défense put présenter ses preuves à décharge et réussit à imposer son point de vue. L'affaire tourna à la confusion du Ministère public soviétique, qui décida de retirer ce dossier de l'acte d'accusation, ce qui, à l'époque, passa pour un aveu implicite. Sur le traitement de Katyn à Nuremberg, voir Alexandra VIATTEAU, « Comment a été traitée la question de Katyn à Nuremberg », in Annette WIEVORKA (dir.), Les procès de Nuremberg et de Tokyo, éd. Complexe, 1996, p. 145-155 ; Whitney R. HARRIS, Tyranny on trial. The trial of the major German war criminals at the end of World War II at Nuremberg, Germany, 1945-1946, Southern Methodist University Press, 1999 (4e edition), p. 251-271; François DE FONTENETTE, Le procès de Nuremberg, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1996 p. 69-73. Le processus criminel ayant mené à ce massacre a été exposé par Alexandra VIATTEAU, Staline assassine la Pologne 1939-1947, Seuil, 1999, p. 53-86, qui expose le contexte des persécutions soviétiques (voir également à ce sujet Andrzej PACZKOWSKI, « Pologne, la nation-ennemi », in Le Livre Noir du Communisme, op. cit., p. 397-428). L'on consultera notamment l'étude de Gilles KARMASYN, « Katyn à Nuremberg : la honte et la justice », PHDN, 2000. Cette étude réfute les assertions de Robert FAURISSON (cité en note 332). 334. Cité par Pierre TRUCHE, « Les facteurs d'évolution de la notion de crime contre l'humanité », in Marcel COLIN (dir.), Le crime contre l'humanité, op. cit., p. 32. Seuls deux accusés, Baldur VON SCHIRACH et Julius STREICHER, furent condamnés en vertu de ce chef d'accusation, le Tribunal l'ayant dans les autres cas manifestement assimilé aux crimes de guerre, tout en obscurcissant davantage son raisonnement. L'article 6 du Statut n'incriminait en effet les crimes contre l'humanité que dans la mesure où ils avaient été « commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du Tribunal ou en liaison avec ce crime », c'est à dire les crimes contre la paix et les crimes de guerre : si le lien de connexité avait été généralement exigé, il ne l'avait pas été en ce qui concerne STREICHER. Voir Eric DAVID, « L'actualité juridique de Nuremberg », in Le Procès de Nuremberg. Conséquences et actualisation, Bruylant/Editions de l'Université de Bruxelles, 1987, p. 98-104, ainsi que de manière plus générale, Michel MASSE, « Crimes contre l'humanité et droit international », in Marcel COLIN (dir.), Le crime contre l'humanité, op. cit., p. 39-53 et Whitney R. HARRIS, Tyranny on trial, op. cit., p. 509-513. 335. Le Ministère public français, à qui il revenait de poursuivre les accusés nazis pour les crimes contre l'humanité commis en Europe occidentale (les Soviétiques ayant compétence pour l'Europe orientale), n'établit guère de distinction entre cette nouvelle infraction internationale et le crime de guerre. Le Ministère public américain avait englobé la persécution, la déportation et l'extermination des juifs dans le cadre de la politique nationale-socialiste à l'égard des opposants au régime. Présentant le dossier de « la persécution des juifs », le commandant William WALSH devait reconnaître que « le terme [de persécution] ne convient pas et je ne puis en trouver un qui stigmatise l'intention fondamentale, le but avoué de rayer du monde la race juive », mais qualifiait ce projet de crime de guerre faisant partie « du plan de guerre d'agression au même titre que la fabrication d'armes et la mobilisation de main d'oeuvre ». Seul un jeune juriste, Edgar FAURE, chargé du dossier français en matière de crimes contre l'humanité, parvint visiblement à établir la place centrale de l'antisémitisme racial au sein de l'idéologie nazie, la singularité de cette « criminalité d'Etat » fondée sur une doctrine raciste - voir Henri DE MONNERAY (dir.), La Persécution des Juifs en France et dans les autres pays de l'Ouest présentée par la France à Nuremberg, Editions du Centre, 1947, notamment p. 21-22. 336. TGI Paris, XVIIe Ch., 23 octobre 1997, inédit. La jurisprudence a pareillement rejeté l'invocation des articles 6 et 10 de la Convention européenne des Droits de l'Homme : « La défense soutient que l'article 24bis de la loi sur la presse porte atteinte à la liberté et à l'impartialité du juge, en le spoliant de sa part de souveraineté, laquelle réside toute entière dans sa liberté d'apprécier les faits propres à chaque espèce, par opposition au droit que maîtrise, par définition, le législateur, et en décidant que le juge ne saurait remettre en cause ce qui a été préjugé par ailleurs, que le jugement de Nuremberg (à savoir l'existence des chambres à gaz nazies), et qui s'impose, à présent, à l'autorité judiciaire. [...] Il est exact que le principe de séparation des pouvoirs réserve au législateur la prérogative d'édicter des normes à caractère général et impersonnel, pour conférer au juge le pouvoir de les appliquer souverainement aux faits qui lui sont soumis. Cependant, si la définition légale des infractions s'impose aux juges, cette situation inhérente au principe ci-dessus rappelé ne saurait être regardée comme une atteinte à leur indépendance et à leur impartialité. Dès lors qu'en l'espèce, il est seulement demandé au Tribunal, régulièrement composé, et devant lequel les prévenus ont pu présenter publiquement leurs moyens de défense, de procéder à l'examen d'un écrit, et de rechercher si les éléments constitutifs du délit de contestation de crimes contre l'humanité, tel que défini par le législateur, sont réunis, la juridiction qui doit décider du bien-fondé d'une accusation en matière pénale, au sens de la Convention, garde son pouvoir souverain d'appréciation des faits, sans qu'il y ait un quelconque empiètement du législateur sur sa liberté ou son impartialité, ni une quelconque atteinte au principe de la présomption d'innocence. » (TGI Paris, XVIIe Ch., 13 juin 1995, inédit). 337. Michel TROPER, « La loi Gayssot et la Constitution », op. cit., p. 1251. 338. Ainsi l'ensemble des lois prévoyant indemnités et pensions pour les diverses victimes de guerre admettent-elles au préalable la réalité de ces guerres. La loi n° 46-1117 du 20 mai 1946 reconnaît par exemple un droit à pension pour les victimes civiles de la Deuxième Guerre Mondiale, ce qui implique d'une part que le législateur reconnaît l'existence de cette dernière, d'autre part qu'elle a causé des dommages en France. Le pouvoir réglementaire n'agit pas autrement : le décret n° 2000-657 du 13 juillet 2000 instituant une mesure de réparation pour les orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites part nécessairement du principe que la « Solution finale » a été appliquée en France. 339. Voir décision n° 84-183 DC du 18 janvier 1985 (Rec., p. 32). A propos de l'article 24bis, l'on a pu cependant voir que le terme de « contestation » pouvait paraître équivoque, au regard notamment de dispositions pénales étrangères plus précises, visant la négation ou la minimisation, voire la « forte banalisation » selon l'ordonnance autrichienne du 26 février 1992. 340. L'article 261bis du Code pénal suisse interdit la négation, la minimisation grossière et la justification d'un génocide ou d'autres crimes contre l'humanité : mais il revient au juge de qualifier les événements considérés de « crimes contre l'humanité » ou de « génocide ». Le tribunal de district de Berne a ainsi refusé de considérer par jugement du 14 septembre 2001 que le génocide arménien était un génocide, car il ne lui appartenait pas de dire l'Histoire. L'argumentation du juge reposait également sur le fait que la démarche des prévenus turcs accusés de négationnisme ne visait pas à rabaisser une race ou une ethnie. Cette décision n'est pas sans vider de sa substance cette disposition pénale suisse - le juge ayant statué en l'espèce a lui-même demandé une révision de l'article 261bis. Voir à ce sujet Hanspeter MOCK, « Le discours raciste et la liberté d'expression en Suisse », RTDH spécial 2001, p. 469-486 et Charles PONCET, « La répression du négationnisme sous l'angle de l'article 6 CEDH » : ici. 341. Jean-Claude GAYSSOT & Charles LEDERMAN, « Une loi contre l'antisémitisme militant », Le Monde, 26 juin 1996. 342. A ce sujet, François DE FONTENETTE a pu écrire : « La justice ne cesse pas d'exister parce qu'elle se trouve à la fin du drame du côté de la force victorieuse. Voici longtemps que Blaise Pascal le signifiait en un propos définitif : "La justice sans la force est impuissante... la force sans la justice est tyrannique. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force et pour cela faire que ce qui est juste soit fort ou que ce qui est fort soit juste". C'est à cela qu'à Nuremberg on est tant bien que mal parvenu ; lorsque la lance d'Athéna rencontre le glaive de Thémis, alors la mesure est bonne » (Le procès de Nuremberg, op. cit., p. 5-6). Voir dans le même sens Jean-Marc VARAULT, Le procès de Nuremberg. Le Glaive dans la Balance, Perrin, 1992 et Whitney R. HARRIS, Tyranny on trial, op. cit.. 343. Notons que la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation avait, à usé de cette même référence au procès de Nuremberg pour constater le délit d'apologie de crimes de guerre en matière de publication de textes et disques phonographiques de nature à inciter tout destinataire à porter un jugement de valeur morale favorable aux dirigeants du parti national-socialiste allemand (Cass. Crim. 14 janvier 1971 « Le Pen », D. 1971, jurisprudence, p. 102, rapport de M. le conseiller CHAPAR). 344. William L. SHIRER, Le 3e Reich, des origines à la chute, Livre de Poche, 1983, vol. I, p. 5. Georges WELLERS ajoute que « grâce à ces procès, les historiens se trouvent en possession d'une documentation d'une richesse sans précédent » (« A propos du "rapport Leuchter" et les chambres à gaz d'Auschwitz », Le Monde juif, n° 130, avril-juin 1988, p. 52). 345. TGI Paris, XVIIe Ch., 22 octobre 1996, Légipresse n° 139, 1997, III, p. 26. 346. Cass. Crim., 17 juin 1997, D. 1998, jurisprudence, p. 51, note Jean-Philippe FELDMAN : « si la contestation du nombre des victimes de la politique d'extermination dans un camp de concentration déterminé n'entre pas dans les prévisions de l'article 24bis de la loi du 29 juillet 1881, la minoration outrancière de ce nombre caractérise le délit de contestation de crimes contre l'humanité prévu et puni par cet article, lorsqu'elle est faite de mauvaise foi ». La Cour cassait l'arrêt de la Cour d'Appel de Paris rendu le 13 octobre 1994 ayant confirmé le jugement de la XVIIe Chambre du TGI de Paris du 24 mars 1994 : ces deux précédentes décisions de justice avaient relaxé un écrivain négationniste affirmant que le nombre de morts à Auschwitz ne dépassait pas 125.000. Ayant constaté que le jugement du Tribunal de Nuremberg ne comportait aucune mention du nombre de déportés assassinés à Auschwitz-Birkenau, le TGI et la Cour d'Appel de Paris avaient estimé que la minimisation excessive du nombre de morts d'Auschwitz ne faisait pas partie de la contestation de crimes contre l'humanité telle que condamnée par l'article 24bis. Cette interprétation stricte de la loi pénale revenait à vider la « loi GAYSSOT » de son contenu tout en la dénaturant : le législateur n'a pas entendu protéger chaque mention du jugement de Nuremberg, mais effectuer une référence censée définir les crimes contre l'humanité dont il est interdit de nier l'existence ou l'ampleur. 347. Néanmoins, il faut convenir que les imperfections rédactionnelles du texte de l'article 24bis peuvent poser divers obstacles à son application (ce qu'a d'ailleurs reconnu incidemment le Conseil d'Etat du Luxembourg dans son avis n° 42.130 du 23 avril 1996 relatif au projet de loi complétant le code pénal en portant incrimination du racisme, du révisionnisme et d'autres agissements fondés sur des discriminations illégales - document reproduit en annexes). L'article 24bis renvoie par exemple aux crimes contre l'humanité constatés par des juridictions françaises ou internationales - faut-il exclure les juridictions étrangères (notamment allemandes) de cette base de référence ? De plus, certains auteurs ont pu prétendre que la « loi GAYSSOT » ne pouvait être appliquée à la négation d'autres crimes hitlériens, tel le massacre d'Oradour su Glane perpétré par la 2e SS Panzerdivision Das Reich le 10 juin 1944, autre symbole de la barbarie nazie. Un militant néo-nazi et disciple de Robert FAURISSON, Vincent REYNOUARD, dans son ouvrage intitulé Le massacre d'Oradour : un demi-siècle de mise en scène (édité en Belgique par une association négationniste), explique que la Résistance serait responsable d'une atrocité qui, en définitive, n'en était pas vraiment une, puisque les Allemands n'auraient fait que se défendre contre une agression qui violait les lois de la guerre. Par malchance (sic), de nombreux civils (mais pas tant que la « version officielle » ne l'a prétendu) auraient été victimes de ce qui, sous la plume de cet auteur, ressemble davantage à une bataille qu'à une extermination planifiée dans un but terroriste... Le Ministre de l'Intérieur a interdit, par arrêté du 2 septembre 1997 (J.O., 7 septembre 1997, p. 13 095), la diffusion cet ouvrage en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés en matière de publications étrangères, sur le fondement de l'article 14 de la loi du 29 juillet 1881. Cette décision a été cependant annulée par les juridictions administratives (CAA Paris, 22 janvier 2002, M. Reynouard et Fondation européenne pour le libre examen historique, n° 98PA04225, La lettre de la Cour administrative d'Appel de Paris, n° 39, février 2002, p. 3-4), conformément aux voeux de la Cour européenne des Droits de l'Homme (CEDH, 17 juillet 2001, Société Ekin c. France, req. n° 39288/98), mettant fin à la jurisprudence dégagée par le Conseil d'Etat autorisant l'usage de ces dispositions pour des motifs tenant à la lutte contre les idéologies racistes et, notamment, contre la renaissance de l'idéologie nationale socialiste (CE, 17 avril 1985, Société Editions Les Archers, Leb., p. 100). Est-ce à dire que l'ouvrage de Vincent REYNOUARD pourra être diffusé en France ? Bernard BEIGNIER (« De la langue perfide délivre-nous »..., op. cit., p. 517) estime l'article 24bis inapplicable, car ne se référant qu'aux crimes contre l'humanité, notamment commis par des individus reconnus coupables par une « juridiction française ou internationale » : or, le massacre d'Oradour a été jugé en 1953 par une juridiction française, le tribunal militaire de Bordeaux, qui l'a qualifié de « crime de guerre »... Il nous semble pourtant que la « loi GAYSSOT » pourrait être utilisé avec succès dans ce cas d'espèce, en cas de publication sur le territoire français, car le texte de loi se réfère également aux crimes contre l'humanité commis par les membres d'une organisation reconnue criminelle par le Tribunal de Nuremberg. Or, les Waffen SS faisaient partie d'une telle organisation, en l'occurrence la SS, de même que le Parti nazi, la Gestapo et le Sicherheitsdienst. Ajoutons à cela que la notion de crime contre l'humanité n'était guère consacrée, à l'époque, en Droit français, et que les auteurs de la loi ont fait savoir qu'ils incluaient la destruction d'Oradour dans le champ de l'article 24bis (Jean-Claude GAYSSOT & Charles LEDERMAN, « Une loi contre l'antisémitisme militant », op. cit.).

