1. Sur ce point, nous nous séparons des analyses de Jacques Nantet, qui soutenait au milieu des années cinquante: «Somme toute, contrairement à l’opinion généralement répandue, l’antisémitisme moderne serait plus un réflexe nationaliste et conservateur qu’un racisme. […] Ce soi-disant antisémitisme racial a mauvaise conscience. Alors qu’au contraire celui qui découle des glorieux impératifs nationaux et du respectable passéisme a cette perpétuelle bonne conscience qui justifie toutes les intransigeances et c’est de lui qu’on retrouve le principe partout» (Les Juifs et les nations, Paris, Editions de Minuit, 1956, p. 55). Il est vrai qu’en 1956, la mutation de la judéophobie nationaliste et conservatrice en judéophobie révolutionnaire, pseudo-antiraciste et internationaliste n’en était qu’à ses débuts, et partant n’avait guère de visibilité sociale. Par ailleurs, il faut bien sûr nuancer notre diagnostic donnant la judéophobie de tradition catholique comme une survivance: d’abord, en distinguant l’évolution des positions officielles de la hiérarchie catholique, qui ont rendu possible, depuis les années soixante, un dialogue judéo-chrétien, et l’évolution des mentalités et des attitudes des populations constituant le catholicisme sociologique, où les représentations antijudaïques traditionnelles sont toujours en cours (bien qu’elles soient, en temps de non-crise, soumises à un refoulement qui les rend imperceptibles); ensuite, en tenant compte de la grande diversité des formes nationales du catholicisme: ainsi, par exemple, le décalage entre le «philojudaïsme» du catholicisme légal et l’antijudaïsme du catholicisme réel (ou populaire) s’est révélé en Pologne à l’occasion de l’«affaire» du Carmel d’Auschwitz (été 1989). Mais il faut aussitôt ajouter, afin d’éviter d’ériger un cas particulier en règle générale, que le conflit judéo-chrétien est ici surtout révélateur de l’exceptionalité de la chrétienté polonaise, caractérisée par la confusion entre l’exaltation nationaliste et une foi catholique toujours profondément imprégnée d’antijudaïsme théologique. Il faut donc raison garder et, malgré certains dérapages, ne point conclure avec les intégristes de tous bords à la faillite du dialogue judéo-chrétien. Sur l’importance du «revirement total des Eglises», illustré par leur abandon de «l’enseignement du mépris», cf. Léon Poliakov, «Racisme et antisémitisme», Politica Hermetica, no 2, 1988, p. 41; et sur le néoprosélytisme catholique, consistant à «christianiser» la Shoah, cf. Bernard Suchecky, «La christianisation de la Shoah», Esprit, mai 1989, pp. 98-114. 2. P.-A. Taguieff, La Force du préjugé. Essai sur le racisme et ses doubles, Paris, La Découverte, 1988; id., «Racismes: une interrogation critique», in Commission nationale consultative des droits de l’homme, 1989. Les droits de l’homme en questions, préface de Jean-Pierre Bloch, Paris, La Documentation française, 1989, pp. 253-277. 3. Pascal, Pensées, édition L. Brunschvicg, Paris, Hachette, 1897, rééd. 1968, § 376, pp. 500-501. 4. Cf. Pierre Vidal-Naquet, Les Assassins de la mémoire. «Un Eichmann de papier» et autres essais sur le révisionnisme, Paris, La Découverte, 1987, pp. 105, 155 sq. 5. On reconnaît là une stratégie classique des ennemis de la démocratie pluraliste: invoquer les principes fondateurs de celle-ci en les radicalisant, jusqu’au relativisme intégral (aboutissant lui-même à la conclusion nihiliste: toutes les positions se valent), pour corrompre le fonctionnement social du pluralisme. Il y a corruption idéologique du principe de libre expression des idées, car celui-ci est indissociable de la recherche du vrai, laquelle peut à son tour faire l’objet d’une contrefaçon. Il s’agit de détruire la démocratie au nom même des exigences de celle-ci, de la même manière que l’hypercritique détruit la science historique en excipant du principe de libre examen et de l’esprit critique. 6. Louis Jean-Charles, «Le printemps des marchands de soupe», Notre Europe, no 34, avril 1981, p. 5. 7. «Nouvelles d’Europe», Notre Europe, ibid., p. 12. 8. «Solidarité internationale». Notre Europe, no 35, mai 1981, p. 17. 9. «Nouvel Ordre Européen», Notre Europe, no 35, p. 13. 10. Chaïm Perelman et Lucie Olbrechts-Tyteca, Traité de l’argumentation, Paris, PUF, 1958, t. II, p. 635. C’est le risque pris par ceux qui, réagissant immédiatement aux provocations faurissoniennes, et mus par leur seule bonne foi, laquelle chasse souvent l’intelligence tactico-stratégique, se sont employés à répondre aux révisionnistes par une accumulation des preuves du génocide nazi des Juifs. Ce faisant, ils ont contribué malgré eux à légitimer la représentation révisionniste d’un débat ou d’une controverse scientifique entre «révisionnistes» et «exterminationnistes». Il faut être intransigeant sur cette question, comme l’a parfaitement compris P. Vidal-Naquet, et ne pas céder au chantage à la liberté du débat: les négateurs de la Shoah n’ont que faire des preuves, et ils n’invoquent le principe de la liberté d’expression que pour acquérir le statut d’exclus et de persécutés. Car la stratégie argumentative centrale des révisionnistes radicaux (les «négationnistes») consiste précisément à récuser toutes les preuves, quelles qu’elles soient: en leur répondant, en paraissant engager un débat contradictoire, on leur offre ainsi de nouvelles occasions d’exercer leur machine hypercritique, sans faire disparaître pour autant leur autoreprésentation de victimes d’une censure de type totalitaire (attribuée à la puissance occulte du «sionisme international», ou à celle de «l’internationale juive»). L’erreur de tir théorique dérive du postulat irénique suivant: les révisionnistes sont des esprits en manque de preuves, des chercheurs de bonne foi en quête de documents, de témoignages probants, de traces matérielles indubitables; d’où la conclusion naïve: fournissons-leur ces preuves, et ces esprits passionnés et inquiets cesseront d’eux-mêmes d’être ce qu’ils sont, cesseront d’être révisionnistes, enfin convaincus. Sur le piège du dialogue, tendu par les faurissoniens à tous ceux qui ne font pas partie de la secte, cf. P. Vidal-Naquet, op. cit., 1987, pp. 9-10. 11. Les lacunes de l’historiographie française concernant la période sont certainement l’un des facteurs qui ont favorisé l’émergence et la diffusion des thèses révisionnistes en France à la fin des années 70. Mais celles-ci ont à leur tour engendré des effets que leurs propagateurs n’avaient ni voulus ni prévus: l’accélération de la publication de grandes études savantes et une impulsion donnée à la recherche historique. Cf. Annexe, pp. 114-116 (éléments bibliographiques, 1979-1989; textes en langue française). 12. P. Vidal-Naquet, op. cit., 1987, p. 112. 13. Cet appel à la «troisième voie» (ni libéralisme ni communisme), de style «révolutionnaire-conservateur» ou de style «nationaliste-révolutionnaire», se rencontre aujourd’hui aussi bien dans les textes de la «Nouvelle Droite» (GRECE) que dans ceux des organisations néonazies. Cf. par exemple: Guillaume Faye, Nouveau discours à la nation européenne, préface de Michel Jobert, Paris, Albatros, 1985, chap. 2 («Le condominium américano-soviétique»), p. 29 sq.; Gaston-Armand Amaudruz, Les peuples blancs survivront-ils? Les travaux du Nouvel Ordre Européen de 1967 à 1985 présentés par G.-A Amaudruz, Montréal et Lausanne, Editions Celtiques et Institut supérieur des Sciences psychosomatiques, biologiques et raciales, 1987, p. 23 («les “vérités” utiles au condominium américano-soviétique noyauté par les diasporas juives»). G. Faye a rompu avec le GRECE en 1987, après en avoir été le secrétaire général; il est le co-auteur, avec François-Bernard Huyghe (ancien collaborateur de Défense de l’Occident), du désormais fameux essai sur La Soft-idéologie (Paris. R. Laffont. 1987; G. Faye signe sous le pseudonyme de Pierre Barbés). Quant à G.-A. Amaudruz, il est depuis 1951 le secrétaire général du Nouvel Ordre Européen: cf., malgré certaines approximations, l’ouvrage de Patrice Chairoff, Dossier néo-nazisme, Paris, Ramsay, 1977, pp. 439-442; et P.-A. Taguieff, «L’héritage nazi. Des Nouvelles Droites européennes à la littérature niant le génocide», Les Nouveaux Cahiers, no 64, printemps 1981, pp. 3-22 (en particulier p. 17 sq.). 14. Pour une variante traditionaliste catholique et néomaurrassienne de l’argument, cf. Jean Madiran (pseudonyme de Jean Ariel), «Le plus grand péché de l’histoire» (février 1964), in J. Madiran, Editoriaux et chroniques. 1956-1966, Dominique Martin Morin, 1983, pp. 234-235; «Le “plus grand péché” de l’histoire contemporaine, il faut à tout prix que ce soit le nazisme tout seul, si l’on veut estomper les crimes du communisme…» (p. 235). J. Madiran, directeur politique du quotidien prolepénien Présent (qui paraît depuis le 5 janvier 1982), ne cesse de recourir à cet argument dans ses critiques du «soi-disant antiracisme». Cf. par exemple: J. Madiran, «Abroger ou compléter», in «Le soi-disant antiracisme. Une technique d’assassinat juridique et moral», Itinéraires, no spécial hors série, décembre 1983, p. 17 («le communisme est bien pire et beaucoup plus dangereux que le racisme. Au vrai, le communisme est le plus grand crime contre l’humanité, le plus infernal esclavagisme que l’on ait vu depuis le début de l’histoire humaine. Si le racisme est réprimé en tant que tel par la loi, il faut à plus forte raison que le communisme en tant que tel soit encore plus réprimé par la même loi»); «Les personnalités représentatives ou dirigeantes de la diaspora comme d’Israël demeurent beaucoup plus violemment hostiles au Front national qu’elles ne le sont au parti communiste qui les combat sans merci» (J. Madiran, «La nouvelle idéologie du social-judaïsme», Présent, no 1895, 2 septembre 1989, p. 2). La suggestion récurrente est claire: si «l’internationale juive» (Le Pen, in Présent, no 1883, 11 août 1989, p. 4) dénonce plus volontiers et plus violemment le racisme que le communisme, c’est en vertu des affinités, voire de la complicité profonde, qu’entretiennent toutes les formes de mondialisme ou de cosmopolitisme, fondamentalement opposées à l’esprit national. Pour resituer dans son histoire et son contexte politico-culturel l’antisémitisme politique de Jean Madiran, héritier à la fois de l’Action française et de l’intégrisme catholique, on se reportera notamment à: Raoul Girardet, «L’héritage de l’“Action française”», Revue française de science politique, vol. VII, octobre-décembre 1957, no 4, pp. 765-792; Jacques Maître, «Catholicisme d’extrême droite et croisade antisubversive», Revue française de sociologie, vol. II, no 2, avril-juin 1961, pp. 106-117; René Chiroux, «Contribution à l’étude de l’extrême-droite française», Annales de la Faculté de droit et de science politique, Université de Clermont, fasc. 10, année 1973, et Paris, LGDJ, 1973, pp. 3-367; Claude Grignon, «Sur les relations entre les transformations du champ religieux et les transformations de l’espace politique», Actes de la recherche en sciences sociales, no 16, septembre 1977, pp. 3-34; Emile foulât, Modernistica. Horizons, physionomies, débats, Paris, NEL, 1982, chap. 2: «Un couple maudit: modernisme et intégrisme», pp. 32-57; Jean-Christian Petitfils, L’extrême droite en France, Paris, PUF, 1983, p. 77 sq.; René Rémond, Les droites en France, Paris, Aubier Montaigne, 1982, chap. XIV: «La descendance de la droite contre-révolutionnaire», pp. 274-283; Serge Dumont, Joseph Lorien, Karl Criton, Le Système Le Pen, Anvers-Bruxelles, éditions Epo, 1985, pp. 152-155, 245 sq.; Jean-Yves Camus, «Intégrisme et néo-paganisme: la coalition révisionniste», Cahiers Bernard Lazare, no 117-118, janvier-juin 1987, pp. 21-28; Pierre Milza, Fascisme français. Passé et présent, Paris, Flammarion, 1987, pp. 348 sq.; J.-Y. Camus, «Intégrisme catholique et extrême droite en France. Le parti de la contre-révolution (1945-1988)», Lignes, no 4, octobre 1988, pp. 76-89; Paul Sérant, Les grands déchirements des catholiques français, 1870-1988, Paris, Perrin, 1988, chap, ix: «La réaction traditionaliste et intégriste», pp. 227-255; P.-A. Taguieff, «Nationalisme et réactions fondamentalistes en France. Mythologies identitaires et ressentiment antimoderne», à paraître dans Vingtième Siècle. Revue d’histoire, janvier 1990. 15. Robert Faurisson, «Interview», Storia illustrata, août 1979, no 261, in Serge Thion, Vérité historique ou vérité politique? Le dossier de l’affaire Faurisson. La question des chambres à gaz, Paris, La Vieille Taupe, 1980, p. 198. 16. R. Faurisson, Mémoire en défense contre ceux qui m’accusent de falsifier l’Histoire. La question des chambres à gaz, Paris, La Vieille Taupe, 1980, p. 3. 17. Marc Fredriksen, «Israël national-socialiste?», L’Europe réelle, juillet 1973, p. 1; texte reproduit in extenso par René Chiroux, Contribution à l’étude de l’extrême-droite française, Paris, LGDJ, 1973, p. 329. 18. Maurice Bardèche, «Progrès et chances du fascisme», Défense de l’Occident, 17e année, no 91-92 (no spécial), octobre-novembre 1970, p. 8. 19. M. Bardèche, art. cit., 1970, pp. 10-11. 20. M. Bardèche, ibid., p. 11. 21. M. Bardèche, «Le mythe du 8 mai et le mythe des 6 millions», Défense de l’Occident, 23e année, no 130, juillet 1975, pp. 4-6. 22. G.-A. Amaudruz, «Ce qu’il faut aux jeunes», Le Combat européen, no 2, janvier-février 1981, p. 11. 23. «Légion 88: “Nous chantons pour un nouvel ordre racial”», propos recueillis par Cédric Martin, in «L’extrême droite en France» (dossier), Le Choc du mois, no 6, mai 1988, p. 17. 24. Ibid. 25. Ibid. 26. Ibid. Dans un «Entretien avec Légion 88», publié par Tribune nationaliste, l’organe du Parti Nationaliste Français et Européen (PNFE), les membres du groupe de rock néonazi donnent les précisions suivantes: «Légion 88 s’est formée en août 1984. […] Nous avons effectué notre premier concert en août 1986 à Brest, à l’occasion d’un festival de rock anticommuniste. […] Fred, Alain et Victor sont membres du PNFE [i.e. 3 sur les 4 membres du groupe]. Pour Victor, c’est son premier engagement politique. Fred et Alain étaient auparavant aux FNE [Faisceaux Nationalistes Européens, organisation qui a succédé à la FANE, après la dissolution de celle-ci, en octobre 1980]. Alain avait été aussi, plus jeune, membre du Front National de la Jeunesse, puis du MNR [Mouvement Nationaliste Révolutionnaire, devenu à l’automne 1985 Troisième Voie, organisation dirigée par Jean-Gilles Malliarakis]. Ce qui nous a attiré dans le PNFE, c’est le refus de toute compromission avec le système démocratique; un discours social et racial qui cadrait parfaitement avec notre conception de la société; une ouverture européenne avouée et voulue (le nom même du Parti). Nous y avons trouvé des militants et des chefs animés par une foi commune en un idéal nationaliste et socialiste. […] Nous avons créé Légion 88 dans le but de politiser le mouvement Skinhead français et nous pensons avoir réussi à éveiller chez beaucoup une conscience nationaliste et raciale qui sommeillait en eux. Nous n’avons, bien sûr, pas été les seuls. C’est tout un courant regroupant des Bulletins à petit tirage tels que Bras tendu ou Le Rebelle blanc, et des groupes comme Totenkopf (aujourd’hui disparu) ou Bunker 84, qui sont eux aussi militants du PNFE, qui a agi et fait se développer le nationalisme parmi les jeunes» (Tribune nationaliste, 4e année, no 32, octobre 1988, p. 5). 27. Art. cit., Le Choc du mois, mai 1988, p. 17. 28. Cf. C. Martin, «Rock against Communism», Le Choc du mois, no 6, mai 1988, p. 16. 29. «Légion 88…», art. cit., mai 1988, p. 17. 30. «Entretien avec Légion 88», art. cit., octobre 1988, pp. 5-7. Ajoutons que, dans le cours de l’enquête sur les attentats commis le 9 mai 1988 à Cannes et le 19 décembre suivant à Cagnes-sur-Mer contre les foyers Sonacotra, le président du PNFE, Claude Cornilleau, a été inculpé le 17 septembre 1989 d’association de malfaiteurs, après l’inculpation de treize personnes (dont huit en détention à Nice et à Grasse), adhérents ou sympathisants du PNFE (Le Monde, 19 septembre 1989, p. 48). 31. R. Faurisson, «Louis des Touches, gentilhomme français», La Revue célinienne, 1er trimestre 1979, pp. 36-37. 32. Pour une version d’ultra-gauche résolument conspirationniste, cf. l’ouvrage délirant de Bernard Granotier, Israël. Cause de la Troisième Guerre mondiale?, Paris, L’Harmattan, 1982. Notons au passage que B. Granotier, sociologue tiers-mondiste typique des années soixante-dix. a publié un livre sur Les Travailleurs immigrés en France (Paris, Maspero, 1970, réédité en 1979), cité par la plupart des spécialistes comme une étude de référence (cf. par exemple: Catherine Wihtol de Wenden, Les Immigrés et la politique. Cent cinquante ans d’évolution, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1988, p. 383; Gérard Noiriel, Le creuset français. Histoire de l’immigration, XIXe-XXe siècles, Paris, Le Seuil, 1988, p. 391). La dérive antijuive de ce type d’intellectuel «antiraciste» engagé dans la cause tiers-mondiste n’a pas fait jusqu’ici l’objet d’une étude systématique. Or, le phénomène est frappant par sa régularité, comme le montre le trajet idéologique de Serge Thion: sociologue gauchiste auteur d’un ouvrage de référence sur Le Pouvoir pâle. Essai sur le système sud-africain (Paris, Le Seuil, 1969), S. Thion est le premier professionnel des sciences sociales (il est chercheur au CNRS) à s’être engagé, en France, aux côtés de Faurisson (qui, faut-il le rappeler, n’est ni historien ni sociologue, mais professeur de lettres). Ces transfuges de l’antiracisme de gauche, devenus antijuifs au point de collaborer convivialement avec des antisémites néonazis, paraissent obéir, dans leur métamorphose, à une logique idéologique que la présente étude s’efforce de définir. Dans les milieux néofascistes, on trouve le thème du Juif belliciste sous la forme de la question rhétorique: «Mourir pour Jérusalem?», accompagnée d’une dénonciation de la «croisade» en faveur d’Israël: cf. M. Bardèche, Sparte et les Sudistes, Paris, Les Sept Couleurs, 1969, pp. 25-26; Jean-Gilles Malliarakis, «Nous n’irons pas mourir pour Tel-Aviv», Jeune Nation Solidariste, 7 février 1980, repris in Ni trusts ni soviets, Paris, Editions du Trident/La Librairie Française, 1985, p. 239; J.-G. Malliarakis, «Oser dénoncer la barbarie israélienne» (éditorial), Révolution européenne, no 5, février 1988, pp. 1-2 (publication se présentant comme le «mensuel de combat des nationalistes européens de langue française»). 33. «Entretien avec Pierre Gripari», Défense de l’Occident, no 127, mars-avril 1975, pp. 54-55 (une note renvoie au «cinquième Livre du Pentateuque»). 34. P. Gripari, «Les deux droites», Item, 01, janvier 1976, p. 106. 35. P. Gripari, ibid., p. 107. Gripari ajoute cependant: «Mais après tout, si l’Eglise romaine a consenti à faire son Vatican II, on se demande bien pourquoi la Synagogue ne ferait pas le sien…» (ibid.). 36. Ibid. 37. Ibid. 38. Ibid., p. 108. 39. P. Gripari, art. cit., Défense de l’Occident, mars-avril 1975, p. 55. 40. Ibid., pp. 54-55. 41. Lausanne, L’Age d’Homme, 1975. 42. P. Gripari, op. cit., 1975, pp. 70-71. 43. Ibid., p. 71. 44. M. Bardèche, «Le mythe juif et autres faillites», Défense de l’Occident, 30e année, no 192, juillet-août 1982, p. 3. 45. Ordre Nouveau, Paris, éd. Pour un Ordre Nouveau, supplément, juin 1972, spécial congrès, p. 257 (texte pour le 2e congrès du mouvement Ordre Nouveau, fondé à la fin de 1969 après la dissolution du mouvement Occident, le ("novembre 1968). 46. Cf. P.-A. Taguieff, «La rhétorique du national-populisme», Mots, no 9, octobre 1984, pp. 113-139; id., «Un programme “révolutionnaire”?», in Le Front national à découvert (sous la direction de Nonna Mayer et Pascal Perrineau), Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1989, pp. 195-227; id., «Identité française et idéologie», Espaces Temps, no 42, 1989, pp. 70-82. 47. Eu égard au magistère qu’il a exercé sur toutes les familles de l’extrême droite française (traditionalistes, nationalistes, fascistes, nationaux-socialistes), l’antisémite et antimaçon professionnel qu’est Henry Coston, disciple d’Edouard Drumont, devrait intéresser les historiens des idéologies politiques, qui jusqu’ici l’ont négligé. Auteur d’une multitude de livres placés sous le signe de la dénonciation des responsables de tous les maux (du type: Les Financiers qui mènent le monde, Paris, La Librairie Française, 1955; La Haute Banque et les trusts, Paris, La Librairie Française, 1958; Le Retour des «200 familles», Paris, H. Coston, 1960, chefs-d’œuvre de littérature conspirationniste), polygraphe de la presse de la collaboration (cf. Pascal Ory, Les Collaborateurs, 1940-1945, Paris, Le Seuil, 1976, coll. «Points Histoire», 1980, pp. 73, 131, 149, 164; M.R. Marrus, R.O. Paxton, op. cit. p. 114, 1981, pp. 53, 89-90, 198), H. Coston a fondé la Librairie française en 1952 et dirige Lectures françaises depuis la fondation du mensuel (1957), lequel a fait autant que Défense de l’Occident pour marier révisionnisme et antisionisme (en accueillant à bras ouverts l’«homme de gauche» que prétendait être Paul Rassinier). Quant à François Duprat (1941-18 mars 1978), son itinéraire politique aura interféré avec la plupart des courants des droites radicales françaises, de Jeune Nation, Occident et Ordre Nouveau au Front national. C’est en 1967 qu’il intervient directement dans l’offensive révisionniste, en publiant dans Défense de l’Occident (no 63, juin 1967. pp. 30-33), un article intitulé: «Le mystère des chambres à gaz», et ce, dans un contexte antisioniste dont la livraison suivante de la revue montrera l’intensité passionnelle («L’agression israélienne et ses conséquences», Défense de l’Occident, no 64, juillet-août 1967, co-dirigé par F. Duprat et M. Bardèche, et contenant très symboliquement le dernier article de P. Rassinier). On rappellera que la revue du mouvement Occident (créé au début de 1964, et où F. Duprat sera chargé de la propagande en 1966) présentait le génocide juif selon la rhétorique révisionniste: «L’imposture et l’hypocrisie de nous “mettre sur le dos” Auschwitz, Dachau, Buchenwald et d’inventer la fable des six millions de morts» (Occident université, no 3, non daté [fin 1964 ou début 1965]; cité par Joseph Algazy, L’Extrême Droite en France de 1965 à 1984, Paris, L’Harmattan, 1989, p. 49). 48. C. Perelman et L. Olbrechts-Tyteca, op. cit., 1958, t. II, p. 351: « Les arguments fondés sur la structure du réel se servent de celle-ci pour établir une solidarité entre des jugements admis et d’autres que l’on cherche à promouvoir.» 49. Marc Angenot, La Parole pamphlétaire, Paris, Payot, 1982, p. 262. Le «mythologisme», dans l’ancienne rhétorique, désigne la substitution au «mot propre» d’une allusion au Panthéon gréco-romain. 50. Annales d’Histoire Révisionniste, no 4, printemps 1988, p. 190 (je souligne). Vente au numéro, en 1989: environ 1000. 51. Il s’agit d’Alain Guionnet, directeur du mensuel Revision (no 1, mars 1989), dont nous reparlerons plus loin. L’apparition de ce mensuel est l’un des indicateurs d’une diversification du «camp» révisionniste en France, entre deux grands courants: ceux qui recherchent la respectabilité académique, et ceux qui usent de la provocation systématique, en affirmant un antisémitisme violent. Les premiers récusent avec véhémence l’accusation d’antisémitisme (Faurisson), les seconds se labélisent eux-mêmes «antisémites» ou «antijuifs» (ainsi, un tract autocollant diffusé par la librairie Ogmios vante le mensuel «postrévisionniste» Revision de la façon suivante: «Revision, le seul journal antijuif»). 52. G.-A. Amaudruz, op. cit.. avril 1987, 133 p.; l’auteur, en quatrième page de couverture, se présente lui-même ainsi: «Inlassablement, depuis quarante ans, Gaston-Armand Amaudruz, professeur et raciologue émérite, qui milite dans des conditions difficiles pour la cause des races, nous livre une fois de plus les idées communes des derniers vrais racistes du XXe siècle, s’adressant aux survivants du XXIe!» Dans la bibliographie donnée à la fin de son livre, Amaudruz retient, outre les œuvres quasi complètes de P. Rassinier et celles de M. Bardèche, les livres de S. Thion (1980), R. Faurisson (1980; 1982), P. Guillaume (1986), du «bon Juif» J.-G. Cohn-Bendit et al. (1981), et d’André Chelain (Faut-il fusiller Henri Roques?, Paris, Ogmios-Diffusion, 1986) (rubrique: «Révisionnisme historique», pp. 125-127). Sur les «groupes néoracistes» rassemblés par l’organisation Nouvel Ordre Européen, cf. le témoignage de M. Bardèche, «Le racisme, cet inconnu», Défense de l’Occident, nouvelle série, no 7, septembre 1960, pp. 6-8. 53. «Communiqué du NOE», Tribune Nationaliste («Organe de combat des nationalistes français»), no 20, juillet-août 1987, p. 11. Ce mensuel, qui paraît depuis 1985, est devenu le bulletin du Parti Nationaliste Français et Européen (PNFE) lors de la création de celui-ci (1987). Son directeur de publication est le président du PNFE, Claude Cornilleau, ex-membre du Front national, et scissionnaire du groupe réuni depuis décembre 1967 autour de la revue Militant, qui formera le noyau du Parti Nationaliste Français (PNF), créé le 10 décembre 1983, pour réagir contre la dérive «conservatrice» et «sioniste» du Front national. Dans le PNF, C. Cornilleau était «commissaire aux questions électorales» (cf. par exemple Militant, no 168, novembre 1984, p. 5). Est-il nécessaire de préciser que le couple antisionisme/révisionnisme est surreprésenté dans la thématique de Tribune nationaliste? Cf. par exemple: Erik Sausset, «Ils ont tous les droits», TN, no 26, mars 1988, p. 5; Henri Roques, «Lettre ouverte à René Dommergue», TN, no 32, octobre 1988, p. 9; Eugène GufTroy, «Toronto: silence sur toute la ligne», ibid., p. 11. 54. G.-A. Amaudruz, op. cit., 1987, p. 5; et bibliographie, rubrique «social-racisme», pp. 121-122. Pour un exposé de la doctrine, cf. G.-A. Amaudruz, Nous autres racistes (présentation et commentaire du Manifeste social-raciste élaboré par le NOE), Montréal, Editions Celtiques et Lausanne, Institut supérieur des Sciences psychosomatiques, biologiques et raciales, 1971; sur les publications du NOE, cf. P.-A. Taguieff, «La stratégie culturelle de la “Nouvelle Droite” en France (1968-1983)», in Vous avez dit fascismes?, Paris, Arthaud/ Montalba, 1984, p. 140 note 10. 55. G.-A. Amaudruz, op. cit., 1987, p. 21. 56. Ibid. 57. Ibid., p. 22. On a vu l’importance, chez M. Bardèche, P. Gripari et l’auteur anonyme des Annales d’Histoire Révisionniste, du thème-argument de la continuité ou de la récurrence des attitudes et des conduites exterminatrices chez les Juifs, des anciens Hébreux aux «sionistes» d’aujourd’hui. Postulat du «Juif exterminateur» autorisant par avance toute conduite d’autodéfense: cf. P A. Taguieff, «Sur une argumentation antijuive de base. L’auto-victimisation du narrateur», Sens, no 7, juillet 1983, pp. 133-156; Yves Chevalier, L’Antisémitisme. Le Juif comme bouc émissaire, Paris, Le Cerf, 1988, pp. 242-245. De cette représentation stigmatisante, nous ne pouvons ici que mentionner l’existence, dans des contextes idéologiques différents (ayant néanmoins en commun la référence à un «antiracisme» intransigeant et hautement proclamé comme tel), d’une variante islamo-communiste chez Roger Garaudy (L’Affaire Israël, Paris, SPAG-Papyrus, 1983), d’une variante christiano-gauchienne (Georges Montaron, «Israël, l’Etat terroriste», Témoignage Chrétien, 27 juillet 1981, p. 5) et d’une variante œcuménique (Roger Garaudy, le Père Michel Lelong, le pasteur Etienne Mathiot, «Le sens de l’agression israélienne», publicité parue dans Le Monde, 17 juin 1982, p. 12). 58. G.-A. Amaudruz, op. cit., 1987, p. 22. 59. Ibid.; cette explication du déclin de l’Europe est récurrente: cf. G.-A. Amaudruz, «Refuser le “sens de l’histoire”», Courrier du Continent (Bulletin du Nouvel Ordre Européen), no 292, avril-mai 1988, p. 12; id., «Déclin des peuples blancs?», Courrier du Continent, no 296, octobre 1988, p. 12. 60. «Nous sommes racistes. De cette prise de position initiale découle notre volonté d’une ségrégation intransigeante entre groupes raciaux» (Rapport commun à la sixième assemblée du Nouvel Ordre Européen sur les questions africaines, cité par M. Bardèche, «Le racisme, cet inconnu», Défense de l’Occident, septembre 1960, p. 6); G.-A. Amaudruz, Nous autres racistes, op. cit., 1971, p. 61 sq. 61. G.-A. Amaudruz, op. cit., 1987, p. 22. Ce type d’énumération des symptômes de la décadence-maladie est standardisé dans la rhétorique des droites radicales. A titre d’exemple, on se référera au discours de Le Pen: cf. P.-A. Taguieff, «L’identité insécurisée: genèses d’un mythe politique», Cahiers Bernard Lazare, no 115-116, novembre 1986, pp. 15-62; id., «L’identité nationaliste», Lignes, no 4, octobre 1988, p. 46 sq; id., «La métaphysique de Jean-Marie Le Pen», in Le Front national à découvert (sous la direction de Nonna Mayer et Pascal Perrineau), Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1989, pp. 173-194. 62. G.-A. Amaudruz, ibid. 63. G.-A. Amaudruz, ibid., pp. 22-23. 64. G.-A. Amaudruz, ibid., p. 23. 65. Ibid. 66. Ibid.; cf. p. 65: «Les régimes ploutocratiques favorisent, donc sélectionnent, les déchets biologiques et surtout les parasites sociaux.» 67. Ibid. 68. Ibid., p. 110. 69. Ibid., p. 116. 70. Ibid., p. 119. 71. Ibid. 72. Ibid., p. 23. 73. Ibid., p. 26. 74. Ibid., p. 5: «Le social-racisme diffère tellement des doctrines dominantes que son accès présuppose un long cheminement individuel, par exemple dans la révision des idées reçues.» Ce programme d’une révision générale est aujourd’hui prôné par la revue Revision et le courant «postrévisionniste» (c’est-à-dire postfaurissonien) qu’elle représente (cf. Attila Lemage, «Le postrévisionnisme», Revision, no 5 et 6, juillet-août 1989, pp. 21-23). 75. G.-A. Amaudruz, op. cit., 1987, p. 113. L’évidence de départ est commune à toutes les variétés des droites radicales: «Il est triste et il est vain à la fois de commenter l’histoire politique de notre temps. Depuis dix-sept ans, la France traverse une des périodes les plus honteuses et les plus dramatiques de son histoire. A l’origine, il y a la volonté de forcer les consciences, de falsifier l’histoire et de méconnaître les faits» (M. Bardèche, «1944-1962», Défense de l’Occident, nouvelle série, no 25, septembre-octobre 1962, p. 29). 76. G.-A. Amaudruz, op. cit., 1987, p. 25. 77. Cf. G.-A. Amaudruz, ibid., section II: «Défense de la race», p. 65 sq. Le Parti Nationaliste Français était jusqu’en 1987 la seule formation, en France (hormis l’ex-FANE), dont le programme comportait la prescription: «Défense de notre identité raciale. Pour le droit des peuples à demeurer eux-mêmes» («Que veulent les nationalistes?», Tribune Nationaliste, no 3, décembre 1985, p. 10). Cette prescription sera reprise dans le point 7 du programme du Parti Nationaliste Français et Européen (créé en 1987): «Défense de l’identité raciale et protection de la santé de notre peuple. Mesures draconiennes contre le SIDA» (Tribune Nationaliste, no 29, juin 1988, p. 20). 78. G.-A. Amaudruz, ibid., p. 116. 79. Ibid., p. 100. 80. Ibid. 81. Ibid., p. 111. 82. Ibid., p. 110. 83. Ibid. 84. Ibid., p. 111. 85. Ibid., p. 23. 86. Texte signé «L’Aigle Noir», commentant mon «Droit de réponse», Revision, no 5 et 6, juillet-août 1989, p. 20. Faut-il préciser que les imposteurs ont une tendance avérée à dénoncer comme imposteurs tous ceux qui les attaquent, ou simplement osent examiner de façon critique leurs constructions idéologiques? Sur ces caractéristiques qu’on retrouve en abondance dans des discours pseudoscientifiques autres que «révisionnistes», cf. l’essai aussi pénétrant que pénétré d’humour de Michel de Pracontal, L’imposture scientifique en dix leçons, Paris, La Découverte, 1986 (coll. «Biblio Essais», 1989), notamment la leçon 3: «La science officielle, tu conspueras.» 87. G.-A. Amaudruz, op. cit., 1987, p. 23. 88. Sur ce faux fabriqué à Paris, à la fin du xixe siècle, par la police tsariste, cf. le livre magistral de Norman Cohn, Histoire d’un mythe. La «Conspiration» juive et les Protocoles des Sages de Sion, trad. fr. L. Poliakov, Paris, Gallimard, 1967; et Bernard Lewis, Sémites et Antisémites (1986), trad.fr. J. Carnaud et J. Lahana, Paris, Fayard, 1987, p. 24, pp. 133 sq., 358 note 26 (sur l’usage par la propagande arabe antisioniste des Protocoles). Rappelons que la démonstration scientifique de l’imposture avait été administrée avant la Seconde Guerre mondiale: Pierre Charles, «Les “Protocoles des Sages de Sion”», Nouvelle Revue théologique, 65, no 1, janvier 1938, pp. 56-78; Henri Rollin, L’Apocalypse de notre temps. Les dessous de la propagande allemande d’après des documents inédits, Paris, Gallimard, 1939. Ces études doivent être complétées par: Jean-François Moisan, Contribution à l’étude de matériaux littéraires pro- et antisémites en Grande-Bretagne (1870-1983). Le mythe du complot juif. Les Protocoles des Sages de Sion. Le cas Disraeli, thèse, Université Paris-Nord, 1987; Renée Neher-Bernheim, «Le best-seller actuel de la littérature antisémite: Les Protocoles des Sages de Sion», Pardès, no 8/1988, pp. 154-177. Exemple récent d’usage antisioniste des Protocoles: la réédition en 1986, par «l’Organisation pour la Propagande islamique», de la version française de Roger Lambelin («Protocols» des Sages de Sion, Paris, Grasset, 1921) présentée, sur la première page de couverture, de la façon suivante: «La vérité sur les plans d’Israël révélée par un document israélite.» 89. O. Mathieu est notamment l’auteur d’une édition des «inédits politiques» d’Abel Bonnard (Berlin, Hitler et moi, Paris, Editions Avalon, 1987; diffusion Ogmios), qu’il présente comme l’un de ses maîtres à penser. Du même O. Mathieu: A. Bonnard, Les Modérés. Le drame du présent, édition définitive établie par O. Mathieu, Paris, Le Labyrinthe (maison d’édition fondée par le GRECE), 1986 (préface d’O. Mathieu, pp. 9-46); id., Abel Bonnard. Une aventure inachevée, Paris, Avalon (diffusion Ogmios), 1988 (postface de Léon Degrelle). Dans un tract reproduisant un entretien publié en avril 1989 dans Revision (no 2), O. Mathieu précisait le tirage du mensuel: 4 000 exemplaires (le no 8, d’octobre 1989, aurait été tiré à 13 000 exemplaires; vente au numéro: environ 1 500). Nous pouvons ici seulement mentionner que le château du Corvier à Vouzon (Loir-et-Cher), où le PNFE a l’habitude de tenir certaines de ses réunions, appartient à Jean-Dominique Larrieu (alias B. Leforestier), qui dirige la librairie Ogmios: cf. Dominique Le Guilledoux, «Au château du Corvier, les militants néonazis font la tête», Libération, 25 septembre 1989, p. 33; Edwy Plenel, «Les vigiles de la “race blanche”», Le Monde, 26 septembre 1989, p. 17 (article ayant bénéficié de la documentation et des analyses pionnières de Marc Knobel, dont les travaux ne sont cependant pas cités: cf. M. Knobel, «Le racisme et la haine du PNFE», Le Droit de vivre, no 535, juin-juillet 1989, p. 5; id., «Le renouveau de l’extrême droite», Motus, no 15, septembre 1989, p. 8); Henri Guirchoun, «La longue traque des fachos niçois», Le Nouvel Observateur, 28 septembre/4 octobre 1989, pp. 66-67; Dominique Le Guilledoux, «Foyers Sonacotra: le PNFE voulait jouer les “SS” dans la police», Libération, 5 octobre 1989, p. 39. 90. L’équipe rédactionnelle de L’Assaut se présente ainsi: «Un groupe de militants nationalistes européens regroupés autour d’un journal. Attachés à l’idéal défendu par le VMO de Bert Eriksson, […] nous appelons à la création d’un grand groupe d’action regroupant tous les authentiques nationalistes» (p. 12). Sur le VMO (Vlaamse Militanten Organisatie), créé en 1949, cf. Jan Cappelle, «L’ombre noire de la bourgeoisie flamande», in Walter De Bock et al., L’Extrême-droite et l’Etat, Berchem et Bruxelles, Editions Epo, s.d., pp. 77-123; sur L’Assaut, cf. Alexandre Vick, «A L’Assaut!», Celsius, no 15, janvier 1989, pp. 10-11. 91. Il faut insister sur le tournant faurissonien, lequel consiste en une conversion de la position révisionniste au sens strict en négation totale du génocide juif, négation portant à la fois sur la volonté d’extermination, sur l’existence d’une décision et d’un plan génocidaires, sur l’instrument spécifique de l’extermination et sur l’accomplissement de celle-ci. La «révision de l’histoire» à laquelle se limitaient la plupart des révisionnistes, ex-nazis allemands ou disciples français de Paul Rassinier, consistait en une révision en baisse du nombre des victimes. Amaudruz lui-même, dans Nous autres racistes, rédigé avant l’intervention déterminante de Faurisson (1978-1980). déclarait: «Quant aux “six millions de Juifs gazés” par l’Allemagne nationale-socialiste, Paul Rassinier, ancien déporté au camp de concentration de Buchenwald et de Dora, montre dans son livre Le Drame des Juifs européens (Les Sept Couleurs. Paris, 1964), que les pertes juives totales durant la Deuxième Guerre mondiale ne sauraient dépasser 1,4 million. […] On ne peut donc parler de génocide. Bien entendu, il ne saurait être question d’approuver les excès commis, mais il convient de rappeler que tous les belligérants en ont de semblables sur la conscience […]. En outre, il n’est pas légitime de tirer argument, contre une doctrine, d’excès faits en son nom sans quoi l’inquisition réfuterait le catholicisme» (Montréal, Editions Celtiques, 1971, p. 41, note 1). On peut donc définir la double spécificité du «révisionnisme» faurissonien: quant au contenu des thèses, passage à la négation totale; quant au mode de présentation de la négation, recours à la forme scientifique (on expose les «conclusions» d’un travail de recherche patiemment conduit à la lumière d’hypothèses), et, corrélativement, exploitation de toutes les conditions de recevabilité et d’acceptabilité, académique («le professeur Faurisson…») et idéologique («apolitique», «agnostique», etc.). 91. Il faut insister sur le tournant faurissonien, lequel consiste en une conversion de la position révisionniste au sens strict en négation totale du génocide juif, négation portant à la fois sur la volonté d’extermination, sur l’existence d’une décision et d’un plan génocidaires, sur l’instrument spécifique de l’extermination et sur l’accomplissement de celle-ci. La «révision de l’histoire» à laquelle se limitaient la plupart des révisionnistes, ex-nazis allemands ou disciples français de Paul Rassinier, consistait en une révision en baisse du nombre des victimes. Amaudruz lui-même, dans Nous autres racistes, rédigé avant l’intervention déterminante de Faurisson (1978-1980). déclarait: «Quant aux “six millions de Juifs gazés” par l’Allemagne nationale-socialiste, Paul Rassinier, ancien déporté au camp de concentration de Buchenwald et de Dora, montre dans son livre Le Drame des Juifs européens (Les Sept Couleurs. Paris, 1964), que les pertes juives totales durant la Deuxième Guerre mondiale ne sauraient dépasser 1,4 million. […] On ne peut donc parler de génocide. Bien entendu, il ne saurait être question d’approuver les excès commis, mais il convient de rappeler que tous les belligérants en ont de semblables sur la conscience […]. En outre, il n’est pas légitime de tirer argument, contre une doctrine, d’excès faits en son nom sans quoi l’inquisition réfuterait le catholicisme» (Montréal, Editions Celtiques, 1971, p. 41, note 1). On peut donc définir la double spécificité du «révisionnisme» faurissonien: quant au contenu des thèses, passage à la négation totale; quant au mode de présentation de la négation, recours à la forme scientifique (on expose les «conclusions» d’un travail de recherche patiemment conduit à la lumière d’hypothèses), et, corrélativement, exploitation de toutes les conditions de recevabilité et d’acceptabilité, académique («le professeur Faurisson…») et idéologique («apolitique», «agnostique», etc.). 92. Cf. par exemple le tract distribué à Paris au début de 1980: .< Qui est le Juif?», supplément au n" 3 de La Guerre Sociale. Le tract reproduit des extraits du texte publié sous le titre: «De l’exploitation dans les camps à l’exploitation des camps» (La Guerre Sociale, no 3, juin 1979, pp. 9-31). 93. Cf. P. Birnbaum, Un mythe politique: la «République juive». De Léon Blum à Pierre Mendès France, Paris, Fayard, 1988; P.-A. Taguieff, «Identité française et idéologie», Espaces Temps, no 42, 1989, pp. 70-82 (essai d’interprétation du discours lepénien sur les Juifs à partir de l’hypothèse centrale de Birnbaum). 94. Cf. Serge Moscovici, «Le ressentiment, suivi d’extraits d’interviews», Le Genre humain, no 11, 1984, p. 179 sq; P.-A. Taguieff, art. cit., à paraître dans XXe siècle, janvier 1990. 95. P.-A. Taguieff, Espaces Temps. no 42, p. 71 sq. 96. Cf. les remarques lucides, écrites à chaud à la suite de l’attentat de la rue Copernic (3 octobre 1980), d’Annie Kriegel, in Réflexion sur les questions juives, Paris, Hachette, coll. «Pluriel», 1984, pp. 200-218 (textes publiés de novembre 1980 à juillet 1981). 97. Textes typiques: «Jamais Me Badinter n’aura l’idée de dénoncer le racisme tout court le plus menaçant du monde: celui d’Israël envers les Arabes et surtout les Palestiniens» (Vincent Monteil, Dossier secret sur Israël. Le terrorisme, Paris, Editions Guy Authier, 1978, p. 226); «Je vois se dessiner le vrai visage d’Israël, agressif, conquérant, spoliateur, raciste et religieux [sic]…» (Claude Karnoouh, «De l’intolérance et quelques considérations subjectives sur le nationalisme. Mémoire adressé à mes amis sur les raisons de mon témoignage lors du procès du professeur Robert Faurisson», in J.-G. Cohn-Bendit et al., Intolérable intolérance, Paris, Editions de La Différence, 1981, p. 98); «Le trop court séjour […] que j’ai fait, en 1948, à Jérusalem […] m’a convaincu du caractère de plus en plus [sic] raciste, terroriste et de type nazi de l’Etat juif» (V. Monteil, «Le prêt-à-penser au tribunal de l’Histoire», in Intolérable intolérance, p. 160). Ce lieu commun polémique consistant à assimiler le sionisme au nazisme (cf. les actes du «Symposium international sur le Sionisme et le Racisme», réuni à Tripoli, 24-28 juillet 1976: Sionisme et racisme, Paris, Le Sycomore, 1979) coexiste avec un lieu commun voisin, celui, plus ancien, de l’alliance ou de la complicité sioniste-nazie (qui laisse entendre qu’existait une identité de nature entre les deux termes), diffusé par la propagande soviétique et repris par certains faurissoniens d’ultra-gauche (par exemple la revue bimestrielle Jeune Taupe!): cf. Alain Dieckoff, «Sionisme et nazisme: l’histoire soviétique à l’épreuve des faits», Pardes, no 4, 1986, pp. 35-53. 98. La dénonciation sarcastique routinisée de la «religion de l’Holocauste» (thème dominant dans Intolérable intolérance de 1981) semble avoir cédé la place à un autre lieu commun polémique depuis le milieu des années 80: la dénonciation édifiante du «Shoah-business»; l’expression est acclimatée en langue française par Jacques Gillot, «A propos de “Shoah”» (tribune libre), Ecrits de Paris, no 459, juillet-août 1985, pp. 45-52, repris dans les Annales d’Histoire Révisionniste, no 3, automne-hiver 1987, pp. 63-71; Faurisson la reprend dans un tract daté du 18 juin 1987, reproduit dans Annales d’Histoire Révisionniste, no 4, printemps 1988, pp. 169-177: «Ouvrez les yeux, cassez la télé! Vers un krach du Shoah business…»). 99. J. Madiran, «L’Europe du libéral-socialisme. Celle du fanatisme aveugle, de l’exclusion et du mensonge», Présent, no 1872, 27 juillet 1989, p. 1. 100. Cf. les pénétrantes remarques de B. Lewis sur la spécificité de la judéophobie moderne (qu’il s’agisse d’antisémitisme racial ou d’antisémitisme politique): haine spécifique visant le Juif (par sa durée, son étendue, sa virulence, son acharnement, sa tendance à l’extermination), intervention de «croyances démoniaques» comportant les représentations des Juifs comme «ennemis du genre humain» (ethnotype inusable!) ou comme «ennemis de Dieu» dotés de «desseins sataniques» (op. cit., 1987, pp. 21, 356, note 1; voir Gilles Kepel, Le Prophète et Pharaon. Les mouvements islamistes dans l’Egypte contemporaine, Paris, La Découverte, 1984, p. 109). Sur la diabolisation de l’Etat juif, cf. Elie Barnavi, Israël au XXe siècle, Paris, PUF, 1982, pp. 209 sq., 292 sq. (réaction de «haine sacrée» après la victoire de juin 1967); pour un inventaire et un classement des principaux slogans antisionistes, cf. Yohanan Manor, «L’antisionisme», Revue française de science politique, vol. 34, no 2, avril 1984, pp. 319-321. 101. Sur les «foyers principaux de propagation» des représentations et des arguments antisionistes, cf. Y. Manor, art. cit., 1984, pp. 312-319 (OLP et pays arabes, URSS, extrême-gauche et, plus récemment [en fait depuis l’après juin 1967], l’extrême-droite). Sur la condamnation pseudo-antiraciste du sionisme par un trust idéologique en novembre 1975, cf. E. Barnavi, op. cit., 1982, p. 296 sq; l’épais pamphlet de V. Monteil, Dossier secret sur Israël, ne manque pas de tirer toutes les conséquences de l’identification du sionisme à «une forme de racisme» (op. cit., 1978, p. 351 sq.). Le pamphlet de V. Monteil articule toutes les composantes de base de la nouvelle judéophobie: anti-impérialisme, antisionisme, antiracisme de stricte obédience tiers-mondiste et contestation de style «révisionniste» d’un certain nombre de faits concernant la Shoah (ibid., p. 202 sq.) —, le titre qu’il donne au chapitre 7 de la IIe partie: «Le grand alibi: l’Holocauste» (p. 202) est emprunté comme en hommage au désormais fameux article publié en 1960 dans Programme communiste, «Auschwitz ou le Grand Alibi», repris en brochure par «La Vieille Taupe» en 1970 (sur ce texte, cf. P. Vidal-Naquet, op. cit., 1987, p. 21 sq.). Avant de citer quelques morceaux de langue de bois marxo-révisionniste, Monteil affirme significativement: «Il n’y a pas de raison (autre que soutien tactique à l’Etat d’Israël) pour faire d’Auschwitz la justification d’Israël» (p. 209). La logique de son antisionisme absolu avait ainsi conduit Monteil, indépendamment des arguments pseudoscientifiques de type faurissonien, à recourir à une forme de «révision de l’histoire». Mais, rappelons-le, l’argument de l’exploitation «sioniste» des «six millions» a fonctionné longtemps indépendamment de la négation de la Shoah: les premiers antisionistes dénonçaient l’«escroquerie morale» consistant à faire d’Israël «l’Etat des 6 millions de morts» (Pierre Démeron, Contre Israël, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1968, p. 51), ils ne niaient pas le fait de l’extermination des Juifs («De leurs cadavres les nazis tiraient des savonnettes, les sionistes en tirent des alibis»; ibid., p. 52). La négation totale de la Shoah ne pouvait être déduite rigoureusement des arguments de Rassinier. Elle n’a pu devenir une évidence idéologique disponible pour la dimension intellectuelle de la propagande antisioniste que par le détour faurissonien: les négateurs antisionistes ne dénoncent plus l’exploitation politique d’un fait historique reconnu, ils dénoncent désormais l’exploitation politico-financière et médiatique d’un mythe ou d’un mensonge. L’antisionisme doit à Faurisson et ses disciples sa mutation en cours. Pour prévenir certains amalgames, rappelons que l’OLP a refusé jusqu’ici de recourir aux slogans négationnistes. 102. Pour une version communisante de l’antisionisme arabo-islamophile, cf. R. Garaudy, L’Affaire Israël, Paris, SPAG, 1983: Israël est stigmatisé comme Etat raciste, impérialiste et terroriste, et classé parmi «les pires» Etats, dénoncé comme «semblable à ceux auxquels il est le plus étroitement lié», à savoir: les Etats-Unis, l’Afrique du Sud, le Salvador, le Guatemala, l’Uruguay; l’idéologue palinodique ne fait ici que recopier les clichés de propagande de son dernier maître, le colonel Kadhafi, retournant la dénonciation antiraciste exclusivement contre les démocraties pluralistes occidentales, dont l’«impérialisme» supposé a l’avantage de faire oublier le totalitarisme communiste et les dictatures sanglantes d’un tiers monde idéalisé. Sur la mise en place des stéréotypes de propagande antisionistes, cf. Léon Poliakov, De l’antisionisme à l’antisémitisme, Paris, Calmann-Lévy, 1969; Lionel Kochan (sous la direction de), Les Juifs en Union soviétique depuis 1917 (1970), trad. fr. M. Carrière, Paris, Calmann-Lévy, 1971; L. Poliakov, De Moscou à Beyrouth. Essai sur la désinformation, Paris, Calmann-Lévy, 1983; et l’excellente synthèse d’Alain Besançon, «Les Juifs en URSS», Commentaire, no 40, hiver 1987-1988, pp. 669-680. Une précision s’impose: si «jamais l’antisémitisme [en URSS] n’a été à ce point autorisé à s’exprimer», si «la campagne “antisioniste” n’a pas été atténuée le moins du monde», il faut noter avec A. Besançon que «ce n’est pas elle qui a prise sur la masse» (p. 673); bref, la propagande «antisioniste» est essentiellement à usage externe, et vise avant tout les opinions publiques occidentales, lesquelles résistent encore à un alignement pur et simple sur la vulgate anti-impérialiste/antisioniste qui tient lieu d’opinion dominante dans le tiers monde. On peut repérer un argument d’appoint de l’antisionisme, pour autant que celui-ci joue sur la détestation de l’Occident moderne stigmatisé comme «décadent»: face à (’Occident «impérialiste» et «décadent», «raciste» et «terroriste», on dresse la statue d’un Islam idéalisé, doté d’une inaltérable pureté, et présenté comme l’unique voie du salut. Les agents d’influence de l’antisionisme arabo-islamophile ne marchandent pas leurs éloges, tel Michel Mathieu, alias Charles Saint-Prot, ex-maurrassien reconverti dans l’islamisme politico-mythique: «L’Islam est probablement le dernier grand système de notre siècle à concevoir une certaine idée de l’homme et des rapports sociaux qui accorde à l’être humain toute sa place sans négliger néanmoins le sens de la transcendance. Il est au service “des droits de Dieu et de l’homme”. C’est en cela qu’il peut être défini comme un “humanisme intégral” essentiel à notre devenir» (C. Saint-Prot, «Un humanisme essentiel à notre devenir», Proche-Orient et tiers monde, no 7, juin 1983/Ramadan 1403, p. 32). Sur la nébuleuse française de l’antisionisme tiers-mondiste, cf. P.-A. Taguieff, «L’antisionisme arabo-islamophile», Sens, no 11, novembre 1982, pp. 252-266; id., «Sur un héritage tardif de l’Action française: voyage aux origines du retournement “antisioniste” de l’antisémitisme “prosioniste”», Cahiers Bernard Lazare, no 98-99, janvier 1983, pp. 14-23 (sur l’itinéraire de C. Saint-Prot); Jacques Tarnero, «Les chemises brunes du palestino-progressisme», ibid., pp. 24-30; P.-A. Taguieff, «L’antijudaïcisme contemporain. Rupture de tradition et nouvelle naissance», Cahiers Bernard Lazare, no 101-103, mai-juillet 1983, pp. 27-30. 103. Cf. B. Lewis, op. cit., p. 343 note 5: «Dernièrement, le mot “sioniste” a pris un sens encore plus élargi pour devenir une insulte totalement coupée de son sens premier. Ainsi, dans la guerre du Golfe, les gouvernements d’Irak et d’Iran, tous deux ennemis implacables d’Israël, se traitent mutuellement de sionistes. Plus étrange encore, en Extrême-Orient, la radio de la République de Mongolie, sous influence soviétique, a accusé les Chinois de se livrer à des “activités sionistes” dans le Sin Kiang.» Ces usages discursifs plutôt cocasses montrent jusqu’où peut aller un processus idéologique de désémantisation (le mot «sioniste» n’ayant plus de sens déterminable: premier moment) et de resémantisation (le mot «sioniste» devenant un synonyme possible de toute insulte, voire l’insulte suprême: deuxième moment). Pour une féconde approche linguistique de la question, cf. Nicolas Ruwet, Grammaire des insultes et autres études, Paris, Le Seuil, 1982, pp. 239-314 (ajoutons que la forme «sale sioniste!» tend à se substituer à la forme standard «sale juif!»); sur le contexte général d’un tel fonctionnement strictement polémique du mot «sionisme/iste», cf. P.-A. Taguieff, «Réflexions sur la question antiraciste», Mots, no 18, mars 1989, pp. 75-93. 104. On notera que l’esthétisation érotisante de l’Arabe, jeune et innocent, victime par nature des violences «sionistes», a engendré nombre de représentations arabophiles traitées littérairement, et exploitées politiquement. A cet égard, l’œuvre de Jean Genet est paradigmatique, où l’opposition du juvénile Arabe (puis Palestinien) «baisable» au vieux juif dégoûtant («imbaisable») est récurrente, et oriente certains engagements d’apparence politique (on pourrait en dire autant de V. Monteil et de bien d’autres écrivains): cf. notamment La grande encyclopédie des homosexualités (Recherches, mars 1973); J. Genet, «Quatre heures à Chatila», Revue d’études palestiniennes, n" 6, hiver 1983, pp. 3-19; id.; Un captif amoureux, Paris, Gallimard, 1986. L’amour déclaré pour les Palestiniens est l’avers d’une haine absolue visant Israël et, plus généralement mais corrélativement, l’Occident. Sur ce symptôme politico-littéraire, cf. J. Tarnero, «Qui n’est pas de gauche?», in Vous avez dit fascismes?, Paris, Arthaud/Montalba, 1984, pp. 153-190; Samuel Blumenfeld, «Le racisme de la lettre. Antisionisme et antisémitisme de Jean Genet», Pardès, no 6, 1987, pp. 117-125. A bien des égards, l’antisionisme peut être considéré comme une composante «normale» de la haine idéologique visant l’Occident moderne, et le lieu privilégié de toutes les interférences des gauchismes et des radicalismes de droite. Cf. par exemple l’articulation caractéristique de l’anti-américanisme et de l’antisionisme dans la revue Le Partisan européen, inspirée à la fois par le néo-paganisme européiste du GRECE et par le nationalisme révolutionnaire. Le no 10/11 de juillet-août 1987, consacré au terrorisme («Le temps est de plus en plus Mossad») et au «combat païen», comporte significativement la suite d’articles: Robert Steuckers (théoricien de la Nouvelle Droite belge), «L’Europe est notre destin»; Serge Thion, «Il tue, il tue… le Mossad»; Ange Sampieru, «Les Etats-Unis, un contre-modèle économique» (pp. 4-15). Dans les «Principes d’action du Partisan européen», on peut lire par exemple: «L’ennemi, c’est le Système. […] Cet ennemi multiforme s’appuie sur deux piliers: l’impérialisme américano-sioniste […] et le capitalisme multinational […]. L’idéologie dominante sécrétée par le Système […] est l’idéologie des droits de l’homme […]. Face au Système, de nouvelles convergences se dessinent. […] Dans le camp anti-Système, on trouve déjà: — une certaine nouvelle gauche française […];- la nouvelle droite européenne […]; — l’extrême gauche antisioniste et anti-US qui entreprend un travail dévastateur de démystification et s’acharne à saper les fondements du Système: on pense à Maître Vergés par exemple ou à l’équipe de la “Vieille Taupe” en France qui mettent en cause les mythes résistantialistes et exterminationnistes sur lesquels s’appuie l’ordre établi en France et en Europe occidentale depuis 1945 […]» (op. cit., p. III). 105. «Enquête sur les Français et la politique en 1988. Premiers résultats», journée d’étude organisée par l’Association Française de Science Politique et le Centre d’Etude de la Vie Politique Française (CEV1POF), Paris, 14 février 1989, communication de Nonna Mayer, «Immigration, racisme, intolérance»; extrait du sondage (qui reste inédit) dans L’Express, 15 septembre 1989, p. 57. 106. «Il y a donc une nouvelle idéologie socialiste qui n’est plus essentiellement étatiste mais qui est devenue d’abord cosmopolite. […] Le Front national existe parce que […] doit se constituer face au cosmopolitisme une force d’opposition au socialisme de défense des identités» (Bruno Mégret, «L’obsession du gouvernement à détruire les identités explique le désintéressement des Français pour les élections», Présent, no 1854, 30 juin 1989, p. 3). Une fois de plus, le terme de «cosmopolitisme» doit être décodé; mais c’est Jean Madiran lui-même qui nous indique le bon décodage; la «nouvelle idéologie socialiste», c’est-à-dire le cosmopolitisme antinational, est dénommée par Madiran «la nouvelle idéologie du social-judaïsme» (Présent, no 1895, 2 septembre 1989, p. 1). On est donc en droit de poser l’équivalence: «cosmopolitisme»«social-judaïsme», laquelle permet de décoder la plupart des énoncés anticosmopolites du Front national comme des euphémisations d’énoncés essentiellement antijuifs. D’autres textes confirment cette hypothèse de lecture; ainsi, dénonçant «l’interdit antinational» qui régnerait en France, Madiran précise: «C’est la peur qui paralyse et réduit à un tel néant intellectuel les parlementaires de l’opposition libérale: la peur que les B’nai Brith et les médias [je souligne] puissent leur dire: — Mais vous parlez comme Le pen!» («De Léotard à Touvier», Présent, no 1912, 27 septembre 1989, p. 1). Dans le contexte, les «B’nai Brith» sont un substitut tactique de «l’internationale juive» dénoncée par Le Pen (Présent. no 1883, 11 août 1989, p. 4). Ce substitut lexical possède en outre l’intérêt de condenser les références aux deux figures de l’ennemi principal: la puissance juive et la puissance maçonnique (le B’nai Brith étant couramment défini comme «la franc-maçonnerie juive»), communiant dans le «mondialisme». Reprenons l’ensemble des équivalences: «la nouvelle idéologie socialiste» = le «cosmopolitisme»«l’idéologie du social-judaïsme» (ou le «social-judaïsme») = «les B’nai Brith et les médias» = le «lobby politico-médiatique»«l’internationale juive» (et les autres «grandes internationales»: Maçonnerie, Trilatérale). Tous les courants des droites radicales prennent très au sérieux la littérature conspirationniste dénonçant les organisations «mondialistes». Outre les ouvrages du maître H. Coston (par exemple: La Haute Finance et les révolutions, Paris, nouvelle édition, P.H.C., 1987) et son mensuel Lectures françaises, on peut consulter: Yann Moncomble, La Trilatérale et les secrets du mondialisme, Paris, Faits et Documents, 1980; id.; L’Irrésistible expansion du mondialisme, Paris, Faits et Documents, 1981; Jacques Bordiot (+), Le gouvernement invisible, Paris, Publications, 1984; Robert Camman, Les Véritables maîtres du monde, chez l’auteur, 1985; G.V. Henry Coston (alias H. Coston), Le Monde secret de Bilderberg, Paris, 1987 (dépôt: La Librairie Française); Le Grand Orient ordonne, Paris, Avenir International, s.d. (fin 1985/ début 1986); Etienne Casanova et Jean-Louis Stépanov, Les Origines masquées du bolchevisme. Ce que les communistes doivent aux juifs, Juan-les-Pins, La Brochure populaire, avril 1988. Précisons que tous ces livres et toutes ces brochures sont en vente, chaque année, à la fête du Front national, dite «fête des Bleu-Blanc-Rouge». 107. Dans Revision, J. Moulin (alias A. Guionnet) pose une question à O. Mathieu: «Vous semblez sous-entendre que deux conceptions du monde s’affrontent: la nationale-socialiste et la judéo-socialiste» («Histoire belge», Revision, no 2, avril 1989, p. 16). O. Mathieu répond: «Pour simplifier, on peut en effet affirmer que deux grandes conceptions du monde s’affrontent, d’une part une vue européenne, païenne, populaire et révolutionnaire, de l’autre une vue judéo-chrétienne, occidentale au sens “grécisle” [i.e. du GRECE] du terme, bourgeoise. Quant à moi, je me sens ultraïste, c’est-à-dire proche de l’ultra-gauche et de l’ultra-droite» (ibid.). On voit la différence avec le classique antisémitisme politique de J. Madiran et des intégristes maurrassiens: la variante «post-révisionniste» de la nouvelle judéophobie se présente comme une synthèse de l’européisme néo-païen du GRECE, d’un ethnisme populiste, de la radicalité anti-Système (échangeur idéologique entre droites et gauches), d’un anti-occidentalisme (ou anti-américanisme) intransigeant, d’un rejet de l’héritage judéo-chrétien, de l’antisionisme de style tiers-mondiste et du négationnisme. Dans une perspective proche de celle du «postrévisionnisme»: Luc Lefranc, «Le mythe fondateur, la Grande Parodie», Troisième Voie, no 8, mars-avril 1986, pp. 21-25; Louis Seiffert, «Faut-il être révisionniste?», Persiste et Signe, no 4, septembre 1989, p. 5 (l’article se termine par cette affirmation: «L’Europe sera révisionniste ou ne sera pas»). Les vieux néo-nazis entonnent le même refrain: «A quand la fin de l’après-guerre?», National-Socialisme, 1re année, no 1, automne 1989, pp. 1-2 (bulletin publié en français au Danemark par les Editions Nordland, liées à la World Union of National Socialists, WUNS). 108. Dans son discours public, Le Pen commence à introduire le motif «révisionniste», sur le mode de la dubitation, dans une interview accordée à National-Hebdo en juin 1986 (no 98, 5-11 juin 1986, p. 6). La suite est bien connue: les propos tenus par Le Pen le 13 septembre 1987 au Grand Jury RTL-Le Monde (les chambres à gaz: «un point de détail de l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale»), ses mises au point mi-embarrassées mi-provocatrices (conférence de presse du 18 septembre 1987), l’exégèse intégriste des propos lepéniens (le 20 septembre, l’abbé Laguerie, curé de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, déclare au cours de la grand-messe que «cette agitation et cette campagne médiatique [avaient] eu lieu sous la pression de la campagne politique et des banques tenues en majorité par des Juifs»), etc. Cf. le dossier du Droit de vivre, no 525, septembre-octobre 1987, pp. 1-3.

