La « loi GAYSSOT » et la Constitution
Nicolas Bernard
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Introduction
Je déteste vos idées, mais je donnerai ma vie pour que vous puissiez les exprimer.VOLTAIRE3De quelque façon que cette guerre finisse, nous l’avons déjà gagnée contre vous ; aucun d’entre vous ne restera pour porter témoignage, mais même si quelques uns en réchappaient, le monde ne les croira pas. Peut-être y aura-t-il des soupçons, des discussions, des recherches faites par les historiens, mais il n’y aura pas de certitudes parce que nous détruirons les preuves en vous détruisant. Et même s’il devait subsister quelques preuves, et si quelques uns d’entre vous devaient survivre, les gens diront que les faits que vous racontez sont trop monstrueux pour être crus : ils diront que ce sont des exagérations de la propagande alliée, et ils nous croiront, nous qui nierons tout, et pas vous. L’histoire des Lager, c’est nous qui la dicterons.Un officier SS cité par Primo Levi4Le 12 janvier 2002, le Conseil Constitutionnel rendait sa décision n° 2001-455 DC relative à la « loi de modernisation sociale »5. A cette occasion, un article - et un seul - de la loi déférée allait être déclaré non conforme à la Constitution : l’article 107, précisément, qui redéfinissait les motifs du licenciement économique, n’autorisant ce type de procédure que dans des cas limitativement énumérés laissant apparaître une situation d’une gravité exceptionnelle pour l’entreprise. Cette disposition sera censurée pour avoir porté à la liberté d’entreprendre une atteinte disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi, à savoir la sauvegarde de l’emploi6. Cette décision avait appelé ce commentaire de M. Antoine LYON-CAEN : « Le juge constitutionnel dit que la loi ne peut tout faire, tout encadrer »7.
Cette décision récente rappelait - non sans controverses - les limites du rôle de la loi en tant que norme de régulation sociale. Le législateur peut-il tout faire, tout encadrer, sans risquer de fonder un ordre où tout ce qui n’est pas autorisé est interdit et tout ce qui n’est pas interdit est obligatoire, pour reprendre une formule célèbre définissant le concept de totalitarisme ? La question, on l’a vu, s’est posée en matière économique, ce qui ne saurait surprendre, compte tenu de la place qu’occupe l’Etat dans maintes théories relatives à l’économie globale. Elle s’est également posée en matière d’Histoire.
Le 13 juillet 1990, en effet, était promulguée une loi appelée à porter le nom de l’un de ses initiateurs, le député Jean-Claude GAYSSOT8. Cette loi insérait un nouvel article 24bis à la loi de 1881 relative à la liberté de la presse, disposition sanctionnant pénalement l’expression publique de thèses contestant l’existence des crimes contre l’humanité commis par l’Allemagne hitlérienne au cours de la Seconde Guerre mondiale. Etaient visés ceux qui, s’autoproclamant « historiens révisionnistes », s’acharnent - le mot n’est pas trop fort - à nier la réalité et l’ampleur de l’extermination des Juifs par les nazis.
A ce stade, une première précision, d’ordre sémantique, s’impose. Au terme de « révisionnistes », il convient de substituer celui, davantage conforme à la réalité, de « négationnistes »9 : le révisionnisme est en effet un élément inhérent de la pratique du métier d’historien. Or les négationnistes ne peuvent aucunement prétendre à ce titre. « Malgré ses protestations toutes tactiques, selon lesquelles il procéderait de la seule révision de l’histoire, le négationnisme n’est que l’une des formes revêtues de l’antisémitisme, estime l’historienne Nadine FRESCO. Réviser l’histoire, ainsi que le font constamment les historiens, qu’il s’agisse de celle de la Seconde Guerre Mondiale ou de tout autre événement, ne consiste pas à dénoncer quelque complot « sioniste » planétaire. Une telle conception dénonciatrice de l’histoire suppose que, conscient ou diffus, revendiqué ou masqué, le désir de dénoncer soit antérieur à la prétendue révision entreprise. Le désir de dénoncer comme fiction une réalité telle que le génocide est le fait d’un antisémite »10.
Le choix du terme « révisionnisme », effectué par l’une des têtes pensantes du mouvement négationniste, Robert FAURISSON11, ne procède pas du hasard : « en se dénommant révisionnistes, [les négationnistes] instaurent le doute quant à leurs intentions et tirent partie de l’ambiguïté du terme révisionniste pour diffuser leurs thèses. Pendant longtemps, la notion de révisionnisme a été associée à d’autres questions, notamment politiques : dans les discussions entre les tenants du marxisme, ou encore, au moment de l’affaire Dreyfus, pour désigner les partisans de la révision du procès »12. L’on retrouve dans cette stratégie verbale une idée de manipulation intrinsèque au raisonnement négationniste tel que mis en lumière par Pierre VIDAL-NAQUET13 :
« 1. Tout témoignage direct apporté par un juif est un mensonge ou une fabulation.
« 2. Tout témoignage, tout document antérieur à la libération est un faux ou est ignoré ou est traité de « rumeur ». […]
« 3. Tout document, en général, qui nous renseigne de première main sur les méthodes des nazis est un faux ou un document trafiqué. […]
« 4. Tout document nazi apportant un témoignage direct est pris à sa valeur nominale s’il est écrit en langage codé, mais ignoré (ou sous-interprété) s’il est écrit en langage direct, comme certains discours de Himmler […]. En revanche, toute manifestation de racisme de guerre dans le camp allié (et elles n’ont pas manqué, comme on peut bien penser) est prise dans son sens le plus fort.
« 5. Tout témoignage nazi postérieur à la fin de la guerre, qu’il soit porté dans un procès à l’Est ou à l’Ouest, à Varsovie ou à Cologne, à Jérusalem ou à Nuremberg, en 1945 ou en 1963, est considéré comme obtenu sous la torture ou par intimidation. […]
« 6. Tout un arsenal pseudo-technique est mobilisé pour montrer l’impossibilité matérielle du gazage massif. […]
« 7. On prouvait jadis l’existence de Dieu par ceci que l’existence était contenue dans le concept même de Dieu. C’est la fameuse « preuve ontologique ». On peut dire que, chez les « révisionnistes », les chambres à gaz n’existent pas parce que l’inexistence est un de leurs attributs. […]
« 8. Enfin et surtout, tout ce qui peut rendre convenable, croyable cette épouvantable histoire, marquer l’évolution, fournir des termes de comparaison politique, est ignoré ou falsifié […] »
Et l’historien Bernard COMTE d’ajouter que « [La] « méthode » [des négationnistes], si l’on peut dire, est perverse : elle associe l’hypercritique à la fabulation, l’ergotage sur les détails et sur les mots à l’ignorance massive du contexte, et cherche à faire apparaître comme conclusion d’une démonstration ce qui est postulat affirmé au départ. [C’est une] anti-histoire »14.
Cette méthode sert un objectif : nier la réalité du génocide des Juifs. Dans l’ensemble, les « thèses » négationnistes peuvent se voir résumées comme suit15 :
1) Il n’y a pas eu de génocide et l’instrument qui le symbolise, les chambres à gaz, n’a jamais existé (ou du moins n’ont pas eu de finalité homicide).
2) La « solution finale » n’a jamais été que l’expulsion des Juifs en direction de l’Est européen, le « refoulement ».
3) Le chiffre des victimes juives du nazisme est beaucoup plus faible qu’on ne l’a dit. En réalité, il est même si faible que l’on ne peut parler de génocide ni de tentative de génocide...
4) L’Allemagne hitlérienne ne porte pas la responsabilité majeure de la Seconde Guerre mondiale. Elle partage cette responsabilité, par exemple, avec les Juifs, ou même elle n’a pas de responsabilité du tout.
5) L’ennemi majeur du genre humain pendant les années trente et quarante n’est pas l’Allemagne nazie, mais l’URSS de STALINE et le bolchevisme. Bolchevisme et judaïsme sont d’ailleurs le plus souvent assimilés.
6) Le génocide est une invention de la propagande alliée, principalement juive, et tout particulièrement sioniste, que l’ont peut expliquer aisément, mettons, par une propension des Juifs à donner des chiffres imaginaires, mais aussi par leur volonté d’en tirer un profit financier. Selon Robert FAURISSON, « les prétendues « chambres à gaz » hitlériennes et le prétendu « génocide » des Juifs forment un seul mensonge historique, qui a permis une gigantesque escroquerie politico-financière dont les principaux responsables sont l’Etat d’Israël et le sionisme international et dont les principales victimes sont le peuple allemand - mais non pas ses dirigeants - et le peuple palestinien tout entier »16.