La « loi GAYSSOT » et la Constitution

Nicolas Bernard

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Chap. IV - « Un délit d'opinion au service des droits de l'homme »
1. La « loi Gayssot », une loi nécessaire

Chapitre IV. « Un délit d'opinion au service des droits de l'homme »

C'est chargés de ce passé que ces accusés demandent maintenant au Tribunal de décider qu'ils ne sont pas coupables d'avoir comploté, d'avoir projeté ou perpétré cette longue liste de crimes de guerre et d'injustices. Ils se tiennent devant les preuves de ce procès comme Gloucester taché de sang à côté de son roi frappé à mort. Il suppliait la veuve, comme ils vous supplient eux-mêmes : « Dites que je ne les ai pas tués. » Et la reine répondit : « Dites, alors, qu'ils n'ont pas été tués. Mais ils sont morts... » Si vous deviez dire de ces hommes qu'ils ne sont pas coupables, il serait aussi vrai de dire qu'il n'y a pas eu de guerre, qu'il n'y a pas eu de tués et qu'il n'y a pas eu de crimes.
Procureur Robert JACKSON 307
 
La démocratie est bonne fille : elle gave sa clientèle mais elle nourrit ses adversaires.
Dominique SORDET308

Olivier ROUMELIAN qualifiait l'article 24bis de « délit d'opinion au service des droits de l'homme »309. L'expression résume la nature de la controverse portant sur la confrontation entre la « loi GAYSSOT » et les droits fondamentaux - la notion même de « délit d'opinion » est fort mal considérée dans les démocraties libérales. Le fait est que le Droit français, comme d'ailleurs les Droits étrangers et international, acceptent cette idée que l'expression d'une opinion puisse être réprimée, du moins combattue, au nom des libertés et des droits fondamentaux.

Les nombreux reproches adressés à l'article 24bis témoignaient d'une inquiétude légitime, pour ne pas dire salutaire, puisqu'il s'est trouvé des individus attachés aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales. Néanmoins, comme on le réalisera ultérieurement, le dossier de l'accusation était exagéré, la jurisprudence ayant dissipé nombre d'inquiétudes (I). La « loi GAYSSOT », outre de s'inscrire dans un contexte législatif français réprimant pénalement l'expression du racisme et responsabilisant les historiens, relève également d'une tendance internationale orientée vers la prohibition du négationnisme (II).  