La Nouvelle Judéophobie

antisionisme, antiracisme, anti-impérialisme

Pierre-André Taguieff

Les Temps Modernes, vol. 48, n. 520, novembre 1989

© Les Temps Modernes — Pierre-André Taguieff 1989 — Reproduction interdite sauf pour usage personnel —
No reproduction except for personal use only
 

Sommaire
 Préambule par PHDN
I.Le sens politique des thèses «négationnistes»
II.Les conditions d'existence de la négation du génocide
III.Les structures élémentaires du nouveau mythe antijuif global
IV.Variantes politico-culturelles du négationnisme. Judaïsme et génocide
V.L’ultime message de Défense de l’occident: nationalisme contre sionisme
VI.Le «meurtre rituel» comme destin du juif: dérives racistes du révisionnisme «antiraciste»
VII.Racisme aryaniste et révisionnisme radical
VIII.Retour aux Protocoles: la naissance du post-faurissonisme
IX.Racisme, nouvelle judéophobie et corruption idéologique de l’antiracisme
 Annexe: éléments bibliographiques de langue française (1979-1989)
 Notes

Préambule par PHDN


La longue histoire de l’instrumentalisation de «l’antisionisme» pour travestir un antisémitisme disqualifié es qualité après la seconde guerre mondiale s’est très largement écrite à gauche, marquée par la propagande communiste massive au sein du bloc soviétique/communiste et chez les «partis frères», mais aussi au sein de gauches radicales a priori anti-communistes. Cette histoire est à la fois écrite et largement ignorée. La présente section offre des ressources importantes permettant d’en prendre connaissance. Toutefois, encore plus ignorée du public, l’antisionisme d’extrême-droite joue un rôle structurant majeur dans les visions rhétoriques antisémites qui se constituent au sein des droites radicales après-guerre. Son originalité, par rapport à son homologue de gauche, outre son absence de timidité par rapport à l’antisémitisme qui le motive, tient à son articulation, dès le départ, avec le négationnisme. Cette articulation est présente chez le fasciste Maurice Bardèche dès l’après-guerre, qui le voit dénoncer à la fois la création d’Israël et le projet sioniste et le «mensonge» des crimes nazis. C’est ce phénomène qui permet la constitution d’une forme inédite d’antisémitisme selon Pierre-André Taguieff (une «nouvelle judéophobie») que cet auteur étudie ici. Si une certaine extrême-gauche minoritaire a également embrassé le discours négationniste (souvent par motivation «antisioniste» d’ailleurs), les automatismes rhétoriques «antisionistes» issus des propagandes antisémites soviétiques et communistes ont percolé à gauche bien au-delà de ces groupes radicaux sans la composante négationniste. Il est frappant, à la lecture de l’étude de Pierre-André Taguieff, de constater la convergence des motifs et du langage employé tant par les droites radicales que par certaines gauches bien-pensantes «antisionistes» au point de se demander dans quel sens ces discours ont diffusé. En tout état de cause, les «antisionistes» progressistes qui aspirent aujourd’hui à la destruction de l’Etat d’Israël devraient s’interroger sur la très grande proximité de leurs discours avec ceux d’une extrême-droite à l’antisémitisme explicite et débridé.