Les implications antisémites de ce type de discours sont de plusieurs ordres. Il s’agit de présenter les Juifs comme des menteurs, les organisateurs d’une vaste mystification destinée à justifier la création de l’Etat d’Israël17 et leur permettre d’obtenir de substantielles indemnités18. Mensonge, conspiration, impérialisme et cupidité : l’on retrouve là les composantes de la propagande antisémite telle qu’elle s’est développée depuis la fin du XIXe siècle19 - la dénonciation d’un complot juif ayant inventé ce que CELINE qualifierait de « magique chambre à gaz »20 évoquant ce faux célèbre qu’ont été les Protocoles des Sages de Sion, dont le rôle dans le développement de l’antisémitisme moderne est loin d’avoir été négligeable21. Outre également de perpétuer le traumatisme des survivants de l’extermination des juifs en les qualifiant (explicitement ou non) de faussaires, le négationnisme a pour but d’exonérer le national-socialisme des atrocités découlant du racisme exterminateur qui lui était intrinsèque. « La raison véritable du révisionnisme est de faire à nouveau du national-socialisme une alternative politique acceptable », déclarait Harold COVINGTON, leader d’un mouvement néo-nazi américain22. Faute d’avoir exterminé les Juifs, les nazis se seraient comportés comme les autres belligérants : la banalisation demeure le corollaire de la négation. L’Allemagne ne serait ainsi pas responsable de la Deuxième Guerre Mondiale et apparaît comme une victime des bombardements alliés23 et de l’invasion soviétique de 1945. Quelques milliers de Juifs seraient morts de malnutrition ou des excès de la SS, mais « certainement pas tant qu’on l’a cru », et encore ces morts découleraient-elles davantage des traditionnelles horreurs de la guerre que d’une véritable politique génocidaire. L’internement et la déportation des juifs auraient été amplement justifiés par le comportement des Juifs eux-mêmes, qui n’auraient pas dissimulé leur hostilité au régime nazi24...
Dénonciation d’un « mensonge juif » de grande échelle. Souffrances infligées aux survivants. Réhabilitation du IIIe Reich. Le tout fondé sur une manipulation des sources accessibles : dénaturations, falsifications, inventions, absence de référence au contexte. Une véritable « industrie du faux » antisémite s’est ainsi mise en place dans la seconde moitié du XXe siècle.
Compte tenu de l’objet de ce discours, il n’est pas étonnant de considérer les nazis comme les premiers véritables négationnistes, de par leurs efforts réalisés en vue d’effacer les traces de ce qu’ils appelaient la « Solution finale »25. Il n’est pas davantage étonnant de retrouver dans l’immédiat après-guerre un discours visant à nier ou minimiser les atrocités nationales-socialistes chez certains membres de l’extrême droite : ces premiers négationnistes « ont peu fait, s’ils tant est qu’ils aient essayé, pour déguiser leur antisémitisme »26. Aux Etats-Unis, Austin J. APP, professeur d’anglais de l’Université de Scranton et membre d’associations pro-allemandes dès les années 30, se lance avant même la fin du conflit dans la défense du nazisme en réduisant la portée des crimes par lui commis27. En France, un ancien professeur de littérature de l’Université de Lille et normalien, Maurice BARDECHE, profondément marqué par l’exécution de son beau-frère et ami Robert BRASILLACH en 1945, se lance dans la défense de l’Allemagne nazie28, publiant en 1948 Nuremberg ou la Terre promise29. Cet ouvrage constitue une attaque en règle des débats et des verdicts du procès de Nuremberg et inaugure une rhétorique appelée à être reprise par les futurs négationnistes : les Juifs sont responsables de la guerre, les camps de la mort ont été inventés par les Alliés, les témoignages ont été manipulés par les communistes, il n’a existé aucune politique nazie d’extermination, ce alors que les crimes commis par les Alliés occidentaux et l’Armée rouge ne doivent pas être oubliés, Nuremberg constituant à cet égard une vaste tentative de camouflage. De ce fait, Nuremberg ou la Terre promise fait l’objet d’une saisie administrative et son auteur est condamné par la Cour d’appel de Paris le 19 mars 1952, pour apologie du meurtre, à un an d’emprisonnement et cinquante mille Francs d’amende. Il bénéficiera d’une mesure de grâce accordée par le Président de la République en 1954.
Maurice BARDECHE peut compter, dans les années 50, sur l’aide apportée par Paul RASSINIER, pacifiste et successivement ancien militant communiste, socialiste, anarchiste. Résistant, déporté à Dora, usé par cette épreuve, il ne cessera de multiplier les échecs politiques et se lancera dans la négation du génocide juif, faute d’avoir obtenu une reconnaissance qu’il attendait au sein de sa circonscription - le Territoire de Belfort30. Dans Le Mensonge d’Ulysse, paru en 1950, il dénonce l’emprise des déportés communistes sur les camps de concentration et expose ses premiers doutes sur l’existence des chambres à gaz. Récupéré par l’extrême droite, qui assure la publication de ses œuvres31, Paul RASSINIER accentuera son entreprise négationniste, sa démarche antisémite et la « révision » de sa propre histoire32. L’influence, tant méthodologique qu’historique, de RASSINIER sur le mouvement négationniste tel qu’il se développera après sa mort en 1967, sera considérable.
Les années 1970 marquent une évolution du mouvement négationniste. Ce dernier tient à se parer d’une certaine légitimité académique. Les mouvements européens d’extrême droite multiplient les opuscules et brochures négationnistes : en Allemagne fédérale paraît dès 1973 Die Auschwitz Lüge (« Le Mensonge d’Auschwitz »), écrit par un ancien gardien SS du camp d’Auschwitz, reconverti dans le néo-nazisme, Thies CHRISTOPHERSEN, son ouvrage étant rapidement traduit en français33. Deux ans plus tard, en Grande-Bretagne, Richard HARWOOD34, diffuse Did six millions really die ?, qui sera également traduit en français. L’année suivante, aux Etats-Unis, Arthur BUTZ, professeur d’ingénierie électrique de la Northwestern University d’Evanston (Illinois) publie The Hoax of the Twientieth Century (« la mystification du XXe siècle »), premier véritable ouvrage négationniste à se camoufler sous les apparences du travail universitaire : ton posé, abondance des notes de référence, connaissance apparente du sujet35... En France, ce que l’on ne tardera pas à appeler « l’affaire FAURISSON », du nom d’un professeur de littérature de l’Université de Lyon, ancien disciple de RASSINIER converti à la croisade contre « l’imposture du siècle »36, éclate deux ans plus tard. Les articles de l’universitaire lyonnais paraissent en novembre 1978 dans la presse française, un mois après la publication de l’interview de l’ancien commissaire français aux Questions juives, DARQUIER DE PELLEPOIX, dans laquelle ce dernier déclarait : « A Auschwitz, on n’a gazé que les poux »37. L’époque s’avère favorable à l’éclatement de la « bonne nouvelle » : les années 70 voient s’opérer un regain d’intérêt de l’opinion pour la période de l’Occupation, tant par le biais de livres que par l’intermédiaire de films remettant en cause certaines conceptions de l’histoire de la Deuxième Guerre Mondiale38.
Les négationnistes connaissent la notoriété et, en dépit des premières réfutations, opérées notamment par les historiens Pierre VIDAL-NAQUET, Georges WELLERS, Léon POLIAKOV..., ainsi que d’un certain nombre de procédures judiciaires lancées à l’encontre de Robert FAURISSON et de ses affiliés39, parviennent à marquer des points. Ils ont créé leurs « instituts de recherche » (notamment l’Institute for Historical Review40), éditent leurs revues41, s’insinuent dans les universités42 et dans les milieux de l’Education nationale43. Ils savent profiter des imperfections de l’historiographie de l’univers concentrationnaire et du génocide juif pour mieux en dénoncer les prétendus mensonges et incohérences - ce qui poussera paradoxalement les historiens à entreprendre d’améliorer l’état des connaissances et des analyses relatives à ces thèmes historiques44.
L’Histoire suffira-t-elle à contrer ce mouvement ? D’aucuns en doutent et cherchent à le neutraliser par des voies juridiques. Dès le 18 septembre 1987, Le Monde fait état de la possibilité que la négation des chambres à gaz devienne un délit. Le 2 avril 1988 est déposée à l’Assemblée nationale une proposition de loi émanant de Laurent FABIUS et Georges SARRE prévoyant un mois à un an d’emprisonnement et/ou une amende de deux mille à trois cent mille Francs destinés à sanctionner « ceux qui, par l’un des moyens énoncés […], auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, ou qui auront porté atteinte à la mémoire ou à l’honneur des victimes de l’holocauste en tentant de le nier ou d’en minimiser la portée »45. Un an plus tard, c’est au tour de Charles PASQUA et Jacques CHIRAC de formuler un souhait similaire46 : preuve que le désir d’un renforcement législatif n’est pas l’apanage d’une force politique particulière, mais, au contraire, traverse les courants de la majorité et de l’opposition.