IV-1 La « loi GAYSSOT », une loi nécessaire

Je sais que je serai pendu. Mais laissez-moi vous dire ceci : dans cinquante ans, l'on érigera des statues en mon honneur dans toute l'Allemagne.
Hermann GÖRING310

De nombreux contempteurs de la « loi GAYSSOT » avancent que le système législatif français pénalisant l'incitation à la haine raciale existant jusque là était suffisant, en quoi leur thèse s'avère pour le moins discutable (1). Autre reproche : l'instauration d'une « vérité d'Etat » par le biais d'une « voie de fait législative » qui romprait le système de séparation des pouvoirs entre branche législative et branche judiciaire. La référence au procès de Nuremberg a en effet constitué une cible privilégiée des critiques, pour des motifs variés. Ce faisant, elle apporte certaine garantie de précision de la loi pénale, conformément aux exigences du Conseil Constitutionnel (2).  

IV-1.1 Une loi renforçant la cohérence de l'appareil de répression antiraciste

L'article 24bis s'insère de manière cohérente dans le droit de la presse français, créant une présomption de dangerosité à l'encontre de l'expression du racisme et du négationnisme. « De même que crier "au feu" dans une salle bondée n'est pas puni comme mensonge, mais comme une action dangereuse, le négationnisme n'est pas incriminé en tant qu'expression d'une opinion mensongère, mais en tant que mensonge qui fait partie d'une campagne de propagande antisémite »311. Rappelons que la « loi GAYSSOT » s'intitule « loi tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe », que l'article 1er de son énoncé spécifie que « toute discrimination fondée sur l'appartenance à une ethnie, une nation, une race ou religion déterminée est interdite. L'Etat assure le respect de ce principe dans le cadre des lois en vigueur ». Les adversaires de l'article 24bis soutiennent alors que la législation antérieure suffisait à punir les publications négationnistes - « dès lors que, pour condamner l'antisémitisme et la xénophobie, nous disposons de la loi de 1972, en matière de recherche, répression égale régression », écrivait Madeleine REBERIOUX312. Même avis chez Pierre VIDAL-NAQUET, opposé à la « loi GAYSSOT » : « La loi de 1972 contre le racisme suffit amplement »313. Il n'est pas inintéressant de se pencher sur cet argument pour évaluer la constitutionnalité de l'article 24bis, puisqu'il n'est jamais exclu que le législateur envisage d'abroger cette incrimination - et que le Conseil Constitutionnel ait à prendre position sur cette loi. Une mesure d'abrogation, si elle était validée par le juge constitutionnel, pourrait signifier que la « loi GAYSSOT » était inconstitutionnelle ou bien que le système répressif antérieur était suffisant pour prohiber l'expression des « thèses négationnistes ». Le Conseil Constitutionnel n'admet guère, effectivement, que l'on porte atteinte aux garanties législatives de principes constitutionnels. L'article 24bis serait-il donc « superflu » ? Inutile ? Y répondre nous paraît nécessaire pour en juger de la constitutionnalité... L'excès de répression n'est pas protégé par la Constitution.

Face au négationnisme, il serait erroné de soutenir que le Droit français était, jusqu'à l'adoption de la « loi GAYSSOT », dépourvu d'instrument de répression. Les négationnistes avaient été condamnés sur divers fondements : responsabilité civile, apologie de crimes, diffamation raciale... Cela étant dit, le dispositif législatif n'était pas sans défaut, tant en matière de définition des infractions que d'efficacité de lutte anti-négationniste, paraissant à cet égard globalement inadapté, ce qui pouvait être constaté dès les premières poursuites. Ainsi Maurice BARDECHE, pour son premier livre négationniste, Nuremberg ou la Terre promise, avait-il été inculpé du délit d'apologie de crime de meurtre (article 24, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881)314 mais relaxé le 6 février 1951, le tribunal ayant estimé que les propos tenus par BARDECHE, bien qu'odieux et « de nature à provoquer l'indignation de la conscience publique », ne pouvaient constituer une apologie de ce crime. La Cour d'Appel de Paris infirma cette décision315, l'arrêt évoquant notamment les passages explicitement diffamatoires à l'encontre des juges de Nuremberg, du Ministère public et des victimes des crimes qui y furent jugés. De même, la Cour reprocha à BARDECHE ses comparaisons entre les dignitaires nazis et les dirigeants alliés qui manifestaient chez leur auteur une nette préférence pour les premiers. L'on sanctionnait les termes directement outrageants, la minimisation, la banalisation mises au service d'un discours non moins explicite par lequel l'écrivain proclamait son attachement, sa sympathie au régime national-socialiste, transformé en victime de guerre et « d'une répression injuste ». Au surplus, la Cour d'Appel avait assimilé, au moyen d'un raisonnement discutable au regard du principe d'interprétation stricte de la loi pénale, les crimes de meurtre aux crimes de guerre pour en sanctionner l'apologie316. La Cour de Cassation ne le remit pas en cause317. En un sens, était davantage condamnée la proclamation de foi nationale-socialiste que la négation des crimes commis au nom de cette idéologie : la Cour de Cassation se référait plutôt au fait que, selon BARDECHE, les crimes nazis n'avaient constitué que de « légitimes moyens de défense », les Juifs étaient les premiers responsables des horreurs de la guerre, les dirigeants nazis valaient mieux que leurs adversaires alliés, que leurs actes, découlant des nécessités du conflit, étaient sans commune mesure avec les atrocités commises par leurs adversaires. La Cour suprême ne faisait aucune mention de la négation des crimes, pourtant visible dans cet ouvrage, mais les éléments considérés en constituaient l'apologie. BARDECHE était condamné pour avoir ouvertement manifesté son antisémitisme et ses opinions pro-nazies. Les négationnistes feraient ultérieurement preuve de davantage de prudence sur ce terrain...

De même Paul RASSINIER avait-il fait l'objet de poursuites pour son livre Le Mensonge d'Ulysse (et avec lui, du fait de sa préface, Albert PARAZ) s'en prenant aux déportés et ce qu'ils avaient raconté de leur expérience concentrationnaire. Le Tribunal correctionnel de Bourg-en-Bresse avait, par jugement du 9 mai 1952, relaxé RASSINIER318, déboutant les parties civiles (en l'occurrence trois associations d'anciens Résistants et déportés) pour irrecevabilité du recours. La Cour d'Appel de Lyon, par arrêt du 2 novembre 1951, avait cependant condamné à diverses peines d'emprisonnement et d'amendes RASSINIER, PARAZ et l'éditeur, René GREUSARD pour délit d'injure et de diffamation à l'encontre de la Fédération Nationale des Déportés et Internés de la Résistance (FNDIRP), même si elle était visée indirectement : elle seule était composée à part entière de déportés et internés de la Résistance ou d'ayant-cause de déportés et internés, précisément visés par PARAZ et RASSINIER dans leur totalité, ce qui permettait à l'association de faire valoir un préjudice collectif319. La Cour de Cassation cassa l'arrêt de la Cour d'Appel, estimant en effet que « des attaques générales, contenues dans un livre à l'adresse des résistants et des déportés considérés dans leur ensemble, quelque injuste, malveillant et grossièrement insultant qu'en soit le caractère, ne constituent pas des injures ou des diffamations au sens des articles 29 et suivants de la loi du 29 juillet 1881, alors qu'elles ne précisent ni les faits, ni leurs auteurs, et n'en reportent le blâme sur aucune personne déterminée ». La FNDIRP, qui n'avait pas été personnellement visée, ne pouvait se constituer partie civile. L'essentiel s'était joué sur une question de procédure320.

Les affaires BARDECHE et RASSINIER avaient mis en lumière les imperfections du Droit français pour réprimer le négationnisme. La loi du 1er juillet 1972 posa de nouveaux fondements aux condamnations pénales, mais ne parvint pas à en éclaircir le régime juridique. Robert FAURISSON fut ainsi condamné par la XVIIe Chambre Correctionnelle du TGI de Paris, estimant que ses écrits étaient constitutifs des délits de provocation à la haine raciale et de diffamation raciale321 pour ses propos tenus le 17 décembre 1980 sur Europe 1 devant Ivan LEVAÏ322. La Cour d'Appel de Paris le sanctionna également, pour ces mêmes propos, au titre du délit de diffamation raciale323, condamnation confirmée par la Cour de Cassation324. Mais en l'espèce, la diffamation était constituée : imputations de fait précis (l'extermination des juifs qualifiée d'« escroquerie politico-financière ») à des auteurs précisément désignés (les juifs, sous couvert de dénonciation du sionisme et d'Israël). Les termes employés laissaient peu de place à controverse : il suffisait cependant aux négationnistes d'user d'un langage davantage prudent pour échapper aux poursuites325. La qualification de provocation à la haine raciale n'avait pas été retenue. De fait, les condamnations pénales sur le fondement de la législation antiraciste allaient être pratiquement inexistantes jusqu'à l'entrée en vigueur de « loi GAYSSOT »326.