Une des qualités majeures de ce texte, qui en motive également la mise en ligne, est la précision et la finesse de l’analyse par Pierre-André Taguieff des artifices rhétoriques et de la perversité du discours négationniste, surtout dans ses modalités d’auto-légitimation et ses procédés de délégitimation et de fragilisation de tout discours rationnel qui serait tenu «en face». Nous tenons à attirer l’attention des lectrices et lecteurs sur le fait que l’usage quasi systématique du vocabulaire «révisionniste» et «révisionnisme», signifie bien ici — même si P.-A. Taguieff opère des distinctions entre «révisionnisme» et «révisionnisme radical»«négationnisme» les deux termes n’ayant pas encore été remplacés en 1989 par cette désignation plus pertinente. Dans ce qui suit ces deux termes sont donc bien associés à la négation de la réalité de l’extermination des Juifs par les nazis.

Cette très longue étude (80 pages) parue en 1989 n’est disponible que dans son édition originale papier et sous aucune forme numérique, même payante. Compte tenu de son importance nous avons entrepris de la numériser et de la mettre en web. Nous avons respecté la structure du texte mais avons procédé à de nombreux ajustements typographiques et de mise en page afin de rendre le texte plus lisible à l’écran.  


I. le sens politique des thèses «négationnistes»


En guise de considération préliminaire, je poserai, par construction, le problème tactico-stratégique auquel répond l’existence de la nouvelle mythologie antijuive internationale, fonctionnelle depuis la fin des années 60: comment attaquer les Juifs sans paraître se classer parmi les «antisémites»? Comment dénoncer et accuser les Juifs sans rencontrer la barrière incarnée par le rejet consensuel du «racisme et de l’antisémitisme»?

On sait que le vieil antisémitisme racial n’a plus guère de légitimité, que l’antijudaïsme catholique réactionnaire n’est plus qu’une survivance à la fois du fait de la déchristianisation et du tournant de Vatican II, que l’antijudaïsme économique lié au mythe Rothschild, sans avoir disparu, n’a plus sa vitalité du siècle dernier, et que l’antisémitisme nationaliste conservateur, proprement politique, est limité, et, à bien des égards, taboué, par la mauvaise conscience liée au génocide national-socialiste des Juifs1. Le double mur de la réprobation morale et idéologique s’est élevé, depuis 1945, et surtout depuis le procès de Nuremberg (1946-1947), devant toute tentative de réactivation des mythes antijuifs. Antisémitisme direct rime avec «crimes contre l’humanité». Bref, pour réaliser un nouveau projet antijuif fonctionnel, il faut pouvoir résoudre le problème ainsi énonçable: comment contourner les obstacles idéologiques (culpabilité, mauvaise conscience, consensus anti raciste international depuis 1947, etc.) auxquels le discours antijuif se heurte, et qui en limitent a priori la recevabilité et l’acceptabilité? Ou encore: comment faire acquérir aux attitudes antijuives le statut d’opinions bien fondées, recevables, acceptables, voire honorables? Plus précisément: à quelles conditions la judéophobie a-t-elle pu, dans le contexte des trois dernières décennies, redevenir légitime dans ses formes d’expression?

La réponse tient dans l’énoncé de deux conditions. Il fallait, d’une part, que le discours antijuif fût retraduit en discours antisioniste, et le «sionisme» réinterprété en tant que mythe répulsif, ce qui implique son articulation avec le mythe positif légitime, mondialement acceptable, des «luttes de libération nationale»: telle est la première composante de l’antisionisme absolu, à savoir l’anti-impérialisme, lié à une valorisation positive du nationalisme révolutionnaire dans le tiers monde, exalté notamment en tant que prolongement de l’anticolonialisme ou achèvement de la décolonisation. Il fallait, d’autre part, que le recours du discours antijuif à l’idéologie antiraciste s’opérât en tant que fondement éthico-politique du rejet d’Israël et de la condamnation du sionisme, lequel n’est de fait pas reconnu comme un nationalisme parmi d’autres mais stigmatisé comme «une forme de racisme»: telle est la seconde composante de l’antisionisme absolu, à savoir l’antiracisme.

Il faut ici brièvement préciser que cet antiracisme idéologisé, ce pseudo-antiracisme, est un simulacre instrumental de l’exigence antiraciste, laquelle est inséparablement éthique et juridico-politique: exigence éthique fondée sur le devoir de respect et l’obligation d’une défense inconditionnelle de la dignité humaine en toute personne, quelles qu’en puissent être les origines, les appartenances ou les croyances; exigence juridico-politique centrée sur le rejet de toutes les formes de discrimination ou de ségrégation sociale fondées sur l’origine raciale, ethnoculturelle ou nationale, qu’elles concernent des groupes ou des individus. On ajoutera que ces deux impératifs impliquent le respect des modes de pensée et des formes de vie, respect des identités culturelles (spécificités, particularismes, etc.): tel est le sens positif du «droit à la différence», dont nous avons montré ailleurs les usages néoracistes contemporains, dérivant de l’absolutisation des identités culturelles, c’est-à-dire d’une forme d’idolâtrie du particulier, directement opposée à l’exigence d’universalité située au cœur du judaïsme comme du christianisme, et dont la notion moderne de «droits de l’homme» a heureusement hérité2. Bref, l’exigence antiraciste s’inscrit dans une conception à la fois universaliste et personnaliste de l’humain. Mais, à l’époque des conceptions du monde manichéennes et des grandes idéologies antagonistes, toutes les valeurs et toutes les normes sont idéologiquement corruptibles. L’antiracisme instrumentalisé par les diverses propagandes et les constructions désinformatrices contemporaines est précisément le produit d’une corruption idéologique de l’exigence antiraciste, qu’on ne saurait dès lors confondre avec lui. Cette corruption des valeurs et des normes implique les classiques opérations polémiques de détournement, retournement ou inversion, généralisation abusive, amalgame, identification fautive et trompeuse, etc., qui permettent de réaliser l’illégitimation d’un adversaire, désigné ou non. Cet adversaire principal du pseudo-antiracisme est Israël. C’est donc seulement cet antiracisme corrompu et instrumentalisé, dont il reste à écrire l’histoire, qui entre en synthèse dans la nouvelle configuration judéophobe.

Voilà le monstre idéologico-mythique constitué. Nommons-le: un anti-impérialisme antiraciste antijuif.

La nouvelle «bonne cause» immaculée sur laquelle s’appuie l’antisionisme absolu est la double lutte pour l’émancipation ou la libération des peuples, et contre «le racisme et l’antisémitisme» (selon l’expression figée). La déduction idéologique est simple: si sionisme = racisme, alors antiracisme = antisionisme. Telle est la proposition idéologique fondamentale, à laquelle s’ordonne la nouvelle construction judéophobe d’extension planétaire, qui se monnaye par une multiplicité d’énoncés antijuifs, plus ou moins explicites. Cette proposition s’accompagne d’une affirmation essentialiste sous-entendue, rarement attestée par des assertions directes: tous les Juifs sont des sionistes, actuels ou virtuels, avoués ou honteux, leur nature commune est d’être sionistes. Le Juif est par essence sioniste donc raciste, quoi qu’il puisse penser, dire ou faire: telle est la conclusion synthétique de la série des amalgames précédents.

De la conviction absolue que les Juifs sont par nature des sionistes, donc des racistes, dérive l’évidence qu’être antiraciste c’est être antisioniste, donc antijuif (même si le terme «antisémite», rarement assumé, est en général objet de rejet explicite et violent). La conclusion pratique peut se formuler comme suit: lutter «contre le racisme et l’antisémitisme», c’est lutter contre le sionisme, donc contre les Juifs qui sont tous des sionistes avoués, honteux ou non conscients. Sioniste ou raciste sans le savoir, le Juif ne peut être dévoilé à lui-même que par un regard extérieur, instruit par la vulgate antiraciste. L’antiracisme fonctionne comme une grille interprétative parfaite, car inattendue dans ce mode de fonctionnement. L’opération d’euphémisation et de mise en acceptabilité a engendré en une trentaine d’années une nouvelle synthèse antijuive légitime, apte à passer à travers les barrières de la réprobation liée à la mémoire sociale des persécutions antijuives et du génocide nazi. Préparée dans les années 50, la nouvelle judéophobie naquit au grand jour entre 1967 et 1975, portée par deux centres d’énergie idéologique: l’anti-impérialisme et l’antiracisme, dont le champ d’expansion est mondial. Si l’imprégnation antisioniste est hégémonique dans l’espace des gauches occidentales, l’instrumentalisation planétaire de l’antisionisme est essentiellement communiste, et la cause sublimée productrice de la passion idéologique requise est fournie par la «lutte de libération» conduite par les organisations nationalistes palestiniennes. Parallèlement, les droites radicales se sont elles-mêmes converties à l’anti-impérialisme et à l’antisionisme, voire à certaines formes d’antiracisme instrumental. Tel est le contexte idéologico-politique dans lequel le «révisionnisme» est apparu sous sa forme radicale.  . 


II. Les conditions d'existence de la négation du génocide


Une seconde considération préliminaire me semble s'imposer, qui porte sur le paradoxe même qu'incarne toute intervention critique visant les thèses dites «révisionnistes». En d'autres temps, et visant d'autres adversaires, Pascal notait dans ses Pensées:

«Cette secte se fortifie par ses ennemis plus que par ses amis3.»

Remarque dont il me semble qu’elle s’applique singulièrement à la «secte» révisionniste, pour parler comme Pierre Vidal-Naquet4. On connaît l’usage révisionniste de la martyrologie. Dénoncer les «persécutions» ou la «répression» dont les révisionnistes feraient l’objet a une double fonction: d’une part, renforcer la cohésion interne des groupes et réseaux, intensifier l’adhésion des militants et sympathisants; d’autre part, forcer la sympathie du public non concerné, en déclenchant les mécanismes de compassion, impliquant la défense spontanée des «victimes» de la «chasse aux sorcières», voire leur défense au nom du principe de tolérance5. Il est donc essentiel, dans la stratégie révisionniste, de construire et diffuser un mythe victimaire, impliquant la présentation des «thèses» (négation des chambres à gaz homicides et du génocide comme volonté et comme réalité) comme des propositions non seulement vraies, adéquates à la réalité historique, mais aussi et surtout censurées, dénoncées, poursuivies, persécutées pour la raison même qu’elles seraient vraies. Bref, il est capital pour les révisionnistes de pouvoir dénoncer un complot contre la vérité, dont ils seraient les seuls porteurs, baillonnés, opprimés, réprimés, persécutés. Ainsi, le bulletin de l’ex-FANE, Notre Europe, qui n’a jamais cessé de paraître après la dissolution de l’organisation néonazie (octobre 1980), s’emploie régulièrement à dénoncer la «nouvelle Inquisition», dont seraient victimes tant les révisionnistes nationaux-socialistes que les révisionnistes de gauche:

«Le silence constituant une méthode devenue inapplicable, on marginalise, on criminalise, on dénonce, on emprisonne, et donne bonne conscience aux assassins6.»

Caractéristique de la rhétorique autovictimaire est cette proposition catastrophiste:

«La persécution contre le national-socialisme devient en Allemagne de plus en plus violente7.»

D’où la production de slogans du type: «Liberté d’expression aux Nationaux-Socialistes», «Non à la chasse aux sorcières», etc.8, mentionnés par Notre Europe en mai 1981. Dans la même livraison se trouve un compte rendu de la 15e assemblée du Nouvel Ordre Européen tenue à Barcelone les 18 et 19 avril 1981, où la dénonciation des persécutions fonde un appel à la solidarité aryenne:

«L’assemblée estime que le combat n’est pas uniquement politique au sens strict du terme, mais doit s’étendre à tous les domaines de la culture. Malgré les persécutions et les périls actuels la recherche idéologique doit être maintenue […]. Le Nouvel Ordre Européen exige la solidarité des forces aryennes d’Europe et hors d’Europe […]. L’aggravation de la répression contre l’opposition nationale-européenne dans la plupart des pays d’Europe confirme une fois de plus que ces régimes cherchent à détourner l’attention de leur impuissance à résoudre les problèmes de gouvernement les plus élémentaires tout en combattant leur seul adversaire véritable […]. L’assemblée félicite le courageux professeur Robert Faurisson, maître de conférences à Lyon, qui a donné le coup de grâce au mensonge des “chambres à gaz”9.»

Tel est le mode d’emploi révisionniste de la «répression». Mais il y a ici, s’ajoutant à l’effet culpabilisant d’une telle intégration stratégique de l’argument victimaire, une difficulté plus profonde, dérivant de la structure même de l’argumentation. Ce qui nous amène à relever un paradoxe.

Face au doute révisionniste, il n’est en effet guère possible de ne pas argumenter en vue de rétablir la croyance aux faits dont l’existence même est mise en doute. Mais l’acte d’argumenter contre le doute est lui-même saisi par un effet de légitimation du doute contredit:

«Toute argumentation est l’indice d’un doute, car elle suppose qu’il y a lieu de préciser ou de renforcer l’accord sur une opinion déterminée, qui ne serait pas suffisamment claire ou ne s’imposerait pas avec une force suffisante. Le doute soulevé par le seul fait d’argumenter en faveur d’une thèse sera d’autant plus grand que les arguments utilisés paraîtront plus faibles, car la thèse semblera dépendre de ces arguments10.»

Nous pouvons bien sûr tenter de répliquer sans répondre, de réagir sans nous engager dans une réfutation. Mais le paradoxe nous suivra. Dès lors qu’on argumentera, la qualité des arguments, et surtout leur compatibilité, feront l’objet d’une contre-argumentation visant à en montrer soit la faiblesse, soit l’incompatibilité, voire la contradiction. C’est pourquoi le choix des arguments face à une attitude dubitative est essentiel: leur efficacité symbolique peut facilement se retourner contre leur énonciateur. Or, les répliques réellement faites au doute révisionniste l’ont été sans qu’une réflexion systématique et approfondie ait été conduite sur leur qualité (par exemple: sur leur solidité selon le métier de l’historien, à commencer par la critique des sources) ni sur leur compatibilité (des témoignages contradictoires ont parfois été avancés en tant que preuves indubitables)11.Et pourtant, malgré les effets ni voulus ni prévus (mais relativement prévisibles) et indésirables de nos éventuelles réactions, nous ne pouvons pas ne pas réagir. Il nous reste à trouver la ou les bonnes façons.

Je ne me substituerai pas sur ce point à Pierre Vidal-Naquet, dont le récent recueil d’essais, Les Assassins de la mémoire (Paris, La Découverte, 1987), montre suffisamment que l’on peut démonter l’argumentation dite révisionniste, sans pour autant se placer sur le terrain du débat et y conduire une réfutation. Car, note justement Vidal-Naquet, «on ne réfute pas un système clos, un mensonge total qui n’est pas de l’ordre du réfutable, puisque la conclusion y est antérieure aux preuves12». On est en droit de refuser de perdre son temps à débattre avec des sophistes et des interlocuteurs de mauvaise foi, qui prétendent, en même temps, dévoiler dogmatiquement la vérité, sans aucun doute, et dénoncer le dogmatisme, l’absence de doute, voire le fanatisme, dans l’œil du contradicteur. La conclusion essentielle, antérieure au simulacre d’argumentation scientifique, point de départ et point d’arrivée pour lesdits révisionnistes, est que le génocide nazi des Juifs n’a pas eu lieu, qu’il n’est qu’une fiction de propagande, un «bobard de guerre» d’extension mondiale, entretenu depuis 1945 par diverses «puissances» qui y trouvent intérêt.

Mais pourquoi cette conclusion, qui n’est qu’une présupposition projetée, est-elle si importante? La réponse est d’ordre idéologico-politique. La conclusion «négationniste» tire son importance de ce que, d’une part, elle détruit le fondement même du consensus démocratique depuis 1945 dans les nations occidentales, consensus «antifasciste» (plus précisément anti-nazi), portant sur le sujet absolu des systèmes politiques dont la logique implique l’extermination massive d’un groupe humain, en raison de ses croyances ou de ses origines ethniques. Il s’agit d’ébranler le consensus de base sur le rejet de tout totalitarisme fondé sur la supériorité et la pureté de race. D’autre part, les négations constituant la variante ultra-dogmatique du révisionnisme (qu’on peut distinguer de sa variante sceptique ou «dubitationniste») importent en ce qu’elles lavent le régime national-socialiste de la tache indélébile qu’est l’accomplissement d’un génocide. Il y a des fautes qui, précisément parce qu’elles ne sont pas relativisables, ne peuvent qu’être niées par ceux qui refusent de les reconnaître, afin de relativiser la distinction entre nazisme et démocraties «impérialistes». Une exploration de la littérature révisionniste montre que ses thèses principales constituent autant de lieux communs du discours néonazi (qui ne se nomme évidemment pas comme tel), dès lors qu’il a acquis sa maturité au début des années 70. Il suffit de rappeler que les deux textes princeps du négationnisme sont respectivement dus à un national-raciste anglais, Richard E. Harwood (alias R. Verrai), Six millions de morts le sont-ils réellement? (Richmond, Historical Review Press, 1974), et à un national-socialiste allemand, Thies Christophersen, Le Mensonge d’Auschwitz (Kritik Verlag, Mohrkirch, 1973). Les traductions françaises de ces deux brochures, l’une et l’autre parues en 1976, ont été immédiatement diffusées par les soins de la FANE (dirigée par Marc Fredriksen) et de la mouvance «nationaliste-révolutionnaire» du Front national, dont les animateurs étaient François Duprat et Alain Renault.

Mon point de départ sera donc l’interrogation suivante: les thèses révisionnistes, en particulier sous leur forme radicale ou dogmatique (la doctrine «négationniste»), ne peuvent être considérées comme relevant du champ des débats scientifiques. Allons plus loin: leur étude requiert moins les spécialistes de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale que des professionnels de l’histoire des idéologies modernes, suivies dans tous leurs avatars. A première vue, les thèses révisionnistes illustrent le désir pur de provocation (d’abord faire parler de soi, à tout prix), ou expriment la conviction bétonnée, inébranlable, d’esprits fanatiques, de possédés sectaires, pour qui la négation du génocide est devenue la condition même du sens de l’existence, identifiée au sens de leur existence. Ou encore fournissent une illustration de ce que j’appellerai le dogmatisme anti-orthodoxe, dont les minorités hétérodoxes sont coutumières, et qui constitue une variation de cette corruption idéologique de l’esprit scientifique moderne qu’est la passion critique autotélique, qui inscrit l’hypercritique en disposition stable, en mode de vie autant que de pensée. A l’orthodoxie anti-orthodoxe s’ajoute un parti pris antimajoritaire, reprenant le fil d’un certain romantisme de la minorité héroïque. Une explication de type psychologique rencontre vite ses limites: si elle permet de comprendre les motivations de certains orphelins du mythe révolutionnaire, qui trouvent dans le révisionnisme, radical-négateur ou modéré-sceptique, un moyen de continuer à rêver les yeux ouverts et la plume à la main, elle ne peut rendre compte ni du fait que seule une infime partie de la mouvance d’ultragauche s’est convertie au révisionnisme (à telle ou telle de ses formes), ni du fait de l’étrange coexistence, dans les attitudes des réviseurs «révolutionnaires», d’une intransigeance doctrinale «marxiste» (qu’illustre le recours aux pseudo-explications économistes les plus sommaires) et d’une absence de tout scrupule dans le compagnonnage avec les fractions les plus dures de l’«extrême-droite».

Or, si la négation du génocide et de son instrument spécifique (les chambres à gaz homicides) ne constitue pas la position scientifiquement défendable et discutable d’une école d’historiens, si ce faux débat (niant les prémisses factuelles du débat historique) est dénué de sens et de valeur scientifique, quel est son sens véritable? Notre hypothèse est que le révisionnisme, si l’on met entre parenthèses autant les motivations personnelles (comment survivre à la défection des mythes révolutionnaires?) que les stratégies individuelles de ses adeptes diffuseurs (comment acquérir, sans talent particulier, une certaine notoriété? Réponse: par la pose provocatrice), possède un sens idéologico-politique complexe, qu’on peut néanmoins analyser en composantes. Les deux principales d’entre elles s’organisent, dans leur forme négative, autour des thèmes fédérateurs de l’antisionisme absolu et de l’anti-impérialisme, retraduit par le rejet du «condominium américano-soviétique»13. On notera en outre que ces composantes, par leurs ambiguïtés, sont capables de fédérer les révisionnistes de droite et de gauche, en faisant l’objet d’un consensus transidéologique.  .


III. les structures élémentaires du nouveau mythe antijuif global


On notera que sous l’anti-impérialisme perce le rejet du modèle démocratique de type libéral-pluraliste, et que l’antisionisme n’est ici que la formulation acceptable et synthétique de positions antijuives d’origines idéologiques multiples. Ces éléments idéologiques sont les suivants, rapportés à des passions spécifiques:

I. Passion motrice: la haine des «vainqueurs» (des «grands», des «gros», etc.), traductible en «rejet du Système»:

  1. La dévaluation des démocraties libérales: société du spectacle ou système ploutocratique, etc., voire totalitarisme rampant, «mou», ou «doux».
  2. La dénonciation du stalinisme et, plus largement, du communisme (version de droite) ou du totalitarisme (version de gauche ou de droite), incarné préférentiellement par le système soviétique. L’argument ordinaire est le suivant: tout locuteur parlant des crimes nazis est soupçonné d’occulter les crimes staliniens, et plus largement communistes. Le révisionnisme exploite de la sorte la passion anticommuniste14.

II. Passion motrice: la judéophobie radicale, fondée sur la dénonciation de la sur-puissance «sioniste», et sur celle d’un «complot mondial» (antisionisme absolu):

La délégitimation du sionisme par destruction de l’un des éléments historiques de sa justification, et retournement de ce qu’on prétend être son «mensonge historique» contre lui. Il s’agit de récuser le droit à l’existence d’Israël. L’antisionisme absolu est une structure d’accueil de rêve pour toutes les variétés de révisionnistes: il n’est pas d’illégitimation plus forte d’Israël que l’entreprise visant à surdiaboliser «le sionisme» en le présentant comme le co-auteur et le bénéficiaire principal de «la plus grande imposture de tous les temps»! Faurisson, qui est loin d’être dénué d’intelligence stratégique, n’hésite pas à lancer l’amorce, afin de convaincre les milieux antisionistes que sa «découverte» constitue un argument offensif décisif contre la légitimité de l’Etat d’Israël:

«Rien n’étant gratuit en ce monde, il va de soi que la déconstruction de ce délire fait apparaître un jeu complexe d’intérêts, de passions, de conflits à l’échelle de la planète. L’Etat d’Israël a un intérêt vital au maintien de cette fantasmagorie qui n’a pas peu contribué à la possibilité de sa création en 194815.»

Faurisson attribue en outre expressément à «certains milieux sionistes» le «bobard de guerre»:

«Le mythe des “chambres à gaz” semble être né dans certains milieux sionistes américains vers 1942. Il n’a guère eu de succès pendant la guerre16.»

Le sens profond de l’entreprise révisionniste, dès lors qu’elle vire au négationnisme dogmatique, est de permettre la reconstitution d’un mythe antijuif global, centré sur la dénonciation d’un mensonge et de la conspiration censée l’entretenir. Pour mieux comprendre la haute recevabilité des thèses révisionnistes dans les milieux néonazis, il faut brièvement rappeler la représentation conspirationniste qu’ont ces derniers d’Israël. Le chef de file du néonazisme français, Marc Fredriksen, déclarait significativement en 1973:

«Israël n’est pas un Etat national, il constitue la plate-forme territoriale d’une subversion mondiale qui doit assurer la domination définitive d’une secte sur tous les peuples de la Terre. C’est pourquoi toutes les nations, tous les peuples du monde doivent lutter pour sa disparition17.»

La coïncidence des guerres israélo-égyptiennes de 1967 et de 1973 avec la période de mise en place des thèses négationnistes n’est certainement pas un fait à négliger. En 1970, dans l’article intitulé «Progrès et chances du fascisme» ouvrant le numéro spécial de Défense de l’Occident consacré au «fascisme dans le monde», M. Bardèche décrivait avec optimisme la nouvelle situation idéologique de type nationaliste autoritaire:

  1. «La conviction presque générale que les régimes ploutodémocratiques […] sont absolument incapables de faire face aux difficultés et aux crises produites par le monde moderne18.»
  2. «Un autre élément important du changement de l’opinion est la révélation de la puissance internationale juive à l’occasion de l’agression israélienne et de ses conséquences au Moyen-Orient […]. La dictature juive par le moyen des démocraties ploutocratiques, jusqu’ici larvée et invisible, a été obligée de jeter le masque. Les Juifs ont parfaitement raison de soutenir que l’antisionisme conduit à l’antisémitisme. Mais ce n’est pas de la façon qu’ils imaginent; c’est parce que toute menace contre le sionisme provoque une mobilisation générale de la puissance juive et par conséquent la révèle […]. Ainsi s’est créé un courant de sensibilité au fait juif […]. Le Juif existe, il est regardé comme un problème. La puissance juive existe, elle est regardée comme un danger […]. Nous savons désormais que nous avons des alliés contre la puissance juive. Ces alliés peuvent être occasionnels, ils peuvent être dangereux, ils n’en apportent pas moins leur pierre à l’édifice […]. La notion claire du danger juif que possédait l’Allemagne de 1934, toute une partie de l’opinion la possède aujourd’hui. Un pays qui n’a plus confiance dans les méthodes parlementaires et qui a conscience du péril juif est un pays qui a fait un grand pas dans la voie de son indépendance et de son salut19.»
  3. «La dégradation de la situation du parti communiste20.»

Les thèses négationnistes s’inscriront dans le cadre de cette réorientation antisioniste de la propagande néofasciste, entre 1967 et 1973, où elles seront présentées comme l’arme illégitimatrice absolue contre Israël, renversant son droit à l’existence en impératif d’élimination d’un Etat fondé sur l’imposture et l’escroquerie les plus grandes de tous les temps… Je donnerai plus loin plusieurs exemples de ce qu’on pourrait appeler le syllogisme négationniste, à l’état complet (destiné à un public restreint) ou sans ses prémisses (conditions de recevabilité et d’acceptabilité lorsqu’on s’adresse à un public indéterminé), à savoir:

  1. L’obstacle idéologique majeur qui se dresse devant tout mouvement nationaliste et autoritaire inspiré à tel ou tel titre (et degré) par une doctrine des races (sur le modèle du «fascisme» ou du «nazisme») est le système des représentations négatives du national-socialisme, et plus particulièrement du nazisme comme racisme d’Etat.
  2. Or, le noyau de ce système de représentations négatives est constitué par le fait du génocide des Juifs, interprété consensuellement comme l’aboutissement de la politique raciale hitlérienne, l’extermination raciale illustrant l’issue logique de celle-ci; la réalité historique du génocide, c’est aussi bien sa mémoire, laquelle implique l’absolu rejet de toute idéologie politique de type raciste (presque toujours enveloppée dans une rhétorique nationaliste).
  3. Il faut donc détruire les fondements historiques de cette digue idéologique, détruire la mémoire du génocide dans ses racines, bref nier la réalité du génocide; mais ce, au double nom de l’esprit critique et de la pure recherche de la vérité, en invoquant l’exigence de son dévoilement par-delà mythes et légendes, censures et résistance des idées reçues. Or, cette retraduction des motivations national-racistes en exigences épistémiques, cette transposition autosublimante, forme elle-même la double condition impérative de recevabilité et d’acceptabilité de la négation du génocide (acceptabilité maximale: car qui est contre la «recherche scientifique» de la «vérité»?).

Un article de Maurice Bardèche: «Le mythe du 8 mai et le mythe des 6 millions», paru dans Défense de l’Occident en juillet 1975 (no 130, pp. 1-6), illustre cette mythologisation polémique de la réalité du génocide, présenté comme un mythe instrumental dans le système d’autolégitimation des démocraties «victorieuses»:

«Pour qu’il [“le mythe du 8 mai” 1945] puisse tournoyer au soleil et briller au-dessus des foules dans un ostensoir, il faut qu’un autre mythe le porte, celui des six millions de Juifs. Et cette façade indispensable au fronton démocratique est peinte et entretenue à grands frais par les lévites de ce double culte. Rappelons donc quelques vérités premières. Il n’y a jamais eu de chambres à gaz dans les camps de concentration que des commissions d’historiens et de techniciens ont pu visiter, et dont ils ont pu consulter les archives […]. Le chiffre de six millions de morts n’est pas plus exact. Il ne repose sur aucun document […]. Les Allemands seraient donc responsables au maximum de la disparition de 1 500 000 Juifs, chiffre […] qu’il faut ventiler d’ailleurs, en tenant compte de la guerre des partisans, des morts dues à la sous-alimentation, aux épidémies, à l’âge ou aux conditions de la guerre, aux destructions des bourgs et des villages, ce qui diminue d’autant la population des camps de concentration. Suivant les hypothèses qu’on fait sur cette ventilation, on arrive au chiffre de 900 000 victimes que donne une spécialiste juive, Hannah Arendt, ou à celui de 350 000 que propose le Dr Ehrhardt, ou encore à celui de 200 000 que retient l’Anti-Defamation Comitee of Christian Laymen, comité de juristes canadiens. De toute manière, le chiffre de 6 millions ne résiste pas plus à une enquête scientifique que les chambres à gaz si minutieusement décrites par des témoins oculaires21.»