Le texte de la proposition de loi a été modifié par la Commission des lois constitutionnelles, à l’initiative du rapporteur Pierre ASENSI : il est proposé de créer un délit de contestation des crimes contre l’humanité sanctionnés par une juridiction française ou internationale. Alors que l’ancien texte incluait la sanction du négationnisme parmi les modalités du combat contre le racisme (les peines d’amende et d’emprisonnement étant les mêmes en ce qui concerne l’incitation à la haine raciale et la contestation de l’extermination des juifs), la nouvelle proposition de loi fait du négationnisme un délit particulier défini et sanctionné de manière autonome. La Commission, dans le même temps, recommande un élargissement des possibilités d’action ouvertes aux associations47. Ces remarques seront prises en compte et le député communiste Jean-Claude GAYSSOT pourra déposer la proposition de loi sur le bureau de la présidence de l’Assemblée nationale le 2 mai 1990.
Les débats parlementaires sont houleux48. « J’aurais souhaité retrouver l’unanimité de 1972, constatera le garde des Sceaux, Pierre ARPAILLANGE le 29 juin 1990. A l’époque, le Parlement avait oublié ses querelles partisanes pour s’engager de manière résolue dans la lutte contre le racisme »49. La proposition de loi est vivement contestée pour son caractère attentatoire à la liberté d’expression - la conception d’une liberté d’expression absolue étant notamment défendue par Jacques TOUBON50. Le 2 mai 1990, le texte est adopté une première fois par l’Assemblée nationale, mais ne sera jamais accepté par le Sénat, qui votera à deux reprises en faveur de la question préalable51. L’Assemblée nationale marque son désaccord avec le Sénat, en adoptant le texte de la proposition de loi le 29 juin 1990 en seconde lecture, par 308 voix contre 265. A l’issue de l’échec de la Commission Mixte Paritaire, il est fait usage de l’article 45, alinéa quatrième, de la Constitution : l’Assemblée nationale statue définitivement sur le texte voté par elle le 30 juin, texte qui sera promulguée par le Président de la République le 13 juillet 1990. La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse se voit adjoindre, outre des dispositions renforçant le pouvoir d’action des associations anti-racistes, un article 24bis qui dispose :
« Art. 24 bis. (L. n. 90-615, 13 juillet, 1990, art. 9). - Seront punis des peines prévues par le sixième alinéa de l’article 24 ceux qui auront contesté, par un des moyens énoncés à l’article 23, l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale […] »52L’article 6 du statut du Tribunal militaire international de Nuremberg définissait ainsi les crimes contre l’humanité :
« L’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux lorsque ces actes ou persécutions, qu’ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime ».L’on a soutenu que le texte de l’article 24bis était mal rédigé53. Que signifiait d’abord cette notion de « contestation » ? Selon Michel VERON, la contestation, outre totale, pouvait également être « partielle, nuancée, conditionnelle ou interrogative »54. De même, s’appliquait-elle aux crimes contre l’humanité commis par les puissances européennes de l’Axe, au vu de la compétence du Tribunal de Nuremberg, ou fallait-il l’étendre aux autres atrocités de masse, comme le génocide arménien ? La jurisprudence, ainsi qu’on le verra, retiendra que la « loi GAYSSOT » interdit l’expression publique des « thèses » niant la réalité ou l’ampleur des crimes nazis contre l’humanité, notamment l’extermination des juifs et des tziganes. Son rôle dans la clarification de cette disposition pénale exorbitante et dans la modération qui sera attachée à son application sera des plus déterminants.
Car il faut remarquer que l’entrée en vigueur de l’article 24bis, baptisé « loi GAYSSOT » a suscité d’abondantes polémiques. Comme au cours des débats parlementaires, une série de reproches a été adressée à ce texte de loi qui faisait de l’expression publique de thèses négationnistes un délit. Atteinte à la liberté d’opinion et à la liberté d’expression, tout d’abord : la « loi GAYSSOT » instaurerait une vérité d’Etat55 par rétablissement du délit d’opinion, en prohibant la contestation d’une histoire fixée par le Tribunal militaire international de Nuremberg. Outre de « transformer des zéros intellectuels en martyrs »56, elle amènerait les juges à se muer en historiens, métier pour lequel ils ne sont pas faits, sans parler des atteintes portées à la liberté de recherche, corollaire de la liberté d’opinion et d’expression57. La « loi GAYSSOT », loin de contribuer efficacement à éradiquer le négationnisme, servirait les objectifs de celui-ci, d’une part en conférant une légitimité de « martyrs » à ses thuriféraires, d’autre part en leur donnant accès à une tribune - en l’occurrence, les salles d’audience - d’où ils seraient en mesure de déverser leur propagande58. Le travail des historiens suffirait à réfuter les thèses négationnistes, « à condition que les médias ne donnent pas une audience excessive à ces détenteurs de contre-vérités »59.
Liberticide et pire qu’inefficace, inutile : la « loi GAYSSOT » serait dangereuse tant pour les fondements de notre démocratie que pour la cause qu’elle entend défendre. Rédigée hâtivement, elle ne serait qu’une « loi de circonstance » votée dans un contexte favorable au déchaînement des passions liées au devoir de mémoire et à l’antisémitisme60, et qui n’aurait d’autre but que de nuire à un parti politique en particulier61. L’on dénonce une « récupération » de l’Histoire par le Parti communiste français et d’aucuns s’étonnent que la contestation des crimes commis par l’Union soviétique n’ait pas été retenue par les parlementaires.
En dépit de ces querelles, la « loi GAYSSOT » n’a pas été déférée au Conseil Constitutionnel : les parlementaires opposés à la promulgation de cette nouvelle disposition pénale ne sont pas allés au bout de leur logique, empêchant ainsi le juge constitutionnel d’émettre son avis sur ce texte si controversé. Le contexte politique a certes joué, ainsi qu’on l’a vu : il est vrai, néanmoins, que l’article 24bis n’a jusqu’à présent jamais été abrogé. L’on se trouve malgré tout en présence d’une déficience évidente du système français du recours constitutionnel a priori dès lors qu’il n’est que facultatif62.
Il pouvait cependant exister un moyen de combler, en l’espèce, cette lacune : une saisine du Conseil Constitutionnel par le Président de la République lui-même. Aux termes de l’article 5, alinéa premier, de la Constitution, en effet : « Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’Etat. » Gardien élu de la Constitution, le chef de l’Etat serait-il dans l’obligation de déférer au Conseil constitutionnel toute loi dont la constitutionnalité pourrait être mise en doute ? Ce raisonnement a été contesté63. La pratique de la Ve République, faisant du chef de l’Etat l’un des acteurs du processus législatif, a abouti à ce qu’il ne défère aucun texte de loi devant le Conseil Constitutionnel. Le Conseil d’Etat a, par le biais d’une récente ordonnance de référé, décliné sa compétence pour examiner une requête adressée contre la décision présidentielle de ne pas saisir le juge constitutionnel, estimant qu’il s’agissait en l’occurrence d’un acte de gouvernement64. Qu’il s’agisse d’une faculté et non d’une saisine obligatoire, le problème se pose particulièrement en matière de lois suscitant d’abondantes controverses. La « loi GAYSSOT » est un exemple, la récente loi sur la sécurité quotidienne65 en est un autre : voici deux lois censées lutter contre un phénomène qualifié de dangereux (le négationnisme - le terrorisme) et pouvant de ce fait porter certaine atteinte aux libertés publiques et individuelles, deux lois sur lesquelles pèse une « forte présomption de non-conformité » à la Constitution, pour reprendre la formule de Pascal JAN66, deux lois votées dans un contexte quelque peu « explosif » (la profanation du cimetière juif de Carpentras en mai 1990 - les attaques terroristes du 11 septembre 2001) et touchant à des sujets extrêmement sensibles, deux lois dont les débats, le vote et la promulgation s’accompagnent de discussions passionnées, et deux lois qui, en définitive, ne feront l’objet d’aucun contrôle de constitutionnalité pour cause de motivations politiques.
Le parallèle s’avère suffisamment révélateur pour justifier, selon nous, une étude consacrée à la constitutionnalité de l’article 24bis introduit en Droit français par la loi du 13 juillet 1990. Il ne s’agit certes pas là de réaliser une uchronie et d’essayer de déterminer le contenu de la décision que le Conseil Constitutionnel aurait pu rendre s’il avait été saisi. Il importe plutôt d’examiner plus avant un exemple de difficile conciliation entre différents droits fondamentaux, libertés d’opinion et d’expression d’une part, dignité de la personne humaine d’autre part, sans omettre la sauvegarde de l’ordre public et de l’intérêt général67. En ce sens, nous adopterons la même démarche que Michel TROPER, qui, dans le cadre d’un article consacré à l’article 24bis, examinait la légitimité de l’atteinte porté par celui-ci à la liberté d’expression68 : « Puisque les adversaires de la loi Gayssot affirment que si elle avait été déférée au Conseil Constitutionnel, celui-ci n’aurait pas manqué de la déclarer contraire à la constitution, c’est sur ce terrain qu’on se placera exclusivement. »69 Qui plus est, nous prendrons en considération l’application qui en a été faite par le juge français, sans pour autant nous abstenir d’introduire une analyse comparative des droits nationaux quant à la sanction (ou l’absence de sanction) du discours négationniste, nous efforçant en cela de ne négliger aucun élément nécessaire, à des degrés variables, à notre réflexion.