Les procès effectués en matière de responsabilité civile ne sont pas sans avoir multiplié les difficultés. Ainsi le jugement du TGI de Paris du 8 juillet 1981 précité avait-il eu à qualifier Robert FAURISSON d'historien afin d'établir sa responsabilité... L'on ne pouvait en effet établir la faute qu'au regard de la méthodologie que tout historien devait adopter : s'il n'était pas historien, Robert FAURISSON n'était pas lié par ces obligations déontologiques327. La Cour d'Appel de Paris, dans son arrêt du 26 avril 1983 précité, avait confirmé cette décision, critiquant la démarche du négationniste et constatant le manque de compétence et de qualification de ce dernier, mais refusant de se prononcer sur ses méthodes, commettant un passage pour le moins douteux qui allait souvent être repris à l'appui de ses « thèses » par Robert FAURISSON :

« Considérant qu'à s'en tenir provisoirement au problème historique que M. Faurisson a voulu soulever sur ce point précis, il convient de constater que les accusations de légèreté formulées contre lui manquent de pertinence et ne sont pas suffisamment établies ; qu'en effet la démarche logique de M. Faurisson consiste à tenter de démontrer, par une argumentation qu'il estime de nature scientifique, que l'existence des chambres à gaz, telles que décrites habituellement depuis 1945, se heurte à une impossibilité absolue, qui suffirait à elle seule à invalider tous les témoignages existants ou à tout le moins à les frapper de suspicion ; que s'il n'appartient pas à la cour de se prononcer sur la légitimité d'une telle méthode ni sur la portée des arguments exposés par M. Faurisson, il n'est pas davantage permis d'affirmer, eu égard à la nature des études auxquelles il s'est livré, qu'il a écarté les témoignages par légèreté ou négligence, ou délibérément choisi de les ignorer ; qu'en outre, personne ne peut en l'état le convaincre de mensonge lorsqu'il énumère les multiples documents qu'il affirme avoir étudiés et les organismes auprès desquels il aurait enquêté pendant plus de quatorze ans ; que la valeur des conclusions défendues par M. Faurisson relève donc de la seule appréciation des experts, des historiens et du public. »

Cet impair sur la méthode de Robert FAURISSON n'était pas le moindre des défauts de la jurisprudence antérieure. Ces procès exigeaient des demandeurs d'établir la réalité de l'extermination des juifs et aux juges d'en tenir compte, comme on a pu le voir - en somme, les Tribunaux « disaient l'Histoire ». Si les excès de « l'affaire ZÜNDEL » ne se sont pas reproduits328, cet inconvénient apparaissait néanmoins comme étant majeur, ainsi que l'a relaté Daniel JACOBY :

« Un juriste a besoin d'outils, d'outils juridiques pour défendre les intérêts qui lui sont confiés. Lorsqu'en en 1990 le problème de la loi Gayssot s'est posé, notamment au comité central de la Ligue des Droits de l'Homme dont je faisais partie, je me suis rallié, sans prendre position personnellement dans le débat, à la position majoritaire qui pensait que cette loi était une mauvaise loi, une loi dangereuse car portant atteinte à la liberté fondamentale de l'historien. J'ai changé d'avis en six ans car en tant que juriste, je me suis rendu compte de l'efficacité de cette loi devant ce qui constitue à proprement parler des actes antisémites que sont les textes de littérature dite révisionniste. D'autre part, je me suis rendu compte, à propos d'autres génocides que le génocide des juifs, notamment le génocide arménien, à quel point quelque chose manquait quand on n'avait pas à sa disposition cette loi. Je veux parler du procès que j'ai été contraint de faire à l'historien Lewis qui niait, et qui nie, le génocide des Arméniens. Ce fut un procès difficile, gagné devant la juridiction civile, mais à quel prix. Si la loi Gayssot avait été étendue à tous les génocides, nous aurions pu bénéficier d'un texte permettant d'obtenir beaucoup plus rapidement satisfaction en ce qui concerne les victimes. L'élément qui a sans doute manqué à la réflexion des membres éminents du comité central en 1990, c'est la perspective des victimes. D'abord pour avoir dans ma famille un certain nombre de déportés, et en second lieu pour avoir discuté avec des fils et des petits-fils des victimes de génocides, je me suis aperçu de l'extrême douleur qu'avaient encore ces victimes ou leurs descendants devant la négation du génocide dont leurs parents, leurs familles ou leurs proches avaient été les objets. Déjà l'évocation de ce génocide est pour eux extrêmement douloureuse. Le fait d'avoir à justifier l'extermination systématique de gens de leur communauté est pour eux totalement insupportable. Et lorsque, devant les juridictions civiles, on doit démontrer une nouvelle fois l'existence d'un véritable plan génocidaire, tout raconter une énième fois avec des témoignages d'historiens, des témoignages de survivants, c'est intolérable. »329

Est-ce à dire que le Droit français a retrouvé sa cohérence ? Certaines juridictions, du moins dans les premières années de l'application de la « loi GAYSSOT » ont à la fois condamné les prévenus pour contestation de crimes contre l'humanité et incitation à la haine raciale. Il semble que ces décisions se soient raréfiées330. L'article 24bis a acquis une portée autonome.  

IV-1.2 Une disposition conforme au principe constitutionnel de clarté et de précision de la loi pénale

Une partie des reproches adressés à l'article 24bis portait sur la référence opérée par ce dernier au procès de Nuremberg. La « loi GAYSSOT » aurait institué une « vérité d'Etat », interdit de contester les verdicts d'un procès imparfait, en somme « figerait l'Histoire ». Une imperfection du texte sera mise en lumière : les décisions des Tribunaux militaires internationaux ayant eu à juger les criminels de guerre nazis n'ont pas été publiées au Journal Officiel, et n'ont pas davantage fait l'objet d'un décret d'application censé informer les citoyens français sur le contenu de ces procès-verbaux, ce qui a pu faire dire aux adversaires de la loi qu'elle ne pouvait recevoir application331. Dans le même ordre d'idées, l'on avait pu contester la pertinence de cette référence à Nuremberg, sur un strict plan historique. Ainsi Robert FAURISSON ferait-il valoir que l'article 24bis interdisait de prétendre que le massacre des officiers polonais à Katyn avait été perpétré par la Sécurité d'Etat soviétique au printemps 1940 puisque le Tribunal de Nuremberg l'aurait attribué aux Allemands332 : l'argument était non seulement erroné sur le fond, puisque les accusés nazis n'avaient jamais été reconnus coupables de cette exécution de masse333, mais s'avérait en outre inopérant, car la « loi GAYSSOT » interdit la contestation des crimes contre l'humanité - or Katyn, massacre de prisonniers, n'était autre qu'un crime de guerre, compte tenu de la définition apportée par les Statuts du Tribunal... Plus sérieux est l'argument selon lequel le Tribunal de Nuremberg, bien qu'ayant consacré la notion de crimes contre l'humanité, ait fini par en minimiser la portée en l'assimilant pratiquement aux crimes de guerre - au point que le juge français Henri DONNEDIEU DE VABRES avait pu dire « qu'entrée par la petite porte », « enfermée dans les plus étroites limites », la qualification de crime contre l'humanité s'était « volatilisée dans le jugement »334 - tout en ne saisissant pas, selon certains historiens et juristes, la spécificité profonde de la « Solution finale »335. Autant d'éléments qui pouvaient renforcer cette idée d'une « loi GAYSSOT » instaurant une « version officielle » de l'Histoire. Ce qui avait poussé Eric DELCROIX à fustiger une « exception de tyrannie », « voie de fait législative » violant le principe constitutionnel de séparation des pouvoirs car portant atteinte à l'indépendance des juges : ces derniers, du fait de l'article 24bis, auraient perdu leur liberté d'appréciation du fait de savoir si l'extermination avait eu lieu. La jurisprudence a rejeté cette argumentation... imaginative (le pouvoir souverain d'appréciation des faits s'exerçant au regard des infractions définies par le législateur) : « En définissant le délit de contestation de crimes contre l'humanité par une technique de référence à l'accord de Londres du 8 août 1945 et aux jugements de condamnation pour crimes contre l'humanité qui lui ont fait suite, le législateur a laissé au juge son pouvoir d'analyser les faits poursuivis et d'apprécier, dans chaque cas d'espèce, si les éléments constitutifs du délit sont réunis »336.

Le moyen soulevé par la défense paraissait d'autant plus curieux qu'il apportait une justification supplémentaire à la « loi GAYSSOT », en ce que celle-ci évite au juge de « dire l'Histoire » puisqu'elle définit une infraction dont le juge se doit d'observer si les éléments constitutifs sont présents. L'on a vu que les tribunaux, antérieurement à l'entrée en vigueur de cette loi, prenaient acte, compte tenu des pièces fournies par les parties au procès, de l'existence de ces crimes contre l'humanité et inséraient cette existence dans leurs motifs en vue de condamner les auteurs négationnistes, notamment pour faute ayant causé dommage. Néanmoins, la nécessité pour les demandeurs d'établir en audience la réalité des atrocités nazies pouvait laisser croire que les juges prenaient position sur une prétendue controverse historique - sans parler des désagréments moraux suscités par ce régime probatoire. Les défenseurs de l'article 24bis font ainsi remarquer qu'il « évite aux juges de jouer un rôle pour lequel ils ne sont pas qualifiés. C'est, au contraire, en l'absence d'une telle loi que les procès faits aux écrivains négationnistes pourraient conduire les juges à examiner si ces thèses sont mensongères »337. L'argument ne manque pas de force mais déplace la question de savoir si le juge peut « dire l'Histoire » sur le terrain de la compétence du législateur : peut-il, lui, « dire l'Histoire » ?