Le vrai sens du révisionnisme, sous sa forme dogmatique («le négationnisme»), est donc un sens politique: il est instrumentalisé par l’antisionisme absolu et, plus largement, par les tenants nationalistes-européens du double rejet: des démocraties libérales et des régimes communistes. Gaston-Armand Amaudruz, l’un des pionniers néonazis du révisionnisme radical, écrit par exemple en 1981 dans le bulletin du Nouvel Ordre Européen:

«L’ordre […] mondialiste de Yalta échappe de plus en plus au contrôle des sinistres apprentis sorciers […]. Aussi l’adversaire s’efforce-t-il de maintenir par tous les moyens le barrage psychologique érigé en 1945 et qui consiste dans le mensonge des “six millions” et des chambres à gaz. Depuis trente-cinq ans, quoi que nous disions, l’adversaire hurle: “chambre à gaz!” Son raisonnement, c’est que le national-socialisme et le fascisme incarnent le mal absolu, total. Si donc vous avancez le moindre point déjà préconisé par un de ces régimes: “Chambres à gaz!” […] Notre premier devoir consiste donc à faire sauter ce barrage, donc à soutenir l’action des Butz, Faurisson, Stäglich, Christophersen, bref de l’école révisionniste22.»

Les chambres à gaz homicides représentent pour leurs négateurs un verrou symbolique, elles incarnent le barrage construit par le souvenir actif de la catastrophe européenne devant le retour des mobilisations nationalistes se justifiant par une théorie raciale (quel qu’en soit le contenu).


IV. Variantes politico-culturelles du négationnisme.
Judaïsme et génocide


Le révisionnisme radical est devenu l’une des principales composantes de la thématique des groupes de rock d’extrême-droite, apparus en France entre 1984 et 1986.

Le groupe de rock Légion 88, créé en août 1984 «dans le but de politiser le mouvement skinhead23» dans un sens «national-socialiste européen24», se propose de diffuser au sein de la jeunesse «notre conception du nationalisme européen, c’est-à-dire un nouvel ordre social et racial.25» Militants du Parti Nationaliste Français et Européen (PNFE), organisation néonazie fondée en 1987 par Claude Cornilleau, dissident du Parti Nationaliste Français (créé le 10décembre 1983), les membres du groupe Légion 88 précisent l’objet de leur lutte: «Nous luttons contre la décadence de la jeunesse actuelle, contre la drogue, l’insécurité et le mélange des races.26» Après une cassette de huit titres intitulée Notre Europe, en 1986, Légion 88 a sorti un 45 tours en février 1987, «suivi rapidement d’un 33 tours de compilation réalisé en commun avec Bunker 84 et Skinkorps27», puis un nouveau 33 tours en 1988, sous le titre Thulé. La distribution de ces disques, comme de ceux d’autres groupes nationalistes révolutionnaires ou néonazis tels que Brutal Combat («modérés» proches du Front national), Evil Skins ou Bunker 84, est assurée par la maison de disque Rebelles européens, créée fin 1986 (Brest)28. A la question: «Dans quel sens allez-vous orienter votre combat dans les mois à venir?», Légion 88 répond au printemps 88: «Actuellement c’est la diffusion des idées révisionnistes qui nous paraît le plus important. Le système repose depuis 1945 sur le mythe de l’holocauste. A nous de contribuer à le détruire29.»

Dans l’entretien qu’il a accordé en octobre 1988 à Tribune nationaliste, le groupe Légion 88 déclare sans équivoque:

«Dans l’avenir, nous concentrerons notre action sur la dénonciation du mensonge des 6 millions. […] La “justice” actuelle et ses exécutants sont entièrement aux mains des pires ennemis de notre race. Il est évident que des jeunes qui veulent se dresser contre le métissage de leur peuple et l’invasion de leur pays ne peuvent que déplaire. C’est pourquoi nous étions conscients dès le départ que les lobbies mondialistes et sionistes, qui se confondent [je souligne], tous les professionnels de l’antiracisme feraient tout pour nous empêcher de nous exprimer par notre musique. […] Les lois dictées par la maffia cosmopolite (Loi Pleven et autres) n’influencent pas [sic] notre lutte. […] Si les lois prétendument antiracistes, qui ne sont en fait que des lois antiblanches, continuent à aggraver la discrimination et les injustices envers les peuples légitimes d’Europe, cela ne pourra que créer une situation de crise et de violence. […] La fin de la démocratie cosmopolite viendra bientôt. Alors l’homme blanc européen se sera relevé, aura brisé ses chaînes et, débarrassé de la gangrène judéo-maçonnique, s’écrira [sic]: “France d’abord, blanche toujours!” Vive la victoire30!»

Faurisson, qui a une nette tendance à s’identifier à Céline, l’un de ses maîtres à penser politiques, écrivait en 1979 dans La Revue célinienne:

«Céline n’aimait ni l’argent, ni la guerre. Pour lui, les Juifs de 1936 étaient l’argent et voulaient la guerre. Considérant qu’ils étaient le contraire d’une minorité opprimée, constatant leur puissance dans le monde de la politique, de la finance et des journaux, notant leurs incessants appels à une croisade du monde entier contre leur ennemi personnel Adolf Hitler, il devait publier Bagatelles pour un massacre (1937) et L’Ecole des cadavres (1938) pour mettre les Français en garde contre les dangers d’une nouvelle boucherie31.»

La retraduction de ces motifs antisémites classiques en raisons de l’antisionisme absolu, noyau d’une idéologie antijuive à vocation mondiale, est précisément faite par l’entreprise révisionniste. Les Juifs omnipotents de 1936 sont devenus «les sionistes», et c’est désormais la Troisième Guerre mondiale que les révisionnistes prétendent conjurer32.

En 1975, la réinscription de l’antisionisme dans le discours néofasciste de propagande était chose faite, la retraduction de l’antisémitisme raciste en antisionisme antijuif, au nom de l’antiracisme, était devenue fonctionnelle. Dans un entretien paru dans la livraison de mars-avril 1975 de Défense de l’Occident (no 127), l’écrivain néofasciste Pierre Gripari, alors dans la mouvance du GRECE, présentait ses attaques antijuives comme une réaction de défense antiraciste. L’argumentation griparienne, caractéristique du nouvel antiracisme antijuif, est fondée sur une série d’assimilations et d’amalgames polémiques, constitutive du syllogisme suivant:

  1. Le judaïsme et le sionisme ne diffèrent en aucune manière;
  2. Or, le sionisme, c’est-à-dire le judaïsme, est fondamentalement raciste;
  3. Donc l’antisionisme, qui se confond avec l’antijudaïsme, est une forme d’antiracisme.

Il s’ensuit que l’antisémitisme est l’un des noms, certes mal formé, de l’antiracisme visant le «racisme juif». Etre antisémite, c’est être antiraciste, et en même temps anticolonialiste. Car les Juifs, anciens Hébreux ou actuels sionistes, ont toujours été une «minorité coloniale et raciste». Les propos gripariens sont précieux par la clarté qu’ils jettent sur les représentations profondes qui donnent à l’antisionisme sa force idéologique; leur extraordinaire violence est le reflet non retravaillé de ce mixte de haine et de phobie visant l’élément juif diabolisé:

«Le fascisme n’a pas eu sa chance […]. Cette formule mériterait d’être reprise et honnêtement essayée […]. Quand Mme Golda Meir dit que l’antisionisme et l’antisémitisme, c’est la même chose, elle dit quelque chose qui n’est pas si con. Judaïsme et sionisme, c’est la même chose. Il n’est plus possible de revenir sur la défaite des idées racistes. […] Un Juif russe est un Européen, il n’est juif que par le préjugé raciste […]. Je crois que l’Europe sera antisémite, forcément, parce que antiraciste: les idées juives ont été condamnées au procès de Nuremberg. Il n’y aura pas besoin de faire de lois antisémites, elles existent déjà, elles sont adoptées: par exemple, l’interdiction de propager une doctrine reposant sur la discrimination raciale […]. La “Thora” juive est un texte criminel. L’antisémitisme est en train de renaître avec d’autant plus de virulence que le racisme juif essaie de se faire passer pour démocratie […]. On ne peut pousser loin l’antiracisme sans déboucher sur l’antijudaïsme […]. Dans la Bible, à l’époque des Rois, la situation en Palestine était exactement la même que maintenant, c’est-à-dire que les Juifs n’y représentaient qu’une minorité et une minorité coloniale et raciste […]. Il viendra un temps où les synagogues seront fermées: elles ne peuvent pas ne pas l’être un jour ou l’autre pour propagande raciste. Où les organisations juives, qu’elles soient politiques ou religieuses, seront interdites comme criminelles […]. Si on appliquait le texte biblique, on génociderait tous les non-Juifs de Palestine: l’ordre de génocide est donné dans le Deutéronome33.»

On peut considérer Pierre Gripari, partisan déclaré de la «Droite néofasciste», comme le plus représentatif des doctrinaires de l’antiracisme antijuif.

Pierre Gripari, écrivain acceptant, comme M. Bardèche, le qualificatif «fasciste», est en effet aujourd’hui l’un des rares auteurs reprenant publiquement la thèse de la filiation biblique du racisme hitlérien, et ce, sans les euphémisations utilisées par les dirigeants du GRECE:

«L’autre Droite (la mienne, autre que “la Droite classique, maurrassienne”), est assez souvent flétrie de l’appellation de “néofascisme”, et le terme, ma foi, ne lui va pas si mal. Vu que nous assistons depuis 1944 à la double faillite, aussi bien économique que politique, du socialisme et du libéralisme, il est permis de penser que le fascisme, vaincu par une coalition qui n’a rien su faire de sa victoire, n’a pas eu toutes ses chances, et qu’il ne “passera pas” de sitôt34.»

Après une défense des réalisations sociales du «fascisme», Gripari aborde la question du racisme, sous la forme d’une réponse à la question de savoir si l’Europe peut être construite sur la base de normes raciales, et pose l’existence de la filiation judaïsme/racisme hitlérien:

«Il n’est, bien sûr, pas question de ressusciter le racisme hitlérien, qui n’était en fait qu’un néo-judaïsme: race élue, honneur racial, espace vital et droit au génocide à l’intérieur d’icelui sont en effet les principes de base de la Loi juive, et ce dans quelque traduction qu’on la lise, le texte est assez clair. Vouloir faire l’Europe sur de tels principes, c’est se vouer à l’échec. L’Europe sera faite avec tous les Européens […]. Toute discrimination raciale, qu’elle soit positive ou négative, sera proscrite au sein de la Patrie européenne, ce qui implique, naturellement, l’interdiction d’enseigner le judaïsme sous sa forme actuelle35.»

Cette «Europe fédérée devra tenir la balance égale entre Russes et Américains36» et, du fait que «l’Europe est indissociable de la Méditerranée, et [que] nous avons un destin commun avec l’Afrique», il faut penser le monde arabe en tant qu’allié objectif ou naturel de l’Europe: «Nous sommes proarabes, et cela en dehors de toute question de sentiment37.»

L’articulation d’un antiracisme antijudaïque doctrinal et d’un proarabisme stratégique (géopolitique) implique un engagement antisioniste radical, recourant à un type de légitimation supplémentaire, l’anticolonialisme:

«Bien sûr, nous sommes antisionistes. Israël est en effet un anachronisme: Etat raciste fondé après la condamnation du racisme, Etat colonial fondé au moment même où l’intelligentsia juive faisait tout ce qu’elle pouvait pour que les colons européens se fassent couper les couilles en Afrique aussi bien qu’en Asie… Le sionisme est indéfendable et il faut nous attendre, d’un jour à l’autre, à voir débarquer chez nous une nouvelle vague de Pieds-Noirs — israéliens cette fois38.»

La racisation du judaïsme, du sionisme et d’Israël se formule, dans sa pointe extrême, comme nazification du Juif:

«La guerre de partisans est toujours raciste: la Résistance était raciste anti-allemande, le FNL [sic], raciste anti-européen. Les Juifs qui ont imposé le culte du partisan se voient victimes du choc en retour: étant occupants de la Palestine et imposant à la Palestine un Etat raciste, du seul fait qu’il s’appelle Israël, ils se trouvent dans la situation des Allemands occupant la France, obligés à la même politique de répression39.»

Mais si les Juifs sont nazifiés, le nazisme est aussi bien judaïsé, dès lors que «Juif» et «raciste» sont deux termes rigoureusement synonymes, dotés du même sens et de la même référence:

«Le reproche que l’on puisse faire à Hitler, c’est d’avoir été lui-même “Juif”, dans le seul sens valable des mots, c’est-à-dire un Monsieur qui croyait faire partie d’une race élue et qui avait des droits sur les autres40.»

Hitler aurait donc été «Juif» en tant que «raciste». Dans la même perspective d’un amalgame généralisé du Juif et du raciste-nazi, il était réservé à certains «révisionnistes» radicaux de projeter sur Israël l’accusation de génocide, d’attribuer en propre au sionisme le projet et la réalisation d’une extermination physique d’un peuple tout entier.

L’amalgame judéo-nazi conduit en outre à un argument relativiste cher aux «révisionnistes», celui de la «guerre juive», guerre raciale déclenchée et déclarée par les «racistes juifs» aux «racistes allemands», et dont les vraies victimes auraient été les «indigènes» européens, cette configuration de peuples exempts du virus biblico-raciste. Dans son roman-essai par lettres, Frère Gaucher ou le voyage en Chine41, Pierre Gripari développe l’argument du point de vue populiste de «l’indigène européen» entraîné malgré lui dans l’aventure d’une guerre judéo-nazie ne le concernant en rien. Ce populisme européaniste permet à Gripari de renvoyer dos à dos Juifs et nazis au nom d’une légitime défense des peuples d’Europe, innocentes victimes d’une querelle de semblables, d’une sanglante rivalité mimétique. La conjonction négative (ni Juifs ni nazis) s’accompagne néanmoins d’une hiérarchisation des deux figures du Mal raciste: la Seconde Guerre mondiale aurait été «gagnée» par «le club raciste international», néocolonisateur de l’Europe. Les Juifs se définissent dès lors comme le camp raciste vainqueur, face au camp des vaincus: les nazis. Telle est l’argumentation. Elle définit la position d’un antisémitisme non classique — c’est-à-dire ce que nous avons appelé l’antiracisme antijuif — sans nier pour autant la réalité du génocide des Juifs:

«Je suis exactement le contraire d’un antisémite classique. Quand un homme me dit qu’il est juif, je ne pense pas qu’il est juif, ce qui ne veut rien dire. Je pense qu’il est raciste, qu’il s’imagine sottement faire partie d’une race privilégiée, surnaturellement prédestinée à faire chier le restant de la planète, et cela me gêne. Six millions de racistes ont été massacrés, pendant la dernière guerre, par des gens qui pensaient, là-dessus, exactement comme eux. Inversement, Eichmann a été séquestré, condamné et pendu par des gens qui pensaient exactement comme lui sur le même sujet. Les querelles d’amoureux entre Juifs et nazis me laisseraient indifférent si, par malheur, ce n’était pas l’Europe qui en faisait les frais. La Seconde Guerre mondiale a été, en fait, une guerre coloniale juive. Le club raciste international a perdu 6 000 000 de ses membres dans une guerre qui était la sienne, qu’il a provoquée, déclenchée, et finalement gagnée. Dès lors, de quoi se plaint-il? Pour ce prix-là, il a recolonisé les deux tiers de l’Europe. Pour vingt millions, les Russes, qui, eux, n’ont pas voulu cette guerre, n’en ont colonisé que le dernier tiers, qui est le plus pauvre, encore42!»

Cette réécriture de l’histoire européenne une fois esquissée, Gripari opère une mise à distance de son propre texte, où la critique réflexive débouche à la fois sur une semi-réhabilitation pragmatique (eu égard aux effets criminels comparés) du racisme — paradoxe de l’ironiste venant de professer l’antiracisme —, et sur une légitimation européaniste de la position fasciste:

«Ces idées sont dangereuses, je l’admets volontiers. Cela ne prouve pas qu’elles soient fausses, au contraire… De même pour le racisme: la doctrine judéo-nazie de la lutte des races est aussi fausse et aussi vraie que la doctrine marxiste de la lutte des classes. Elle n’a d’ailleurs pas fait verser plus de sang… Et puis merde! Si les Chinois ont le droit d’être maos, j’estime que moi, indigène européen, j’ai le droit d’être fasciste. Peut-être même en ai-je le devoir43!»

Passons de 1975 à 1982. Le cadre argumentatif désormais fixé autour de l’amalgame «sionisme-racisme-nazisme», la révision de l’attribution de la conduite génocidaire va se déployer sans limites. Au génocide imaginaire, douteux ou mérité de 1941-1945 se substitue le «génocide» hyperréaliste, absolument incontestable, commis en 1982, auquel est désormais décerné le label de suprême intolérabilité: les Juifs, conformément à leur nature trans-historique, seraient passés à l’acte final, les «racistes» israéliens — bras armé du «judaïsme mondial» — auraient commencé à mettre en œuvre leur plan secret d’extermination des Palestiniens, peuple-victime doté, quant à lui, du privilège d’être authentiquement tel.

Après les massacres de Sabra et Chatila, Bardèche croira pouvoir ainsi écrire, non sans précipitation (car avant toute enquête, alors même que les faits n’étaient pas établis ni les responsabilités définies), dévoilant une haine implacable du «sioniste» à travers la logique de l’accusation diabolisante:

«L’extermination systématique des Palestiniens est un authentique génocide: cette “solution finale” dont on n’a jamais pu prouver l’existence aux dépens de l’Allemagne hitlérienne, elle est mise en route sous nos yeux, manifestement, femmes et enfants compris […] Cette fois l’holocauste est retourné: sur les plateaux de la balance, les massacres sont équivalents, le racisme israélien dépasse même en brutalité et en horreur tout ce qu’on a pu écrire sur les excès du racisme hitlérien. L’Etat d’Israël a montré son vrai visage: il n’est plus qu’une nation de proie qui ne respecte aucune loi humaine et qui a renouvelé à trois mille ans de distance les massacres que l’histoire biblique a si complaisamment décrits44.»

La conception essentialiste du Juif se nourrit ainsi de tous les événements rencontrés, quelle qu’en soit l’équivocité, et les transforme en preuves incontestables de la nature invariablement malfaisante du Juif. Et, par de telles pseudo-illustrations probatoires, les praticiens de l’essentialisme démonisant croient pouvoir en même temps, par un raisonnement circulaire, vérifier leurs absolues certitudes de départ. Ici encore, les prétendues preuves empiriques de la malfaisance juive sont construites, par invention pure ou bricolage idéologique, au moyen des évidences antijuives premières. Preuves et conclusions ne se découvrent ni ne s’établissent, elles trouvent toujours à s’illustrer par tout ce qui arrive.


V. L’ultime message de Défense de l’Occident: nationalisme contre sionisme


La dernière livraison du mensuel Défense de l’Occident (qui paraît depuis décembre 1952) se clôt significativement par un article titré: «Israël rempart de l’Occident contre le communisme?» (D.O., 30e année, no 194, novembre 1982), signé Gilles Morandini. A la question posée l’auteur, résumant l’orientation de la revue néofasciste, répond par la négative. L’enjeu est de grande importance dans les milieux des droites radicales (anticommunistes et antilibérales), où les derniers défenseurs d’Israël présentent l’Etat hébreu comme un bastion occidental dans la lutte contre le communisme, aux côtés de la République d’Afrique du Sud. La discussion s’opère donc dans le cadre, supposé évident et valant par lui-même, des seuls intérêts supérieurs de «l’Occident» (les «peuples blancs», leur culture propre et supérieure — ou «différente» —, leurs manières de vivre et de penser n’appartenant qu’à eux-mêmes). Cet utilitarisme occidentalocentrique se transforme, lorsqu’il s’applique aux Etats-nations ou aux ethnies situées hors d’Europe (et d’Amérique du Nord), en un instrumentalisme sans limites.

L’argumentation générale de l’article peut se schématiser en quatre moments. Tout d’abord, l’auteur examine les raisons avancées pour justifier l’existence d’Israël, à commencer par le coût de la culpabilité européenne:

«cette puissance, totalement artificielle, liée uniquement au degré d’aveuglement dans lequel a sombré l’Occident […], repose […] sur les milliards de dollars et les millions de marks que, chaque année, l’Etat américain et l’Etat ouest-allemand versent gracieusement dans les coffres de Tel-Aviv, prix insensé payé à l’holocauste» (p. 29).

Mais au prix payé par «le remords du racisme européen» s’ajoute un argument plus politique: «Voici donc, désormais, que, par une aberration étonnante, Israël serait devenu le fer de lance de la croisade antibolchevique.» S’impose dès lors, second moment, la question de savoir si Israël est bien «le bouclier de l’Occident». Deux arguments sont avancés pour justifier le rejet de l’hypothèse. Un argument idéologique, selon lequel le véritable rempart contre le communisme est représenté par les «pays d’Islam» (thèse reprise de M. Bardèche, D.O., no 64, 1967, p. X) de sorte que, aberrant paradoxe, c’est «l’Occident, rangé derrière son porte-bannière, Israël, qui fait, contre les Arabes, la guerre des Soviétiques». Un argument économique suit: «C’est bien chez les Arabes, nos ennemis, que se trouve ce pétrole […] essentiel pour la survie de l’Occident.» Le bilan-programme publié en juin 1972 par le mouvement Ordre Nouveau, Pour un ordre nouveau, s’en tenait à une vision occidentalocentrique d’expression plus modérée, prônant la paix israélo-palestinienne afin de substituer à l’influence soviétique dans le monde arabe celle de l’Occident. Après avoir rappelé, sans prendre parti, qu’Israël «est, souvent, tenu pour une tête de pont occidental au cœur d’un monde arabe de plus en plus pénétré d’influence soviétique», le texte doctrinal déclarait:

«Le facteur vital de toute politique occidentale doit être la volonté de réduire la pénétration russe dans les pays arabes. La seule possibilité réside dans le retour à la paix […]. La création d’un Etat palestinien représente une mesure de stricte justice […]. Les dédommagements financiers, dus par Israël, devront assurer le démarrage économique de l’Etat palestinien. La fin du conflit israélo-arabe devra s’assortir d’une vigoureuse offensive politique, économique et culturelle de l’Occident afin de reprendre sa place légitime au sein du monde arabe45.»

Ce texte est caractéristique d’une période de transition idéologique: les nationalistes radicaux (européanistes), acquis à la variante utilitariste de l’occidentalocentrisme, sont alors en train de convertir leur pro-israélisme en antisionisme, la conjoncture ayant changé. La crise de 1973 viendra accélérer ce processus de conversion idéologique, et faire basculer la plus grande partie des droites radicales dans le pro-arabisme, au nom même des intérêts de l’Europe (il va sans dire que le surgissement de l’intégrisme arabo-islamique sur la scène politique mondiale, dans les années 80, produira d’autres déplacements tactico-stratégiques). L’article-bilan de Morandini reprend cet héritage du nationalisme «européen» d’après la conversion de celui-ci à l’antisionisme: défendre l’Occident, c’est d’abord, pour les Occidentaux, se défendre contre le sionisme, réinterprété comme la figure principale de l’ennemi intérieur, l’instance dominante du «parti de l’étranger». Dès le début des années 70, on peut observer l’apparition du couple idéologique désignant l’ennemi intérieur démonisé: «sionisme/immigration», couplage qui, dans les avatars ultérieurs du nationalisme français, se stabilisera tout en se manifestant sous plusieurs variantes (dans le discours public du Front national, à partir de 1985-1986, l’euphémisation préférentielle sera la désignation: «le lobby politico-médiatique»)46.

Les vrais intérêts de l’Occident indiquant ainsi la nécessité d’une alliance avec le monde arabe, il suffit de suggérer que les intérêts d’Israël et de Moscou sont convergents pour briser l’image d’Israël rempart de l’Occident. C’est le troisième moment du texte de Morandini:

«C’est Israël qui, depuis trente ans, fait à merveille le jeu de Moscou. C’est le sionisme qui, partout dans le monde, et d’abord en Occident, attaque et combat au nom du racisme et de l’antisémitisme tout ce qui évoque le génie de notre culture et de notre civilisation — par nature antimarxiste, anti-égalitaire, antidémocratique, antidéterministe.»

Sans entrer dans le détail de l’argumentation, l’on peut y relever un appel aux faits accompagné de l’énoncé de deux hypothèses. Si l’Etat d’Israël «est parfaitement incapable d’assurer seul l’existence» de sa population, alors «de deux choses l’une»: ou bien le projet sioniste (créer un Etat national juif) n’est que le masque d’une tout autre entreprise (précisons: de domination universelle), ou bien le projet sioniste est à prendre à la lettre, et la survie d’Israël implique un expansionnisme sans limites assignables (M. Bardèche, D.O., no 64, 1967, p. xv). Car, si Israël ne peut survivre que par la guerre, laquelle implique «une source d’énergie illimitée», il lui faut acquérir par la force les territoires pétrolifères («asservir totalement les peuples arabes», écrivait Duprat en 1967, in D.O., no 64, p. 25), et, par là, «fatalement heurter de front les intérêts — économiques — de l’Occident», impliquant de bonnes relations avec les Etats pétroliers arabes. D’où l’apparition d’une nouvelle lucidité chez les Occidentaux:

«Ils sont de plus en plus nombreux […] ceux qui font remarquer que le véritable combat de l’Occident contre le Bolchevisme se situe en Afrique australe, ou en Occident même, face à la formidable entreprise d’hybridation biologique et culturelle entreprise [sic] depuis trente ans par les soi-disant gouvernements européens.»

Et avec l’aide du «sionisme»… La bonne hypothèse, quatrième moment de l’argumentation, est donc que la véritable nature de l’Etat d’Israël, figure locale du «mondialisme ploutocratique», fait qu’il ne peut que se rapprocher de Moscou. C’est la dernière version de la théorie conspirationniste appliquée à la judéophobie: il y aurait une identité profonde entre le judéo-capitalisme et le judéo-bolchevisme, une substance commune désormais incarnée par une pseudo-nation, Israël. Le sionisme serait le terme commun à la ploutocratie et au bolchevisme:

«Rameau essentiel du mondialisme ploutocratique, l’Etat d’Israël n’a — pas plus que Wall Street — d’intérêts divergents avec le Kremlin […]. La vérité est que, par-delà l’écume trompeuse et les bruits de foule, cheminent des constantes qui ne doivent rien au hasard et trop d’éléments rapprochant sans cesse et partout, dans une lutte monstrueuse contre l’Occident, la ploutocratie, le bolchevisme et le sionisme.»

Il fallait réduire à l’unique et à l’identique l’insupportable diversité des ennemis. Voilà qui est fait: ils ne sont que trois manifestations actives de «la même puissance occulte», cette «puissance immesurable [qui] a éclaté dans l’aridité des déserts du Moyen-Orient». Le Juif, nom de la puissance incommensurable et innommable sans équivoque (d’où la multiplicité des noms et des équivalences symboliques), est la substance commune des adversaires haïs, la base de réduction pseudo-ethnique de leur hétérogénéité. La pulsion identitaire se satisfait ainsi, par l’élaboration d’un mythe répulsif. Dans le numéro 1 et unique de son «Mensuel de lutte contre le Régime»: Année Zéro (mai 1976), F. Duprat dénonçait la colonisation de la France par des «lobbies étrangers» dont le principal était parfois nommé par son nom polémique, «le sionisme»:

«Notre pays n’est plus qu’une colonie […]. Le travail opiniâtre d’Henry Coston et de son équipe a été capital, en mettant à nu le processus de colonisation et d’exploitation de la France par une toute petite clique extérieure à notre peuple.»

Et la «politique étrangère nationaliste» prônée se fonde sur l’axiome d’une alliance secrète entre «démocraties ploutocratiques d’Occident», sionisme et communisme:

«Face aux internationales du capitalisme, du sionisme (qui se confond d’ailleurs peu ou prou avec la première) et du communisme, les nationalistes doivent sans cesse mettre en avant leur objectif numéro un: assurer la survie et le développement de leur peuple et de leur nation.»

Dans l’argumentation du «nationaliste-révolutionnaire» Duprat, révisionnisme et antisionisme s’impliquaient mutuellement depuis le milieu des années 60 — jusqu’à se confondre dans une conception antijuive du monde47.


VI. Le «meurtre rituel» comme destin du juif: dérives racistes du révisionnisme «antiraciste»


Le choix des symboles, des analogies et des métaphores, dans un discours polémique, est régi par des contraintes spécifiques, l’objectif dernier d’illégitimation de l’adversaire pouvant être atteint de diverses manières. Dans la classe des arguments «fondés sur la structure du réel48», l’on rencontre l’attribution de caractères invariables à un type, dont l’essence ou la nature est supposée éternelle. Ainsi «le Juif» serait-il le sujet d’inhérence d’un certain nombre d’attributs permanents, que l’histoire du peuple juif — supposé identique à lui-même — refléterait en les déroulant dans le temps. L’une des procédures polémiques possibles est l’affirmation sous-entendue d’une continuité ininterrompue dans l’histoire réelle, par l’usage d’une expression mythique péjorative à forte charge symbolique. Cette expression identifiante, déplacée hors des limites de son strict champ référentiel, et ainsi généralisée, est transformée en description d’un attribut essentiel de l’adversaire visé. Des topoï culturels se constituent de la sorte. Plus précisément, si l’on donne à la figure nommée dans la vieille rhétorique mythologisme un sens plus large, à savoir «toute évocation d’un modèle historico-mythique pour illustrer un comportement particulier49», on ne peut que constater que le discours antijuif moderne y fait volontiers appel. L’antijudaïsme médiéval représente un stock de lieux communs disponibles, à condition d’être convenablement accommodés au nouveau contexte.

Par exemple, pour suggérer la permanence dans l’histoire du peuple juif de certaines pratiques criminelles, un énonciateur antijuif contemporain emploiera l’expression «meurtre rituel», redéfini comme un attribut fixe de l’être juif, et dont les diverses manifestations historiques seraient repérables. Repris de la mythologie chrétienne antijuive, extrait de son contexte polémique médiéval, l’argument incarné par l’accusation phantasmatique de «meurtre rituel» va être démythologisé et transformé en description du réel historique contemporain (les «événements» en Israël). Le postulat de l’opération d’identification métaphorique est que l’histoire criminelle des Juifs se répète: le Juif étant criminel par nature, l’histoire est le tableau de ses crimes. Ainsi l’antijudaïsme chrétien-médiéval se poursuit-il dans l’antisionisme agnostique contemporain, à travers le réemploi d’une formule accusatoire. Un article non signé, paru dans les Annales d’Histoire Révisionniste au printemps 1988, vraisemblablement rédigé par Pierre Guillaume, directeur de la publication, illustre exemplairement ce procédé rhétorique qui, revêtu d’un ton semi-ironique, opère la réinscription de l’accusation chrétienne dans l’idéologie de l’athéisme militant, dénonçant l’arriération et le caractère criminel des attitudes religieuses en général:

«Dernière minute. Un meurtre rituel se prépare à Jérusalem! Nous apprenons avec stupeur la condamnation à mort de l’Ukrainien John Demjanjuk. Les révisionnistes s’étaient peu intéressés à ce procès de sorcière […]. L’explosion de joie hystérique et les manifestations qui ont ponctué le verdict signalent une inquiétude refoulée et une angoisse profonde de la part du public puisqu’il manifeste ainsi qu’il avait besoin comme d’une confirmation judiciaire de ses “certitudes A elles seules, ces manifestations de joie indécente en la circonstance démontrent qu’il s’agissait là d’un exorcisme. Nous assistons, incrédules, à la préparation d’un meurtre rituel. Mais un mouvement de protestation venant des révisionnistes ne ferait qu’accélérer l’irréparable. Puissent ces lignes inciter ceux de nos lecteurs susceptibles d’alerter efficacement des autorités compétentes à faire tout leur possible pour éviter cette ultime abomination50.»

L’argumentation par martèlement («meurtre rituel», «procès de sorcière», «exorcisme», etc.) se substitue à la démonstration que l’accusé est innocent, ce qui pourrait justifier la dénonciation du procès et de la condamnation comme «abomination». L’évidence antisioniste diabolisante remplace toutes les preuves: quand des juges israéliens condamnent, ce ne peut être qu’en vertu d’une tendance immémoriale au «meurtre rituel». Est-il besoin d’insister plus longtemps sur une telle manifestation d’essentialisme! Si l’essentialisation d’une collectivité humaine définit le noyau dur du racisme, son style cognitif récurrent, alors nous pouvons dire que nous nous trouvons devant un texte raciste.

Que le nouveau racisme antijuif vienne d’un «esprit fort» issu de l’ultragauche antiraciste et antisioniste, alors même que les droites radicales — à la suite du GRECE — retraduisent leur judéophobie en antiracisme conséquent (le droit à la différence pour toutes les races et les nations), c’est là un de ces croisements de positions et d’arguments qui instituent l’espace idéologique comme fondamentalement équivoque, autorisant l’exploitation indéfinie des positions et des représentations indéterminées, instables, susceptibles de métamorphoses inattendues. C’est selon le même paradoxe «normal» que les Protocoles des Sages de Sion, présentés comme un document authentique pour l’essentiel, seront republiés en feuilleton, par les soins d’un libertaire «postrévisionniste», en 198951.