Il pourrait nous être objecté qu’une étude consacrée à la constitutionnalité de la « loi GAYSSOT », en l’absence de toute intervention du Conseil Constitutionnel, ne serait que byzantinisme. Nous ne sommes cependant pas de cet avis. D’une part, en effet, et d’un point de vue essentiellement pratique, il n’est jamais exclu que s’instaure en France dans les prochaines années un contrôle de constitutionnalité par voie d’exception - dès lors, le juge constitutionnel serait probablement amené à examiner la conformité de cette loi avec la loi fondamentale. D’autre part, d’un point de vue pratique également, le Conseil Constitutionnel pourrait être en mesure de faire connaître son opinion, par le biais d’un examen d’une loi similaire - il est vrai que des propositions de réforme, dans le sens d’un élargissement de l’étendue de l’article 24bis, ont vu le jour ces dernières années, sans pour autant aboutir70. Ajoutons à cela que l’étude consacrée à la constitutionnalité de l’article 24bis ne pourra qu’alimenter notre réflexion sur la conception française des droits et libertés, tant en ce qui concerne l’ordre constitutionnel national que ce qui relève de l’évolution de la législation relative à la liberté de la presse, voire, comme on l’a vu, du rôle à jouer des autorités de saisine de juge constitutionnel ou encore de la lutte, sous un angle juridique, contre le racisme et la xénophobie et des limites que peuvent rencontrer tant les droits et libertés que l’Etat lui-même.
Paradoxe : alors que l’article 24bis avait suscité l’ire de maints juristes et historiens - ainsi que des premiers intéressés71 -, il n’existe qu’un nombre extrêmement limité d’études approfondies consacrées à cette disposition pénale ou du moins la sanction pénale du discours négationniste72. Il est vrai que, pour citer Zeev STERNHELL, « dans un pays où la politique est considérée avec passion, où le passé est toujours présent et le présent constamment figé en fonction du passé »73, l’évocation des « années noires » demeure délicate. L’horreur de l’extermination des Juifs, jointe aux autres génocides, massacres et atrocités qui constituent « l’âge des extrêmes »74 que fut notre XXe siècle, sont autant de cauchemars qui affectent la mémoire, troublent le regard et altèrent la réflexion. L’on peut cependant espérer, à l’heure où le négationnisme devient à son tour un objet d’Histoire, que sa sanction soit davantage étudiée par les juristes, en bref soit considérée comme un « sujet de droit » à part entière. La présente étude vise à y contribuer.
Notre étude relative à la constitutionnalité de l’article 24bis impose au préalable de nous pencher sur la question de savoir dans quelle mesure la Constitution française, les Droits étrangers admettent des limitations à la liberté d’expression - c’est à cette occasion que nous aborderons la délicate confrontation entre les restrictions apportées à cette dernière par le Droit français et la liberté de l’historien. Il conviendra ensuite d’observer dans une seconde partie, au regard de ce régime général, si notre « bloc de constitutionnalité » peut on non justifier la sanction d’un discours spécifique, une rhétorique raciste et antisémite, en l’occurrence la négation des crimes contre l’humanité commis par l’Allemagne national-socialiste.
Un dernier mot. Réaliser ce travail n’a pas été sans difficultés. Ce n’est certes pas faute de sources accessibles. La nature même du sujet se prêtait à un tel malaise : il est toujours pénible de revenir sur ces périodes où l’homme a été un loup pour l’homme - voire a théorisé, apporté des fondements scientifiques à ses instincts de prédateur. Mais la rédaction de cette étude s’est surtout réalisée dans cet état d’esprit décrit par Robert POST, qui s’exprimait ainsi dès lors qu’il abordait le débat portant sur l’interdiction des discours racistes : « Je veux ajouter que l’écriture de cet article a été difficile et douloureuse. Je suis attaché à la fois au principe de la liberté d’expression et au combat contre le racisme. Le sujet abordé m’a forcé à faire entrer en conflit les deux idéaux, ce que je ne puis faire qu’avec réticence et le cœur lourd »75.
Notes.3. Cette maxime constitue cependant, selon toute vraisemblance, un apocryphe. Elle est par ailleurs introuvable dans Le Traité sur la Tolérance (1763) auquel on la rattache généralement. Paul F. BOLLER, JR. et John GEORGE, (They never said it : a book of fake quotes, misquotes, & misleading attributions, Oxford University Press, New-York, 1989, p. 125) signalent que cette phrase prêtée à VOLTAIRE était issue de la plume d’une de ses biographes, Evelyn B. HALL (The Friends of Voltaire, London, 1906), qui n’avait fait que résumer la pensée de ce dernier vis-à-vis du sort d’un écrit publié en 1758 par Claude Adrien HELVETIUS : ce livre, De l’esprit, avait été condamné tant par le Parlement de Paris que par la Papauté et l’Université, avant d’être destiné au bûcher. « Beaucoup de bruit pour rien », en aurait conclu VOLTAIRE, qui n’avait nullement été impressionné par cet ouvrage. En 1935, Evelyn HALL déclara, pour sa part, n’avoir jamais eu l’intention de prêter le mot précité au philosophe français et qu’elle serait « fort surprise s’il devait être découvert dans ses travaux ».
4. Primo LEVI, Les naufragés et les rescapés. Quarante ans après Auschwitz, Gallimard, 1989, p. 11-12.
5. Journal Officiel de la République française du 18 janvier 2002, p. 1053 et suiv.
6. Pour un commentaire de cette décision, voir Jean-Eric SCHœTTL, La loi de modernisation sociale devant le Conseil Constitutionnel, LPA 21 janvier 2002, n° 15, pp. 3-31.
7. Les Echos, 14 janvier 2002.
8. Loi n° 90-615 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite et xénophobe, publiée au Journal Officiel de la République française du 14 juillet 1990, p. 8 333.
9. Le terme a été inauguré par Henry ROUSSO, dans son ouvrage Le syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, Seuil, coll. Points-Histoire, 1990, 2e édition revue et mise à jour (1ère édition : 1987), p. 176 : « le révisionnisme de l’histoire étant une démarche classique chez les scientifiques, on préférera ici le barbarisme, moins élégant, mais plus approprié, de « négationnisme », car il s’agit bien d’un système de pensée, d’une idéologie et non d’une démarche scientifique ou même simplement critique ». Le terme sera utilisé pour désigner les négateurs du génocide arménien et autres atrocités et renverra, de manière générale, à toute personne niant ou minimisant, au moyen d’une analyse dénaturant les exigences de la méthode scientifique, la réalité de meurtres de masse.
10. Nadine FRESCO, Fabrication d’un antisémite, Seuil, 1999, p. 69. Même controverse sémantique chez les Anglo-Saxons, qui ont opté pour le terme « Holocaust denier » (« négateur de l’Holocauste ») en lieu et place de « revisionist » : voir Michael SHERMER & Alex GROBMAN, Denying History. Who says the Holocaust never happened and why do they say it ?, University of California Press, 2000, p. XV-XVI.