En l'occurrence, l'article 24bis ne proclame ni n'institue de vérité officielle, ne tranche pas une controverse historique : en ce sens, il ne « dit pas l'Histoire ». Le législateur a tenu compte, a pris acte d'une réalité historique qui n'est pas en débat : l'extermination des Juifs par les nazis. Les historiens font de même (il ne s'agit pas là des conclusions de leurs travaux, mais de leur base de départ), tout comme les juges, ainsi qu'on l'a vu. Les rédacteurs de la loi n'avaient guère le choix, car le négationnisme présente cette spécificité de constituer une campagne de propagande antisémite consistant en la négation d'un événement historique : au vu des indéniables insuffisances du système législatif répressif, et du caractère nuisible de ce type de discours pour la société, le législateur ne pouvait agir autrement que reconnaître au préalable la réalité notoire de l'extermination des juifs. En tant qu'auteur de normes de régulation sociale, il doit tenir compte de réalités acquises pour définir ces normes338. La « loi GAYSSOT » ne déroge pas, au contraire, à cette règle de principe. La référence à Nuremberg pouvait certes prêter à confusion, mais l'intention du législateur n'était pas de défendre la vérité judiciaire proclamée par le Tribunal militaire international. Il s'agissait de se conformer au principe constitutionnel de précision et de clarté de la loi pénale339 : une référence précise aux crimes contre l'humanité définis et constatés par le Tribunal de Nuremberg réduit davantage la marge de manoeuvre du juge, notamment si l'on compare l'article 24bis aux autres dispositions étrangères pénalisant l'interdiction de la négation des génocides et crimes contre l'humanité, ce type de disposition obligeant le juge à qualifier lui-même la nature de ces événements historiques, donc à dire l'Histoire340. Dès lors, il faut retenir que le renvoi au procès de Nuremberg n'est autre qu'une « technique de référence », ainsi que l'a compris la jurisprudence, et non une mesure de défense d'un verdict énoncé voici une soixantaine d'années : « cet amendement, devenu l'article 24bis de la loi, introduit la référence au Tribunal international qui ne figurait pas dans la proposition initiale déposée par le groupe communiste. Dans l'esprit du gouvernement d'alors, il s'agissait de donner une référence et de rappeler une définition précise de la notion de « crimes contre l'humanité » en reprenant celle des statuts du Tribunal international de Nuremberg »341. En ce sens, renvoyer à Nuremberg n'est pas apporter certaine consécration (tardive) à ce que d'aucuns ont pu qualifier de « Justice des Vainqueurs »342, mais fonder une loi antiraciste sur un jugement dont la puissance symbolique n'est pas des moindres, le « procès du national-socialisme » effectué dans la ville même où se tenait le congrès du Parti nazi et où avaient été édictées les premières lois antisémites343, le premier jalon vers une Justice pénale internationale. Le procès de Nuremberg a surtout, d'un point de vue historique, constitué un massif apport documentaire, mettant à la disposition du public les archives du IIIe Reich, « événement unique dans l'Histoire » selon William SHIRER344, archives qui, combinées aux nombreux témoignages produits, ont permis d'établir la réalité des crimes nazis contre l'humanité. L'exposé précis et documenté de ces crimes s'est d'abord produit à Nuremberg.

Dès lors, ce procès ne constitue nullement la finalité de la « loi GAYSSOT », mais un outil destiné, d'une part à définir l'infraction sanctionnée par l'article 24bis, d'autre part à présenter une base de référence documentaire, sans doute imparfaite, pour le juge - dont la marge de manoeuvre sur l'appréciation des événements historiques sera des plus réduites, ce qui tend à indiquer que, comme le soutient Michel TROPER, la « loi GAYSSOT » permet aux juges de ne pas « dire l'Histoire ». La liberté de recherche historique est respectée, car n'est punie qu'une falsification antisémite de l'Histoire. La jurisprudence l'a entendu ainsi : un jugement rendu le 22 octobre 1996 par le TGI de Paris a reconnu que « critiquer la procédure et la manière dont se sont déroulés les débats devant le Tribunal de Nuremberg [...] relève d'une critique parfaitement autorisée »345. De même, la Cour de Cassation a-t-elle introduit la notion de « mauvaise foi » dans la définition d'une révision proprement « négationniste » de l'Histoire, précisant l'élément intentionnel du délit, négligé par les rédacteurs de la loi346. C'est peut être renouer, au moins dans certains cas, avec cette jurisprudence qui posait les critères de la responsabilité de l'historien, soumis au nécessaire respect des principes d'objectivité et de prudence. C'est au moins tenir compte de l'intention du législateur347. La « loi GAYSSOT » correspond ainsi à un « sursaut » législatif simplifiant le dispositif antiraciste existant. Parce que condamnant une campagne de propagande antisémite fondée sur une falsification de l'Histoire, elle renvoie nécessairement à l'événement nié, de par une référence à un jugement international ayant, le premier, constaté l'existence de ces crimes contre l'humanité. De ce fait, l'article 24bis s'intègre, d'une certaine manière, dans une tendance à la condamnation des falsifications négationnistes à l'échelle européenne et internationale.

       


Notes.

307. Réquisitions du Procureur JACKSON présentées devant le Tribunal Militaire International de Nuremberg le 26 juillet 1946, extrait cité in Telford TAYLOR, Procureur à Nuremberg, Seuil, 1995, p. 510.

308. Dominique SORDET, Les derniers jours de la démocratie, Agence Inter France, 1944, p. 86, cité in Pascal ORY, La France allemande (1933-1945), Gallimard, coll. « Folio-Histoire », 1995, p. 317-318.

309. Olivier ROUMELIAN, « Un délit d'opinion au service des droits de l'homme ? », LPA, 16 février 1996, p. 10 et s..

310. Propos tenus par GÖRING à Nuremberg devant le psychologue américain Gustav M. GILBERT, reproduits in Joseph PERSICO, Nuremberg. Infamy on trial, Penguin Books, 2000 (2e édition), p. 91.

311. Michel TROPER, « La loi Gayssot et la Constitution », op. cit., p. 1253.

312. Le Monde, 21 mai 1996.

313. Le Monde, 4 mai 1996. « Notre code pénal est suffisant : la loi sur la liberté de la presse est satisfaisante », déclarait Bernard SEILLIER lors des débats parlementaires : J.O., Sénat, débats, 11 juin 1990, p. 1452. Voir également : J.O., A.N., débats, 2 mai 1990, p. 921, intervention de M. HYEST. Cette opinion n'est pas sans renfermer une contradiction majeure, l'acception du principe de la sanction du négationnisme cohabitant avec le refus - au nom de la liberté d'expression - d'une loi devant atteindre cet objectif... Apparemment, aucun de ces beaux esprits n'a pris garde à la commission de cette aporie.

314. Est considérée comme une apologie la publication d'un texte ou la tenue de propos de nature à inciter à porter un jugement favorable à la réalisation d'un crime. La jurisprudence de la Cour de Cassation a inclus l'apologie du délinquant ou du criminel (voir notamment pour une réaffirmation d'un principe proclamé en 1912, Cass. Crim. 8 novembre 1988, Gaz. Pal., 1989.I.83, note Jean-Paul DOUCET).

315. CA Paris, XIe Ch., 19 mars 1952, D. 1952, jurisprudence, p. 694-696.

316. La loi n° 51-18 du 5 janvier 1951 avait complété l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 en ajoutant aux crimes dont il était défendu de faire l'apologie les crimes de guerre et les crimes ou délits de collaboration avec l'ennemi. Il s'agissait d'accorder une concession aux anciens Résistants pour obtenir leur appui dans le vote de cette loi qui prévoyait l'amnistie de certains crimes et délits de collaboration (Herbert LOTTMAN, L'épuration, Livre de Poche, 1994, p. 530-531). Autre contexte historique, celui du procès BARBIE et des inculpations de Maurice PAPON et Paul TOUVIER : la loi n° 87-1157 du 31 décembre 1987 (dont l'objet principal était la lutte contre le trafic de stupéfiants) modifiait par une disposition annexe ce même article 24 en sanctionnant l'apologie des crimes contre l'humanité.