Les développements qui suivent montreront que le tableau de l’antisionisme négationniste est encore plus bariolé: il y faut ajouter les survivances du racisme eugéniste de type national-socialiste. De la même manière que, dans le «postrévisionnisme», coexistent nazis «rénos» et ultra-gauchistes antijuifs, l’archéo-révisionnisme n’a pu exister que par la coexistence de nazis «tradis» (tel G.-A. Amaudruz) et d’éléments «non conformistes» réputés de gauche ou d’ultra-gauche. Dans le discours néonazi traditionnel, un couplage idéologique est central: dénonciation de l’immigration-invasion, en tant que destructrice de l’identité raciale et culturelle de l’Europe blanche, et défense de la liberté d’expression des révisionnistes, présentés comme d’héroïques non conformistes luttant contre «le dogme des chambres à gaz» et la «fable des six millions», bref contre le «mensonge d’Auschwitz» dénoncé comme le paradigme des mensonges «officiels» des démocraties et le pilier de leur existence corruptrice.


VII. Racisme aryaniste et révisionnisme radical


Gaston-Armand Amaudruz, secrétaire général du Nouvel Ordre Européen depuis la fondation de l’organisation néonazie en 1951, a publié au printemps 1987 un petit livre de synthèse, Les peuples blancs survivront-ils?52, où sont exposés les principes et les objectifs du racisme aryaniste traditionnel, fondé sur la doctrine dite du «réalisme biologique». Les 18 et 19 avril 1987, à la sortie du livre, s’est tenue à Barcelone la 18e assemblée du Nouvel Ordre Européen qui, à l’issue de ses travaux, a diffusé un communiqué précisant ses objectifs. Ceux-ci tournent autour du rejet absolu de l’immigration d’origine afro-asiatique présentée comme une «invasion», et leur exposé s’accompagne d’une dénonciation de la «répression» dont seraient victimes «les oppositions nationales». Cette catégorie idéologico-politique nous intéresse particulièrement, pour ce qu’elle comprend au même titre des néofascistes italiens liés au terrorisme «noir» (Stefano Della Chiaie), des néonazis et antisémites allemands (Thies Christophersen, Michael Kühnen), et des révisionnistes français, ex-militants soit d’obédience néonazie (Roques), soit d’obédience révolutionnaire «marxiste» (Guillaume). Ce texte est, pour l’essentiel, le suivant:

«Le Nouvel Ordre Européen s’est donné comme but de défendre notre communauté raciale […]. Conformément à la 2e Déclaration de Lyon, tout acte favorisant l’invasion de l’Europe par des populations afro-asiatiques constitue un crime contre le peuple. Le rapatriement des allogènes est une nécessité. En attendant, les peuples sont en état de légitime défense et doivent résister à l’invasion par tous les moyens. Les journalistes et écrivains (surtout dans les mass media) partisans de cette immigration seront tenus personnellement responsables. Le métissage culturel accompagne, accélère et aggrave le métissage physique. Il faut rétablir les communautés naturelles et traditionnelles: la famille, la cité, la région, la nation, la race, et combattre les communautés artificielles (sectes, partis, classes, etc.). […] L’assemblée relève les nombreux cas de répression contre les oppositions nationales [je souligne] dans le monde soi-disant libre des démocraties occidentales. En voici quelques-uns à titre d’exemple:

Reportons-nous à l’essai crépusculaire d’Amaudruz. Le «professeur et raciologue émérite» y présente le «révisionnisme historique» dans la perspective du national-racisme européen (nommé par ses partisans: «social-racisme»)54, sans les précautions habituelles de langage auxquelles recourent les acteurs politiques recherchant une légitimité idéologique (tels les dirigeants du Front national) ou les auteurs en quête d’une légitimité culturelle (tels les animateurs de la nouvelle droite). L’argumentation d’Amaudruz, dont la forme est démonstrative, peut être décomposée en six énoncés, qui permettent de caractériser le cadre doctrinal dans lequel les thèses dites révisionnistes prennent sens.

  1. L’axiome introduisant une vérité éternelle sur l’histoire humaine: l’histoire «a toujours été écrite par les vainqueurs.55» La proposition est précisée par l’identification de deux finalités distinctes, justification et prévention: «D’une part, pour justifier les traitements infligés à leurs adversaires; d’autre part, pour empêcher toute revanche de ceux-ci.56» L’illustration qui suit immédiatement introduit la dimension antijuive, à travers une allusion culturelle à la Bible: «L’Ancien Testament regorge de massacres ordonnés par Dieu, comme celui des habitants de Jéricho qu’il a fallu tuer, femmes, enfants — et bétail! — compris […] Il en va de même à notre époque.57» Une seconde illustration intervient pour renforcer et actualiser l’évidence du postulat, par référence à un précédent reconnu:
    «Au lendemain de la Première Guerre mondiale, chacun croyait à l’enfant belge aux mains coupées par les Allemands. Il fallut attendre plusieurs années pour que le gouvernement britannique avouât ce mensonge. Quant aux responsabilités, il fallut plus de temps encore et les efforts conjugués des révisionnistes pour parvenir à un minimum d’objectivité58.»

    Bien que le mensonge de propagande n’eût sa pleine valeur fonctionnelle qu’en temps de guerre, l’auteur révisionniste insiste sur la résistance au dévoilement de la vérité manifestée par les inventeurs dudit mensonge. Il suppose donc l’existence, à la fois, d’une tradition politico-militaire du mensonge, d’une véritable organisation de la résistance à la vérité, et d’une tradition révisionniste, vouée depuis les lendemains de la Première Guerre mondiale à la recherche et à l’établissement de la vérité.

  2. L’application de la vérité éternelle sur l’écriture de l’histoire à la période faisant l’objet de la démonstration, d’une part articulée à la précédente par un rapport d’analogie, d’autre part spécifiée par la définition d’une différence de finalité et l’affirmation que le «mensonge» n’a pas été reconnu comme tel parce qu’il est toujours doté d’une valeur fonctionnelle, et ce pour plusieurs utilisateurs et bénéficiaires (Etats-Unis, Union soviétique, Israël, soit les «maîtres du monde» depuis 1945):
    «Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, même situation. Mais aucun gouvernement ne rétracte ses bobards. C’est que, cette fois, il s’agit de maintenir l’Allemagne divisée, donc impuissante, satellite soviétique d’une part, protectorat américain d’autre part. Il s’agit aussi, pour Washington et Moscou, de se partager le reste de la planète en zones d’influence. En outre, la fable des six millions et des chambres à gaz permet à Israël et à diverses catégories de Juifs de toucher de substantielles indemnités. Et elle sert de moyen de chantage à tous les niveaux et en faveur de toutes les forces de la décadence59.»

    L’explication de la permanence du «mensonge» de propagande après le conflit de 1939-1945 s’opère ainsi par référence aux intentions cachées de divers acteurs collectifs qui, sur les plans politique et économique, poursuivent la guerre mondiale par d’autres moyens que militaires. L’explication polyfonctionnelle enveloppe la représentation de forces distinctes dotées d’intentions occultes et d’intérêts spécifiques, mais fédérés par un pacte secret visant à préserver la crédibilité du «mensonge». Le tableau conspirationniste de la politique mondiale inclut l’idée national-socialiste d’une «lutte pour la vision du monde», retraduite en celle d’un conflit absolu entre deux visions du monde: celle des vainqueurs réduits à un ennemi unique (les puissances israélo-américano-soviétiques, variante contemporaine de l’alliance postulée, à la suite des Protocoles des Sages de Sion, entre «judéo-bolcheviks» et «judéo-capitalistes») et celle des vaincus (le camp de la «défense de la race blanche»). Les premiers étant diffuseurs et bénéficiaires du «mensonge», les seconds porteurs de la vérité, et victimes en tant que tels.

  3. L’actualisation de la lutte entre irréductibles visions du monde: cette lutte titanesque mettrait aux prises l’idéologie commune des vainqueurs, fondatrice de leur accord «antifasciste» situé en deçà des différences de régimes politiques et de leurs divergences de surface, et le corpus des vérités du «réalisme biologique», doctrine des «peuples blancs» non corrompus par les nuisances idéologiques engendrées par l’«écume» intellectuelle du «déchet biologique» (mondialisme, cosmopolitisme, internationalisme, etc.). Sur la scène planétaire se feraient face les ennemis réels: d’une part, les démocrates cosmopolites et antiracistes; d’autre part, les Européens qui s’affirment «racistes»60. Amaudruz pose la relation polémique fondamentale entre «nous autres racistes» et «eux», les partisans de la démocratie:
    «Le phénomène présente une gravité particulière sur le plan des idées. Les vainqueurs de 1945 n’hésitent pas à imposer leur religion: la démocratie — libérale ou populaire, peu importe — avec son cortège de dogmes contre nature. Pour nous autres Européens occidentaux, qui subissons le venin “libéral”, c’est le suffrage universel, dictature du 51 % manipulée par les ploutocrates, la destruction des communautés naturelles, y compris la famille, liberté de malfaire [sic] (avortement, homosexualité, pornographie, drogues “douces”…), interdiction de réagir (lois antiracistes de type “Pleven”). Et nous en passons61.»
  4. Le dévoilement de la vraie fonction générale des «bobards»: détourner les peuples des véritables problèmes et de leurs solutions, pour détruire l’identité et la vitalité des peuples, et les asservir plus facilement. Les «mensonges des vainqueurs» sont:
    «ces idées nocives [qui] peuvent conduire aux catastrophes, et même à la disparition des peuples. Et cela principalement en empêchant de résoudre les problèmes de survie. Dès l’instant où l’on décrète que fascisme, national-socialisme, dictature, racisme représentent le mal absolu […], on s’interdit toute solution rappelant celles de ces régimes62».

    Les exemples répulsifs préférentiels portent sur l’immigration d’origine extra-européenne et sur la dénatalité:

    «Vous vous opposez à l’invasion de couleur? Vous désirez rapatrier les Afro-Asiatiques? — Nazi! — Vous êtes contre l’avortement libre? — Nazi! vu votre natalisme63.»

    Et de relever ironiquement une inégalité de traitement au détriment des «peuples blancs»:

    «Rien à redire en revanche a l’aide au tiers monde qui provoque l’explosion démographique, car les allogènes échappent à tout soupçon de “nazisme”64.»

    Le «mythe» instrumental à double face, «les six millions» et les chambres à gaz homicides, constituerait donc l’arme absolue contre toute tentative de trouver une solution positive aux vrais problèmes de société, par usage systématique de l’amalgame avec la «barbarie nazie»:

    «Jusqu’à ces pauvres homosexuels qui ont bien “droit à leur différence Vouloir les empêcher de corrompre la jeunesse équivaut à réactiver les chambres à gaz (l’homosexualité était interdite en Allemagne nationale-socialiste)… Jusqu’à ces malheureux débiles, hydrocéphales idiots qui ont bien le droit de naître et que les “nazis” voulaient empêcher de venir au monde65.»

    Les démocraties ploutocratiques et mondialistes sont des régimes favorisant le déclin biologique de la population, par des mesures réellement complémentaires bien qu’apparemment contradictoires, poussant d’une part à conserver les éléments dysgéniques par le rejet d’une eugénique négative systématique et permettant d’autre part d’éliminer les éléments eugéniques par l’avortement non contrôlé:

    «A la limite, quiconque veut éviter le pilori doit condamner l’avortement des anormaux tout en exigeant l’avortement des normaux66.»

    Amaudruz résume ainsi la situation dans les démocraties dominées par les «forces de la décadence»:

    «Il devient pratiquement impossible de proposer une quelconque solution importante sans qu’on vous reproche les “six millions”: Les “nazis” s’étaient déjà attaqués à telle question, vous les imitez. Interdiction de résoudre les grands problèmes, dont l’ensemble — toujours plus écrasant — constitue la décadence moderne67.»

    Telle est la mise en scène des forces qui s’affrontent dans un espace manichéen: les «défenseurs de la communauté raciale aryenne68» contre les «décadents69»; ou, par transposition mythique: Héraclès venant délivrer Prométhée en tuant le «vautour de la décadence70».

  5. La légitimation du «révisionnisme historique» par l’impératif inconditionnel de lutter contre «les forces de la décadence», le rejet des «mensonges» imposés par «les vainqueurs» étant le premier acte de la lutte idéologique contre les puissances qui asservissent «l’âme des peuples blancs71»:
    «D’où la nécessité du révisionnisme historique, bious ne demanderions pas mieux que de laisser les morts enterrer les morts. L’important, c’est l’avenir de nos peuples, biais les forces de la décadence nous contraignent au révisionnisme en cherchant à interdire les solutions rappelant tant soit peu celles d’une époque relativement récente72.»

    Mais le révisionnisme à la Faurisson n’est lui-même qu’une composante de la contre-révolution culturelle nécessaire:

    «Le révisionnisme historique fait partie d’un révisionnisme plus général et qui englobe toutes les idées, et mêmes toutes les valeurs de la décadence. Ce qu’on enseigne dans les écoles, ce qu’on appelle culture est à 90 % une toxine mortelle à éliminer73.»

    La justification «sociale-raciste» de la nécessité d’une révision radicale et totale74 s’opère au nom du savoir exact requis par l’action:

    «Les nécessités de la lutte imposent un révisionnisme général — historique en particulier. Car comment résoudre un problème vital à partir de données inexactes75?»

    Les objectifs de l’action propre à «l’homme de l’ascension76» sont tous des aspects complémentaires de la «défense de la race77», qui définit la condition même du «salut78».

    S’il faut accomplir la «Révolution européenne»79, c’est pour établir une Europe «sociale-raciste80». Ses premiers acteurs sont précisément «les défenseurs de notre race81», les «défenseurs de la communauté raciale aryenne82» regroupés au sein du Nouvel Ordre Européen, «société d’étude de problèmes83». Et Amaudruz appelle les «chercheurs» à participer à un tel «courant de pensée», à «celui qui constitue le premier acte de préparation de la révolution sociale-raciste.84»

  6. La vision conspirationniste des ennemis présente ces derniers comme un couple de puissances complices complémentaires manipulées par une surpuissance occulte et cosmopolite. Ce triangle international du mensonge officiel, ce trépied qui soutient et exploite les «bobards» historiques, c’est l’obstacle à éliminer pour réaliser le programme social-raciste. Le révisionnisme historique est le premier coup porté à cet ennemi à trois faces, car:
    «il n’y a rien à espérer des historiens officiels, de ces professeurs d’histoire payés par les régimes en place pour propager les “vérités” utiles au condominium américano-soviétique noyauté par les diasporas juives [je souligne]. L’histoire professorale des professeurs d’histoire est d’un conformisme désolant. Nous devons les victoires révisionnistes depuis 1945 à des francs-tireurs, de Rassinier à Faurisson, les historiens de métier, eux, se trouvant à la solde de la décadence85».

    On notera avec soin la présupposition de ce dernier énoncé: l’opposition des «francs-tireurs» et des «historiens de métier» implique que Rassinier ou Faurisson ne sont pas des historiens professionnels, mais, comme le contexte l’indique, des êtres supérieurs voués par leur nature à défalsifier l’histoire, et, partant, à remonter la pente de la décadence. On ne commentera pas cette réaction mégalomaniaque bien connue des illuminés sectaires persuadés de détenir la Vérité et d’être bâillonnés par un conformisme répressif au service de puissances occultes. Ni ce ressentiment «antigros» caractéristique de l’attitude populiste, s’exprimant notamment par la dénonciation litanique des fausses élites en place. Ce qui nous intéresse plus particulièrement ici, c’est la réinterprétation conspirationniste, mettant en jeu les représentations antijuives de base, du tableau polémique dressé des «professeurs d’histoire payés» pour mentir et tromper. On retrouve cet ensemble de représentations, agrémentées de xénophobie racistoïde, dans la revue Revision, comme l’indique ce passage qui m’est consacré:

    «De père russe, de mère franco-polonaise, Taguieff n’a jamais quitté l’école. Il croit ce qui est écrit dans les manuels scolaires. […] Cet homme croit savoir, alors qu’il ne sait rien et que le génie français lui est toujours demeuré étranger. […] C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il est devenu membre du CNRS. Dans cette officine juive, surtout en sciences sociales, les responsables du recrutement des chercheurs sont amenés à s’entourer de quelques goys [sic], afin de donner le change, de sauver la face. Mais ils ont préférentiellement recours à des gens d’origine étrangère, particulièrement perméables aux représentations qui sont faites de la vie en société dans la presse et à l’Université, mais réfractaires à ce qui touche à l’histoire et à la culture françaises, décidément complexes et dont ils n’ont qu’une connaissance de seconde main86.»

Revenons brièvement à la prose du maître Amaudruz, à sa vision d’un avenir radieux des «peuples blancs» qui lui paraît assuré par la réussite inéluctable de l’entreprise négationniste. En effet, dans son livre, le chapitre consacré au «révisionnisme historique» se termine par une prophétie sociale-raciste: «Demain, l’histoire sera récrite par ceux que la nature aura choisis pour sauver la vie montante87.». 


VIII. Retour aux Protocoles: la naissance du post-faurissonisme


Nous sommes à Paris au printemps 1989. Avec une curiosité inquiète nous découvrons à la librairie Ogmios une nouvelle publication d’allure révisionniste, et dont «l’inspiration», précise un certain Attila Lemage dans son éditorial de présentation, «peut être dite voltairienne» (Revision, no 1, mars 1989, p. I). L’article qui suit s’intitule «Misère du révisionnisme», et il est signé par un dénommé Alain Guionnet (ibid., pp. 1-4). Serions-nous en présence d’un pastiche? Ou d’une parodie lautréamontienne? D’un détournement situationniste? Ou simplement d’un pamphlet antirévisionniste? La gauche intellectuelle aurait-elle décidé de passer à la contre-offensive, face à la multiplication des écrits révisionnistes? Nos illusions se dissiperont bien vite. Prenons pour seul indice la dernière page de Revision. L’antisionisme démonologique s’y marie, selon un rituel rhétorique désormais de rigueur, avec la négation des chambres à gaz homicides:

«Le combat sur les chambres à gaz, pour indispensable qu’il soit, n’est que la partie émergée de l’iceberg; l’important étant de combattre le despotisme qui s’avance, déguisé, saupoudré de morale démocratique. Dans le jeu de ses partisans, Israël n’est pas la carte maîtresse, mais bien plutôt une création tout artificielle, destinée à jeter de la poudre aux yeux. A la fois mystification et imposture, l’Etat juif sert à brouiller les cartes et à fasciner les gogos» (Jacques Moulin, «Israël, ce subterfuge», ibid., p. 8).

A côté de cette leçon d’analyse démystificatrice, une dénonciation: «La radio juive ment.» Et, en bas de page, une immense plaisanterie: «Quelle est la hantise d’un révisionniste? Faire un four.» Nous sommes dès lors édifié…

Le professeur Faurisson vient donc d’avoir des enfants illégitimes, hors des respectables enceintes de l’Université. Et des rejetons dont il se serait volontiers passé, comme porte à le croire un droit de réponse que la revue Revision publie dans sa livraison de septembre 1989 (no 7, p. 16), à côté d’un extrait du classique fameux du pangermanisme raciste (La Genèse du XIXe siècle de H.S. Chamberlain), d’une lettre inédite du premier grand maître français du révisionnisme, Paul Rassinier, et des derniers chapitres des fantasmagoriques Protocoles des Sages de Sion88. Du coup, les faurissoniennes Annales d’Histoire Révisionniste (no 1, printemps 1987) paraissent aussi prudentes que modérées! Revision n’a que faire des précautions langagières d’un Faurisson, relégué au stade de précurseur timoré. Désormais, lorsqu’on est un jeune et nouveau révisionniste, on ne dénonce plus seulement les «Juifs extrémistes» ou les «sionistes» (par définition mondiaux ou mondialistes), mais les Juifs tout court. La republication en feuilleton des Protocoles marque le retour d’un discours antijuif direct: judéophobie radicale et sans fards, telle qu’on ne la trouvait guère, depuis le procès de Nuremberg, que dans la propagande soviétique ou dans celle de certains pays arabes (auxquels l’Iran s’est joint depuis quelques années).

Le mensuel Revision, fondé et dirigé par Alain Guionnet (alias «l’Aigle noir», Attila Lemage, Jacques Moulin, etc.), paraît depuis mars 1989 (no 1). La rédaction entretient des relations conviviales et militantes avec le groupe néonazi qui tient la librairie Ogmios (Trystan Mordrel, exclu du GRECE, et Jean-Dominique Larrieu, alias Bertrand Leforestier, cofondateurs des éditions Avalon, qui ont offert en 1986 au public français la première traduction du Mythe du XXe siècle d’Alfred Rosenberg, «le père de la littérature nationale-socialiste»), et plus particulièrement avec Olivier Mathieu89 qui, après avoir fait partie de la mouvance du GRECE, n’y a pu entrer en raison de ses tonitruantes déclarations hitlériennes et antisémites publiques (du type, à propos de Jean-Edern Hallier: «Demi-métis, tiers de youtre…», Revision, no 7, p. 15). La librairie Ogmios est devenue le lieu de rencontre de tous les courants du révisionnisme et le principal diffuseur de leur littérature: le premier catalogue d’Ogmios-Diffusion, «Livres de chez nous» (été 1987), s’ouvrait sur la présentation de «quelques amis», dont l’antisémite et antimaçon professionnel Henry Coston, suivi par Henri Roques, dont la solide réputation de martyr révisionniste est hexagonalement connue.

L’ultra-gauchiste (à l’en croire) A. Guionnet prône une extension du révisionnisme à l’histoire mondiale, falsifiée radicalement, selon lui, par «le judaïsme» (en termes guionnétiens: l’ensemble formé par les tribus nommées «Khonfektioneurs», «Fhourreurs», etc., venant des «Hauts du Centhier, des Marais, des confins d’Haboukir», no 1, p. 4). Bref, la «révision de l’histoire» guionnétienne est infiniment plus ambitieuse que le très limité «révisionnisme historique» des faurissoniens orthodoxes, lesquels ont le tort de «concentrer leur propos sur les foutues chambres à gaz et le prétendu génocide des Juifs de la dernière guerre» (no 1, p. 1). Il s’agit pour «l’Aigle noir» de «lever des zones d’ombre ayant ou non un rapport direct avec la critique du judaïsme» (ibid.), de combattre le «terrorisme culturel» des «membres de la Diaspora» (p. 8), responsables du discours «judéo-crétin» (p. 1) tenu non seulement par les «intellectuels juifs» mais par tous les défenseurs de l’«imposture», tant du «prétendu génocide» que d’Israël (p. 8). Ce qui implique de dénoncer «les discours démocratouillards» (p. 8), qu’ils viennent des Juifs ou des goyim. C’est pour baptiser la différence spécifique de Revision qu’O. Mathieu introduit l’expression autodésignative de «postrévisionnisme» (no 2, avril 1989, p. 15): «Le postrévisionnisme, c’est un révisionnisme totalement déculpabilisé, “détabouisé”, dynamique, offensif» (ibid.).

Dans un entretien paru dans une revue néonazie belge, Olivier Mathieu, chantre désormais principal du «postrévisionnisme», résume ainsi ses thèses fondamentales:

«Oui, les douches des camps étaient des douches, et rien que cela. Oui, la majorité des 360 000 morts juifs et non juifs des camps de concentration nationaux-socialistes sont décédés du typhus et autres maladies. Non, Hitler ne voulait pas la guerre. Oui, ce sont les Juifs qui ont provoqué la Seconde Guerre mondiale. Oui, ce sont les Juifs qui ont gagné cette Seconde Guerre mondiale. Oui, les Allemands ont été accueillis à bras ouverts par les peuples de l’Est. Non seulement Hitler n’était pas fou, mais encore il fut l’un des plus grands génies politique, militaire, historique et poétique de l’humanité. Oui, le national-socialisme, seule démocratie réelle au xxe siècle, fut un apogée. L’apogée de la merveilleuse barbarie, aux antipodes de cette “civilisation” qui, il ne faut pas l’oublier, n’est jamais, partout et toujours, que le totalitarisme ethnocidaire juif. N’en déplaise à M. Steinberg, le livre le plus génocidaire n’est pas Mein Kampf, c’est la Bible. Oui, le national-socialisme, techniquement, culturellement, a presque tout inventé» (O. Mathieu, «Le postrévisionnisme est né à la Foire du Livre de Bruxelles» [11-19 mars], in L’Assaut, no 14, avril 1989, p. 7)90.

L’attirail idéologique du groupe Ogmios — Revision comporte des tracts autocollants, sur lesquels on peut lire par exemple: «Rapport Leuchter: Finies les chambres à gaz!» (signé: «Section Française de l’internationale Révisionniste»), «Durafour, ça chauffe les chambres à gaz?», «Revision, le seul journal antijuif», «Cabalistes, cachez “vos” Protocoles !».

Il résulte de ces prémisses une redéfinition de l’antisémitisme, assumé par O. Mathieu: «Je hais les Juifs non pour ce qu’ils m’ont fait, mais parce qu’ils sont juifs» (Revision, no 2, p. 15). Et de préciser: «Mon ennemi, c’est le système juif que Guillaume Faye a défini par la Soft-idéologie» (p. 16). Il faut ici rappeler que, sous le pseudonyme de Pierre Barbés, G. Faye a collaboré à la rédaction du livre si souvent cité depuis sa parution, du journal Le Monde à National-Hebdo: La Soft-idéologie (Paris, R. Laffont, 1987), dont l’auteur officiel est François-Bernard Huyghe (ancien collaborateur de Défense de l’Occident et proche du GRECE); il convient également de rappeler que le mensuel provocateur et racistoïde J’ai tout compris a été fondé par le même G. Faye, secondé par O. Mathieu (cf. le no 2, février 1987: «SIDA. Bonjour l’holocauste»). Comme il y a quarante-sept ans, il faut savoir décoder. Nous savons déjà que, dans la rhétorique national-populiste, le «lobby cosmopolite» peut le plus souvent se décrypter pour donner la traduction simple: le lobby juif (= «l’internationale juive» = «le sionisme mondial»). Mais les voies de la reformulation sont imprévisibles. Or, le décryptage de l’expression polémique de «soft-idéologie» nous intéresse particulièrement, du fait de son actuelle diffusion débordant largement les milieux d’extrême droite: l’expression signifierait ainsi, en clair, l’esprit juif (voir le témoignage d’O. Mathieu, in Revision, no 7, septembre 1989, p. 16). Or, l’esprit juif serait de part en part un phénomène pathologique: il faut, déclare O. Mathieu, considérer les Juifs «comme des malades sinon irresponsables, du moins déterminés» (no 2, p. 15). Les effets pathologiques de la circoncision expliquent en partie le fait que «l’antisémitisme est une création juive» (A. Lemage, in no 3, mai 1989, p. 1; sur les méfaits de la circoncision chez les Juifs: Xavier Valla [sic], «La honte de Judas», in no 4, juin 1989, pp. 2 et 5). C’est dans ce contexte idéologico-délirant que Revision commence la publication en feuilleton, dans le numéro 3 de mai 1989, des Protocoles des Sages de Sion, et n’hésite pas à présenter le plus célèbre faux de l’histoire occidentale comme un document authentique, dont l’original, rédigé en français, aurait été perdu (d’où la retraduction [?] de la version russe de G.V. Boutmi). C’est à la lumière des Protocoles que «l’Aigle noir», dans un tract daté de janvier 1989 («Ciel, mon prépuce!»), caractérise la France comme «le plus grand pays juif d’Europe», où «les coteries juives et leurs complices persistent dans leur volonté de couper la verge à tout le monde et de fouler aux pieds la liberté de la presse, de l’imprimerie et de la librairie». L’éditorial du n" 7 (septembre 1989) de Revision traduit cette vision horrifique en langue châtiée: «La plupart des organes du pouvoir en France sont aux mains d’Israël et de ses sages. A tel point qu’il se pourrait que “la conquête pacifique de l’univers” par les Sages de Sion soit bientôt parachevée» (p. 1).

C’est pourquoi Attila Lemage dénonce «la démocratie totalitaire, cette pieuvre dévorante à laquelle personne n’échappe», et qui «étouffe les gens dans ses tentacules» (no 5 et 6, p. 1).

Il faut néanmoins préciser que, dans cette France totalitaire aux mains des Sages de Sion, Revision a obtenu un numéro de commission paritaire (71125), qu’on trouve cette revue des «nazebroques» et des ultra-gauchistes réconciliés dans la plupart des kiosques parisiens, ainsi que dans les librairies des grandes villes de province. La déjudaïsation de la France aurait-elle commencé? Le surgissement de «l’Aigle noir» annoncerait-il la venue des «cavaliers de l’apocalypse» (tract, janvier 1989) pour la délivrance finale? C’est ce que prophétise Attila Lemage, pour qui, «en cette fin de siècle […], le salut est tout entier dans le révisionnisme» (no 7, p. 15), lequel, précise O. Mathieu, «sera post-révisionniste, ou ne sera plus» (Ibid.). Simple délire antisémite, et qui tombe sous le coup de la loi du 1er juillet 1972, se contenteront de diagnostiquer les partisans sereins d’un antiracisme strictement répressif. Mais, si le phénomène demeure aujourd’hui marginal, il n’est pas vain de s’interroger sur sa valeur d’indice, tant il est vrai que, depuis 1945, les écrits antijuifs d’une telle violence ne circulaient guère que sous le manteau. Ils sont aujourd’hui en vente libre: doit-on glorifier la liberté d’expression régnant en France, ou en constater les effets pervers, ainsi que la relative impuissance de la loi du 1er juillet 1972 face à l’intellectualisation révisionniste du discours antijuif? Une réflexion sans complaisance sur la législation antiraciste et ses conditions d’application s’impose. Mais, au-delà des poursuites judiciaires, que faire pour contrer cette installation nouvelle des représentations antijuives dans l’espace public français? Voilà une interrogation redoutable, qui concerne au premier chef le système scolaire, et corrélativement le système médiatique.


IX. Racisme, nouvelle judéophobie et corruption idéologique de l’antiracisme


Les analyses que nous avons présentées autorisent la formulation des conclusions suivantes, constats et hypothèses:

  1. Les discours judéophobes examinés montrent que deux grandes reformulations idéologiques dominent: l’antisionisme et le révisionnisme/négationnisme91. Ces deux détours symboliques caractérisent essentiellement le nouvel «antisémitisme» (l’expression étant conventionnelle, nous ne l’utiliserons qu’en rappelant qu’elle est mal adaptée à son objet, dès lors que la judéophobie ne se confond pas ou plus avec le racisme visant spécifiquement les Juifs). Ces deux retraductions idéologiques contemporaines de la judéophobie sont désormais d’usage international. Encore faut-il relever leur inégalité de développement, de diffusion et d’acceptabilité: si en effet l’antisionisme fonctionne comme une vision du monde constituée, après avoir assimilé les représentations anti-impérialistes et «antiracistes», le révisionnisme ne peut circuler et acquérir une légitimité culturelle et politique qu’en s’intégrant dans l’antisionisme. C’est précisément à cette intégration idéologique que nous assistons dans les années 80, débordant désormais les activités de ce laboratoire au double personnel qui, né de la rencontre entre révisionnistes néonazis et antisionistes d’ultragauche, aura synthétisé les représentations antijuives et défini les schèmes accusateurs, autour d’une image centrale: Israël et la Diaspora constituent une «internationale juive» (le «sionisme international») qui, visant la domination du monde, tire sa légitimité d’une «gigantesque escroquerie politico-financière», rendue possible par le «mensonge des six millions». Il faut bien constater que c’est par l’intervention de Faurisson et de ses disciples «révolutionnaires»/ marxisants qu’a pu s’opérer la synthèse idéologique: l’argumentation révisionniste intégrée dans l’antisionisme lui doit son apparente cohérence, et sa puissance de séduction, due à une exploitation particulièrement réussie d’une autoprésentation victimaire, apte à émouvoir en les aveuglant les intellectuels, défenseurs professionnels de la liberté d’expression. La martyrologie faurissonienne a été couronnée par cette inversion: le vrai Juif, le persécuté réel, c’est Faurisson92, c’est le révisionniste ou le «postrévisionniste», et les Juifs légaux sont des imposteurs, des escrocs, des menteurs.
  2. Ce système de reformulations et de retraductions idéologiques coexiste avec les fragments d’un héritage antijuif. La persistance des représentations détachées des formes précédentes de judéophobie permet de comprendre la formation de divers syncrétismes doctrinaux, où des représentations antisionistes et révisionnistes viennent se mélanger avec les évidences durables de l’antisémitisme politique93 et/ou avec celles de l’antijudaïsme catholique. A partir de ces éléments représentatifs et pulsionnels (dominés par le ressentiment)94, de multiples combinaisons sont possibles, et observables, variant notamment selon les traditions culturelles nationales. La singularité française se détermine d’abord par la structure d’accueil qu’est son antisémitisme politique, dont la représentation centrale est celle du Juif dominateur, puissance occulte, qu’il prenne le visage du Juif d’Etat (aujourd’hui: S. Veil, L. Fabius, R. Badinter, etc.) ou celui du Juif de média (Y. Levai, A. Sinclair, J.-F. Kahn, J.-P. Elkabbach, etc.), rituellement dénoncés par les leaders du national-populisme95. Cette forme nationaliste de la judéophobie implique la dénonciation du cosmopolitisme, du mondialisme, de l’internationalisme, au point que désigner les «cosmopolites», c’est désigner essentiellement les Juifs. Résurgence d’un traditionnel détour symbolique: Juif et cosmopolite s’entre-symbolisent. Jusqu’à l’identification. Il en résulte bien des jeux rhétoriques, ceux devant lesquels la loi du 1er juillet 1972 marque souvent son inadaptation. A cette nouvelle configuration antijuive, l’intégrisme mêle les accusations catholiques traditionnelles, et sa variante traditio-nationaliste (cf. J. Madiran, B. Antony) réinterprète le tout à la lumière d’une assimilation polémique: l’identité française, c’est l’identité indistinctement nationale et chrétienne, exclusive de tout élément étranger.
  3. Nous avons pu observer un certain nombre de combinaisons idéologiques dont il faut tirer les conséquences apparemment paradoxales:

    • couplage entre nouvelle judéophobie (antisionisme/révisionnisme) et antiracisme (que celui-ci soit authentique ou non, instrumental ou naïf, etc., ne nous intéresse pas ici: il est déclaré, et c’est un fait idéologique qu’il faut interpréter);
    • couplage entre nouvelle judéophobie et racisme (soit à base biologique, soit à base culturelle-identitaire).