11. Valérie IGOUNET, Histoire du négationnisme en France, Seuil, 2000, p. 15.
12. Ibid., p. 15. La référence à l’affaire DREYFUS a par ailleurs été utilisée par l’avocat négationniste (et membre du Mouvement national républicain de Bruno MEGRET après avoir été cadre du Front national) Eric DELCROIX, dans son opuscule marquant son opposition, peu surprenante, à la « loi GAYSSOT » et intitulé La police de la pensée contre le révisionnisme : « Comme les promoteurs de la loi antirévisionniste de 1990 ne font pas mystère de leur attachement à la mémoire du capitaine Dreyfus, on se permettra de leur suggérer que l’affaire Dreyfus aurait pu donner lieu à la proclamation d’une loi antirévisionniste. Vers 1898, les antidreyfusards, qui étaient alors majoritaires, auraient pu interdire, par une loi, de contester la sentence de 1894 qui condamnait le capitaine Dreyfus pour trahison. Les révisionnistes de l’époque se seraient vu légalement punir pour leur campagne en faveur du condamné. Peut-être la cohésion nationale y eût-elle gagné mais qui ne voit que le droit aurait alors souffert un dommage aux conséquences imprévisibles ? ». Il convient de préciser cependant que la négation de l’innocence d’Alfred DREYFUS fait partie, à un moindre niveau que la négation des crimes nazis, de la rhétorique « historienne » de l’extrême droite. Dès 1905, deux membres de l’Action française, les colonels F. DELEBECQUE et G. LAPENT, allaient publier, sous le pseudonyme d’« Henri DUTRAIT-CROZON », un Précis de l’Affaire Dreyfus (Nouvelle Librairie Nationale, 1909, 1924 et 1938, préface de Charles MAURRAS), véritable « travail d’érudition » de 812 pages agrémentées de milliers de référence et concluant à la trahison de cet officier... Récemment, en 1990 s’est vendu lors de la fête du Front national un ouvrage intitulé Ce canaille de D...reyfus. Son auteur, André FIGUERAS, estimait que l’affaire DREYFUS n’avait pas été autre chose qu’une « opération antinationale », et précisait, conforme en cela à la logique discursive négationniste : « Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire. Et notamment celle-ci, que Dreyfus ne fut point innocent... » (p. 19). Sur le traitement de l’affaire DREYFUS par l’extrême droite, voir Marc KNOBEL, « Il y a toujours des antidreyfusards ! », L’Histoire spécial : « L’Affaire Dreyfus. Vérités et mensonges », n° 173, janvier 1994, p. 116-118.
13. Pierre VIDAL-NAQUET, Les assassins de la mémoire. « Un Eichmann de papier » et autres essais sur le révisionnisme, La Découverte, 1987, p. 37-40. Voir également Nadine FRESCO, « Les redresseurs de morts », Les Temps Modernes, n° 407, juin 1980 ainsi que Michael SHERMER & Alex GROBMAN, Denying History, op. cit., p. 99-119 et Valérie IGOUNET, Histoire du négationnisme en France, op. cit., p. 352-373.
14. Bernard COMTE, « Le génocide nazi et les négationnistes », Historiens et Géographes, n° 339, février 1990. La méthode hypercritique, qui recherche moins l’analyse que la réfutation acharnée d’un témoignage ou d’un document, s’avère être l’un des fondements du mode de raisonnement négationniste, et a été dénoncée par Henri IRENEE MARROU in De la connaissance historique, Seuil, coll. Points-Histoire, 1975, p. 92-93 et p. 130-139. Un exemple de manipulation de document par Robert FAURISSON nous est fourni par l’excellente étude de Maxime STEINBERG, Les yeux du témoin et le regard du borgne, Editions du Cerf, 1990, à propos du journal d’un médecin SS en poste à Birkenau en 1942, Johann Paul KREMER.
15. Nous empruntons ici l’exposé réalisé par Pierre VIDAL-NAQUET in Les assassins de la mémoire, op. cit., p. 32-33.
16. Interview de Robert FAURISSON par Ivan LEVAï, 17 décembre 1980, reproduite in Valérie IGOUNET, Histoire du négationnisme en France, op. cit., p. 262-263.
17. Il n’est pas inintéressant de consulter à cet égard Yehuda BAUER, Rethinking the Holocaust, Yale University Press, 2001, p. 242-260 et Dan MICHMAN, Pour une historiographie de la Shoah, Editions in Press, 2001, p. 359-399, pour une récente mise au point historiographique et analytique de l’impact de l’extermination des juifs sur la formation de l’Etat d’Israël.
18. L’un des initiateurs du négationnisme français Paul RASSINIER, peut être considéré comme l’inventeur de cette assertion (voir Deborah LIPSTADT, Denying the Holocaust. The growing assault on truth and memory, Plume, 1994, p. 57).
19. A cet égard, voir Serge BERSTEIN, « Les trois âges de l’antisémitisme », L’Histoire, n° 148, p. 20-25 ; Michel WINOCK, Nationalisme, antisémitisme et fascisme en France, Seuil, coll. « Points-Histoire », 1990 ; Léon POLIAKOV, Histoire de l’antisémitisme, tome 2 : L’âge de la science, Seuil, coll. « Points-Histoire », 1991.
20. A propos des implications de Louis-Ferdinand CELINE dans le mouvement négationniste, voir Philip WATTS, « Céline et le révisionnisme », Esprit, n° 245, août-sept. 1998, p. 7-22.
21. Voir Norman COHN, Histoire d’un mythe. La conspiration juive et les protocoles des sages de Sion, Gallimard, coll. « Folio-Histoire », 1992 ; Pierre-André TAGUIEFF, Les protocoles des sages de Sion : faux et usages d’un faux, Berg International, 1992 ; Henri ROLLIN, L’Apocalypse de notre temps, Allia, 1991.
22. Extrait du NSNet Bulletin #5 du National Socialist White Peoples Party, émis par e-mail le 24 juillet 1996 par Harold COVINGTON. Voir sur internet :
http://www.nizkor.org/hweb/orgs/american/national-socialist-white-peoples-party/nswpp-on-revisionism-01.html.23. Un écrivain d’extrême droite, David IRVING, s’est ainsi rendu célèbre au début des années 60 en publiant un ouvrage sur un sujet jusque là, il est vrai, peu traité par l’historiographie : le raid anglo-américain sur Dresde à la mi-février 1945. Longtemps considéré comme une référence, l’ouvrage de David IRVING a vu sa crédibilité définitivement anéantie par la récente découverte de ses manipulations du bilan mortuaire du raid - David IRVING a ainsi utilisé un document qu’il savait falsifié pour multiplier le nombre de victimes par dix (Richard J. EVANS, Lying about Hitler. History, Holocaust and the David Irving Trial, Basic Books, 2001, p. 149-184). C’est pourtant ce bilan fabriqué par David IRVING qui est connu du grand public.
24. L’un des initiateurs du négationnisme français, Paul RASSINIER, conclut à la non-responsabilité de l’Allemagne dans le déclenchement du conflit (Les responsables de la Seconde Guerre Mondiale, Nouvelles Editions Latines, 1967). Sont dénoncés pêle-mêle, sans aucun souci de référence au contexte, à savoir les persécutions antisémites organisées par l’Allemagne nazie, : l’appel à un boycott économique de l’Allemagne par le Congrès juif mondial à l’été 1933 (projet qui en réalité ne sera pratiquement pas suivi d’effet, sera même contré par l’Agence juive et ne causera en définitive aucun préjudice à l’économie allemande - voir Yehuda BAUER, Juifs à vendre ?, Liana Lévi, 1996, p. 29-37) ; la « déclaration de guerre » de Chaïm WEIZMANN, dirigeant de l’Agence juive à l’Allemagne le 5 septembre 1939 (cf. Pierre VIDAL-NAQUET, Les assassins de la mémoire, op. cit., p. 58-60) ; un pamphlet de 1940, sans portée aucune, d’un germanophobe américain du nom de Theodore KAUFMAN, Germany must perish, prévoyant la stérilisation du peuple allemand (voir Gilles KARMASYN : http://www.phdn.org/antisem/kaufman.html, pour une mise au point appréciable de la manière dont les écrits de KAUFMAN ont été intégrés dans la rhétorique négationniste)... La « nuit de cristal », selon la « chercheuse » négationniste Ingrid WECKERT (in Feuerzeichen : Die Reichskristallnacht, publié en 1981), résulterait d’une manipulation juive destinée à salir le régime hitlérien à une époque où celui-ci mène une diplomatie pacifique (Richard EVANS, Lying about Hitler, op. cit., p. 66-70). Les unités mobiles de tuerie SS chargées d’éliminer les Juifs et l’intelligentsia soviétiques lors de l’opération Barbarossa n’auraient fait que réagir à l’action des partisans (sur la réalité de mission et de la nature des Einsatzgruppen, voir Raul HILBERG, La destruction des juifs d’Europe, Gallimard, coll. « Folio-Histoire », tome 1, 1991, p. 236-337). Ingrid WECKERT ajoute également, ce qui n’est guère surprenant, que les camions à gaz homicides apparus en décembre 1941 n’ont jamais existé (voir Eugen KOGON/Adalbert RüCKERL/Hermann LANGBEIN, Les chambres à gaz, secret d’Etat, Seuil, 1987, coll. « Points-Histoire », p. 72-132).