317. Cass. Civ., 15 octobre 1953, Gaz. Pal. 1954, p. 131-133.

318. Florent BRAYARD, Comment l'idée vint à M. Rassinier, op. cit., p. 176-182.

319. CA Lyon, XIe Ch., 2 novembre 1951, D. 1952, jurisprudence, p. 696-699. La Cour d'Appel s'était inspirée d'une théorie défendue en doctrine et par certains arrêts de jurisprudence selon laquelle une association pouvait revendiquer un préjudice personnel lorsque tous ses membres avaient été attaqués dans les intérêts moraux et matériels défendus par cette association. La Cour ne pouvait statuer sur le fondement de la sanction de la diffamation raciale visant un groupe de personnes appartenant par leur origine à une race ou une religion déterminée : RASSINIER et PARAZ visaient les déportés, non les juifs (voir France JEANNIN, Le Révisionnisme. Contribution à l'étude du régime juridique de la liberté d'expression en France, op. cit., p. 67-68).

320. Cass. Crim., 16 décembre 1954, D. 1955, jurisprudence, p. 287-291, rapport de M. le conseiller Maurice PATIN. Paul RASSINIER fut cependant condamné par la XVIIe Chambre du TGI de la Seine le 10 novembre 1965 pour diffamation à l'encontre de deux anciennes Résistantes déportées, Macha SPETER-RAVINE et Marie-Claude VAILLANT-COUTURIER, du fait de la publication le 26 mars 1964 d'un article dans Rivarol sous le pseudonyme de Jean-Pierre BERMONT (du nom de son village natal) à l'occasion du procès d'Auschwitz se déroulant à Francfort (voir à ce sujet Devin O. PENDAS, « Auschwitz, je ne savais pas ce que c'était. Le procès d'Auschwitz à Francfort et l'opinion publique allemande », Le Génocide des Juifs entre procès et histoire, op. cit., p. 79-111) : « Ma conviction est que le tribunal de Francfort devrait commencer à dresser le compte exact de tous les Langbein, Lindgens, Speter-Ravine, Vaillant-Couturier, etc., qui, de leur propre aveu, ont eu la main très lourde en matière de vols de nourriture au détriment de la masse des détenus ». A la différence de la précédente espèce, la diffamation était personnelle - voir Florent BRAYARD, Comment l'idée vint à M. Rassinier, op. cit., p. 385-393.

321. TGI Paris, XVIIe Ch. Corr., 3 juillet 1981, inédit.

322. Reproduits supra, p. 12.

323. CA Paris, XIe Ch., 23 juin 1982, inédit.

324.Cass. Crim., 28 juin 1983, Bull. Crim. 1983, n° 202.

325. Entretien avec Marc LEVY.

326. Une seule décision de la Cour de Cassation (Cass. Crim. 2 juin 1980, inédit) valida la condamnation d'un individu, Marcel IFRIG, ayant contesté la réalité de l'extermination des juifs par les termes suivants : « les juifs affirment que sous le troisième Reich, sous Hitler, six millions de juifs auraient été gazés. Je ne conteste pas cela, et ne le contredirais pas, même si les juifs affirmaient avoir eu 60 millions de victimes, je ne mettrais même pas en doute le nombre de 600 millions. Je ne suis pas du tout en mesure d'apporter une preuve pour ou contre ». L'article en question prétendait que l'immigration en Alsace-Lorraine de médecins d'origine étrangère n'améliorait pas la sécurité des malades. La Cour de Cassation estima que « le passage concernant l'extermination des juifs [...] pris dans son contexte tente de mettre en doute, sinon la réalité, du moins l'importance de l'holocauste, et de suggérer au lecteur qu'il a été mystifié », ce qui était constitutif des délits de diffamation raciale et de provocation à la haine raciale (voir France JEANNIN, Le Révisionnisme. Contribution à l'étude du régime juridique de la liberté d'expression en France, op. cit., p. 78-80). Cet arrêt peut être cependant considéré comme sans portée aucune : il n'a pas été publié et ses motifs n'ont jamais été reproduits dans des décisions ultérieures, au contraire.

327. Ce que d'ailleurs tenta paradoxalement d'établir l'universitaire de Lyon, qui se déclarait en l'espèce « spécialiste de critique de textes et de documents ». Autre écueil de cette décision de justice : la reconnaissance d'une immunité pour l'historien étudiant une période ancienne et révolue, ce qui fut infirmé en appel.

328. Le néo-nazi germano-canadien Ernst ZÜNDEL avait été accusé par le Ministère public canadien d'avoir sciemment publié des déclarations mensongères, à savoir la négation de l'extermination des juifs. Lors du procès en première instance, en 1985, le tribunal exigea du Ministère public de prouver la fausseté des publications négationnistes d'Ernst ZÜNDEL, en bref d'établir la réalité de l'extermination, ce dans le respect des règles anglo-saxonnes de recevabilité de preuve, ce qui excluait notamment tout témoignage « par ouï-dire », c'est à dire décrivant des événements auxquels ils n'avaient pas personnellement assisté mais qui leur avaient été rapportés par des tiers. Etaient a priori exclus les historiens, qui furent néanmoins admis à témoigner (par nécessité résultant de l'impossibilité à obtenir des témoignages vivants sur de nombreux points), en la personne de Raul HILBERG, qui fut par ailleurs quelque peu malmené par l'avocat de la défense, Douglas CHRISTIE - de même Christopher BROWNING au cours du procès en appel. De même, pour ces mêmes motifs, Robert FAURISSON fut-il appelé à témoigner en tant qu'expert reconnu par la Cour pour la défense, ainsi que d'autres négationnistes comme le pornographe antisémite Dietlieb FELDERER et Thies CHRISTOPHERSEN. Certaines autres preuves furent rejetées car irrecevables (ainsi le film réalisé par l'armée américaine sur les camps nazis et projeté à Nuremberg, ses auteurs étant décédés et ne pouvant faire l'objet d'un contre-interrogatoire). Ernst ZÜNDEL fut condamné en première instance et en appel, mais les exigences procédurales n'avaient pas été sans alourdir considérablement la tâche du Ministère public. La Cour suprême du Canada déclara finalement que la disposition ayant servi de fondement à la condamnation d'Ernst ZÜNDEL n'était pas conforme à la Constitution (décision du 27 août 1992, Rc Zundel 2 RCS 731) : cette limitation de la liberté d'expression ne pouvait être justifiée, le but initial de l'infraction (préserver l'harmonie politique en prévenant toute calomnie contre la monarque et la noblesse) n'étant pas urgent et important dans la société actuelle et ne pouvant se transformer en un objectif de préservation de l'harmonie raciale, religieuse ou ethnique comme l'avait envisagé le Ministère public. La Cour considéra cependant que le paragraphe 319(2) du Code criminel, qui criminalise la diffusion volontaire de la haine, était d'une portée suffisamment limitée pour ne pas indûment porter atteinte à la liberté d'expression, car il était axé sur les déclarations visant à fomenter la haine contre un groupe identifiable - voir décision Rc Keegstra [1990] 3 R.C.S. 697 du 13 décembre 1990. Sur l'ensemble de l'affaire ZÜNDEL, voir Leonidas E. HILL, « The Trial of Ernst Zundel: Revisionism and the law in Canada », Simon Wiesenthal Center Annual, vol. 6 (1989), p. 165-219.

329. Daniel JACOBY, entretien retransmis par France-Culture dans le cadre de l'émission intitulée Le négationnisme ou l'abus d'oubli, par Jean-Marc TURINE (réalisation : Bruno SOURCIS), 5e partie diffusée le 10 novembre 2000.