    Voilà donc ce qu’un analyste des configurations idéologiques contemporaines peut constater: la nouvelle judéophobie fonctionne avec ou sans racisme, mais aussi bien avec ou sans antiracisme. Ce constat nous amène à redécouvrir la spécificité de toutes les formes de judéophobie, leur irréductibilité aux formes biologiques ou culturelles du racisme. Le dévoilement de l’irréductibilité de ce qu’on appelle l’antisémitisme au racisme a une première conséquence logique: nous ne pouvons plus globaliser la «lutte contre le racisme et l’antisémitisme», contrairement à la pente suivie par un antiracisme politiquement instrumental96 et conceptuellement confus de part en part. La «lutte antiraciste», malgré nos trop humains désirs d’unité ou d’homogénéité, doit subir un clivage, car elle masque des exigences parfois contradictoires: il arrive ainsi que, pour lutter contre la nouvelle judéophobie, l’on doive lutter contre telle ou telle forme d’antiracisme (incluant l’antisionisme démonologique: voyez R. Garaudy, B. Granotier ou R. Faurisson/S. Thion). Qu’il n’y ait plus de corrélation significative entre racisme et judéophobie marque l’entrée dans une ère post-antisémite au sens strict: nous sommes plus précisément les observateurs d’une période de transition et de confusion des discours, où le racisme antijuif continue d’interférer avec l’antiracisme antijuif qui émerge. On peut aussi bien proposer l’interprétation suivante: la période de métamorphose idéologique que nous vivons est celle de la convergence des vieilles et des nouvelles traditions du discours antijuif: antisémitisme racial et antisionisme antiraciste, antisémitisme politique et révisionnisme négateur, antijudaisme catholique «populaire»/populiste et antiracisme «progressiste» dénonciateur du sionisme en tant que racisme97. Quelle que soit l’interprétation d’une telle ambiguité idéologique, il s’avère que les Juifs sont désormais placés sous l’emprise d’un ensemble d’accusations et de suspicions contradictoires: dénoncés par les antisionistes antiracistes comme des racistes et des impérialistes, voire des exterminateurs, ils sont dénoncés par les racistes antijuifs et les antisémites d’Etat comme des cosmopolites ou des déracinés corrupteurs des identités nationales et raciales. Soumis à cette double contrainte (double bind), les Juifs ne peuvent que déplaire, quels que puissent être leurs efforts. C’est pourquoi le principal danger qui les menace relève de la «prédiction autoréalisatrice»: le mode de défense sur lequel se rabattent certaines organisations ou certains leaders revient à inciter les Juifs à incarner l’une ou l’autre des deux principales figures négatives dans lesquelles leurs adversaires veulent les enfermer — à savoir, nationalisme ou ethnocentrisme du désespoir (le monde est contre nous depuis toujours, il ne nous reste plus qu’à nous défendre et mourir debout), tentative non moins désespérée de réagir aux attaques, au-delà des moyens que la loi offre, par l’appel à la censure ou à la répression (d’où l’apparente justification du reproche de «domination politico-médiatique»), et par la volonté de réactiver une culpabilité liée à la mémoire de la Shoah, laquelle est précisément en voie d’effacement en Europe, et n’a jamais affecté les nations non européennes (d’où l’apparente justification des accusations visant le «Shoah-business»)98. Mentionnons à ce propos un argument récurrent s’adressant au sens commun, l’argument d’apparence spontanée de la lassitude, de l’ennui ou du «ras-le-bol», du type: «on nous rebat les oreilles avec les fours crématoires». Le «on» réfère au «lobby politico-médiatique», dans la rhétorique lepénienne: «On commence vraiment à nous bassiner avec ces histoires, que l’on met à toutes les sauces, de juifs, de révisionnisme et de crématoires. A propos de tout et de rien. Cela s’appelle chercher des “querelles d’Allemands”. Des querelles d’Allemands soi-disant au nom des juifs», déclare sur le ton d’un homme excédé Jean Madiran99. Bref, le discours sur la Shoah est assimilé à un discours publicitaire parmi d’autres, et qui désormais n’amuserait plus. A un argument de vente désormais désuet, éculé. Face à cette extraordinaire bonne conscience dans la pire mauvaise foi, il est compréhensible que certains Juifs puissent perdre leur sang-froid. Alors qu’il s’agit de faire face, analytiquement, méthodiquement, en évitant le piège tendu — provoquer une fuite en avant, faire que certains se jettent la tête contre les murs de l’indifférence et du ricanement. Mais comment vivre en effet sans colère une situation intenable, qu’on ne peut ni assumer ni surmonter?

  4. Si l’offre idéologique du révisionnisme a, très normalement, préexisté à la demande, celle-ci s’estconstituée, en France, à partir de deux facteurs principaux relativement récents. Le premier est la désacralisation de l’image d’Israël, déficit de capital symbolique incluant la désublimation de l’idée sioniste dans les stéréotypes en cours à gauche autant que dans les représentations du réalisme stratégique de droite. Plus précisément, depuis la guerre de juin 1967, et l’impardonnable victoire israélienne, l’idéalisation d’Israël a progressivement viré en démonisation100. L’évolution des opinions dominantes des intellectuels occidentaux en constitue un bon indicateur. Cette démonisation s’est opérée par les effets croisés des propagandes communiste et arabo-islamique, du tiers-mondisme héroïco-mythique et, plus récemment, d’une instrumentalisation politique de l’antiracisme, qui a suivi celle de l’antifascisme101. Celle-ci, en France, s’est fondée sur l’amalgame entre la condamnation politique d’Israël (Etat «impérialiste», «terroriste», etc.), la dénonciation du sionisme comme «une forme de racisme et de discrimination raciale» (Résolution adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU, 10 novembre 1975), la récusation libérale-progressiste du judaïsme comme religion «tribale» ou comme particularisme culturel par nature «réactionnaire», et la défense antiraciste des catégories d’immigrés les plus exposées aux attaques de l’extrême droite xénophobe, à savoir les immigrés d’origine maghrébine. La résultante de cet amalgame aura été que prendre la défense des «Arabes» en France revenait à prendre leur parti, à épouser leurs passions politiques, voire à ériger, par une contre-discrimination naïve ou tactique102, leurs caractéristiques culturelles supposées en autant de valeurs supérieures. Le manichéisme idéologico-politique a été tel que le parti pris en faveur des immigrés maghrébins a eu pour envers un engagement dans la cause antisioniste. On en peut relever un indice discursif: l’apparition d’insultes et d’injures telles que «sale sioniste!», ou, plus significativement encore: «sioniste!», construites sur le modèle de «(sale) fasciste!», et en concurrence avec «(sale) raciste!»103. C’est ainsi que les stéréotypes les plus négatifs concernant Israël et le sionisme sont devenus idéologiquement recevables, puis culturellement acceptables, enfin politiquement respectables: étapes de l’acquisition d’une légitimité. Les ethnotypes satanisants permettant de stigmatiser la catégorie indéterminée «les sionistes» se sont ainsi installés dans l’univers des représentations sociales. La dénonciation rituelle du «sionisme» comme «racisme» est devenue un acte idéologique normal pour une grande partie de la classe intellectuelle. De la «basse» à la «haute» intelligentsia, l’évidence «sionisme=racisme» a été intériorisée. Mais les révisionnistes en avaient préalablement constitué le premier groupe de consommateurs idéologiques, avant d’en créer, le premier public culturel104.

    Le second grand facteur d’actualisation de la demande idéologique n’est autre que l’apparition dans l’espace politique légitime du Front national, à partir de 1983-1984. On sait que cette installation s’est opérée à la faveur d’une mobilisation populiste importante, qu’on peut mesurer approximativement par le capital d’opinions favorables aux thèses fondamentales du discours lepénien. Pour ce qui concerne spécifiquement la mesure de la judéophobie, on peut renvoyer à un sondage réalisé par la Sofres pour le CEVIPOF, du 9 au 23 mai 1988: 21 % des personnes interrogées répondent positivement à la question posée («Les Juifs ont trop de pouvoir en France»: 9 % tout à fait d’accord, 12 % plutôt d’accord), mais 27 % sont classés dans les «sans opinion», parmi lesquels il est probable qu’un bon nombre se sont censurés105. Or, le style même du national-populisme comporte une dénonciation des «gros», des «profiteurs du Système», de la «bande des quatre», des élites stigmatisées comme illégitimes parce que «coupées du peuple», de la bureaucratie, des «lobbies» divers, dénoncés en tant que rouages d’une machine cosmopolite destinée à tuer les peuples et les nations — arrêtons là cet inventaire à la Prévert. C’est dans le cadre de cette thématique populiste du Peuple (doté de bon sens, paré de toutes les vertus) contre les Gros (dominateurs et exploiteurs) que prend toute sa signification la dénonciation du «lobby politico-médiatique», du «lobby de l’immigration» ou de la «Mediaklatura». Cette dénonciation est elle-même indissociable de la désignation, en tant qu’ennemi principal, de la catégorie démonisée des artisans et partisans du «cosmopolitisme», posé comme destructeur des identités nationales et culturelles106. Au bout de la chaîne des équivalences, cette dénonciation du «cosmopolitisme» se révèle traductible en rhétorique antijuive, et donc décodable par les initiés comme dénonciation de la domination juive: c’est ainsi que «l’internationale juive» (Le Pen), «la nouvelle idéologie du social-judaïsme» (Madiran) ou la «conception du monde […] judéo-socialiste» (Revision)107 apparaissent comme les désignations interchangeables de la surpuissance maléfique accusée de vouloir dominer le monde en abolissant l’identité des peuples. On peut faire l’hypothèse que cet antisémitisme politique, de style national-populiste ou d’inspiration raciste, répond à une demande spécifique des militants et d’une partie de l’électorat, tant il s’est avéré que son expression publique n’a pas provoqué une baisse de l’audience frontiste. Parallèlement, on peut observer depuis 1987 les traces d’une diffusion, directe ou non, des thèses révisionnistes dans le mouvement frontiste, et très significativement dans le discours public du leader Le Pen; celui-ci, sur le double mode du doute sceptique et de la minimisation du fait génocidaire108, a fait passer dans l’espace des représentations politiques l’essentiel de la thématique révisionniste, qui jusque-là n’y était pas apparue. On doit dès lors relever un double mouvement de politisation des formes symboliques de la nouvelle judéophobie: d’une part, la politisation de l’antisionisme (radicalisée par l’ultragauche et jumelée par elle avec le révisionnisme); d’autre part, celle du révisionnisme, susceptible d’être jumelé soit avec l’antisionisme (ultragauche et néonazisme), soit avec l’antisémitisme politique (intégrisme catholique et national-populisme).

  5. L’antisionisme généralisé a intégré la représentation centrale de l’antisémitisme politique: celle de la «domination iiiive», de la «conquête juive» (Drumont), du pouvoir juif dans l’Etat ou dans la société civile (pouvoir médiatique). La stigmatisation de l’«impérialisme sioniste» conflue dès lors avec celle de la «domination juive», ce qui ouvre la possibilité, pour l’antisémitisme populaire «anti-Gros» (P. Birnbaum), de se donner une reformulation antisioniste, d’autant plus acceptable qu’elle est réputée «de gauche». Ces reformulations sont recevables, et de fait partagées, par tous les frères ennemis de la configuration populiste: communistes, tiers-mondistes et néochrétiens de gauche marxisants, gauchistes divers et nationalistes d’obédience maurrassienne ou de tradition expressément fasciste. On observe donc bien, notamment en France et dans les démocraties occidentales, des convergences entre les camps idéologiquement antagonistes autour de la dénonciation démonisante du sionisme et d’Israël, stigmatisés comme représentant une puissance occulte et mondiale de domination. Mais c’est moins au nom du racisme déclaré (de type néonazi) qu’en référence à un antiracisme proclamé que s’est constituée la nouvelle judéophobie. Celle-ci ne fonctionne pleinement que sous le label de l’«antiracisme»: sa recevabilité à la fois locale et internationale était au prix d’une telle reconversion. Il s’ensuit que la «lutte contre l’antisémitisme», si elle se veut efficace aujourd’hui, doit commencer par une lutte intellectuelle contre le pseudo-antiracisme, dont les usages antijuifs doivent être démontés et démystifiés. Voilà ce qui semble lustifier l’objectif que je me suis fixé: substituer l’intelligence inquiète des émergences idéologiques à l’indignation morale apaisante, et corrélativement remplacer par l’analyse froide les dénonciations globalisantes et pathologisantes, consolatrices autant qu’inefficientes.
  6. Ce qui devrait alarmer le plus ceux qui veulent sincèrement lutter contre toutes les formes de «racisme» ou d’hétérophobie, c’est la corruption idéologique de l’antiracisme, lequel sert politiquement à tout et à son contraire. Nous avons surtout insisté, dans cette étude, sur l’instrumentalisation antijuive de l’antiracisme, lequel, par cet extraordinaire transformateur idéologique qu’est le révisionnisme, est susceptible de se retourner en racisme. Inversions, retournements et équivoques qui sont la marque de l’époque. Reconnaissons avec la modestie requise combien nos évidences sur le racisme, l’antisémitisme et la «lutte contre le racisme et l’antisémitisme» sont ébranlées, et avec quelle perversité objective nos engagements sont détournés, parodiés, retournés. La lucidité d’un tel constat ne nous abandonne nullement à un «destin à la Turque», comme dirait Leibniz. Elle nous engage bien plutôt à une réflexion qui devra être courageuse et patiente. Doublement courageuse: nul examen critique de nos chères habitudes intellectuelles n’est agréable, et il nous faudra résister à l’éternel chantage de l’exploitation polémique, par nos adversaires (les «anti-antiracistes»), de la reconnaissance de nos faiblesses. Mais nous sommes embarqués dans une guerre idéologique où les armes, loin d’être toutes prêtes pour l’usage, doivent être fabriquées et réparées durant la bataille. Et ceux qui rêvent de la cavalerie à l’époque des chars se vouent eux-mêmes à la défaite.
  7. Nous nous sommes efforcés de poser correctement deux problèmes distincts quant aux domaines d’analyse. D’abord un problème d’énonciation et d’argumentation, concernant les métamorphoses du discours antijuif contemporain: nous avons isolé et décrit le double socle rhétorique de la nouvelle judéophobie. Ensuite un problème d’interprétation politique: comment comprendre la genèse et le fonctionnement complexes de ce nouveau discours dont les noyaux durs sont l’antisionisme et le révisionnisme? Notre hypothèse de départ a montré sa valeur d’éclairage: non seulement l’antisionisme fonctionne comme structure d’accueil du révisionnisme, mais il lui donne sa véritable signification politique. Voilà qui nous permet d’écarter une illusion interprétative mise au point et diffusée essentiellement par la propagande communiste, à travers la vulgate antiraciste: le révisionnisme ne serait qu’une manifestation de nostalgie, propre aux paléo- ou aux néonazis désireux de déculpabiliser ou décriminaliser le IIIe Reich, objet de leurs rêves. Telle est l’interprétation toute faite à laquelle recourent nombre de commentateurs journalistiques. Elle débouche sur une dénonciation édifiante qui participe elle-même de la corruption idéologique de l’antiracisme: en dénonçant exclusivement l’extrême droite, en attribuant aux «néonazis» l’exclusivité du «révisionnisme» (l’existence trop voyante des «révisionnistes» de gauche, anarchistes et «socialistes», étant réduite à quelques accidents incompréhensibles, ou relevant de la pathologie individuelle), on collabore à une entreprise de diversion dont l’ampleur et les conséquences sont loin d’être négligeables. La réussite d’un stéréotype de propagande se mesure d’abord à sa diffusion en dehors des réseaux de communication directement liés à sa source idéologico-politique. La dénonciation récurrente du révisionnisme comme un phénomène idéologique exclusivement néonazi (ou extrême-droitier) est l’indice que la diffusion de la représentation de propagande communiste s’est effectuée avec succès. Les «humanistes», les «progressistes» et les esprits libéraux répéteront innocemment, et avec l’indignation requise devant ces survivances d’un passé heureusement révolu, qu’il faut d’urgence mettre hors d’état de nuire ces prohitlériens révisionnistes, cette poignée de néonazis niant l’existence des chambres à gaz homicides et le génocide nazi des Juifs.

Le refrain le plus souvent chanté en guise d’explication suffisante est que les «révisionnistes» ne nient l’existence des chambres à gaz homicides et du génocide juif que pour «blanchir» le IIIe Reich, pour le «laver de ses crimes» en l’innocentant de ses crimes contre l’humanité, afin de le «banaliser». D’où la dénonciation indignée, complétée par la confiance accordée à la justice. La question semble ainsi réglée: on délègue aux avocats et aux magistrats le soin et la responsabilité d’en finir avec ce déplorable «passé qui ne veut pas passer». Mais cette «passéisation» fait elle-même partie de l’illusion explicative. Car ce qui devrait nous préoccuper, c’est moins le passé trouble qui revient en bouffées que l’écho des conflits présents, qui se répercutent dans l’espace idéologique. L’explication par la «banalisation du nazisme» n’est pas entièrement fausse, elle est partielle et partiale, et surtout, par son apparente évidence, elle renforce deux jugements faux. D’abord la conviction que le négationnisme est essentiellement une affaire d’admirateurs du nazisme désireux de se donner une bonne conscience (mais on ne se demande pas pourquoi des antisémites fanatiques et haineux chercheraient aujourd’hui, et à tout prix, à innocenter Hitler d’une tentative d’extermination totale qui ne devrait que les réjouir!). Ensuite le cliché d’origine communiste selon lequel l’extrême droite est par nature ou vocation prosioniste, et soutient inconditionnellement l’Etat d’Israël: or, ce qui était un demi-mensonge jusqu’en 1967, est devenu un mensonge total depuis lors. Nous avons affaire à une entreprise de désinformation particulièrement bien conduite, et à plusieurs niveaux.

A barboter dans ces eaux idéologiques usées, on ne posera pas la vraie question: pourquoi donc, en 1989, vouloir «laver le IIIe Reich» de son crime par excellence contre l’humanité? Et ce avec autant de constance que d’acharnement, de moyens de diffusion que de bienveillances complices? La seule et dérisoire réponse qu’obtient le confiant citoyen-lecteur de la presse nationale est que les «révisionnistes» qui scandalisent tant sont des sortes de voyous nostalgiques en quête de racines idéologiques purifiées! Telle est l’interprétation-écran du révisionnisme qu’une certaine presse d’information diffuse en France: une explication psychopathologique aussi sommaire que trompeuse et liée à une vue policière du social. Elle est à vrai dire consolante, d’où son caractère hautement acceptable: si en effet le révisionnisme est une composante de l’extrémisme de droite, une affaire de marginaux folkloriques ou de délinquants néonazis, les honnêtes gens peuvent dormir tranquilles, et les antiracistes ronronner. Qu’on accepte d’ajouter aux néonazis nostalgiques par définition quelques irresponsables passablement paranoïaques d’ultragauche ne fait que renforcer l’idée que le révisionnisme ne surgit qu’aux extrêmes, dont on sait depuis toujours qu’ils se touchent. Mariages de clichés et de stéréotypes: les gens raisonnables et majoritaires acquièrent un supplément de sécurité intellectuelle. Le révisionnisme, comme le racisme, c’est chez les autres qu’ils se rencontrent. Passons sur l’ignorance historique pure et simple, encore qu’elle soit politiquement exploitable: cette interprétation-écran présuppose et cautionne la thèse selon laquelle l’antisémitisme moderne est né à droite, survit seulement à droite, s’exaspère exclusivement à l’extrême droite. Ce qui est historiquement faux. Aussi faux que son assimilation à des manifestations d’extrémisme en général (ce qui permet de fournir une pseudo-explication du fait idéologiquement gênant de l’existence persistante des judéophobies de gauche). L’histoire des judéophobies de ces deux derniers siècles oblige pourtant à considérer et inventorier bien des «extrémismes du centre», bien des extrémismes majoritaires et populaires…

Cette pseudo-interprétation s’avère posséder une première et principale vertu dormitive: si en effet la composante révisionniste de l’antisémitisme contemporain n’était que le fait des «nostalgiques» du IIIe Reich, Israël n’aurait rien à craindre, et les Juifs pourraient et surtout devraient, leurs inquiétudes étant sans motifs, vaquer enfin sereinement à leurs occupations. La fonction de diversion inclut la fonction de tranquillisation, et engendre un aveuglement politique, partant une démobilisation, ce qui était précisément recherché. Précisons par qui: par tous les ennemis politiques actuels d’Israël. Les ennemis réels, et non pas les fantomatiques «nostalgiques», les ennemis puissants, incarnés par des Etats, et non pas les dérisoires marginaux vivant de rêves et de provocations. Voilà ce que la pseudo-interprétation diffusée avec innocence ou complicité, par ignorance ou stupidité, a pour fonction de masquer: le sens politique du révisionnisme réside dans l’antisionisme; le révisionnisme, qu’il s’articule ou non à un discours antijuif direct, a pour fonction réelle de criminaliser Israël, de disqualifier le sionisme et, par extension, de discréditer tous les défenseurs de la légitimité de la création d’un Etat-nation permettant au peuple juif de se donner, comme tous les peuples, une forme politique sur un territoire déterminé. L’acte d’innocenter le national-socialisme de la «solution finale» n’est dans cette perspective qu’un instrument. L’erreur de l’interprétation-diversion, qui est en même temps une faute morale, consiste à ériger un moyen en fin, à poser un instrument parmi d’autres de la délégitimation d’Israël en explication psychologique suffisante du révisionnisme.

Une explication fausse ou partielle a un effet secondaire: elle dispense de la recherche d’une explication ceux qui ont été convaincus de sa suffisance. Non seulement l’interprétation-écran empêche de voir, mais, plus profondément, en se faisant passer pour un savoir véritable et satisfaisant, elle interdit l’interrogation critique, se substitue à la recherche anxieuse, et endort la vigilance, en administrant insensiblement, sous couvert d’une dénonciation édifiante, une drogue idéologique dont elle ne maîtrise pas les effets. La pseudocritique du révisionnisme doit elle-même subir un examen critique sans complaisance: les faux amis ne sont pas moins dangereux que les ennemis déclarés. Répétons nos règles de méthode: on doit chercher le sens de la négation de la Shoah dans le politique, et non dans le psychologique; ce sens politique ne se réduit pas au bénéfice psychologique et moral recherché (et obtenu parfois) par des individus ou des sectes extrémistes (par exemple des néonazis désireux de se donner une «bonne mémoire» et une «bonne conscience»); ce sens politique ne réside pas dans le rapport au passé, même si celui-ci apparaît dans la vitrine négationniste: il est à déterminer en rapport avec les antagonismes présents, et l’interaction polémique des propagandes. L’enjeu principal est le suivant: l’extension mondiale de la recevabilité des thèses négationnistes signerait la victoire idéologique absolue des ennemis des Juifs, par-delà celle des ennemis d’Israël. Ces derniers savent qu’ils détiennent en réserve le plus formidable appareil d’illégitimation de «l’ennemi sioniste». Car la mémoire du terrible précédent historique est toujours vive: un faux aussi grossier que les Protocoles des Sages de Sion, dont on sait les usages antijuifs internationaux durant la première moitié du xxe siècle, trouve toujours nombre d’esprits suffisamment crédules ou fanatisés pour y découvrir la clef de l’histoire. Il n’est pas d’imposture qui ne laisse des traces et ne puisse, dans certaines conjonctures, renouveler ses effets. Aujourd’hui, la démonologie antijuive a trouvé son registre privilégié dans l’antisionisme. Mais, si tous les «révisionnistes» sont antisionistes, tous les antisionistes ne sont pas encore «révisionnistes». Quant aux ennemis déclarés des Juifs, ils savent que les nouveaux Protocoles sont en cours d’élaboration. Et que les arguments de leur haine ont une audience internationale virtuelle.

Tel est le sens idéologico-politique du négationnisme. C’est pourquoi nous proposons de prendre au sérieux l’affaire du «révisionnisme», où se joue le destin des mythologies antijuives, et tout autant celui des Juifs.


Annexe: éléments bibliographiques de langue française (1979-1989)


Parmi les traductions françaises les plus significatives: Michaël R. Marrus, Robert O. Paxton, Vichy et les Juifs, trad. fr. M. Delmotte, Paris, Calmann-Lévy, 1981; Walter Laqueur, Le Terrifiant Secret. La «solution finale» et l’information étouffée (1980), trad. fr. A. Roubichou-Stretz, Paris, Gallimard, 1981; Eugen Kogon, Hermann Langbein, Adalbert Ruckerl, Les Chambres à gaz. secret d’Etat (1983), trad. fr. H. Rollet, Paris, Minuit, 1984 (puis Le Seuil, coll. «Points Histoire», 1987); J.-P. Stern, Hitler. Le Führer et le peuple (1975, 1984), trad. fr. S.Lorme, Paris, Flammarion, 1985; Martin Broszat, L’État hitlérien. L’origine et l’évolution des structures du troisième Reich (1970), trad. fr. P. Moreau, Paris, Fayard, 1985; Karl-Dietrich Bracher, La Dictature allemande. Naissance, structure et conséquences du national-socialisme (1969), trad. fr. F. Strachitz, Toulouse, Privat, 1986; David S. Wyman, L’Abandon des Juifs. Les Américains et la solution finale (1984), trad. fr. C. Blanc, Paris, Flammarion, 1987; Franz Neumann, Behemoth. Structure et pratique du national-socialisme. 1933-1944 (1942, 1944), trad, fr. G. Dauvé, Paris, Payot, 1987; Devant l’histoire. Les documents de la controverse sur la singularité de l’extermination des Juifs par le régime nazi (1987), trad. fr. par un collectif, Paris, éditions du Cerf, 1988; Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d’Europe (1961, 1985), trad. fr. M.-F. de Paloméra et A. Charpentier, Paris, Fayard, 1988; Gerald Fleming, Hitler et la solution finale (1982), trad. fr. C. d’Aragon, Paris, Commentaire/Julliard, 1988; Benno Müller-Hill, Science nazie, science de mort. L’extermination des Juifs, des Tziganes et des malades mentaux de 1933 à 1945 (1984), trad. fr. O. Mannoni, Paris, éditions Odile Jacob, 1989; B. Müller-Hill, «La génétique après Auschwitz», Les Temps Modernes, no 511, février 1989, p. 52-85; Robert Jay Lifton, Les Médecins nazis. Le meurtre médical et la psychologie du génocide (1986), trad. fr. B. Pouget, Paris, R. Laffont, 1989.

Il faut rappeler qu’existent en langue française deux livres importants: Eliahu Ben Elissar, La Diplomatie du IIIe Reich et les Juifs, Paris, Julliard, 1969, puis Christian Bourgois, 1981; Lucy S. Dawidowicz, La Guerre contre les Juifs, 1933-1945 (1975), trad. fr. G. Garnet, Paris, Hachette, 1977.

Parmi les travaux de langue française: Georges Wellers, La Solution finale et la Mythomanie néo-nazie. L’existence des chambres à gaz. Le nombre des victimes, édité par Beate et Serge Klarsfeld, Paris, 1979; id., Les chambres à gaz ont existé. Des documents, des témoignages, des chiffres, Paris, Gallimard, 1981 (bonne mise au point, mais dont le titre laisse entendre qu’un débat est engagé avec les révisionnistes); P. Vidal-Naquet, op. cit., 1987 (l’étude «Un Eichmann de papier» a été d’abord publiée dans Esprit, septembre 1980, pp. 8-56); Saul Friedländer, «De l’antisémitisme à l’extermination. Esquisse historiographique», Le Débat, no 21, septembre 1982, pp. 131-150; François Delpech, Sur les Juifs, Lyon, Presses de l’Université de Lyon, 1983; Dominique Pélassy, Le Signe nazi. L’univers symbolique d’une dictature, Paris, Fayard, 1983; L’Allemagne nazie et le génocide juif (Colloque de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales, juillet 1982), Paris, Gallimard/Le Seuil, 1985; Michael Pollak, «Les mots qui tuent», Actes de la recherche en sciences sociales, no 41, 1982, pp. 29-45; id., «Utopie et échec d’une science raciale», in Racismes, antiracismes (sous la direction de André Béjin et Julien Freund), Paris, Librairie des Méridiens, 1986, pp. 161-202; id., «Orientation bibliographique. Aux origines de la politique raciale nazie: le rôle de la science et du droit», Bulletin de l’Institut d’Histoire du Temps Présent, no 27, mars 1987, pp. 31-47; Stéphane Courtois, Adam Rayski et al., Qui savait quoi? L’extermination des Juifs, 1941-1945, Paris, La Découverte, 1987; «L’Allemagne, le nazisme et les Juifs» (Dossier), in Vingtième Siècle. Revue d’histoire, no 16, octobre-décembre 1987, pp. 31-65 (P. Burrin, S. Friedländer, R. Thalmann); Philippe Burrin, Hitler et les Juifs. Genèse d’un génocide, Paris, Le Seuil, 1989. Ce que montre l’historiographie récente (voir l’excellent dossier «Fascisme, nazisme» publié dans les Annales ESC, 43e année, no 3, mai-juin 1988, pp. 561-704, ou la très utile synthèse due à Serge Berstein, Le Nazisme. Paris, MA éditions, 1985), c’est la surreprésentation des travaux anglo-saxons, allemands et italiens dans la recherche sur le national-socialisme. Que la communauté scientifique française ne se soit guère distinguée avant les années 80 sur la question (les travaux sérieux se comptent presque sur les doigts de la main: ceux de Léon Poliakov, de Joseph Billig, de Georges Wellers, de François Delpech, de Rita Thalmann et d’Olga Wormser-Migot), il faut y insister, a favorisé considérablement la diffusion des thèses révisionnistes (ajoutons que Faurisson et ses disciples n’ont jamais manqué de tenter de disqualifier leurs contradicteurs en les présentant comme des Juifs défendant une version juive de l’histoire, incluant le «mensonge des six millions», ou comme des historiens «officiels» tremblant devant l’immense pouvoir des Juifs; c’est ainsi que Faurisson peut présenter Pierre Chaunu comme un «lâche»…).

On trouvera également des éléments historiographiques et des orientations théoriques dans: Pierre Ayçoberry, La Question nazie. Les interprétations du national-socialisme, 1922-1975, Paris, Le Seuil, 1979; Jean-Pierre Faye, «Une fiction-zéro dans l’enfer ou M. Prudhomme chez les SS», Change, no 40, mars 1981, p. 201-207; Jean-Claude Milner, «Chomsky et les politiques d’extermination», in id., Ordres et raisons de langue, Paris, Le Seuil, 1982, pp. 318-328; Six millions… Enseigner l’indicible, Paris, Alliance Israélite Universelle, 1982; Tim Mason, «Banalisation du nazisme? La controverse actuelle sur l’interprétation du national-socialisme», trad. fr. A. Roubichou-Stretz, Le Débat, no 21, septembre 1982, pp. 151-166; Elisabeth de Fontenay et Foulek Ringelheim, «L’historique et le judiciaire», Le Genre humain, no 7-8, avril 1983, p. 35-51; Jean-François Lyotard, Le différend, Paris, Minuit, 1983, p. 16 sq; Jacqueline Authier-Revuz, Lydia Romeu, «La place de l’autre dans un discours de falsification de l’histoire. A propos d’un texte niant le génocide juif sous le IIIe Reich», Mots, no 8, mars 1984, pp. 53-70; Joseph Algazy, L’Extrême-Droite en France de 1965 à 1984, Paris, L’Harmattan, 1989, chap. VII: «Les révisionnistes», pp. 277-303. Un instrument de travail très utile est le recueil de 80 articles sur la Shoah publiés par Le Monde juif depuis 1946, et choisis par Serge Klarsfeld: Mémoire du génocide, Paris, Association des Fils et Filles des Déportés Juifs de France/CDJC, novembre 1987 (et aussi: S. Klarsfeld, Vichy-Auschwitz, Paris, Fayard, 2 vol., 1983 et 1985).