25. Les nazis ont ainsi fait usage d’un langage codé destiné à couvrir d’euphémismes la réalité de l’extermination (voir Eugen KOGON/Adalbert RüCKERL/Hermann LANGBEIN, Les chambres à gaz, secret d’Etat, op. cit., p. 13-23). De même Adolf HITLER a-t-il cherché à camoufler ses responsabilités, notamment en s’abstenant de donner un ordre écrit prévoyant l’anéantissement des Juifs d’Europe (l’on consultera à ce sujet Gerald FLEMING, Hitler et la Solution finale, Julliard, 1988). Les SS ont démantelé les camps d’extermination, détruisant les chambres à gaz de Treblinka, Belzec et Sobibor à la fin 1943 à l’issue de l’opération Reinhard (l’extermination des juifs de Pologne) : voir Eugen KOGON/Adalbert RüCKERL/Hermann LANGBEIN, op. cit., p. 173-175 et Yitzhak ARAD, Belzec, Sobibor, Treblinka. The Operation Reinhard Death Camps, Indiana University Press, 1999 (1ère edition : 1987), p. 370-376. A la fin novembre 1944, HIMMLER donnerait l’ordre de détruire les installations homicides d’Auschwitz-Birkenau (Raul HILBERG, La destruction des juifs d’Europe, op. cit., tome 2, p. 848). Même discours chez les collaborationnistes français : un Henri POULAIN, à l’été 1942, visitant le camp d’internement de Pithiviers, déclare que les internés juifs s’y portent bien (article reproduit in Philippe GANIER RAYMOND, Une certaine France. L’antisémitisme 40-44, Balland, 1975, p. 136-142)...
26. Deborah LIPSTADT, Denying the Holocaust, op. cit, p. 49.
27. Ibid., p. 85-103.
28. Sur Maurice BARDECHE, futur créateur du mouvement d’extrême droite Défense de l’Occident en 1952, son amitié avec Robert BRASILLACH et ce qui l’a poussé à initier le négationnisme français, voir Valérie IGOUNET, Histoire du négationnisme en France, op. cit., p. 37-60 ; Ghislaine DESBUISSONS, « Maurice Bardèche, un précurseur du “révisionnisme” », Relations internationales, n° 65, printemps 1991, p. 23-37 et Alice KAPLAN, Intelligence avec l’ennemi. Le procès Brasillach, Gallimard, 2001, notamment p. 233-235.
29. Les Sept Couleurs, 1948 - maison d’édition fondée par BARDECHE, en référence à un roman de Robert BRASILLACH. En 1950, Maurice BARDECHE publiera un ouvrage du même ordre, Nuremberg II ou les faux-monnayeurs, aux éditions Les Sept Couleurs, préférant aux affirmations franches et nettes du premier pamphlet des expressions dubitatives au sein d’un argumentaire recherchant une plus grande crédibilité historique, si tant est que cela soit possible...
30. Sur le parcours de Paul RASSINIER et les raisons de son évolution antisémite, voir Nadine FRESCO, Portrait d’un antisémite, Seuil, 1999 et Florent BRAYARD, Comment l’idée vint à M. Rassinier, Fayard, 1996 ainsi que Valérie IGOUNET, Histoire du négationnisme en France, op. cit., p. 61-115. Paul RASSINIER a par ailleurs cherché à « réviser » tant l’histoire de la Deuxième Guerre Mondiale que sa propre histoire, n’hésitant pas à falsifier, en l’exagérant, son rôle de résistant et en mentant sur les conditions de sa déportation.
31. Albert PARAZ, antisémite virulent, proche de Céline et membre de l’équipe rédactionnelle de l’hebdomadaire d’extrême droite Rivarol, préfacera Le Mensonge d’Ulysse et assurera sa publication. Dans les années 60, RASSINIER, outre d’avoir été pris en main par Maurice BARDECHE, entretiendra des rapports réguliers avec le propagandiste nazi Johann VON LEERS, ancien collaborateur de GœBBELS passé au service de NASSER et qui lui proposera de le faire éditer en Egypte (voir Nadine FRESCO, Fabrication d’un antisémite, op. cit., p. 45-51). Un autre ancien nazi, Karl-Heinz PRIESTER, fondateur de la revue Nation Europa et membre des cercles dirigeants du néo-nazisme des années 50, fera traduire et éditer RASSINIER en Allemagne, tout en y organisant pour lui une tournée de conférences en 1960 (Nadine FRESCO, Fabrication d’un antisémite, op. cit., p. 39-40 et Florent BRAYARD, Comment l’idée vint à M. Rassinier, op. cit., p. 277-279).
32. L’un de ses ouvrages, Le drame des juifs européens (Les Sept Couleurs, 1964 - l’on voit qu’à cette époque, Paul RASSINIER dépend totalement, pour ce qui relève de ses publications « non conformistes », des éditeurs d’extrême droite), s’en prend à la déposition du SS Kurt GERSTEIN et un ouvrage de Raul HILBERG appelé à connaître certaine notoriété, The destruction of the European Jews, Quadrangle Books, 1961 (qui sera réédité, revu, augmenté, traduit en français et publié chez Fayard en 1988 et deux volumes chez Gallimard, coll. Folio-Histoire, 1991). Sur les falsifications commises par RASSINIER relatives au livre de HILBERG, voir, sur internet, les articles de Gilles KARMASYN réunis sur http://www.phdn.org/negation/rassinier/.
33. La traduction sera opérée par Michel CAIGNET, militant néo-nazi et directeur de publication du Combat européen, en 1976 - sur CAIGNET, voir Philippe BROUSSARD, « Michel Caignet, l’ami des néo-nazis allemands », Le Monde, 18 juin 1997. L’opuscule de CHRISTOPHERSEN consiste en une description idyllique des camps de la mort où les déportés sont si correctement traités qu’ils ne peuvent s’empêcher de chanter et de danser à l’occasion... Traduit en plusieurs langues, Die Auschwitz Lüge se serait vendu à un million d’exemplaires (voir Valérie IGOUNET, Histoire du négationnisme en France, op. cit., p. 157 et Michael SCHMIDT, Néo-nazis. La terrible enquête, J.-C. Lattès, 1993, p. 357-379). En Allemagne fédérale également et à la même époque ans, un ancien juge de Hambourg, diplômé de l’Université de Göttingen en 1951, Wilhelm STäGLICH, publiera un ouvrage négationniste à contenance académique, Der Auschwitz Mythos. Legende oder Wirklichkeit : eine kritische Bestandaufnahme, pour prétendre que les camps d’extermination ne sont qu’une « invention sioniste ». Cet ouvrage sera également traduit en français par Michel CAIGNET, et paraîtra en 1986 aux éditions d’ultra-gauche La Vieille Taupe [infra, note 41], non sans quelques retards engendrés par des difficultés d’adaptation et les corrections apportées par Robert FAURISSON (Valérie IGOUNET, Histoire du négationnisme en France, op. cit., p. 460-461).
34. Pseudonyme de Richard VERRALL, membre du mouvement néo-fasciste britannique National Front dont il édite la revue Spearhead. VERRALL, affilié à plusieurs groupes se réclamant de la « pureté raciale », s’est - à tort - présenté comme étant universitaire. Voir Deborah LIPSTADT, Denying the Holocaust, op. cit., p. 104-107 et 110, ainsi que Robert FRANK, « Les négationnistes britanniques », Relations internationales, n° 65, printemps 1991, p. 39-47.
35. Sur Arthur BUTZ, voir Deborah LIPSTADT, Denying the Holocaust, op. cit., p. 123-136.
36. Pour des éléments biographiques sur Robert FAURISSON, voir Valérie IGOUNET, Histoire du négationnisme en France, op. cit., notamment p. 143-154, 199-266, 362-393 et 584-596.
37. Entretien paru dans L’Express du 28 octobre 1978 et reproduit in L’Express. L’hebdomadaire de notre histoire, p. 294-302.
38. Henry ROUSSO, Le syndrome de Vichy, op. cit., p. 19 : « Entre 1971 et 1974, le miroir se brise et les mythes volent en éclats : c’est la troisième phase, qui se présente comme un « retour du refoulé ». Elle inaugure par la suite une quatrième phase, dans laquelle il semble que nous soyons encore, celle d’une obsession, marquée d’une part par le réveil de la mémoire juive, qui a joué et joue un rôle crucial dans le syndrome, et de l’autre par l’importance des réminiscence de l’Occupation dans le débat politique interne ».
39. Voir, pour un compte-rendu et une analyse des poursuites judiciaires et administratives, France JEANNIN, Le révisionnisme. Contribution à l’étude du régime de la liberté de la liberté d’opinion en France, thèse, Doctorat de Droit public, Paris II (Bibliothèque Cujas : DT 1995/129), ainsi que Isabelle MOSTOVOY, Le révisionnisme, mémoire, DEA de Droit de la Communication sous la direction de Bernard BEIGNIER, Paris II (Bibliothèque Cujas : 24 421/1997/428), p. 46-53.
40. L’IHR, officine négationniste fondée en 1978 par des néo-nazis américains, organise des « colloques » et édite sa propre revue, le Journal of Historical Review. L’un des membres de l’équipe rédactionnelle du JHR, Keith THOMPSON, devait déclarer au cours d’une conférence organisée par l’IHR en 1983 que « si, en fin de compte, l’holocauste a bien eu lieu, alors tant mieux ! » : cette remarque serait favorablement accueillie par les invités... Sur l’IHR, voir Deborah LIPSTADT, Denying the Holocaust, op. cit., p. 137-156 et Michael SHERMER & Alex GROBMAN, Denying History, op. cit., p. 43-48.