330. Bernard BEIGNIER, « De la langue perfide délivre-nous... », op. cit., p. 521-522.

331. Ce moyen a été soulevé une première fois par l'avocat négationniste Eric DELCROIX (voir notamment La Police de la Pensée contre le révisionnisme, op. cit.). L'argument, pour séduisant qu'il soit, n'en est pas moins spécieux : il ne remet pas en cause le principe même d'une sanction pénale du discours négationniste, se contentant de mettre en lumière les imperfections du texte juridique tel qu'il a été introduit en Droit français. Les juges ne s'y sont d'ailleurs pas trompés et ont rejeté ce raisonnement. La Cour d'Appel de Paris (CA Paris, 27 mai 1992, Gaz. Pal., 1992, 2, Somm., p. 321) a en effet rappelé que l'accord de Londres du 8 août 1945 instituant le Tribunal militaire international et le statut de ce dernier avaient été publiés au Journal Officiel du 7 octobre 1945, que l'autorité de chose jugée d'une décision judiciaire procède de son caractère définitif indépendamment de toute publication, et que le procès-verbal des audiences du procès de Nuremberg avaient non seulement fait l'objet d'une traduction en français, mais étaient encore disponibles à la Cour internationale de Justice de La Haye. La Cour de Cassation répondra également que l'autorité de chose jugée d'une décision de justice procède de son caractère définitif, indépendamment de toute publication (Cass. Crim., 23 février 1993, Bull. Crim. 1993, n° 86). La thèse défendue par les tribunaux ne saurait totalement convaincre. Certes, elle confirme l'applicabilité du jugement de Nuremberg, mais comme l'a fait remarquer Jean-Paul DOUCET, « l'autorité entre les parties de la chose jugée par le jugement qui leur a été lu ou modifié ne saurait à l'évidence jamais équivaloir à une publication tournée vers l'ensemble des justiciables » (Gaz. Pal., 1993, 2, Chron. Dr. Crim., p. 292). A quoi l'on peut certes répondre par cette phrase extraite de la déclaration d'ouverture du procureur Robert JACKSON, qui dirigeait le Ministère public américain à Nuremberg : « La véritable partie plaignante à votre barre est la Civilisation » (citée in Telford TAYLOR, Procureur à Nuremberg, op. cit., p. 189). Faut-il en conclure que l'autorité de chose jugée des verdicts de Nuremberg était universelle ? L'argumentaire juridictionnel présente surtout l'inconvénient de répondre à une critique purement formelle de la « loi GAYSSOT » par une objection tout aussi formelle : il eût été préférable de se reporter aux finalités du texte de loi, à savoir la prohibition d'un discours antisémite niant la réalité des crimes de masse commis par les nazis, crimes dont on est en droit de supposer que l'essentiel est connu de l'opinion publique, pour avoir, entre autres, été juridiquement constaté à Nuremberg. La question centrale, en l'occurrence, porte sur la connaissance de ces crimes. Les critères de publication des normes juridiques ont pour but d'assurer leur connaissance par les citoyens (« nul n'est censé ignorer la loi ») pour qu'elles leur soient applicables. La référence à Nuremberg opérée par le législateur avait pour fonction d'identifier les crimes dont la contestation était interdite, les crimes contre l'humanité accomplis par l'Allemagne nationale-socialiste. Or l'on ne pourra nier que ces crimes sont au moins connus pour l'essentiel : « le jugement rendu par le Tribunal de Nuremberg est si notoire que le directeur de la publication d'une revue politique ne peut sérieusement prétendre en ignorer les dispositions principales » (Jean-Paul DOUCET, ibid.). C'est, par ailleurs, parce que les crimes nazis sont particulièrement notoires que leur négation est menée avec tant de détermination et ce caractère presque industriel qu'on lui connaît...

332. Robert FAURISSON, « Katyn à Nuremberg », Revue d'Histoire Révisionniste, n° 2 (août-sept.-oct. 1990), p. 138-144.

333. L'URSS parvint certes à inclure ce crime dans l'acte d'accusation, mais la défense put présenter ses preuves à décharge et réussit à imposer son point de vue. L'affaire tourna à la confusion du Ministère public soviétique, qui décida de retirer ce dossier de l'acte d'accusation, ce qui, à l'époque, passa pour un aveu implicite. Sur le traitement de Katyn à Nuremberg, voir Alexandra VIATTEAU, « Comment a été traitée la question de Katyn à Nuremberg », in Annette WIEVORKA (dir.), Les procès de Nuremberg et de Tokyo, éd. Complexe, 1996, p. 145-155 ; Whitney R. HARRIS, Tyranny on trial. The trial of the major German war criminals at the end of World War II at Nuremberg, Germany, 1945-1946, Southern Methodist University Press, 1999 (4e edition), p. 251-271; François DE FONTENETTE, Le procès de Nuremberg, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1996 p. 69-73. Le processus criminel ayant mené à ce massacre a été exposé par Alexandra VIATTEAU, Staline assassine la Pologne 1939-1947, Seuil, 1999, p. 53-86, qui expose le contexte des persécutions soviétiques (voir également à ce sujet Andrzej PACZKOWSKI, « Pologne, la nation-ennemi », in Le Livre Noir du Communisme, op. cit., p. 397-428). L'on consultera notamment l'étude de Gilles KARMASYN, « Katyn à Nuremberg : la honte et la justice », publiée sur Internet : http://www.phdn.org/histgen/katynnuremberg.html (2000). Cette étude réfute les assertions de Robert FAURISSON (cité en note 332).

334. Cité par Pierre TRUCHE, « Les facteurs d'évolution de la notion de crime contre l'humanité », in Marcel COLIN (dir.), Le crime contre l'humanité, op. cit., p. 32. Seuls deux accusés, Baldur VON SCHIRACH et Julius STREICHER, furent condamnés en vertu de ce chef d'accusation, le Tribunal l'ayant dans les autres cas manifestement assimilé aux crimes de guerre, tout en obscurcissant davantage son raisonnement. L'article 6 du Statut n'incriminait en effet les crimes contre l'humanité que dans la mesure où ils avaient été « commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du Tribunal ou en liaison avec ce crime », c'est à dire les crimes contre la paix et les crimes de guerre : si le lien de connexité avait été généralement exigé, il ne l'avait pas été en ce qui concerne STREICHER. Voir Eric DAVID, « L'actualité juridique de Nuremberg », in Le Procès de Nuremberg. Conséquences et actualisation, Bruylant/Editions de l'Université de Bruxelles, 1987, p. 98-104, ainsi que de manière plus générale, Michel MASSE, « Crimes contre l'humanité et droit international », in Marcel COLIN (dir.), Le crime contre l'humanité, op. cit., p. 39-53 et Whitney R. HARRIS, Tyranny on trial, op. cit., p. 509-513.

335. Le Ministère public français, à qui il revenait de poursuivre les accusés nazis pour les crimes contre l'humanité commis en Europe occidentale (les Soviétiques ayant compétence pour l'Europe orientale), n'établit guère de distinction entre cette nouvelle infraction internationale et le crime de guerre. Le Ministère public américain avait englobé la persécution, la déportation et l'extermination des juifs dans le cadre de la politique nationale-socialiste à l'égard des opposants au régime. Présentant le dossier de « la persécution des juifs », le commandant William WALSH devait reconnaître que « le terme [de persécution] ne convient pas et je ne puis en trouver un qui stigmatise l'intention fondamentale, le but avoué de rayer du monde la race juive », mais qualifiait ce projet de crime de guerre faisant partie « du plan de guerre d'agression au même titre que la fabrication d'armes et la mobilisation de main d'oeuvre ». Seul un jeune juriste, Edgar FAURE, chargé du dossier français en matière de crimes contre l'humanité, parvint visiblement à établir la place centrale de l'antisémitisme racial au sein de l'idéologie nazie, la singularité de cette « criminalité d'Etat » fondée sur une doctrine raciste - voir Henri DE MONNERAY (dir.), La Persécution des Juifs en France et dans les autres pays de l'Ouest présentée par la France à Nuremberg, Editions du Centre, 1947, notamment p. 21-22.

336. TGI Paris, XVIIe Ch., 23 octobre 1997, inédit. La jurisprudence a pareillement rejeté l'invocation des articles 6 et 10 de la Convention européenne des Droits de l'Homme : « La défense soutient que l'article 24bis de la loi sur la presse porte atteinte à la liberté et à l'impartialité du juge, en le spoliant de sa part de souveraineté, laquelle réside toute entière dans sa liberté d'apprécier les faits propres à chaque espèce, par opposition au droit que maîtrise, par définition, le législateur, et en décidant que le juge ne saurait remettre en cause ce qui a été préjugé par ailleurs, que le jugement de Nuremberg (à savoir l'existence des chambres à gaz nazies), et qui s'impose, à présent, à l'autorité judiciaire. [...] Il est exact que le principe de séparation des pouvoirs réserve au législateur la prérogative d'édicter des normes à caractère général et impersonnel, pour conférer au juge le pouvoir de les appliquer souverainement aux faits qui lui sont soumis. Cependant, si la définition légale des infractions s'impose aux juges, cette situation inhérente au principe ci-dessus rappelé ne saurait être regardée comme une atteinte à leur indépendance et à leur impartialité. Dès lors qu'en l'espèce, il est seulement demandé au Tribunal, régulièrement composé, et devant lequel les prévenus ont pu présenter publiquement leurs moyens de défense, de procéder à l'examen d'un écrit, et de rechercher si les éléments constitutifs du délit de contestation de crimes contre l'humanité, tel que défini par le législateur, sont réunis, la juridiction qui doit décider du bien-fondé d'une accusation en matière pénale, au sens de la Convention, garde son pouvoir souverain d'appréciation des faits, sans qu'il y ait un quelconque empiètement du législateur sur sa liberté ou son impartialité, ni une quelconque atteinte au principe de la présomption d'innocence. » (TGI Paris, XVIIe Ch., 13 juin 1995, inédit).

337. Michel TROPER, « La loi Gayssot et la Constitution », op. cit., p. 1251.

338. Ainsi l'ensemble des lois prévoyant indemnités et pensions pour les diverses victimes de guerre admettent-elles au préalable la réalité de ces guerres. La loi n° 46-1117 du 20 mai 1946 reconnaît par exemple un droit à pension pour les victimes civiles de la Deuxième Guerre Mondiale, ce qui implique d'une part que le législateur reconnaît l'existence de cette dernière, d'autre part qu'elle a causé des dommages en France. Le pouvoir réglementaire n'agit pas autrement : le décret n° 2000-657 du 13 juillet 2000 instituant une mesure de réparation pour les orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites part nécessairement du principe que la « Solution finale » a été appliquée en France.