Parmi les réactions provoquées par les thèses révisionnistes, il ne faut pas négliger de brillants essais polémiques, dont le principal intérêt réside dans les analyses «psychologiques» des auteurs et acteurs de l’entreprise de négation: cf. surtout Alain Finkielkraut, L’Avenir d’une négation. Réflexion sur la question du génocide, Paris, Le Seuil, 1982; et: Nadine Fresco, «Les redresseurs de morts», Les Temps Modernes, no 407, juin 1980, pp. 2150-2211; id., «Parcours du ressentiment», Lignes, no 2, février 1988, p. 29-72. Pour une approche historique du contexte des «faurissonades», cf. Henry Rousso, Le Syndrome de Vichy, 1944-19…, Paris, Le Seuil, 1987, pp. 155-182. Il faut mentionner enfin ce qui constitue l’événement le plus important des années quatre-vingt dans l’histoire de la mémoire de la Shoah, la sortie sur les écrans de cette «grande œuvre d’histoire» (P. Vidal-Naquet, op. cit., p. 149) qu’est le film de Claude Lanzmann (Shoah, 1985). Il est très significatif que, face à un tel monument, les révisionnistes n’aient guère réagi, et, d’ailleurs tardivement, seulement par de brèves allusions ironiques (cf. P. Vidal-Naquet, ibid., p. 218, note 41):R. Faurisson,«Ouvrez les yeux, cassez la télé!» (18 juin 1987), Annales d’histoire révisionniste, no 4, printemps 1988, pp. 169-177. Cf. P. Vidal-Naquet, «Le défi de la Shoah à l’Histoire», Les Temps modernes, octobre 1988, no 507, p. 67 sq.


Notes.

1. Sur ce point, nous nous séparons des analyses de Jacques Nantet, qui soutenait au milieu des années cinquante: «Somme toute, contrairement à l’opinion généralement répandue, l’antisémitisme moderne serait plus un réflexe nationaliste et conservateur qu’un racisme. […] Ce soi-disant antisémitisme racial a mauvaise conscience. Alors qu’au contraire celui qui découle des glorieux impératifs nationaux et du respectable passéisme a cette perpétuelle bonne conscience qui justifie toutes les intransigeances et c’est de lui qu’on retrouve le principe partout» (Les Juifs et les nations, Paris, Editions de Minuit, 1956, p. 55). Il est vrai qu’en 1956, la mutation de la judéophobie nationaliste et conservatrice en judéophobie révolutionnaire, pseudo-antiraciste et internationaliste n’en était qu’à ses débuts, et partant n’avait guère de visibilité sociale. Par ailleurs, il faut bien sûr nuancer notre diagnostic donnant la judéophobie de tradition catholique comme une survivance: d’abord, en distinguant l’évolution des positions officielles de la hiérarchie catholique, qui ont rendu possible, depuis les années soixante, un dialogue judéo-chrétien, et l’évolution des mentalités et des attitudes des populations constituant le catholicisme sociologique, où les représentations antijudaïques traditionnelles sont toujours en cours (bien qu’elles soient, en temps de non-crise, soumises à un refoulement qui les rend imperceptibles); ensuite, en tenant compte de la grande diversité des formes nationales du catholicisme: ainsi, par exemple, le décalage entre le «philojudaïsme» du catholicisme légal et l’antijudaïsme du catholicisme réel (ou populaire) s’est révélé en Pologne à l’occasion de l’«affaire» du Carmel d’Auschwitz (été 1989). Mais il faut aussitôt ajouter, afin d’éviter d’ériger un cas particulier en règle générale, que le conflit judéo-chrétien est ici surtout révélateur de l’exceptionalité de la chrétienté polonaise, caractérisée par la confusion entre l’exaltation nationaliste et une foi catholique toujours profondément imprégnée d’antijudaïsme théologique. Il faut donc raison garder et, malgré certains dérapages, ne point conclure avec les intégristes de tous bords à la faillite du dialogue judéo-chrétien. Sur l’importance du «revirement total des Eglises», illustré par leur abandon de «l’enseignement du mépris», cf. Léon Poliakov, «Racisme et antisémitisme», Politica Hermetica, no 2, 1988, p. 41; et sur le néoprosélytisme catholique, consistant à «christianiser» la Shoah, cf. Bernard Suchecky, «La christianisation de la Shoah», Esprit, mai 1989, pp. 98-114.

2. P.-A. Taguieff, La Force du préjugé. Essai sur le racisme et ses doubles, Paris, La Découverte, 1988; id., «Racismes: une interrogation critique», in Commission nationale consultative des droits de l’homme, 1989. Les droits de l’homme en questions, préface de Jean-Pierre Bloch, Paris, La Documentation française, 1989, pp. 253-277.

3. Pascal, Pensées, édition L. Brunschvicg, Paris, Hachette, 1897, rééd. 1968, § 376, pp. 500-501.

4. Cf. Pierre Vidal-Naquet, Les Assassins de la mémoire. «Un Eichmann de papier» et autres essais sur le révisionnisme, Paris, La Découverte, 1987, pp. 105, 155 sq.

5. On reconnaît là une stratégie classique des ennemis de la démocratie pluraliste: invoquer les principes fondateurs de celle-ci en les radicalisant, jusqu’au relativisme intégral (aboutissant lui-même à la conclusion nihiliste: toutes les positions se valent), pour corrompre le fonctionnement social du pluralisme. Il y a corruption idéologique du principe de libre expression des idées, car celui-ci est indissociable de la recherche du vrai, laquelle peut à son tour faire l’objet d’une contrefaçon. Il s’agit de détruire la démocratie au nom même des exigences de celle-ci, de la même manière que l’hypercritique détruit la science historique en excipant du principe de libre examen et de l’esprit critique.

6. Louis Jean-Charles, «Le printemps des marchands de soupe», Notre Europe, no 34, avril 1981, p. 5.

7.«Nouvelles d’Europe», Notre Europe, ibid., p. 12.

8.«Solidarité internationale». Notre Europe, no 35, mai 1981, p. 17.

9.«Nouvel Ordre Européen», Notre Europe, no 35, p. 13.

10. Chaïm Perelman et Lucie Olbrechts-Tyteca, Traité de l’argumentation, Paris, PUF, 1958, t. II, p. 635. C’est le risque pris par ceux qui, réagissant immédiatement aux provocations faurissoniennes, et mus par leur seule bonne foi, laquelle chasse souvent l’intelligence tactico-stratégique, se sont employés à répondre aux révisionnistes par une accumulation des preuves du génocide nazi des Juifs. Ce faisant, ils ont contribué malgré eux à légitimer la représentation révisionniste d’un débat ou d’une controverse scientifique entre «révisionnistes» et «exterminationnistes». Il faut être intransigeant sur cette question, comme l’a parfaitement compris P. Vidal-Naquet, et ne pas céder au chantage à la liberté du débat: les négateurs de la Shoah n’ont que faire des preuves, et ils n’invoquent le principe de la liberté d’expression que pour acquérir le statut d’exclus et de persécutés. Car la stratégie argumentative centrale des révisionnistes radicaux (les «négationnistes») consiste précisément à récuser toutes les preuves, quelles qu’elles soient: en leur répondant, en paraissant engager un débat contradictoire, on leur offre ainsi de nouvelles occasions d’exercer leur machine hypercritique, sans faire disparaître pour autant leur autoreprésentation de victimes d’une censure de type totalitaire (attribuée à la puissance occulte du «sionisme international», ou à celle de «l’internationale juive»). L’erreur de tir théorique dérive du postulat irénique suivant: les révisionnistes sont des esprits en manque de preuves, des chercheurs de bonne foi en quête de documents, de témoignages probants, de traces matérielles indubitables; d’où la conclusion naïve: fournissons-leur ces preuves, et ces esprits passionnés et inquiets cesseront d’eux-mêmes d’être ce qu’ils sont, cesseront d’être révisionnistes, enfin convaincus. Sur le piège du dialogue, tendu par les faurissoniens à tous ceux qui ne font pas partie de la secte, cf. P. Vidal-Naquet, op. cit., 1987, pp. 9-10.

11. Les lacunes de l’historiographie française concernant la période sont certainement l’un des facteurs qui ont favorisé l’émergence et la diffusion des thèses révisionnistes en France à la fin des années 70. Mais celles-ci ont à leur tour engendré des effets que leurs propagateurs n’avaient ni voulus ni prévus: l’accélération de la publication de grandes études savantes et une impulsion donnée à la recherche historique. Cf. Annexe, pp. 114-116 (éléments bibliographiques, 1979-1989; textes en langue française).

12. P. Vidal-Naquet, op. cit., 1987, p. 112.

13. Cet appel à la «troisième voie» (ni libéralisme ni communisme), de style «révolutionnaire-conservateur» ou de style «nationaliste-révolutionnaire», se rencontre aujourd’hui aussi bien dans les textes de la «Nouvelle Droite» (GRECE) que dans ceux des organisations néonazies. Cf. par exemple: Guillaume Faye, Nouveau discours à la nation européenne, préface de Michel Jobert, Paris, Albatros, 1985, chap. 2 («Le condominium américano-soviétique»), p. 29 sq.; Gaston-Armand Amaudruz, Les peuples blancs survivront-ils? Les travaux du Nouvel Ordre Européen de 1967 à 1985 présentés par G.-A Amaudruz, Montréal et Lausanne, Editions Celtiques et Institut supérieur des Sciences psychosomatiques, biologiques et raciales, 1987, p. 23 («les “vérités” utiles au condominium américano-soviétique noyauté par les diasporas juives»). G. Faye a rompu avec le GRECE en 1987, après en avoir été le secrétaire général; il est le co-auteur, avec François-Bernard Huyghe (ancien collaborateur de Défense de l’Occident), du désormais fameux essai sur La Soft-idéologie (Paris. R. Laffont. 1987; G. Faye signe sous le pseudonyme de Pierre Barbés). Quant à G.-A. Amaudruz, il est depuis 1951 le secrétaire général du Nouvel Ordre Européen: cf., malgré certaines approximations, l’ouvrage de Patrice Chairoff, Dossier néo-nazisme, Paris, Ramsay, 1977, pp. 439-442; et P.-A. Taguieff, «L’héritage nazi. Des Nouvelles Droites européennes à la littérature niant le génocide», Les Nouveaux Cahiers, no 64, printemps 1981, pp. 3-22 (en particulier p. 17 sq.).

14. Pour une variante traditionaliste catholique et néomaurrassienne de l’argument, cf. Jean Madiran (pseudonyme de Jean Ariel), «Le plus grand péché de l’histoire» (février 1964), in J. Madiran, Editoriaux et chroniques. 1956-1966, Dominique Martin Morin, 1983, pp. 234-235; «Le “plus grand péché” de l’histoire contemporaine, il faut à tout prix que ce soit le nazisme tout seul, si l’on veut estomper les crimes du communisme…» (p. 235). J. Madiran, directeur politique du quotidien prolepénien Présent (qui paraît depuis le 5 janvier 1982), ne cesse de recourir à cet argument dans ses critiques du «soi-disant antiracisme». Cf. par exemple: J. Madiran, «Abroger ou compléter», in «Le soi-disant antiracisme. Une technique d’assassinat juridique et moral», Itinéraires, no spécial hors série, décembre 1983, p. 17 («le communisme est bien pire et beaucoup plus dangereux que le racisme. Au vrai, le communisme est le plus grand crime contre l’humanité, le plus infernal esclavagisme que l’on ait vu depuis le début de l’histoire humaine. Si le racisme est réprimé en tant que tel par la loi, il faut à plus forte raison que le communisme en tant que tel soit encore plus réprimé par la même loi»); «Les personnalités représentatives ou dirigeantes de la diaspora comme d’Israël demeurent beaucoup plus violemment hostiles au Front national qu’elles ne le sont au parti communiste qui les combat sans merci» (J. Madiran, «La nouvelle idéologie du social-judaïsme», Présent, no 1895, 2 septembre 1989, p. 2). La suggestion récurrente est claire: si «l’internationale juive» (Le Pen, in Présent, no 1883, 11 août 1989, p. 4) dénonce plus volontiers et plus violemment le racisme que le communisme, c’est en vertu des affinités, voire de la complicité profonde, qu’entretiennent toutes les formes de mondialisme ou de cosmopolitisme, fondamentalement opposées à l’esprit national. Pour resituer dans son histoire et son contexte politico-culturel l’antisémitisme politique de Jean Madiran, héritier à la fois de l’Action française et de l’intégrisme catholique, on se reportera notamment à: Raoul Girardet, «L’héritage de l’“Action française”», Revue française de science politique, vol. VII, octobre-décembre 1957, no 4, pp. 765-792; Jacques Maître, «Catholicisme d’extrême droite et croisade antisubversive», Revue française de sociologie, vol. II, no 2, avril-juin 1961, pp. 106-117; René Chiroux, «Contribution à l’étude de l’extrême-droite française», Annales de la Faculté de droit et de science politique, Université de Clermont, fasc. 10, année 1973, et Paris, LGDJ, 1973, pp. 3-367; Claude Grignon, «Sur les relations entre les transformations du champ religieux et les transformations de l’espace politique», Actes de la recherche en sciences sociales, no 16, septembre 1977, pp. 3-34; Emile foulât, Modernistica. Horizons, physionomies, débats, Paris, NEL, 1982, chap. 2: «Un couple maudit: modernisme et intégrisme», pp. 32-57; Jean-Christian Petitfils, L’extrême droite en France, Paris, PUF, 1983, p. 77 sq.; René Rémond, Les droites en France, Paris, Aubier Montaigne, 1982, chap. XIV: «La descendance de la droite contre-révolutionnaire», pp. 274-283; Serge Dumont, Joseph Lorien, Karl Criton, Le Système Le Pen, Anvers-Bruxelles, éditions Epo, 1985, pp. 152-155, 245 sq.; Jean-Yves Camus, «Intégrisme et néo-paganisme: la coalition révisionniste», Cahiers Bernard Lazare, no 117-118, janvier-juin 1987, pp. 21-28; Pierre Milza, Fascisme français. Passé et présent, Paris, Flammarion, 1987, pp. 348 sq.; J.-Y. Camus, «Intégrisme catholique et extrême droite en France. Le parti de la contre-révolution (1945-1988)», Lignes, no 4, octobre 1988, pp. 76-89; Paul Sérant, Les grands déchirements des catholiques français, 1870-1988, Paris, Perrin, 1988, chap, ix: «La réaction traditionaliste et intégriste», pp. 227-255; P.-A. Taguieff, «Nationalisme et réactions fondamentalistes en France. Mythologies identitaires et ressentiment antimoderne», à paraître dans Vingtième Siècle. Revue d’histoire, janvier 1990.

15. Robert Faurisson, «Interview», Storia illustrata, août 1979, no 261, in Serge Thion, Vérité historique ou vérité politique? Le dossier de l’affaire Faurisson. La question des chambres à gaz, Paris, La Vieille Taupe, 1980, p. 198.

16. R. Faurisson, Mémoire en défense contre ceux qui m’accusent de falsifier l’Histoire. La question des chambres à gaz, Paris, La Vieille Taupe, 1980, p. 3.

17. Marc Fredriksen, «Israël national-socialiste?», L’Europe réelle, juillet 1973, p. 1; texte reproduit in extenso par René Chiroux, Contribution à l’étude de l’extrême-droite française, Paris, LGDJ, 1973, p. 329.

18. Maurice Bardèche, «Progrès et chances du fascisme», Défense de l’Occident, 17e année, no 91-92 (no spécial), octobre-novembre 1970, p. 8.

19. M. Bardèche, art. cit., 1970, pp. 10-11.

20. M. Bardèche, ibid., p. 11.

21. M. Bardèche, «Le mythe du 8 mai et le mythe des 6 millions», Défense de l’Occident, 23e année, no 130, juillet 1975, pp. 4-6.

22. G.-A. Amaudruz, «Ce qu’il faut aux jeunes», Le Combat européen, no 2, janvier-février 1981, p. 11.

23.«Légion 88: “Nous chantons pour un nouvel ordre racial”», propos recueillis par Cédric Martin, in «L’extrême droite en France» (dossier), Le Choc du mois, no 6, mai 1988, p. 17.

24.Ibid.

25.Ibid.

26.Ibid. Dans un «Entretien avec Légion 88», publié par Tribune nationaliste, l’organe du Parti Nationaliste Français et Européen (PNFE), les membres du groupe de rock néonazi donnent les précisions suivantes: «Légion 88 s’est formée en août 1984. […] Nous avons effectué notre premier concert en août 1986 à Brest, à l’occasion d’un festival de rock anticommuniste. […] Fred, Alain et Victor sont membres du PNFE [i.e. 3 sur les 4 membres du groupe]. Pour Victor, c’est son premier engagement politique. Fred et Alain étaient auparavant aux FNE [Faisceaux Nationalistes Européens, organisation qui a succédé à la FANE, après la dissolution de celle-ci, en octobre 1980]. Alain avait été aussi, plus jeune, membre du Front National de la Jeunesse, puis du MNR [Mouvement Nationaliste Révolutionnaire, devenu à l’automne 1985 Troisième Voie, organisation dirigée par Jean-Gilles Malliarakis]. Ce qui nous a attiré dans le PNFE, c’est le refus de toute compromission avec le système démocratique; un discours social et racial qui cadrait parfaitement avec notre conception de la société; une ouverture européenne avouée et voulue (le nom même du Parti). Nous y avons trouvé des militants et des chefs animés par une foi commune en un idéal nationaliste et socialiste. […] Nous avons créé Légion 88 dans le but de politiser le mouvement Skinhead français et nous pensons avoir réussi à éveiller chez beaucoup une conscience nationaliste et raciale qui sommeillait en eux. Nous n’avons, bien sûr, pas été les seuls. C’est tout un courant regroupant des Bulletins à petit tirage tels que Bras tendu ou Le Rebelle blanc, et des groupes comme Totenkopf (aujourd’hui disparu) ou Bunker 84, qui sont eux aussi militants du PNFE, qui a agi et fait se développer le nationalisme parmi les jeunes» (Tribune nationaliste, 4e année, no 32, octobre 1988, p. 5).

27. Art. cit., Le Choc du mois, mai 1988, p. 17.

28. Cf. C. Martin, «Rock against Communism», Le Choc du mois, no 6, mai 1988, p. 16.

29.«Légion 88…», art. cit., mai 1988, p. 17.

30.«Entretien avec Légion 88», art. cit., octobre 1988, pp. 5-7. Ajoutons que, dans le cours de l’enquête sur les attentats commis le 9 mai 1988 à Cannes et le 19 décembre suivant à Cagnes-sur-Mer contre les foyers Sonacotra, le président du PNFE, Claude Cornilleau, a été inculpé le 17 septembre 1989 d’association de malfaiteurs, après l’inculpation de treize personnes (dont huit en détention à Nice et à Grasse), adhérents ou sympathisants du PNFE (Le Monde, 19 septembre 1989, p. 48).

31. R. Faurisson, «Louis des Touches, gentilhomme français», La Revue célinienne, 1er trimestre 1979, pp. 36-37.

32. Pour une version d’ultra-gauche résolument conspirationniste, cf. l’ouvrage délirant de Bernard Granotier, Israël. Cause de la Troisième Guerre mondiale?, Paris, L’Harmattan, 1982. Notons au passage que B. Granotier, sociologue tiers-mondiste typique des années soixante-dix. a publié un livre sur Les Travailleurs immigrés en France (Paris, Maspero, 1970, réédité en 1979), cité par la plupart des spécialistes comme une étude de référence (cf. par exemple: Catherine Wihtol de Wenden, Les Immigrés et la politique. Cent cinquante ans d’évolution, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1988, p. 383; Gérard Noiriel, Le creuset français. Histoire de l’immigration, XIXe-XXe siècles, Paris, Le Seuil, 1988, p. 391). La dérive antijuive de ce type d’intellectuel «antiraciste» engagé dans la cause tiers-mondiste n’a pas fait jusqu’ici l’objet d’une étude systématique. Or, le phénomène est frappant par sa régularité, comme le montre le trajet idéologique de Serge Thion: sociologue gauchiste auteur d’un ouvrage de référence sur Le Pouvoir pâle. Essai sur le système sud-africain (Paris, Le Seuil, 1969), S. Thion est le premier professionnel des sciences sociales (il est chercheur au CNRS) à s’être engagé, en France, aux côtés de Faurisson (qui, faut-il le rappeler, n’est ni historien ni sociologue, mais professeur de lettres). Ces transfuges de l’antiracisme de gauche, devenus antijuifs au point de collaborer convivialement avec des antisémites néonazis, paraissent obéir, dans leur métamorphose, à une logique idéologique que la présente étude s’efforce de définir. Dans les milieux néofascistes, on trouve le thème du Juif belliciste sous la forme de la question rhétorique: «Mourir pour Jérusalem?», accompagnée d’une dénonciation de la «croisade» en faveur d’Israël: cf. M. Bardèche, Sparte et les Sudistes, Paris, Les Sept Couleurs, 1969, pp. 25-26; Jean-Gilles Malliarakis, «Nous n’irons pas mourir pour Tel-Aviv», Jeune Nation Solidariste, 7 février 1980, repris in Ni trusts ni soviets, Paris, Editions du Trident/La Librairie Française, 1985, p. 239; J.-G. Malliarakis, «Oser dénoncer la barbarie israélienne» (éditorial), Révolution européenne, no 5, février 1988, pp. 1-2 (publication se présentant comme le «mensuel de combat des nationalistes européens de langue française»).

33.«Entretien avec Pierre Gripari», Défense de l’Occident, no 127, mars-avril 1975, pp. 54-55 (une note renvoie au «cinquième Livre du Pentateuque»).

34. P. Gripari, «Les deux droites», Item, 01, janvier 1976, p. 106.

35. P. Gripari, ibid., p. 107. Gripari ajoute cependant: «Mais après tout, si l’Eglise romaine a consenti à faire son Vatican II, on se demande bien pourquoi la Synagogue ne ferait pas le sien…» (ibid.).

36.Ibid.

37.Ibid.

38.Ibid., p. 108.

39. P. Gripari, art. cit., Défense de l’Occident, mars-avril 1975, p. 55.

40.Ibid., pp. 54-55.

41. Lausanne, L’Age d’Homme, 1975.

42. P. Gripari, op. cit., 1975, pp. 70-71.

43.Ibid., p. 71.

44. M. Bardèche, «Le mythe juif et autres faillites», Défense de l’Occident, 30e année, no 192, juillet-août 1982, p. 3.

45.Ordre Nouveau, Paris, éd. Pour un Ordre Nouveau, supplément, juin 1972, spécial congrès, p. 257 (texte pour le 2e congrès du mouvement Ordre Nouveau, fondé à la fin de 1969 après la dissolution du mouvement Occident, le ("novembre 1968).

46. Cf. P.-A. Taguieff, «La rhétorique du national-populisme», Mots, no 9, octobre 1984, pp. 113-139; id., «Un programme “révolutionnaire”?», in Le Front national à découvert (sous la direction de Nonna Mayer et Pascal Perrineau), Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1989, pp. 195-227; id., «Identité française et idéologie», Espaces Temps, no 42, 1989, pp. 70-82.

47. Eu égard au magistère qu’il a exercé sur toutes les familles de l’extrême droite française (traditionalistes, nationalistes, fascistes, nationaux-socialistes), l’antisémite et antimaçon professionnel qu’est Henry Coston, disciple d’Edouard Drumont, devrait intéresser les historiens des idéologies politiques, qui jusqu’ici l’ont négligé. Auteur d’une multitude de livres placés sous le signe de la dénonciation des responsables de tous les maux (du type: Les Financiers qui mènent le monde, Paris, La Librairie Française, 1955; La Haute Banque et les trusts, Paris, La Librairie Française, 1958; Le Retour des «200 familles», Paris, H. Coston, 1960, chefs-d’œuvre de littérature conspirationniste), polygraphe de la presse de la collaboration (cf. Pascal Ory, Les Collaborateurs, 1940-1945, Paris, Le Seuil, 1976, coll. «Points Histoire», 1980, pp. 73, 131, 149, 164; M.R. Marrus, R.O. Paxton, op. cit. p. 114, 1981, pp. 53, 89-90, 198), H. Coston a fondé la Librairie française en 1952 et dirige Lectures françaises depuis la fondation du mensuel (1957), lequel a fait autant que Défense de l’Occident pour marier révisionnisme et antisionisme (en accueillant à bras ouverts l’«homme de gauche» que prétendait être Paul Rassinier). Quant à François Duprat (1941-18 mars 1978), son itinéraire politique aura interféré avec la plupart des courants des droites radicales françaises, de Jeune Nation, Occident et Ordre Nouveau au Front national. C’est en 1967 qu’il intervient directement dans l’offensive révisionniste, en publiant dans Défense de l’Occident (no 63, juin 1967. pp. 30-33), un article intitulé: «Le mystère des chambres à gaz», et ce, dans un contexte antisioniste dont la livraison suivante de la revue montrera l’intensité passionnelle («L’agression israélienne et ses conséquences», Défense de l’Occident, no 64, juillet-août 1967, co-dirigé par F. Duprat et M. Bardèche, et contenant très symboliquement le dernier article de P. Rassinier). On rappellera que la revue du mouvement Occident (créé au début de 1964, et où F. Duprat sera chargé de la propagande en 1966) présentait le génocide juif selon la rhétorique révisionniste: «L’imposture et l’hypocrisie de nous “mettre sur le dos” Auschwitz, Dachau, Buchenwald et d’inventer la fable des six millions de morts» (Occident université, no 3, non daté [fin 1964 ou début 1965]; cité par Joseph Algazy, L’Extrême Droite en France de 1965 à 1984, Paris, L’Harmattan, 1989, p. 49).

48. C. Perelman et L. Olbrechts-Tyteca, op. cit., 1958, t. II, p. 351: « Les arguments fondés sur la structure du réel se servent de celle-ci pour établir une solidarité entre des jugements admis et d’autres que l’on cherche à promouvoir.»

49. Marc Angenot, La Parole pamphlétaire, Paris, Payot, 1982, p. 262. Le «mythologisme», dans l’ancienne rhétorique, désigne la substitution au «mot propre» d’une allusion au Panthéon gréco-romain.

50.Annales d’Histoire Révisionniste, no 4, printemps 1988, p. 190 (je souligne). Vente au numéro, en 1989: environ 1000.

51. Il s’agit d’Alain Guionnet, directeur du mensuel Revision (no 1, mars 1989), dont nous reparlerons plus loin. L’apparition de ce mensuel est l’un des indicateurs d’une diversification du «camp» révisionniste en France, entre deux grands courants: ceux qui recherchent la respectabilité académique, et ceux qui usent de la provocation systématique, en affirmant un antisémitisme violent. Les premiers récusent avec véhémence l’accusation d’antisémitisme (Faurisson), les seconds se labélisent eux-mêmes «antisémites» ou «antijuifs» (ainsi, un tract autocollant diffusé par la librairie Ogmios vante le mensuel «postrévisionniste» Revision de la façon suivante: «Revision, le seul journal antijuif»).

52. G.-A. Amaudruz, op. cit.. avril 1987, 133 p.; l’auteur, en quatrième page de couverture, se présente lui-même ainsi: «Inlassablement, depuis quarante ans, Gaston-Armand Amaudruz, professeur et raciologue émérite, qui milite dans des conditions difficiles pour la cause des races, nous livre une fois de plus les idées communes des derniers vrais racistes du XXe siècle, s’adressant aux survivants du XXIe!» Dans la bibliographie donnée à la fin de son livre, Amaudruz retient, outre les œuvres quasi complètes de P. Rassinier et celles de M. Bardèche, les livres de S. Thion (1980), R. Faurisson (1980; 1982), P. Guillaume (1986), du «bon Juif» J.-G. Cohn-Bendit et al. (1981), et d’André Chelain (Faut-il fusiller Henri Roques?, Paris, Ogmios-Diffusion, 1986) (rubrique: «Révisionnisme historique», pp. 125-127). Sur les «groupes néoracistes» rassemblés par l’organisation Nouvel Ordre Européen, cf. le témoignage de M. Bardèche, «Le racisme, cet inconnu», Défense de l’Occident, nouvelle série, no 7, septembre 1960, pp. 6-8.

53.«Communiqué du NOE», Tribune Nationaliste («Organe de combat des nationalistes français»), no 20, juillet-août 1987, p. 11. Ce mensuel, qui paraît depuis 1985, est devenu le bulletin du Parti Nationaliste Français et Européen (PNFE) lors de la création de celui-ci (1987). Son directeur de publication est le président du PNFE, Claude Cornilleau, ex-membre du Front national, et scissionnaire du groupe réuni depuis décembre 1967 autour de la revue Militant, qui formera le noyau du Parti Nationaliste Français (PNF), créé le 10 décembre 1983, pour réagir contre la dérive «conservatrice» et «sioniste» du Front national. Dans le PNF, C. Cornilleau était «commissaire aux questions électorales» (cf. par exemple Militant, no 168, novembre 1984, p. 5). Est-il nécessaire de préciser que le couple antisionisme/révisionnisme est surreprésenté dans la thématique de Tribune nationaliste? Cf. par exemple: Erik Sausset, «Ils ont tous les droits», TN, no 26, mars 1988, p. 5; Henri Roques, «Lettre ouverte à René Dommergue», TN, no 32, octobre 1988, p. 9; Eugène GufTroy, «Toronto: silence sur toute la ligne», ibid., p. 11.

54. G.-A. Amaudruz, op. cit., 1987, p. 5; et bibliographie, rubrique «social-racisme», pp. 121-122. Pour un exposé de la doctrine, cf. G.-A. Amaudruz, Nous autres racistes (présentation et commentaire du Manifeste social-raciste élaboré par le NOE), Montréal, Editions Celtiques et Lausanne, Institut supérieur des Sciences psychosomatiques, biologiques et raciales, 1971; sur les publications du NOE, cf. P.-A. Taguieff, «La stratégie culturelle de la “Nouvelle Droite” en France (1968-1983)», in Vous avez dit fascismes?, Paris, Arthaud/ Montalba, 1984, p. 140 note 10.

55. G.-A. Amaudruz, op. cit., 1987, p. 21.

56.Ibid.

57.Ibid., p. 22. On a vu l’importance, chez M. Bardèche, P. Gripari et l’auteur anonyme des Annales d’Histoire Révisionniste, du thème-argument de la continuité ou de la récurrence des attitudes et des conduites exterminatrices chez les Juifs, des anciens Hébreux aux «sionistes» d’aujourd’hui. Postulat du «Juif exterminateur» autorisant par avance toute conduite d’autodéfense: cf. P A. Taguieff, «Sur une argumentation antijuive de base. L’auto-victimisation du narrateur», Sens, no 7, juillet 1983, pp. 133-156; Yves Chevalier, L’Antisémitisme. Le Juif comme bouc émissaire, Paris, Le Cerf, 1988, pp. 242-245. De cette représentation stigmatisante, nous ne pouvons ici que mentionner l’existence, dans des contextes idéologiques différents (ayant néanmoins en commun la référence à un «antiracisme» intransigeant et hautement proclamé comme tel), d’une variante islamo-communiste chez Roger Garaudy (L’Affaire Israël, Paris, SPAG-Papyrus, 1983), d’une variante christiano-gauchienne (Georges Montaron, «Israël, l’Etat terroriste», Témoignage Chrétien, 27 juillet 1981, p. 5) et d’une variante œcuménique (Roger Garaudy, le Père Michel Lelong, le pasteur Etienne Mathiot, «Le sens de l’agression israélienne», publicité parue dans Le Monde, 17 juin 1982, p. 12).

58. G.-A. Amaudruz, op. cit., 1987, p. 22.

59.Ibid.; cette explication du déclin de l’Europe est récurrente: cf. G.-A. Amaudruz, «Refuser le “sens de l’histoire”», Courrier du Continent (Bulletin du Nouvel Ordre Européen), no 292, avril-mai 1988, p. 12; id., «Déclin des peuples blancs?», Courrier du Continent, no 296, octobre 1988, p. 12.

60.«Nous sommes racistes. De cette prise de position initiale découle notre volonté d’une ségrégation intransigeante entre groupes raciaux» (Rapport commun à la sixième assemblée du Nouvel Ordre Européen sur les questions africaines, cité par M. Bardèche, «Le racisme, cet inconnu», Défense de l’Occident, septembre 1960, p. 6); G.-A. Amaudruz, Nous autres racistes, op. cit., 1971, p. 61 sq.

61. G.-A. Amaudruz, op. cit., 1987, p. 22. Ce type d’énumération des symptômes de la décadence-maladie est standardisé dans la rhétorique des droites radicales. A titre d’exemple, on se référera au discours de Le Pen: cf. P.-A. Taguieff, «L’identité insécurisée: genèses d’un mythe politique», Cahiers Bernard Lazare, no 115-116, novembre 1986, pp. 15-62; id., «L’identité nationaliste», Lignes, no 4, octobre 1988, p. 46 sq; id., «La métaphysique de Jean-Marie Le Pen», in Le Front national à découvert (sous la direction de Nonna Mayer et Pascal Perrineau), Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1989, pp. 173-194.