41. Les négationnistes peuvent paradoxalement disposer des moyens d’édition fournis par l’ultra-gauche, et notamment la librairie La Vieille Taupe de Pierre GUILLAUME. Pour des explications de ce soutien inattendu, véritable exception culturelle française au sein de l’internationale négationniste, voir Alain FINKIELKRAUT, L’avenir d’une négation. Réflexion sur la question du génocide, Seuil, 1982 ; Alain BIHR, « Les mésaventures du sectarisme révolutionnaire », Négationnistes : les chiffonniers de l’Histoire, éd. Golias/Syllepse, 1997, p. 99-128 et Thierry MARICOURT, « Les curieux appuis libertaires du nihilisme brun », ibid., p. 135-144 ainsi que Didier DAENINCKX, « La jeune poulpe et la vieille taupe : chronologie d’un combat des profondeurs », ibid., p. 165-174. Lire également Valérie IGOUNET, Histoire du négationnisme en France, op. cit., p. 181-198, 280-310, et 457-488.
42. Voir infra, chapitre II. L’ampleur du phénomène est telle que M. Jack LANG, alors Ministre de l’Education nationale, a installé le 11 février 2002 une commission d’enquête sur le racisme et le négationnisme à l’Université Lyon-III. par l’historien Henry ROUSSO, cette commission devra faire la lumière sur la pénétration négationniste au sein de cette Université et rendra son rapport en 2003. L’Université de Lyon-III a depuis longtemps été dénoncée comme lieu de prolifération des discours de haine au sein des milieux universitaires : « affaire NOTIN », «; affaire PLANTIN »...
43. En 1993, de fausses circulaires à en-tête du ministère de l’Education nationale ont été envoyées aux proviseurs des lycées d’une vingtaine d’académies, présentant sous un jour favorables les thèses négationnistes et invitant les destinataires à les intégrer aux programmes du cours d’Histoire (Valérie IGOUNET, Histoire du négationnisme en France, op. cit., p. 439).
44. L’historien Raul HILBERG aura ce commentaire : « Je dirai que, d’une certaine manière, Faurisson et d’autres, sans l’avoir voulu, nous ont rendu un grand service. Ils ont soulevé des questions qui ont eu pour effet d’engager les historiens dans de nouvelles recherches. Ils ont obligé à rassembler davantage d’informations, à réexaminer les documents et à aller plus loin dans la compréhension de ce qui s’est passé. » (« Les archives de l’horreur », Le Nouvel Observateur, 3-9 juillet 1982, p. 71, cité in Valérie IGOUNET, Histoire du négationnisme en France, op. cit., p. 270).
45. Cité in Valérie IGOUNET, Histoire du négationnisme en France, op. cit., p. 444.
46. Le Monde, 26-27 mars 1989.
47. Charles AMSON, La loi Gayssot, mémoire, DEA de Droit public interne, sous la direction de Claude GOYARD, Paris II, année 1998-1999 (Bibliothèque Cujas : 24 421/1999/308), p. 21-22.
48. Pour le procès-verbal des débats, voir, en ce qui concerne l’Assemblée nationale : J.O., A.N., débats, 1ère séance du 2 mai 1990, p. 886-896 et 2e séance, p. 901-962 ; J.O., A.N., débats, 28 juin 1990, p. 3103-3116 et 3122-3142 ; J.O., A.N., débats, 29 juin 1990, p. 3195-3201 ; J.O., A.N., débats, p. 3107-3109. Et les débats au sein du Sénat : J.O., Sénat, débats, 11 juin 1990, p. 1145-1464 ; J.O., Sénat, débats, 29 juin 1990, p. 2308-2313.
49. J.O., A.N., débats, 29 juin 1990, p. 3196.
50. « Lorsque nous en avons discuté en 1990, sur la base d’une proposition de loi du groupe communiste, dont le premier signataire était M. Gayssot, j’avais contesté - je n’étais pas le seul - le principe de ce texte, qui consiste à fixer la vérité historique par la loi au lieu de la laisser dire par l’histoire. Certains objectent que si c’est bien l’histoire qui fait la vérité et si ce n’est pas à la loi de l’imposer, certains propos vont trop loin et il ne faut pas permettre de les exprimer. Mais c’est glisser insensiblement vers le délit politique et vers le délit d’opinion. » (J.O., A.N., débats, 22 juin 1990, intervention de M. TOUBON, p. 3571)
51. La question préalable est une procédure de Droit parlementaire destinée à contrer le débat portant sur un projet une proposition de loi : il s’agit en effet d’une question posée par un membre de l’assemblée délibérante tendant à faire décider qu’il n’y a pas lieu de délibérer sur le sujet inscrit à l’ordre du jour de l’assemblée (Pierre AVRIL & Jean GICQUEL, Droit parlementaire, Montchrestien, 2e édition, 1996, p. 153). Le 11 juin 1990, 216 sénateurs contre 92 se prononceront en faveur de la question préalable : les chiffres passeront à 224 contre 90 le 29 juin et 222 contre 90 le 30.
52. L’article 23 de la loi du 29 juillet 1881 dispose que « seront punis comme complices d’une action qualifiée crime ou délit ceux qui, soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l’écrit, de la parole ou de l’image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication audiovisuelle, auront directement provoqué l’auteur ou les auteurs à commettre ladite action, si la provocation a été suivie d’effet. »
53. Ce que reconnaîtrait Charles KORMAN, pourtant favorable à la « loi GAYSSOT », in « Pour assumer l’Histoire : la loi », Le Monde, 28 mai 1996. Pour une exégèse complète de l’article 24bis, voir Jean-Philippe FELDMAN, « Peut-on dire impunément n’importe quoi sur la Shoah ? (De l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881) », RIDC, 1998, p. 229-271 et Bernard BEIGNIER, « De la langue perfide délivre-nous... Réflexions sur la loi du 13 juillet 1990 dite loi Gayssot », Mélanges Pouvoirs et Libertés. Etudes offertes à J. Mourgeon, Bruylant, Bruxelles, 1998, p. 497-533 ainsi que Jacques-Henri ROBERT, « La contestation des crimes contre l’humanité », Droit de la presse 1999, fasc. 130, p. 15-18.
54. Michel VERON, « Présentation des lois des 12 et 13 juillet 1990 », Droit pénal, octobre 1990, p. 1. La Cour de Cassation a estimé que la « minoration outrancière » du nombre des victimes d’Auschwitz-Birkenau, faite de « mauvaise foi » relève du champ d’application de l’article 24 bis (Cass. Crim., 17 juin 1997, D. 1998, p. 50, note Jean-Philippe FELDMAN ; Rev. sc. crim., 1998, p. 576, observations FRANCILLON).
55. Le professeur François TERRE parle de « texte d’esprit totalitaire » dans Le Figaro du 15 mai 1996.
56. Pierre VIDAL-NAQUET, entretien, Le Monde, 4 mai 1996.
57. Voir décision du Conseil Constitutionnel n° 83-165 DC, 20 janvier 1984, Loi relative à l’enseignement supérieur, Rec., p. 30 et infra.
58. J.O., Sénat, rapport n° 337, p. 31 : Jean-Marie GIRAULT.
59. François BEDARIDA, entretien, Le Monde, 15 mai 1990.
60. Le 10 mai 1990, au même moment que les débats parlementaires relatifs à l’adoption de la « loi GAYSSOT », était découverte la profanation du cimetière juif de Carpentras. Le retentissement de cette affaire est énorme : le Président de la République lui-même participe aux manifestations antiracistes organisées par le Conseil Représentatif des Institutions Juives de France (CRIF) le 14 mai 1990 à Paris. Une telle prise de position de l’homme incarnant la clef de voûte des institutions de la Ve République est révélatrice du climat passionnel de l’époque. Le vote de la « loi GAYSSOT » a-t-il été facilité par cette série d’événements ? La question reste posée : l’Assemblée nationale avait déjà adopté le texte une semaine plus tôt et le Sénat a persisté dans son refus de le cautionner. Tout au plus « l’affaire de Carpentras » a-t-elle donné un argument supplémentaire aux défenseurs de la proposition de loi. Mais surtout, il est probable qu’elle ait incité les parlementaires à ne pas saisir le Conseil Constitutionnel, pour des motifs tenant à des considérations davantage politiques que juridiques.