339. Voir décision n° 84-183 DC du 18 janvier 1985 (Rec., p. 32). A propos de l'article 24bis, l'on a pu cependant voir que le terme de « contestation » pouvait paraître équivoque, au regard notamment de dispositions pénales étrangères plus précises, visant la négation ou la minimisation, voire la « forte banalisation » selon l'ordonnance autrichienne du 26 février 1992.

340. L'article 261bis du Code pénal suisse interdit la négation, la minimisation grossière et la justification d'un génocide ou d'autres crimes contre l'humanité : mais il revient au juge de qualifier les événements considérés de « crimes contre l'humanité » ou de « génocide ». Le tribunal de district de Berne a ainsi refusé de considérer par jugement du 14 septembre 2001 que le génocide arménien était un génocide, car il ne lui appartenait pas de dire l'Histoire. L'argumentation du juge reposait également sur le fait que la démarche des prévenus turcs accusés de négationnisme ne visait pas à rabaisser une race ou une ethnie. Cette décision n'est pas sans vider de sa substance cette disposition pénale suisse - le juge ayant statué en l'espèce a lui-même demandé une révision de l'article 261bis. Voir à ce sujet Hanspeter MOCK, « Le discours raciste et la liberté d'expression en Suisse », RTDH spécial 2001, p. 469-486 et Charles PONCET, « La répression du négationnisme sous l'angle de l'article 6 CEDH » :
http://www.praetor.ch/fr/cv/poncet/public/negation-fr.htm.

341. Jean-Claude GAYSSOT & Charles LEDERMAN, « Une loi contre l'antisémitisme militant », Le Monde, 26 juin 1996.

342. A ce sujet, François DE FONTENETTE a pu écrire : « La justice ne cesse pas d'exister parce qu'elle se trouve à la fin du drame du côté de la force victorieuse. Voici longtemps que Blaise Pascal le signifiait en un propos définitif : "La justice sans la force est impuissante... la force sans la justice est tyrannique. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force et pour cela faire que ce qui est juste soit fort ou que ce qui est fort soit juste". C'est à cela qu'à Nuremberg on est tant bien que mal parvenu ; lorsque la lance d'Athéna rencontre le glaive de Thémis, alors la mesure est bonne » (Le procès de Nuremberg, op. cit., p. 5-6). Voir dans le même sens Jean-Marc VARAULT, Le procès de Nuremberg. Le Glaive dans la Balance, Perrin, 1992 et Whitney R. HARRIS, Tyranny on trial, op. cit..

343. Notons que la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation avait, à usé de cette même référence au procès de Nuremberg pour constater le délit d'apologie de crimes de guerre en matière de publication de textes et disques phonographiques de nature à inciter tout destinataire à porter un jugement de valeur morale favorable aux dirigeants du parti national-socialiste allemand (Cass. Crim. 14 janvier 1971 « Le Pen », D. 1971, jurisprudence, p. 102, rapport de M. le conseiller CHAPAR).

344. William L. SHIRER, Le 3e Reich, des origines à la chute, Livre de Poche, 1983, vol. I, p. 5. Georges WELLERS ajoute que « grâce à ces procès, les historiens se trouvent en possession d'une documentation d'une richesse sans précédent » (« A propos du "rapport Leuchter" et les chambres à gaz d'Auschwitz », Le Monde juif, n° 130, avril-juin 1988, p. 52).

345. TGI Paris, XVIIe Ch., 22 octobre 1996, Légipresse n° 139, 1997, III, p. 26.

346. Cass. Crim., 17 juin 1997, D. 1998, jurisprudence, p. 51, note Jean-Philippe FELDMAN : « si la contestation du nombre des victimes de la politique d'extermination dans un camp de concentration déterminé n'entre pas dans les prévisions de l'article 24bis de la loi du 29 juillet 1881, la minoration outrancière de ce nombre caractérise le délit de contestation de crimes contre l'humanité prévu et puni par cet article, lorsqu'elle est faite de mauvaise foi ». La Cour cassait l'arrêt de la Cour d'Appel de Paris rendu le 13 octobre 1994 ayant confirmé le jugement de la XVIIe Chambre du TGI de Paris du 24 mars 1994 : ces deux précédentes décisions de justice avaient relaxé un écrivain négationniste affirmant que le nombre de morts à Auschwitz ne dépassait pas 125.000. Ayant constaté que le jugement du Tribunal de Nuremberg ne comportait aucune mention du nombre de déportés assassinés à Auschwitz-Birkenau, le TGI et la Cour d'Appel de Paris avaient estimé que la minimisation excessive du nombre de morts d'Auschwitz ne faisait pas partie de la contestation de crimes contre l'humanité telle que condamnée par l'article 24bis. Cette interprétation stricte de la loi pénale revenait à vider la « loi GAYSSOT » de son contenu tout en la dénaturant : le législateur n'a pas entendu protéger chaque mention du jugement de Nuremberg, mais effectuer une référence censée définir les crimes contre l'humanité dont il est interdit de nier l'existence ou l'ampleur.

347. Néanmoins, il faut convenir que les imperfections rédactionnelles du texte de l'article 24bis peuvent poser divers obstacles à son application (ce qu'a d'ailleurs reconnu incidemment le Conseil d'Etat du Luxembourg dans son avis n° 42.130 du 23 avril 1996 relatif au projet de loi complétant le code pénal en portant incrimination du racisme, du révisionnisme et d'autres agissements fondés sur des discriminations illégales - document reproduit en annexes). L'article 24bis renvoie par exemple aux crimes contre l'humanité constatés par des juridictions françaises ou internationales - faut-il exclure les juridictions étrangères (notamment allemandes) de cette base de référence ? De plus, certains auteurs ont pu prétendre que la « loi GAYSSOT » ne pouvait être appliquée à la négation d'autres crimes hitlériens, tel le massacre d'Oradour su Glane perpétré par la 2e SS Panzerdivision Das Reich le 10 juin 1944, autre symbole de la barbarie nazie. Un militant néo-nazi et disciple de Robert FAURISSON, Vincent REYNOUARD, dans son ouvrage intitulé Le massacre d'Oradour : un demi-siècle de mise en scène (édité en Belgique par une association négationniste), explique que la Résistance serait responsable d'une atrocité qui, en définitive, n'en était pas vraiment une, puisque les Allemands n'auraient fait que se défendre contre une agression qui violait les lois de la guerre. Par malchance (sic), de nombreux civils (mais pas tant que la « version officielle » ne l'a prétendu) auraient été victimes de ce qui, sous la plume de cet auteur, ressemble davantage à une bataille qu'à une extermination planifiée dans un but terroriste... Le Ministre de l'Intérieur a interdit, par arrêté du 2 septembre 1997 (J.O., 7 septembre 1997, p. 13 095), la diffusion cet ouvrage en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés en matière de publications étrangères, sur le fondement de l'article 14 de la loi du 29 juillet 1881. Cette décision a été cependant annulée par les juridictions administratives (CAA Paris, 22 janvier 2002, M. Reynouard et Fondation européenne pour le libre examen historique, n° 98PA04225, La lettre de la Cour administrative d'Appel de Paris, n° 39, février 2002, p. 3-4), conformément aux voeux de la Cour européenne des Droits de l'Homme (CEDH, 17 juillet 2001, Société Ekin c. France, req. n° 39288/98), mettant fin à la jurisprudence dégagée par le Conseil d'Etat autorisant l'usage de ces dispositions pour des motifs tenant à la lutte contre les idéologies racistes et, notamment, contre la renaissance de l'idéologie nationale socialiste (CE, 17 avril 1985, Société Editions Les Archers, Leb., p. 100). Est-ce à dire que l'ouvrage de Vincent REYNOUARD pourra être diffusé en France ? Bernard BEIGNIER (« De la langue perfide délivre-nous »..., op. cit., p. 517) estime l'article 24bis inapplicable, car ne se référant qu'aux crimes contre l'humanité, notamment commis par des individus reconnus coupables par une « juridiction française ou internationale » : or, le massacre d'Oradour a été jugé en 1953 par une juridiction française, le tribunal militaire de Bordeaux, qui l'a qualifié de « crime de guerre »... Il nous semble pourtant que la « loi GAYSSOT » pourrait être utilisé avec succès dans ce cas d'espèce, en cas de publication sur le territoire français, car le texte de loi se réfère également aux crimes contre l'humanité commis par les membres d'une organisation reconnue criminelle par le Tribunal de Nuremberg. Or, les Waffen SS faisaient partie d'une telle organisation, en l'occurrence la SS, de même que le Parti nazi, la Gestapo et le Sicherheitsdienst. Ajoutons à cela que la notion de crime contre l'humanité n'était guère consacrée, à l'époque, en Droit français, et que les auteurs de la loi ont fait savoir qu'ils incluaient la destruction d'Oradour dans le champ de l'article 24bis (Jean-Claude GAYSSOT & Charles LEDERMAN, « Une loi contre l'antisémitisme militant », op. cit.).

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16/02/2003