62. G.-A. Amaudruz, ibid.

63. G.-A. Amaudruz, ibid., pp. 22-23.

64. G.-A. Amaudruz, ibid., p. 23.

65.Ibid.

66.Ibid.; cf. p. 65: «Les régimes ploutocratiques favorisent, donc sélectionnent, les déchets biologiques et surtout les parasites sociaux.»

67.Ibid.

68.Ibid., p. 110.

69.Ibid., p. 116.

70.Ibid., p. 119.

71.Ibid.

72.Ibid., p. 23.

73.Ibid., p. 26.

74.Ibid., p. 5: «Le social-racisme diffère tellement des doctrines dominantes que son accès présuppose un long cheminement individuel, par exemple dans la révision des idées reçues.» Ce programme d’une révision générale est aujourd’hui prôné par la revue Revision et le courant «postrévisionniste» (c’est-à-dire postfaurissonien) qu’elle représente (cf. Attila Lemage, «Le postrévisionnisme», Revision, no 5 et 6, juillet-août 1989, pp. 21-23).

75. G.-A. Amaudruz, op. cit., 1987, p. 113. L’évidence de départ est commune à toutes les variétés des droites radicales: «Il est triste et il est vain à la fois de commenter l’histoire politique de notre temps. Depuis dix-sept ans, la France traverse une des périodes les plus honteuses et les plus dramatiques de son histoire. A l’origine, il y a la volonté de forcer les consciences, de falsifier l’histoire et de méconnaître les faits» (M. Bardèche, «1944-1962», Défense de l’Occident, nouvelle série, no 25, septembre-octobre 1962, p. 29).

76. G.-A. Amaudruz, op. cit., 1987, p. 25.

77. Cf. G.-A. Amaudruz, ibid., section II: «Défense de la race», p. 65 sq. Le Parti Nationaliste Français était jusqu’en 1987 la seule formation, en France (hormis l’ex-FANE), dont le programme comportait la prescription: «Défense de notre identité raciale. Pour le droit des peuples à demeurer eux-mêmes» («Que veulent les nationalistes?», Tribune Nationaliste, no 3, décembre 1985, p. 10). Cette prescription sera reprise dans le point 7 du programme du Parti Nationaliste Français et Européen (créé en 1987): «Défense de l’identité raciale et protection de la santé de notre peuple. Mesures draconiennes contre le SIDA» (Tribune Nationaliste, no 29, juin 1988, p. 20).

78. G.-A. Amaudruz, ibid., p. 116.

79.Ibid., p. 100.

80.Ibid.

81.Ibid., p. 111.

82.Ibid., p. 110.

83.Ibid.

84.Ibid., p. 111.

85.Ibid., p. 23.

86. Texte signé «L’Aigle Noir», commentant mon «Droit de réponse», Revision, no 5 et 6, juillet-août 1989, p. 20. Faut-il préciser que les imposteurs ont une tendance avérée à dénoncer comme imposteurs tous ceux qui les attaquent, ou simplement osent examiner de façon critique leurs constructions idéologiques? Sur ces caractéristiques qu’on retrouve en abondance dans des discours pseudoscientifiques autres que «révisionnistes», cf. l’essai aussi pénétrant que pénétré d’humour de Michel de Pracontal, L’imposture scientifique en dix leçons, Paris, La Découverte, 1986 (coll. «Biblio Essais», 1989), notamment la leçon 3: «La science officielle, tu conspueras.»

87. G.-A. Amaudruz, op. cit., 1987, p. 23.

88. Sur ce faux fabriqué à Paris, à la fin du xixe siècle, par la police tsariste, cf. le livre magistral de Norman Cohn, Histoire d’un mythe. La «Conspiration» juive et les Protocoles des Sages de Sion, trad. fr. L. Poliakov, Paris, Gallimard, 1967; et Bernard Lewis, Sémites et Antisémites (1986), trad.fr. J. Carnaud et J. Lahana, Paris, Fayard, 1987, p. 24, pp. 133 sq., 358 note 26 (sur l’usage par la propagande arabe antisioniste des Protocoles). Rappelons que la démonstration scientifique de l’imposture avait été administrée avant la Seconde Guerre mondiale: Pierre Charles, «Les “Protocoles des Sages de Sion”», Nouvelle Revue théologique, 65, no 1, janvier 1938, pp. 56-78; Henri Rollin, L’Apocalypse de notre temps. Les dessous de la propagande allemande d’après des documents inédits, Paris, Gallimard, 1939. Ces études doivent être complétées par: Jean-François Moisan, Contribution à l’étude de matériaux littéraires pro- et antisémites en Grande-Bretagne (1870-1983). Le mythe du complot juif. Les Protocoles des Sages de Sion. Le cas Disraeli, thèse, Université Paris-Nord, 1987; Renée Neher-Bernheim, «Le best-seller actuel de la littérature antisémite: Les Protocoles des Sages de Sion», Pardès, no 8/1988, pp. 154-177. Exemple récent d’usage antisioniste des Protocoles: la réédition en 1986, par «l’Organisation pour la Propagande islamique», de la version française de Roger Lambelin («Protocols» des Sages de Sion, Paris, Grasset, 1921) présentée, sur la première page de couverture, de la façon suivante: «La vérité sur les plans d’Israël révélée par un document israélite.»

89. O. Mathieu est notamment l’auteur d’une édition des «inédits politiques» d’Abel Bonnard (Berlin, Hitler et moi, Paris, Editions Avalon, 1987; diffusion Ogmios), qu’il présente comme l’un de ses maîtres à penser. Du même O. Mathieu: A. Bonnard, Les Modérés. Le drame du présent, édition définitive établie par O. Mathieu, Paris, Le Labyrinthe (maison d’édition fondée par le GRECE), 1986 (préface d’O. Mathieu, pp. 9-46); id., Abel Bonnard. Une aventure inachevée, Paris, Avalon (diffusion Ogmios), 1988 (postface de Léon Degrelle). Dans un tract reproduisant un entretien publié en avril 1989 dans Revision (no 2), O. Mathieu précisait le tirage du mensuel: 4 000 exemplaires (le no 8, d’octobre 1989, aurait été tiré à 13 000 exemplaires; vente au numéro: environ 1 500). Nous pouvons ici seulement mentionner que le château du Corvier à Vouzon (Loir-et-Cher), où le PNFE a l’habitude de tenir certaines de ses réunions, appartient à Jean-Dominique Larrieu (alias B. Leforestier), qui dirige la librairie Ogmios: cf. Dominique Le Guilledoux, «Au château du Corvier, les militants néonazis font la tête», Libération, 25 septembre 1989, p. 33; Edwy Plenel, «Les vigiles de la “race blanche”», Le Monde, 26 septembre 1989, p. 17 (article ayant bénéficié de la documentation et des analyses pionnières de Marc Knobel, dont les travaux ne sont cependant pas cités: cf. M. Knobel, «Le racisme et la haine du PNFE», Le Droit de vivre, no 535, juin-juillet 1989, p. 5; id., «Le renouveau de l’extrême droite», Motus, no 15, septembre 1989, p. 8); Henri Guirchoun, «La longue traque des fachos niçois», Le Nouvel Observateur, 28 septembre/4 octobre 1989, pp. 66-67; Dominique Le Guilledoux, «Foyers Sonacotra: le PNFE voulait jouer les “SS” dans la police», Libération, 5 octobre 1989, p. 39.

90. L’équipe rédactionnelle de L’Assaut se présente ainsi: «Un groupe de militants nationalistes européens regroupés autour d’un journal. Attachés à l’idéal défendu par le VMO de Bert Eriksson, […] nous appelons à la création d’un grand groupe d’action regroupant tous les authentiques nationalistes» (p. 12). Sur le VMO (Vlaamse Militanten Organisatie), créé en 1949, cf. Jan Cappelle, «L’ombre noire de la bourgeoisie flamande», in Walter De Bock et al., L’Extrême-droite et l’Etat, Berchem et Bruxelles, Editions Epo, s.d., pp. 77-123; sur L’Assaut, cf. Alexandre Vick, «A L’Assaut!», Celsius, no 15, janvier 1989, pp. 10-11.

91. Il faut insister sur le tournant faurissonien, lequel consiste en une conversion de la position révisionniste au sens strict en négation totale du génocide juif, négation portant à la fois sur la volonté d’extermination, sur l’existence d’une décision et d’un plan génocidaires, sur l’instrument spécifique de l’extermination et sur l’accomplissement de celle-ci. La «révision de l’histoire» à laquelle se limitaient la plupart des révisionnistes, ex-nazis allemands ou disciples français de Paul Rassinier, consistait en une révision en baisse du nombre des victimes. Amaudruz lui-même, dans Nous autres racistes, rédigé avant l’intervention déterminante de Faurisson (1978-1980). déclarait: «Quant aux “six millions de Juifs gazés” par l’Allemagne nationale-socialiste, Paul Rassinier, ancien déporté au camp de concentration de Buchenwald et de Dora, montre dans son livre Le Drame des Juifs européens (Les Sept Couleurs. Paris, 1964), que les pertes juives totales durant la Deuxième Guerre mondiale ne sauraient dépasser 1,4 million. […] On ne peut donc parler de génocide. Bien entendu, il ne saurait être question d’approuver les excès commis, mais il convient de rappeler que tous les belligérants en ont de semblables sur la conscience […]. En outre, il n’est pas légitime de tirer argument, contre une doctrine, d’excès faits en son nom sans quoi l’inquisition réfuterait le catholicisme» (Montréal, Editions Celtiques, 1971, p. 41, note 1). On peut donc définir la double spécificité du «révisionnisme» faurissonien: quant au contenu des thèses, passage à la négation totale; quant au mode de présentation de la négation, recours à la forme scientifique (on expose les «conclusions» d’un travail de recherche patiemment conduit à la lumière d’hypothèses), et, corrélativement, exploitation de toutes les conditions de recevabilité et d’acceptabilité, académique («le professeur Faurisson…») et idéologique («apolitique», «agnostique», etc.).

92. Cf. par exemple le tract distribué à Paris au début de 1980: .< Qui est le Juif?», supplément au n" 3 de La Guerre Sociale. Le tract reproduit des extraits du texte publié sous le titre: «De l’exploitation dans les camps à l’exploitation des camps» (La Guerre Sociale, no 3, juin 1979, pp. 9-31).

93. Cf. P. Birnbaum, Un mythe politique: la «République juive». De Léon Blum à Pierre Mendès France, Paris, Fayard, 1988; P.-A. Taguieff, «Identité française et idéologie», Espaces Temps, no 42, 1989, pp. 70-82 (essai d’interprétation du discours lepénien sur les Juifs à partir de l’hypothèse centrale de Birnbaum).

94. Cf. Serge Moscovici, «Le ressentiment, suivi d’extraits d’interviews», Le Genre humain, no 11, 1984, p. 179 sq; P.-A. Taguieff, art. cit., à paraître dans XXe siècle, janvier 1990.

95.P.-A. Taguieff, Espaces Temps. no 42, p. 71 sq.

96. Cf. les remarques lucides, écrites à chaud à la suite de l’attentat de la rue Copernic (3 octobre 1980), d’Annie Kriegel, in Réflexion sur les questions juives, Paris, Hachette, coll. «Pluriel», 1984, pp. 200-218 (textes publiés de novembre 1980 à juillet 1981).

97. Textes typiques: «Jamais Me Badinter n’aura l’idée de dénoncer le racisme tout court le plus menaçant du monde: celui d’Israël envers les Arabes et surtout les Palestiniens» (Vincent Monteil, Dossier secret sur Israël. Le terrorisme, Paris, Editions Guy Authier, 1978, p. 226); «Je vois se dessiner le vrai visage d’Israël, agressif, conquérant, spoliateur, raciste et religieux [sic]…» (Claude Karnoouh, «De l’intolérance et quelques considérations subjectives sur le nationalisme. Mémoire adressé à mes amis sur les raisons de mon témoignage lors du procès du professeur Robert Faurisson», in J.-G. Cohn-Bendit et al., Intolérable intolérance, Paris, Editions de La Différence, 1981, p. 98); «Le trop court séjour […] que j’ai fait, en 1948, à Jérusalem […] m’a convaincu du caractère de plus en plus [sic] raciste, terroriste et de type nazi de l’Etat juif» (V. Monteil, «Le prêt-à-penser au tribunal de l’Histoire», in Intolérable intolérance, p. 160). Ce lieu commun polémique consistant à assimiler le sionisme au nazisme (cf. les actes du «Symposium international sur le Sionisme et le Racisme», réuni à Tripoli, 24-28 juillet 1976: Sionisme et racisme, Paris, Le Sycomore, 1979) coexiste avec un lieu commun voisin, celui, plus ancien, de l’alliance ou de la complicité sioniste-nazie (qui laisse entendre qu’existait une identité de nature entre les deux termes), diffusé par la propagande soviétique et repris par certains faurissoniens d’ultra-gauche (par exemple la revue bimestrielle Jeune Taupe!): cf. Alain Dieckoff, «Sionisme et nazisme: l’histoire soviétique à l’épreuve des faits», Pardes, no 4, 1986, pp. 35-53.

98. La dénonciation sarcastique routinisée de la «religion de l’Holocauste» (thème dominant dans Intolérable intolérance de 1981) semble avoir cédé la place à un autre lieu commun polémique depuis le milieu des années 80: la dénonciation édifiante du «Shoah-business»; l’expression est acclimatée en langue française par Jacques Gillot, «A propos de “Shoah”» (tribune libre), Ecrits de Paris, no 459, juillet-août 1985, pp. 45-52, repris dans les Annales d’Histoire Révisionniste, no 3, automne-hiver 1987, pp. 63-71; Faurisson la reprend dans un tract daté du 18 juin 1987, reproduit dans Annales d’Histoire Révisionniste, no 4, printemps 1988, pp. 169-177: «Ouvrez les yeux, cassez la télé! Vers un krach du Shoah business…»).

99. J. Madiran, «L’Europe du libéral-socialisme. Celle du fanatisme aveugle, de l’exclusion et du mensonge», Présent, no 1872, 27 juillet 1989, p. 1.

100. Cf. les pénétrantes remarques de B. Lewis sur la spécificité de la judéophobie moderne (qu’il s’agisse d’antisémitisme racial ou d’antisémitisme politique): haine spécifique visant le Juif (par sa durée, son étendue, sa virulence, son acharnement, sa tendance à l’extermination), intervention de «croyances démoniaques» comportant les représentations des Juifs comme «ennemis du genre humain» (ethnotype inusable!) ou comme «ennemis de Dieu» dotés de «desseins sataniques» (op. cit., 1987, pp. 21, 356, note 1; voir Gilles Kepel, Le Prophète et Pharaon. Les mouvements islamistes dans l’Egypte contemporaine, Paris, La Découverte, 1984, p. 109). Sur la diabolisation de l’Etat juif, cf. Elie Barnavi, Israël au XXe siècle, Paris, PUF, 1982, pp. 209 sq., 292 sq. (réaction de «haine sacrée» après la victoire de juin 1967); pour un inventaire et un classement des principaux slogans antisionistes, cf. Yohanan Manor, «L’antisionisme», Revue française de science politique, vol. 34, no 2, avril 1984, pp. 319-321.

101. Sur les «foyers principaux de propagation» des représentations et des arguments antisionistes, cf. Y. Manor, art. cit., 1984, pp. 312-319 (OLP et pays arabes, URSS, extrême-gauche et, plus récemment [en fait depuis l’après juin 1967], l’extrême-droite). Sur la condamnation pseudo-antiraciste du sionisme par un trust idéologique en novembre 1975, cf. E. Barnavi, op. cit., 1982, p. 296 sq; l’épais pamphlet de V. Monteil, Dossier secret sur Israël, ne manque pas de tirer toutes les conséquences de l’identification du sionisme à «une forme de racisme» (op. cit., 1978, p. 351 sq.). Le pamphlet de V. Monteil articule toutes les composantes de base de la nouvelle judéophobie: anti-impérialisme, antisionisme, antiracisme de stricte obédience tiers-mondiste et contestation de style «révisionniste» d’un certain nombre de faits concernant la Shoah (ibid., p. 202 sq.)—, le titre qu’il donne au chapitre 7 de la IIe partie: «Le grand alibi: l’Holocauste» (p. 202) est emprunté comme en hommage au désormais fameux article publié en 1960 dans Programme communiste, «Auschwitz ou le Grand Alibi», repris en brochure par «La Vieille Taupe» en 1970 (sur ce texte, cf. P. Vidal-Naquet, op. cit., 1987, p. 21 sq.). Avant de citer quelques morceaux de langue de bois marxo-révisionniste, Monteil affirme significativement: «Il n’y a pas de raison (autre que soutien tactique à l’Etat d’Israël) pour faire d’Auschwitz la justification d’Israël» (p. 209). La logique de son antisionisme absolu avait ainsi conduit Monteil, indépendamment des arguments pseudoscientifiques de type faurissonien, à recourir à une forme de «révision de l’histoire». Mais, rappelons-le, l’argument de l’exploitation «sioniste» des «six millions» a fonctionné longtemps indépendamment de la négation de la Shoah: les premiers antisionistes dénonçaient l’«escroquerie morale» consistant à faire d’Israël «l’Etat des 6 millions de morts» (Pierre Démeron, Contre Israël, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1968, p. 51), ils ne niaient pas le fait de l’extermination des Juifs («De leurs cadavres les nazis tiraient des savonnettes, les sionistes en tirent des alibis»; ibid., p. 52). La négation totale de la Shoah ne pouvait être déduite rigoureusement des arguments de Rassinier. Elle n’a pu devenir une évidence idéologique disponible pour la dimension intellectuelle de la propagande antisioniste que par le détour faurissonien: les négateurs antisionistes ne dénoncent plus l’exploitation politique d’un fait historique reconnu, ils dénoncent désormais l’exploitation politico-financière et médiatique d’un mythe ou d’un mensonge. L’antisionisme doit à Faurisson et ses disciples sa mutation en cours. Pour prévenir certains amalgames, rappelons que l’OLP a refusé jusqu’ici de recourir aux slogans négationnistes.

102. Pour une version communisante de l’antisionisme arabo-islamophile, cf. R. Garaudy, L’Affaire Israël, Paris, SPAG, 1983: Israël est stigmatisé comme Etat raciste, impérialiste et terroriste, et classé parmi «les pires» Etats, dénoncé comme «semblable à ceux auxquels il est le plus étroitement lié», à savoir: les Etats-Unis, l’Afrique du Sud, le Salvador, le Guatemala, l’Uruguay; l’idéologue palinodique ne fait ici que recopier les clichés de propagande de son dernier maître, le colonel Kadhafi, retournant la dénonciation antiraciste exclusivement contre les démocraties pluralistes occidentales, dont l’«impérialisme» supposé a l’avantage de faire oublier le totalitarisme communiste et les dictatures sanglantes d’un tiers monde idéalisé. Sur la mise en place des stéréotypes de propagande antisionistes, cf. Léon Poliakov, De l’antisionisme à l’antisémitisme, Paris, Calmann-Lévy, 1969; Lionel Kochan (sous la direction de), Les Juifs en Union soviétique depuis 1917 (1970), trad. fr. M. Carrière, Paris, Calmann-Lévy, 1971; L. Poliakov, De Moscou à Beyrouth. Essai sur la désinformation, Paris, Calmann-Lévy, 1983; et l’excellente synthèse d’Alain Besançon, «Les Juifs en URSS», Commentaire, no 40, hiver 1987-1988, pp. 669-680. Une précision s’impose: si «jamais l’antisémitisme [en URSS] n’a été à ce point autorisé à s’exprimer», si «la campagne “antisioniste” n’a pas été atténuée le moins du monde», il faut noter avec A. Besançon que «ce n’est pas elle qui a prise sur la masse» (p. 673); bref, la propagande «antisioniste» est essentiellement à usage externe, et vise avant tout les opinions publiques occidentales, lesquelles résistent encore à un alignement pur et simple sur la vulgate anti-impérialiste/antisioniste qui tient lieu d’opinion dominante dans le tiers monde. On peut repérer un argument d’appoint de l’antisionisme, pour autant que celui-ci joue sur la détestation de l’Occident moderne stigmatisé comme «décadent»: face à (’Occident «impérialiste» et «décadent», «raciste» et «terroriste», on dresse la statue d’un Islam idéalisé, doté d’une inaltérable pureté, et présenté comme l’unique voie du salut. Les agents d’influence de l’antisionisme arabo-islamophile ne marchandent pas leurs éloges, tel Michel Mathieu, alias Charles Saint-Prot, ex-maurrassien reconverti dans l’islamisme politico-mythique: «L’Islam est probablement le dernier grand système de notre siècle à concevoir une certaine idée de l’homme et des rapports sociaux qui accorde à l’être humain toute sa place sans négliger néanmoins le sens de la transcendance. Il est au service “des droits de Dieu et de l’homme”. C’est en cela qu’il peut être défini comme un “humanisme intégral” essentiel à notre devenir» (C. Saint-Prot, «Un humanisme essentiel à notre devenir», Proche-Orient et tiers monde, no 7, juin 1983/Ramadan 1403, p. 32). Sur la nébuleuse française de l’antisionisme tiers-mondiste, cf. P.-A. Taguieff, «L’antisionisme arabo-islamophile», Sens, no 11, novembre 1982, pp. 252-266; id., «Sur un héritage tardif de l’Action française: voyage aux origines du retournement “antisioniste” de l’antisémitisme “prosioniste”», Cahiers Bernard Lazare, no 98-99, janvier 1983, pp. 14-23 (sur l’itinéraire de C. Saint-Prot); Jacques Tarnero, «Les chemises brunes du palestino-progressisme», ibid., pp. 24-30; P.-A. Taguieff, «L’antijudaïcisme contemporain. Rupture de tradition et nouvelle naissance», Cahiers Bernard Lazare, no 101-103, mai-juillet 1983, pp. 27-30.

103. Cf. B. Lewis, op. cit., p. 343 note 5: «Dernièrement, le mot “sioniste” a pris un sens encore plus élargi pour devenir une insulte totalement coupée de son sens premier. Ainsi, dans la guerre du Golfe, les gouvernements d’Irak et d’Iran, tous deux ennemis implacables d’Israël, se traitent mutuellement de sionistes. Plus étrange encore, en Extrême-Orient, la radio de la République de Mongolie, sous influence soviétique, a accusé les Chinois de se livrer à des “activités sionistes” dans le Sin Kiang.» Ces usages discursifs plutôt cocasses montrent jusqu’où peut aller un processus idéologique de désémantisation (le mot «sioniste» n’ayant plus de sens déterminable: premier moment) et de resémantisation (le mot «sioniste» devenant un synonyme possible de toute insulte, voire l’insulte suprême: deuxième moment). Pour une féconde approche linguistique de la question, cf. Nicolas Ruwet, Grammaire des insultes et autres études, Paris, Le Seuil, 1982, pp. 239-314 (ajoutons que la forme «sale sioniste!» tend à se substituer à la forme standard «sale juif!»); sur le contexte général d’un tel fonctionnement strictement polémique du mot «sionisme/iste», cf. P.-A. Taguieff, «Réflexions sur la question antiraciste», Mots, no 18, mars 1989, pp. 75-93.

104. On notera que l’esthétisation érotisante de l’Arabe, jeune et innocent, victime par nature des violences «sionistes», a engendré nombre de représentations arabophiles traitées littérairement, et exploitées politiquement. A cet égard, l’œuvre de Jean Genet est paradigmatique, où l’opposition du juvénile Arabe (puis Palestinien) «baisable» au vieux juif dégoûtant («imbaisable») est récurrente, et oriente certains engagements d’apparence politique (on pourrait en dire autant de V. Monteil et de bien d’autres écrivains): cf. notamment La grande encyclopédie des homosexualités (Recherches, mars 1973); J. Genet, «Quatre heures à Chatila», Revue d’études palestiniennes, n" 6, hiver 1983, pp. 3-19; id.; Un captif amoureux, Paris, Gallimard, 1986. L’amour déclaré pour les Palestiniens est l’avers d’une haine absolue visant Israël et, plus généralement mais corrélativement, l’Occident. Sur ce symptôme politico-littéraire, cf. J. Tarnero, «Qui n’est pas de gauche?», in Vous avez dit fascismes?, Paris, Arthaud/Montalba, 1984, pp. 153-190; Samuel Blumenfeld, «Le racisme de la lettre. Antisionisme et antisémitisme de Jean Genet», Pardès, no 6, 1987, pp. 117-125. A bien des égards, l’antisionisme peut être considéré comme une composante «normale» de la haine idéologique visant l’Occident moderne, et le lieu privilégié de toutes les interférences des gauchismes et des radicalismes de droite. Cf. par exemple l’articulation caractéristique de l’anti-américanisme et de l’antisionisme dans la revue Le Partisan européen, inspirée à la fois par le néo-paganisme européiste du GRECE et par le nationalisme révolutionnaire. Le no 10/11 de juillet-août 1987, consacré au terrorisme («Le temps est de plus en plus Mossad») et au «combat païen», comporte significativement la suite d’articles: Robert Steuckers (théoricien de la Nouvelle Droite belge), «L’Europe est notre destin»; Serge Thion, «Il tue, il tue… le Mossad»; Ange Sampieru, «Les Etats-Unis, un contre-modèle économique» (pp. 4-15). Dans les «Principes d’action du Partisan européen», on peut lire par exemple: «L’ennemi, c’est le Système. […] Cet ennemi multiforme s’appuie sur deux piliers: l’impérialisme américano-sioniste […] et le capitalisme multinational […]. L’idéologie dominante sécrétée par le Système […] est l’idéologie des droits de l’homme […]. Face au Système, de nouvelles convergences se dessinent. […] Dans le camp anti-Système, on trouve déjà: — une certaine nouvelle gauche française […];- la nouvelle droite européenne […]; — l’extrême gauche antisioniste et anti-US qui entreprend un travail dévastateur de démystification et s’acharne à saper les fondements du Système: on pense à Maître Vergés par exemple ou à l’équipe de la “Vieille Taupe” en France qui mettent en cause les mythes résistantialistes et exterminationnistes sur lesquels s’appuie l’ordre établi en France et en Europe occidentale depuis 1945 […]» (op. cit., p. III).

105.«Enquête sur les Français et la politique en 1988. Premiers résultats», journée d’étude organisée par l’Association Française de Science Politique et le Centre d’Etude de la Vie Politique Française (CEV1POF), Paris, 14 février 1989, communication de Nonna Mayer, «Immigration, racisme, intolérance»; extrait du sondage (qui reste inédit) dans L’Express, 15 septembre 1989, p. 57.

106.«Il y a donc une nouvelle idéologie socialiste qui n’est plus essentiellement étatiste mais qui est devenue d’abord cosmopolite. […] Le Front national existe parce que […] doit se constituer face au cosmopolitisme une force d’opposition au socialisme de défense des identités» (Bruno Mégret, «L’obsession du gouvernement à détruire les identités explique le désintéressement des Français pour les élections», Présent, no 1854, 30 juin 1989, p. 3). Une fois de plus, le terme de «cosmopolitisme» doit être décodé; mais c’est Jean Madiran lui-même qui nous indique le bon décodage; la «nouvelle idéologie socialiste», c’est-à-dire le cosmopolitisme antinational, est dénommée par Madiran «la nouvelle idéologie du social-judaïsme» (Présent, no 1895, 2 septembre 1989, p. 1). On est donc en droit de poser l’équivalence: «cosmopolitisme»«social-judaïsme», laquelle permet de décoder la plupart des énoncés anticosmopolites du Front national comme des euphémisations d’énoncés essentiellement antijuifs. D’autres textes confirment cette hypothèse de lecture; ainsi, dénonçant «l’interdit antinational» qui régnerait en France, Madiran précise: «C’est la peur qui paralyse et réduit à un tel néant intellectuel les parlementaires de l’opposition libérale: la peur que les B’nai Brith et les médias [je souligne] puissent leur dire: — Mais vous parlez comme Le pen!» («De Léotard à Touvier», Présent, no 1912, 27 septembre 1989, p. 1). Dans le contexte, les «B’nai Brith» sont un substitut tactique de «l’internationale juive» dénoncée par Le Pen (Présent. no 1883, 11 août 1989, p. 4). Ce substitut lexical possède en outre l’intérêt de condenser les références aux deux figures de l’ennemi principal: la puissance juive et la puissance maçonnique (le B’nai Brith étant couramment défini comme «la franc-maçonnerie juive»), communiant dans le «mondialisme». Reprenons l’ensemble des équivalences: «la nouvelle idéologie socialiste» = le «cosmopolitisme»«l’idéologie du social-judaïsme» (ou le «social-judaïsme») = «les B’nai Brith et les médias» = le «lobby politico-médiatique»«l’internationale juive» (et les autres «grandes internationales»: Maçonnerie, Trilatérale). Tous les courants des droites radicales prennent très au sérieux la littérature conspirationniste dénonçant les organisations «mondialistes». Outre les ouvrages du maître H. Coston (par exemple: La Haute Finance et les révolutions, Paris, nouvelle édition, P.H.C., 1987) et son mensuel Lectures françaises, on peut consulter: Yann Moncomble, La Trilatérale et les secrets du mondialisme, Paris, Faits et Documents, 1980; id.; L’Irrésistible expansion du mondialisme, Paris, Faits et Documents, 1981; Jacques Bordiot (+), Le gouvernement invisible, Paris, Publications, 1984; Robert Camman, Les Véritables maîtres du monde, chez l’auteur, 1985; G.V. Henry Coston (alias H. Coston), Le Monde secret de Bilderberg, Paris, 1987 (dépôt: La Librairie Française); Le Grand Orient ordonne, Paris, Avenir International, s.d. (fin 1985/ début 1986); Etienne Casanova et Jean-Louis Stépanov, Les Origines masquées du bolchevisme. Ce que les communistes doivent aux juifs, Juan-les-Pins, La Brochure populaire, avril 1988. Précisons que tous ces livres et toutes ces brochures sont en vente, chaque année, à la fête du Front national, dite «fête des Bleu-Blanc-Rouge».

107. Dans Revision, J. Moulin (alias A. Guionnet) pose une question à O. Mathieu: «Vous semblez sous-entendre que deux conceptions du monde s’affrontent: la nationale-socialiste et la judéo-socialiste» («Histoire belge», Revision, no 2, avril 1989, p. 16). O. Mathieu répond: «Pour simplifier, on peut en effet affirmer que deux grandes conceptions du monde s’affrontent, d’une part une vue européenne, païenne, populaire et révolutionnaire, de l’autre une vue judéo-chrétienne, occidentale au sens “grécisle” [i.e. du GRECE] du terme, bourgeoise. Quant à moi, je me sens ultraïste, c’est-à-dire proche de l’ultra-gauche et de l’ultra-droite» (ibid.). On voit la différence avec le classique antisémitisme politique de J. Madiran et des intégristes maurrassiens: la variante «post-révisionniste» de la nouvelle judéophobie se présente comme une synthèse de l’européisme néo-païen du GRECE, d’un ethnisme populiste, de la radicalité anti-Système (échangeur idéologique entre droites et gauches), d’un anti-occidentalisme (ou anti-américanisme) intransigeant, d’un rejet de l’héritage judéo-chrétien, de l’antisionisme de style tiers-mondiste et du négationnisme. Dans une perspective proche de celle du «postrévisionnisme»: Luc Lefranc, «Le mythe fondateur, la Grande Parodie», Troisième Voie, no 8, mars-avril 1986, pp. 21-25; Louis Seiffert, «Faut-il être révisionniste?», Persiste et Signe, no 4, septembre 1989, p. 5 (l’article se termine par cette affirmation: «L’Europe sera révisionniste ou ne sera pas»). Les vieux néo-nazis entonnent le même refrain: «A quand la fin de l’après-guerre?», National-Socialisme, 1re année, no 1, automne 1989, pp. 1-2 (bulletin publié en français au Danemark par les Editions Nordland, liées à la World Union of National Socialists, WUNS).

108. Dans son discours public, Le Pen commence à introduire le motif «révisionniste», sur le mode de la dubitation, dans une interview accordée à National-Hebdo en juin 1986 (no 98, 5-11 juin 1986, p. 6). La suite est bien connue: les propos tenus par Le Pen le 13 septembre 1987 au Grand Jury RTL-Le Monde (les chambres à gaz: «un point de détail de l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale»), ses mises au point mi-embarrassées mi-provocatrices (conférence de presse du 18 septembre 1987), l’exégèse intégriste des propos lepéniens (le 20 septembre, l’abbé Laguerie, curé de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, déclare au cours de la grand-messe que «cette agitation et cette campagne médiatique [avaient] eu lieu sous la pression de la campagne politique et des banques tenues en majorité par des Juifs»), etc. Cf. le dossier du Droit de vivre, no 525, septembre-octobre 1987, pp. 1-3.

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