61. Ce que revendiquera l’unique députée du Front national lors des débats parlementaires, Mme Marie-France STIRBOIS. Les connexions entre l’extrême droite française, notamment le Front national, et le négationnisme, ne sont plus à démontrer. Voir Valérie IGOUNET, « Une tradition extrémiste : le négationnisme », Revue d’Histoire de la Shoah, n° 166, mai-août 1999, p. 7-43 et du même auteur : « Un négationnisme stratégique », Le Monde diplomatique, mai 1998, ainsi que « 'Révisionnisme' et négationnisme au sein de l’extrême droite française », Négationnistes, les chiffonniers de l’histoire, Golias/Syllepse, 1997, p. 39-81 et Histoire du négationnisme en France, op. cit.. L’on consultera également avec intérêt René MONZAT, Enquêtes sur la droite extrême, Le Monde éditions, notamment p. 177-205. Rappelons que l’un des fondateurs du Front national, François DUPRAT (assassiné dans des circonstances jamais éclaircies le 18 mars 1978), était une des « têtes pensantes » du négationnisme français des années 70.
62. Voir, pour un commentaire de cette non-saisine dans le contexte de la promulgation de la « loi GAYSSOT », l’article d’Alain ROLLAT paru dans Le Monde du 27 juillet 1990. Alain ROLLAT recommandait l’admission en Droit français d’un contrôle constitutionnel par voie d’exception. Il n’est pas inutile de rappeler que le Sénat venait de mettre en échec une réforme en ce sens, initiée par Robert BADINTER (Le Monde, entretien, 3 mars 1989), reprise par François MITTERRAND le 14 juillet de la même année, défendue par le Premier Ministre Michel ROCARD en mars 1990 et approuvée par l’Assemblée nationale. Alain ROLLAT citait l’exemple récent de la décision du Conseil Constitutionnel n° 90-277 DC du 25 juillet 1990 Loi relative à la révision générale des évaluations des immeubles retenus pour la détermination des bases des impôts directs locaux (Rec., p. 70), rendue sur une saisine résultant, selon lui, d’un « mouvement d’humeur » du Sénat : « si le Sénat n’avait pas cherché noise au gouvernement sur un aspect mineur des impôts locaux, personne n’aurait pu annuler l’atteinte infligée par un détournement de procédure à la loi générale sur la protection de la montagne ». Sur ce débat constitutionnel, voir Gérard CONAC & Didier MAUS (dir.), L’exception d’inconstitutionnalité, éd. STH, 1990 ; « L’exception d’inconstitutionnalité », RFDC 1990, n° 4, p. 581 et s. ; Bernard DE GRANRUT, « Faut-il accorder aux citoyens le droit de saisir le Conseil Constitutionnel ? », RDP 1990, p. 309 et s. ; Jacques VIGUIER, « La participation des citoyens au processus de contrôle de la constitutionnalité de la loi dans les projets français de 1990 et 1993 », RDP 1994, p. 969 et s..
63. Voir notamment Pascal JAN, in La saisine du Conseil Constitutionnel, LGDJ, 1999, p. 192 : « La Constitution lui fait obligation de s’opposer à tout acte qui serait contraire à la loi fondamentale. Mais le président reste libre d’apprécier l’opportunité d’un recours, la prérogative présidentielle étant au nombre des pouvoirs propres dispensés du contreseing ». Olivier CURTIL (Petites Affiches, 22 mars 2002, n° 59, p. 17) estime également que la décision présidentielle de saisir ou de ne pas saisir le Conseil Constitutionnel demeure un pouvoir discrétionnaire.
64. CE, réf., 7 novembre 2001, Tabaka, note Olivier CURTIL, Petites Affiches, 22 mars 2002, n° 59, p. 15-19 : « Considérant que le fait pour le Président de la République de s’abstenir d’user de la faculté qu’il tient du deuxième alinéa de l’article 61 de la Constitution de déférer une loi au Conseil constitutionnel aux fins d’en faire examiner la conformité à la Constitution est indissociable de l’ensemble de la procédure législative ; qu’il touche ainsi aux rapports entre les pouvoirs publics constitutionnels et échappe par là même à la compétence de la juridiction administrative ». Contra : Louis FAVOREU, « L’interprétation de l’article 37 alinéa 2 de la Constitution par le Conseil d’Etat », RFDA 2000, p. 665, à propos d’un arrêt de la haute juridiction administrative par lequel elle acceptait de connaître d’un recours dirigé contre le refus du Premier Ministre de saisir le Conseil Constitutionnel au titre de l’article 37 alinéa 2 de la Constitution (CE, Sect, 3 décembre 1999, Association ornithologique et mammalogique de Saône-et-Loire, Rec., 380). Le Conseil d’Etat avait cependant décliné sa compétence en matière de recours dirigé contre la décision présidentielle de nomination d’un membre du Conseil Constitutionnel, mais ne s’était pas fondé, contrairement à l’invitation qui lui avait été faite par son commissaire du gouvernement, sur la théorie des actes de gouvernement : CE, Ass., 9 avril 1999, Mme Ba, RFDA 1999, p. 566-577, concl. SALAT-BAROUX. L’ordonnance du 7 novembre 2001 établit, en tout état de cause, que le Conseil d’Etat n’a pas l’intention de renoncer à l’immunité juridictionnelle des actes de gouvernement, alors que le législateur espagnol vient précisément d’y mettre fin (article 2.a de la loi 29/1998 du 13 juillet 1998 sur la juridiction administrative) : voir Fabrice MELLERAY, « L’immunité juridictionnelle des actes de gouvernement en question », RFDA 2001, p. 1086-1100.
65. Loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la Sécurité Quotidienne (J.O., n° 266, 16 novembre 2001).
66. Pascal JAN, « Etat de nécessité contre Etat de droit (à propos de la loi sur la sécurité quotidienne) », D., 6 décembre 2001, p. 3443-3445.
67. La notion d’intérêt général demeure particulièrement délicate à cerner, de même que sa valeur constitutionnelle, si tant est qu’elle en ait une.
68. Michel TROPER, « Droit et négationnisme. La loi Gayssot et la Constitution », Annales, HSS, 54(6), novembre-décembre 1999, p. 1239-1255.
69. Michel TROPER, « Droit et négationnisme », op. cit., p. 1240.
70. Il est notamment question de l’interdiction de sanctionner la négation du génocide arménien (cf. infra).
71. Voir Eric DELCROIX, La police de la pensée contre le révisionnisme, édité par la Revue d’Histoire Révisionniste, 1994, op. cit.. Son auteur, lui-même négationniste et actuellement membre du Mouvement National Républicain, fonde essentiellement son argumentaire opposé à l’article 24bis sur le fait que, selon lui, l’extermination des juifs relèverait davantage du mythe que de la réalité... Eric DELCROIX adopte en la circonstance, et sur un ton non exempt de polémique, une conception absolutiste de la liberté d’opinion et d’expression pour démontrer que « cette loi constitue une monstruosité dans son fondement, dans sa rédaction et dans son application ». Pour avoir contesté l’existence des crimes nazis, Eric DELCROIX sera condamné en octobre 1996 par la XVIIe Chambre du Tribunal de Grande Instance de Paris, en vertu de l’article 24bis, à vingt mille Francs d’amende, un Franc symbolique de dommages-intérêts à verser à six associations de déportés ainsi qu’un mois de suspension d’exercer - cette condamnation ne sera toutefois pas inscrite à son casier judiciaire.
72. Outre les travaux déjà cités dans le corps de cette introduction, voir André DONNET, « Le délit de révisionnisme », Annales de droit de Louvain, éd. Larcier/Bruylant, Bruxelles, 1993, p. 423-474. Pour une publication récente : Patrick WACHSMANN, « Liberté d’expression et négationnisme », RTDH 2001, p. 585-600. Le 5 juillet 2002 s’est tenu en salle d’audience de la Première Chambre de la Cour d’Appel de Paris un colloque (organisé par l’Association française pour l’Histoire de la Justice, la Commission nationale consultative des Droits de l’Homme et l’Ecole nationale de la Magistrature) consacré à la lutte juridique contre le négationnisme, journée d’études faisant le point sur les controverses relatives à la « loi GAYSSOT » tout en évoquant l’éventuelle extension de son champ d’application, ce dans le cadre du Droit communautaire.
73. Zeev STERNHELL, La droite révolutionnaire 1885-1914. Les origines françaises du fascisme, Gallimard, coll. « Folio-Histoire », 1997 (éd. revue et augmentée), p. II. L’historien israélien était il est vrai particulièrement impliqué, ayant fait l’objet en 1983 d’un procès en diffamation pour avoir évoqué le politologue Bertrand DE JOUVENEL dans son ouvrage Ni Droite ni gauche. L’idéologie fasciste en France (Seuil, 1983 - réédité chez Complexe, 2000). Voir Pierre ASSOULINE, « Enquête sur un historien condamné pour diffamation », L’Histoire, n° 68, juin 1984.
74. Selon la formule consacrée par Eric HOBSBAWM, L’âge des extrêmes. Le court XXe siècle, Complexe, 1999.
75. Robert C. POST, Constitutional Domains, Harvard University Press, 1995, p. 293.
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